Chapitre premier
Les germes d’un conflit mondial
p. 17-70
Texte intégral
« Je suis sûr, que, quelque parti que je prenne,
beaucoup de gens me condamneront. »
Louis XIV1
1Pour bien comprendre ce que signifiait l’idée d’« union des couronnes » au début du xviiie siècle, il faut remonter au problème de succession tel qu’il s’était posé dans la monarchie hispanique depuis le milieu du xviie siècle. Le fils du roi Philippe IV, Charles II, s’avéra en effet incapable d’avoir des enfants. Dès lors la question de sa succession agita ses contemporains. L’une des principales difficultés tenait au choix du successeur. Si la branche des Habsbourg de Vienne ne manquerait pas de réclamer l’héritage, il ne faisait aucun doute que le roi de France, petit-fils, gendre et beau-frère des Rois Catholiques, exigerait des compensations territoriales, y compris par la guerre. Sa femme comme sa mère étaient des infantes d’Espagne. Les mariages successifs entre los Austrias et les Bourbons ont entraîné ce que Fanny Cosandey appelle un « renchaînement d’alliances », qui permettait ensuite de prendre part à l’héritage espagnol2. En dépit des renonciations d’Anne d’Autriche et de sa nièce Marie-Thérèse, Louis XIV exigeait d’avoir part aux successions des Rois Catholiques.
2La question de la succession attira l’attention dès les négociations de Westphalie, c’est-à-dire au milieu du xviie siècle3. En effet, en 1646, le jeune prince héritier de la monarchie disparaissait. La mort de l’infant Baltasar Carlos souleva la question de la succession une première fois sous le règne de Philippe IV. À cette date, l’infante Marie-Thérèse, future épouse de Louis XIV, était toujours la seule héritière du Roi Catholique. En 1656, lors des négociations de Madrid qui précédèrent la paix des Pyrénées, on avait songé à la marier à un prince français. Don Cristoval, le négociateur espagnol, avait alors interrompu net Hugues de Lionne, en lui signifiant que l’on accepterait seulement de la donner au duc d’Anjou, frère de Louis XIV. C’était s’assurer qu’un roi resterait à Madrid4. Les sollicitations françaises vinrent à bout des réticences espagnoles et la jeune infante fut promise à Louis XIV. Il fallut attendre 1660 pour que Philippe IV ait un autre garçon, le futur Charles II5. La fragilité physique du jeune infant ne cessa d’entretenir les doutes et les pires craintes à son sujet.
3Dans ses Négociations relatives à la succession d’Espagne6, François-Auguste Mignet a retracé les origines et les racines de la guerre. Cette vision surestime sans doute le poids de la guerre de Succession d’Espagne, mais souligne dans quel contexte historique intervint la mort de Charles II d’Espagne. Depuis le milieu du xviie siècle, tous les souverains y avaient songé. Cette préoccupation persista parallèlement aux ambitions et aux agressions multiples de Louis XIV. La guerre de Dévolution, la guerre de Hollande (1672-1678), la guerre contre les Pays-Bas et celle de la Ligue d’Augsbourg scandèrent la vie des États européens dans la seconde moitié du xviie siècle. Ainsi, il faut considérer la succession espagnole comme une question lancinante des relations internationales depuis le milieu du xviie siècle. Il apparaît donc paradoxal qu’une difficulté anticipée depuis longtemps ait pu engendrer un conflit aussi long, en dépit des propositions d’accommodement (traités de partage) mises au point pour prévenir toute querelle.
I. — La succession impossible ou le drame cornélien
4Le duc de Sanlúcar déclarait en 1667 : « La France, depuis la signature de la paix des Pyrénées, ne s’est pas appliquée à autre chose qu’à rechercher notre ruine7 ». On retrouve cette idée dans de nombreux pamphlets et libelles, comme La France sans borne, publié en 1684, dans lequel le roi de France était accusé de n’avoir aucune parole :
C’était le roi lui-même qui avait empêché qu’on enregistrât le traité des Pyrénées afin que ce lui fût un prétexte de revenir contre ce qui avait été signé par les plus grands seigneurs de France, et ce qu’il avait signé lui-même. […] Autrefois un Chrétien gardait sa parole à un Turc, et aujourd’hui un Roi Très-Chrétien ne la garde pas à son beau-père [c’est-à-dire le roi d’Espagne]8.
5Le traité des Pyrénées avait mis fin en 1659 à une guerre entamée vingt-quatre ans auparavant. Ce traité négocié par Mazarin et Luis de Haro prévoyait, outre le retour à la paix, le mariage de la fille de Philippe IV avec Louis XIV. Toutefois, le jeune roi de France ne se contenta pas de l’affaiblissement de la monarchie hispanique dans la paix des Pyrénées. Comme il le reconnut plus tard dans les Instructions qu’il rédigea à l’intention de son fils, la croissance de la puissance française ne pouvait s’obtenir qu’au prix de l’abaissement de sa voisine9. Il saisit ainsi le premier prétexte venu pour attaquer la monarchie hispanique. Prétextant du non-paiement de la dot de sa femme et de son désir de faire respecter ses droits à la succession de Philippe IV, Louis XIV attaqua les Pays-Bas espagnols en 1667. C’est la guerre dite de « Dévolution ». Le roi de France refusait ainsi de reconnaître la validité des renonciations de son épouse Marie-Thérèse à la succession de son père. Antoine Bilain défendit les positions françaises dans son Traité des droits de la Reyne Très-Chrétienne sur divers États de la monarchie d’Espagne (Paris, S. Cramoisy, 1667), tandis que Franz Paul von Lisola réfutait ces arguments dans le Bouclier d’État et de Justice.
6Peu après, Louis XIV accentua la pression exercée sur le Roi Catholique en s’alliant le 31 mars 1667 avec le Portugal10. Depuis 1640, l’unión du Portugal avec les autres couronnes ibériques volait en éclat : la noblesse révoltée, rassemblée autour du duc de Bragance, cherchait à se défaire de la tutelle du roi de Castille11. Le roi de France partit en campagne à la tête des troupes en Flandres et rapidement, obtint gain de cause. Le traité signé à Aix-la-Chapelle en mai 1668 lui reconnut la possession de plusieurs places, dont Lille et Tournai.
7Signe du désir de prévenir toute difficulté à venir concernant la succession espagnole, Louis XIV et l’empereur Léopold Ier avaient signé un traité de partage le 19 janvier 1668. Il s’agissait en somme de trouver une solution ou un accord avant même que la question de la succession ne se posât. L’empereur et le roi de France avaient procédé à un partage de la monarchie espagnole, au cas où Charles II viendrait à mourir rapidement. Louis XIV voyait ainsi ses droits reconnus et obtiendrait, en cas de décès du Roi Catholique, les Pays-Bas, la Franche-Comté, les Philippines, Rosas, la Navarre, les possessions africaines, Naples et la Sicile12. Le reste irait à l’empereur ou à son héritier.
8Après avoir obtenu des garanties de l’empereur, Louis XIV chercha une autre puissance à attaquer. Pour un jeune souverain en quête de gloire, conduire la guerre apparaissait comme une activité légitime au xviie siècle. Sa cible fut les Provinces-Unies. Cette république, isolée dans l’Europe des rois, avait acquis de haute lutte son indépendance vis-à-vis de la monarchie espagnole, au cours de la guerre des Flandres (1567-1648). La thalassocratie hollandaise tirait sa puissance de son commerce. Pour l’attaquer, le roi de France chercha des alliances. Il se tourna alors vers Charles II d’Angleterre, souverain d’un royaume où le Parlement encadrait étroitement le pouvoir royal. De près ou de loin, la succession espagnole pesait sur l’ensemble des initiatives de Louis XIV dans le domaine des affaires étrangères. Ainsi la signature du traité de Douvres en 1670, avec le roi d’Angleterre Charles II, prévoyait une assistance financière du roi de France. En échange, le Stuart s’engageait à aider le roi de France à faire valoir ses droits à la succession d’Espagne13. Il s’agissait d’une alliance offensive. Les deux princes s’engageaient à n’accepter aucun traité de partage sans le consentement de l’autre14.
9Une fois l’alliance nouée, il ne restait plus qu’à ouvrir les hostilités. De nombreuses raisons ont été avancées pour expliquer ce conflit : ambition du jeune roi de France, frappe d’une médaille qui aurait vexé son orgueil (elle illustrait les Provinces-Unies arrêtant la marche du Soleil), volonté d’abattre une puissance commerciale concurrente ou désir du ministre de la Guerre d’accroître son influence15. Autant d’explications valables, parmi lesquelles il est bien difficile de savoir laquelle eut le plus d’importance. Elles ont sans doute chacune joué un rôle dans le déclenchement du conflit.
10Une fois de plus, le roi de France plongea l’Europe dans la guerre. Au printemps 1672, Charles II d’Angleterre et Louis XIV déclaraient la guerre à la République des Provinces-Unies. Cette puissance maritime et marchande jouait le rôle d’entrepôt entre l’espace de la Baltique et celui de la Méditerranée et de l’Atlantique16. La jeune république batave s’organisait autour de ses États-Généraux et de la figure du stathouder. Les États-Généraux étaient composés des représentants des sept provinces qui avaient fait sécession de la monarchie espagnole. Ces députés relayaient puissamment les intérêts mercantiles des classes négociantes. Le stathoudérat, fonction provinciale à l’origine, était devenu depuis la guerre d’Indépendance, un monopole de la famille d’Orange-Nassau. En temps de paix, les princes de la maison d’Orange se voyaient accusés d’aspirer à un pouvoir monarchique17. L’histoire de la République se confondait ainsi avec celle des luttes de factions entre les pro-orangistes et le parti des États.
11L’année 1672, qualifiée « d’année catastrophique » (la rampjaar), vit les armées de Louis XIV pénétrer les territoires des Provinces-Unies. L’occupation française devint rapidement cruelle : exactions, pillages et incendies se multiplièrent18. La suite du conflit fut marquée par le siège de Maastricht (1673), la conquête de la Franche-Comté et une campagne en Alsace (1674). Finalement, Louis XIV réussit à faire l’unanimité contre lui et à favoriser la création d’une coalition autour de Guillaume d’Orange. L’invasion des Provinces-Unies et l’occupation du pays par les troupes du roi de France avaient en effet soudé les populations autour du stathouder.
12La monarchie espagnole et les Provinces-Unies saisirent l’occasion offerte pour se réconcilier. La longue guerre des Flandres, par laquelle les provinces s’étaient libérées de la tutelle du Roi Catholique, était oubliée au profit de la lutte contre l’ennemi commun, c’est-à-dire Louis XIV. Le 30 août 1673, un traité d’alliance brisait l’isolement de l’Espagne qui rejoignait ainsi la coalition initiée par ses anciennes possessions du nord de l’Europe19. Peu avant, elle s’était déjà rapprochée des Provinces-Unies par la signature de l’accord de La Haye, le 17 décembre 1671, lui-même renforcé par l’engagement de ne pas faire de paix séparée sans le consentement de l’autre (22 février 1672)20.
13La guerre de Hollande constitua le premier grand affrontement entre Guillaume d’Orange et Louis XIV. L’attaque de Louis XIV contre les Provinces-Unies imposa finalement la figure du stathouder comme premier défenseur des libertés bataves face aux ambitions françaises. À la faveur de la guerre, Guillaume d’Orange retrouva la plénitude de ses pouvoirs, autrefois limités par l’édit perpétuel de 166721. À la suite de la guerre de Hollande, la figure du stathouder parut renforcée. Le prince Guillaume d’Orange prenait de l’ascendant sur les autorités de la République et il allait devenir le premier opposant à Louis XIV. Il réussit à convaincre l’Espagne, l’empereur et le duc de Lorraine de l’aider et de se joindre à lui dans son combat. Durant ce conflit, les stratégies navales furent étroitement combinées avec les opérations terrestres : désormais, les marines joueraient un rôle de premier plan dans les conflits22.
14Profitant d’une révolte à Messine en Sicile, Louis XIV envoya une escadre commandée par Duquesne afin de protéger la ville rebelle de l’attaque d’une flotte hollandaise23. La couronne espagnole avait été réduite à demander des secours aux Provinces-Unies ; les anciennes provinces en venaient ainsi à défendre des possessions du Roi Catholique. Lors des négociations de paix, Messine fut abandonnée à son sort et subit la dure répression des Espagnols.
15Lors des négociations de Nimègue, qui mirent fin à la guerre, Louis XIV obtint la Franche-Comté, qu’il avait conquise, ainsi qu’une série de places dans les Flandres24. Toutefois, il dut renoncer au tarif commercial de 1667, qu’il avait mis en place afin de freiner les importations de produits hollandais. Les Provinces-Unies signèrent deux traités avec Louis XIV, l’un concernant la paix, le second le commerce25. La paix de Nimègue ouvrit une période de dix années pendant lesquelles le roi n’entreprit pas de nouvelle conquête. Cette paix apparaît ainsi comme la fin d’un cycle, celui des victoires de Louis XIV en Europe. Elle correspond également à une phase de la construction de son image. Bien étudiée par Peter Burke, la glorification passe davantage par des décisions concernant la vie intérieure du royaume26. La construction et la décoration de Versailles, l’installation de la cour au sein du palais et la révocation de l’édit de Nantes constituent des éléments emblématiques du système monarchique louis-quatorzien. Ces années marquent enfin une forme de durcissement ou de « clôture27 » de la politique royale.
16Durant les années qui suivirent la paix de Nimègue, l’Angleterre connut une période troublée. La restauration des Stuarts était compromise. Le frère de Charles II, Jacques II, semblait vouloir imposer le catholicisme dans le pays. Face à un Parlement et à une société largement acquis à l’anglicanisme, la révolution éclata. Jacques II fut obligé de s’enfuir et de venir trouver refuge auprès de Louis XIV. La Glorieuse Révolution de 1688 permit ainsi à Guillaume d’Orange, stathouder des Provinces-Unies, de devenir roi d’Angleterre. Ainsi les deux principales puissances maritimes, la république batave et l’Angleterre, se trouvaient désormais liées par celui qui sera l’âme de l’opposition et des luttes contre Louis XIV. Les contradictions et les oppositions, notamment commerciales, entre Hollandais et Anglais ne cessèrent pas d’exister, mais Guillaume d’Orange sut les aplanir ou, pour le moins, les rendre inoffensives pour les relations entre les deux puissances28.
17Selon Ana Crespo Solana, la guerre de Hollande (1672-1678) avait marqué une forme d’internationalisation des sentiments francophobes, principalement dans les pays protestants. Ensuite, la révocation de l’édit de Nantes en 1685 ne fit qu’exacerber la situation. Décision d’une brutalité inouïe pour les protestants, la Révocation apparaissait comme emblématique des tentations hégémoniques du roi de France29. Enfin, en soutenant Jacques II, Louis XIV acheva de s’aliéner les opposants protestants, inquiets de sa politique religieuse.
18Parallèlement, sa politique des « réunions », la prise de Strasbourg et du Luxembourg ainsi que la politique agressive menée par Louis XIV pour la succession palatine ravivèrent les tensions entre l’Empire et le royaume de France. Le 9 juillet 1686, l’empereur Léopold Ier, le roi d’Espagne, celui de Suède, l’électeur de Bavière, et les cercles de l’Empire signaient le pacte de la Ligue d’Augsbourg. La difficile succession de l’électeur de Cologne acheva d’isoler la France. À la mort de l’archevêque de Cologne, Joseph-Clément de Bavière et Guillaume de Fürstenberg s’affrontèrent pour lui succéder. Le premier candidat était soutenu par l’empereur, tandis que le second jouissait de l’appui de Louis XIV. Le candidat impérial fut élu mais le roi de France manqua, de peu, de provoquer une rupture avec le Saint-Siège30. À la faveur de la Glorieuse Révolution, les fidèles du roi d’Angleterre déchu arrivaient en France, surtout après l’échec d’une reconquête à partir de l’Irlande. Surnommés les « jacobites », ils s’installèrent à Saint-Germain-en-Laye, où ils ne cessèrent d’entretenir des rêves de reconquête31. En réponse à la politique de Louis XIV, plusieurs puissances s’allièrent pour mettre fin à ses visées jugées hégémoniques. Par le traité de Vienne du 12 mai 1689, les Hollandais joignirent ainsi leurs forces à celles de l’empereur, bientôt rejoints par l’Angleterre, en décembre de la même année. La Suède, le duc de Savoie, Victor-Amédée II, et le roi de Portugal se rangèrent également dans le camp impérial ou dans la neutralité32.
19Les hostilités, entamées avec la dévastation du Palatinat au printemps 1689, vont se poursuivre sur terre et sur mer. Le 15 avril 1689, le roi de France déclara la guerre au roi d’Espagne33. Si les premières années sont marquées par des victoires des armées du roi de France à Fleurus, Saluces ou Steinkerque, la lassitude gagna rapidement l’ensemble des belligérants. Signe des temps et des préoccupations de Louis XIV vis-à-vis de la succession à venir, une escadre française menaça Cadix en juin 1686, Barcelone fut prise par le duc de Vendôme en août 169734 et Cartagena (Carthagène des Indes) par Pointis, le 4 mai de la même année. L’année 1694 marqua un tournant selon François Bluche35. Le Consejo de Estado36 espagnol eut connaissance dès cette année-là des projets de négociations de Louis XIV concernant la succession espagnole37. Le grand marchandage allait pouvoir commencer.
20Le roi songeait de plus en plus à la paix. Après avoir réussi à détacher le duc de Savoie de la coalition par le traité de Turin (29 août 1696), Louis XIV consentit à traiter du règlement du conflit. Les représentants des princes se retrouvèrent ainsi en Hollande à Ryswick pour un congrès de paix (9 mai 1697). La succession espagnole hâta les négociations38. Guillaume III et Louis XIV s’accordaient au moins sur ce point. Le roi de France renonça à plusieurs de ses conquêtes. Barcelone fut rendue, comme Gérone. Il abandonna également à Charles II d’autres conquêtes situées dans les Pays-Bas : Ath, Mons, Courtrai, ainsi que le Luxembourg et Charleroi. L’article 4 du traité signé entre le roi de France et le Roi Catholique prévoyait explicitement le retour aux dispositions territoriales du traité de Nimègue39. Au cours des négociations, ce traité servit ainsi de référence à de nombreuses reprises. Les dispositions adoptées à Nimègue en 1678 fondaient le règlement de la paix de 1697, ce qui souligne la force et le poids des accords écrits et signés à l’époque moderne : ceux-ci engageaient la parole du prince mais aussi sa réputation.
21Autre signe de l’évolution des intérêts stratégiques de Louis XIV : les places conquises dans les Pays-Bas furent rétrocédées alors que sa conquête sur Saint-Domingue n’est pas mentionnée40. Un nombre toujours croissant de négociants investissait dans l’armement de navires marchands pour aller commercer dans l’espace caraïbe. Si l’on comptait seulement quatre navires naviguant dans ces eaux en 1662, leur nombre passa à cent cinq en 1683 : en vingt ans, le nombre de bateaux français présents dans la région pour le négoce avait ainsi été multiplié par vingt41. En 1688, le gouverneur de Saint-Domingue, Andrés Robles, dénonçait les agissements des Français, qui entretenaient de petits navires pour s’emparer des esclaves qui fuyaient les colons espagnols42.
22Dans aucun des trente-huit articles du traité, le sort de l’île d’Hispaniola, plus connue sous le nom de Saint-Domingue, n’est abordé43. Ne pas en parler permettait aux deux belligérants de se réserver la possibilité de défendre leurs droits par la suite, mais la question fut sans doute abordée lors des négociations. L’absence surprenante de la mention de l’île dans le traité s’explique par la volonté du roi de France de ne pas la rendre, et celle du Roi Catholique de ne pas renoncer à ses droits. D’ailleurs, dans une cédule royale du 20 novembre 1700, le roi d’Espagne rappelait que « jamais, les Français ne se sont vus concéder la juridiction légitime [de l’île], dans aucun traité de paix44 ».
23Durant la guerre, l’isla Española, comme la plupart des possessions caribéennes, fit l’objet d’attaques des différents belligérants. À deux reprises, les Anglais et les Espagnols tentèrent de déloger les Français de Saint-Domingue. En 1692, le Consejo de Estado donna son accord et envoya les ordres nécessaires au gouverneur de l’île et au commandant de l’Armada de Barlovento45. En 1695, les Anglais proposèrent une nouvelle fois aux Espagnols d’expulser les Français de l’île46. Cap Français et Port de Paix subirent alors des assauts redoutables à l’automne de la même année.
24La succession espagnole accéléra toutefois le retour à la paix et la conclusion du traité de Ryswick. Louis XIV renonça à des gains territoriaux, sans doute en espérant secrètement que sa modération serait récompensée en retour. Une fois la paix signée, la succession de Charles II agita à nouveau les cours européennes, et les négociations reprirent entre Louis XIV et Guillaume III. Deux traités de partage furent signés. Le premier, préparé par le roi de France et Guillaume, fut conclu à La Haye, le 10 octobre 1698. Le second fut signé à Londres le 3 mars 1700.
