Chapitre iii
Archéologie de la relation hispano-mayençaise (seconde moitié du xvie siècle)
p. 73-100
Texte intégral
1En 1578, dans un document établissant à qui Philippe II doit faire remettre des lettres d’accréditation pour Ramiro Núñez de Guzmán, ambassadeur extraordinaire pour le Saint-Empire, l’archevêque de Mayence Daniel Brendel von Homburg est qualifié de « prélat ami et voisin1 ». Pourtant, si l’on se livrait à une rapide analyse statistique de l’ensemble des documents portant sur le Saint-Empire, on s’apercevrait que les contacts entre la Monarchie Catholique et Mayence sont relativement rares durant la seconde moitié du xvie siècle : la famille impériale et les ducs de Bavière sont plus fréquemment mentionnés. Il y a là un paradoxe à expliquer : comment un personnage manifestement peu présent dans la documentation espagnole peut-il ainsi recevoir le qualificatif d’« ami » ?
2En réalité, cette question soulève deux problèmes de portée beaucoup plus vaste. D’une part, ce sont les formes et les modalités des relations entre princes durant la première modernité qui sont ainsi interrogées. Le fait politique ou, plus exactement, l’exercice du pouvoir, étant alors pensé en des termes avant tout dynastiques et patrimoniaux, il n’est pas étonnant de constater que l’expression des relations au sein de la « société des princes » imite les formes de la sociabilité interpersonnelle à laquelle fait référence le terme « ami »2. D’autre part, c’est également la question de l’entrée en relation entre deux princes, ici le Roi Catholique et l’archevêque de Mayence, qui est posée. Rarement envisagés, le moment et les conditions dans lesquels celle-ci s’effectue peuvent néanmoins être déterminants quant au contenu et à la forme de ces relations. Ainsi, même dans le cadre en partie fictif de la « société des princes », être en contact avec tel prince plutôt qu’avec tel autre ou maintenir ces relations est en soi significatif.
3C’est pour essayer d’apporter un début de réponse à ces questions que nous allons voir comment Philippe II, avant même d’obtenir un titre royal, établit ses premiers contacts avec le monde germanique et quelles formes ces derniers recouvrent à l’égard de Mayence.
I. — LES DÉBUTS DIFFICILES DES RELATIONS HISPANO-MAYENÇAISES
4L’entrée en relation des Rois Catholiques avec les archevêques de Mayence n’est ni un acte aléatoire ni un fait soudain. Elle répond à un processus de prise de contacts sous-tendu par une logique propre ; elle est également informée par des pratiques sociales qu’il convient d’explorer et d’analyser. De cette façon, il sera possible de mieux appréhender les objectifs poursuivis par cette alliance informelle et les obstacles auxquels elle se heurte.
Aux origines des relations hispano-mayençaises
5Philippe II n’attend pas de prendre la succession de son père pour entrer en contact avec le Saint-Empire romain germanique et, d’une manière plus précise, avec la principauté de Mayence. Une première possibilité s’offre à lui au moment de son voyage aux Pays-Bas, voulu et organisé par Charles Quint pour le faire connaître comme son successeur et lui remettre les territoires flamands en tant que gouverneur3. Ce voyage, qui a lieu entre 1548 et 1551, est aussi une occasion pour l’empereur de tenter une nouvelle combinaison successorale : une modification de l’ordre de succession pour la couronne impériale est envisagée de telle sorte que le prince Philippe puisse en hériter après Ferdinand, frère de Charles Quint et alors roi des Romains4. Au lendemain de sa victoire à Mühlberg et de la défaite de la ligue protestante de Smalkalde, l’empereur se sent suffisamment fort pour imposer une réforme du Saint-Empire au profit de l’empereur et des territoires patrimoniaux des Habsbourg. Ce projet de réforme n’est possible qu’avec l’accord des princes de l’Empire et dans la mesure où il suppose un changement de l’ordre dynastique, cela implique de faire connaître le prince qui pourrait devenir empereur. C’est ainsi que la partie germanique du voyage accompli par Philippe pour se rendre aux Pays-Bas se transforme en « grand tour » d’éducation et de construction d’une légitimité politique. Il est par ailleurs bien documenté puisque, outre les récits officiels auxquels il a donné lieu sous les plumes de Juan Christóval Calvete de Estrella et de Vicente Álvarez, une partie conséquente de la correspondance entre Charles Quint et son fils a été éditée par Manuel Fernández Álvarez5.
6De manière synthétique, ce voyage comporte trois grands moments : il y a tout d’abord le trajet proprement dit qui amène le prince Philippe aux Pays-Bas. Il entre dans l’espace impérial par Trente, le 29 janvier 1549, et se rend à Innsbruck en passant par Bolzano et Bressanone ; de là, il traverse la Bavière et la Souabe (Munich, Augsbourg, Ulm) et rejoint le Rhin par le Palatinat rhénan. À Spire, Philippe oblique vers le Luxembourg et entre aux Pays-Bas par Namur. Commence alors la deuxième partie de son périple, avec une visite des principales villes flamandes et un séjour à Bruxelles, d’avril 1549 à mai 1550. Enfin, de juillet 1550 à mai 1551, Philippe réside à Augsbourg pour assister et prendre part aux tractations autour de la succession impériale entre Charles Quint, son frère Ferdinand et le fils de ce dernier, Maximilien. C’est donc essentiellement durant la première et la troisième partie de ce voyage que Philippe est amené à rencontrer des princes allemands et à nouer des contacts avec eux.
7Pour ce qui nous intéresse ici, à savoir les relations espagnoles avec les archevêques de Mayence, les sources se rejoignent et mentionnent une rencontre entre Philippe et l’archevêque Sebastian von Heusenstamm les 12 et 13 mars 1549 à Spire. Calvete de Estrella et Álvarez s’accordent même à dire que « l’archevêque de Mayence qui est électeur est venu rendre visite à son Altesse6 ». Philippe confirme l’information dans une lettre, écrite depuis Heidelberg, à son père où il l’informe qu’il partira « le lendemain pour Spire où j’apprends que l’électeur de Mayence est en train de m’attendre7 ». Les sources espagnoles identifient donc l’archevêque de Mayence comme un des sept électeurs impériaux. Par ailleurs, puisque le trajet de la suite de Philippe ne passe pas par les territoires dépendant de la principauté de Mayence, Heusenstamm se déplace jusqu’à l’héritier de Charles Quint pour le rencontrer.
8Pour allusive qu’elle soit, la scénographie de cette rencontre est riche d’enseignements quant à la façon dont Philippe essaie de se présenter dans le Saint-Empire. En effet, depuis sa sortie du Wurtemberg, le prince est escorté par un détachement de chevaliers de l’ordre teutonique, emmenés par leur grand maître Wolfgang von Schutzbar, et par une compagnie de soldats des Flandres commandée par le duc d’Arschot, Philippe de Croy8. Si cette dernière est une preuve de l’appartenance de Philippe à la maison de Bourgogne, l’escorte des chevaliers teutoniques tend davantage à lui conférer l’image d’un prince germanique. En outre, que la rencontre avec l’archevêque de Mayence ait lieu à Spire a également une signification : d’une part, Spire est le siège du Tribunal de la chambre impériale (Reichskammergericht), une des rares institutions communes à tous les territoires impériaux, créée lors de la diète de Worms de 1495, à l’initiative de Berthold von Henneberg9. D’autre part, Spire est également un des lieux de la mémoire impériale puisque des empereurs des xie et xiie siècles sont enterrés dans la cathédrale de la cité. Calvete de Estrella en évoque la visite par Philippe de manière précise :
C’est une église très ancienne, de grande majesté et qui sert de chapelle impériale, où sont enterrés huit empereurs avec leurs épouses […]. Il s’agit de l’empereur Conrad II et de l’impératrice Gisèle, son épouse, fondateurs de l’église ; Henri III, fils de Conrad, et l’impératrice Agnès, son épouse ; Henri IV et l’impératrice Berthe, son épouse ; Henri V, qui a épousé Mechtilde [Mathilde], fille d’Henri, roi d’Angleterre ; Philippe, duc de Souabe et roi des Romains, ainsi que Rodolphe, Adolphe, Albert, fils d’Adolphe, et Béatrice, mère du roi Philippe et épouse de l’empereur Frédéric Barberousse10.
9En mentionnant de cette façon Rodolphe Ier, premier Habsbourg à avoir été élu empereur à l’issue du grand interrègne provoqué par la mort de Frédéric II, aux côtés d’autres empereurs ou princes appartenant à la dynastie franconienne (Conrad II, Henri III, Henri IV et Henri V) ou à celle des Hohenstaufen (Philippe de Souabe), le fils de Charles Quint tente d’activer à son profit la mémoire impériale en montrant qu’il s’inscrit également dans la lignée de ces souverains. Héritier naturel des Habsbourg et successeur putatif respectueux des empereurs germaniques médiévaux, Philippe manifeste sa légitimité à être un acteur de premier plan dans le Saint-Empire. En ce sens, sa rencontre à Spire avec l’archichancelier de l’Empire Sebastian von Heusenstamm ne relève pas de la seule visite de courtoisie mais esquisse un projet politique de grande ampleur qui sert également de cadre aux relations entre la monarchie espagnole et les archevêques de Mayence. En ce milieu du xvie siècle, ce qui est en jeu est la possibilité pour un prince espagnol d’intervenir dans l’espace germanique.
10Une deuxième rencontre a lieu entre Philippe et Sebastian von Heusenstamm peu de temps après, que n’évoquent ni Álvarez ni Calvete de Estrella. Sur le chemin qui l’amène à Augsbourg, Philippe indique à son cousin Maximilien qu’il doit passer à Mayence même11. Si cette deuxième visite n’est pas évoquée plus longuement, il est toutefois probable qu’elle ait quelque chose à voir avec la rencontre d’Augsbourg entre Charles Quint et Ferdinand, sans qu’il soit possible d’en dire davantage. C’est néanmoins le signe que Philippe a conscience de l’importance de l’archevêque de Mayence et que ce dernier fait partie des personnes que le jeune prince espagnol essaie de s’attacher.
L’échec du projet de Charles Quint et le refus d’une succession espagnole
11Néanmoins, ces premiers contacts tournent rapidement court. L’échec final de Charles Quint a souvent été mis sur le compte du projet de modification successorale. Ce projet s’inscrit pourtant dans un plan plus large visant à réorganiser les structures institutionnelles et l’encadrement du Saint-Empire. Une telle réforme d’ensemble est rendue possible, dans l’esprit de l’empereur, par la victoire obtenue le 24 avril 1547 à Mühlberg et la défaite du parti protestant qu’incarne la ligue de Smalkalde. Charles Quint songe alors à la constitution d’une « ligue impériale »12. Pour l’empereur et ses conseillers, celle-ci doit consister en une alliance formelle d’une dizaine d’années et rassembler les possessions patrimoniales des Habsbourg (en Autriche, aux Pays-Bas, en Franche-Comté, en Basse-Autriche…) et les États qui voudront l’intégrer. Cette ligue vise deux objectifs : d’une part, maintenir la paix dans le Saint-Empire et, d’autre part, le préserver de toute intervention étrangère, essentiellement française ou turque. Toute autre ligue, notamment protestante, devrait être dissoute. L’intention d’ensemble est de renforcer les liens entre les différentes possessions des Habsbourg qui sont placées dans l’orbite impériale. En effet, la mise en place d’une telle ligue reviendrait à assurer une aide automatique à ces régions de la part du reste de l’Empire.
