Chapitre IV
Identification, typologie et chronologie des lingots
p. 145-172
Texte intégral
I. — Les précédents
1Les exploitants des mines de plomb qui, en Hispanie, à l’époque romaine, ont conçu les formes sous lesquelles exporter leurs produits ne partaient pas de zéro. Non pas que, dans le bassin méditerranéen, il y ait eu de véritables précédents immédiats : les lingots de cuivre en forme de « peau de taureau » des épaves d’Ulu Burun et du Cap Gelidonya1 ainsi que ceux dont était saupoudrée la Méditerranée de l’âge du Bronze remontent aux xiiie-xiie siècles av. J.-C. et disparaissent ensuite.
2Pour revenir au plomb, des mines du Laurion, si fameuses dans le monde grec aux ve et ive siècles av. J.‑C., ne nous sont connus que quelques lingots, dont un découvert sur place, à Kamareza2 et surtout ceux de l’épave de Porticello, datée de la fin du ve – début du ive siècle av. J.-C.3 ; ils affectent des formes allongées, plutôt rudimentaires, sans caractère ni recherche.
3Mais en Ibérie, il en allait autrement ! Ce n’est pas sans raison que pour les Anciens cette terre du lointain Occident était considérée comme l’Eldorado du monde antique. La façon imagée dont Diodore de Sicile parle des Phéniciens, qui, pour emporter de Tartessos le plus d’argent possible, changeaient les garnitures en plomb de leurs ancres contre des garnitures en argent, montre l’ancienneté du commerce des métaux d’Ibérie4.
4S’agissant du plomb, on peut considérer qu’il existe quatre types de lingots préromains, dont le caractère ibérique est attesté de diverses façons : par le lieu de découverte (en particulier des zones minières), par des considérations historiques, enfin par la signature isotopique du plomb dont ils sont faits5.
5Le premier (a), attesté à Ibiza (Cala d’En Ferrer) à quatre exemplaires datés du iiie siècle av. J.-C., est le plus rudimentaire : de simples galettes plano-convexes d’un poids respectable, obtenues par moulage dans un creux de terrain (sable ?) ; la signature isotopique de ce plomb désigne la Sierra Morena comme zone de production6.
6Plus pittoresque est le type (b), qui épouse la forme d’un grand coquillage bivalve (Pinna nobilis Linnaeus 1758)7, qui offrait aux exploitants de mines situées dans des parages marins une forma commode pour la confection de lingotières : c’était le cas des producteurs de plomb de Carthagène-Mazarrón, qui y eurent naturellement recours8. La forme était facile à fabriquer, il suffisait de presser une valve dans le sable (d’abord simplement marin, et puis, sans doute très vite, de fonderie) pour obtenir des formes en creux, lingotières rudimentaires où l’on pouvait mouler de longues (jusqu’à 65 cm) masses de plomb (fig. 31), assez plates et assez larges pour être empilées les unes sur les autres, apparemment assez faciles à manier grâce à leur pointe inférieure, mais d’un poids relativement élevé (entre 35 et 55 kg), ce qui bien sûr gênait leur manutention. On en a trouvé dans quelques gisements sous-marins — l’un, à l’îlot de Brescou, près d’Agde, l’autre dans les Baléares (Cabrera 2) daté du ive-iiie siècle av. J.-C.9 ; le dernier enfin près de Carthagène, celui du Bajo de la Campana déjà signalé. Ces lingots proviendraient, les uns des mines de Mazarrón, les autres de la Sierra de Cartagena10.
7Le troisième type (c) n’est représenté que par deux exemplaires tout à fait semblables (fig. 32), découverts au Cerrillo Blanco, site préromain au voisinage de Mazarrón11. Avec des mesures à peu près identiques (L. : 39-42 cm ; poids : 22 kg), leur forme régulière en haltère (ou tibia), leurs extrémités plus volumineuses (diam. : 12 cm) et leur partie médiane plus mince, de section (l. : 7-8 cm) quadrangulaire aux angles arrondis et marquée de chaque côté d’un sillon horizontal, propice par conséquent à un maniement facile, il semble bien qu’il s’agisse de lingots12. La seule surprise, c’est qu’ils sont faits d’un plomb apparemment originaire de la Sierra Morena13, mais c’est aussi là une illustration de leur nature et de leur fonction : être transportés.
8Le quatrième et dernier type (d) a une forme tronco-pyramidale allongée et étroite, assez irrégulière. On en connaît deux exemplaires (L. : 52 cm ; l. : 10 cm ; h. : 7,5-8 cm ; poids : 22-24 kg) sur la côte sud‑est de la Corse, à San Ciprianu14, et huit sont apparus récemment dans deux mouillages de l’île de Pantellería (fig. 33) ; ces derniers sont de dimensions diverses (L. : de 29 à 55 cm ; l. : de 4 à 6,5 cm ; poids : de 4 à 23 kg). Vu leur signature isotopique du plomb, ceux de Corse proviendraient des gisements de la Sierra Morena orientale (Linares), ceux de Pantelleria des mines du Sud-Est (Carthagène ?)15. Ils sont donc très probablement d’origine ibérique. Par ailleurs, vu que Pantelleria se trouve sur l’itinéraire maritime de Carthago Nova à Carthage, nous ferions volontiers de ce type un type ibéro-punique, mais, pour en être plus sûr, il faudrait quelques précisions supplémentaires, en particulier d’ordre chronologique.
9En tout cas, ce dernier type est celui qui, par sa forme, est le plus adapté au transport et au commerce, mais, pour le poids et le format, il manque d’uniformité16.
10Il reviendra aux producteurs romains de concevoir des types plus réguliers et plus standardisés, qui répondent davantage aux exigences d’un transport, d’un stockage et d’un commerce de grande envergure.
II. — L’identification des lingots de plomb hispano-romains
11À quoi reconnaît-on un lingot de plomb romain d’Espagne ? Quels sont les critères qui permettent de le faire ? Comment, dans quelles circonstances, en fonction de quelles observations et sur quelles bases ont-ils été établis ? C’est ce que, avant de définir ces mêmes critères, nous allons tenter de décrire.