25Le roi de France avait envoyé le comte de Tallard à Londres. Il était chargé de négocier directement avec Guillaume III. Les discussions portèrent sur la répartition des territoires. En effet, Louis XIV consentait à un partage et le roi d’Angleterre considérait que c’était le meilleur moyen d’éviter la guerre. Dans le premier partage, connu aussi sous le nom de traité de Loo47, le prince électoral de Bavière, Joseph-Ferdinand, devait ainsi obtenir l’Espagne. Le Grand Dauphin hériterait, en échange d’une renonciation à ses droits sur l’Espagne, de la province du Guipúzcoa, du royaume de Naples, de la Sicile, des présides toscans48 et du marquisat de Finale. Le second fils de l’empereur, l’archiduc Charles, recueillerait le Milanais. Un accord entre la France, l’Angleterre et les Provinces-Unies devait garantir l’exécution du traité.
26Cette combinaison préparée en secret, mais dont le roi d’Espagne eut connaissance, s’effondra avec la disparition du prince électoral de Bavière en février 1699. Les négociations reprirent. Le second traité de partage, signé à Londres en mars 1700, aboutissait à une redistribution totale des territoires. L’archiduc conserverait les possessions péninsulaires et ultramarines en Amérique. Le roi de France obtenait, en plus des possessions promises dans le premier traité, la Lorraine, dont le duc était dépossédé, et soit la Navarre, soit le Luxembourg. En échange de la perte de son duché, le duc de Lorraine se voyait assuré de récupérer le Milanais. Le projet fut rapidement éventé et l’électeur de Bavière, alors gouverneur des Pays-Bas espagnols, reçut l’ordre de Charles II d’envoyer des ministres dans les cours du Nord et auprès des princes de l’Empire pour dénoncer ce traité jugé inique49.
27Ces redistributions multiples, sans prise en compte des volontés espagnoles, soulignent combien la succession de Charles II lui échappait complètement. Elle était davantage une question regardant l’ensemble des princes de l’Europe qu’un problème interne à la monarchie. Les répartitions successives illustrent autant la fragilité de la monarchie espagnole à la fin du xviie siècle que le potentiel et l’intérêt que les princes lui reconnaissaient.
28L’empereur désirait que la monarchie espagnole restât intégralement dans sa famille. Il estimait que les renonciations signées par les infantes d’Espagne étaient valables. De plus, la monarchie espagnole ne devait pas sortir du patrimoine de la maison d’Autriche en vertu des dispositions prises par Charles Quint50. En effet, il était prévu qu’en cas d’extinction de l’une des deux branches, son patrimoine irait à l’autre51. Par conséquent, en 1700, lors du second partage, rien ne garantissait que Léopold accepterait des traités établis sans qu’il ait été consulté. Le roi de France s’estimait légitime à revendiquer des possessions, au titre de ses liens avec les Rois Catholiques. Il était le petit-fils de Philippe III, le neveu et gendre de Philippe IV, mais aussi le beau-frère de Charles II. Il exigerait donc des compensations et refuserait sans doute que l’ensemble territorial constitué au temps de Charles V se reforme de nouveau au profit d’un Habsbourg. Quant à Guillaume III, roi de Grande-Bretagne et stathouder des Provinces-Unies, il recherchait un équilibre des puissances, mais il voulait surtout éviter que le commerce de l’Amérique espagnole ne soit fermé à ses sujets et devienne le monopole des Français.
29Le Roi Catholique apparaît ainsi comme le grand absent des négociations qui visaient à lui trouver un successeur. Exclu des décisions, il se voyait écarté des accords concernant l’avenir de sa monarchie. À la suite du premier partage, Charles II prépara un testament, modifiant le précédent qui existait depuis 1696. Le 11 novembre 1698, il désigna alors le prince électoral, Joseph-Ferdinand, comme son successeur. Si le jeune prince ne pouvait lui succéder, il remettait sa couronne à la branche issue de l’impératrice Marguerite-Thérèse, sa sœur, et excluait les enfants d’Anne d’Autriche et de Marie-Thérèse52. Cette décision provoqua la colère de Louis XIV qui réclamait le respect des droits de son fils. Le marquis d’Harcourt, ambassadeur à la cour de Madrid, avertit par écrit le roi Charles II que son maître ne pouvait accepter cette éventualité. Dans ce document, dont une copie est conservée dans les archives de la famille des marquis de Torrelaguna, l’ambassadeur se montrait menaçant53. Il rappelait que le roi de France prendrait toutes les mesures nécessaires pour ne pas être dépouillé de ce qu’il considérait comme un bien légitime devant revenir à son fils.
30La mort du jeune prince en 1699 bouleversa les combinaisons échafaudées pour la succession de Charles II. Parallèlement, le roi d’Espagne eut rapidement connaissance des nouvelles négociations en cours. Son ambassadeur à Paris, le marquis de Castelldosrius, l’informa ainsi en septembre 1699 qu’un nouvel accord se dessinait54. Comme les précédents, il prévoyait le dépeçage de la monarchie. L’ultime traité de partage fut connu à Madrid grâce au marquis de Castelldosrius. Celui-ci avait rencontré le marquis de Torcy qui l’avait informé du contenu du traité, par ordre de Louis XIV. Charles II décida de consulter le Consejo de Estado et envoya une lettre à l’archevêque de Saragosse pour connaître l’opinion des clercs sur les traités de partage. Sans surprise, l’hostilité était générale55. Au cours de la séance du 6 juin 1700, la majorité des membres du Consejo optèrent pour une autre solution : celle d’un candidat français à la succession.
31Le 3 octobre 1700, Charles II rédigea donc une nouvelle fois ses volontés. Ce testament fut le dernier du Roi Catholique. Il confiait le pouvoir au cardinal Portocarrero et désignait son successeur : le duc d’Anjou. À la mort du roi survenue le 1er novembre 1700, la reine veuve, Marie-Anne de Neubourg, fit connaître les décisions de son défunt époux. Après avoir consulté ses ministres d’État, c’est-à-dire ceux qui avaient accès au conseil d’En haut, Louis XIV décida d’accepter la résolution de Charles II. Mais quel était cet héritage transmis par le dernier descendant direct de Charles Quint ?
II. — La monarchie du Roi Catholique à la fin du xviie siècle
32Il est particulièrement difficile de dresser un tableau exact de la monarchie espagnole à la fin du xviie siècle. Si l’historiographie récente a profondément nuancé une vision noire, voire misérabiliste, de l’Espagne du règne de Charles II56, les contemporains entretenaient des sentiments très divers à son sujet. Il est pourtant nécessaire d’essayer de comprendre quelles étaient les appréciations de Louis XIV et de la plupart de ses ministres à l’égard de la monarchie hispanique. Leurs décisions dépendaient de leurs connaissances et leurs stéréotypes. Les ambassadeurs successifs à Madrid jouèrent un rôle clé dans la diffusion des informations sur la couronne espagnole. Filtre sans doute réducteur, car le diplomate résidait le plus souvent à Madrid au milieu de la cour, mais les appréciations que le roi de France et ses ministres portaient sur la monarchie hispanique étaient largement tributaires de cette voie d’information. Ana Álvarez López a analysé cette image de l’Espagne véhiculée par les négociateurs de Louis XIV. Dans son étude, elle s’est intéressée aux conceptions, visions et clichés à propos de l’Espagne que les diplomates transmettaient au roi de France. À travers leurs dépêches et leurs rapports envoyés à la cour, elle tente de retrouver une perception « française » de la monarchie espagnole à la fin du xviie siècle. Le caractère authentique, réel ou juste ne constitue pas l’objet de sa recherche. Peu importe de savoir si le tableau dressé par les ambassadeurs est vrai, ce sont leurs descriptions et leurs analyses qui arrivaient dans le cabinet du roi à Versailles. Ana Álvarez López aboutit finalement à la conclusion suivante : aucun stéréotype unique ne s’est imposé, des images différentes coexistaient et variaient en fonction du contexte et des rapports entre les couronnes. Ainsi, on ne peut pas parler d’une image de l’Espagne mais de plusieurs images qui s’apparentent davantage à un « imaginaire ». À la leyenda negra57 des derniers rois de la maison d’Autriche s’opposait le souvenir vivace et prégnant des règnes de Charles Quint et de Philippe II. À l’heure de la succession, Louis XIV et Philippe V firent en sorte d’apparaître comme les véritables héritiers de ces souverains.
33À cette image, souvent négative, s’opposent les représentations véhiculées par d’autres canaux, par lesquels Louis XIV appréciait la réalité espagnole. Il faut, par exemple, mentionner le rôle joué par sa mère, Anne d’Autriche, fille de Philippe III et sœur de Philippe IV. Elle avait épousé Louis XIII à l’occasion du double mariage de 1612. En effet, l’union entre le roi de France et une infante d’Espagne avait été doublée de celle de la sœur de Louis XIII, Isabelle de Bourbon, avec le roi d’Espagne Philippe IV. Signe de paix, ces mariages avaient pour objectif de renforcer les liens entre les souverains régnant de part et d’autre des Pyrénées. Cette politique matrimoniale des princes servant les intérêts de leurs couronnes a déjà été abondamment soulignée58. Ainsi, les mariages répétés entre les princes portugais et espagnols furent à l’origine de l’union des couronnes ibériques, celle-là même qui plaça Philippe II sur le trône de Portugal59.
34D’ailleurs, pour construire sa propre image, Louis XIV eut recours à ses ancêtres espagnols, cités comme des personnages à imiter, mais surtout à dépasser60. L’émulation bénéfique pour le roi de France participait à sa propre glorification. Ses conquêtes militaires étaient présentées comme la réalisation des intentions de Philippe II. L’image de cette prédestination de Louis XIV dans l’accomplissement des rêves de son arrière-grand-père fut reprise par les pamphlétaires et les opposants du roi de France. Elle trouva son ultime expression, lors de la guerre de Succession d’Espagne, avec la publication du Parallèle de Philippe II et de Louis XIV par Quesnot de la Chesnée en 1709. Pour les protestants, comme Roger Meredith, envoyé de la couronne britannique à La Haye en 1677-1678, Louis XIV s’inscrivait dans une parfaite continuité de la politique de Philippe II aspirant à la monarchie universelle61. Cette image fut donc largement répandue dans l’Europe du xviie siècle. Elle n’était pas l’apanage des opposants de Louis XIV, puisque ses propres négociateurs la reprenaient aussi. Durant son ambassade à Madrid, Bonsy s’attacha à démontrer que Louis XIV serait le digne héritier des vertus espagnoles alors perdues62.
35Après Anne d’Autriche, la fille de Philippe IV, Marie-Thérèse, prolongea cette présence espagnole à la cour du roi de France. Née en 1638 à San Lorenzo del Escurial, elle fut promise à Louis XIV lors des négociations de la paix des Pyrénées63. Le mariage eut lieu le 9 juin 1660 à Saint-Jean-de-Luz. Sans rôle politique réel dans une cour où la reine s’imposait surtout dès lors qu’elle donnait un héritier au trône64, Marie-Thérèse vécut dans l’ombre de son époux. C’est néanmoins au nom des droits de sa femme que Louis XIV déclencha la guerre de Dévolution.
36Outre les reines, la littérature de voyage, le théâtre ou encore les nouvelles contribuèrent à façonner un imaginaire de la monarchie espagnole dans la France du xviie siècle. L’utilisation de ces documents reste très délicate car il est difficile de connaître leur impact. On doit donc se contenter de les mentionner, et souligner que ce sont des idées présentes, diffusées et reprises, mais dont on ne sait pas à quel point elles sont partagées. Plusieurs histoires de l’Espagne furent ainsi publiées au cours du xviie siècle. Les traductions de Juan de Mariana, historien du règne de Philippe II, furent plusieurs fois réimprimées en France65, notamment en 1661, 1674, 1688 et en 169466. Le théâtre de Molière s’inspira largement des œuvres en langue castillane. L’auteur du Misanthrope connut et fréquenta par exemple Sebastián de Prado67 qui avait accompagné la jeune reine Marie-Thérèse à Paris en 1660. Le Quijote, le Buscón, le Guzmán de Alfarache et le célèbre Cid popularisèrent une connaissance du monde espagnol en France68. Les traductions de ces textes furent publiées à de nombreuses reprises dans la France du Grand Siècle. Ambrosio Salazar, l’interprète de Louis XIII, travailla à publier de nombreuses éditions bilingues de ces œuvres. On retrouve cette hispanophilie à travers la publication de grammaires castillanes : la seule Gramática española de César Oudin fut sept fois rééditée entre 1597 et 161969. Du xvie siècle au xviie siècle, la littérature, que ce soit les récits de voyages, les romans, ou le théâtre, reste profondément marquée en France par les relations qu’entretenaient les souverains et plus largement leurs monarchies.
37Dans les premières formes de presse périodique, on détecte aussi cet intérêt pour tout ce qui touche à la puissance voisine. Dans la Gazette ou le Mercure galant, le nombre important et régulier d’articles concernant l’Espagne illustre une forme de familiarité ou de proximité dans la diffusion des nouvelles de part et d’autre des Pyrénées. Les conflits et les événements plus heureux, comme les mariages princiers, constituaient des moments propices pour la publication d’avis, de nouvelles ou de récits de batailles. Les affrontements militaires ne sont pas les seules occasions d’offrir des informations à un public français : la société espagnole, la vie de cour et les mondanités madrilènes trouvaient également leur place dans les premiers périodiques français70. L’image dégagée par tous ces documents, qu’ils appartiennent aux différents genres de la littérature existante, aux dépêches des diplomates ou encore aux pamphlets et imprimés, est paradoxale dans le message qu’elle délivre. On est loin d’une vision unanimement négative ou, au contraire, positive. En réalité, à une rhétorique de l’antagonisme ou de l’opposition viscérale entre les deux monarchies, leurs souverains ou leurs peuples, se substitue, de temps à autre, la glorification d’une réunion possible, d’une alliance bénéfique pour tous ou d’une concorde qui serait profitable à la Chrétienté.
38Il semble donc vain et illusoire de vouloir réduire à une image ou une vision l’ensemble des représentations que nous offrent tous les textes dans lesquels le Roi Catholique ou la monarchie espagnole sont évoqués. L’image délivrée par chacun de ces documents dépendait en premier lieu des relations entre les deux royaumes. Durant les périodes de conflits et de guerres, l’antipathie naturelle entre Français et « Espagnols », les intérêts irréconciliables des souverains et tous les topoi de l’antagonisme abondent dans les pamphlets, lettres des ambassadeurs et récits de voyage71. À l’inverse, les périodes de paix ou les mariages, comme celui de Louis XIV avec Marie-Thérèse en 1660 ou de celui de Charles II avec Marie-Louise d’Orléans en 1679, donnaient prétexte à exalter tout ce qui pouvait réunir les deux monarchies.
39Si l’historiographie a surtout souligné l’opposition entre les deux monarchies, cela tient peut-être aux nombreuses guerres qui émaillèrent les relations de ces puissances catholiques. Entre 1660 et 1700, on compte pas moins de quatre guerres : la guerre de Dévolution (1667-1668), la guerre de Hollande (au cours de laquelle le roi d’Espagne s’allia avec les Provinces-Unies), la guerre des Pays-Bas espagnols72 (1678-1684) et enfin la longue guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697). Sur les quarante premières années de règne de Louis XIV, dix-sept furent consacrées à faire la guerre au Roi Catholique. Dans la « rhétorique de l’opposition73 », l’antipathie naturelle entre les populations, les intérêts incompatibles entre les deux monarchies et les caractères diamétralement opposés des deux rois constituaient des thèmes de prédilection. Louis XIV a lui-même soutenu cette idée dans les Mémoires qu’il rédigea à l’intention du Dauphin. Il soulignait l’ancienneté de la rivalité entre les deux couronnes et l’impossibilité pour l’Espagne ou la France de s’élever sans abaisser l’autre74. L’idée que les usages, les modes, les manières et les habitudes des Français et des Espagnols étaient très différents fut reprise tout au long du xviie siècle.
40Les temps d’alliance et de paix, lors des mariages royaux notamment, formaient une parenthèse renouvelée à chaque événement heureux. Le mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse donna lieu à la publication, en 1661 à Paris, d’un petit texte bilingue intitulé La glorieuse alliance de la France avec l’Espagne75. La noce royale représentait le moyen d’assurer la paix et était glorifiée comme telle. Elle constituait même un remède à l’antipathie naturelle des sujets des deux couronnes. Elle devait permettre de dépasser les oppositions et assurer le triomphe du catholicisme. Lors de l’oraison funèbre qu’il prononça à la mort de la reine, Bossuet exalta de nouveau cette union, considérée comme le meilleur moyen de défendre la foi catholique. La naissance du Dauphin en 1661 avait déjà donné l’occasion de souligner les bienfaits de l’alliance matrimoniale entre les familles des deux souverains. Mme de Motteville laissa le témoignage suivant à ce sujet :
La bénédiction de Dieu parut alors non-seulement sur lui et sur la maison royale, mais sur tout le royaume, dans la naissance d’un Dauphin. Quand il vint au monde, qui fut le premier jour de novembre, fête de tous les saints, à cinq minutes avant midi, il étoit héritier présomptif des deux grands royaumes de France et d’Espagne ; car depuis peu le prince d’Espagne étoit mort, qui étoit le seul qui restoit au Roi son père76.
41Français et espagnol, le Dauphin cumulait la piété de saint Louis, la valeur d’Henri IV, la justice de Louis XIII avec la fortune de Charles Quint, la sagesse de Philippe II et la bonté de Philippe III77. Enfin, le mariage de Charles II avec Marie-Louise d’Orléans, la nièce du roi de France, en 1679, permettait de resserrer un peu plus les liens entre les deux couronnes.
42Les sentiments nourris à l’égard des sujets du Roi Catholique et les relations entre les deux monarchies dépendaient donc étroitement du contexte politique et diplomatique. En temps de guerre ou de crise, les pamphlets exacerbaient les oppositions. Quand venait la paix, le ton devenait plus doux et promettait un avenir radieux. Toutefois, les notices, les mémoires78 ou les récits de voyage, comme celui de Mme d’Aulnoy79, décrivent rarement la monarchie dans le détail, en dehors des clichés déjà évoqués. À l’inverse, les propos des diplomates abordent plus souvent l’organisation de la monarchie, l’administration des finances et de la guerre ou encore les relations entre le roi et sa noblesse. Il faut donc s’intéresser à leur point de vue pour apprécier l’idée que Louis XIV pouvait avoir de la monarchie espagnole lorsqu’il reçut le testament de Charles II en novembre 1700.
La monarchie composée
43En étudiant la dimension planétaire de la monarchie hispanique et ce qu’il a appelé la « mondialisation ibérique », Serge Gruzinski a insisté sur la structure de la Monarchie Catholique, comme pour inviter à mieux tenir compte de la logique et de la cohérence de cet ensemble. Il prend ainsi l’exemple des célébrations de la mort de Philippe II et de celle d’Henri IV pour souligner les échanges nombreux et multiples entre ces territoires.
44À partir de Charles Quint, la monarchie espagnole constitue une vaste entité difficilement qualifiable80. On ne parle pas de « royaume d’Espagne », à l’image du royaume de France, tant les différences entre les couronnes et royaumes qui la composent sont nombreuses. Aussi, il paraît inapproprié d’utiliser le qualificatif « espagnol » pour désigner cet ensemble. Il écarte du champ d’étude les vastes possessions américaines, appelées les « Indes », mais aussi le Portugal entre 1580 et 1640 ou encore les territoires italiens. L’expression « monarchie hispanique », insistant davantage sur le système politique qui unissait ces divers territoires, paraît donc la plus adéquate. On emploie également la formule « Monarchie Catholique » en raison du titre porté par le roi. Il faut aussi garder à l’esprit que l’utilisation du terme « monarchie » ne semble pas courante avant la fin du règne de Philippe II et les premières années du xviie siècle81. Nous préférerons donc l’expression « monarchie hispanique » à toute autre, celles de « monarchie espagnole » ou « catholique » ayant seulement été utilisées par commodité de langage.
45De Philippe II à Philippe V, les souverains ont régné sur des territoires s’étendant de la péninsule Ibérique à l’Italie, dont le duché de Milan, les royaumes de Naples et de Sicile, mais aussi les présides toscans et africains82 ou les îles de Sardaigne et les Baléares. Les Pays-Bas espagnols marquaient la frontière septentrionale des possessions de los Austrias de Madrid. Comme l’écrit Serge Gruzinski, « la Monarchie Catholique se singularise aussi par l’espace planétaire qui la constitue. Trop fragmenté et trop dispersé sur le globe pour se laisser embrasser, cet espace a d’ordinaire été escamoté au profit d’approches centrées sur la Castille ou sur la Méditerranée occidentale83 ». En effet, la monarchie hispanique était composée de différents royaumes, duchés ou principautés qui avaient tous conservé leur régime juridique propre en rejoignant cette vaste entité ; d’où l’appellation de composite monarchy de John Elliott84. Le juriste Gilimón de la Mota avait résumé cette réalité par une formule :
Et le roi des deux royaumes est réputé comme s’il s’agissait de deux rois […]. Et lorsqu’en une même personne concourent deux droits, deux dignités, deux royaumes, on en juge de la même manière que si chaque dignité ou royaume était possédé par un maître et seigneur distinct85.