12Sans grande surprise, ce projet est refusé par les différents États de la diète d’Augsbourg en 1547 et cristallise les premiers mécontentements contre Charles Quint. Les raisons du refus ou des réticences sont multiples. Pour les villes d’Empire par exemple, il ne semble que trop évident qu’elles devront supporter l’essentiel des charges financières de la ligue. À cela s’ajoute le problème confessionnel : si la ligue ne comprend que des catholiques, les protestants la verront comme un instrument tourné contre eux et constitueront en retour leur propre alliance, ruinant la démarche unificatrice de l’empereur ; dans le cas contraire, l’intégration des luthériens et des calvinistes suppose qu’un accord global sur la paix religieuse dans l’Empire soit auparavant trouvé. Plus significative encore est l’opposition des princes-électeurs au projet : les électeurs ecclésiastiques comme l’électeur palatin sont réticents à voir leur autorité rabaissée et à constituer une assemblée commune avec les autres princes de l’Empire. S’ils envisagent une réforme, elle doit s’inscrire dans les institutions impériales déjà existantes et sur le modèle des cercles d’Empire et de la diète, où un collège séparé leur assure une prééminence sur les autres composantes du Saint-Empire13. L’opposition au projet de ligue impériale transcende donc les simples clivages confessionnels et fait davantage jouer la volonté de maintien d’un équilibre politique fondé sur une tradition qui assure un fonctionnement collégial de l’Empire. Ferdinand, pour sa part, s’oppose au plan de son frère parce qu’il préfère voir garantis ses droits dynastiques sur la partie proprement autrichienne des possessions des Habsbourg ; son attitude révèle une conception patrimoniale de sa présence dans l’Empire, à rebours du projet de Charles Quint qui conçoit davantage cette présence comme un pôle possible d’articulation et d’unification politique.
13C’est dans ce contexte que s’inscrit l’autre projet de Charles Quint, la modification de l’ordre successoral au profit de Philippe. Étrangement, cette tentative de modification de la succession a depuis longtemps été étudiée sans toutefois être mise en relation avec l’ensemble du contexte dans lequel elle s’insère. À cet égard, il importe en définitive assez peu de savoir que Charles Quint a voulu mettre en place un système d’alternance pour la couronne impériale entre sa descendance et celle de son frère Ferdinand : ce dernier aurait succédé à son frère comme empereur ; Philippe aurait ensuite été élu roi des Romains, ce qui lui aurait assuré la dignité suprême, et Maximilien, le fils de Ferdinand, ou un de ses descendants, lui aurait succédé14. Le plus important semble être qu’à cette occasion se déploie de nouveau la coalition des intérêts de la très grande noblesse impériale, reproduisant d’une certaine façon ce qui était arrivé au sujet du projet de ligue impériale de 1548. Ferdinand et Maximilien ne souhaitent pas que leurs droits à devenir empereur soient relégués au second plan et les électeurs craignent que leur prééminence dans l’Empire ne soit battue en brèche avec la mise en place d’une succession héréditaire légale. Les adversaires du nouveau dessein de Charles Quint ont d’ailleurs une solution de repli à proposer : ils s’opposent certes au plan de « succession espagnole » et donc à celui de « monarchie universelle » mais ils n’ont néanmoins rien contre l’idée d’une succession à l’intérieur de la maison des Habsbourg. Ferdinand et sa nombreuse descendance incarnent l’autre terme de l’alternative, terme qui permet aux princes-électeurs de conserver leur importance et leur capacité à peser sur le destin du Saint-Empire, en choisissant l’un ou l’autre des fils de Ferdinand pour lui succéder15.
14Il y a sans doute quelque paradoxe à remarquer que la cristallisation du rejet de Philippe dans le Saint-Empire a été possible en raison de son voyage même et de sa présentation aux princes impériaux en 1549 : sa méconnaissance de l’allemand et des coutumes germaniques, sa froideur apparente, tout est venu renforcer l’idée que remettre la couronne impériale à une personne aussi marquée par la culture et les intérêts castillans serait préjudiciable au bon fonctionnement de l’Empire. En outre, Charles Quint ne parvient pas à faire prévaloir sa vision de l’organisation de ses domaines et du Saint-Empire ; sa tentative de réorganisation successorale est donc rejetée. Même si Ferdinand s’est en apparence rangé à la volonté de son frère, il semble se prévaloir d’une reservatio mentalis dont il pourrait jouer le moment venu16. Mais au-delà de l’échec de ce plan, ce qui semble avoir importé pour l’empereur, c’est d’avoir mis en place une possibilité légale, celle que Philippe puisse un jour monter sur le trône impérial ; ménager un tel droit revient certes à fragiliser Ferdinand et ses descendants mais permet surtout de maintenir ouvertes certaines options et de ne pas diminuer l’héritage à transmettre à Philippe, ce qui révèle combien les questions de souveraineté continuent à être pensées en termes patrimoniaux.
15Le projet de l’empereur est définitivement mis en échec au cours de l’année 1552. En effet, il a suscité contre lui une résistance à l’intérieur de l’Empire et plusieurs princes, dont le moindre n’est pas Maurice de Saxe, s’allient pour mettre fin à la « brutale servitude espagnole » que représentent Charles Quint et la possibilité que Philippe lui succède17. L’épisode de la fuite de Charles Quint d’Innsbruck au printemps 1552 pour éviter d’être fait prisonnier par Maurice de Saxe illustre de manière éclatante la déroute de l’empereur ; tout aussi limpide est le rôle que joue alors le roi des Romains, Ferdinand : c’est avec lui que traitent les princes protestants, à la fois pour maintenir le statu quo confessionnel mais aussi pour régler formellement la prochaine élection impériale. Le parti protestant, c’est-à-dire trois électeurs sur sept (le comte palatin, le duc de Saxe et le margrave de Brandebourg), s’engage à soutenir la candidature de Ferdinand qui est lui-même roi de Bohême et donc possiblement électeur. Le traité de Passau (2 août 1552), qui est la finalisation de ces transactions, est à bien des égards un signe de la légitimité retrouvée de Ferdinand et de son fils Maximilien à devenir empereurs à leur tour. Cette année est donc un des jalons du passage d’un système global (Gesamtssystem) à un système partiel (Teilssystem) du gouvernement de l’empire des Habsbourg : deux ensembles territoriaux distincts, l’un centré sur la péninsule Ibérique et l’autre sur l’espace germanique, chacun d’eux régi par une branche différente de la famille, émergent à ce moment.
16Alors que le voyage de Philippe lui avait permis de nouer des liens avec des princes allemands et notamment avec l’archevêque de Mayence, la rupture du système global de gouvernement dans les dernières années du règne de Charles Quint lui impose d’inventer de nouvelles formes de présence dans l’Empire. S’opère ainsi une forme de retour aux principes édictés en 1548 par Charles Quint qui conseillait à son fils :
De même, il sera bien que, avec la bonne amitié et l’étroite correspondance du roi [des Romains], mon frère, vous ayez aussi soin d’entretenir l’amitié des Électeurs et des princes d’Allemagne, ce qui ne peut que convenir, et cela se fera au sujet de ce que vous posséderez, particulièrement en Italie et vers les Flandres18.
17Les intérêts espagnols vis-à-vis du Saint-Empire sont ici clairement identifiés : il s’agit d’utiliser au mieux à la fois les relations familiales et les relations politiques pour conserver les territoires sous domination ibérique mais qui, d’un point de vue juridique, gravitent dans l’orbite du Saint-Empire, à savoir les Pays-Bas et le Nord de la péninsule italienne, qui demeure au moins nominalement un fief impérial. Plus largement, c’est avant tout la partie occidentale du Saint-Empire qui intéresse la monarchie hispanique puisque pour la première fois se pose la question de la continuité territoriale de domaines aussi divers que le Milanais, la Franche-Comté, le Luxembourg ou les Pays-Bas.
18Pour pouvoir se traduire dans les faits, ce pragmatisme, contraint, doit rencontrer celui d’autres princes allemands. Les événements de l’année 1552 en fournissent l’occasion. À la suite d’une nouvelle prise d’armes des princes protestants, le margrave de Brandebourg-Kulmbach, Albert Alcibiade, rançonne et dévaste les évêchés de Bamberg, Wurtzbourg, la ville de Nuremberg et certaines terres des archevêchés de Trèves et de Mayence19. Face à ce « distillateur princier de mort », les princes ecclésiastiques ne disposant pas de leurs ressources aussi librement que les autres souverains temporels de l’Empire, dont les territoires sont en plein essor, tentent de se tourner vers un protecteur puissant. Après une première demande de secours de l’électeur de Mayence, Sebastian von Heusenstamm, à Marie de Hongrie en mars 155220, la gouvernante des Pays-Bas s’inquiète auprès de l’empereur de la fragilité des États ecclésiastiques rhénans face aux troupes du margrave et du danger que cela représente pour la sûreté des Pays-Bas :
J’aurai beaucoup de mal à faire défendre vos terres contre eux [les soldats d’Albert Alcibiade et ceux du roi de France Henri II] puisqu’il ne m’est pas possible de résister comme il le conviendrait à la force du margrave : il vient de cette partie du Rhin où il trouvera bien peu de résistance, particulièrement des électeurs ecclésiastiques21.
19Il y a là la une évidente conjonction d’intérêts. Dans l’immédiat, elle ne trouve pas d’expression concrète : le roi de France apprenant la nouvelle d’une paix signée entre Maurice de Saxe et Ferdinand s’empresse de regagner ses terres, le margrave Albert Alcibiade est à son tour défait par Maurice en 1553, et un accord de paix plus durable et concernant l’ensemble de l’Empire est trouvé lors de la diète d’Augsbourg de 1555. Mais, malgré l’absence d’aboutissement, cette première expérience est riche d’enseignements pour les Espagnols. Ils ont pris conscience de la vulnérabilité des Pays-Bas qui ne peuvent se défendre par eux-mêmes face à des attaques sur de multiples fronts ; ils savent également que certains membres du Saint-Empire sont désormais prêts à se tourner vers eux en cas de nécessité et que pour cela il est nécessaire d’adopter à leur égard une attitude consensuelle. Il faut maintenant que les Espagnols s’adaptent à ce nouvel état de fait et recentrent leurs actions vers des questions acceptables pour leurs différents partenaires. Il leur faut également inventer de nouvelles pratiques de relations dans la mesure où le lien hiérarchique sur lequel jouait Charles Quint est rompu et ne fonctionne plus.