Le lieu de découverte
12C’est le premier élément dont on doit tenir compte, même si, comme nous le verrons plus loin, il n’est pas toujours fiable, ou du moins peut donner lieu à discussion. Il est peu probable en effet qu’à l’époque qui nous intéresse, l’Hispanie, pays riche en gisements plombifères et alors grand producteur de plomb, en ait importé17. En principe donc, il y a de grandes chances pour que les lingots qu’on y trouve soient de fabrication hispanique. Cela paraît évident quand les découvertes ont lieu dans ou près d’un centre de production et que, loin d’y être sporadiques, elles s’y multiplient, comme dans le secteur de Carthagène : la première y fut, avant 1846, tout près du Cabezo Rajado, celle du lot de lingots produits par les Roscii (1064), puis vinrent celles de 1878, à l’occasion du dragage du port : lingots portant le nom d’un Arunculeius (1013), d’un Dirius (1020), d’un Laetilius (1032), d’un Nona (1040), d’un Nonius Asprenas (1041), d’un Planius (1047), etc. Tous ces lingots sont du type D1, et permettront, avec d’autres, de définir les caractères techniques de ce type18. Enfin, à partir des années 1960-1980, l’archéologie sous-marine prit le relais de ces découvertes occasionnelles et fut à l’origine de la fouille d’épaves (Bajo de Dentro, Escombreras) dont les cargaisons métalliques confirmèrent le bien-fondé des conclusions que l’on avait pu tirer des premières, à savoir l’origine non seulement hispanique, mais bien précisément « Sud-Est » de ces lingots hispano-romains19.
13On est tenté en effet d’aller plus loin et de rattacher, selon les mêmes critères, tel lingot à une région, voire à un district de production donné.
14Considérons par exemple, dans la Sierra Morena, le district de Fuenteobejuna, où le lingot anépigraphe trouvé dans le secteur des mines du Piconcillo (1501) devrait être d’origine locale. À Castulo, l’importante cité ibérique située à proximité immédiate du district plombifère de Linares, a été trouvé le lingot (type D1) produit par la société formée par un certain T. Iuventius et un M. Lu(cretius ?) (1029) et dont on imagine mal qu’il ne puisse pas provenir des mines voisines.
15Les lingots 1013 et 1506, quoique trouvés dans les mines de Riotinto, ne proviennent pas de ces dernières, mais, originaires du Sud-Est, ils avaient un autre emploi, servir à extraire l’argent des minerais locaux, trop pauvres en plomb, comme on l’avait déjà fait à l’époque précédente.
16Plusieurs lingots du type D3 ont été découverts en Espagne même, l’un sur le site d’une mine de la Sierra Morena centro-occidentale (3006), l’autre non loin des gisements de la Serena dans la même région (3003), un troisième (3703) près du port fluvial d’Arva (Lora del Río), enfin les derniers (3002) dans le port antique de La Caleta, à Cadix. On imagine mal que ces lingots aient pu être importés.
17Reste le type D4, dont un exemplaire du module lourd (4002), aujourd’hui perdu, avait été découvert dans un puits de mine à Alcaracejos : cette trouvaille montre que l’Hispania, à l’égal des autres régions productrices de plomb sous le Haut-Empire, avait, elle aussi, adopté ce lingot de section trapézoïdale.
18Les découvertes sous-marines constituent une deuxième source d’information.
19Sont particulièrement dignes d’attention en effet les épaves à cargaisons de lingots découvertes sur les itinéraires commerciaux joignant les ports d’exportation d’Hispanie méridionale aux diverses régions de l’Occident méditerranéen et européen (carte 23)20 :
- I : Hispanie-Italie par les Baléares et les Bouches-de-Bonifacio, avec une variante par le tour de la Sardaigne et un prolongement de redistribution vers la Méditerranée centrale et orientale [Itinéraire V]),
- II : de Carthago Nova, Gades et Hispalis aux régions consommatrices de la Méditerranée occidentale et de l’Europe continentale, par Narbonne, Agde, Arles-Marseille,
- III : Hispanie-Maghreb,
- IV : ouest méditerranéen et monde atlantique, de Carthago Nova et Hispalis-Gades vers Huelva et la Maurétanie.
20Et l’intérêt se corse quand ces lingots affectent les formes des types déjà identifiés grâce au critère précédent, et quand le reste des cargaisons se compose de produits typiquement hispaniques ; c’est le cas des épaves dites « bétiques », telles que Lavezzi 1, Sud-Lavezzi 2 ou encore Sud-Perduto 2. Il est vrai que ce critère est efficace surtout lorsqu’il s’agit d’épaves du ier siècle apr. J.-C., à une époque où il existe un important commerce hispano-italique de produits alimentaires transportés dans des conteneurs spécifiques : salaisons de poisson (Dr. 7-11), vin et produits dérivés (Haltern 70), huile (Dr. 20). Pour l’époque antérieure, les métaux mis à part, on ne connaît pas de matière première caractéristique exportée massivement d’Hispanie. Ainsi, l’énorme cargaison de lingots de plomb du Sud-Est contenue dans l’épave Mal di Ventre C n’a pu être attribuée aux mines de cette région que par la présence de marques de producteurs déjà répertoriées — un critère que nous allons aborder dans un instant —, les amphores Dr. 1 recueillies lors de la fouille n’apportant qu’une information chronologique. Il en va de même pour toutes les épaves où les trois ou quatre lingots recueillis font partie du matériel de bord, par exemple La Madrague de Giens.
