Conclusion
p. 607-620
Texte intégral
I. — Encore à propos du déclin catalan
1Les différents constats établis au cours de cette étude imposent de revenir sur le débat relatif à la chronologie du déclin catalan, resté largement ouvert1. Analyser les relations de Barcelone avec l’Égypte et la Syrie aux XIVe et XVe siècles amène immanquablement à prendre partie dans la controverse, bien que la présente étude ne soit pas fondée sur des postulats ou des présuppositions dans ce domaine. La plupart des constats établis dans les chapitres qui précèdent, qu’ils soient relatifs au nombre des bâtiments ou à l’évolution des capitaux investis, incitent en effet clairement à remettre en cause la notion de déclin et à recadrer celle de crise, au cours des deux derniers siècles du Moyen Âge. Il ne fait aucun doute qu’une grave crise a bel et bien affecté le commerce de Barcelone avec le Levant, essentiellement entre 1350 et 1370. L’étude des contrats notariés a en effet permis de mettre en évidence une forte chute des capitaux investis vers cette destination au cours de cette période ainsi qu’une diminution du nombre des navires, au point qu’aucun d’entre eux ne semble avoir appareillé — du moins d’après les documents qui nous sont parvenus — entre 1367 et 1370. Au cours de ces années, plusieurs éléments se conjuguent en effet pour créer un contexte de difficultés aiguës : les uns de longue durée, comme les épidémies de peste, entraînant une surmortalité qui pèse sur les activités économiques à partir de 1348, ou l’épuisement des mines d’argent de Sardaigne qui met un terme définitif aux exportations massives de métal blanc après 1360. Les autres causes sont plus conjoncturelles et surtout liées aux conflits, qui eux aussi affectent durablement l’économie de la couronne d’Aragon en raison des sacrifices qu’ils exigent, comme dans le cadre de celui qui oppose cet État à la Castille entre 1356 et 1375 ; mais même quand ils sont plus brefs, tel lors du raid du roi Pierre Ier de Chypre contre Alexandrie en 1365, ils peuvent aussi interrompre brutalement les relations commerciales avec les Mamelouks. Toutefois, cette crise doit être strictement circonscrite aux années 1350 à 1370 environ, et ne s’étend pas au-delà.
2En effet, une fois la paix revenue entre le sultan du Caire et la plupart des nations chrétiennes occidentales, soit à partir de 1370, les relations commerciales reprennent et un rapide processus de récupération s’enclenche. Il est vrai que le démantèlement des derniers restes de l’Empire mongol à partir du milieu du XIVe siècle avait provoqué un déplacement des routes commerciales qui remettait en valeur la voie maritime de l’océan Indien, communiquant avec la Méditerranée par la mer Rouge, l’Égypte ou la Syrie et plaçant donc ces pays dans une situation avantageuse dont ils pouvaient à nouveau tirer profit. Ainsi, dès la dernière décennie du XIVe siècle, le niveau des investissements des années 1340 — soit avant la crise — était rattrapé et même dépassé. Puis la croissance se poursuit, au moins pendant tout le premier tiers du XVe siècle, activement et durablement soutenue par la commercialisation d’un nouvel article coûteux, le corail. Elle connaît même une accélération très marquée au cours des années 1420-1430 en raison des effets du processus de professionnalisation marchande et d’un usage plus répandu des assurances, et cela en dépit d’incidents ponctuels et d’une recrudescence de la piraterie. Il faut souligner que le nouveau rôle de tête de ligne assigné au même moment à l’île de Rhodes — demeurée chrétienne —, sur laquelle les Catalans peuvent s’établir et installer des infrastructures commerciales plus développées que celles d’Égypte et de Syrie, réduites pour leur part au strict minimum, contribue lui aussi à la croissance des échanges avec le Levant. Même si Alexandrie continue d’être régulièrement fréquentée, cette réorganisation des axes commerciaux entraîne un déplacement durable des centres de gravité du négoce catalan en Méditerranée orientale au profit de l’île des chevaliers de Saint-Jean2.
3Ainsi le commerce du Levant est-il marqué par une croissance continue et même accélérée entre 1370 et 14303. Ce n’est donc pas un déclin, mais au contraire la vitesse de récupération et la vitalité du négoce en direction de l’Orient méditerranéen qu’il faut souligner pour cette période, même s’il ne s’agit là que d’un aspect parmi d’autres des activités économiques de la capitale du Principat. Par ailleurs, la hausse des investissements vers le Levant traduit en fait deux phénomènes simultanés dont il est difficile d’apprécier l’importance respective, mais qu’il convient de distinguer : la croissance du négoce avec le Levant — île de Rhodes comprise — mais aussi la professionnalisation des activités de grand commerce, qui entraîne la disparition des petits contrats et accentue donc cet effet d’augmentation des investissements. Néanmoins, tous deux constituent bien de fidèles reflets de l’expansion des activités marchandes jusqu’au début des années 1430.
4Arrêtons-nous un instant sur les arguments développés par Cl. Carrère, qui s’est efforcée de démontrer que les années 1380-1425 conduisaient à la « crise »4. De façon surprenante, cet auteur renonce explicitement à aborder le thème du commerce extérieur dans le chapitre consacré à cette période, « faute d’une documentation adéquate5 ». Ainsi malgré les apports inestimables de ses recherches dans bien des domaines — apports auxquels notre étude est elle-même très largement redevable —, force est de constater qu’il y a bien là une contradiction majeure, d’une part avec la reconnaissance d’une très grande richesse documentaire des archives de Barcelone, en particulier dans le domaine commercial au cours de cette période6, d’autre part avec l’affirmation répétée et justifiée de l’importance vitale des activités d’échanges dans l’économie de Barcelone7. En outre, Cl. Carrère est bien amenée à conclure, en dépit de l’énumération des difficultés qui affectent cette période :
Aux alentours de 1410-1420 [...] facteurs de redressement et causes de faiblesse se sont neutralisés, permettant le maintien d’une situation économique viable, sinon parfaitement saine8.