II. — POUR L’ESSENTIEL, DES RELATIONS COLLECTIVES ET MÉDIATISÉES
20Si le voyage de Philippe aux Pays-Bas a pu inaugurer les relations entre la Monarchie Catholique et la principauté de Mayence, l’échec du projet de réforme impériale et l’affaiblissement de Charles Quint après 1552 semblent ruiner la possibilité de maintenir des relations directes avec nombre de princes allemands. L’avènement de Philippe II et surtout la mort de Charles Quint en 1558 permettent de renouer des liens mais selon des formes nouvelles : hormis le cercle intact des fidèles (les cardinaux d’Augsbourg et de Trente, Otto Truchseß von Waldburg et et Cristoforo Madruzzo, par exemple), la majeure partie des liens que tissent les Espagnols sont collectifs et médiats. Cela signifie d’une part que ces derniers doivent passer par des intermédiaires qui ne sont pas hispaniques ni subordonnés au Roi Catholique pour avoir accès à l’électeur de Mayence ; d’autre part, que celui-ci est très souvent, pour ne pas dire toujours, englobé dans un groupe plus vaste. Durant l’essentiel des années 1560, l’archevêque de Mayence n’est pas un acteur à part entière dans les relations hispaniques. Est-ce par choix ou par défaut ? C’est un des points qu’il convient d’examiner.
Des relations d’abord nouées avec un groupe
21La principale caractéristique du renouvellement des relations espagnoles avec des princes de l’Empire tient à l’établissement d’un lien collectif qui n’individualise pas les membres de la partie allemande, à de très rares exceptions près. Dans ce cadre, l’archevêque de Mayence est compris dans un groupe plus vaste durant l’essentiel des années 1560 et 1570. Ainsi, en 1562, quand il s’agit de réunir les électeurs pour désigner le successeur de l’empereur Ferdinand Ier, l’ambassadeur espagnol à Prague, le comte de Luna, transmet à Philippe II une information qui concerne l’ensemble des « Électeurs du Rhin » : ceux-ci « ne vont pas dans le sens qu’aurait souhaité Sa Majesté parce que le Palatin fait tout son possible pour les en éloigner […], il dit que pour l’instant il n’y en a pas besoin22 ». Plus que la domination du comte palatin sur ses collègues de Cologne, Trèves et Mayence, cet exemple fait apparaître que l’ambassadeur espagnol considère les électeurs ecclésiastiques comme un ensemble qui réagit de manière semblable et prend des positions similaires. Il n’a pas de relation particulière avec l’un ou l’autre, il les inclut dans un même groupe.
22Moins de dix ans plus tard, sans doute en 1568, Philippe II tente de justifier dans le Saint-Empire l’emprisonnement des comtes d’Egmont et de Hornes aux Pays-Bas. Dans ce but, il fait parvenir à son ambassadeur Chantonnay ce que celui-ci devra dire aux électeurs pour justifier cet acte. Si chacun d’eux doit recevoir une lettre à titre personnel, le contenu de celle-ci est en revanche identique pour tous. Il est d’ailleurs révélateur que ce courrier, qui doit également servir de modèle pour la réponse à l’empereur Maximilien II, précise :
Il est raisonnable et il convient qu’à bien des égards sa Majesté [Philippe II] rende compte de manière plus détaillée de l’emprisonnement de ces seigneurs à l’Empereur qu’auxdits Électeurs et Princes d’Allemagne23.
23Une fois de plus, la relation avec les princes-électeurs est collective en ce sens qu’aucun d’eux ne fait l’objet d’une réponse personnalisée. Seul l’empereur a droit à un traitement particulier, autant du fait de son rang que de l’étroitesse des liens de parenté qui l’unissent au Roi Catholique. Si ce dernier prend en compte les attributions électorales de ces princes, ce qui justifie l’explication qu’ils reçoivent, il ne leur reconnaît pas pour autant une dignité égale dans la direction des affaires de l’Empire. La fonction électorale définit ici un groupe et non des individus, tout comme elle explique le fait que Philippe II veuille se mettre en contact avec eux.
24Plus que dans les correspondances, c’est sans doute dans les instructions aux ambassadeurs que ce traitement collectif imposé aux princes et électeurs de l’Empire transparaît le plus clairement. Dans les lettres de mission pour Chantonnay en 1564 ou pour le comte de Monteagudo en 1570, une formule apparaît d’ailleurs de manière régulière pour désigner ce groupe d’aristocrates avec lequel le nouvel ambassadeur doit prendre contact : « les Princes nos amis24 ». Les instructions à Luis Enríquez de Cabrera emploient une périphrase mais l’idée exprimée est sensiblement identique, plus claire même :
De même, vous emportez avec vous des lettres pour chacun des Électeurs que vous leur remettrez depuis la Cour avec d’autres de votre main et vous leur ferez part de l’importance que je leur accorde et qu’ils méritent25.
25Le traitement collectif a priori est ici confirmé puisque les six électeurs (le septième, le roi de Bohême, est alors l’empereur Rodolphe II) reçoivent une lettre d’accréditation identique de la part de Philippe II. Mais une précision d’importance est apportée à ce traitement collectif : il repose en dernière analyse sur l’idée de mérite personnel de chacun des princes. Il est donc moins question de tous les électeurs que de ceux qui sont favorables, même de manière tacite ou passive, au Roi Catholique.
26Il est alors possible de croiser cette catégorie des « Princes amis » avec une liste probablement établie en 1568 et donnée à Chantonnay qui détaille « les Électeurs et Princes amis et serviteurs de sa Majesté26 ». De manière synthétique, ce mémorandum peut se décomposer en trois parties. La première comprend les deux archiducs Ferdinand de Tyrol et Charles de Styrie, frères de l’empereur Maximilien II, dont seuls les noms sont mentionnés. Vient ensuite une série de titres un peu plus longue qui recense cinq ecclésiastiques : les trois archevêques-électeurs ainsi que les évêques de Münster et de « Wurtzbourg ou Herbipoli », respectivement Johann IV von Hoya et Friedrich von Wirsberg. Le nom de chacun n’est toutefois pas donné et aucune observation supplémentaire n’est ajoutée, ce qui laisse supposer que les relations sont moins établies en fonction de critères d’appréciation personnelle que selon des motifs d’ordre institutionnel, voire confessionnel, ou pour des raisons géographiques (Münster et Cologne sont au voisinage immédiat des terres flamandes de Philippe II). Cette liste se clôt par la mention de cinq princes, une nouvelle fois évoqués par leur seul titre mais qui ont droit à quelques lignes d’appréciation plus précise ; on y trouve ainsi les ducs de Bavière et de Clèves, les électeurs de Brandebourg et de Saxe, le duc Julius de Brunswick. Dans cet ensemble, si le duc de Bavière se voit qualifié de « très catholique et grand serviteur de sa Majesté », Philippe II indique que les autres princes sont enclins à servir le Roi Catholique, même s’ils ont quitté le giron de l’Église catholique27.
27Ce bref document tend à renforcer l’idée selon laquelle une grande partie des relations que nouent les Espagnols avec des princes impériaux n’est pas forcément de nature personnelle mais trouve également son origine dans la prise en considération des fonctions institutionnelles. C’est par exemple le cas pour les cinq ecclésiastiques cités ici. La personnalisation du lien ne fonctionne que dans des cas particuliers, lorsqu’il existe un lien de parenté (les archiducs), une alliance matrimoniale (les Wittelsbach de Bavière), ou quand il faut justifier une relation qui paraît antithétique à la défense du catholicisme par la monarchie espagnole. Dans ce cadre et à l’instar d’autres princes ecclésiastiques impériaux, les archevêques de Mayence restent compris dans une relation collective avec les Espagnols durant ce troisième quart du xvie siècle.
Des relations qui passent par des intermédiaires
28La mise en place de relations collectives est la première caractéristique de la réaffirmation d’une présence hispanique auprès des princes impériaux. Le deuxième trait distinctif de ces liens est qu’ils restent en règle générale indirects. Plus exactement, si Philippe II ou ses représentants n’ont pas maintenu un contact direct avec un membre du Saint-Empire après 1552, comme c’est le cas avec les archevêques de Mayence, ils passent fréquemment par un intermédiaire.
29Envoyé en mission dans le Saint-Empire en 1578, Gilbert de Zomere entre ainsi en contact avec un conseiller du duc Albert V de Bavière à Augsbourg. Cette rencontre sert en premier lieu au duc à se plaindre de l’ingratitude de Philippe II à son égard dans la succession de Cologne. Elle sert également au conseiller bavarois à faire passer des informations et un message de la part des princes territoriaux du Saint-Empire à l’envoyé du Roi Catholique :
Tout parents que ces princes soient avec sa Majesté, il ne leur pèse pas de voir Matthias dans les Flandres et ils souhaitent que sa Majesté le confirme dans son gouvernement et les Électeurs disent qu’il n’y aura jamais de paix si sa Majesté n’agit pas de la sorte28.
30Si la façon dont l’information est ici recueillie montre la proximité qui existe entre le duc de Bavière et Philippe II, la relation avec les autres princes est une nouvelle fois de nature collective puisqu’ils ne sont pas désignés individuellement. Mais elle est aussi bien indirecte : Zomere n’est pas entré directement en contact avec « ces princes » ni avec les électeurs mais il n’en présente pas moins l’information comme fiable et véridique. D’une certaine façon, le conseiller bavarois peut également être considéré comme un messager officieux des princes-électeurs.
31Le passage par le canal bavarois pour avoir accès aux électeurs demeure néanmoins assez exceptionnel et l’empereur reste en réalité l’intermédiaire essentiel pour entrer en relation avec l’archevêque de Mayence. Par exemple, en juillet 1572, lorsqu’il faut demander aux archevêques de Mayence et de Trèves de s’entremettre avec les électeurs protestants pour leur faire intégrer la ligue de Landsberg, c’est à l’empereur Maximilien II que le comte de Monteagudo s’adresse en premier lieu29. De la même façon, une dizaine de jours plus tard, c’est encore vers l’empereur que les Espagnols se tournent pour faire parvenir des soldats aux Pays-Bas ; le comte de Monteagudo rapporte ainsi « ce que sa Majesté Impériale écrit à tous les Électeurs et chefs des cercles de l’Empire et aux deux landgraves à propos de la levée de soldats pour les Flandres30 ». Le recours à Maximilien II s’explique ici de deux façons : d’une part, il offre une justification légale au recours à la force dans les territoires flamands ; d’autre part, il permet de contourner les princes qui seraient a priori susceptibles de s’opposer à la levée ou au passage de soldats hispaniques, essentiellement le comte palatin du Rhin. Dans une telle perspective, la manœuvre espagnole est habile puisque le cercle électoral du Rhin, qui regroupe les trois archevêchés ecclésiastiques et le Palatinat, est dirigé par l’archevêque de Mayence. Les Espagnols s’assurent ainsi, du moins sur le plan juridique, de l’exécution d’un ordre impérial en leur faveur et de la neutralisation de Frédéric III du Palatinat.