21Il peut cependant arriver que la composition de la cargaison soit une source de confusion ou, à tout le moins, de discussion. Tel est le cas de Port-Vendres II, généralement présentée comme l’épave de Bétique-type21 : un examen plus attentif montre cependant qu’elle contient un lot de vaisselle en terre cuite de la Graufesenque, qui n’a pu être chargé qu’à Narbonne, de même que des lingots d’étain (47 au minimum), provenant très certainement de la Britannia, ce qui conduirait à voir dans Port-Vendres II l’épave d’un bateau de redistribution : il se trouve que les quatre lingots de plomb (2006, 2007) qui appartiennent à l’équipement du bord viennent de la Sierra Morena22, mais ce n’est pas parce qu’il s’agissait d’une « épave bétique ».
Les marques de producteurs
22Compte tenu des informations recueillies grâce aux critères précédents, on connaissait assez bien, à partir des années 1920 et tout au long du xxe siècle, plusieurs lingots qui étaient sûrement d’origine hispanique ; avec le temps, et surtout avec le développement de l’archéologie sous-marine, leur nombre avait augmenté singulièrement, et, du même coup, celui des producteurs dont ils portaient la marque. Ainsi, par exemple, dans la cargaison de Mal di Ventre C, en Sardaigne, des lingots sur lesquels on lisait la marque d’un Atellius (1009) ou des Pontilieni (1057, 1058), des gentilices bien connus à Carthago Nova, ont-ils été automatiquement rattachés à l’Espagne, et, plus précisément aux districts du Sud-Est ; en outre, il était logique de le faire également pour des lingots de la même cargaison qui faisaient connaître des producteurs nouveaux, dont les noms étaient attestés dans l’épigraphie de cette cité. La même remarque vaut pour les lingots de Capo Passero, en Sicile. La comparaison de l’épigraphie des lingots avec celle de certains grands secteurs de production d’Hispanie — en premier lieu le Sud-Est23 et, dans une moindre mesure, la Sierra Morena24 — peut donc constituer un précieux facteur d’identification.
23Nous l’avons rapidement noté plus haut et les notices qui suivent l’illustreront abondamment : les marques de nos lingots comprennent souvent des symboles figurés (tableau 36). Plusieurs d’entre eux sont en rapport avec le monde marin et on ne peut guère leur attribuer dans l’ensemble qu’une valeur prophylactique ou apotropaïque : ce sont le dauphin, dont, depuis l’épisode mythologique de Dionysos et des pirates, le rôle de protecteur des navigateurs est bien connu ; l’ancre et le gouvernail, instruments d’une navigation sûre ; le caducée, symbole de Mercure, dieu du commerce. Tous ces symboles-là sont fréquents dans les marques du type D1, principalement celles que l’on relève au ier siècle av. J.-C., sur des lingots des districts de Carthagène et de Mazarrón, proches de la Méditerranée.
24Cela dit, le dauphin apparaît aussi (nos 1052, 1068, 1075, 3004), parfois associé au gouvernail (nos 1085-1086)25, sur des lingots de la Sierra Morena, produits, eux, loin de la mer, et datés du ier siècle apr. J.-C., principalement de la première moitié ; ils auront certes eux aussi à affronter les aléas de la mer, il faut donc les protéger là contre, d’où la présence de ces symboles, comme sur les lingots du Sud-Est26. Mais on peut aussi se demander si de tels symboles ne sont pas plutôt un discret rappel du lien que les producteurs de la Sierra Morena auraient pu avoir avec des entreprises du Sud-Est, qui auraient essaimé vers les districts d'Hispanie intérieure alors que les gisements du Sud-Est déclinaient. Par ailleurs, sur un autre lingot de la Sierra Morena, mais plus tardif (époque flavienne), le trident qui, associé au dauphin, figure dans la marque 4010, doit-il être interprété comme étant celui de Neptune, roi de la mer (voir la possible couronne associée) et constitue-t-il un appel à sa protection ?
25Certains symboles paraissent cependant échapper à de telles interprétations. C’est, par exemple, le malleus de la marque 1012 : il ne présente pas de rapport évident avec la mer et l’on voit mal quelle relation il peut entretenir avec le plomb du lingot. Il en va de même pour le dolium des marques 1078 et 1079 de M. Valerius Ablo, dans la Sierra Morena orientale. Il est difficile d’y voir une figuration de la « poche » qui servait à verser le plomb liquide dans la lingotière. Faut-il alors se tourner vers un autre domaine et voir par exemple dans le dolium l’image d’un conteneur d’huile, un autre produit, mais agricole, de cette région de l’est de la Sierra Morena27 ? Dans cette perspective, le rôle du symbole serait de rappeler discrètement la région de provenance du lingot, de la même manière que le taureau de la marque 3001 serait une allusion aux vastes pâturages d’élevage de la Sierra Morena, qui, par ailleurs, renferment aussi des filons de plomb, dont celui d’où vient le lingot.
26Quoi qu’il en soit, le symbole le plus fréquemment attesté dans les marques des lingots de la Sierra Morena, c’est la palme : palme seule (nos 1012, 4009, 4002), doublée (nos 1026, 2001, 4006, 4004), jumelée (nos 2011, 400328) ; palme brandie par une main (nos 1086, 3002). Le sens de ce motif paraît facile à interpréter : le plomb des lingots qui l’affichent est le meilleur, il remporte la palme !
Tableau 36. — Les symboles figurés dans les marques de lingots hispano-romains provenant des districts plombifères du Sud-Est et de la Sierra Morena.