5L’ensemble laisse donc l’impression d’une volonté de démontrer un postulat de déclin — ou de difficultés, comme le nuance Cl. Carrère — pour cette période, alors que certaines réalités refusent manifestement de se plier à ce schéma9.
6Cependant, à partir de 1433 le contexte change : les difficultés de la conquête du royaume de Naples conduisent Alphonse le Magnanime à se montrer toujours plus exigeant vis-à-vis des armateurs et des bailleurs de fonds barcelonais, comme nous l’avons déjà constaté10. Après le désastre de Ponza en 1435, il est sans doute justifié de parler de nouvelle crise du commerce du Levant puisque les relations paraissent totalement interrompues au cours de l’année suivante et que marchands et Conseillers de la Cité Comtale s’en plaignent ouvertement. Sans doute faut-il ensuite ne pas surestimer les velléités d’Alphonse V de négocier avec le nouveau sultan Ḏjaḳmaḳ au profit des marchands catalans, puisque les « traités » qu’évoque M. Del Treppo à ce sujet en 1441, 1446 et 1451, ne sont en fait que des instructions d’ambassade qui n’ont pas abouti — d’où leur répétition — en raison sans doute des exigences excessives formulées par le roi11. Ces initiatives soulignent en définitive le caractère plus ostentatoire qu’efficace de la politique entreprise par Alphonse le Magnanime : il montrait ainsi qu’il ne restait pas inactif et qu’il se préoccupait du commerce de ses sujets catalans, mais les effets de cette attitude restaient somme toute bien limités. La vingtaine d’années comprises entre 1433 et 1454 fut donc bien marquée par de sérieuses difficultés pour le grand commerce et sans doute, par voie de conséquence, pour l’ensemble de l’économie catalane. Cependant, pour contraignants qu’ils fussent, ces problèmes restaient avant tout d’ordre conjoncturel et non pas structurel12, puisqu’ils étaient principalement liés à la conquête puis à la défense du royaume de Naples ; aussi n’autorisent-ils pas à parler d’un déclin de Barcelone ou de la Catalogne au cours de cette période.
7C’est d’ailleurs bien ce qui explique la reprise des années 1454-1460, admise tant par Cl. Carrère que par M. Del Treppo13 et qui ne peut être l’effet de la seule présence des réformateurs au pouvoir pendant une phase aussi courte. Dès lors, il peut sans doute paraître surprenant et même contradictoire au premier abord de voir toute cette évolution ascendante déboucher sur une guerre civile de dix années qui devait laisser la ville de Barcelone épuisée et incapable de jouer de nouveau le rôle de grand port commercial qui avait été le sien avant 1462. Il faut en fait changer de perspective et retourner l’argumentation qui consiste à lier le prétendu déclin économique à la guerre civile des années 1462-1472. En réalité, ce sont bien la croissance et les profits du commerce qui ont entraîné un renouvellement permanent des élites sociales et ont ainsi stimulé leur aspiration au pouvoir, toujours confisqué par les citoyens honrats jusqu’en 1454, mais bien décidés alors à le reconquérir. L’affrontement n’aurait en effet pu avoir lieu si la nouvelle élite n’avait disposé de solides moyens, provenant en majeure partie des bénéfices du grand commerce, qui lui permettaient ainsi d’affronter une oligarchie prête à tout pour défendre un pouvoir qu’elle refusait obstinément de partager. Ainsi s’expliquent l’âpreté de la lutte entre Busca et Biga aussi bien que l’étendue du désastre final.
8Ces lignes d’évolution brossées à grands traits amènent donc clairement à remettre en cause le principe d’un déclin catalan précoce. Les tenants de cette thèse pourront certes faire remarquer que les bénéfices du commerce du Levant ne profitaient qu’à un groupe restreint de marchands — dont l’assise sociale était toutefois plus large que celle de l’élite des négociants proprement dite. Les activités et la vitalité économique de ces individus sont-elles donc bien représentatives de celles de l’ensemble de la population ? À cette question, qui dépasse en partie le strict cadre de cette étude par son étendue, il serait a priori tentant de répondre par la négative, puisque ce groupe disposait évidemment de moyens bien supérieurs à ceux du reste de la population. Cependant, cette réponse ne tient pas compte du rôle moteur joué par les marchands dans l’ensemble des activités de la Cité Comtale. Car s’il est un point sur lequel les tenants des deux thèses opposées s’accordent volontiers, c’est bien le fait que le commerce extérieur jouait un rôle moteur dans l’économie de Barcelone, voire de toute la Catalogne, dont la capitale constituait en quelque sorte la principale porte d’entrée et de sortie14. Et, selon le mot des Conseillers de Barcelone eux-mêmes, le trafic avec Alexandrie constituait bien
un foment, cap e principi de tot lo negoci, e perturbats los afers de Levant, en gran part son desviats tots los altres15.
9Comment, dans ces conditions, justifier un déclin de longue durée, malgré ce rôle d’entraînement des activités d’échanges qui étaient en pleine croissance ou, au pire, subissaient de longues difficultés qui restaient d’ordre conjoncturel ? Comment ne pas remarquer, enfin, que la guerre civile des années 1462-1472, qui mit réellement un terme à ce rayonnement commercial, n’est pas due essentiellement à des problèmes d’ordre économique mais bien à un blocage politico-social, en pleine contradiction avec les espoirs d’enrichissement et de promotion que les échanges commerciaux continuaient de susciter chez les marchands ?