46Rattachées à la couronne de Castille, les possessions américaines et les Philippines, appelées « les Indes », étaient de loin les plus nombreuses et les plus vastes. Héritage des aventures maritimes du xve siècle, elles n’intéressaient pas seulement le roi de Castille, mais aussi la plupart des princes européens, des navigateurs et des marchands. Vastes territoires encore largement vierges, océans à découvrir, comme la mer du Sud86, ces territoires apparaissent comme les horizons des sociétés occidentales de l’époque moderne. Dans des pages restées célèbres, Fernand Braudel a évoqué le basculement du monde organisé autour de la Méditerranée vers l’Atlantique87. Plus récemment, l’approche de l’organisation et de la structuration de la monarchie autour de l’espace atlantique a été profondément renouvelée88. La question fut longtemps de savoir s’il existait un « espace atlantique », c’est-à-dire si l’océan devait être pensé non comme une coupure entre les continents européen et américain, mais plutôt comme un trait d’union89. Si l’idée d’un « système atlantique » a été remise en cause, ce n’est pas pour en contester l’existence mais pour nuancer certains aspects. Ainsi, le poids du commerce et des échanges économiques a sans doute été surestimé. Il convient alors de réévaluer à la hausse le transfert de normes et de valeurs, comme celles liées à la monogamie, à la propriété privée ou encore à la famille nucléaire comme modèle90. Aujourd’hui, le débat porte surtout sur la nature et les modalités d’un système atlantique spécifiquement espagnol qui fut, pendant trois siècles, le fondement d’un réseau dense d’échanges économiques, politiques et culturels91. Le monopole du commerce réservé aux sujets du Roi Catholique ne réussit jamais à interdire ni couper les rapports avec d’autres Européens, notamment les sujets du roi de France. L’inefficacité des représailles contre les négociants français installés en Espagne en 1635, après le début de la guerre entre Louis XIII et le roi d’Espagne, semble attester de la vigueur de liens économiques noués depuis bien trop longtemps pour pouvoir être arrêtés92. En effet, le commerce des Français ne s’interrompit jamais complètement, ce qui souligne l’importance du négoce interlope dès le premier tiers du xviie siècle et la complexité des trafics réunissant l’ancien monde et le nouveau93. Le meilleur indice de l’intérêt des sujets du roi de France pour le commerce avec l’Amérique espagnole est sans nul doute leur présence croissante à Séville et Cadix94 au cours du xviie siècle. Il faut ajouter à cela leur établissement à la Martinique et en Guadeloupe95 (1635) et, dans une moindre mesure, l’installation, soutenue par Jérôme de Pontchartrain, sur les bords du golfe du Mexique, à Biloxi en 169996. Les Français jouaient le rôle d’intermédiaires, principalement dans le négoce de deux produits : la laine et les toiles97.
47Les relations entre la monarchie espagnole et les Indes sont surtout étudiées sous l’angle des interactions et des échanges entre la société « métropolitaine » et les sociétés « coloniales98 ». Outre les marchandises, des centaines d’officiers partaient et revenaient chaque année des Indes, nourrissant les liens entre les deux rives de l’Atlantique. Entre 1506 et 1600, ce sont près de 250 000 sujets du roi d’Espagne qui partirent ainsi en Amérique. Le rythme des départs s’accéléra dans les années suivantes : environ 200 000 individus entre 1600 et 165099. Beaucoup ne revinrent jamais, mais une partie regagnait l’Europe, qu’il s’agisse de clercs, d’officiers et d’administrateurs du roi d’Espagne, mais également de marchands, d’artistes, de lettrés ou d’aventuriers. Les hommes de guerre pouvaient servir dans les Flandres, puis partir en Nouvelle-Espagne avant de revenir dans la péninsule. Les exemples sont nombreux, à l’image de José de Zúniga y de la Cerda qui, après avoir servi en Flandres, se rendit en Floride100. De là, il passa au royaume du Pérou pour devenir gouverneur de Carthagène des Indes en 1706.
48La série Catálogo de Pasajeros a Indias des Archives des Indes livre un aperçu de ces allers-retours de plusieurs milliers d’hommes sur l’ensemble de la période, qui contribuèrent à tisser des liens économiques, politiques et sociaux des deux côtés de l’Atlantique. Les évêques et les vice-rois parcouraient ainsi des milliers de kilomètres, entraînant avec eux leur famille, leurs commis et leurs domestiques. Le vice-roi Francisco de Borja y Aragón, prince d’Esquilache, gagna le Pérou, où l’avait nommé Philippe III, avec cent soixante-quatorze personnes en 1621101. Le duc d’Albuquerque, qui alla représenter Philippe V à Mexico entre 1702 et 1713, emmena à sa suite plus d’une centaine de personnes102. Si les exemples les plus connus concernent les sujets du Roi Catholique qui quittaient la péninsule, des Indiens et des métis effectuaient le trajet en sens inverse, souvent comme esclaves103. Comme le soulignent les historiens, il n’est plus possible d’étudier la Monarchie Catholique sans tenir compte de l’ensemble de ses composantes. John Elliott, Tamar Herzog104 ou encore Serge Gruzinski insistent sur toutes les interactions politiques, sociales et culturelles entre les différentes entités constitutives de la monarchie hispanique, sans s’en tenir aux seules possessions « européennes » ou américaines, étudiées de manière séparée105.
49La succession espagnole n’était donc pas un problème qui concernait uniquement les territoires en Europe. Au cours des négociations des traités de partage, Louis XIV opposa par exemple une fin de non-recevoir à la proposition de Guillaume III de céder quelques places du Mexique et de Méditerranée. Le 8 mai 1698, lors d’un entretien du comte de Tallard avec le roi d’Angleterre, celui-ci voulut obtenir des garanties concernant plusieurs positions en Méditerranée. Il réclama ainsi Ceuta, Oran ou Port-Mahon. Le roi d’Angleterre refusa de s’expliquer concernant les Indes et ainsi de dévoiler ses objectifs. Tallard lui répondit que l’on pouvait difficilement détacher quelques ports espagnols de la Monarchie Catholique. Pour les possessions américaines, l’ambassadeur du roi de France prit les devants et fut encore plus catégorique : il était hors de question de céder La Havane106.
50Tallard fut confirmé par le roi dans son refus. Louis XIV semblait accorder beaucoup d’importance à ces places, que ce soient celles de Méditerranée ou celles des Indes. Aux alternatives présentées par Guillaume III à Tallard, Louis XIV répondit à son ambassadeur :
Le seul ordre que j’aye à vous donner pour finir cette lettre est de confirmer encore ce que je vous ai marqué par la précédente, que je ne puis confirmer ni dans l’une ni dans l’autre des alternatives la proposition de céder aucune des places que j’ai dans les Pays-Bas ; que le Port-Mahon entre les mains des Anglais ou des Hollandais et la cession d’une place dans Indes occidentales à l’une de ces deux nations me paraît la ruine du commerce de toutes celles de l’Europe dans la Méditerranée et dans les Indes107…
51La question des places situées dans la Méditerranée et en Amérique illustre l’intérêt porté, tant par Guillaume III que par Louis XIV, aux débouchés commerciaux et leur intégration profonde avec des impératifs d’ordre militaire ou stratégique. Ces positions devaient servir de porte d’entrée pour les négociants, qu’elles soient en Méditerranée ou dans l’Amérique espagnole.
52Le sort de l’Amérique espagnole se trouvait étroitement lié à celui de la succession. Objectifs militaires et impératifs commerciaux se mêlaient au point de conférer à cet espace un caractère stratégique. La succession de Charles II se composait de nombreux territoires qui constituaient autant de cartes qu’il s’agissait de distribuer entre les puissances du moment. Le sort des possessions ultramarines et de leurs habitants était décidé entre les cours européennes sans qu’ils aient la moindre prise sur leur sort. Toutefois, si leur existence découlait dans une large part de la situation politique en Europe, l’économie européenne et la circulation monétaire étaient dépendantes des mines américaines. L’Amérique vivait autant au rythme de la situation à Madrid que le roi dépendait des arrivées de métaux précieux. L’Amérique espagnole, grande pourvoyeuse de métaux précieux pour la Castille, subit elle aussi de plein fouet la crise financière qui affecta la monarchie au xviie siècle. Cette crise s’exporta en Amérique, où les vice-rois de Lima et de Mexico se heurtaient aux pires difficultés pour répondre aux exigences fiscales de Madrid108.
53L’Amérique espagnole, comme l’ensemble des possessions du Roi Catholique, dut affronter, à un moment ou à un autre au xviie siècle, les assauts de Louis XIV. Les Pays-Bas espagnols, les possessions américaines dès la guerre de Hollande, le duché de Milan, les royaumes de Naples et de Sicile, le principat de Catalogne109, l’Aragon, les îles Baléares furent marqués par l’affrontement entre les couronnes de France et d’Espagne durant le règne de Louis XIV. Dès lors, comment imaginer que ces territoires, leurs populations et l’ensemble des autorités administratives et politiques n’aient pas gardé en mémoire l’histoire récente ? L’empreinte des guerres restait vive dans la mémoire collective.
Mémoires de guerre : une géographie du souvenir
54Évoquer les principaux conflits qui affectèrent les différents territoires de la monarchie hispanique ne sert pas seulement à dresser un inventaire chronologique des batailles ou des fronts qui marquèrent ces espaces mais aussi à suggérer les violences qui les accompagnèrent. Mentionner des guerres permet également de souligner que les exactions et les pillages, cortège de toute guerre, laissaient un souvenir terrifiant aux populations et donc pouvaient susciter des réactions xénophobes envers l’agresseur, c’est-à-dire ici le roi de France. La plupart des possessions du Roi Catholique ont affronté, à un moment ou à un autre, l’agressivité de Louis XIV. Il convient donc de procéder à un rapide rappel de la situation des Pays-Bas, de la Catalogne, de l’Aragon, des Baléares, des territoires italiens et de l’Amérique, au cours de la seconde moitié du xviie siècle pour mettre en perspective la persistance de l’état de guerre dans lequel les populations ont vécu.
a) Les Pays-Bas : la guerre permanente ?
55Les Pays-Bas furent le territoire de la monarchie hispanique le plus souvent attaqué par Louis XIV. De la guerre de Dévolution (1667-1668) à la guerre de 1683-1684, appelée la « guerre oubliée110 », en passant par la guerre de Hollande (1672-1678) ou plus tard celle de la Ligue d’Augsbourg, les Pays-Bas furent soumis aux assauts répétés des armées du roi de France. La glorification des prises dans ces territoires et les nombreuses peintures, comme celles figurant dans la galerie des Glaces, ont immortalisé ces guerres de Louis XIV contre les Pays-Bas.
56À la fin du xviie siècle, les Pays-Bas espagnols représentaient les dernières terres de ce que l’on appelait jusqu’alors les Flandres et dont une partie avait fait sécession au cours du xvie siècle. La guerre des Flandres avait ainsi opposé le roi d’Espagne et ses sujets flamands, depuis le règne de Philippe II jusqu’en 1648. L’indépendance des Provinces-Unies ne fut reconnue qu’en 1648, lors des négociations de Westphalie. Dès lors, les possessions restées fidèles au Roi Catholique se trouvaient enserrées entre la jeune république batave au nord et le royaume de France au sud. Les Pays-Bas espagnols ont souffert des conflits durant la majeure partie du xviie siècle. Déjà en 1635, ils apparaissaient comme un espace idéal pour attaquer le Roi Catholique. C’est d’ailleurs à Bruxelles qu’un héraut d’armes du roi de France porta la déclaration de guerre de Louis XIII à Philippe IV en 1635. Ce conflit particulièrement long (1635-1659) épuisa les provinces et la paix des Pyrénées sanctionna la progression française dans les Pays-Bas espagnols. Le roi de France se voyait reconnaître la possession de l’Artois, sauf Aire et Saint-Omer, de plusieurs places, comme Gravelines, Bourbourg et Saint-Venant en Flandres, ou Landrecies, Le Quesnoy et Avesnes en Hainaut. Philippeville et Mariembourg devenaient des enclaves françaises (jusqu’en 1815)111. Durant la guerre de Dévolution (1667-1668), Louis XIV envahit les Provinces-Unies dont il réclamait l’héritage au nom du droit de dévolution (les enfants d’un premier lit étaient prioritaires sur ceux issus d’un second mariage dans le droit brabançon) : son épouse Marie-Thérèse était la fille d’un mariage antérieur à celui qui avait donné naissance à Charles II. Lille fut prise le 28 août 1667 et la paix d’Aix-la-Chapelle reconnaissait à Louis XIV la possession de Furnes, Bergues, Armentières, Courtrai, Menin, Lille, Douai, Tournai, Audenarde, Ath, Binche et Charleroi112. Moins de dix ans après, il s’empara également de Valenciennes et de Cambrai (en 1677), puis de Gand et Ypres. Encore une fois, la paix, ici signée à Nimègue en 1678, sanctionnait la conquête de plusieurs places (Ypres, Bailleul, Cassel, Saint-Omer, Valenciennes, Cambrai et Maubeuge) en échange de la restitution de Courtrai, Audenarde, Ath et Charleroi. Durant la guerre « oubliée » (1683-1684), le roi « alla aux armées », selon la formule consacrée. Il put ainsi inspecter plusieurs places113. Bombardée et assiégée dès avril 1684, la ville de Luxembourg se rendit le 4 juin de la même année. La trêve de Ratisbonne entérina la conquête du Luxembourg au profit de Louis XIV, ainsi que toutes les places annexées depuis la paix de Nimègue. La guerre de la Ligue d’Augsbourg et ses désastres pour la population civile — occupation, pillages, troupes en campagne comme lors du bombardement de Bruxelles en 1695 — contribuèrent à détériorer l’image du roi de France, considéré comme un souverain agressif et tyrannique.
57Cet état de guerre quasi permanent aux Pays-Bas espagnols les transforma en théâtre d’affrontement privilégié des princes et puissances européennes. Mal défendues, prises au piège des rivalités entre Louis XIV d’une part, le Roi Catholique et les Provinces-Unies d’autre part, les possessions flamandes du roi d’Espagne connurent un siècle de malheurs qui éprouva durement les populations civiles. Les guerres, jointes à la peste (1635-1637, 1647-1648 et 1665-1668) et aux mauvaises récoltes (de 1693-1694 et 1709), aggravèrent une situation économique déjà difficile114. Enfin, il faut souligner que les temps de paix ne furent pas toujours des temps de récupération, l’affrontement commercial prenant le relais des opérations militaires. La politique protectionniste de Colbert, la concurrence des manufactures françaises, comme celle des Gobelins, coupaient des circuits commerciaux anciens qui étaient profitables aux Pays-Bas espagnols. Cet état de guerre endémique, l’appauvrissement et la misère croissante marquèrent l’imaginaire collectif de ce siècle de guerre, poussant le curé d’un petit village près de Saint-Amand à écrire en 1693 : « on était vraiment las d’être au monde115 ». Les Pays-Bas ne furent pas les seuls à souffrir du voisinage du roi de France. Plus au sud et moins protégée par les Pyrénées que l’Aragon, la Catalogne constitua un deuxième front pour attaquer le Roi Catholique.
b) La Catalogne : objet de disputes
58Après la paix des Pyrénées, qui avait sanctionné le retour de la Catalogne dans le giron de la monarchie hispanique, le principat souffrit des affrontements répétés avec le royaume de France116. Les conflits de la seconde moitié du xviie siècle : la guerre contre la France de Louis XIII, puis de Louis XIV entre 1635 et 1659, la guerre des Segadors (1640), la guerre de Dévolution — dont les conséquences affectèrent profondément la monarchie hispanique — ou les guerres de Hollande et de la Ligue d’Augsbourg, constituent la toile de fond de près de soixante années durant lesquelles les armées traversèrent ces territoires, avec leurs cortèges de pillages et de privations. Les populations vécurent très mal ces affrontements, comme les révoltes et violences continues entre 1640 et 1697 le soulignent. Òscar Jané Checa considère avec raison cette violence sociale endémique comme l’indice d’un lien étroit entre révolte et guerre au xviie siècle117. De plus, ces violences marquèrent profondément les mémoires, comme le soulignent les livres de raison et les écrits du for privé catalans du xviie siècle118.
59La Catalogne devint ainsi un champ de bataille. Durant la guerre de Hollande, la stratégie de Louis XIV consista à prendre Gérone et à contrôler l’Empordà afin de protéger le Roussillon. Durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, les armées de Louis XIV entrèrent à nouveau dans le principat. Elles occupèrent Camprodón, Ripoll et la Seu d’Urgell. En 1691, une flotte bombarda Barcelone, en 1693 la forteresse de Rosas fut prise. Palamós et Gérone tombèrent l’année suivante.
60Si la situation militaire transforma la Catalogne en champ d’affrontements, la guerre prit également d’autres traits. La circulation et la diffusion d’imprimés anti-français se développèrent à cette occasion. Plus que de publications, il s’agissait en réalité de réimpressions de libelles provenant de l’Empire119. La plupart de ces écrits imputaient la guerre à l’agressivité du roi de France et à ses aspirations à la monarchie universelle, contribuant ainsi à créer une véritable légende noire120. Plusieurs grands pamphlets furent ainsi traduits, comme l’Espíritu de Francia y Máximas de Luis XIV descubiertas a la Europa, publié à Cologne en 1689 ou encore les Suspiros de la Francia esclava que aspira a ponerse en libertad (La Haye, 1690).
61Dans ces pamphlets et libelles, on dénonçait la tyrannie du roi de France qui s’exerçait sur l’ensemble de ses sujets et s’étendait jusqu’à l’Église puisqu’il ne respectait ni les droits des évêques, ni ceux des ordres religieux, ni même l’autorité du pape121. Les parlements se trouvaient réduits au silence. Une oppression similaire assujettissait l’Église sous prétexte de défendre le gallicanisme. La noblesse était contrainte de servir dans les armées pour exister et le financement des guerres nécessitait toujours plus d’impôts. Outre la tyrannie intérieure, les pamphlets reprochaient au monarque son agressivité à l’égard de ses voisins et son irrespect pour l’autorité religieuse. On retrouve ainsi la critique contre le manque de déférence envers le pape dans Observaciones hechas por un amigo de la verdad sobre la carta que va publicando el cardenal de Etrè, publié à Barcelone en 1688122. Dans cet écrit, l’auteur critiquait, outre le manque d’obéissance au souverain pontife, le comportement des troupes françaises contre les édifices religieux et les objets du culte, et enfin l’appui de Louis XIV donné aux Turcs. Ce triptyque argumentatif est resté présent durant tout le xviie siècle et fut renouvelé plus tard à l’occasion de la guerre de Succession. Cette littérature de propagande constituait une forme de manipulation, d’instrumentalisation et d’exagération d’un sentiment francophobe qui reste impossible à évaluer ou du moins à mesurer avec précision. L’utilisation de ces pamphlets et libelles se heurte inévitablement à la question de leur réception. Comment ces documents étaient-ils perçus ? Permettaient-ils de modifier une opinion ou contribuaient-ils à la renforcer ? Le volume de leur diffusion constitue l’indice le plus probant de leur popularité et révèle, si ce n’est l’opinion majoritaire, au moins un courant qui a du poids.
62Les hommes circulaient également de part et d’autre des Pyrénées. Les échanges entre le sud du royaume et ce territoire de la couronne d’Aragon ne se matérialisaient pas seulement durant les conflits. Il faut aussi souligner l’existence d’une forte immigration française en Catalogne durant le xviie siècle. Partis en exode pour chercher du travail, ces hommes venus en grand nombre depuis le Massif central, le Roussillon et les Pyrénées se sont, peu ou prou, fondus dans la population. Si le travail et le métissage avec les populations locales laissent à penser qu’ils s’intégraient, les doutes sur leur orthodoxie religieuse ralentissaient un processus par nature très lent123. Il reste néanmoins que de nombreux sujets du roi de France se sont définitivement installés en Catalogne. L’immigration française en Espagne a fait l’objet de nombreuses études, aujourd’hui anciennes, qui donnent à voir un flux irrégulier, mais presque toujours continu, entre les xvie et xviiie siècles. Si la Catalogne accueillit de nombreux sujets du roi de France, beaucoup poussaient leur exode jusqu’en Castille ou en Andalousie124.
c) L’Aragon : une frontière
63L’Aragon a également été marqué par les affrontements répétés avec Louis XIV. En effet, les difficultés de la monarchie à payer les troupes et à entretenir l’appareil militaire hérité de Philippe II contribuèrent à donner un rôle primordial aux différents royaumes pour leur propre défense. La monarchie réussit à s’organiser avec les pouvoirs locaux, afin d’assurer la sécurité de ses territoires. C’est sur les autorités locales, propres à chaque royaume, que reposaient le recrutement et le financement des tercios provinciales125. De plus, le recrutement de milices se renforça au gré des besoins de la monarchie pour défendre les fronts126. Dès 1694-1695, des milices contribuaient ainsi avec efficacité à la défense de la Catalogne. La pression militaire française exercée sur Majorque, les Baléares et la Catalogne préoccupait le royaume d’Aragon, le rendant ainsi plus sensible aux exigences de la monarchie.