32Sans doute l’exemple le plus parlant du caractère indirect des relations qu’essaient de nouer les Espagnols en passant par l’empereur est-il fourni par une liste des officiers et conseillers impériaux qui reçoivent des subsides espagnols. Celle-ci s’achève par une proposition de reconduire certaines de ces pensions malgré les résultats plus ponctuels qu’ils peuvent fournir à la Monarchie Catholique :
En plus des personnes nommées, si sa Majesté souhaite donner aux autres qui ont l’habitude de lui rendre service dans les questions et affaires d’État, on pourra trouver un accord […] avec Preyner l’Aîné et le Docteur Egmiler [Heggenmüller] qui ont d’ordinaire l’habitude d’aller négocier avec les Électeurs de l’Empire ; ils pourraient encore rendre de grands services à sa Majesté31.
33C’est la confirmation que les Espagnols ne recherchent pas le contact direct et permanent avec les électeurs, et donc avec l’archevêque de Mayence qui est intégré à ce groupe. Ils ont non seulement recours à des intermédiaires mais ces derniers sont au service de l’empereur. Il y a là une manière de double fonction des officiers impériaux qui n’hésitent pas à se mettre au service du Roi Catholique.
Le caractère contraint des relations collectives et médiatisées
34Que les Espagnols mettent en place des relations que nous venons de qualifier de collectives et de médiates avec les archevêques de Mayence n’est pas un hasard et reflète dans une certaine mesure leur propre situation dans le Saint-Empire. En premier lieu, c’est la conséquence de leur faible implantation politique et institutionnelle dans l’espace germanique. À l’exception de la cour impériale, il semble qu’il y ait peu d’Espagnols qui sillonnent cet espace au nom exprès de Philippe II dans les années 1560 et 157032. Cela explique en partie pourquoi la communication des préparatifs de l’élection du roi des Romains en 1562, envoyée par le comte de Luna à Philippe II, est avant tout la transmission d’informations en provenance de l’empereur. Le 30 avril, Ferdinand Ier apprend à l’ambassadeur espagnol que tous les électeurs ont accepté l’idée de se réunir pour désigner Maximilien comme son successeur, à l’exception de Frédéric III du Palatinat33. Moins d’un mois plus tard, c’est toujours l’empereur qui informe l’ambassadeur que l’ensemble des électeurs a donné son accord pour se réunir à Francfort et élire Maximilien34. Les Espagnols n’ont alors de toute évidence aucun contact avec les électeurs, quand bien même ce contact serait ponctuel ou purement utilitaire.
35Une autre raison importante peut jouer pour expliquer l’absence de relation directe avec l’archevêque de Mayence ou avec les électeurs durant cette période : la représentation qu’a Philippe II du gouvernement du Saint-Empire. Dans une affaire datant de l’année 1578 et impliquant à la fois l’empereur, le Roi Catholique, le pape et le grand-duc de Toscane François Ier (peut-être la reconnaissance du titre de grand-duc de ce dernier après la mort de Cosme Ier en 1574), Philippe II se plaint de ce que Rodolphe II « n’a pu s’empêcher de la communiquer aux Électeurs et de leur demander leur avis35 ». Cette attitude de l’empereur qui transmet les affaires importantes aux électeurs a une conséquence négative dans la gestion des affaires des Habsbourg :
Vous le lui ferez savoir alors que ma réponse arrivera après qu’il a vu les avis des Électeurs et après qu’il m’a envoyé le sien ; je ne pourrais donc lui donner le mien après mûre délibération avant tout cela36.
36Le fait que Rodolphe II délibère, ou fasse mine de le faire, avec le collège électoral diminue l’influence que Philippe II escompte exercer sur le chef de l’Empire puisque le processus de décision est dilué entre un nombre de personnes plus grand. Pour notre propos, cette attitude espagnole est particulièrement intéressante : cela incite les Espagnols à concentrer leurs efforts sur la cour impériale afin de renforcer leur capacité à modifier les décisions impériales, au moment où leur présence dans le Saint-Empire est encore limitée. Cette situation montre aussi combien le Roi Catholique plaque encore une vision castillane du gouvernement sur le Saint-Empire. Reproduisant sans doute en partie ce qui a également dû être une vision des choses propre à Charles Quint, Philippe II conçoit l’Empire comme un territoire bien plus unifié qu’il ne l’est, et sous la seule autorité de l’empereur. Pour cette raison, les électeurs ne font pas forcément partie des princes avec lesquels les Espagnols entrent en contact dans les années 1560 et 1570.
37Il s’agit là d’une limite importante que porte en elle la médiatisation des relations par l’intermédiaire de l’empereur. Dans l’exemple qui vient d’être développé, l’empereur semble acquérir une nouvelle centralité puisque, en définitive, c’est vers lui que convergent les avis venant d’Espagne et des territoires allemands de l’Empire. D’une manière générale, cette forme d’organisation des relations rend les ambassadeurs espagnols dépendants de l’empereur pour avoir accès aux informations. Ainsi, pour revenir au début des années 1560, quand le comte de Luna apprend par Ferdinand Ier que l’archevêque de Mayence Daniel Brendel von Homburg a décidé de réunir le collège électoral pour la Saint-Georges de l’année 1561, il ignore la raison de cette convocation. Tout au plus conjecture-t-il qu’il y sera question du concile, toujours à l’ordre du jour37. De la même façon, l’année suivante, cette dépendance vis-à-vis de l’empereur l’induit à se contredire et à transmettre des informations opposées à Philippe II. Dans un premier temps, l’ambassadeur espagnol croit pouvoir dire que la réunion des électeurs est peu probable : les archevêques du collège électoral redouteraient les pressions du roi de France, du duc de Wurtemberg et du landgrave de Hesse38. Une semaine plus tard, ces mêmes électeurs se montrent enthousiastes à l’idée d’une telle réunion : comme « ils avaient une grande volonté de servir Votre Majesté et les affaires de sa maison », ils envisageaient désormais sans difficulté de laisser le titre impérial aux Habsbourg en désignant Maximilien comme roi des Romains39.
38Cette situation fait surgir de manière ponctuelle un risque qui semble néanmoins toujours menacer les ambassadeurs espagnols dans leur relation avec l’empereur : non pas seulement dépendre de lui mais le voir faire de la rétention d’informations. Si ce risque est en définitive assez rare, voire inexistant en ce qui concerne les questions dynastiques, les ambassadeurs s’en ouvrent toutefois à Philippe II pour expliquer leurs difficultés à rassembler des informations ou à les justifier. Ainsi, au début de l’année 1572, le comte de Monteagudo apprend que l’archevêque de Mayence Daniel Brendel von Homburg a écrit à Maximilien II. La lettre, que l’ambassadeur ne peut citer qu’indirectement, porte sur la volonté de l’électeur Frédéric III du Palatinat de porter assistance aux huguenots de France et aux révoltés des Pays-Bas. Monteagudo ne peut en dire davantage et a déjà eu bien du mal à obtenir ces informations puisque, selon lui, l’empereur est réticent à les lui fournir40. D’une manière plus générale, ce soupçon de la rétention d’information et le fait de dépendre d’une seule source de renseignements, dans ce cas l’empereur et ses officiers, sont sans doute ce qui pousse les Espagnols à chercher d’autres informateurs dans le Saint-Empire à partir des années 1570.
III. — L’ÉMERGENCE DE RELATIONS DIRECTES
39En 1562, le baron de Polveiler, agent comtois au service des Espagnols, effectue une mission dans le Saint-Empire. À cette occasion, il rencontre à Spire une personne qu’il qualifie de « principale » et qui lui transmet des informations sur des mouvements de soldats du comte palatin : on craint que ceux-ci ne franchissent le Rhin et ne passent sur la rive gauche. Autant que le contenu de ce courrier, ce qui nous intéresse ici est la façon dont l’information est transmise et de qui elle provient. Même s’il est impossible d’en être absolument certain, il est probable que l’archevêque de Mayence Daniel Brendel von Homburg soit la source de Polveiler. Ce dernier ne fournit qu’un seul indice pour identifier son informateur anonyme : cette « personne principale » lui fait « lire une lettre écrite de la main d’un électeur ecclésiastique du Rhin »41. Il ne peut effectivement s’agir que de l’archevêque de Cologne Johann Gebhard von Mansfeld ou de celui de Mayence. En raison de la proximité géographique entre le Palatinat rhénan et Mayence, l’hypothèse la plus plausible est que l’informateur soit Daniel Brendel von Homburg, même si cela n’est pas certain.
40Le détail selon lequel Polveiler lit « une lettre écrite de la main » de l’archevêque, quel qu’il soit, est également révélateur. Il n’a pas seulement pour objectif de fonder la fiabilité de l’information ; il dévoile aussi la fonction que peut jouer un document manuscrit dans l’établissement d’une relation interpersonnelle qui engage deux principautés à l’époque moderne. Qu’il implique Mayence ou Cologne, cet acte demeure l’une des premières prises de contact entre un agent de Philippe II et un électeur ecclésiastique depuis le voyage de 1548-1551. De ce point de vue, il semble que ce texte donné à lire à un tiers vérifie l’idée selon laquelle la lettre « constitue une forme de représentation à distance, aussi bien spatiale que chronologique42 ». C’est un point important à prendre en compte : loin d’établir une relation lointaine et indirecte, une certaine forme de correspondance diplomatique offre au contraire la possibilité d’une présence qui, pour être symbolique, n’en est pas moins effective et efficace pour les femmes et les hommes de la première modernité43. Une approche qui consiste à s’intéresser aux correspondances diplomatiques autant comme source documentaire que comme moyen matériel d’établir une relation interpersonnelle n’est en soi pas nouvelle44. Toutefois, à notre connaissance, elle n’a pas été menée jusqu’à présent dans le domaine des relations diplomatiques entre princes. C’est cette piste méthodologique que nous allons suivre ici.
41Pour revenir à la « lettre écrite de la main d’un électeur ecclésiastique », nous disposons là des deux formes que peuvent prendre les relations directes entre le Roi Catholique ou ses envoyés, d’une part, et les archevêques de Mayence, d’autre part. Dans le même temps, il apparaît de manière évidente qu’elles ne sont pas exclusives l’une de l’autre : la lettre accompagne souvent un représentant. D’un point de vue méthodologique, cette possible inclusion des deux formes de mise en relation directe rend peu souhaitable leur classement selon des critères typologiques. C’est la raison pour laquelle une présentation chronologique lui a été ici préférée.
Avant 1578 : des relations surtout épistolaires
42Choisir l’année 1578 pour mettre en valeur une évolution notable des relations directes entre la Monarchie Catholique et les archevêques de Mayence ne doit évidemment rien à l’arbitraire. Avant cette date, on constate que l’échange de lettres est la forme dominante de cette relation et que les visites entre Daniel Brendel von Homburg et un envoyé de Philippe II sont encore relativement rares. Au contraire, après 1578, le nombre de rencontres s’accroît. C’est également une date qui renvoie aux événements en cours aux Pays-Bas : peu de temps auparavant a eu lieu le sac d’Anvers, un édit a été promulgué par Philippe II pour essayer de conserver le peu de territoires flamands qui reconnaissaient encore une tutelle hispanique et l’archiduc Matthias, frère de Rodolphe II, a accepté de devenir le gouverneur général de la partie révoltée des Pays-Bas45. Dans ce contexte, le Roi Catholique lance une vaste offensive diplomatique vers le Saint-Empire pour justifier ses agissements. C’est précisément à cette occasion que la forme des relations avec l’archevêque de Mayence évolue de manière significative. Ainsi, les contacts entre Mayence et l’Espagne ont très rapidement à voir avec la situation dans les Flandres.