II. — Les relations de Barcelone avec le levant dans la logique de l’« économie-monde »
10Telles qu’elles viennent d’être décrites, les activités de Barcelone, comme celles de Venise de Gênes ou de Florence, révèlent une structure d’économie d’échange qui prépare le formidable essor que les relations commerciales allaient connaître peu après, avec les Grandes Découvertes. L’esprit de profit qui motivait ces trafics lointains et entraînait souvent les grandes cités portuaires dans des rapports de rivalité, de même que certaines pratiques mercantiles bien rodées, sont déjà représentatifs d’une première forme de capitalisme16, appelée à un grand avenir. Aussi est-il logique de chercher parmi les études relatives aux Temps Modernes des clés de lecture et de compréhension de ce type d’économie.
11Les théories d’I. Wallerstein et de F. Braudel relatives au « système-monde »17 s’appliquent en effet parfaitement aux relations que Barcelone tisse avec le Levant à la fin du Moyen Âge et, d’une manière plus générale, aux nouveaux équilibres économiques qui se dessinent dans l’ensemble du Bassin méditerranéen18. De fait, cette « mer intérieure » et une grande partie du continent européen constituent, en gros dès le XIVe siècle, « une économie-monde structurée, organisée » :
La Méditerranée, conquise un temps par l’Islam, s’est rouverte au Chrétien, et le commerce du Levant offre à l’Occident cette antenne lointaine et prestigieuse sans quoi il n’y a sans doute pas d’économie-monde digne de ce nom19.
12Entendons-nous sur le terme d’« économie-monde » qui ne doit pas être confondu avec l’expression d’économie mondiale, sans quoi la citation précédente passerait pour un anachronisme incompréhensible :
Par économie-monde [explique F. Braudel], mot que j’ai formé à partir du mot allemand de Weltwirtschaft, j’entends l’économie d’une portion seulement de notre planète, dans la mesure où elle forme un tout économique20.
13Or, ces économies-mondes sont structurées et dominées par des pôles, des centres, généralement constitués par des villes portuaires à l’époque qui nous occupe. C’est là, poursuit F. Braudel, « que se situe le point de départ et d’arrivée des longs trafics » et qu’affluent « les marchandises royales » qui sont parfois acheminées sur des distances considérables21.
14Les relations de Barcelone avec l’Égypte et la Syrie illustrent donc parfaitement ces éléments de définition, qui invitent ainsi à considérer la Cité Comtale comme un centre à part entière. Une difficulté surgit cependant, car d’après les observations de F. Braudel l’économie-monde n’a qu’un seul centre – ou exceptionnellement deux –, et ceux qui à la fin du Moyen Âge dominent le vaste ensemble euro-méditerranéen ne sont autres que Gênes et Venise22. Cependant, les travaux plus récents entrepris par l’école de géographie à l’origine du concept de « système-monde », se fondant sur les théories énoncées par F. Braudel et I. Wallerstein et poursuivant leurs recherches selon cette grille de lecture, ont quant à eux bien démontré que ces premières réflexions peuvent être nuancées. Dans bien des cas, actuels ou non, plusieurs centres peuvent se partager ou plus exactement entrer en compétition pour dominer l’économie-monde :
Les centres du système Monde se combattent, négocient, s’allient, en un mot déterminent leurs stratégies en fonction de celles de leurs adversaires. C’est la logique des oligopoles, ensembles d’éléments, par définition peu nombreux, entre lesquels il y a en permanence, concurrences, compétitions, conflits, mais aussi entente pour les régler. Conflits, compétitions s’exercent sur le terrain de l’adversaire, comme ailleurs dans le monde23.
15Une fois encore, cette présentation s’applique particulièrement bien aux rapports qu’entretiennent entre elles les cités portuaires de Barcelone, Gênes et Venise dans le cadre de leur expansion maritime à la fin du Moyen Âge : si leurs relations sont le plus souvent caractérisées par la rivalité, afin de s’assurer une position dominante en particulier sur le plan commercial, elles n’excluent pas non plus les ententes, favorisant ainsi entre Barcelone et Venise une stratégie d’alliance de revers contre Gênes, alors prise en tenaille par ses deux adversaires. C’est ce qu’illustre parfaitement la guerre que se livrent les trois puissances maritimes entre 1350 et 1355, et qui voit précisément se dérouler loin d’elles, mais dans le périmètre de leur zone de domination, l’une des principales batailles navales du siècle, à l’issue incertaine, celle du Bosphore, en février 135224.
16Mais un centre ne se définit pas seulement par ses fonctions de domination ; il structure et hiérarchise aussi les espaces qu’il contrôle, les développe et les intègre plus ou moins selon leur apport à l’économie d’échange25. Dans le cas qui nous occupe, l’ensemble des comtés catalans et plus secondairement le Royaume de Valence sont en effet assez étroitement associés au commerce lointain de Barcelone par les nombreuses productions — draps, safran, antimoine, denrées alimentaires, etc. — qui sont régulièrement exportées à partir de la capitale du Principat. Les grandes îles de Méditerranée occidentale — Baléares, Sardaigne, Sicile — sont elles aussi intégrées dans cette dynamique puisque leurs produits complètent les cargaisons embarquées de Barcelone — huile et draps de Majorque, corail de Sardaigne, puis de Sicile — et ce d’autant plus facilement qu’elles constituent un chapelet d’escales sur la route du Levant et appartiennent le plus souvent, au cours de la période étudiée, à la couronne d’Aragon26. Cependant, l’organisation des activités économiques des trois principaux centres de la Couronne obéissait aussi à une logique bien particulière de répartition des trafics : à Barcelone revenaient les lucratifs échanges avec le Levant, de même qu’une fonction directrice d’ensemble, tandis que Majorque, qui assurait surtout les relations avec le Maghreb, et Valence restaient cantonnées dans un rôle de second plan27. Cette répartition, qui ne s’est pas établie sans difficultés28, témoigne donc également d’une hiérarchie des trafics qui profitait en fait à Barcelone. Une conclusion s’impose donc : la capitale catalane dominait et organisait bien un ensemble d’espaces hiérarchisés, participant plus ou moins étroitement à son rayonnement commercial.