No | Dauphin | Ancre | Caducée | Gouvernail | Autre | Palme | Producteur (nom ou raison sociale) |
Sud-Est | |||||||
1003 | + | + | Q. Appius | ||||
1004 | + | ? | ? | L. Appuleius | |||
1005 | + | + | C. Aquinius | ||||
1012 | malleus | Soc. M. Aurelii | |||||
1020 | + | M. Dirius | |||||
1024 | + | Soc. M. Gargilii et M. Laetilii | |||||
1032 | + | Laetilius Ferm. | |||||
1033 | + | M. Laetilius Teudosius | |||||
1038 1039 | + | C. Messius | |||||
1041 | + | C. Nonius Asprenas | |||||
1043 | + | + | M. Octavius Papilius | ||||
1045 | + | + | M. Pinarius | ||||
1047 1048 | + | L. Planius | |||||
1049 1050 | + | L. Planius Russinus | |||||
1051 | + | M. Planius Russinus | |||||
1053 | + | C. Pontilienus S.f. | |||||
1054 | + | C. Pontilienus M.f. | |||||
1056 | + | + | L. Pontilienus C.f. | ||||
1063 | + | M. Raius Rufus | |||||
1065 | + | + | Soc. Argent. | ||||
1073 | + | P. Turullius Labeo | |||||
1074 | + | P. Turullius M.f. | |||||
1081 | + | Q. Vireius | |||||
1082 | + | C. Vtius | |||||
1083 | + | + | C. Vtius | ||||
1710 | + | + | (…)us S.f | ||||
Sierra Morena | |||||||
1008 | + | + | C. Asi(nius?) | ||||
1026 | + + | Q. Haterius Gallus | |||||
1027 | + | + | Have, Iuli Vernio | ||||
1029 | + | + | T. Iuventius, M. Lu(?) | ||||
1052 | + | Plumb. Ga(…) | |||||
1068 | + | + | Soc. Baliar(…) | ||||
1075 | + | G. Vacalicus | |||||
1078 | dolium | + | M. Valerius Ablo | ||||
1079 | dolium | M. Valerius Ablo | |||||
1085 | + + | + | Sans nom ni raison sociale | ||||
1086 | + | + | manus palmam agitans | ||||
2001 | + + | Ant(….)Ant(…) | |||||
2011 | + + + | Rutilii | |||||
2711 | + + | M(a)n(ius) C(…) E(…) | |||||
3001 | Taurus, corona ( ?) | Soci(etas) Ae(…) Cor(…) | |||||
3002 | manus palmam agitans | Ar (…) | |||||
3004 | + | Dir(…) Car(…) | |||||
4003 | + + | Q. Cornutus | |||||
4006 | + + | C.L. Hel. | |||||
4007 | + | C.M.A. | |||||
4008 | + | C M A | |||||
4009 | + | L M A | |||||
4004 | + + | L. Manius | |||||
4702 | + | M. Vitius (?) | |||||
4710 | + | corona, tridens | + |
27Ces symboles sont souvent représentés avec soin, finesse et précision, comme le montrent le dessin de certaines ancres, gouvernails et caducées, ou encore les volumes des corps des dauphins, mais il est rare de pouvoir y distinguer des styles. C’est pourtant le cas d’une figuration de dauphin sur des marques de lingots du type D1. Ces marques sont au nombre de trois : G.‘VA’C‘AL’ICI // delphinus (1075) ; delphinus, gubernaculum, delphinus (1085) ; delphinus, manus palmam agitans, gubernaculum (1086). Les deux premières figurent sur des séries de lingots découverts dans l’épave Sud-Perduto 2, la troisième sur un lingot de provenance inconnue, mais qui a de fortes chances d’avoir fait partie de la cargaison de Cabrera 5. Dans ces marques, le dauphin est représenté exactement de la même façon : même attitude, queue en deux panaches opposés déployés en l’air et retombant vers le bas ; même traitement de détails tels que le rendu des nageoires et celui des yeux (deux cercles concentriques). Dans un cas, le titulaire de la marque est connu : G. Vacalicus, un producteur de la Sierra Morena. Il est tentant de lui attribuer les deux autres, en particulier celle qui est attestée également dans Sud-Perduto 2, la no 1085, mais aussi celle qui semble provenir de Cabrera 5 (1086). Cela donnerait à l’entreprise de ce producteur une importance assez remarquable. On peut imaginer aussi que plusieurs matrices en terre cuite29 renfermant cette figuration de dauphin aient circulé d’un atelier à l’autre ; dès lors, ce modèle de dauphin serait moins représentatif d’un atelier de production de lingots que d’une région de production en général.
28En tout cas, quel que soit le sens à donner à ces symboles, on peut les considérer comme des critères d’« hispanité », voire de provenance régionale à l’intérieur du monde hispanique ; ils sont en effet inconnus sur les lingots d’origine germanique et bretonne30.
Une caractéristique des lingots de la Sierra Morena : les trous de clouage
29Un autre critère d’« hispanité », ce sont les trous de clouage qui ont été observés à la base de nombreux lingots. Ils ont été signalés pour la première fois sur des lingots de Lavezzi 131, leur nombre s’est ensuite multiplié avec les découvertes des épaves Cabrera 5, Sud-Perduto 2 (fig. 34a), plus récemment Bou Ferrer (fig. 34b) et, dernièrement, SM 35 (Camargue). On les retrouve aussi sur des lingots isolés, ceux, par exemple, de La Grande Sanguinaire B, ou de Chipiona. Les informations tirées des lieux de découverte et de l’ensemble des cargaisons auxquels appartenaient les lingots ne laissaient aucun doute sur l’origine hispanique des navires naufragés et donc du métal, ce qui a ensuite été confirmé par l’archéométrie. Qui plus est, ces perforations n’ont jamais été observées sur des lingots d’autres provenances, sarde, bretonne ou germanique. Enfin, elles sont une particularité propre aux lingots d’époque impériale originaires des mines de la Sierra Morena ; les lingots républicains des districts du Sud-Est en sont en effet dépourvus.
30Il s’agit de perforations généralement de section carrée, plus rarement circulaire, qui traversent de part en part le métal, selon une trajectoire oblique vers l’intérieur, près des arêtes de la base des lingots. On les trouve tant sur leurs petits côtés que sur leurs flancs antérieur et postérieur, généralement associés par deux, soit aux angles opposés des lingots, soit en position médiane sur les grands côtés. Quelques lingots présentent trois perforations : c’est le cas de deux lingots de Cabrera 5, d’un lingot de Bou Ferrer et d’un des quatre lingots de Chipiona. Dans Bou Ferrer, 8 lingots, sur les 12 qui portent des perforations, n’en présentent qu’une seule, généralement sur l’un des grands côtés. Les dimensions sont variables, entre 10 et 20 mm de côté ; certaines peuvent atteindre, dans Bou Ferrer, une largeur de 25-27 mm.