64Avec le royaume d’Aragon, toute négociation s’avérait délicate pour la couronne hispanique. Sa participation à l’effort de guerre était établie à la suite de discussions entre le royaume et le souverain. De plus, il fallait le consulter et obtenir son approbation pour les prohibitions commerciales. Depuis 1629, le royaume d’Aragon jouissait ainsi du fuero l’autorisant à commercer et à introduire des marchandises, quelle que soit leur origine. Le vice-roi n’avait aucune autorité pour l’interdire127. Lorsque Charles II décida de revenir sur ce privilège, durant la guerre de Hollande, en exigeant que les produits achetés proviennent de Castille, la réponse ne se fit pas attendre : sans son commerce, le royaume ne pourrait plus fournir les troupes et l’argent nécessaires. L’Aragon épargna ainsi son commerce des dommages du conflit. Lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, les fraudes et les échanges de part et d’autre de la frontière continuèrent « comme en temps de paix128 ». Le Consejo de Estado sollicita du Conseil d’Aragon que l’application de ce fuero soit suspendue durant la guerre ou qu’il proposât les moyens qui pourraient permettre de fermer le commerce. Le Conseil d’Aragon lui répondit que c’était impossible et le Consejo de Estado recula. En outre, il remontra au roi, par une autre consulte, que des prohibitions étaient impossibles et qu’il devait respecter le fuero, au risque d’entrer « dans des querelles au sujet de la constitution de la monarchie129 ».
65Les réticences du royaume à couper ses liens économiques avec la France tenaient au commerce mais également aux négociants français qui étaient alors nombreux en Aragon. Ils participaient pleinement à la vie économique de la province. Les autorités locales se montraient peu enclines à exécuter les mesures de représailles ou à respecter les interdictions de traiter avec eux. Les marchands français trouvaient ainsi de nombreux soutiens et complices à l’intérieur même du royaume.
66Au xviie siècle, le royaume d’Aragon et la Catalogne souffrirent de l’état de guerre endémique entre les monarchies française et espagnole. Au cours de la guerre de Hollande puis de celle de la Ligue d’Augsbourg, la menace des armées de Louis XIV fut plus présente, comme un danger permanent dans lequel vivaient les populations. Néanmoins, cet affrontement politique et militaire n’interrompit jamais complètement le commerce ni les échanges de part et d’autre des Pyrénées. Comme l’a souligné Òscar Jané Checa, la frontière entre le royaume de France et son voisin, loin d’être étanche, constituait plutôt une zone de passage et d’échanges, un terrain poreux et insensible aux prohibitions en tout genre décidées à la cour.
d) Le royaume de Majorque et des îles adjacentes : entre terre et mer
67Rarement mentionné, l’archipel des Baléares130 connut la même situation que les autres territoires de la couronne d’Aragon. À partir du règne de Louis XIII, mais surtout sous l’autorité de Colbert, la marine française se développa au point de constituer une menace pour la circulation en Méditerranée. L’archipel des Baléares, comme la Sardaigne, se situait à la portée de la flotte du Levant, basée à Toulon.
68La pression maritime française s’exerça sur Majorque et l’ensemble des îles du Roi Catholique. Dès les années 1660, des escadres françaises fréquentaient les eaux environnant les Baléares131. Cette pression s’accentua à partir de la guerre de Dévolution, mais surtout au cours de la guerre de Hollande132. Durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, les îles Baléares durent leur salut à la stratégie que Louis XIV choisit de suivre : la marine venait en appui des armées de terre, concentrées sur la prise de Barcelone. La seule présence des escadres françaises dans la Méditerranée occidentale souligne la volonté de s’en assurer le contrôle. Elles permettaient de menacer la route empruntée par les navires du roi d’Espagne assurant la liaison entre les différents territoires de la couronne d’Aragon, ceux de la péninsule Ibérique et ceux d’Italie, comme Naples. Comme le note Antonio Espino López, les escadres étaient réduites car l’objectif consistait seulement à exercer une pression, en rappelant qu’il fallait compter avec le roi de France et qu’il avait les moyens de couper cette route vitale pour la monarchie hispanique133. Outre cette menace exercée sur les îles Baléares, et sur Port-Mahon en particulier, il semble que Louis XIV ait cherché à s’emparer de Portoferraio, situé sur l’île d’Elbe. Il aurait ainsi pu couper la route maritime empruntée par les navires espagnols entre le royaume de Naples et Milan134. Le représentant de Charles II à Londres, Pedro Ronquillo, s’en était inquiété dès 1689. Seule l’arrivée d’une flotte hollandaise en 1674 et d’une flotte anglaise en 1690 permirent de desserrer l’étau exercé par la marine française.
e) L’Italie : rêverie et obsession françaises
69Au xviie siècle, l’Italie restait un terrain d’affrontement privilégié. Bien longtemps après les guerres d’Italie, au cours desquelles Charles VIII, Louis XII, puis François Ier tentèrent de s’imposer dans la péninsule, Louis XIV affronta à plusieurs reprise la maison d’Autriche sur ces territoires. Si le duché de Milan, le royaume de Naples et les présides toscans appartenaient à la branche espagnole, les Rois Catholiques devaient obtenir l’investiture pour les territoires napolitains et milanais. Comme l’avait reconnu Philippe II, « il n’y avait aucun prince dans toute l’Italie qui ne soit pas vassal du Pape ou de l’Empereur135 ». Pour le Milanais, il fallait obtenir l’investiture de l’empereur car il s’agissait d’un feude impérial136. Pour le royaume de Naples, il revenait au pape de la donner. Charles V avait concédé le duché de Milan à son fils, le futur Philippe II, en 1540. L’incorporation du marquisat de Finale en 1570 permit au duché de disposer d’un accès à la mer et contribua à sa dimension stratégique pour la « route des Flandres »137. Il était dirigé par un gouverneur, équivalent d’un vice-roi, assisté par une chancillería secreta avec à sa tête le grand chancelier de l’État de Milan. Plus encore que le Milanais, le royaume de Naples fut constamment revendiqué par les rois de France, jusqu’à ce que Henri II renonce définitivement à ses prétentions par le traité de Cateau-Cambrésis (1559). Le royaume était gouverné par un vice-roi et représenté dans un parlement qui votait les impôts et les lois, mais ce dernier ne fut plus réuni après 1642. Le roi s’appuyait dorénavant sur les circonscriptions de la noblesse patricienne (les seggi) qui formaient la députation (diputación) de Naples. Là encore, Louis XIV profita des périodes d’affaiblissement de la monarchie pour s’imposer. Il exploita par exemple la révolte de Masaniello (1647) pour déstabiliser le roi d’Espagne. Sa flotte s’empara alors des présides toscans suivants : Talamone, Porto Santo Stefano, puis les ports Piombine et Longone138.
70Le royaume de Sicile était aussi un feude du pape. Cet héritage médiéval nourrit d’ailleurs des luttes incessantes entre le pontife et le souverain espagnol sur l’Église sicilienne. Ferdinand le Catholique avait définitivement expulsé les Français en 1504. La Sicile était également administrée par un vice-roi et un parlement.
71Louis XIV ne s’est jamais désintéressé du sort de l’Italie. Il profita ainsi de la révolte de Messine, durant la guerre contre l’Espagne, pour accroître sa zone d’influence en Méditerranée. La Sicile était dominée par deux centres urbains : Messine et Palerme. Si cette dernière était la capitale de la Sicile céréalière, dominée par la grande noblesse, la ville de Messine jouait le rôle de centre producteur et exportateur de la soie. Largement indépendante, elle avait obtenu de nombreux privilèges de nature commerciale, accentuant sa compétition avec Palerme. Le commerce de la soie et des laines fut à l’origine de querelles incessantes entre les deux villes. Les crises de subsistance des années 1671-1672 constituèrent le déclencheur d’une révolte et Louis XIV saisit l’occasion pour attaquer Charles II, là où celui-ci ne l’attendait pas. Pour secourir les insurgés messinois, il envoya Duquesne aider les rebelles. Ce dernier remporta la bataille de Stromboli sur une flotte espagnole, le 11 février 1675. Les Hollandais tentèrent d’apporter du secours, mais en vain. Duquesne gagna encore la bataille à Agosta et en profita pour détruire la flotte espagnole à Palerme, le 22 juin 1676.
72Après ces opérations navales dans la Méditerranée, Louis XIV recentra sa stratégie sur l’Italie du Nord, au cours de la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Après la paix des Pyrénées (1659), la Lombardie avait connu une trentaine d’années de quiétude. Le Milanais se trouvait à la marge des confrontations centrées sur l’espace rhénan et les Flandres.139 Lors de la guerre de la Ligue d’Augsbourg, le Milanais contribua à la guerre par les secours qu’il apporta à la Monarchie Catholique. Mais la victoire de Nicolas Catinat à Staffarda le 18 août 1690, puis la prise de Saluzzo, Savigliano, Villafranca et Suse, ouvrirent la route du Milanais à une attaque française. En 1693, Catinat infligea une sévère défaite aux troupes espagnoles à Marsaglia.
73En dépit de ces victoires, Louis XIV fut contraint de rechercher un allié dans la région. À défaut de pouvoir placer la Savoie dans l’orbite du royaume, le roi de France fut contraint de rechercher l’appui du duc Victor-Amédée II, en renonçant à plusieurs de ses conquêtes. En 1696, le duc de Savoie quitta le camp hispano-impérial pour rejoindre celui de Louis XIV. Par le traité de Turin du 29 août de la même année, Louis XIV rendait la forteresse de Pignerol au duc de Savoie, reconnu comme « prince souverain ». Le roi de France reconnaissait en outre à Victor-Amédée II la possibilité d’avoir une « diplomatie » totalement indépendante. La guerre de la Ligue d’Augsbourg marqua finalement l’échec de Louis XIV à réduire la Savoie à un état de dépendance vis-à-vis du royaume140. Le traité de Turin ne doit pas être considéré comme un signe de magnanimité du souverain, mais comme la preuve de l’impossibilité pour Louis XIV de mettre à profit ses victoires pour renforcer ses positions. La politique de Victor-Amédée II se caractérise par son inaltérable volonté de rendre son duché plus indépendant de ses puissants voisins141. Le traité de Ryswick ne modifia pas les frontières de l’État de Milan. Le duché se trouvait ainsi pris entre la tutelle de Madrid, trop éloignée pour le protéger, et les ambitions du roi de France comme de celles du duc de Savoie. Enfin, l’empereur à Vienne considérait qu’il disposait d’un droit de regard sur cette possession. Le Milanais se trouva ainsi au centre de nombreuses combinaisons diplomatiques et c’est là que les forces alliées affrontèrent Louis XIV et Philippe V au début de la guerre de Succession d’Espagne.
74Si les possessions européennes constituaient un terrain d’affrontement privilégié pour attaquer le roi d’Espagne, le Nouveau Monde ne fut pas oublié pour autant. Le développement des marines anglaises et françaises plaça à portée de main des souverains européens ce qui apparaissait autrefois comme une chasse gardée du Roi Catholique, bien trop éloignée pour mériter que l’on s’en souciât.
f) L’Amérique et les Indes : une périphérie centrale
75Dès 1683, Louis XIV lança sa première offensive contre les possessions de l’Amérique espagnole. Parallèlement à l’attaque des Pays-Bas, une escadre attaqua Veracruz en 1683142. Durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, l’affrontement opposa surtout la France à l’Angleterre et aux Provinces-Unies, car la puissance maritime espagnole était déjà trop affaiblie. Les opérations militaires furent concentrées dans l’espace caribéen, véritable voie d’accès à l’empire espagnol et territoire disputé par plusieurs puissances. Par exemple, en 1689, le comte de Blénac s’empara des îles de Saint-Eustache et de Saint-Christophe. À cette expédition, une force anglo-espagnole répondit par une descente sur Saint-Domingue en 1691. Enfin, en 1694, une flotte de flibustiers commandés par Ducasse prit l’île de la Jamaïque143.
76La stratégie maritime de Louis XIV consistait à s’appuyer sur la guerre de course et à faire appel à des flibustiers. En intéressant des armateurs privés à la guerre, il espérait saisir une partie du commerce des métaux précieux144. C’est l’objectif des expéditions de Petit-Renau en 1696 contre les galions, de celle du chevalier des Augiers contre l’Armada de Barlovento ou encore de celle de Pointis en 1697 contre Carthagène des Indes145. La prise de cette dernière le 2 mai 1697 par Pointis rapporta 7 646 948 francs en lingots d’or et d’argent, sans compter les pierres précieuses et le matériel de guerre. « Rarement, voire même jamais, une expédition française n’avait produit un si énorme profit146. »
77De plus, ces opérations militaires ne doivent pas cacher le développement d’échanges plus réguliers entre le royaume de France et le continent américain. Si la colonisation française est toujours restée bien inférieure à celle des Anglais, l’installation de sujets du roi de France n’avait rien pour rassurer les ministres du roi d’Espagne. Par exemple, l’expansion française dans le sud du Mississippi représentait une menace potentielle pour Santa Fe, Chihuahua et les mines du Nord du Mexique147. La présence française incommodait les Espagnols installés à Pensacola. D’ailleurs, après la première expédition d’Iberville en 1699-1700 pour reconnaître l’entrée du Mississippi, le gouverneur de Pensacola, André de la Riole, rappela les droits du roi d’Espagne sur tous les territoires du golfe du Mexique. En mars 1700, il vint croiser avec un navire de vingt-quatre canons au large de l’établissement français de Maurepas148. La mort de Charles II quelques mois plus tard changea radicalement la nature des rapports entre les Français de Louisiane et les Espagnols de Pensacola.
78Ainsi, les opérations militaires aux Indes durant la guerre de Neuf Ans ont longtemps été considérées comme le premier conflit de dimension « impériale » entre la France et l’Angleterre. En réalité, cette vision anglocentrique laisse peu de place à la lutte pour la pénétration de l’Amérique espagnole149. Or, les attaques les plus décisives ont été menées contre les possessions du Roi Catholique : Veracruz, Cartagena et Saint-Domingue, sans parler du commerce interlope et du développement des colonies françaises. Enfin, il faut mentionner le rôle joué par la Guyane, conçue comme une base arrière pour assaillir les possessions espagnoles. Elle représentait le cœur des ambitions françaises dans la stratégie des conquêtes maritimes depuis Richelieu150. L’affrontement maritime contre les possessions du Roi Catholique a longtemps été occulté par celui qui opposait le roi de France à l’Angleterre et aux Provinces-Unies. La lutte pour la suprématie maritime a été perdue au profit du roi d’Angleterre au cours de la guerre de Neuf Ans, mais cela ne doit pas conduire à sous-estimer les patients efforts menés pour obtenir un accès vers l’Amérique espagnole. Durant la seconde moitié du siècle, aucune possession du roi d’Espagne — à l’exception des Philippines — ne put vivre sans la crainte d’une intervention militaire française. Ce climat de guerre latent a pesé sur la vie politique, économique et sociale de la monarchie hispanique. Il constitue l’arrière-plan historique de l’union des couronnes, telle qu’elle s’établit en 1701.
79Celle-ci s’inscrivit à la suite d’une longue période d’affrontements entre les souverains sur la scène européenne. Elle rapprochait deux cours fondamentalement différentes. Au roi d’Espagne, malade et souvent caché à son peuple, s’opposait un roi de France présenté comme vigoureux et mis en scène dans un cérémonial dont la lente fixation avait contribué à forger son image publique. La noblesse également ne jouait pas le même rôle. Si la conception d’une noblesse domestiquée par Louis XIV n’est plus admise, il faut toutefois souligner que son rôle était bien plus faible que celle d’Espagne, qui constituait un intermédiaire obligé pour accéder au roi. La vie de cour durant le règne de Charles II en fut d’autant plus marquée, que le souverain ne semblait pas en mesure de s’imposer.
Le règne de Charles II
80Le règne de Charles II, longtemps moins connu que ceux de ses prédécesseurs, a suscité l’attention des historiens depuis une vingtaine d’années. Henry Kamen, José Calvo Poyato et plus récemment Bartolomé Yun Casalilla et Luis Ribot García ont contribué à modifier notre perception de la seconde moitié du xviie siècle en Espagne. Sur le plan politique, ce règne se caractérisa par l’importance des jeux de pouvoir ou luttes de factions à la cour, bien étudiés par Marie-Françoise Maquart151, par des tentatives de réforme de la monarchie durant les deux dernières décennies et, finalement, par l’évolution des institutions152.
81On considère souvent que le règne du dernier Habsbourg de Madrid fut celui d’une reprise en main du pouvoir par les élites nobiliaires153. Durant la régence, période traditionnellement difficile dans les régimes monarchiques, la reine Marie-Anne d’Autriche tenta de s’appuyer sur des validos : le père Nithard, puis Fernando de Valenzuela. L’opposition nobiliaire s’était en partie regroupée autour du demi-frère du roi, Juan José d’Autriche. Celui-ci, comme ses ennemis, anima l’une des « premières campagnes d’opinion154 », selon l’expression de Luis Ribot, en maniant habilement propagande et pamphlets. Afin de renverser ses adversaires, Juan José alla jusqu’à mobiliser des troupes. Son arrivée au pouvoir en 1677 est emblématique du retour aux affaires de la classe aristocratique, laquelle pouvait ainsi contrôler et monopoliser la faveur royale, sans l’intermédiaire d’un valido. Toutefois, les luttes de factions à la cour de Charles II sont si complexes qu’il est difficile de caractériser « un parti ». Si la noblesse de cour et les Grands veillaient collectivement au respect de leurs prérogatives, les alliés d’un jour pouvaient devenir des ennemis farouches dans une querelle suivante. On peut donc difficilement établir une opposition entre la noblesse qui serait favorable au roi, celle qui serait favorable à Juan José de Austria et une troisième partie hostile aux deux premières. Les modifications apportées à l’étiquette et le traitement courtisan employé pour s’adresser au roi révèlent la place et le pouvoir de la noblesse sur la cour et le gouvernement. Si Juan José de Austria s’appuya sur une partie de la noblesse pour s’imposer face à la régente Marie-Anne d’Autriche, il n’hésita pas à renforcer la subordination due au monarque. Il interdit, par exemple, de se moucher devant le roi, car cela constituait un manque de respect à l’égard la personne royale. Il déclara à ce sujet : « selon notre comportement devant le roi, telle sera la majesté155 ».
82À la mort de Juan José, le duc de Medinaceli, puis le comte d’Oropesa, dominèrent le gouvernement. Avec la chute de ce dernier en 1691, la seconde épouse de Charles II, Marie-Anne de Neubourg, prit les rênes de la monarchie. Cette période se distingue des précédentes par l’urgence de la succession qui se profilait et par l’affaiblissement du pouvoir royal. La polysynodie espagnole imposa davantage ses vues. Le rôle des conseils et des juntes s’accrut considérablement durant cette dernière partie du règne156.
83Pour les ambassadeurs de Louis XIV, la monarchie de Charles II se caractérisait par ses difficultés militaires, particulièrement apparentes, selon l’archevêque d’Embrun, lors de la guerre contre le Portugal157. Le mauvais état des finances attira l’attention du marquis de Villars en 1679, celle de son successeur le comte de Rebenac et enfin celle du marquis d’Harcourt, dernier ambassadeur de Louis XIV avant l’arrivée du duc d’Anjou en 1701158.
84Toutefois, si la mauvaise gestion et l’autorité trop faible du roi se trouvaient ainsi mises en exergue dans les dépêches diplomatiques, cela n’interdisait pas un jugement nuancé. En effet, les diplomates soutenaient que les difficultés rencontrées n’étaient pas l’indice d’une situation irrémédiable mais provenaient seulement du mauvais gouvernement de la maison d’Autriche159. Cet argument permettait de légitimer le changement de maison régnante et de soutenir les prétentions du roi France, en défendant l’idée qu’avec un prince de la maison de France, la monarchie espagnole pourrait se rétablir rapidement.
85On retrouve une analyse semblable dans les instructions laissées aux ambassadeurs. Sans surprise, les thèmes de la mauvaise administration, de la faiblesse du roi face à sa noblesse et de l’appauvrissement du commerce et des finances sont présentés sous le même angle dans les documents préparés par le secrétaire d’État des affaires étrangères avant le départ des ambassadeurs à Madrid. Ils confirment que les lettres des diplomates, quoique partiales et incomplètes, demeurent le premier canal par lequel la cour de Versailles s’informait de la situation à la cour d’Espagne. La similitude des images véhiculées conforte l’hypothèse selon laquelle les instructions étaient rédigées à partir des lettres reçues pas les ambassadeurs précédents.