17Ce système de relations entre grands ports dominants et espaces qui en dépendent s’étend bien sûr au Levant, puisque cette région fait partie de l’économie-monde considérée. Il éclaire ainsi les causes de la domination économique progressive du sultanat mamelouk par les nations marchandes occidentales. C’est sans doute en effet davantage sur un plan commercial plutôt que sur celui des techniques de production que cet ascendant occidental a pu le mieux se manifester. Nous avons en effet déjà constaté que les arguments avancés par E. Ashtor, soulignant surtout le retard technologique de la production mamelouke, pouvaient laisser sceptique29. En revanche, une comparaison extérieure éclaire cette question d’un jour nouveau : F. Braudel explique en effet que la Méditerranée a véritablement amorcé son déclin à la fin du XVIe siècle, à partir du moment où les « marchands Nordiques » ont littéralement « harcelé » le monde méditerranéen, « l’ont inondé de produits à bon marché, souvent de la camelote », et ont ainsi conquis la propre clientèle de l’industrie locale30. Voilà un processus qui, s’il n’est pas tout à fait conforme à celui qui se met en place dans le cadre du commerce occidental vers le Levant à la fin du Moyen Âge31, lui ressemble pourtant de fort près. Les centres de l’oligopole méditerranéen que constituent Venise, Gênes et Barcelone ont ainsi progressivement intégré dans leur sphère de domination l’espace mamelouk, comme ils avaient absorbé les éléments de l’Empire byzantin qui pouvaient servir leur puissance commerciale. Certes, la problématique diffère entre les deux États orientaux par la plus grande capacité de résistance politique des Mamelouks, qui trouvent dans les monopoles sultaniens un moyen de contrôler les appétits des marchands occidentaux. Mais cette parade trouvée par le pouvoir politique trahit également les limites de l’opposition commerciale des négociants égyptiens et syriens32. En effet, ceux-ci ne paraissent pas en mesure de peser sur les décisions des sultans, à l’inverse de leurs homologues barcelonais. Pis encore, ils n’occupent qu’un rang secondaire parmi les « élites civiles », en fait dominées par les officiers de l’administration, les enseignants-juristes et les religieux33, eux-mêmes étroitement subordonnés à la caste militaire des Mamelouks. Les marchands égyptiens et syriens ne constituent nullement un patriciat urbain conscient de son identité et revendiquant une part du pouvoir municipal34. Quant aux sultans qui parviennent bien à réorganiser l’État mamelouk sur le plan spatial au cours de la seconde moitié du XIVe siècle, en le recentrant sur les grands axes d’échanges — sur le « croissant utile » mis en évidence par J.-Cl. Garcin — au détriment des zones périphériques35, ils manifestent certes leur souci de continuer à contrôler les seules régions restées vitales pour leur empire, mais ils obéissent ainsi à la logique d’expansion qui leur est imposée par les cités marchandes européennes.
18Sans doute cette thèse de l’économie-monde pourra-t-elle sembler trop réductrice, trop générale pour prendre en compte de tous les aspects de l’expansion occidentale à la fin du Moyen Âge. Elle gomme en effet bien des spécificités, mais les lignes de force et les structures qu’elle met en évidence constituent des réalités bien plus déterminantes pour la construction du monde nouveau qui s’édifie alors sur la base du capitalisme naissant Loin d’être à reléguer comme clé de lecture du monde valable seulement pour une époque plus tardive, elle peut et doit être appliquée dès les derniers siècles du Moyen Âge36. Certes, les espaces considérés sont alors bien plus réduits que les empires coloniaux constitués après les Grandes Découvertes, et les agents de l’économie-monde ne représentent qu’un groupe très restreint au sein des sociétés du bas Moyen Age, mais plus que leur nombre, ce sont leur fortune, leur dynamisme et leur pouvoir de décision qui importent et qui placent en définitive l’avenir, c’est-à-dire l’avènement de l’Époque Moderne, entre leurs mains. La Méditerranée des XIVe et XVe siècles a donc constitué le premier champ d’expérimentation de l’expansion économique et de la structuration de l’espace par des centres européens, autrement dit du futur processus de colonisation.
19Ainsi, ce rapide examen des thèses de F. Braudel et d’I. Wallerstein amène à conclure que Barcelone mérite bien sa place, aux côtés de Gênes, de Venise et de Florence, parmi les centres dominant l’économie-monde euro-méditerranéenne, bien que ce rôle ait été reconnu jusqu’ici aux seules cités italiennes. Sans doute faut-il attribuer ce manque de reconnaissance de la place de Barcelone à cette thèse globalisante, parfois un peu réductrice, mais surtout à la non-exploitation d’un grand nombre de sources barcelonaises qui auraient sans doute attiré l’attention des historiens de l’économie-monde si elles avaient été suffisamment mises en valeur. La capitale catalane dominait donc bien elle aussi un vaste espace, qu’elle intégrait plus ou moins étroitement à son expansion et contribuait à hiérarchiser. Elle constituait sans doute la seule cité méditerranéenne capable de rivaliser, sur le plan militaire ou commercial, avec ses émules d’Italie du Nord, bref, un élément à part entière de l’oligopole euro-méditerranéen entre la fin du XIVe et le second tiers du XVe siècle37.