31Ces perforations ont été faites par de grands clous, en fer ou en bronze, et elles ont pu, parfois, entraîner une déformation légère des lingots. Il est acquis aujourd’hui que le clouage avait un rapport avec leur transport. Non dans les navires où ils ont été retrouvés. En effet, les fouilles, quand il y en a eu, n’ont pas permis de recueillir le moindre clou aux alentours des lingots et aucun de ces derniers n’en conservait dans son logement. C’est le cas dans Sud-Perduto 2, où les lingots occupaient leur position originelle, empilés en deux tas sur le massif d’emplanture du navire32 ; les fouilleurs n’y ont pas trouvé de clous, et, surtout, aucun des lingots de la première assise de chacune des deux piles n’en présentait. C’est donc que les lingots avaient été cloués dans d’autres circonstances qu’au moment de leur embarquement sur le vaisseau de haute mer, à Hispalis, et on ne voit guère que le moment où ils ont été amenés jusque-là depuis leurs lieux de production. Le transport devait en effet s’effectuer, au moins dans sa dernière étape, sur le fleuve, le Baetis, qui mettait en relation la colonie romuléenne avec son arrière-pays et avec les mines de la Sierra Morena qui borde au nord la vallée du Guadalquivir. Ce transport s’effectuait sur des chalands — dont on ne sait rien pour l’Espagne33 — et le clouage de la première assise des lingots qui y étaient chargés devait s’avérer nécessaire de façon à arrimer solidement cette cargaison — d’où la disposition des perforations, à deux endroits opposés des lingots — et éviter tout glissement qui aurait fait chavirer l’embarcation. Cela explique que tous les lingots ne portent pas de perforations dues à ces grands clous. Les observations effectuées sur les ensembles les plus complets (Cabrera 5, Sud-Perduto 2) ne permettent pas de définir des constantes. Certaines séries de lingots, sur les deux épaves, identifiées par les marques dorsales de producteurs, ne portent pas de perforations. À l’inverse, d’autres sont systématiquement clouées ; on citera le cas de la série 2 de Sud-Perduto 2 (marque M.H.[-]), dont 21 des 23 lingots présentent deux perforations. Tout dépendait de la façon dont était organisé sur les barges fluviales le chargement des lingots apportés par un mercator ; on ne peut évidemment en dire plus. On signalera toutefois qu’aucun des 95 lingots de l’épave Sud-Lavezzi 2 ne présente de trous de clouage. La pratique ne semble donc pas avoir été généralisée, ou en tout cas ne semble pas avoir été une obligation ; elle fut de fait peut-être laissée à l’appréciation des bateliers.
L’archéométrie
32Jusqu’à la fin du xxe – début du xxie siècle, les critères que l’on vient d’énumérer et de commenter ont été les seuls possibles et les progrès qu’ils ont permis de faire dans la connaissance des lingots de plomb hispano-romains ont été considérables. Mais, vers ces époques, le recours à l’archéométrie a donné une autre dimension aux recherches sur la provenance de ce genre de matériaux. Il y eut d’abord les analyses élémentaires quantitatives ou semi-quantitatives. Elles étaient à la mode dans les années 1960-1970 : les Studien zu den Anfängen der Metallurgie 34 en sont un excellent exemple, avec leurs innombrables tableaux d’analyses d’objets de cuivre pré- et protohistoriques, impressionnants certes, mais dépourvus de la moindre confrontation avec des analyses de minerais. Pourtant, dès 1957, R. Pittioni insistait sur l’indispensable comparaison entre les analyses d’objets et celles de minerais provenant des mines antiques35. Pour sa part, l’un de nous, à partir de 1965, au cours de visites effectuées dans les mines de la Sierra Morena et du Sud-Est, avait fait, en parcourant les haldes antiques, une ample moisson d’échantillons de minerais (plomb, cuivre), et, à l’occasion soit de prospections de terrain soit de fouilles d’habitats, recueilli scories et fragments de plomb métal. Par ailleurs, il avait échantillonné plusieurs des lingots de plomb présentés ici. Il était donc possible de comparer les uns et les autres. Malheureusement, à cette époque, le nombre d’éléments en traces détectables était réduit, à la différence d’aujourd’hui où les analyses multi-éléments et l’examen des associations d’éléments en traces ouvrent d’autres possibilités. Bref, dans les années 1970, les recherches menées sur nos échantillons ne furent guère convaincantes ; certaines furent même de véritables échecs, comme celle qui, fondée sur l’étude statistique des analyses élémentaires des lingots de l’épave Cabrera 536, donna des résultats (une certain affinité avec le plomb de Carthagène, mais pas du tout avec celui de la Sierra Morena) en désaccord avec l’archéologie37, résultats que devait d’ailleurs infirmer quelques années plus tard la méthode des isotopes du plomb38. Pourtant, des analyses qui, vers la fin des années 1960, furent effectuées sur ces échantillons par J. Bourhis au Laboratoire d’anthropologie, préhistoire, protohistoire et quaternaire armoricains (université de Rennes 1, UFR Sciences de la vie et de l’environnement)39, il reste un résultat intéressant : la teneur en argent du plomb doux dont étaient constitués les lingots a été calculée, ce qui permet de savoir si ce plomb avait ou non été désargenté. Nous y reviendrons plus loin.