86L’idée selon laquelle les derniers rois de la maison d’Autriche étaient les premiers responsables de la situation est récurrente chez les ambassadeurs du roi de France. On la retrouve par exemple dans la lettre d’instructions du comte de Marsin, successeur du marquis d’Harcourt, à partir de 1701 :
Il semble que les rois d’Espagne, successeurs de Charles Quint, aient été plus occupés à détruire par leur mauvaise conduite la monarchie dont ils avoient hérité, qu’à la conserver dans sa splendeur. La confusion a été encore plus grande sous le dernier règne160…
87Dans ces documents, qui énonçaient les volontés politiques de Louis XIV, la faiblesse de Charles II était ainsi avancée pour expliquer toutes les difficultés. Toutefois, d’autres éléments permettaient de justifier cet état : la fraude qui ruinait le commerce, une étiquette qui avait enfermé le roi dans l’Alcázar, la thésaurisation de l’argent dans les églises ou encore les faibles ressources tirées de la couronne d’Aragon. Concernant la fraude, les instructions insistaient sur l’achat des places aux Indes, que ce soit celles de vice-roi ou celles de l’administration des finances. Cette corruption endémique avait ruiné le commerce. Dans la lettre d’instructions donnée à Marsin, on peut lire à ce sujet :
C’est ainsi que les droits de la couronne ont été sacrifiés dans les Indes occidentales à l’avarice des vice-rois, des gouverneurs et des officiers employés ou pour la justice, ou pour lever ces mêmes droits. L’appui qu’ils [agents corrompus] ont donné aux fraudes commises contre les intérêts du roi d’Espagne a causé en même temps la ruine du commerce161.
88Ce manque de ressources financières a ensuite affecté l’autorité du roi, qui s’en est trouvée diminuée. La révolte de 1699 contre le régiment des gardes du Roi Catholique et contre le premier ministre Oropesa est explicitement désignée comme le résultat du défaut d’autorité de Charles II. En effet, la reine avait tenté de créer une garde royale, la chamberga, dotée d’une véritable force militaire, mais le roi dut y renoncer devant l’opposition des Grands qui voulaient conserver le monopole de l’accès au monarque162.
89L’étiquette est le second point qui revient à plusieurs reprises dans les lettres d’instructions. Inquiet de l’isolement et de l’ennui que le duc d’Anjou pourrait éprouver à Madrid, Louis XIV ordonnait au comte de Marsin de le libérer de cette contrainte : « La suppression de l’étiquette, donnant plus d’accès dans son palais, en diminuera la solitude163 ». Le roi approuvait que son petit-fils « se fît voir tous les jours en public, qu’il y eut des heures marquées où l’on pût l’aborder et lui parler164 ». Selon Louis XIV,
les Espagnols sont persuadés qu’ils doivent attribuer les malheurs de la monarchie au peu de connoissance que les rois précédents ont eu de l’état de leurs affaires ; ils prétendent que renfermés dans leur palais, la vérité n’a jamais pénétré jusqu’à eux, que ce qu’on nomme étiquette a toujours été une barrière insurmontable entre le prince et les sujets165.
90La préoccupation de l’étiquette mérite ici d’être soulignée car, outre la différence majeure entre le roi d’Espagne « caché » et Louis XIV, qui à l’inverse se donnait à voir, comme l’a souligné Gérard Sabatier, elle est l’occasion d’une digression intéressante pour comprendre comment on défendait le changement de dynastie. Pour le roi de France, « [l]’effet de l’humeur retirée de Philippe sembloit devoir être supprimé par un prince élevé dans les maximes entièrement opposées [le duc d’Anjou] ; il paroissoit aussi facile de changer ces règles du palais, qu’il l’avoit été à Philippe second de les introduire contre l’ancien usage des rois de Castille et d’Aragon166 ». Ainsi, l’étiquette de los Austrias pouvait être supprimée au seul titre qu’elle avait elle-même été une innovation par rapport à d’autres usages plus anciens. Les usages de cour, le cérémonial et l’étiquette n’étaient pas immuables, en dépit de l’impression laissée par la lecture des documents de l’époque sur ce sujet. Cette impression de permanence correspondait, en réalité, à la volonté de légitimer le pouvoir royal. Or, il n’y avait pas de meilleure justification que celle de l’histoire et du passé167. Toutefois, cette vision misérabiliste de la cour d’Espagne ne tient pas compte des élans réformateurs ni des améliorations que la monarchie connut durant le règne de Charles II. Les ambassadeurs de Louis XIV furent le plus souvent muets à ce sujet et leurs dépêches doivent être lues avec prudence et esprit critique.
a) La monarchie entre affaiblissement et récupération
91Si la monarchie hispanique connut un affaiblissement réel sur la scène internationale et une grave crise à partir de 1640, le règne de Charles II doit être reconsidéré sur le plan institutionnel, économique et social. Cette révision historiographique du règne du dernier roi de la maison d’Autriche a donné lieu à ce que Christopher Storrs appelle le « paradigme de Prescott », c’est-à-dire à ce courant de réinterprétation des règnes des derniers Habsbourg qui, dans la lignée des travaux de William H. Prescott, combat les légendes noires qui leur sont associées168. Par exemple, les relations entre le roi et ses royaumes s’améliorèrent. L’autorité royale était certes affaiblie, mais ce règne fut surtout marqué par le renoncement aux objectifs de la politique impériale à partir de la chute d’Olivares, qui offrit aux royaumes d’Espagne un temps de répit. Selon Luis Ribot, on assista à une revalorisation de la figure du secretario del despacho universal et à une concentration des efforts sur les questions intérieures, permettant ainsi de pallier ou contourner la faiblesse du roi. Parallèlement, la création de la charge de surintendant des finances (superintendente de Hacienda) sous le gouvernement d’Oropesa est considérée comme l’une des contributions emblématiques de la réorganisation des finances169.
92De plus, l’absence de réunion des Cortes de Castille ne doit pas être considérée comme le signe d’une décadence qui s’étendrait du xvie au xviie siècle. En réalité, l’administration du service des millions (millones170) conférait une autorité considérable aux Cortes, qui négociaient directement avec le roi, le montant des contributions par exemple. En l’absence de réunion, les cités (ciudades) prenaient le relais. Plutôt que de négocier avec les Cortes réunies, le souverain s’adressait à chaque ville. Finalement, seules les Cortes d’Aragon furent réunies durant le règne de Charles II, en 1677 et en 1684. Il faut donc voir davantage une amélioration des relations entre le roi et les élites locales, selon Luis Ribot, plutôt qu’un processus d’affaiblissement de ces institutions représentatives des différents royaumes, nuançant la thèse d’un « néoforalisme » puissant sous Charles II171. Le contrôle du processus des insaculaciones172 en Catalogne et la dure répression qui frappa la Sicile, après la révolte de Messine, attestent du meilleur contrôle que la monarchie exerçait sur les possessions dites « périphériques », notamment grâce à une amélioration de ses rapports avec la noblesse. Le précédent catalan avait constitué un excellent avertissement. En 1640, la rébellion en Catalogne éclata d’abord parce que les élites du principat se sentaient déconsidérées et éloignées du gouvernement par le roi173.
93Sur le plan économique, le regard des historiens a également beaucoup évolué. La recherche s’est focalisée sur deux axes principaux : celui des réformes initiées par les premiers ministres successifs et celui de l’amélioration de la situation économique et sociale de la population174. Juan Sánchez Belén a revalorisé l’action des ministres de Charles II, en soulignant combien ils étaient conscients des difficultés de la monarchie, notamment sur le plan fiscal et monétaire. Le règne peut ainsi se diviser en trois phases correspondant aux gouvernements successifs de Juan José de Austria, du duc de Medinaceli et enfin du comte d’Oropesa.
94Outre les ministres, la société dans son ensemble était consciente des difficultés économiques, monétaires et financières. La crise des finances royales et « la mauvaise monnaie » constituent ainsi des thèmes présents dans le théâtre espagnol de la seconde moitié du xviie siècle. Carmen Sanz Ayán a bien montré comment ces pièces servaient la propagande royale ou, à l’inverse, critiquaient le pouvoir175. Elle donne ainsi l’exemple de l’auto sacramental de Mira de Amescua, El Monte de la Piedad o Auto del erario y Monte de la Piedad (Madrid, [1624-1625]), auquel la chaotique réforme monétaire de Philippe IV en 1660 sert de trame. Mira de Amescua assimile les opposants à la réforme voulue par le roi à des ennemis de l’Église, procédé classique s’il en est dans le théâtre caldéronien176. Si le théâtre servait à défendre une réforme, la satire était aussi présente. La contestation de ces mesures passait également par l’écriture de pièces de théâtre177.
95Cette prise de conscience amena la plupart des ministres de Charles II à proposer des mesures radicales. On forma des juntes pour formuler des propositions. Juan José mit ainsi sur pied plusieurs juntes pour réformer les abus, les aliénations, les monnaies et trouver de nouvelles ressources (junta de alivios, de incorporación, de moneda ou de medios). Si la plupart des mesures proposées par la junta de alivios, comme la baisse des salaires des officiers de la couronne, la réduction du nombre de conseillers ou encore la diminution des faveurs et des grâces, restèrent lettre morte178, certains de ses membres s’attachèrent à assainir la situation financière. Lope de los Ríos y Guzmán, membre de cette junte puis président du Conseil des finances (Consejo de Hacienda), s’appliqua durablement à améliorer la situation du trésor royal par une stricte politique d’austérité179.
96Après avoir contraint l’Église à payer une décima180 supplémentaire et une partie de la noblesse à souscrire à une sorte de don gratuit (donativo), Juan José de Austria entreprit une politique de remises des dettes des communautés, des villes et des cités. Par le décret royal du 7 août 1677, 50 % à 70 % des dettes furent ainsi annulées. De plus, il multiplia les exemptions fiscales entre 1677 et 1678, notamment afin de soulager les territoires frappés par la peste181. Le 19 janvier 1679, la junte royale et générale du commerce (Real y general junta de comercio) vit le jour. Cet organisme avait une juridiction qui s’étendait sur tous les royaumes et pouvait préparer des ordonnances pour le développement agricole et industriel, octroyer des franchises fiscales et des crédits. Cette junte disparut avec celui qui l’avait créée, Juan José de Austria, en avril 1680182.
97Le duc de Medinaceli reprit une partie du programme préparé par Juan José de Austria. La promulgation de la pragmatique du 10 février 1680 souligne son attention portée aux questions monétaires. Cette loi établissait une réduction de la valeur de la monnaie de molino, c’est-à-dire de billon. Le 9 août 1680, un décret ordonna la frappe de petites pièces d’argent afin de réactiver le commerce183. Ces mesures déflationnistes visaient à rétablir un équilibre entre les différentes monnaies d’or, d’argent et de cuivre. Le duc de Medinaceli reprit les initiatives de son prédécesseur en rétablissant la junta de comercio. Le commerce devait procurer plus de ressources financières au roi, on tenta donc de le dynamiser. Par une cédule royale, Charles II créa, en 1681, le collège de San Telmo. Situé à Séville, il était dédié à l’enseignement de la navigation184.
98L’amélioration de la situation financière exigeait également une amélioration du recouvrement des impôts et de leur administration. La réforme fiscale, approuvée à la fin de l’année 1682, consista à suspendre l’affermage de plusieurs rentas (alcabalas, unos por ciento et les servicios de millones). Préparée par Luis Moreno Ponce de León et Juan de la Hoz y Mota, membres du Conseil des finances, ce projet transféra à la couronne la charge du recouvrement des rentas provinciales. Elles étaient ainsi placées sous l’autorité de vingt-et-un superintendentes. Par ailleurs, une junte des fraudes fut chargée de traquer les abus185. Toutefois, en dépit de ces efforts, la nouvelle campagne de Louis XIV contre les Pays-Bas espagnols en 1683 obligea Medinaceli à créer de nouveaux impôts et à solliciter un donativo.
99Tout comme la mort de Juan José de Austria ne mit pas un terme à l’ensemble des mesures qu’il avait prises, la chute de Medinaceli n’interrompit pas l’effort d’assainissement en cours. Son successeur, le comte d’Oropesa, s’attacha en effet à amplifier plusieurs de ses décisions, notamment sur le plan monétaire. Il commença par augmenter la valeur faciale des monnaies d’or et d’argent, pour les faire coïncider avec leur valeur intrinsèque. Il tenta d’enrayer la sortie des métaux précieux en fixant leur cours sur celui des pays voisins. En 1686, il supprima les nouveaux millones pesant sur la viande, le vin, le vinaigre et l’huile.
100La guerre de la Ligue d’Augsbourg le contraignit à augmenter les impôts et à procéder à des suspensions de paiement des dettes de la couronne à partir de 1692. À plusieurs reprises, Oropesa eut recours à cette mesure pour alléger le fardeau de la dette. Il procéda ainsi le 28 novembre 1692, le 12 mars et le 22 décembre 1693, le 25 janvier 1695 et le 17 janvier 1696. Ainsi, chaque année la couronne renonçait à honorer ses engagements financiers186. À cela, il faut ajouter le poids croissant du droit de media annata187.
101Les tentatives de réformes jalonnèrent ainsi le xviie siècle, comme en 1680 la création d’une grande junte des finances (junta magna de hacienda) et en 1687 celle d’une autre junte, sous la présidence du comte d’Oropesa. Ces différentes juntes proposaient généralement un apurement des comptes et une baisse de la pression fiscale. Le procédé était aussi simple que redoutable : la couronne diminuait d’elle-même les sommes qui lui avaient été prêtées. S’il est difficile de tirer un bilan de ces efforts, on doit souligner qu’ils accompagnèrent les premiers signes d’une amélioration de la situation économique dans plusieurs royaumes, notamment la Catalogne, le pays valencien et le pays basque.
102La réforme fiscale, entamée en 1683 et consolidée en 1686, parallèlement à une vigoureuse politique de stabilisation monétaire (déflation), contribuèrent à la réactivation des échanges. Or, ce renouveau économique, ajouté à un nouveau dynamisme des régions côtières, nuance fortement l’idée d’une décadence irrémédiable de l’Espagne au xviie siècle. Selon Bartolomé Yun Casalilla, les disparités régionales étaient trop importantes pour que l’on puisse réduire la situation économique des territoires péninsulaires de la couronne espagnole à celle de la Castille188. S’appuyant sur les travaux les plus récents, il montre que la lente et inégale récupération économique et sociale du « terrible xviie siècle » s’inscrit dans un contexte plus large, puisque l’on peut voir des phénomènes similaires en Angleterre, en France, en Italie et dans les Provinces-Unies à la même époque189.
103Plusieurs indicateurs illustrent cette amélioration de la conjoncture. Si la population connut des baisses importantes dans les territoires ruraux de l’intérieur, des zones comme l’Andalousie et la Galice gagnaient à nouveau des habitants à partir de 1615-1620. Les villes, à l’instar de Barcelone et de Madrid, connurent une croissance démographique remarquable. De manière générale, la crise démographique a été bien moins forte qu’on ne l’a longtemps pensé190. Outre la démographie, la production repartait à la hausse. Bétail, blé, maïs, vin et seigle sont produits bien plus abondamment à partir du milieu du siècle. Cette amélioration concernait d’abord les zones littorales. La Galice connut, par exemple, des augmentations de ces productions allant jusqu’à 60 % entre les années 1630 et 1700191. Si le commerce intérieur semble croître à un rythme bien moindre, les signes d’un léger regain d’activité sont perceptibles dans ces mêmes zones côtières et dans les villes portuaires.
104Les réformes financières et monétaires précédemment évoquées ne sont pas à l’origine de l’embellie économique. Elles ont pu l’accompagner mais rarement l’impulser. Bartolomé Yun Casalilla souligne qu’elles n’étaient jamais assez profondes pour être à l’origine de l’amélioration perceptible dans plusieurs royaumes et que certaines, notamment la déflation monétaire, furent même à très court terme néfastes pour le commerce192.
b) Le testament, pièce à conviction
105La mort de Charles II intervint rapidement après la conclusion de la paix à Ryswick en 1697. Le 1er novembre 1700, le Roi Catholique mourait dans son palais de l’Alcázar à Madrid. Les événements et retournements de situation qui précédèrent sa disparition sont bien connus. Si les hésitations du roi ont souvent été mises sur le compte de son indécision, il faut toutefois rappeler qu’il était pleinement conscient des difficultés que posait sa succession. Son règne et la dernière guerre qu’il avait dû mener, à contrecœur, lui avaient apporté la preuve que Louis XIV ne laisserait pas échapper l’occasion de saisir une partie de ses États. Charles II se trouvait face à une alternative difficile : accepter le partage, ce qui revenait à démembrer la monarchie, ou transmettre sa succession à un prince susceptible de défendre l’intégrité de cette dernière193. Il choisit finalement cette dernière solution en désignant le duc d’Anjou, deuxième petit-fils de Louis XIV, pour lui succéder.
106Le testament de Charles II prévoyait trois dispositions. Les possessions ne pouvaient être démantelées, la réunion des couronnes de France et d’Espagne dans une même personne était proscrite et l’ordre de succession naturel était maintenu194. Charles II souhaitait en effet que sa couronne ne pût être réunie à celle de France. Dès lors, si le duc d’Anjou venait à mourir, la monarchie hispanique reviendrait à son frère, le duc de Berry, puis à l’archiduc, second fils de l’empereur195.
107Cette disposition, qui visait à maintenir les deux couronnes séparées, n’était pas nouvelle. Dans son testament, Philippe IV avait laissé une clause similaire :
Dans tous les tems & âges passez on s’est servi d’une particulière circonspection en faisant les mariages des infantes d’Espagne avec les rois de France, à cause des inconvénients qui résulteroient de la conjonction & de l’union de ces deux Couronnes ; car, l’une & l’autre & chacune à part étant si grandes qu’Elles ont conservé leur grandeur avec tant de gloire de ses Rois Catholiques & Très-Chrétien, étant unies leur élevation se diminueroit & tomberoit, & en résulteroit d’autres grands inconvénients pour leurs sujets & vassaux & pour le bien public & l’état de l’un & l’autre royaume & de toute la Chrétienté196.
108Le roi d’Espagne rappelait que sa sœur Anne d’Autriche et sa fille Marie-Thérèse avaient toutes deux renoncé à leurs droits. Le représentant du Roi Catholique à La Haye en 1700, Francisco Bernardo de Quiros, s’appuya lui aussi sur la clause de l’impossible réunion des couronnes afin de tenter de justifier aux yeux des Hollandais l’acceptation du testament par Louis XIV. Il insista sur cette disposition en déclarant : « C’est l’intérêt général de l’Europe qui s’oppose également à l’union de deux monarchies et à la division de celle d’Espagne197 ». Il rejetait donc à la fois l’union et le démembrement de la couronne. Bernardo de Quiros se montra par la suite très hostile à l’avènement du duc d’Anjou en Espagne198.
109Lorsque Louis XIV fit ses adieux à son petit-fils, il lui indiqua que dorénavant les relations entre leurs couronnes ne seraient plus les mêmes. Lorsqu’il présenta le duc d’Anjou comme le nouveau roi d’Espagne à la cour le 16 novembre 1700, il lui déclara :
Soyez bon Espagnol, c’est présentement votre premier devoir ; mais souvenez-vous que vous êtes né François, pour entretenir l’union entre les deux nations ; c’est le moyen de les rendre heureuses et de conserver la paix de l’Europe199.
110Au duc de Frias200, connétable de Castille, envoyé par la junte de gouvernement mise en place à la mort de Charles II, le roi de France assura que les intérêts de l’Espagne se confondaient avec les siens201. Il reconnut que cela n’avait pas toujours été le cas, mais il était alors touché de la confiance et de la fidélité des nouveaux sujets de Philippe V.
111À Sceaux, où ils se séparèrent, Louis XIV renouvela au duc d’Anjou son conseil : « Les deux nations, présentement, ne doivent plus se regarder que comme une même nation. Ils doivent avoir les mêmes intérêts202… ». Dans les instructions qu’il laissa à son petit-fils, le roi insista encore sur les nouveaux liens qui existeraient dorénavant entre les deux couronnes. Parmi de nombreux conseils qui apparaissent comme une forme de testament ou de témoignage d’une longue pratique du pouvoir, Louis XIV écrivait :
Essayez de remettre vos finances ; veillez aux Indes, et à vos flottes ; pensez au commerce ; vivez dans une grande union avec la France, rien n’étant si bon pour nos deux puissances que cette union, à laquelle rien ne pourra résister203.
112Le Dauphin aurait laissé des conseils similaires à Philippe V, selon le chroniqueur austraciste Francisco Castellví, qui souligne ainsi la diffusion des propos prêtés au prince, connus dès l’époque de la guerre de Succession204.
113Le mot « nation » n’avait pas pour eux le sens qu’il acquit par la suite, quand il fut mythifié au xixe siècle par Renan. Il servait alors seulement à désigner une population précise. Dans son Dictionnaire (1690), Furetière définissait nation comme le « nom collectif, qui se dit d’un grand peuple habitant une certaine estenduë de terre, renfermée en certaines limites ou sous une même domination ».