43Si on laisse de côté la « lettre écrite de la main d’un électeur ecclésiastique » lue par Polveiler, en raison de son attribution incertaine, le premier contact avéré entre Philippe II et l’archevêque de Mayence Daniel Brendel von Homburg peut être daté, en l’état actuel de nos connaissances, de la fin de l’année 1567 ; il prend la forme d’une lettre officielle envoyée par l’électeur à l’ambassadeur Chantonnay qui la transmet à son tour à la cour à Madrid46. La missive est traduite en espagnol par un secrétaire de Philippe II, et on peut raisonnablement penser qu’elle avait été rédigée en latin par l’archevêque qui a recours à cette langue dans ses courriers officiels adressés à des non-germanistes. Ce détail touchant à la traduction est d’importance puisqu’il nous empêche de saisir les termes précis par lesquels l’archevêque nomme le Roi Catholique et s’adresse à lui, et donc sur quelles bases exactes s’établit cette première relation. Le titre du document, donné par le traducteur espagnol, fournit une seule indication : c’est « l’Électeur de Mayence » qui est l’auteur de ce courrier47. Par ailleurs, le contenu nous permet de comprendre qu’il s’agit d’une médiation effectuée par l’archevêque auprès de Philippe II pour le comte de Hornes, sur la demande des parents de ce dernier. En effet, « le duc d’Albe a ordonné de capturer ledit comte » qui se trouve en prison avec le comte d’Egmont pour rébellion contre l’autorité royale48.
44Si l’électeur de Mayence agit ici en intermédiaire, ou en broker pour reprendre la terminologie de Sharon Kettering, pour obtenir une grâce royale pour un tiers, il convient également de prendre en compte deux autres faits d’importance pour définir la relation qui s’instaure alors49. D’une part, une deuxième médiation pour obtenir l’élargissement de Hornes, mais aussi celui d’Egmont, est tentée au même moment par l’empereur. Maximilien II s’adresse alors à Philippe II en tant qu’empereur et non en tant que cousin, Daniel Brendel von Homburg le fait comme chef du collège électoral. Il s’agit donc d’une relation officielle qui ne se fonde pas sur un lien familial ou clientélaire. Cela montre que les solliciteurs cherchent leurs recours non dans des liens de parentèle, comme ceux qui unissent les deux maisons d’Espagne et d’Autriche, mais plutôt dans des liens politiques, plus précisément même hiérarchiques. Par ailleurs, de la même façon que Daniel Brendel von Homburg a été sollicité par les « parents » de Hornes, Maximilien II agit à la demande de « la mère et de l’épouse dudit comte50 ». D’autre part, l’électeur fait montre d’une grande déférence à l’égard de son destinataire puisqu’il
est tout à fait certain que l’intention de Votre Majesté n’est pas d’accabler qui que ce soit, pas même une personne de moindre qualité, sans avoir entendu ses éléments de défense de manière complète. Après avoir considéré la demande si humble et si plaintive desdits parents, il n’a pu leur refuser sa faveur en de tels tourments. Et par conséquent, il supplie tout à fait Votre Majesté qu’en prenant en compte ces choses et d’autres encore, il veuille bien préférer la clémence à la rigueur51.
45En respectant les convenances et les règles de courtoisie inhérentes à ce genre d’exercice, l’intermédiaire cherche également à ménager Philippe II, pour le cas où il serait amené à entrer de nouveau en relation avec lui. Il montre dans un premier temps qu’il croit aux qualités royales de justice et d’équité de Philippe II qui sont le propre de tout souverain ; puis, dans un deuxième temps, l’archevêque semble s’excuser d’intervenir : en arguant de la « demande si humble et si plaintive desdits parents », il fait comprendre que la miséricorde, humaine aussi bien que chrétienne, lui interdisait de ne pas satisfaire à la demande des solliciteurs. Il peut s’agir là d’une précaution pour ne pas s’aliéner la volonté d’un prince qui, s’il n’est pas voisin, n’en reste pas moins puissant.
46Au-delà de cette prise de contact inaugurale, ce texte est intéressant en ce qu’il initie un dialogue d’un genre particulier entre Philippe II et l’archevêque de Mayence et, au-delà, avec l’ensemble des électeurs impériaux. Quelque temps après avoir reçu la lettre de l’archevêque de Mayence et de l’empereur, Philippe II fait envoyer à Chantonnay un document pour que celui-ci informe Maximilien II, « les Électeurs et les principaux Princes de l’Empire » au sujet des prisonniers52. La réponse semble suivre la ligne de défense suggérée dans la lettre de Daniel Brendel von Homburg puisque Philippe II invoque les principes de justice et d’équité :
Ledit emprisonnement a été fait non seulement pour des raisons justes et légitimes mais aussi très nécessaires comme le temps le fera comprendre et connaître, mais de manière évidente sa Majesté n’a d’autre intention que de procéder et de traiter les affaires non seulement avec raison et justice selon la qualité de chacun mais aussi d’user de sa clémence et de sa miséricorde autant qu’il sera possible53.
47La forme importe ici davantage que le propos tenu. Alors que les appels à la clémence et à la justice émanaient de personnes dûment identifiées, la réponse espagnole s’adresse à un groupe de personnes, les « principaux princes de l’Empire » plutôt qu’à Maximilien II ou à Daniel Brendel von Homburg. Il y a là le signe que la relation entre le Roi Catholique et l’archevêque de Mayence ne trouve pas encore sa source dans les liens personnels. Surtout, les Espagnols considèrent cet archevêque avant tout comme le représentant ou le chef — au sens que peut avoir ce mot au xvie siècle — du collège électoral. Il est difficile de savoir si l’archevêque a joué les médiateurs, poussé par la conscience d’être un représentant des électeurs impériaux : les documents espagnols ne fournissent aucune piste en ce sens. C’est pourtant le rôle qui semble lui être assigné depuis la péninsule Ibérique.
48Il faut ici mettre en relation cette attitude des Espagnols avec un troisième document, vraisemblablement produit au même moment pour orienter l’action de Chantonnay. Il s’agit d’une liste intitulée « les Électeurs et Princes amis et serviteurs de Sa Majesté » sur laquelle figurent les trois électeurs ecclésiastiques, ainsi que ceux de Saxe et de Brandebourg54. Si Daniel Brendel von Homburg est ici officiellement reconnu comme un « ami » du Roi Catholique, il ne faut pas donner à cette amitié un sens trop fort. Elle est davantage une potentialité qui reste à exploiter qu’un indice de la qualité d’une relation déjà existante. De récents travaux à ce sujet ont d’ailleurs souligné le fait que l’amitié entre princes est « leur mode de relation normal lorsqu’ils ne sont pas des ennemis déclarés55 ». Cela contribue à expliquer le fait que, sollicité par un archevêque qu’il qualifie lui-même d’« ami », Philippe II ne semble pas soucieux de cultiver particulièrement cette relation : en l’absence d’alliance dynastique ou, à défaut, de versement de pensions pour le formaliser, un lien ne peut être exploité.
49Un changement de personnel diplomatique peut aussi être l’occasion de modifier ces rapports entre princes, comme c’est le cas en 1570 lorsque le comte de Monteagudo remplace Chantonnay. Les instructions qui sont alors données au nouvel ambassadeur révèlent ainsi une nette évolution de la forme de la relation avec l’archevêque de Mayence comme avec les autres « amis et pensionnaires » de Philippe II :
Il vous sera donné avec ces instructions un mémoire à propos de chacun d’eux et des obligations qu’ils ont envers moi, avec des lettres agréables en allemand pour chacun de ceux à qui il m’a semblé que je devais écrire ; vous les leur remettrez à partir de la cour avec d’autres lettres de vous dans lesquelles vous leur ferez savoir votre arrivée là-bas, et que vous aurez avec eux une bonne correspondance56.
50Le changement tient en deux points : d’une part, des lettres de créance sont prévues pour l’ensemble des princes de l’Empire considérés comme des amis du Roi Catholique et, parmi ceux-ci, l’archevêque de Mayence. D’autre part, ces lettres sont rédigées en allemand, ce qui témoigne de la volonté de Philippe II de se faire comprendre et de se rapprocher de ces princes.
51La prise de fonction de Monteagudo et la remise des lettres d’accréditation aboutit, enfin, à une formalisation des liens entre l’ambassadeur et Daniel Brendel von Homburg : le diplomate espagnol se saisit de l’occasion pour rencontrer un certain nombre des « amis et pensionnaires » de son souverain. L’entrevue avec l’archevêque de Mayence, la première pour un Espagnol depuis près de vingt ans semble-t-il, a lieu lors d’une diète impériale à Spire en juillet 1570 et permet au diplomate de noter à la fois les bonnes dispositions du prélat à l’égard de Philippe II et sa proximité avec l’empereur, dont il partage la voiture pour partir à une chasse57. Par ailleurs, de la même façon que la « lettre écrite de la main d’un électeur ecclésiastique » lue par Polveiler mettait celui-ci au contact direct de l’auteur du document, la rencontre entre Monteagudo et Daniel Brendel von Homburg place ce dernier devant deux des formes de la présence hispanique dans le Saint-Empire, celle de l’ambassadeur qui représente un souverain et celle du souverain présent par une lettre qui parle pour lui.
52À la fois prise de fonction diplomatique et mise en contact de l’archevêque avec le nouvel ambassadeur et la parole manuscrite du Roi Catholique, une telle procédure de présentation des lettres de créance se produit de nouveau en 1577 avec l’envoi de Luis Enríquez de Cabrera, duc de Medina de Rioseco et amiral de Castille, comme ambassadeur extraordinaire dans le Saint-Empire.
53La lettre de Philippe II est bien une forme de l’incarnation de la parole royale puisqu’elle ne parle que pour le roi. Cette lettre royale fonctionne sur le même mode que tout autre contact physique : elle ne parle que pour elle-même et non pour son porteur, d’où la nécessité pour le diplomate de se présenter à son interlocuteur et de lui adresser un autre courrier. Pour notre sujet, la seule question en suspens est de savoir si la relation qui est alors mise en place avec l’archevêque de Mayence est de nature individuelle ou collective. Du point de vue espagnol, seul le texte de ces lettres, que nous n’avons pas pu retrouver, permettrait d’apporter une réponse catégorique ; du point de vue du récipiendaire en revanche, tout indique que la dimension individuelle du lien prime.