33En fait, il fallut attendre les analyses des isotopes du plomb pour pouvoir disposer d’un instrument vraiment performant. Entre-temps, la collection d’échantillons auxquels nous avons fait allusion ci-dessus s’était enrichie, et fut confiée, dans les années 1990, à l’équipe d’archéomètres de Turin, dont le travail et les résultats, confortés dans un second temps par leur collaboration avec les géologues espagnols, seront présentés et commentés au chapitre suivant. Nous nous contenterons ici de mentionner rapidement quelques étapes de cette recherche, menée en étroite collaboration entre archéomètres et archéologues :
- Un premier échec : celui de nos études sur les lingots de l’épave SM 1, située face à l’embouchure du Petit-Rhône, près des Saintes-Maries-de-la-Mer. Ils font, de notre part, l’objet de deux articles successifs : le premier, fondé sur une argumentation purement archéologique, conclut à une origine hispanique40 ; le second qui, pour la première fois, utilise la méthode des isotopes du plomb, hésite et finalement conclut à une origine cévenole41. Conclusion immédiatement contestée, avec raison : d’une part, un fragment de lingot découvert anciennement dans la région minière du Sauerland en Germanie portait, quoique incomplète, la même marque que ceux de SM 1 ; d’autre part, les analyses isotopiques du plomb des lingots correspondent parfaitement avec celles des minerais de ces régions de Germanie (Sauerland, Eifel)42. Tout simplement, notre banque de données était incomplète : les minerais de ces régions n’y étaient pas représentés. La même explication vaut pour le second échec que nous essuyâmes, avec nos études des lingots de Comacchio43.
- Un premier succès : la publication du catalogue des marques de producteurs de lingots de Carthagène44. La méthode des isotopes du plomb confirme les attributions déjà assurées par les méthodes traditionnelles et permet d’en ajouter de nouvelles.
34La succession de plusieurs articles sur des lingots de la Sierra Morena et de Carthagène45 paraît montrer que nous maîtrisons la méthode et que cette méthode est bonne, voire qu’on peut l’affiner, comme nous le verrons plus loin.
35Il ne nous reste donc plus qu’à publier la totalité de nos résultats, à savoir nos banques de données d’analyses (minerais et assimilés ; lingots)46, ainsi que les calculs de probabilité auxquels celles des lingots se prêtent : c’est ce que nous allons faire un peu plus loin, et qui devrait convaincre qu’on ne peut désormais se livrer à des études sur l’origine d’objets comparables à nos lingots sans recourir aux analyses des isotopes du plomb, étant bien entendu que les méthodes traditionnelles ont aussi leur mot à dire dans ce domaine, toutes étant en perpétuelle interaction et s’épaulant l’une l’autre.
III. — La typologie
36S’agissant d’un ensemble d’objets à la fois comparables et différents, la typologie des lingots accompagne étroitement leur chronologie ; ce sont deux notions qui se compénètrent et se complètent, si bien qu’il paraît difficile de les séparer, tant la chronologie est présente dans la définition d’un type. Pour la clarté de l’exposition, nous les distinguerons cependant ici, en présentant la chronologie après la typologie.
37En nous appuyant sur les éléments qui précèdent, nous pouvons présenter une typologie, plus étayée et, nous semble-t-il, plus complète que celles de nos prédécesseurs, principalement en raison des découvertes de ces dernières décennies, dues principalement à l’archéologie sous‑marine.
38La typologie que l’un d’entre nous (Claude Domergue) avait été amené à proposer, modifier et compléter au vu des découvertes nouvelles entre 1965 et la période actuelle a été discutée récemment par Heather Brown47. Dans ses descriptions de lingots, cette auteure a adopté les formes Domergue 1, 2 et 4 sous une forme abrégée — D1, D2, D4 — que nous conservons aussi dans cet ouvrage ; nous y ajoutons un type bien défini : D3 (Sierra Morena centrale et orientale)48.
39En général, tous les lingots de plomb romains (hispaniques, bretons, germaniques, sardes, etc.) affectent une forme commode pour leur manipulation (poids plus ou moins réduit, forme allongée) et leur stockage (lignes nettes). Ils sont généralement soigneusement moulés ; leur forme est régulière, allongée et étroite, d’où le nom de « barre » dont on les qualifie parfois (par exemple, « Bleibarren » en allemand). Il existe deux formes principales que différencie leur profil transversal : soit parabolique (dos cintré) [type D1], soit trapézoïdale (dos plat) [type D4]. Entre ces deux formes, la section parabolique présente des aspects divers, qui ne sont pas forcément un signe d’évolution chronologique : elle peut être légèrement écrasée (demi-circulaire ou presque), plus ou moins aiguë (côtés rectilignes inclinés), parfois en ogive (côtés légèrement bombés) [type D3] et même nettement triangulaire (type D2). La section trapézoïdale est sans doute la plus répandue à partir du début de ier siècle apr. J.-C. dans toutes les régions de production, sauf en Hispanie, où le profil parabolique perdure pendant les deux ou trois premières décennies de ce siècle (Sierra Morena orientale), mais le profil trapézoïdal y est bien attesté dans la deuxième moitié.
40Les lingots de plomb hispano-romains se répartissent donc en quatre types.
Types D1a, D1b et D1c
41Barre de section transversale parabolique ; cette section peut être plus ou moins demi-circulaire (cas de nombre des lingots de Carthago Nova [fig. 35a] : par exemple celui de L. Aurunculeius Cotta [1013] ou ceux des frères Roscii [1064]) ; mais elle peut aussi dessiner une parabole plus aiguë dont les deux branches sont obliques et rectilignes jusqu’au point où elles se rejoignent en arc de cercle vers le sommet du lingot (fig. 35b) : cas de la quasi-totalité des lingots de ce type provenant de la Sierra Morena49).
42Au cours de leur stockage et de leur transport, les lingots étaient entassés les uns sur les autres, souvent alternativement dans un sens et dans l’autre50 ; les arêtes des cartouches supportaient donc un poids considérable et souvent s’écrasaient, ce qui pouvait donner l’impression d’un lingot du type D4, de section tronco-pyramidale ; mais, dans ces cas, il suffit de considérer le lingot sur son petit côté pour se rendre compte de la réalité51.
43L. : 45-46 cm ; l. : 10-13 cm ; h. : 10-12 cm. La largeur et la hauteur principalement varient selon le poids du lingot. Les mesures les plus basses sont celles des lingots de Carthagène-Mazarrón.