114Outre les conseils donnés à Philippe V, Louis XIV s’attacha à obtenir sa reconnaissance comme légitime souverain. En juin 1701, le roi de Portugal signa un traité d’alliance par lequel il reconnaissait, dans l’article 4, Philippe V comme le souverain légitime205. Par cette alliance, le roi de Portugal s’engageait à défendre les dispositions du testament de Charles II. De plus, par l’article 2, le traité de l’asiento pour l’introduction des esclaves en Amérique était retiré à la compagnie portugaise qui en jouissait alors206.
115Ces initiatives inquiétaient les puissances maritimes. Le comte de Tallard, ambassadeur en Angleterre, avertit Louis XIV que le Parlement anglais et Guillaume III devaient être rassurés concernant l’indépendance des Pays-Bas et l’ouverture du commerce des Indes et du Levant207. Louis XIV se dispensa des conseils de son ambassadeur. Il confirma au duc d’Anjou ses droits à la couronne de France, ce qui contrevenait aux dispositions du testament de Charles II208. En février 1701, il occupa ensuite les places de la Barrière des Pays-Bas, auxquelles les Provinces-Unies étaient très attachées209. En aucun cas, ces mesures ne rassuraient les puissances maritimes. Enfin, Louis XIV finit par s’aliéner définitivement l’opinion anglaise en reconnaissant le fils du prétendant au trône d’Angleterre, Jacques III, comme le roi légitime210. Dans ce contexte, les élections de 1701 portèrent une majorité whig à la Chambre des communes, largement hostile à Louis XIV. Le testament de Charles II, son acceptation par Louis XIV, les initiatives pour conserver au duc d’Anjou ses droits à la couronne de France, la reconnaissance de Jacques III, l’occupation de la Barrière, et enfin la concentration de troupes sur les frontières du Rhin inquiétèrent Londres et La Haye. Plus encore que ces maladresses, la concession de l’asiento à une compagnie française en juin 1701 acheva de les exaspérer. Le 7 septembre 1701, l’Angleterre et les Provinces-Unies se joignaient à l’empereur pour faire la guerre à Louis XIV et Philippe V. La Grande Alliance de La Haye était dorénavant constituée :
Et comme un état si douteux & si incertain en toutes choses, est plus dangereux que la Guerre même, & que la France & l’Espagne s’en prévalent pour s’unir de plus en plus, afin d’opprimer la Liberté de l’Europe, & ruïner le Commerce accoûtumé ; Toutes ces raisons ont porté Sa Sacrée Majesté Impériale, Sa Sacrée Roiale Majesté de la Grande-Bretagne, & lès Hauts & Puissans Seigneurs États Généraux des Provinces Unies, d’aller au devant de tous les maux qui en proviendroient ; & désirant d’y apporter remède selon leurs forces, ils ont jugé qu’il étoit nécessaire de faire entr’eux une étroite alliance211…
III. — L’union des couronnes en perspective
116Dès lors que Charles II choisit le duc d’Anjou pour lui succéder, l’union des couronnes devenait une possibilité. Avant d’analyser les contours de ce projet, il faut tenter de retrouver ses antécédents. L’idée de réunir les couronnes de France et d’Espagne constituait-elle une nouveauté ou la résurgence d’une idée plus ancienne ? D’autre part, avant de considérer comment cette union fut mise en place par Louis XIV et Philippe V, il convient de s’interroger sur ce qu’elle représentait pour les autres puissances, au premier rang desquelles l’Angleterre et les Provinces-Unies. Enfin, peut-on retrouver cette idée ailleurs que dans les seuls documents préparés par les ambassadeurs, les ministres et les conseillers des souverains ? La réponse à cette question est affirmative puisque à la mort de Charles II, l’union était une idée connue et véhiculée. On la retrouve, par exemple, dans les prophéties encore très populaires au xviie siècle.
Antécédents d’une prophétie
117Certains événements, comme les mariages entre les infantes espagnoles et les héritiers de la couronne de France ou la naissance du Dauphin en 1661, étaient l’occasion d’exalter une concorde retrouvée ou les liens de bonne amitié entre les deux monarchies. La naissance du Dauphin en 1661 fut saluée comme le signe d’une réconciliation entre les royaumes. Dans la Gazette, on défendit l’idée selon laquelle elle unissait la France et l’Espagne et assurait ainsi la paix212. Mme de Motteville le qualifiait d’héritier potentiel des deux monarchies. Sans souhaiter la mort du prince héritier espagnol, elle soulignait les opportunités que celle-ci ouvrirait au fils du roi213. L’académicien Boyer des Roches louait la réunion des deux dynasties dans sa personne. À défaut d’une union, le rapprochement des deux principales monarchies catholiques fut à plusieurs reprises désiré, notamment par le pape dans la perspective de la guerre contre les Turcs214. Amable de Bourzeys soutint cette conception d’une réunion dans son traité qui visait à prouver la nullité des renonciations de la reine, au début de la guerre de Dévolution215. Il défendait aussi cette idée comme nécessaire pour lutter contre les Ottomans216. Cette « rhétorique de la réunion », comme l’a nommée Ana Álvarez López, ne datait pas du milieu du xviie siècle. Les traces de cette image remontent en réalité au xvie siècle.
118L’idée qu’un prince réunirait les deux principales maisons régnantes découlait d’une prophétie très ancienne, qui circula beaucoup au xviie siècle. Michel Nostradamus en 1572 avait en effet prédit la naissance d’un monarque providentiel, issu des deux maisons, celle d’Autriche et celle de France. Connue sous le nom de Prophétie de Magdebourg, elle correspondait à une aspiration des cercles catholiques, désireux de vaincre le protestantisme217. Cette prophétie en reprenait une autre plus ancienne, celle de Carolus Redivivus, créée en 1241 afin d’appuyer la candidature du frère de saint Louis, Charles d’Anjou, à l’Empire. Elle apparut en 1288 dans la Notitia Saeculi d’Alexandre de Roes. Elle réapparut à l’occasion du mariage de Maximilien Ier et de Marie de Bourgogne, héritière de Charles le Téméraire. Cette prophétie se répandit en dehors de l’Empire au cours du xviie siècle et l’on en compte au moins dix éditions en France à cette époque218. Durant le règne de Charles II, des prophéties prédisaient également une paix entre les Habsbourg et les Bourbons, qu’un mariage devait conforter. On peut citer par exemple le Pronóstico del discurso, que Muley Hazen Byaceto, rey de Marruecos, ha hecho sobre el eclypse de luna del día veinte y nueve de Iulio deste presente año, en que pronostica total ruina a los Mahometanos, quanto prósperos sucessos a la Christiandad, sacada sic de una carta que un cautivo de dicho rey escrivió a un hermano suyo a Granada, prophétie anonyme et non datée qui fut en réalité publiée au moment du mariage du roi et de la nièce de Louis XIV, Marie-Louise d’Orléans, en 1679, peu après la paix de Nimègue219. Quoi qu’il en soit, ce type d’écrits circulait abondamment dans l’Espagne de Charles II.
119D’ailleurs, on retrouve des traces de ces discours dans les écrits personnels de l’époque. Raimundo de Lantery, négociant installé à Cadix, a ainsi laissé une sorte de journal autobiographique. Ce document très incomplet, car la première partie a été perdue, a été retrouvé et publié au xxe siècle220. Lorsque Raimundo de Lantery évoquait la reconnaissance du duc d’Anjou par le marquis de Castelldosrius le 16 novembre 1700 à Versailles, il considérait cet événement comme la réalisation d’une prophétie de Nostradamus221, ce qui témoigne de la diffusion de ces croyances dans la société.
120L’idée de l’union comme celle de l’avènement d’un prince issu de la maison de France circulaient donc depuis longtemps. Dans une société et un monde où la frontière entre le surnaturel et le réel n’était pas encore étanche, et où les croyances anciennes dans la magie et les superstitions restaient présentes, penser qu’un prince réunirait les deux principales Maisons de la Chrétienté ne constituait ni une nouveauté ni une incongruité. Outre les prophéties, l’idée de réunir les deux monarchies dans un combat commun contre les protestants ou les Ottomans était très présente. On en trouve l’écho dans les écrits du maréchal Bassompierre, ambassadeur de Louis XIII à la cour de Madrid, dans ceux de Gabriel Naudé ou encore dans ceux de Jean-Pierre Camus, évêque de Belley et ami de Richelieu222.
121Si la montée du duc d’Anjou sur le trône espagnol alors que son grand-père régnait en France ne représentait pas l’accomplissement de cette prophétie, la perspective d’une réunion devenait toutefois une éventualité sérieuse. Cette possibilité inquiéta les puissances maritimes qui, dès lors, ne cessèrent de dénoncer « l’union des couronnes ». Dès l’acceptation du testament entérinée par Louis XIV, le roi d’Angleterre et les Provinces-Unies utilisèrent cet argument pour mobiliser les princes et les populations.
Les craintes des alliés
122En Angleterre et aux Provinces-Unies, les sentiments vis-à-vis du testament étaient partagés. La situation déclencha des campagnes pamphlétaires, souvent dirigées contre Louis XIV. L’éventualité d’une union ouvrait au roi de France la possibilité de réaliser une aspiration redoutée par tous : la monarchie universelle223. Les multiples enjeux de la succession de Charles II, tant politiques, diplomatiques, commerciaux, coloniaux, que religieux, contribuèrent à amplifier le débat qui surgit dès 1701 en Angleterre, et auquel Daniel Defoe participa pleinement224. Dans son pamphlet The Interests of the Several Princes, paru en 1698, il avait déjà dénoncé une possible union de la France et de l’Espagne. Il fondait son argumentation sur les renonciations de la reine de France à ses droits. À partir de l’article 33 du traité des Pyrénées, Daniel Defoe montrait que le traité de mariage était intégré au traité de paix225. Cela signifiait donc que cette disposition ne regardait pas seulement le roi de France personnellement mais concernait tout son royaume. Pour Defoe, le royaume avait engagé publiquement sa parole puisqu’il ne s’agissait pas d’une renonciation dans un contrat de mariage mais d’une disposition contenue dans le traité des Pyrénées. Le terme d’« union » revient ainsi à plusieurs reprises sous sa plume226. Il dénonçait par exemple la menace qu’elle ferait peser sur l’Italie :
Selon moi, il semble plus que probable qu’une union des royaumes de France et d’Espagne serait une entière réduction de l’ensemble de l’Italie sous le même pouvoir ; il n’y a pas de partie de l’Italie, pour laquelle le souverain de cette union n’ait de prétention en sommeil, soit comme roi d’Espagne, roi de France, roi de Naples ou duc de Milan, à l’exception des territoires de la République de Venise, et quelques autres qui ne seraient pas complètement libres non plus227.
123L’union ne menaçait pas seulement l’Italie. Le Portugal risquait de se retrouver dans la situation qu’il avait connue sous Philippe II, lorsqu’il avait été « envahi » et réduit à une « province d’Espagne228 ». La Suisse se trouverait également dans une position délicate229. Seul le roi de Pologne pouvait trouver un avantage à une telle union230. La Hollande devait nourrir les mêmes craintes si l’union venait à se formaliser231. Daniel Defoe avançait enfin un dernier argument adressé en priorité aux milieux négociants. Le pamphlétaire prédisait qu’une telle union signifiait la fermeture du négoce américain aux Hollandais et aux Anglais232. Selon lui, il fallait donc prévenir cette union si le roi d’Espagne venait à mourir.
124Les wighs, liés à la succession protestante, étaient plutôt favorables à une intervention, alors que les tories préféraient garder leurs distances vis-à-vis de la succession espagnole. Le Parlement en Angleterre, renouvelé lors d’élections, était puissant face au souverain. Il revenait aux membres de la Chambre des communes de voter les impôts nécessaires à la conduite de la guerre. Ce rôle des parlementaires dans le déclenchement d’un conflit contribuait à la diffusion abondante d’imprimés. Ces derniers nourrissaient de véritables campagnes d’opinion, forme précoce et embryonnaire de ce que Jürgen Habermas a appelé la « sphère publique », contribuant ainsi à développer une politisation plus marquée de la société anglaise par rapport à celles du continent au début du xviiie siècle. La censure avait disparu en grande partie avec la fin du Licensing Act en 1695, favorisant un essor des périodiques et de l’imprimé en général233. Defoe lança ainsi The Review en 1704. Il y avait également The Daily Courant, périodique quotidien depuis 1702, The Evening Post, paru en 1706, ou encore The Observator. À cela il faut ajouter la sociabilité des salons et des cafés, plus précoce en Angleterre. On comptait près de quatre cent cinquante cafés à Londres durant le règne de la reine Anne234.
125La période précédant immédiatement la déclaration de guerre fut ainsi le moment d’un intense débat. Selon Defoe, dans son pamphlet The Two Great Questions Consider’d (1700), l’équilibre des pouvoirs ou des puissances était la condition de la paix. Il permettait, en outre, de défendre la sécurité du pays, de sauvegarder l’anglicanisme et de préserver ses intérêts commerciaux. Ce pamphlet, paru avant la mort de Charles II, suscita la réponse d’un auteur anonyme235. Il y eut ainsi plusieurs écrits qui tentaient de contrer les arguments de Defoe, qui répondit à nouveau pour se défendre. Torcy nota également dans son journal les craintes que Guillaume III tenta de susciter au Parlement au sujet du commerce. Le secrétaire d’État des affaires étrangères de Louis XIV écrit ainsi dans ses Mémoires : « Le roi Guillaume n’oublia pas d’exagérer le péril où le commerce de l’Angleterre dans ses branches principales étoit exposé, par l’union de l’Espagne et de la France236 ».
126Les imprimés ne sont pas les seuls documents où cette attention accordée aux intérêts commerciaux apparaît clairement. Dans une lettre adressée au duc de Pastrana en juillet 1700237, le marquis de Bedmar, maître de camp général dans les Pays-Bas espagnols238, expliquait les inquiétudes du peuple anglais et hollandais. Selon lui, ils redoutaient de voir les Français établir leur domination sur l’Italie, avec le risque pour eux de perdre le commerce du Levant. De plus, cela donnerait une supériorité à la France qui serait nuisible à l’équilibre des puissances en Europe239.
127Aussi, dix jours après la signature du traité de l’asiento qui confiait le monopole de la traite esclavagiste à une compagnie française, l’Angleterre, les Provinces-Unies et l’empereur joignaient leurs forces contre cet accroissement de puissance. L’Espagne et la France ainsi « étroitement unies » menaçaient la liberté de commerce240. Dans le traité de la Grande Alliance du 7 septembre 1701, les relations entre les deux monarchies, jointes aux provocations de Louis XIV, étaient présentées comme les causes de la guerre.
… il [Louis XIV] s’est d’abord mis en possession de tout l’héritage ou monarchie d’Espagne pour le susdit duc d’Anjou, & s’est emparé à main armée des Provinces du Païs-Bas espagnol, & du duché de Milan, & qu’il tient une flotte dans le port de Cadix, toute prête à faire voile, & qu’il a envoié plusieurs vaisseaux de guerre aux Indes qui sont soûmises à l’Espagne, & que par ce moien & plusieurs autres, les Roiaumes de France & d’Espagne sont si étroiement unis, qu’il semble qu’ils ne doivent plus être regardez à l’avenir, que comme un seul & même Roiaume241.
128Comme l’Angleterre, les Provinces-Unies redoutaient la puissance formée par le tandem des monarchies française et espagnole. L’acceptation du testament en faveur du duc d’Anjou provoqua le même débat : fallait-il tolérer qu’un prince de la maison de Bourbon régnât à Madrid ? Les avis étaient très partagés. Avant la mort du stathouder en 1702, plusieurs manifestes défendaient l’idée d’appuyer ou de consentir à une succession bourbonienne pour la couronne espagnole242. Les milieux négociants désiraient surtout pouvoir continuer à commercer frauduleusement en Amérique. Des garanties à ce sujet leur auraient vraisemblablement suffi. Le parti orangiste, nettement plus aristocratique, ne s’accommodait pas d’une déclaration de principes. Les positions et les avis étaient donc partagés. Depuis 1650, un traité de navigation et de commerce organisait les rapports économiques entre la monarchie espagnole et les Provinces-Unies dans un sens très profitable à la république batave243. Les négociants avaient donc un grand intérêt à ce que l’équilibre ne soit pas modifié.
129Signe de la division de la société hollandaise au sujet de la guerre et des risques qu’elle faisait peser sur le commerce, les Provinces-Unies autorisèrent à nouveau les importations françaises en 1704 alors qu’elles avaient prohibé tout commerce avec la France deux ans auparavant244. En outre, Guillaume III n’ayant pas de successeur en ligne directe, la question de sa succession contribua à rapprocher les Provinces-Unies de l’Angleterre : imposer un successeur protestant constituait une priorité, afin de préserver les positions de la religion réformée245. Le 10 février 1701, le Parlement anglais rappelait que les princes catholiques étaient exclus de la succession au trône246.
130On retrouve l’ensemble de ces motifs et de ces craintes explicitement développés dans le Manifeste, contenant les raisons qui obligent les États-Généraux des Provinces-Unies des Païs Bas, de déclarer la guerre à la France & à l’Espagne (1702)247. Ce document parut sous la forme d’une feuille volante ; il était donc destiné au plus grand nombre. Les raisons de la déclaration de guerre y sont clairement exprimées. L’auteur, loin de s’en tenir à une simple énonciation, en donne une présentation organisée et argumentée, afin de souligner la bonne foi des alliés. Le manifeste lève le voile sur les enjeux et les dangers que constitue la présence d’un petit-fils de Louis XIV à Madrid. En cela, il sert à démontrer l’utilité d’une guerre, mais cette explication des arcana imperii souligne, à l’inverse, que le sujet faisait débat et qu’un conflit n’était pas la seule solution envisagée : on espérait encore sauvegarder la paix.
131Le manifeste s’articule autour de trois idées ou arguments qui se renforcent les uns les autres. En premier lieu, on rappelle les deux attaques de Louis XIV contre les Provinces-Unies. Le discours commence ainsi par un appel à la mémoire, celle des années 1672 et 1688, lorsque la république batave fut attaquée dans ses possessions, preuve tangible de la volonté du roi de France de s’en emparer. Le traité de Ryswick représentait le dernier effort déployé par les alliés pour trouver la paix. Là encore, Louis XIV était mis en accusation : il n’avait pas respecté le traité et avait cherché à se soustraire aux engagements qu’il avait pris, notamment sur le plan commercial. Enfin, plus récemment, le roi de France avait choisi de ne pas exécuter le traité de partage prévu pour la succession de Charles II. Autant de signes manifestes de la mauvaise volonté du roi, qui reniait ses engagements pour assouvir ses ambitions.
132L’aspiration à la monarchie universelle constitue le deuxième élément de l’argumentaire hollandais. Cet argument avait déjà été largement utilisé pour condamner la politique de Louis XIV durant les guerres précédentes. Le manifeste insiste sur la mainmise que le roi de France exerçait sur le gouvernement de l’Espagne :
Le roi de France a commencé aussitôt à gouverner despotiquement, tant à l’égard de la police que de la guerre, les roiaumes & domaines d’Espagne, sous le nom de son petit-fils, & les a tellement réunis aux siens, que le tout n’est plus que comme une même monarchie & un seul gouvernement.
133Les Pays-Bas espagnols avaient par exemple été confiés — ou « délaissez & cedez », selon l’opinion de l’auteur — à Louis XIV. Il s’agissait d’une délégation de pouvoir qui ne transforma en rien l’ordre institutionnel du royaume248 mais qui provoqua l’ire des puissances maritimes et surtout de la Hollande.
134Outre l’atteinte à ce « rempart de l’État », le manifeste mettait en évidence les risques qui pesaient sur la liberté de commerce. Cette menace sur la liberté revendiquée pour le négoce forme le troisième élément de l’argumentation. Contrairement à ce qui était prévu à l’article 15 du traité de Ryswick, Louis XIV refusa de mettre en place un nouveau tarif et continua à imposer des taxes sur les négociants hollandais installés en France. Depuis la montée du duc d’Anjou sur le trône d’Espagne, il « s’est emparé des ports de mer d’Espagne, de Naples, de Sicile, & des autres îles de la Méditerranée […]. Il s’est aussi saisi des Indes, s’est rendu maître par cette voie de tout le commerce de l’Europe, & s’est mis en pouvoir d’en exclure & nous & les autres… ». Il est vrai que Louis XIV avait envoyé une escadre aux Indes pour ramener une flotte chargée de métaux précieux. Les menaces que le roi de France faisait peser sur le commerce constituaient un argument particulièrement sensible pour les milieux négociants, les moins enclins à vouloir la guerre et les plus désireux de trouver un accommodement. Elles étaient d’autant plus dangereuses pour le commerce, que les royaumes de France et d’Espagne étaient désormais « animez d’un même esprit ». L’argument du commerce méditerranéen semble avoir eu une résonance assez forte puisqu’on le retrouve dans une chronique italienne de la guerre au début du xviiie siècle249.
135Le non-respect des traités, l’aspiration à une puissance sans limite et la volonté de contrôler le commerce indisposaient les autorités de la République, qui s’en servaient pour mobiliser le parti de la guerre. Le Manifeste recourait à des arguments différents mais se renforçant les uns les autres, pour mieux convaincre de la nécessité d’une guerre. L’union des couronnes était assimilée à un mariage contraint entre la France et l’Espagne. Une gravure illustra cette conception des rapports franco-espagnols (fig. 1). Publiée en néerlandais et en français, à Bruxelles selon la légende, elle était donc destinée aux sujets du roi de France comme aux Hollandais.