Après 1578 : des visites plus nombreuses
54À partir de l’année 1578, la nature des relations entre l’archevêque de Mayence et la Monarchie Catholique évolue de nouveau sensiblement et il devient possible d’en avoir une appréciation qualitative assez fine. Ce changement, qui concerne autant la forme que le contenu du lien, est perceptible grâce à deux missions diplomatiques que Philippe II envoie dans le Saint-Empire pour essayer de trouver une solution au problème flamand ou pour en limiter la portée.
55La première de ces deux missions est confiée à Ramiro Núñez de Guzmán, « gentilhomme de la bouche » du Roi Catholique, en décembre 1577. La commission qui lui est confiée est relativement vague, Philippe II se bornant à déclarer :
Comme quelques questions importantes à traiter avec le Sérénissime Empereur mon neveu et avec les Électeurs et autres Princes de l’Empire se sont présentées à moi, j’ai fait le choix de votre personne pour vous envoyer à eux avec cette commission58.
56Les pouvoirs qui lui sont effectivement accordés ne sont pas précisés mais il est possible de juger de l’objectif de cette mission et de percevoir la nature des relations mises en place avec ces « Princes de l’Empire » grâce aux autres documents qui sont donnés à Núñez de Guzmán.
57Le premier point à relever est le fait que cet envoyé n’est pas un alter ego royal, il est un simple représentant du roi, son porte-parole d’une certaine façon ; il n’est donc pas investi de pouvoirs qui lui donneraient la possibilité de prendre souverainement des décisions. Il doit seulement rendre compte de la situation dans les Pays-Bas et expliquer, au nom de Philippe II, pourquoi de telles décisions ont été prises59. À propos de l’articulation entre le document manuscrit et l’oralité, on peut d’ailleurs noter que la parole de Núñez de Guzmán ne peut être envisagée comme vraie que parce que la lettre du roi, ici de sa main même, vient en confirmer l’authenticité. C’est là une preuve supplémentaire de la liberté d’action réduite de cet émissaire.
58En ce qui concerne plus directement les relations avec Mayence, il est prévu que Ramiro Núñez de Guzmán remette à l’archevêque une lettre de Philippe II. Un document élaboré à Madrid et confié à l’émissaire espagnol précise en effet le nom de toutes les personnes qui doivent recevoir une missive du roi pour leur expliquer son action dans les Pays-Bas. Cette liste établit les envois à effectuer, et « d’abord à l’Électeur de Mayence » ; le suivent les cinq autres électeurs, le roi de Bohême n’étant pas mentionné puisqu’il s’agit de Rodolphe II60. Cet ordonnancement indique que les Espagnols ont une conscience claire de l’importance du collège électoral dans le fonctionnement du Saint-Empire et de la nécessité d’en tenir compte pour trouver des solutions impliquant l’espace impérial. De même, la mention l’électeur de Mayence en tête de liste montre qu’ils connaissent la hiérarchie interne de ce collège et savent que Daniel Brendel von Homburg en dirige les travaux. Enfin, le fait que ces lettres soient rédigées en allemand (en tudesco) marque une nouvelle fois la volonté de se rapprocher et d’être compris des princes allemands.
59Deux autres documents, qui font partie du même dossier, viennent compléter cet ensemble et précisent l’image que se font les Hispaniques de l’archevêque de Mayence. Le premier est la liste des pièces envoyées à Ramiro Núñez de Guzmán qui spécifie non seulement dans quelle langue sont rédigées les quarante-cinq lettres mais aussi si Philippe II en a été ou non le rédacteur61. C’est un indicateur assez fiable de l’étroitesse des relations nouées par les Espagnols dans le Saint-Empire. Dans cette liste, qui indique en définitive la hiérarchie réelle des princes impériaux pour la Monarchie Catholique, figurent en premier lieu l’empereur et la famille impériale : il y a ainsi
cinq lettres de la main de sa Majesté, quatre dans un pli et qui sont pour l’Empereur, l’Impératrice, la Reine de France [Élisabeth d’Autriche, veuve de Charles IX] et l’archiduc Ernest et une autre à part pour ladite Reine de France qui est une lettre de condoléances pour la mort de Madame Marie, sa fille62.
60Ici, l’écriture de la main même du roi est bien ce signe de déférence dont parle Fernando Bouza qui permet « d’apprécier l’estime » que Philippe II porte à ses destinataires63. Les alliances et liens du sang entre Habsbourg d’Espagne et d’Autriche, ainsi que l’importance politique et une éducation espagnole, justifient ce traitement privilégié. Sept autres personnes viennent ensuite qui reçoivent une lettre « en langue castillane » mais n’ayant pas été rédigée par le roi en personne : l’ambassadeur de Gênes, les archiducs Ferdinand de Tyrol et Charles de Styrie, l’ambassadeur Juan de Borja et les plus importants des clients espagnols : Adam von Dietrichstein, ancien ambassadeur impérial à la cour espagnole, Wolf Rumpf zum Wielroß, grand chambellan de l’empereur et Wratislaw von Pernstein, grand chancelier de Bohême. L’emploi de l’espagnol comme langue d’adresse marque l’appartenance au monde hispanique ou l’intégration poussée dans ses réseaux, ce dernier facteur expliquant que le Roi Catholique les informe au même titre que les princes impériaux. Après un courrier en français pour le cardinal archevêque de Liège Gerard van Groesbeeck, vient la quarantaine de lettres adressées aux princes de l’Empire. Quarante-trois émanent de Philippe II, deux de son épouse Anna, fille de l’empereur Maximilien II, pour les duchesses de Bavière et de Saxe. Si les deux lettres d’Anna sont écrites de sa main même, ce n’est pas le cas de celles de Philippe. Ce groupe de princes, qui comprend notamment l’archevêque de Mayence, n’est donc pas défini par sa proximité avec le Roi Catholique : ce dernier leur écrit vraisemblablement pour s’assurer du plus large impact dans l’Empire de sa justification et moins par obligation de fidélité d’un patron envers un client ou en vertu d’un lien de parenté. En 1578, Mayence ne fait donc partie ni de l’un ni de l’autre de ces réseaux.
61Le deuxième document de ce dossier qui permet d’affiner la nature de la relation entre les Espagnols et l’archevêque de Mayence est le résumé préparatoire des lettres envoyées par Philippe II64. Leur contenu est défini par rapport au modèle de la lettre en espagnol, modulé par des appréciations différentes pour chacun des destinataires. Par exemple, si l’évêque de Münster reçoit un document « conforme à la minute en castillan », il faut pour le landgrave de Hesse « employer moins de mots puisque l’on n’a pas avec lui autant de relation »65. À cette occasion semble se dessiner une autre hiérarchie des princes du Saint-Empire, moins protocolaire et davantage soucieuse des intérêts réels des Espagnols. Parmi les premiers mentionnés, on trouve ainsi les maisons de Bavière et de Saxe ainsi que l’archevêque de Salzbourg Johann Jakob Khuen von Belasy. L’électeur de Mayence ne vient qu’après le landgrave de Hesse, ce qui indique une fois de plus qu’en 1578 ses liens avec l’Espagne ne sont pas des plus resserrés. Toutefois, même dans cette situation, la position institutionnelle de l’archevêque semble le singulariser par rapport aux autres princes ecclésiastiques. Le mémoire précise en effet : « à l’Électeur de Mayence comme [la lettre] en castillan et comme à un Prélat ami et voisin66 ». Surtout, la lettre adressée à Daniel Brendel von Homburg sert de modèle pour les courriers des archevêques de Cologne et de Trèves. Il ne s’agit certes pas d’une preuve de l’existence d’un lien particulier entre la Monarchie Catholique et Mayence, seulement le signe que le lien ténu qui existe alors a un caractère normatif pour les autres relations avec les électeurs ecclésiastiques puisqu’il en définit la forme.
62Enfin, comme la prise de fonction du comte de Monteagudo en 1570, l’envoi de Ramiro Núñez de Guzmán dans le Saint-Empire est l’occasion d’une rencontre avec Daniel Brendel von Homburg pour lui remettre personnellement la lettre de Philippe II. Le cas est ici particulièrement intéressant dans la mesure où il donne lieu à deux comptes-rendus légèrement différents de la part de l’émissaire espagnol, l’un au roi et l’autre à son secrétaire, Gabriel de Zayas. Le rapport au secrétaire évoque la rencontre de manière relativement succincte :
Tout s’est bien déroulé avec l’ensemble des Princes et des Électeurs à qui j’ai rendu visite jusqu’à présent ; parmi ceux-ci, j’ai trouvé dans ceux de Mayence et de Trèves de véritables serviteurs de sa Majesté, et ce dernier ne le montre pas seulement avec des paroles mais avec les actes d’un ami véritable67.
63L’archevêque de Mayence est ici présenté en ami des Espagnols mais sa sincérité peut être questionnée dans la mesure où il apparaît comme un ami en paroles, au contraire de l’archevêque de Trèves Jakob von Eltz qui ne se plaint pas du passage fréquent des troupes hispaniques sur ses territoires en direction des Pays-Bas.
64La lettre que Ramiro Núñez de Guzmán envoie à Philippe II présente des différences assez sensibles dans le récit de la rencontre avec l’archevêque de Mayence :
J’ai vu [l’archevêque] de Mayence, lequel se trouvait également dans une maison hors de sa résidence ordinaire. Il m’a reçu avec une entière bienveillance et la grande démonstration d’un serviteur passionné de Votre Majesté, très désireux que tous les troubles de Votre Majesté se transforment en une grande quiétude et repos pour lui, tant cela convient à la chrétienté pour toutes les fois où elle a eu besoin de son aide ; il m’a dit qu’il ne ferait pas défaut à Votre Majesté. J’ai seulement senti qu’il éprouvait du chagrin à cause du mauvais traitement que les soldats qui passent pour se rendre au camp de Votre Majesté faisaient à ses vassaux, me faisant comprendre que si l’on ne remédiait pas à cela, il ne pourrait que leur fermer le passage. Ce à quoi je lui ai répondu et l’ai adouci de telle sorte que j’ai compris qu’il ne le ferait pas68.
65Bien que rédigé un mois après le précédent, ce courrier détaille davantage la visite rendue à Daniel Brendel von Homburg. Il s’agit de montrer au roi que les hiérarchies impériales ont été respectées et que le deuxième personnage de l’Empire a eu droit aux égards dus à son rang. Dans la mesure où les contacts entre les deux parties sont rares, ce récit est aussi un moyen de communication indirect entre Philippe II et l’électeur de Mayence, ce dont Núñez de Guzmán semble conscient puisqu’il donne à lire les sentiments et attitudes de l’archevêque de manière très précise. Enfin, une fois encore, la rencontre confronte l’interlocuteur à deux formes de présence (un envoyé du Roi Catholique et une lettre de ce dernier) qui se complètent et se justifient mutuellement.