44Poids parfois normalisé : 100 livres romaines (32,750 kg) pour ceux de Carthagène-Mazarrón52. Mais, et en particulier pour les produits de la Sierra Morena, il peut être beaucoup plus élevé, dépassant souvent les 100 et atteignant parfois plus de 200 livres romaines ; dans ces cas-là, un chiffre incisé sur les grands côtés indique, en livres, le dépassement de poids, et du coup, de façon indirecte, ce qui constituait la norme53 (par exemple, les lingots de Cabrera 4, Cabrera 5, etc.).
45Sur le dos, un, deux et, pour les lingots du Sud-Est, jusqu’à trois cartouches inscrits (types D1a, D1b, D1c) ; ces cartouches renferment l’estampille du producteur, qui est moulée en relief et comprend souvent, surtout sur les lingots du Sud-Est (Carthagène, Mazarrón, Sierra Almagrera), des symboles : dauphin, ancre, etc.
46Sur les lingots classiques du Sud-Est, les timbres imprimés sur les côtés sont extrêmement rares : on en trouve ainsi sur certains exemplaires de Mal di Ventre C, ou encore sur celui des mines du Mons Ilucronensis, trouvé dans le Tibre, à Rome (1067). Sur ceux de la Sierra Morena, ils sont fréquents et paraissent désigner le plus souvent les intermédiaires qui interviennent dans le commerce du métal54.
47Dans le district de Carthagène-Mazarrón, le type 1 est produit de la fin du iie à la fin du ier siècle av. J.‑C. ; vu leur date (milieu du ier s. apr. J.-C.), les lingots des Riches Dunes (1502), qui proviennent de ce district, sont exceptionnels, voire peut-être aussi celui de C. Iunius Paetus (1031).
48Dans la Sierra Morena — surtout la Sierra Morena orientale (district de Linares – La Carolina) — le type D1 est produit au moins au cours des premières décennies du ier siècle apr. J.-C.
Type D2
49Barre de section transversale nettement triangulaire, à large base et à sommet légèrement émoussé sur certains exemplaires « anciens » (Cabrera 5, Sud-Perduto 2, Chipiona), ou plat (Sud-Lavezzi 2, Bou Ferrer). Ce type (fig. 36) n’a été produit que dans la Sierra Morena (deux premiers tiers du ier s. apr. J.-C.).
50L. : 50 cm et plus ; l. : 14-15 cm ; h. 11-12 cm et jusqu’à 17 cm (Bou Ferrer).
51Le poids varie selon les exemplaires ; il est proche de 50 kg pour les exemplaires les plus anciens (Sud-Perduto 2, Sud-Lavezzi 2, Chipiona : premières décennies du ier s.) et dépasse donc le poids standard de 100 livres romaines des lingots du type D1, mais le souvenir de cette norme subsiste (chiffres incisés sur les flancs). Les lingots de Bou Ferrer (fin des années 60) sont quant à eux beaucoup plus lourds, de 56 à 78 kg. Certains portent l’indication du poids réel en partie incisée, en partie réalisée à partir de matrices appliquées à froid (chiffre C). Plusieurs lingots de l’épave récemment découverte (2016) au large des Saintes-Maries-de-la-Mer, SM 35, adoptent un profil triangulaire, mais plus écrasé et donc moins élancé que les exemplaires de Sud-Perduto 2 ou de Bou Ferrer par exemple. Ils sont aussi beaucoup moins lourds et pèsent autour de 30 kg.
52Sur les côtés peuvent figurer des timbres de commerce (Sud-Perduto 2, Sud-Lavezzi 2, Chipiona) ou des timbres nommant principalement l’Empereur (Bou Ferrer).
Type D3
53Ce type présente deux particularités essentielles : il est nettement plus court que les précédents et sa section transversale est de forme ogivale (fig. 37).
54Dimensions : L. : 42-43 cm ; l. 11,5 cm ; h. : 9,5 cm.
55Le poids standard de 100 livres romaines est généralement respecté. Un petit cartouche (inscription moulée) occupe le milieu du dos.
56Pour l’instant, ce type, dont quelques exemplaires ont été découverts dans des zones minières du Centre-Ouest de la Sierra Morena, n’est attesté que dans un petit nombre de gisements sous-marins de Méditerranée : La Caleta (Cádiz), Scoglio Businco, Rasocolmo E, SM 35. Sa chronologie pose un problème qui sera abordé plus loin.
Type D4
57Barre de section transversale trapézoïdale à dos plat (fig. 38).
58Dimensions : L. : 45-46,5 cm ; l. : 9-11 cm ; h. : 8,8-9,2 cm.
59Poids : très proche du standard de 100 livres romaines (32,700 kg).
602e moitié du ier siècle apr. J.-C.
61Un seul cartouche (inscription moulée) qui n’occupe pas la totalité du dos. Le poids est indiqué dans sa totalité par des chiffres incisés sur les grands côtés, où se trouvent aussi des timbres imprimés.
62Cette forme a régné sous le Haut-Empire dans toutes les régions de production de l’Occident romain, avec des variations diverses (poids, mesures). À signaler : l’importance du cartouche dorsal qui peut occuper toute la surface du dos (lingots bretons et germaniques). En Hispanie, la forme est principalement attestée dans la Sierra Morena, surtout dans sa partie orientale. Un modèle lourd de ce type (4002) a existé aux confins occidentaux de la Sierra Morena orientale (Pedroches).
IV. — Éléments de chronologie
63Les informations concernant la chronologie des divers types de lingots ont deux origines : intrinsèque et extrinsèque. Les premières sont fournies par les lingots eux-mêmes, ce sont les plus nombreuses, les secondes par l’environnement archéologique auquel ils appartenaient.
Les informations intrinsèques
64Elles proviennent, pour la plupart, des marques de producteurs inscrites dans les cartouches au dos du lingot.