III. — Une place originale aux côtés des métropoles italiennes
20Pourtant, à de nombreuses reprises, lorsque des comparaisons pouvaient être établies afin de mieux apprécier les spécificités du négoce barcelonais avec le Levant, force a été de constater que Barcelone paraissait accuser un net retard ou que le niveau atteint restait inférieur à celui des grands ports italiens. Le décalage était en effet particulièrement apparent dans le domaine des techniques commerciales, du nombre et de la capacité des navires, ainsi que des capitaux investis vers ces destinations, pour ne citer que quelques domaines très révélateurs, et même si les chiffres retenus n’ont évidemment pas la précision de statistiques contemporaines. Ce retard s’explique en fait essentiellement, dans le cas spécifique du commerce avec les Mamelouks, par l’absence de Catalans installés en Égypte et Syrie, par opposition au modèle d’expansion commerciale génois et vénitien, dans lequel des représentants commerciaux avaient pu s’établir dans des comptoirs tout autour de la Méditerranée orientale. De cette situation découlent la prudence des bailleurs de fonds barcelonais et la rigidité des techniques commerciales qu’ils continuèrent à utiliser uniquement vers ces destinations.
21La raison d’une telle attitude doit être cherchée en amont de cette période. Cl. Carrère l’a très bien résumée lorsqu’elle conclut :
Les Barcelonais ne brillent pas par leur esprit d’invention, comme si le retard pris au départ, quelques siècles plus tôt, n’avait pu être comblé.
22Rappelons en effet qu’au moment où Génois et Vénitiens étaient déjà solidement installés à Alexandrie, ainsi qu’en Syrie-Palestine, aux côtés des Pisans et des Amalfitains, les Catalano-Aragonais n’avaient pas encore repris Saragosse ni même Lleida aux musulmans (cités respectivement conquises en 1118 et 1149)38. L’expansion outre-mer ne pouvait réellement s’épanouir qu’après la « reconquête » de terres aussi proches de Barcelone ; c’est pourquoi la mise en place du consulat catalan d’Alexandrie (1262) n’intervint que bien après la prise des Baléares (1229-1235) et du Royaume de Valence (1236-1245) — on se souvient par ailleurs que le consulat de Tyr, certes fondé dès 1187, était cependant partagé avec les marchands de Montpellier, de Saint Gilles et de Marseille. Même si les protagonistes des deux types d’expansion — politico-militaire et commerciale — n’étaient évidemment pas les mêmes, les marchands barcelonais ne pouvaient s’engager résolument dans un commerce lointain avant que les assises territoriales de leur État ne soient solidement établies. La durée de cette phase préalable devait porter à près de deux siècles le retard qu’ils accusaient finalement par rapport à leurs principaux concurrents italiens39.
23Toutefois, une autre différence de taille singularise encore Barcelone par rapport à ses émules italiennes : le port catalan ne constituait pas, comme Venise, Gênes ou Florence, une cité-État indépendante. Il était non seulement étroitement relié à l’ensemble de la Catalogne, dont il constituait déjà la capitale, mais dépendait de surcroît de l’autorité d’un souverain dont les possessions étaient plus étendues encore que le territoire du Principat. Cette situation présenta longtemps un double avantage pour Barcelone : d’une part, la Cité Comtale se voyait soutenue politiquement par les monarques successifs, qui appuyaient le plus souvent ses initiatives dans son expansion outre-mer et intervenaient aussi lorsque les intérêts de ses citoyens étaient lésés par des actes de piraterie, de course ou encore lors de conflits ; d’autre part, Barcelone bénéficiait de l’apport régulier des produits de toute la Catalogne pour enrichir son commerce maritime avec les pays lointains, comme il vient d’être rappelé. Mais à partir du règne d’Alphonse le Magnanime, le rapport de souveraineté se révéla pesant en raison de la nouvelle personnalité et des ambitions du roi, qui entravaient l’activité marchande et particulièrement les échanges commerciaux avec le Levant40.
24Pourtant le retard pris par rapport aux cités italiennes rivales ou les expéditions d’Alphonse le Magnanime en Italie du Sud n’expliquent pas la chute finale. En effet, la principale menace qui pesait sur l’œuvre patiemment accomplie par les Catalans pour faire de Barcelone un carrefour de première importance dans le réseau des relations commerciales méditerranéennes et européennes avait une autre origine. À Barcelone, en effet, l’élite marchande qui était en contact avec le milieu international des affaires ne parvint pas à se hisser au pouvoir — ou, du moins, à s’y maintenir durablement — puisque celui-ci fut toujours confisqué par des citoyens honrats qui ne cherchaient qu’à maintenir leurs privilèges. Une fois de plus des comparaisons extérieures permettent de bien mesurer la portée de ce blocage durable :
À Florence, à la fin du XIVe siècle, l’ancienne noblesse féodale et la nouvelle bourgeoisie marchande ne font plus qu’un, dans une élite de l’argent, laquelle s’empare aussi, et logiquement, du pouvoir politique. Dans d’autres contextes sociaux, au contraire, une hiérarchie politique peut écraser les autres : [...] c’est le cas [... j de la France monarchique d’Ancien Régime, qui longtemps ne laisse aux marchands, même riches, qu’un rôle sans prestige et pousse en première ligne la hiérarchie décisive de la noblesse41.
25Voilà un processus contrarié qui ressemble étonnamment à la paralysie du renouvellement des élites politiques à Barcelone ; c’est bien ce défaut structurel qui empêcha la cité d’être le centre d’une économie-monde aux fonctions aussi complètes et durables que celles de ses concurrentes italiennes et provoqua finalement la catastrophe de la guerre civile, qui devait réduire pour longtemps le rayonnement commercial de la capitale catalane.