66La deuxième mission diplomatique espagnole dans le Saint-Empire à propos de la situation aux Pays-Bas pour l’année 1578 est celle de Carlos de Aragón, duc de Terranova. L’objet de cette mission n’est plus seulement d’informer les princes de l’Empire de ce qu’il se passe dans les Flandres ni de les tenir au courant de ce que Philippe II compte faire. Il s’agit plutôt de mettre en place une commission d’arbitrage composée de quatre princes territoriaux du Saint-Empire (les archevêques de Cologne et de Trèves Gebhard Truchseß von Waldburg et Jakob von Eltz, l’évêque de Wurtzbourg Julius Echter von Mespelbrunn et le duc de Clèves-Juliers-Berg Guillaume), d’un représentant de Philippe II (le duc de Terranova) et de députés des Pays-Bas69. Pour le Roi Catholique, trois points, au moins, sont à l’ordre du jour de cette conférence qui doit se tenir à Cologne :
La Religion Catholique Romaine ; mon obéissance et le départ de l’Archiduc Matthias desdits États [des Flandres] et tout ce qui, au regard et pour l’accomplissement de ces choses, paraîtrait juste et raisonnable70.
67L’objectif recherché, du moins tel qu’il est évoqué dans ces instructions, est que les commissaires agissent en médiateurs plus qu’en juges pour apaiser la révolte flamande. Une somme de 100 000 florins est même prévue et provisionnée afin d’« essayer de gagner la volonté et l’esprit des Électeurs, commissaires de l’Empereur71 ». Si l’on peut voir à bon droit dans cette somme une forme de corruption, c’est aussi et peut-être surtout un moyen pour les Espagnols de mettre enfin en place des liens formels avec des membres du collège électoral, dans un cadre d’obligations réciproques qui iraient au-delà d’un éventuel apaisement de la révolte flamande.
68Une fois de plus, l’envoi d’un ambassadeur espagnol est l’occasion de présenter des lettres de créance auprès des principaux princes de l’Empire. Selon une procédure désormais bien connue, le duc de Terranova en profite pour rencontrer les électeurs, notamment pour les sonder en vue de la commission et voir lesquels sont favorables à un arbitrage privilégiant le Roi Catholique. C’est dans cette perspective que Terranova se rend à Mayence : il veut « convaincre l’Électeur d’accepter la commission du Prince [Alexandre Farnèse] et de venir assister à cette junta72 ». La réponse de Daniel Brendel von Homburg n’est sans doute pas celle espérée : non seulement celui-ci repousse toute idée de participation à la commission en question mais il refuse également de rencontrer l’ambassadeur extraordinaire ou le fils de celui-ci, Pedro de Aragón. L’explication de Terranova à cette fin de non-recevoir est que l’électeur de Mayence,
même s’il est très catholique, fait preuve de beaucoup d’industrie et d’attention pour se maintenir en aussi grande amitié tant avec les catholiques qu’avec le protestants, sans se déclarer avec les uns contre les autres mais au contraire en demeurant dans cette neutralité73.
69Cette neutralité correspond à la fois aux intérêts d’un prince d’Empire d’importance moyenne d’un point de vue territorial, et à ceux de l’archichancelier : sa fonction l’amène en effet à être en relation avec toutes les composantes du Saint-Empire, quelle que soit leur confession, et participer à cette commission à la demande des Espagnols ruinerait cette position de neutralité. Il faut donc voir dans ce refus la volonté de maintenir un équilibre politique impérial qui importe davantage à Mayence que la domination espagnole sur les Pays-Bas. Même si la forme des relations a évolué, l’archevêque de Mayence n’est pas encore prêt à devenir un client ou un allié objectif de la Monarchie Catholique : c’est avant tout par l’Empire et pour l’Empire qu’il agit et existe.
70La mise en place de relations entre la principauté électorale de Mayence et la Monarchie Catholique s’effectue ainsi en deux temps. Au tournant des années 1550, lors de sa venue aux Pays-Bas, le prince Philippe essaie de jeter les bases d’un premier réseau de fidèles dans le Saint-Empire et rencontre à deux reprises Sebastian von Heusenstamm. Cette première tentative s’inscrit dans le cadre d’un projet politique plus large qui vise à modifier l’ordre successoral au sein des Habsbourg. D’un point de vue espagnol, ces deux aspects n’aboutissent pas. Dans un deuxième temps, à la fin des années 1560 et plus encore durant les années 1570, on assiste à la reprise des contacts vraisemblablement rompus après 1552. C’est désormais la situation aux Pays-Bas qui justifie que les contacts soient renoués. Dans un cas comme dans l’autre, l’archevêque de Mayence est avant tout considéré comme un acteur institutionnel par les Espagnols : son appartenance au collège électoral semble être la principale raison de l’intérêt qu’il suscite.
71Les formes que prennent ces relations laissent également entrevoir l’importance que les Espagnols accordent aux archevêques de Mayence. Ainsi, elles ne sont jamais des alliances dynastiques (en plus d’être une charge ecclésiastique, la fonction archiépiscopale est élective et empêche donc tout lien de cette nature) ; elles ne sont pas non plus des relations de clientèle. Après avoir été collectives et médiates, les relations entre la Monarchie Catholique et Mayence deviennent davantage personnelles dans le courant des années 1570 : aux visites d’ambassadeurs succèdent les envois de lettres de Philippe II. Ces dernières témoignent de l’intérêt particulier des Espagnols à l’égard du deuxième personnage du Saint-Empire.
72Cet intérêt paraît croître durant le dernier quart du xvie siècle, lorsqu’il devient évident que la révolte des Pays-Bas ne peut être résolue par la seule force. Daniel Brendel von Homburg tente de maintenir une position neutre dans le Saint-Empire à l’égard des princes luthériens et calvinistes. Cela fait de lui un intermédiaire envisageable dans un conflit qui pose à son tour la question de l’appartenance des Flandres à l’espace politique impérial. C’est aussi à ce moment que commence à se poser le problème de la dépendance des Espagnols vis-à-vis de l’empereur pour obtenir des informations concernant les affaires impériales. Pour limiter les risques de rétention d’information, la nécessité s’impose alors de trouver d’autres informateurs. On retrouve ici une des particularités de la présence espagnole dans le Saint-Empire, présence marquée par un tropisme bipolaire entre la cour de Vienne et l’espace plus spécifiquement allemand de l’Empire. L’importance de Mayence se comprend donc une fois l’archevêque situé dans le faisceau élargi des relations espagnoles dans l’Empire.
Notes de bas de page
1 « Prelado amigo y vezino » (« Hanse de hazer cartas de su M[agesda]d en tudesco con el comendador Ramiro Núñez de Guzmán su gentilhombre de la boca para las personas siguientes », sans date, AGS, Estado, Alemania, leg. 686, doc. 102).
2 Bély, 1999.
3 Kohler, 1998 ; Gómez-Centurión Jiménez, 2000 ; Bourdeu, 2012.
4 Rodríguez Raso, 1958 ; Rodríguez Salgado, 1988, pp. 38-40 et 44-46 ; Kohler, 2003, pp. 286-289.
5 Corpus Documental de Carlos Quinto, t. II et III ; Álvarez, Relación del camino ; Calvete de Estrella, El felicíssimo viaje.
6 « Allí vino el arçobispo de Maguncia qu’es Elector a visitar su Alteza » (Álvarez, Relación del camino, p. 633).
7 « Partiré mañana para Spira, donde entiendo que me está esperando el elector de Maguncia » (lettre de Philippe à Charles Quint, 10 mars 1549, Corpus Documental de Carlos Quinto, t. III, p. 103).
8 Calvete de Estrella, El felicíssimo viaje, p. 114.
9 Vogler, 1981, t. I, p. 11.
10 « Es la yglesia antiquíssima y de gran magestad y Capilla Imperial, donde están sepultados ocho Emperadores con sus mugeres […]. Son los Emperadores […] el Emperador Conrrado Segundo y la Emperatriz Gisela, su muger, fundadores de la yglesia; Enrrico Tercio, hijo de Conrrado, y la Imperatriz Ygnes, su muger; Enrrico Quarto y la Emperatriz Berta, su muger; Enrrico Quinto, que fue casado con Mechtilde, hija de Enrrico, Rey de Inglaterra; Philippo, Duque de Suevia y Rey de Romanos, y Rodolpho, y Adolpho y Alberto, hijo de Adolpho y Beatriz, madre del Rey Philippo y muger del Emperador Federico Barbaroxa » (Calvete de Estrella, El felicíssimo viaje, p. 117).
11 « No hay que decir más a V[uestra] A[lteza], sino que iremos por agora hasta Maguncia » (lettre de Philippe à Maximilien, 12 juin 1550, Corpus Documental de Carlos Quinto, t. III, p. 204).
12 Kohler, 2001, pp. 319-323 et Komatsu, inédite, pp. 109-128.
13 Ibid., pp. 116-117.
14 Braudel, 1990, t. II, pp. 231-238 ; Rodríguez Salgado, 1988, pp. 44-46 ; Kohler, 2001, pp. 349-356.
15 Kohler, 2003, pp. 286-289.
16 Ibid., p. 288.
17 « Viehischen spanischen servitut » (Wartenberg, 1997, p. 142).
18 « Ansí será bien que, con la buena amistad y estrecha inteligencia del rey, mi hermano, tengáis también cuidado de entretener la amistad de los Electores, príncipes y potentados desta Germania, que es cosa que no puede sino convenir, y será al propósito del que ternéis, señaladamente en la parte de Italia, y hacia Flandes » (instructions de Charles Quint à Philippe, 18 janvier 1548, Corpus Documental de Carlos Quinto, t. II, p. 575).
19 « Relatio oratorum Moguntinorum », 10 octobre 1609, ASV, Congr. Concilio, Relat. Dioec. 479, fo 68vo ; Guttenberg, 1953.
20 Brandi, 1943, p. 501.
21 « Yo tendré harto que hazer de defender contra ellos vuestras dichas tierras, no me siendo possible de poder resistir, como conuendría contra la fuerça del dicho Marqués, viniendo de la parte del Ryn, adonde hallará bien poca resistençia, [e]specialmente de los Electores Eclesiásticos » (lettre de Marie de Hongrie à Charles Quint, 14 juillet 1552, Corpus Documental de Carlos Quinto, t. II, pp. 460-462).
22 « Los cuales no acuden como S[u] M[ajesdad] quisiera, porque el Palatino lo desvía lo que puede […] por agora dice que no hay para qué » (lettre du comte de Luna à Philippe II, 19 février 1562, CODOIN, t. XCVIII, p. 291).
23 « Por quanto es razón y conviene por muchos respectos que su Mag[esda]d dé un poco mas particular quenta al Emp[erad]or del prendimiento dessos señores que no a los d[ic]hos Electores y Príncipes de Alemaña » (lettre de Philippe à Chantonnay, sans date, AGS, Estado, Alemania, leg. 659, fo 84).
24 « Los Príncipes nuestros amigos » (instructions à Chantonnay, 6 septembre 1564, AGS, Estado, Alemania, leg. 652, doc. 205 ; instructions au comte de Monteagudo, 12 janvier 1570, CODOIN, t. CX, p. 10).
25 « Tanbién lleváys sendas cartas mías para los Electores q[ue] se las remitiréys desde la Corte con otras v[uest]ras y significación de que tengo con ellos la cuenta que merescen » (instructions à Luis Enríquez de Cabrera, 16 juillet 1577, AGS, Estado, Alemania, leg. 680, doc. 1).