136Sur la gauche du tableau, on peut ainsi voir une figure féminine, allégorie de l’Espagne, poussée dans les bras de « Don-Quichot ». Ce personnage, masqué, est accompagné d’un chien agressif qui menace « Spagnolette ». De plus, on distingue derrière lui, un document sur lequel est inscrit « faux testament » (Vals testament). Il s’agit d’une référence aux dernières volontés de Charles II, que les alliés tenaient pour fausses. Le thème du faux testament revint d’ailleurs à de nombreuses reprises dans la littérature pamphlétaire des alliés. Dans le médaillon placé au-dessus de l’ouverture, il y a une évocation du siège de Barcelone, peut-être celui de 1697 par les troupes de Louis XIV.
Les espérances de Louis XIV
137La succession espagnole mêlait étroitement des intérêts dynastiques et des préoccupations commerciales. Pour l’empereur Léopold, il s’agissait de conserver le lien qui l’unissait à la cour de Madrid. La présence d’un membre de la même maison royale contribuait ainsi à créer une communauté d’intérêts entre les membres de la maison d’Autriche, qu’ils soient à Madrid ou à Vienne. Le testament de Charles II signifiait un accroissement de la puissance française qui représentait une menace pour l’Empire. De plus, en l’acceptant, l’empereur perdait tout ce qui avait été prévu par le traité de partage. Les possessions italiennes, auxquelles il était attaché, lui échappaient complètement. Or, le duché de Milan était un feude impérial, pour lequel l’empereur donnait l’investiture. Léopold était très désireux que ce territoire restât dans le giron de la maison impériale.
138Pour Louis XIV, accepter le testament de Charles II recouvrait plusieurs enjeux. Il y avait tout d’abord la possibilité de voir un prince issu de sa Maison régner à Madrid. Même si les souverains entretenaient tous des liens de famille entre eux, ils avaient comme premier objectif de défendre ceux de leur propre Maison. Placer son petit-fils à la tête de la monarchie hispanique constituait, pour le roi de France, la possibilité d’établir de nouveaux rapports politiques, diplomatiques et commerciaux avec la puissance voisine.
139Outre les enjeux dynastiques, des préoccupations commerciales poussèrent Louis XIV à accepter le testament. Si ses ambitions militaires, territoriales et « diplomatiques » ont déjà été bien analysées, ses aspirations commerciales ne sont jamais clairement apparues. Le rôle de ministres comme Colbert, puis les Pontchartrain père et fils est bien mieux connu. Leurs actions dans le domaine économique ont fait l’objet de plusieurs études. Les travaux de Pierre Clément sur Colbert et ceux de Charles Frostin sur les Pontchartrain ont démontré l’attention permanente portée par les contrôleurs généraux des finances ou les secrétaires d’État de la marine, aux questions commerciales. L’étude des cercles négociants et financiers, ainsi que de leurs liens avec le pouvoir et les ministres de Louis XIV, a été renouvelée par les travaux d’Herbert Lüthy, Daniel Dessert ou André Lespagnol. Si ces apports ont contribué à améliorer notre connaissance des milieux économiques, la capacité des élites négociantes à peser sur les décisions royales, à les prévenir, les accentuer ou les nuancer reste relativement méconnue.
140L’image du « roi de guerre » semble l’emporter sur toutes les autres. Pourtant, la chronologie du long règne de Louis XIV mérite d’être reprise, notamment pour souligner une attention croissante du souverain à ces questions. La première partie du règne, dominée par la figure de Colbert, fut également celle d’un supposé désintérêt du roi pour le négoce. Dans les dernières années, il apparaissait plus sensible à ces questions commerciales, notamment lors de la paix de Ryswick ou lors de la guerre de Succession d’Espagne. Le temps et les difficultés, ou la prise de conscience que sans le commerce, le trésor royal demeurait vide, sont peut-être venus à bout de ses réticences. On peut ainsi se demander dans quelle mesure la politique extérieure de Louis XIV fut conditionnée par des impératifs commerciaux et comment il pouvait être sensibilisé à ces questions. En d’autres termes, peut-on parler d’une « diplomatie commerciale » à la fin du règne de Louis XIV ?
141À plusieurs reprises, des décisions semblent illustrer cette préoccupation croissante, avant même la guerre de Succession d’Espagne à propos de laquelle, comme nous l’avons déjà souligné, le roi reconnut qu’il s’agissait d’une guerre pour le commerce. D’ailleurs, l’« union des couronnes » fut décriée par les puissances maritimes, car elle constituait une menace pour leur commerce. La constitution de la Grande Alliance à La Haye en 1701, puis le ralliement du Portugal par le traité de Methuen, à forte dimension commerciale, soulignent l’importance de ces questions dans le déclenchement de la guerre.
142Dans un libelle paru en 1701, ces mêmes arguments sont détournés pour appuyer la candidature du duc d’Anjou. Préparé et publié à des fins de propagande, ce document de 1701 dont l’auteur serait natif d’Amsterdam se présente comme la traduction en espagnol d’un écrit allemand et est intitulé Carta de un cavallero olandes, que reside en Hamburgo, al Magistrado de la ciudad de Amsterdam. Les multiples exemplaires conservés aujourd’hui attestent d’une très large diffusion250. Dans cette lettre, l’auteur s’adresse à un magistrat d’Amsterdam pour justifier auprès de lui la légitimité de Philippe V. Né dans « l’entrepôt de toute l’Europe251 », c’est-à-dire Amsterdam, il met en évidence la mauvaise foi des alliés. Selon lui, on ne peut pas assimiler les relations entre les deux monarchies à une union puisque les deux couronnes ne sont pas réunies.
143Les Provinces-Unies refusaient l’avènement du duc d’Anjou au trône d’Espagne en raison de l’union de deux puissances qui en résulterait. Pour répondre à ces craintes, l’auteur défend l’idée de la nullité des renonciations de Marie-Thérèse. Il conteste également les droits de l’empereur sur le duché de Milan, le Luxembourg et d’autres États, qui seraient des feudes impériaux. Depuis leur agrégation à la monarchie hispanique au temps de Philippe II, les Rois Catholiques n’avaient jamais reconnu la moindre dépendance à l’Empire. De plus, ces territoires avaient largement contribué à la défense de l’Empire depuis Charles Quint252. Comme pour mieux dissuader les alliés de faire une guerre, l’auteur rappelle que Louis XIV a réussi à mettre sur pied quatre armées, dans les Pays-Bas, sur le Rhin, en Catalogne et en Italie. Enfin, le coût de la guerre et la ruine du commerce devaient achever de les convaincre.
144Ainsi, la nouvelle « union des couronnes » s’inscrit dans un contexte à plusieurs niveaux. Le premier d’entre eux correspond à ce que l’on appelle la « scène européenne ». Il se caractérise par les aspirations de plus en plus fortes à un équilibre des puissances. Derrière cette stabilité recherchée, il faut déceler la volonté de mettre un terme aux tentatives d’hégémonie du roi de France et de le « maintenir dans ses bornes », selon une expression souvent employée à l’époque. Voir le petit-fils de Louis XIV succéder à Charles II constituait une perspective inquiétante pour les puissances protestantes, Angleterre et Hollande en tête, comme pour leurs voisins, à l’image du duc de Savoie et du roi de Portugal, qui firent défection du camp bourbonien, le premier en 1702 et le second en 1703.
145Le deuxième niveau est enchâssé dans le premier puisqu’il tient aux relations franco-espagnoles. Celles-ci restent marquées par les rapports conflictuels qu’ont entretenus les souverains de part et d’autres des Pyrénées. Si la guerre semble avoir dominé, les périodes de paix, voire de concorde et d’alliance, n’ont pas été inexistantes. Précédant ou concluant un rapprochement entre les princes, par un mariage comme en 1615 ou en 1659 par exemple, ces intermèdes revivifiaient les désirs d’harmonie entre les deux puissances. Durant la seconde moitié du xviie siècle, la société espagnole souffrit à de nombreuses reprises et dans de multiples endroits des attaques de Louis XIV. Toutefois, si ce siècle resta marqué par le fer et le feu des conflits, ces derniers ne purent jamais éteindre la fascination ni l’attrait qu’exerçait la monarchie de Louis XIV, dont les armées apparurent comme le seul rempart contre un démembrement de la monarchie hispanique. Pour le roi de France, les Pays-Bas du Roi Catholique et le Roussillon constituaient des frontières qu’il fallait repousser. Au « rêve italien » qui poussa Charles VIII, François Ier et Henri II au-delà des Alpes, succéda un « songe espagnol » qui guida autant Louis XIII que Louis XIV. La monarchie hispanique était le voisin au détriment de qui le royaume de France pourrait s’agrandir. En cela, les souverains trouvaient dans les prophéties d’une réunion et les rêves de réunification religieuse des alliés puissants de leurs désirs de grandeur. À ces desseins politiques et territoriaux, le commerce et l’Amérique allaient donner tout leur sens. En effet, au siècle du mercantilisme, l’or et l’argent venus du Nouveau Monde attiraient toutes les convoitises. Le commerce, principale voie du transfert des métaux précieux depuis l’Amérique vers le royaume de France, en passant (ou non) par Cadix et Séville, revêtait dès lors un caractère stratégique nouveau. Il constitua l’un des motifs qui engagèrent l’Angleterre et les Provinces-Unies à refuser ne serait-ce que l’éventualité d’une « union des couronnes ». Si le rôle des milieux négociants est bien connu pour ces deux pays, où le Parlement et les États-Généraux relayaient leurs préoccupations, ces dernières n’étaient pas totalement absentes ou ignorées des cours de Versailles et de Madrid.
Notes de bas de page
1 Louis XIV après avoir demandé s’il devait accepter le testament de Charles II. Saint-Simon, Mémoires, t. VII, p. 318.
2 Cosandey, 2007, p. 64.
3 Crespo Solana, 2006, pp. 82-83.
4 Séré, 2007, p. 266.
5 Bérenger, 2001, pp. 50-51.
6 Mignet, Négociations relatives à la succession d’Espagne.
7 « Francia, desde que se firmó la Paz de los Pirineos, no se ha aplicado a otra cosa que a fabricar nuestra ruina » (cité dans Yetano Laguna, 2009, p. 360).
8 La France sans borne, comment arrivée à ce pouvoir suprême, et par la faute de qui, Cologne, Pierre de Marteau, 1684, p. 15, cité dans Ferrier-Caverivière, 1981, p. 335.
9 « L’état des deux couronnes de France et d’Espagne est tel aujourd’hui, et depuis longtemps dans le monde, qu’on ne peut élever l’une sans abaisser l’autre. Cela fait entre elles une jalousie qui leur est, si je l’osais dire, essentielle, et une espèce d’inimitié permanente que les traités peuvent couvrir, mais qu’ils n’éteignent jamais, parce que le fondement en demeure toujours, et que l’une d’elles travaillant contre l’autre, ne croit pas tant nuire à autrui, que se maintenir et se conserver soi-même, devoir si naturel qu’il emporte facilement tous les autres » (« Mémoires pour l’année 1661 », dans Louis XIV, Mémoires pour l’instruction du Dauphin, p. 70).
10 Bély, 1992, p. 227.
11 Sur la dynamique politico-constitutionnelle qui anima le royaume de Portugal dans la deuxième moitié du xviie siècle, voir Cardim, 2001, pp. 117-140.
12 Bély, 1992, p. 229.
13 Ibid., p. 244.
14 Article 4 du traité de Douvres : « Il est aussi convenu et accordé que, s’il échéait ci-après au roi Très-Chrétien de nouveaux titres et droits que la monarchie d’Espagne, que ledit seigneur roi de la Grande-Bretagne assistera sa majesté Très chrétienne de toutes ses forces, tant par mer que par terre, pour lui faciliter l’acquisition desdits droits : le tout suivant les conditions particulières dont lesdits seigneurs rois se réservent de convenir, tant pour la jonction de leurs forces, après que le cas de l’échéance desdits titres et droits sera arrivé, que pour les avantages que ledit seigneur roi de la Grande Bretagne pourra raisonnablement désirer ; et lesdits seigneurs rois s’obligent réciproquement dès à présent de ne faire aucun traité de part ni d’autre pour raison desdits nouveaux droits et titres, avec aucun prince ou potentat, quel que ce puisse être, que de concert et du consentement de l’un et de l’autre » (Mignet, Négociations relatives à la succession d’Espagne, t. III, p. 191). Sur l’importance de ce traité de Douvres, voir Vast, Les grands traités, t. II, p. 24-25 ;.
15 Sonnino, 1988.
16 Lemmink, Koningsbrugge (dir.), 1990. Sur l’importance de la Baltique pour le commerce du royaume de France, on se reportera à Pourchasse, 2006.
17 Cornette, 2000a, pp. 108-110.
18 Bély, 2009, p. 653.
19 Sur ce premier rapprochement entre la monarchie espagnole et les Provinces-Unies, voir Herrero Sánchez, 1995, pp. 103-118.
20 Ibid., pp. 107 et 115.
21 Bély, 1992, p. 252.
22 Israel, 1967, t. I, p. 118.
23 Ribot García, 2002, pp. 84-92.
24 Serrano de Haro, 1992, pp. 559-584.
25 Le traité de commerce et de navigation a été édité dans Vast, Les grands traités, t. II, pp. 63-78.
26 Burke, 1995, pp. 104-127.
27 Le Roy Ladurie, 2000, p. 291.
28 Crespo Solana, 2009, p. 140.
29 Crespo Solana, 2006, pp. 80-81.
30 Bély, 1992, p. 292.
31 Bluche, 1986, p. 625.
32 Bély, 1992, p. 359 ; Bluche, 1986, p. 626.
33 Usunáriz, España y sus tratados internacionales, p. 464.
34 Espino López, 1999, pp. 190-191.
35 Bluche, 1986, pp. 646-647.
36 Le Consejo de Estado ressemblait peu à son homonyme français. Il s’agissait d’un conseil où les grands seigneurs de la monarchie se retrouvaient pour délibérer notamment de la politique étrangère. Par les thèmes traités, il correspondait moins au conseil d’État qu’au conseil d’En haut de Louis XIV.
37 Fernández Nadal, 2009, p. 371.
38 Bély, 1992, p. 370.
39 Tratado de paz ajustado entre las Coronas de España, y Francia en 20 de septiembre de 1697, fo 4. Le traité fut signé le 20 septembre 1697. Charles II le ratifia le 8 octobre suivant. Le traité est édité dans Abreu y Bertodano, Colección de los tratados de paz, parte III, pp. 436-462 et Usunáriz, España y sus tratados internacionales, pp. 472- 482.
40 Antonio Serrano de Haro évoque cette cession, tout en reconnaissant qu’il n’a jamais eu accès à la documentation permettant de l’étayer. Serrano de Haro, 1995, p. 133. Charles Frostin écrit : « Au mois de septembre 1697, l’achèvement des laborieuses négociations de Ryswijk apportait aux colons un autre sujet de satisfaction avec la reconnaissance officielle par Madrid de l’existence de la partie française de Saint-Domingue. C’était enfin la levée d’une redoutable hypothèque, les Espagnols ayant jusque-là “toujours regardé cette possession comme usurpée” » (Frostin, 1975, p. 136). Voir également Blancpain, 2007, pp. 305-329.
41 Ramos (dir.), 1999, p. 291.
42 AGI, Gobierno, Santo Domingo, leg. 303, lettre du Conseil des Indes à Charles II, 13 novembre 1688.
43 Actes et mémoires des négociations de la paix de Ryswick, t. III, pp. 219-275.
44 « Jamás se les ha confesado [a los Franceses] jurisdicción legítima en ninguna capitulación de paces » (Pérez, 1973, pp. 48-49).
45 Fernández Nadal, 2009, pp. 329-330. L’Armada de Barlovento était le nom donné à l’escadre chargée de surveiller et de protéger les côtes du golfe du Mexique. Mise en place après une attaque contre Campeche en 1635, elle était financée par des taxes recouvrées localement. Durant la guerre de Succession, la capitane de l’Armada assura le retour de métaux précieux en France et en Espagne. Elle est souvent évoquée dans la correspondance d’Amelot. Pérez Galaz, 1944, p. 28. Piña Chán (dir.), 2003, s. v. « Campeche en la monarquía española », t. II, pp. 641-674.
46 Gutiérrez Escudero, 1982, p. 64-65. Guttiérez Escudero note également que le traité de Ryswick n’avait résolu aucune des questions frontalières. Le premier traité des limites entre la partie française et espagnole date seulement de 1777. Il s’agit du traité d’Aranjuez qui établit de manière officielle la frontière entre les deux communautés. En 1702, le gouverneur Severino de Manzaneda demanda à Philippe V de solliciter de son grand-père que ses sujets dépendissent de la couronne espagnole. Le gouverneur profita ainsi de la proximité des deux branches afin de régler les incessantes difficultés de voisinage. AGI, Santo Domingo, carton 236, junta de guerra de Indias à Philippe V, 26 août 1700 ; Santo Domingo, carton 250, Manzaneda à Philippe V, 5 janvier 1702.
47 Fernández Nadal, 2009, p. 369.
48 Lorsque Charles Quint abdiqua en faveur de Philippe II, il laissa l’État siennois à Cosme de Médicis le 3 juillet 1557, « in feudum nobile, ligium et honorificum », à l’exception d’Orbetello, Porto Ercole, Porto Santo Stefano, Talamone et le Monte Argentario. Ces territoires formaient les présides toscans. Voir Ciuffoletti, Rombai, 2000, p. 13.
49 ADM, Archivo Histórico, leg. 8, ramo 5, lettre de l’électeur de Bavière au duc de Medinaceli, 18 septembre 1700, Bruxelles, fo 24.
50 Bérenger, 2004, p. 408.
51 Ibid., p. 410.
52 Fernández Nadal, 2009, p. 376.
53 AHN, Sección Nobleza, Torrelaguna, C. 334, D. 2, Papel que el embajador Harcourt escrivió al rey Carlos Segundo, s. d.
54 Fernández Nadal, 2009, p. 403.
55 Ibid., p. 411.
56 Domínguez Ortiz, 1963-1970 ; Kamen, 1981.
57 Cette « légende noire » aurait été employée la première fois par Julián Juderías dans son livre La Leyenda negra y la verdad histórica (Salamanque, 1914) pour désigner l’image très négative que les étrangers entretenaient à propos des Espagnols et de leur histoire. Cette publication est d’ailleurs à replacer dans le contexte politique de l’époque, marqué par les indépendances américaines et de la guerre contre les États-Unis (1898). García Cárcel, 1992, pp. 12-14 ; Un Holandés en la España de Felipe IV, p. 60.
58 Bély, 1999, pp. 195 sqq.
59 Manuel Ier de Portugal épousa à trois reprises des princesses espagnoles, tandis que Charles Quint se maria avec Isabelle de Portugal. Sur les combinaisons ainsi créées, voir Bennassar, 2006, pp. 43-48.
60 Álvarez López, 2008, p. 359 ; Valladares, 1997 ; Id., 2000.
61 Levillain, 2010, p. 28.
62 Álvarez López, 2008, p. 117.
63 Séré, 2006.
64 Cosandey, 2000, p. 75.
65 Álvarez López, 2008, p. 256.
66 Losada Goya, 1999.
67 Sebastián García de Prado était le fils d’un comédien. Il reprit la compagnie de son père à sa mort en 1651. En 1659, il avait une compagnie avec Juan de la Calle. Il se rendit à Paris à l’occasion du mariage de Marie-Thérèse d’Autriche avec Louis XIV. En 1661 et 1662, il donna plusieurs représentations d’autos à Madrid, notamment l’un de ceux écrit par Calderón de la Barca. Après la mort de sa femme, il se retira au couvent de l’Espiritu Santo à Madrid, fut ordonné prêtre et se rendit à Rome. Il mourut en 1685. Voir Hugo Albert Rennert, The Spanish Stage in the Time of Lope de Vega, New York, s. n., 1909, consulté sur le World Biographical Index, K. G. Saur.
68 Álvarez López, 2008, p. 257.
69 Arredondo Sirodey, 1984, p. 202.
70 Álvarez López, 2008, pp. 258-259.
71 Duccini, 2003.
72 Jeanmougin, 2005.
73 Álvarez López, 2008, p. 262.
74 Louis XIV, Mémoires pour l’instruction du Dauphin, p. 70. Álvarez López, 2008, pp. 263-267.
75 La Gravette de Mayolas, La glorieuse alliance de la France avec l’Espagne ; Álvarez López, 2008, p. 293.
76 Motteville, Mémoires, p. 522. Cette référence m’a été très aimablement communiquée par Matthieu Lahaye, qu’il en soit chaleureusement remercié.