Notes de bas de page
1 Voir l’introduction de cette étude, supra, pp. 5-6.
2 Si M. Del Treppo, I mercanti catalani e l’espansione della Corona d’Aragona nel secolo XV, pp. 59-60, avait déjà bien mis en évidence ce déplacement des centres de gravité, rappelons cependant qu’il avait sans doute surestimé le nombre des navires ayant appareillé pour l’Égypte et la Syrie entre 1422 et 1433 en raison des erreurs manifestes de copie figurant dans les registres du dret de les drassanes, principale source de documentation pour cette période (voir le développement relatif au nombre des navires, supra, pp. 173-174). La troisième décennie du XVe siècle ne constitue donc pas l’apogée des relations de Barcelone avec les Mamelouks, contrairement à ce qu’avait avancé M. Del Treppo, I mercanti catalani e l’espansione della Corona d’Aragona nel secolo XV, pp. 31-32.
3 M. Del Treppo, I mercanti catalani e l’espansione della Corona d’Aragona nel secolo XV, pp. 31 et 582-590.
4 Cl. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, t. II, chap. viii, « Vers la crise : quarante ans de difficultés », pp. 655-722.
5 Ibid., t. II, p. 690 ; dans ce même chapitre, Cl. Carrère déclare également renoncer à exploiter « les renseignements tirés des commandes maritimes ou des contrats d’affrètement, [car] ils ne sont pas d’interprétation facile ». Du coup, le développement consacré au commerce extérieur entre 1380 et 1425 n’occupe même pas une demi-page. Ce thème fait certes l’objet du chapitre antérieur, mais divisé en fonction des zones d’échanges avec lesquelles Barcelone entretenait des relations commerciales ; à propos du négoce avec l’Égypte et la Syrie, Cl. Carrère affirme qu’« on n’est plus surpris de voir la décennie 1420-1430, si peu propice au commerce d’ultramar, marquer également le déchaînement de la crise en Catalogne. Sans être le seul facteur de dépression, les difficultés orientales ont à coup sûr joué un rôle décisif » (ibid., p. 647). C’est évidemment faire bien peu de cas du recentrement des activités commerciales sur Rhodes à partir de la décennie précédente, et de la forte hausse de la moyenne des capitaux investis vers le Levant au cours des années 1420-1430.
6 Cl. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, t. I, p. 155, n. 2 ; Cl. Carrère déclare avoir ras semblé « plusieurs milliers [de commendes] en direction du Levant », que l’on sait surtout concentrées sur la période 1393-1416.
7 Cl. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, t. II, pp. 648, 709, 718, 849, etc. De son côté, P. Vilar, « Le déclin catalan du Bas Moyen Âge », pp. 15-19, bien que défenseur lui aussi de la thèse d’un déclin catalan précoce, avait pourtant bien souligné le « maintien et l’apogée du grand commerce, de la banque et de la fortune privée entre 1350 et 1435 ».
8 Cl. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, t. II, p. 718 ; cet auteur affirme également dans le même chapitre : « Jusque vers 1420, la prospérité commerciale résiste vaille que vaille aux difficultés qui l’assaillent : le rendement [...] des douanes se maintient à un niveau élevé » (ibid., pp. 670-671).
9 D’autres points du même chapitre mériteraient également d’être discutés, tel celui de la baisse des salaires dans le secteur drapier, déduite à partir de la réduction progressive des prix des draps entre 1367 et 1459 (Cl. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, t. II, pp. 668-669 et tableau I, pp. 719-720). Or, comme le relève Cl. Carrère elle-même, celle-ci est sans doute due avant tout à l’orientation de la production « vers les draps de qualité légèrement inférieures » à partir du XVe siècle. Par ailleurs, sans discuter le détail des arguments qu’elle avance dans ce chapitre, J. E. Ruiz Doménec a bien observé « cómo la moderna historiografía ha escamoteado los problemas y ha considerado las hipótesis Vicens-Vilar como pruebas o datos concretos ; y ha pretendido sistematizar toda una época de “crisis” a partir de aquí. Esta labor ha sido desarrollada por la historiadora francesa Cl. Carrère, que en una conocida obra [...] las pruebas que ofrece a su demostración de que existe “crisis” son justamente las teorías de Vicens y Vilar. Los datos son aquí “maniobrados” en función de una óptica de método erróne » (J. E. Ruiz Doménec, « La crisis económica de la Corona de Aragón », p. 90). Pour la remise en cause des travaux de J. Vicens et de P. Vilar, qui les premiers témoignèrent d’« una deficiente valoración de las fluctuaciones comerciales de los siglos XIV y XV en el Mediterráneo », voir l’ensemble du même article de J. E. Ruiz Doménec ; à compléter enfin par les remarques plus récentes de M. Tangheroni, « Le marchand italien », p. 21, qui reproche également à Cl. Carrère d’avoir considéré la crise comme « un fait acquis, a priori », dans la Catalogne de la fin du Moyen Âge, et qui va jusqu’à remettre en cause l’existence d’une vaste dépression au milieu du XIVe siècle en Europe.
10 Voir supra, p. 175.
11 M. Del Treppo, I mercanti catalans e l’espansione della Corona d’Aragona nel secolo XV, p. 598 ; voir au sujet de ces instructions d’ambassade, voir C. Marinescu, La politique orientale d’Alfonse V d’Aragon, pp. 10-11, 121-122 et 210-215 ; E. Ashtor, « Alfonso il Magnanimo », pp. 18-19 ; et D. Coulon, « Un tournant dans les relations catalano-aragonaises avec la Méditerranée orientale », p. 1079, n. 74. Voir en outre la dernière note du chap. ii, supra. On ne peut donc sur ce point souscrire aux propos de J. E, Ruiz Doménec, « La crisis económica de la Corona de Aragón », pp. 96, 106 et 112-113, qui, en suivant les travaux de M. Del Treppo, souligne les heureux résultats de la fructueuse collaboration entre marchands catalans et Alphonse V.
