Résumé
p. 273-274
Texte intégral
1Le propos de cet ouvrage est double. Il s’agit à la fois d’étudier les relations établies par la monarchie hispanique avec un des acteurs importants du Saint-Empire romain germanique, les archevêques de Mayence, tout en dépassant le lieu commun historiographique de liens harmonieux entre les deux branches de la dynastie des Habsbourg. Ce travail est mené en mobilisant les outils de l’histoire sociale et de l’histoire connectée et il est rythmé en trois temps, courant le long de la période allant des abdications de Charles Quint (1556) aux traités de Westphalie (1648).
2Tout d’abord, les conditions de l’entrée en relation sont étudiées. Ainsi, après les abdications de Charles Quint et la tentative avortée de faire de Philippe II son successeur à la tête du Saint-Empire, les relations entre les mondes hispanique et germanique sont à repenser. Les Espagnols ont en effet besoin de maintenir un lien étroit avec la cour impériale et les princes territoriaux germaniques afin d’obtenir l’investiture des fiefs du Saint-Empire comme le duché de Milan et afin de lever des soldats. Dans un premier temps sont privilégiés des contacts directs avec l’empereur et son entourage, de même qu’avec les princes dont les territoires sont contigus aux Pays-Bas espagnols. Les archevêques de Mayence ne s’intègrent alors pas dans un tel schéma puisqu’ils ne sont pas des voisins immédiats des possessions territoriales hispaniques. S’ajoute à cette situation le fait que l’élection à la tête de l’archevêché de Mayence empêche de prévoir qui sera désigné et donc d’anticiper la mise en place de relations de bonne correspondance, comme dans le cas de principaux dynastiques. Se pose donc la question de la commensurabilité entre deux acteurs politiques qui ne sont donc pas nécessairement appelés à entrer en relation.
3Deux facteurs contribuent à faire évoluer cette situation. D’une part, la révolte des Pays-Bas, à partir 1566, impose à la monarchie hispanique d’essayer de trouver des arbitres pour pacifier les territoires soulevés. À plusieurs reprises, les Espagnols se rapprochent des archevêques de Mayence qui, au titre de leur charge d’archichancelier impérial, maintiennent des liens avec tous les acteurs du Saint-Empire, quelle que soit leur confession. D’autre part, le règne de l’empereur Rodolphe II (1576-1612) marque une inflexion notable des relations hispaniques avec la cour impériale : se défiant de ses cousins madrilènes et jaloux de préserver son autorité, l’empereur restreint progressivement ses liens et la communication avec les Espagnols. Ces derniers sont donc amenés à construire des réseaux de clients dans le Saint-Empire, réseaux centrés non plus sur la cour à Vienne ou à Prague mais constitués de princes territoriaux germaniques. Pour ces raisons, la décennie 1570 constitue un véritable tournant dans les relations entre la monarchie espagnole et les archevêques de Mayence qui intègrent la clientèle hispanique au tout début du xviie siècle.
4Enfin, à partir des années 1610, les relations entre les Espagnols et les archevêques de Mayence, particulièrement avec Johann Schweikard von Cronberg, archevêque de 1604 à 1626, se font plus étroites. Ce rapprochement peut s’expliquer en grande partie par l’affaiblissement de l’autorité impériale. En effet, les règnes de Rodolphe II puis de Matthias (1612-1619) n’ont pas permis la désignation d’un successeur de l’empereur du vivant de celui-ci. À cette incertitude successorale s’ajoute la montée des tensions confessionnelles qui fragilise nombre d’institutions du Saint-Empire, comme la diète. Pour pallier le déclin du pouvoir impérial, soutien traditionnel de la chevalerie immédiate d’Empire dont sont issus les archevêques de Mayence, ces derniers se tournent alors vers les Espagnols qui semblent alors les mieux à même de préserver l’ordre institutionnel du Saint-Empire et leur propre position. Dans le contexte de la guerre de Trente Ans, ce rapprochement se traduit, jusqu’au tout début de la décennie 1630, par une collaboration étroite qui fait des archevêques des informateurs de première importance pour les Espagnols et des relais de leur politique dans les institutions impériales ; dans le même temps, les Hispaniques agissent en soutiens effectifs des prélats. Cette alliance de fait dure aussi longtemps que les hommes de la monarchie hispanique sont en mesure de soutenir efficacement les archevêques et aussi longtemps que l’autorité de l’empereur est contestée. Avec la reconstruction de celle-ci dans la deuxième moitié des années 1620, avec, surtout, l’incapacité des Espagnols à assumer dans la durée un rôle de premier plan dans le Saint-Empire et une présence militaire sur plusieurs fronts, les archevêques de Mayence finissent par quitter progressivement la clientèle hispanique et par déclarer les Espagnols étrangers à l’espace impérial.
5Cet ouvrage propose donc une lecture nouvelle d’une histoire a priori politique fondée sur une approche sociale. Cette dernière permet d’envisager la présence espagnole dans l’espace impérial sous un nouveau jour, en évitant les pièges d’une démarche exclusivement dynastique. De même, l’intérêt pour les méthodes de l’histoire connectée évite une approche unilatérale des événements et restitue les logiques des différents acteurs impliqués dans cette enquête. Les résultats obtenus s’inscrivent dans la lignée des récents travaux renouvelant l’histoire des mondes hispaniques et offrent la possibilité d’envisager sous un jour nouveau la rencontre entre deux empires européens, proches mais aux logiques distinctes.
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