77 Sabatier, 2009, p. 6.
78 Motteville, Mémoires.
79 Selon Alfred Morel-Fatio, la Relation du voyage d’Espagne de Mme d’Aulnoy n’était qu’une reprise d’autres mémoires parmi lesquels on trouve ceux du marquis de Villars. Morel-Fatio, 1888-1925, t. I, pp. 191-192.
80 Guillamón Álvarez, 2005, pp. 9-27 ; Thompson, 2005, pp. 31-56.
81 Thompson, 2005, p. 36.
82 De même que le roi d’Espagne disposait d’enclaves en Toscane (Orbetello, Porto Ercole, Porto Santo Stefano, Talamone et le Monte Argentario), il en avait en Afrique du Nord. Au début du règne de Philippe V, les présides africains étaient : Ceuta, Melilla, les îles Alhucemas et le Peñón de Vélez de la Gomera.
83 Gruzinski, 2006, p. 37.
84 Elliott, 1992, pp. 48-71. Néanmoins, l’expression composite state avait déjà été utilisée par Helmut G. Koenigsberger en 1975 pour qualifier, entre autres, la monarchie espagnole. Fernández Albaladejo, 2010, pp. 145-171.
85 Cité par Schaub, 2001, p. 73.
86 L’expression « mer du Sud » désignait à l’époque moderne l’océan Pacifique et les riches territoires espagnols qui s’y trouvaient. S’y attachait tout un imaginaire d’Eldorado que la simple dénomination géographique contemporaine ne peut pas rendre.
87 Braudel, 1976.
88 Martínez Shaw, Oliva Melgar (dir.), 2005.
89 Pietschmann (dir.), 2002.
90 Emmer, 2008.
91 Martínez Shaw, Oliva Melgar (dir.), 2005, p. 12.
92 Si une partie de l’argent saisi fut remis dans les caisses du trésor royal (Real Hacienda), une part importante avait été mise à l’abri. De plus, entre 1636 et 1639, des licences furent concédées afin de permettre l’entrée de marchandises françaises nécessaires. Le montant des produits ainsi introduits s’élevait à plus de quatre millions de ducats et cela rapporta 438 000 ducats à la Real Hacienda. Alloza Aparicio, 2005, pp. 153-154.
93 Martínez Shaw, Oliva Melgar (dir.), 2005, p. 14.
94 Girard, 1932 ; Malamud Rikles, 1986.
95 Kamen, 2002, p. 427.
96 Havard, Vidal, 2006, p. 122.
97 Priotti, Saupin (dir.), 2008, p. 17.
98 Comme l’a souligné Serge Gruzinski, les rapports entre la couronne de Castille et celle des Indes ne correspondaient pas à ceux d’une métropole et de sa colonie, dans le sens qu’ils ont eu à partir du xixe siècle. Nous préférons donc employer des guillemets. Voir Gruzinski, 2001, p. 92.
99 Gruzinski, 2006, p. 46.
100 AGI, Gobierno, Santa Fe, leg. 435, correspondance de José de Zúñiga y de la Cerda, gouverneur de Carthagène des Indes. Il prit possession de ce poste en 1706 après avoir servi dans les Flandres et en Floride. Voir également AGI, Mapa, Venezuela, leg. 73, lettre de José de Zúñiga, 1er décembre 1707 ; AMAE, Cor. pol., Esp., t. 164, lettre de Pontchartrain à Amelot, 2 juin 1706, fos 213-216 ; AN, Marine, B2 198, lettre de Pontchartrain à Daubenton, 17 juillet 1707, fo 242.
101 Gruzinski, 2006, p. 277.
102 Escamilla González, 2001, pp. 157-178.
103 Gruzinski, 2006, p. 49.
104 Herzog, 2003.
105 « La perspective “globale” dans laquelle nous nous engageons est imposée par l’espace que couvre notre objet, la Monarchie catholique » (Gruzinski, 2001, p. 117). De même, John Elliott écrit dans l’introduction de son livre Imperios del Mundo atlántico qu’il est temps de « s’écarter de l’histoire de l’Espagne de los Austrias et de l’Europe, et de regarder sans retard l’interaction espagnole avec ses possessions ultramarines » (Elliott, 2006, p. 19).
106 Reynald, Louis XIV et Guillaume III, t. I, pp. 100-106.
107 Lettre de Louis XIV à Tallard, 16 mai 1698, éditée dans Reynald, Louis XIV et Guillaume III, t. I,, p. 106.
108 Elliott, 2006, p. 344.
109 L’usage a consacré l’emploi du mot « principat » pour désigner la Catalogne à l’époque moderne. Nous reprenons ainsi la terminologie de Pierre Vilar. Vilar, 1977, t. I, p. 122.
110 Jeanmougin, 2005, p. 3.
111 Denys, Paresys, 2007, p. 82.
112 Ibid., p. 84.
113 Jeanmougin, 2005, pp. 156-158.
114 Denys, Paresys, 2007, p. 149.
115 Cité dans Denys, Paresys, 2007, p. 150.
116 Ayats, 2002 ; Stewart, 1997 ; Jané Checa, 2001.
117 Jané Checa, 2006, pp. 107, 113-114.
118 Jané Checa, 2010. Voir aussi García Cárcel, 1998.
119 Sabio Checa, 1987, p. 136.
120 Espino López, 1996.
121 Sabio Checa, 1987, p. 137.
122 Cité dans Sabio Checa, 1987, p. 140.
123 Jané Checa, 2006, p. 85.
124 Sur ce sujet voir la mise au point historiographique d’Amalric, 1994, pp. 413-430.
125 Espino López, 2007, p. 12.
126 Ibid., p. 22.
127 Ibid., p. 293.
128 Consulte du Conseil d’Aragon, 1690 : « Puisque l’on a informé Sa Majesté que l’on négocie toujours avec eux [les Français] comme en temps de paix, à travers les frontières du royaume d’Aragon » (dans Espino López, 2007, p. 297).
129 Consulte du Consejo de Estado (citée dans Espino López, 2007, p. 297).
130 L’ensemble des îles que l’on appelle aujourd’hui les Baléares correspondait à l’époque moderne au territoire du « royaume de Majorque et des îles adjacentes ». L’île de Majorque reçut le titre de royaume alors que les autres îles lui étaient rattachées. On emploie ici l’expression par commodité de langage. Planas, 2001.
131 Espino López, 2008, p. 128.
132 Ibid., p. 109.
133 Ibid., p. 147.
134 Storrs, 1997, p. 380.
135 « … ningun Principe avia en toda Italia que no fuesse vassallo del Papa o del Cesar » (cité dans Veronelli, 1998, p. 160).
136 ADM, Archivo Histórico, leg. 6, ramo 3, nos 1-78 : janvier-décembre 1700, Cæsarea confirmatio Investiturarum, seu nova investitura Feudalis Status Mediolani facta per Imperatorem Rudolphum in Pontentissimum Regem Philippum Secundum, & successores tàm masculos, quàm fœminas, s. d. [Mémoire imprimé de l’investiture de l’État de Milan par l’empereur Rodolphe au roi Philippe II et à ses successeurs en 1579], fo 77 sqq.
137 Parker, 1972.
138 Ciuffoletti, Rombai, 2000, p. 15.
139 Sella, Capra (dir.), 1984, pp. 16-17.
140 Rowlands, 2000, pp. 534-569.
141 Storrs, 1999.
142 Pritchard, 2004, p. 301.
143 Buchet, 1991, t. I, p. 194.
144 Ibid., t. I, p. 202.
145 Ibid., t. I, pp. 177-179 ; Matta Rodríguez, Navarro García, 1979.
146 Crouse, 1966, p. 244, cité dans Frostin, 1975, p. 135.
147 Stein, Stein, 2002, p. 148.
148 Lugan, 1994, p. 66.
149 Pritchard, 2004, p. 355.
150 Ibid., p. 43.
151 Maquart, inédite ; Ead., 2000.
152 Ribot García, 2006, p. 207.
153 Álvarez-Ossorio Alvariño, 2004b, pp. 99-123 ; Id., 1995, pp. 393-453.
154 Ribot García, 2006, p. 210.
155 Álvarez-Ossorio Alvariño, 2009, p. 138.
156 Ribot García, 2006, p. 212.
157 Álvarez López, 2008, pp. 106-107.
158 Ibid., p. 108.
159 Ibid., p. 317.
160 Instruction du roi au comte de Marsin, 7 juillet 1701, dans Recueil des instructions données aux ambassadeurs, t. XII, vol. 2, p. 6.
161 Ibid., p. 7.
162 Álvarez-Ossorio Alvariño, 2009, p. 144. Voir également, Sánchez Gómez, 1991, pp. 80-96.
163 Instruction du roi au comte de Marsin, 7 juillet 1701, dans Recueil des instructions données aux ambassadeurs, t. XII, vol. 2, p. 26.
164 Ibid., p. 11.
165 Ibid., p. 10.
166 Ibid.
167 « L’espace du roi est la scène de sa représentation comme souverain. À la cour d’Espagne, peut-être plus que dans d’autres, on prétendait que toute cette théâtralité répondait à des normes très anciennes et immuables, car il fallait créer l’illusion d’une permanence atemporelle » (Sancho, 2009, p. 119).
168 Storrs, 2006, p. 11.
169 Ribot García, 2006, p. 219.
170 Les millones correspondaient à des taxes sur la consommation de différents produits. Elles avaient été établies par les Cortes de Castille à la fin du xvie siècle.
171 Pour une excellente mise en perspective du concept de néoforalisme dans l’historiographie, voir Álvarez-Ossorio Alvariño, 2001, t. I, pp. 1061-1089.
172 L’insaculación est le procédé par lequel les magistrats, les regidores ou alcaldes étaient choisis. Il consistait en un tirage au sort de boules placées dans un sac, sur lesquelles étaient inscrits les noms des candidats. Très répandu en Aragon depuis le xive siècle, à Saragosse depuis 1441, à Barbastro depuis 1454, à Alcañiz depuis 1479, etc., ce privilège octroyé par le roi fut étendu, notamment aux municipalités (municipios) catalanes, par Ferdinand II d’Aragon. Toutefois, le roi ne cessa de revenir sur ce procédé en se réservant le droit de pourvoir aux charges municipales, comme à Saragosse en 1487, ou en intervenant dans le processus, par le choix des noms à placer dans les bolsas de insaculación. Cette altération culmina à la fin du xviie siècle avec la confiscation des bolsas, comme à Albarracín en 1696, puis à Saragosse ou encore à Teruel en 1697. La bibliographie sur ce sujet est abondante. L’idée d’un « néoforalisme » durant le règne de Charles II, c’est-à-dire de la revitalisation des privilèges ou fueros, a été depuis critiquée. On se reportera à Torras i Ribé, 1993, 1994, 1996 ; Gil Pujol, 2001.
173 Molas Ribalta, 1990, p. 84.
174 Une synthèse de ces aspects dans Molas Ribalta (dir.), 1993, pp. 163-178. On se reportera également avec profit à l’ouvrage collectif qui dressa un bilan de cette évolution historiographique : Thompson, Yun Casalilla (dir.), 1994.
175 Sanz Ayán, 2001.
176 Sanz Ayán, 2001, p. 200.
177 Ibid., pp. 208-209.
178 Baltar Rodríguez, 1998, p. 121.
179 Molas Ribalta (dir.), 1993, p. 165.
180 Concédé à l’origine par une bulle du pape Sixte IV aux Rois Catholiques afin de financer l’expédition de Grenade, cet impôt correspondait théoriquement au dixième des rentes ecclésiastiques. Il fut remplacé par une quantité d’argent fixe et renouvelé à plusieurs reprises.
181 Sánchez Belén, 2000, pp. 88-89. Voir également Id., 1992 et Id., 1996.
182 Sánchez Belén, 2000, p. 91.
183 Ibid., p. 92.
184 Cervera Pery, 1997, p. 16. Voir également García Garralón, 2005.
185 Sánchez Belén, 2000, p. 94.
186 Molas Ribalta (dir.), 1993, p. 170 ; Sanz Ayán, 1988, pp. 101-104, 207-210 et 269-276.
187 Les annates étaient une taxe perçue par Rome sur les bénéfices ecclésiastiques. Le droit de media annata fut imposé en 1631 par Philippe IV sur tous les offices et les charges ; il correspondait à un montant égal à la moitié des revenus annuels de l’office ou de la charge, imposé à chaque nouveau titulaire. Sanz Ayán, 2004, p. 64.
188 Yun Casalilla, 1999.
189 Ibid., p. 48.
190 Ibid., p. 52.
191 Ibid., p. 54.
192 Ibid., p. 62.
193 Le marquis de Mancera résuma explicitement cette alternative. Castro, 2004, p. 35.
194 Testamento y codicilo cerrados, otorgados por la Magestad Catholica del Señor Rey D. Carlos II, en que fue declarado por legitimo Successor de la Monarchía de España el Señor D. Phelipe de Borbón, duque de Anjou, hijo segundo del sereníssimo Señor Delphin de Francia, como nieto del Rey Christianissimo Luis XIV, y de la Señora Doña Maria Teresa de Austria, hija mayor del Señor Rey Catholico D. Phelipe IV, con expressa prohibición de unirse las Coronas de España y Francia en un mismo príncipe: otorgado el testamento en la villa de Madrid à 3 de octubre de 1700, y el codicilo en la dicha villa el día 21 del mismo mes, y año, que uno, y otro se abrió, y publicó con la solemnidad del derecho en primero de Noviembre del dicho año, dans Abreu y Bertodano, Colección de tratados de paz, parte III, vol. 2, pp. 695-697. Coxe, 1827, t. I, p. 109.
195 Harcourt, Avènement des Bourbons, t. I, p. 145.
196 Extrait du testament de Philippe IV, dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. VIII, partie 1, p. 25.
197 AMAE, Mém. et doc., France, t. 447, « Mémoire de M. de Quiros qui notifie aux Estat Généraux l’acception faite par Louis XIV du testament de feu S. M. C. Charles II en faveur de Mgr le duc d’Anjou », 24 novembre 1700, fos 1-8.
198 Il rejoignit le camp impérial en 1710 après avoir été longtemps soupçonné par Amelot et Torcy. En 1705, il avait obtenu le corregimiento de Quito, sans doute pour entretenir sa fidélité. AMAE, Cor. pol., Esp., t. 157, lettre d’Amelot à Torcy, 18 février 1706, fo 248 ; t. 158, lettre d’Amelot à Torcy, 12 mars 1706, fos 48-50 ; t. 167, lettre de Torcy à Amelot, 28 mars 1707, fos 94-95 ; AGS, Estado, lib. 479.
199 Saint-Simon, Mémoires, t. VII, p. 321.
200 AHN, Sección Nobleza, Frias, C. 62, D. 3, lettre d’instructions de la junta de gobierno au connétable de Castille, novembre 1700.
201 AHN, Sección Nobleza, Frias, C. 62, D. 41-43, lettre du duc de Frias à la junte sur son audience avec Louis XIV.
202 Coxe, 1827, t. I, p. 118 ; Saint-Simon, Mémoires, t. VII, p. 343.
203 Noailles, Mémoires, t. 72 : « Instruction de Louis XIV pour le roi d’Espagne, du 3 décembre 1700 », p. 3-7, précisément p. 4.
204 Castellví, Narraciones históricas, t. I, p. 183.
205 « Extrait de l’alliance offensive & défensive, conclüe entre le roi d’Espagne Philippe V, & le roi de Portugal don Pedro, en juin », dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. VIII, partie 1, pp. 31-32.
206 AGI, Contaduría, 261, Asientos de negros con diferentes compañias y particulares, Article 2 : Tratado de mutua alianza entre S. M. Católica el Rey D. Felipe V y el Rey D. Pedro II, pp. 45-46.
207 Legrelle, 1895-1899, t. IV, p. 239 ; Recueil des Instructions données aux ambassadeurs, t. XXV, vol. III, p. 65 ; Select Documents for Queen Anne’s Reign, p. 136.
208 AHN, Sección Nobleza, Frias, C. 62, D. 26-28, lettres patentes de décembre 1700 par lesquelles Louis XIV maintenait les droits de Philippe V à la couronne de France. Il faut noter les justifications données dans les lettres patentes : « Ainsi persuadez que le Roy d’Espagne nostre petit fils conservera toujours pour nous, pour sa maison, pour le royaume où il est né la mesme tendrese & les mesmes sentiments dont il nous a donné tant de marques, que son exemple unissant ses nouveaux sujets aux nostres, va former entr’eux une amitié perpétuelle & la correspondance la plus parfaite… ». Voir aussi Harcourt, Avènement des Bourbons, t. I., p. 151.
209 Van Nimwegen, 2002.
210 Thomson, 1954.
211 Extrait du traité de la Grande Alliance (7 septembre 1701), dans Select Documents for Queen Anne’s Reign, p. 6.
212 « État général de l’Europe », Gazette, janvier 1662, cité dans Álvarez López, 2008, p. 311.
213 Ibid., pp. 310-311.
214 Poumarède, 2004, p. 283.
215 Álvarez López, 2008, p. 312.
216 Ibid., p. 313.
217 Haran, 2000, p. 135.
218 Lerner, 1983, p. 170 ; Britnell, 1979, p. 149 ; cités dans Haran, 2000, p. 175.
219 Guillaume-Alonso, 2000, p. 353.
220 Lantery, Memorias ; Bustos Rodríguez (éd.), 1983 ; Álvarez de Miranda, 2008.
221 Bustos Rodríguez (éd.), 1983, pp. 368-369.
222 Désos, 2009, p. 43.
223 Crespo Solana, 2006, p. 84 ; Defoe, The Interests of the Several Princes.
224 Storrs, 2009, p. 114.
225 Defoe, The Interests of the Several Princes, pp. 8-9.
226 Il est employé à trente-deux reprises.
227 « To me it seems more than probable, that a Union of the Kingdoms of France and Spain would be an entire Reduction of whole Italy under the same Power; for there is not that part of Italy which the Monarch of that Union would not really have some Dormant Pretension to, either as King of Spain, or King of France, or King of Naples, or Duke of Milan, except the Territories of the Republic of Venice, and some of them would not be entirely free neither » (ibid., p. 14).
228 Ibid., p. 14.
229 Ibid., p. 16.
230 Ibid., p. 19.
231 Ibid., p. 21.
232 Ibid., pp. 23 et 29.
233 Losa Serrano, López Campillo, 2009, p. 136.
234 Ibid., p. 137.
235 Remarks upon a Late Pamphlet.
236 Colbert (marquis de Torcy), Mémoires, p. 553.
237 Juan de Dios de Silva, Mendoza y Sandoval (1672-1728), VIIe prince de Melito et d’Eboli, Xe duc de l’Infantado, VIIIe duc de Lerma, VIe duc de Pastrana était né en 1672. Son père avait été ambassadeur à la cour de France en 1679. Il ne joua pas de rôle politique sans doute en raison des suscipicions qui pesaient sur lui après la défection de son frère, le comte de Galve, qui abandonna le camp de Philippe V en 1705. Il fut envoyé en exil à Ciudad Real à l’automne 1706 lorsque Philippe V récupéra la capitale. Recueil des instructions données aux ambassadeurs, t. XII, vol. 2, p. 81.
238 Il occupait cette fonction depuis 1698. Saint-Simon, Mémoires, t. VII, p. 336 et t. XII, p. 380.
239 Lettre de Bedmar à Pastrana, 27 juillet 1700, citée dans Fernández Nadal, 2009, p. 416.
240 Stein, Stein, 2002, p. 152. Voir Jenkinson, A Collection of all the Treaties of Peace, t. 1, pp. 326-329.
241 « Treaty of Grand Alliance », 7 septembre 1701, dans Select Documents for Queen Anne’s Reign, p. 5.
242 Crespo Solana, 2006, p. 84. Voir également, Delgado Barrado, 2002.
243 Herrero Sánchez, 2004, p. 199.
244 Schnakenbourg, 2009, p. 91.
245 Crespo Solana, 2006, p. 87.
246 « Acte de Parlement pour étendre la Succession de la Couronne d’Angleterre, & pour mieux assurer la liberté des sujets, 10 février 1701 », dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. VIII, partie 1, p. 3.
247 Ce manifeste est édité dans Dumont, Corps universel diplomatique du droit des gens, t. VIII, partie 1, pp. 112-114. Toutes les citations du manifeste qui suivent renvoient à cette édition, plus précisément à la page 113.
248 Glesener, inédite, t. I, pp. 33-40. Sur les Pays-Bas espagnols durant la guerre de Succession, on se reportera aux travaux de De Schryver, 1965 ; Id., 1981 ; Id., 1987.
249 Umicalia, Memorie istoriche della guerra tra l’imperiale casa d’Austria, livre I, pp. 50-51.
250 Il existe plusieurs exemplaires de cet imprimé, conservés à la BNE, dans les papiers du docteur Antonio Manuel Pariente, mais aussi à l’Archivo Histórico Municipal de El Puerto de Santa María, à la bibliothèque d’Oviedo, à la bibliothèque de l’université de Séville, à celle de Saint-Jacques-de-Compostelle, à la British Library, et au Trinity College de Dublin.
251 « L’emporia de toda la Europa » (Carta de un cavallero olandes).
252 Ernst, 1988 ; Id., 1991.
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