12 Ce que Cl. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, t. II, p. 953, reconnaît elle-même dans la conclusion de son étude.
13 Ibid., t. II, pp. 883-929, et M. Del Treppo, I mercanti catalani e l’espansione della Corona d’Aragona nel secolo XV, pp. 44-45.
14 Cl. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, pp. 648 et 951 ; M. Del Treppo, I mercanti catalani e l’espansione della Corona d’Aragona nel secolo XV, p. 587.
15 « Tête et principe de tout négoce, caries affaires du Levant une fois troublées, toutes les autres sont déviées » ; voir A. de Capmany i de Montpalau, Memorias históricas sobre la marina, comercio y artes de la antigua ciudad de Barcelona, t. II, doc. 370 (20 août 1453) ; traduction de P. Vilar, « Le déclin catalan du Bas Moyen Âge », p. 37. Sur l’importance du commerce avec l’Égypte et la Syrie pour l’ensemble de l’économie de Barcelone, voir également Cl. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, t. II, p. 647.
16 Voir supra, pp. 36 et D. Coulon, « L’expansion occidentale vers le Levant à la fin du Moyen Âge ».
17 I. Wallerstein, Le système du monde du XVe siècle à nos jours, voir en particulier le t. I, Capitalisme et économie-monde ; et F. Braudel, Civilisation matérielle, économie et capitalisme (dont on trouvera un résumé commode dans La dynamique du capitalisme).
18 Notons que divers médiévistes spécialistes de la Méditerranée à la fin du Moyen Âge ont eux aussi récemment replacé leur analyse dans le cadre de cette démarche ; voir M. Balard, H. Bresc, J.-Cl. Hocquet et J. Guiral-Hadziiossif, « Le transport des denrées alimentaires en Méditerranée à la fin du Moyen Âge », pp. 165-166 ; et A. Tenenti et U. Tucci (éd.), Il Rinascimento. Política e cultura, p. 113.
19 F. Braudel, La dynamique du capitalisme, p. 100. Le sociologue I. Wallerstein, Capitalisme et économie-monde, pp. 19-63, ne situe certes pas aussi tôt la naissance d’une économie-monde, qu’il repousse jusqu’au milieu du XVe siècle, et dans laquelle il attribue un rôle moteur au Portugal. On notera toutefois que son analyse des processus en cours à la fin du Moyen Âge est souvent assez réductrice ; la période comprise entre 1300 et 1450 est par exemple considérée comme une longue phase de déclin ; l’évolution économique est envisagée dans une perspective d’ensemble qui ne distingue sans doute pas suffisamment, d’une part, le grand commerce et, d’autre part, le monde rural et les réalités seigneuriales (ibid., pp. 24-38). On se reportera donc de préférence à l’analyse de F. Braudel, plus approfondie sur le plan historique.
20 Et F. Braudel, La dynamique du capitalisme, p. 8, d’ajouter : « J’ai écrit, il y a longtemps, que la Méditerranée du XVIe siècle était une Weltwirtschaft à elle seule, une économie-monde. » Sur les économies-mondes, voir également du même auteur, Le temps du monde, pp. 12-14, et I. Wallerstein, Capitalisme et économie-monde, p. 19 : « C’était un système “mondial”, non parce qu’il s’étendait au monde entier, mais parce qu’il était plus vaste que toute unité politique juridiquement définie. Enfin, c’était une "économie-monde" parce que le lien fondamental réunissant les parties du système était d’ordre économique. »
21 F. Braudel, La dynamique du capitalisme, pp. 85 et 94 et Id., Le temps du monde, pp. 17, 20-21.
22 F. Braudel, La dynamique du capitalisme, pp. 86 et 102 ; et Id., Le temps du monde, pp. 95-97 ; pour le XVe siècle, F. Braudel considérait certes que Venise était parvenue à évincer sa rivale ligure et dominait seule l’économie-monde, mais les travaux de J. Heers, de M. Balard et de G. Pistarino invitent à revoir ce point de vue.
23 Olivier Dolfuss, « Le système monde », L’information géographique, 54, 1990, pp. 45-52, spéc. p. 47 ; voir également Marie-Françoise Durand Jacques Lévy et Denis Retaillé, Le monde, espaces et systèmes, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Dalloz, 1992, p. 98.
24 Cette logique d’alliance entre Barcelone ou la couronne d’Aragon avec Venise, contre Gênes, leur rivale commune, sans être certes systématique, se noue à plusieurs reprises au cours des XIVe et XVe siècles.
25 F. Braudel, La dynamique du capitalisme, pp. 94-96
26 Les remarques de synthèse de Cl. Carrère à la fin de sa thèse confirment tout à fait ces propos : « Dans le Principat, dont elle assure au moins la moitié du commerce extérieur, la capitale se trouve à la tête d’une hiérarchie de villes où les centres commerciaux et urbains secondaires tissent un réseau équilibré [...]. Point d’“étape” ou de circuit artificiellement détourné [...]. Dans tout cela, l’importance du rôle barcelonais tient à la présence des marchands et des capitaux. Mêmes caractéristiques dans les rapports avec l’avant-pays maritime, pour autant qu’il intéresse nos gens : le corail d’Alghero, le blé et le sucre siciliens restent toujours accessibles. La production industrielle présente des traits identiques. Si l’idée d’une puissante draperie indigène est née à Barcelone, c’est le pays entier qui maintenant tisse et pare des draps dont beaucoup prendront le chemin des mers, et ce sans esprit de concurrence entre les centres de fabrication. » (Cl. Carrère, Barcelone, centre économique à l’époque des difficultés, t. II, pp. 951-952.)