26 « Los Electores y Príncipes amigos y servidores de su Mag[esda]d son los siguientes », sans date, AGS, Estado, Alemania, leg. 659, n. f.
27 À titre d’exemple : « El Elector de Brandenburg es muy bien Príncipe y afficionado a la casa de Austria y siempre ha muestrado tener mucha voluntad a las cosas de su Mag[esda]d si bien no es cathólico » (ibid.).
28 « A todos estos señores por mas deudos que sean de su M[ajesda]d no les pesa de ver a Matías en Flandes y pretenden de que su M[ajesda]d le confirme el govierno y dizen los Electores que no havrà paz jamás no haziéndolo assí su M[ajesda]d » (lettre de Gilbert de Zomere à Gabriel de Zayas, 5 juin 1578, AGS, Estado, Alemania, leg. 686, doc. 117).
29 Lettre du comte de Monteagudo à Philippe II, 5 juillet 1572, CODOIN, t. CX, pp. 471 et 474.
30 « Lo que su M[ajesda]d Ces[are]a escrive a todos los Electores y principales de los círculos del Imp[eri]o y a los dos lantsgravios sobre las levas de gente para Flandes » (traduction d’une lettre de Maximilien II, 15 juillet 1572, AGS, Estado, Alemania, leg. 668, doc. 103).
31 « Demás de los nombrados si su M[ajesda]d quisiere dar a los demás que suelen servir en negocios y materias destado, se podrá acordar […] de Preyner el mayor y del Doctor Egmiler que suelen yr de ordinario en comisión a los Electores del Imperio con quien todavía podrían hazer oficios buenos y servicio a su M[ajesda]d » (« Lista de los ministros del Emp[erad]or y oficiales de su cancillería a los quales parece se podrá o havrá de dar alguna gratificación de parte de su M[ajesda]d Cat[óli]ca », sans date, AGS, Estado, Alemania, leg. 685, n. f.).
32 Laferl, 1997, pp. 123-132.
33 Lettre du comte de Luna à Philippe II, 30 avril 1562, CODOIN, t. XCVIII, pp. 323-324.
34 Lettre du comte de Luna à Philippe II, 21 mai 1562, ibid., pp. 327-331.
35 « No se pudo excusar de communicarlo a los Electores y pedirles sus pareceres » (lettre de Philippe II au comte de Monteagudo, sans date, AGS, Estado, Alemania, leg. 680, doc. 51).
36 « Esto le significaréys entretanto q[ue] yo le respondo q[ue] será después q[ue] el [h]aya visto los paresceres de los Electores y me [h]aya embiado el suyo pues antes está claro q[ue] yo no podría dar el mío con deliberación » (ibid.).
37 Lettre du comte de Luna à Philippe II, 11 mars 1561, CODOIN, t. XCVIII, pp. 200-201.
38 « Los eclesiásticos están acobardados y temerosos, porque les parece que por una parte están en boca de franceses, que tienen gran inteligencia con éste [el Palatino] y con Butin Bergue y Langrave, que también los tiene de la otra parte » (lettre du comte de Luna à Philippe II, 19 février 1562, ibid., pp. 290-292).
39 « Tenían gran voluntad de servir a S[u] M[ajesdad] y a las cosas de su casa » (lettre du comte de Luna à Philippe II, 25 février 1562, ibid., p. 296).
40 Lettre du comte de Monteagudo à Philippe II, 19 janvier 1572, CODOIN, t. CX, p. 351.
41 « Leer una carta escripta de mano de un elector del Rin ecclesiástico » (lettre du baron Juan de Polveiler, fin du mois d’août 1562, AGS, Estado, Alemania, leg. 659, fos 2-3).
42 Bouza, 2005, p. 11.
43 Gimeno Blay, 1999 ; Cardim, 2005 ; Bouza, 2010, pp. 37-68.
44 Outre les références précédentes, voir Id., 2001, pp. 16-21 et 137-144. Pour une vue d’ensemble plus globale sur l’histoire socioculturelle, voir Hunt, 1989 ; Chartier, 2009, pp. 27-74.
45 Israel, 1995, pp. 184-205.
46 Relation de lettre de Daniel Brendel von Homburg à Philippe II, 16 octobre 1567, AGS, Estado, Alemania, leg. 658, doc. 83.
47 « El Elector de Moguncia » (ibid.).
48 « El duque de Alva ha mandado prender al d[ic]ho conde » (ibid.).
49 Kettering, 1986.
50 Relation d’une lettre de Maximilien II à Philippe II, 20 octobre 1567, AGS, Estado, Alemania, leg. 658, doc. 83.
51 « Esta muy cierto que la intención de V[uestra] Mag[esda]d no es de aggraviar a nadie, ny aun persona de menor qualidad sin haver oydo cumplidamente sus descargos. Que todavía considerando la tan humilde y quexosa petición de sus d[ic]hos parientes, no pudo negarles en estos sus trabajos su favor. Y por ende supplica muy mucho a V[uestra] Mag[esda]d que en consideraçión destas y otras causas, sea servido preferir la clemencia al rigor » (relation d’une lettre de Daniel Brendel von Homburg, 16 octobre 1567, AGS, Estado, Alemania, leg. 658, doc. 83).
52 « A los Electores y mas Principales Principes del Imp[eri]o » (relation pour l’ambassadeur Chantonnay, sans date, AGS, Estado, Alemania, leg. 659, doc. 84).
53 « El d[ic]ho prendimiento ha sido hecho no solo por causas justas y legítimas mas también muy necessarias como andando el tiempo entenderán y conocerán más claramente no siendo la intención de su Mag[esda]d otra sino de proceder y tratar los negocios no solamente por vía de razón y de justicia según la qualidad de cada uno, mas también de usar de clemencia y misericordia tanto que será possible » (ibid.).
54 « Los Electores y Príncipes amigos y servidores de su Mag[esda]d », sans date, AGS, Estado, Alemania, leg. 659, n. f.
55 Haan, 2011, p. 281.
56 « Se os dará con esta una memoria de la cualidad de cada uno de ellos, y de las obligaciones que me tienen, con sendas cartas graciosas en tudesco para los que me ha parescido que se les debía escribir, las cuales vos les remitiréis desde la corte con otras vuestras en que les hagáis saber vuestra llegada allí, y que ternéis con ellos toda buena correspondencia » (instructions au comte de Monteagudo, 12 janvier 1570, CODOIN, t. CX, pp. 10-11).
57 Lettre du comte de Monteagudo à Philippe II, 22 juillet 1570, ibid., pp. 35-40, déjà citée.
58 « Haviéndoseme offrescido algunos negocios de importancia que tratar con el Ser[enísi]mo Emperador mi sobrino y con los Electores y otros Príncipes del Imperio he hecho electión de v[uest]ra persona para os embiar a ellos con esta comissión » (commission de Philippe II à Ramiro Núñez de Guzmán, décembre 1577, AGS, Estado, Alemania, leg. 686, fo 96).
59 « Embio a Ramiro Núñez de Guzmán para que dé cuenta dello a V[uestra] M[ajesda]d y a los Electores y Príncipes del Imperio, a fin que por todos y en todas partes se entienda la razón y justificación con que allí se procede por mi parte » (lettre de Philippe II à Rodolphe II, 15 janvier 1578, AGS, Estado, Alemania, leg. 686, fo 99).
60 « Primo al Elector de Maguncia » (mémoire des lettres de créance à écrire en allemand pour Ramiro Núñez de Guzmán, sans date, AGS, Estado, Alemania, leg. 686, fo 97).
61 « Las pieças que se embian al s[eñ]or Ramiro Núñez de Guzmán », 18 avril 1578, AGS, Estado, Alemania, leg. 686, fo 100.
62 « Cinco cartas de mano de su M[ajesda]d las quatro en un pliego y son para el Emperador, Emperatriz, Reyna de Fran[ci]a y Archiduque Ernesto y otra aparte para la d[ic]ha Reyna de Francia que es consolatoria de la muerte de Madama María su niña » (ibid.).
63 Bouza, 2001, p. 138.
64 « Hanse de hazer cartas de su M[agesda]d en tudesco con el comendador Ramiro Núñez de Guzmán su gentilhombre de la boca para las personas siguientes », sans date, AGS, Estado, Alemania, leg. 686, doc. 102.
65 « Al Obispo de Munster conforme a la minuta de castellano » et « Al Lantzgrave de Hassia en la misma conformidad con menos palabras pues no se tiene con el tanto trato » (ibid.).
66 « Al Elector de Maguncia como la de castellano y como a Prelado amigo y vezino » (ibid.).
67 « Haviéndonos ydo bien con todos los Príncipes y Electores que hasta agora he visitado de los quales hallo muy verdaderos servidores de su M[agesda]d al de Maguncia y Treveres y este postrero no solo lo muestra con palabras mas con obras de muy verdadero amigo » (lettre de Ramiro Núñez de Guzmán à Gabriel de Zayas, 20 octobre 1578, AGS, Estado, Alemania, leg. 686, doc. 135).
68 « Vi al de Maguncia el qual estava también en una villa fuera de su ordinaria residencia. Recibiome con mucha voluntad y gran demostración de muy servidor de V[uestra] M[ajesda]d y afficionado suyo y desseosíssimo de que todos estos dessasossiegos de V[uestra] M[ajesda]d paren en tanta quietud y reposo suyo, quanto a toda la christiandad conviene para lo qual todas las vezes que fuesse menester su ayuda, me dixo no faltaría a V[uestra] M[ajesda]d. Solo sentí del recibía pessadumbre del mal tratamiento que la gente de guerra que passava para el campo de V[uestra] M[ajesda]d hazía a sus vassallos dándome a entender que si esto no se remediaba no podía de cerralles el passo a que le reppliqué y ablandé de suerte que entiendo no lo haría » (lettre de Ramiro Núñez de Guzmán à Philippe II, 23 novembre 1578, ibid., doc. 138).
69 Pour la liste précise des participants à cette conférence et un récit de celle-ci, voir Strada, Histoire de la guerre des Pays-Bas, t. III, pp. 123-165.
70 « La Religión Cath[óli]ca Romana; mi obediencia y la salida del Archiduque Mathías de los dichos Estados y lo demás que en respecto y cumplimiento destos paresciessen justos y razonables » (instructions au duc de Terranova, 30 août 1578, AGS, Estado, Alemania, leg. 2844, doc. 1).
71 « Procurar de ganar la voluntad y animo de los Electores, comissarios del Emp[erad]or » (instructions et avertissement au duc de Terranova, 30 août 1578, ibid., doc. 4).
72 « Hazer esfuerzo con el elector para que acceptasse la comissión del Príncipe, y viniesse a hallarse en esta junta » (lettre du duc de Terranova à Philippe II, 15 avril 1579, ibid., doc. 46).
73 « Aunque es muy cathólico usa de mucha industria y cuydado en mantenerse en tanta amistad con los cathólicos como con los hereges, sin declararse por los unos contra los otros, sino conservándose en esta neutralidad » (ibid.).
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