27 Federigo Melis, « L’area catalano-aragonese nel sistema economico del Mediterraneo occidentale », dans La Corona d’Aragona e il Mediterraneo. Aspetti e problemi comuni. Da Alfonso il Magnanimo a Ferdinando il Cattolico (1416-1516). IX Congreso de Historia de la Corona de Aragón (Napoli, 11-15 aprile 1973), Naples, Società Napoletana di Storia Patria, 1978-1984 (4 vol.), t. I (1978), pp. 191-209, spéc. pp. 193-194 ; et M. D. López Pérez, La Corona de Aragón y el Magreb en el siglo XIV, pp. 172-173 et 852.
28 Nous avions en effet constaté que les Majorquins entendaient vraisemblablement conserver des contacts commerciaux suivis avec le Levant après la conquête de leur royaume par Pierre le Cérémonieux ; en 1351, le roi accorda finalement aux consuls de Barcelone la faculté de représenter l’ensemble des sujets de la couronne d’Aragon au Levant ; voir A. de Capmany i de Montpalau, Memorias históricas sobre la marina, comercio y artes de la antigua ciudad de Barcelona, t. II, doc. 161 et le développement consacré aux consuls, supra, p. 65.
29 Voir les développements relatifs à la fabrication des draps et du sucre en Égypte et en Syrie, pp. 321-322 et 475.
30 F. Braudel, La dynamique du capitalisme, p. 93.
31 Les marchands du Nord de l’Europe avaient également mis au point au XVIe siècle des imitations bon marché de productions méditerranéennes de qualité, jetant ainsi progressivement le discrédit sur l’industrie de cette région, ce qui ne semble pas être le cas dans le processus d’expansion occidentale en Égypte et en Syrie mameloukes ; voir F. Braudel, La dynamique du capitalisme.
32 Leur passivité a été bien soulignée par Cl. Cahen, « Quelques mots sur le déclin commercial du monde musulman à la fin du Moyen Âge », pp. 35-36, en raison surtout, selon lui, de la présence d’importants stocks d’or dans le monde musulman de la fin du Moyen Âge, qui n’ont pas incité à développer les exportations.
33 C. F. Petry, The Civilian Elite of Cairo in the Later Middle Ages, pp. 312-325.
34 Bernadette Martel-Thoumian, « Les élites urbaines sous les Mamlouks circassiens. Quelques éléments de réflexion », dans Urbain Vermeulen et Jovan Steenbergen (éd.), Egypt and Syria in the Fatimid, Ayyubid and Mamluk Eras (Louvain, mai 1997), Louvain, Peeters, t. III (2001), pp. 271-308, spéc. p. 272.
35 Voir J.-Cl. Garcin « La “méditerranéisation” de l’empire mamlouk sous les sultans bahrides », pp. 115-116 et « Transport des épices et espace égyptien entre le XIe et le XVe siècle », pp. 311-312.
36 Le fait que cette thèse corresponde également aux réalités du monde actuel n’est en rien contradictoire avec son application aux derniers siècles du Moyen Âge dans l’espace méditerranéen. Ce constat est au contraire révélateur des racines profondes de ce système mondial ainsi que de son exceptionnelle longévité, due à ses puissantes capacités d’organisation, mais aussi d’adaptation et de restructuration de l’espace et de l’économie.
37 A contrario, des ports au rôle commercial plus secondaire, telle Murcie, sont bien relégués dans des zones périphériques dominées ; voir D. Menjot, Murcie castillane, en particulier la conclusion pp. 1122-1124. La puissance commerciale de Barcelone ne doit cependant pas être confondue avec l’expansion politique de la couronne d’Aragon en Méditerranée, dont les acteurs et les promoteurs sont bien différents, comme l’ont bien montré F. Giunta, La presenza catalana nel Levante dalle origini a Giacomo II, pp. 7-18 ; et J. N. Hillgarth, « The Problem of a Catalan Mediterranean Empire », pp. 3-54.
38 Les Amalfitains avaient établi des relations commerciales avec l’Égypte et la Syrie dès le milieu du Xe siècle ; toutefois, ils ne furent pas suivis par leurs voisins pisans, vénitiens et génois avant la fin du XIe siècle et le début du siècle suivant ; voir S. D. Goitein, The Jewish Communities of the Arab World, t. I, pp. 45 et 318 ; D. Jacoby, « Les Italiens en Égypte aux XIIe et XIIIe siècles », pp. 76-77 ; et M. Balard, « Les républiques maritimes italiennes et le commerce en Syrie-Palestine », pp. 314-316.
39 S. Bensch, « Early Catalan Contacts with Byzantium », p. 155, n. 59, a bien confirmé que, par rapport aux autres destinations, la proportion des investissements consacrés au commerce au Levant était bien moindre en Catalogne qu’à Gênes et à Venise avant 1290.
40 Voir à ce sujet D. Coulon, « Un tournant dans les relations catalano-aragonaises avec la Méditerranée orientale », pp. 1069-1071.
41 F. Braudel, La dynamique du capitalisme, p. 71.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les archevêques de Mayence et la présence espagnole dans le Saint-Empire
(xvie-xviie siècle)
Étienne Bourdeu
2016
Hibera in terra miles
Les armées romaines et la conquête de l'Hispanie sous la république (218-45 av. J.-C.)
François Cadiou
2008
Au nom du roi
Pratique diplomatique et pouvoir durant le règne de Jacques II d'Aragon (1291-1327)
Stéphane Péquignot
2009
Le spectre du jacobinisme
L'expérience constitutionnelle française et le premier libéralisme espagnol
Jean-Baptiste Busaall
2012
Imperator Hispaniae
Les idéologies impériales dans le royaume de León (ixe-xiie siècles)
Hélène Sirantoine
2013
Société minière et monde métis
Le centre-nord de la Nouvelle Espagne au xviiie siècle
Soizic Croguennec
2015