1. Au premier rang vient la paléographie même de ces marques : si l’on considère en effet celles des lingots du type D1 (par exemple, delphinus // C.AQVINI.M.F // ancora [1005, fig. 39a]) et qu’on les compare à celles du type D4 (par exemple, P.AEMILI.GALLICI [4001] ou Q.CORNVTI duo cornua [4003, fig. 39b]), on constate une notable différence. Dans le premier cas, les lettres sont larges, bien posées, régulières, souvent munies d’empattements ; leur tracé épais et de fort relief a une section nettement triangulaire. Dans le type D4 au contraire, elles sont étroites, allongées, assez irrégulières, leur tracé est grêle et de faible relief.
65Comparons de ce point de vue, en nous référant aux commentaires paléographiques qui sont donnés au début de la fiche concernant chaque marque, les lettres les plus caractéristiques : O, C, Q, M, P.
Tableau 37. — Paléographie de quelques lettres appartenant aux inscriptions contenues dans les cartouches des lingots des types D1 (iie-ier s. av. J.-C.) et D4 (3e tiers du ier s. apr. J.-C.)
Type D1 | Type D4 | |
O | Large et parfaitement circulaire. | Étroit et de forme ovale. |
C | Courbe pleine, élégante, aux longues extrémités. | Arc de cercle réduit. |
Q | Large et parfaitement circulaire, longue queue horizontale. | Étroit et de forme ovale, petite queue oblique. |
M | Large et bien posé, hastes obliques de même longueur, parallèles deux à deux. | Plus ramassé et plus étroit. |
P | La boucle est ouverte ; à sa partie inférieure, la courbe qui la dessine n’est pas collée à la haste verticale. | Le tracé est fin ; la boucle est fermée. |
66Mettons alors en regard de ces observations les commentaires qui, dans les manuels classiques d’épigraphie, accompagnent les descriptions de ces lettres qui nous ont paru les plus caractéristiques, O, C, Q, M, P : nous constaterons que, dans le type D1, nous avons affaire à une écriture du genre monumental, de « bonne époque » et même de « haute époque55 », chronologiquement antérieure à la seconde. Nous la qualifierions volontiers de « petite écriture monumentale ».
2. En second lieu, figurent des particularités d’ordre orthographique et/ou phonétique, qui sont le plus souvent des formes attestées à des moments précis de l’évolution du latin et qui concernent exclusivement les lingots de Carthagène, donc des lingots d’époque républicaine. En voici la liste :
- le gentilice Planius écrit PLAANI (forme du génitif) [1046], le redoublement du A notant un A long, graphie dite « archaïque », attestée au iie siècle et dans les deux premières décennies du ier siècle av. J.‑C.56 ;
- les nominatifs pluriel en -eis, ROSCIEIS (1064) et FVRIEIS (1023). Des nominatifs analogues sont connus à la fin du iie siècle av. J.-C. à Rome, dans le Latium et en Campanie57 (voir le mot magistreis dans trois inscriptions de Capoue58, datées entre 108 et 106 av. J.-C.). Ils désignent plus spécialement des couples de personnages, souvenir d’un ancien duel59. C’est clairement le cas de nos deux exemples. Ces nominatifs en -eis peuvent autoriser une datation identique pour les lingots qui les affichent : fin du iie – début du ier siècle av. J.-C. ;
- dans la marque 1053, le prénom Spurius abrégé en S, signe d’archaïsme, au lieu de Sp. en latin classique ;
- des producteurs de plomb de Carthago Nova, les Aquinii, sont connus par trois marques de lingots du type D1 (1005 à 1007). Comment faut-il orthographier ce gentilice : Aquinus ou Aquinius ? La première graphie est bien attestée dans l’épigraphie de la cité, la seconde a été déduite de la forme AQVINI, de toute évidence employée comme nominatif singulier dans une inscription sur mosaïque qui mentionne une réparation effectuée dans un sanctuaire dédié à Juppiter Stator, à proximité de la ville, et qui est datée entre le dernier quart du iie et le milieu du ier siècle av. J.-C.60 . Il semble bien qu’il s’agisse là d’un nominatif « archaïque » comme on en trouve dans les gentilices en -ius61. C’est donc une preuve supplémentaire de l’ancienneté des lingots de type D162.
3. En troisième lieu vient, toujours exclusivement pour les lingots républicains de Carthagène, la mention de la tribu à laquelle est rattaché le producteur : cette indication peut être intéressante pour la chronologie des marques où elle figure. D’une façon générale, elle devient habituelle dans le monde romain à partir de 89 av. J.-C., date de la promulgation de la loi Plautia-Papiria qui, après la guerre sociale, accorde la citoyenneté romaine aux Alliés (Socii) italiens63. Cette loi signale évidemment un changement et le début d’une évolution rapide dans la société romano-italienne ; alors plus d’un nouveau citoyen aura à cœur de montrer son appartenance à la cité romaine. Ainsi, écrit Appien, les Étrusques reçurent avec joie la civitas romana64. Mais cela ne signifie pas que la date de 89 marque une transformation radicale des usages et il est également vraisemblable que les opérations d’inscriptions n’aient pas été terminées avant quelques années65 : autrement dit, toutes les marques sans indication de la tribu ne peuvent pas automatiquement être antérieures à 89, ni celles qui la mentionnent, postérieures à cette date : ainsi, selon L. R. Taylor, la première mention attestée de l’appartenance à une tribu est de 171 av. J.-C.66. Aussi est-il nécessaire de considérer le problème selon la situation de chacun des producteurs qui en font état dans leurs marques et dont voici la liste (tableau 38) :
Tableau 38. — Marques de lingots du type D1 dans lesquelles est indiquée la tribu d’appartenance (en caractères gras).
Numéro d’ordre | Texte de la marque | Numéro de la marque |
1 | CN.ATELLI.T.F.ME‘NE’ | 1009 |
2 | L.CARVLI.L.F.HISPALI.MEN | 1017-1018 |
3 | P COR‘NE’L L F AIM.POLLION FO‘RMIAN’ // GAL | 1019 |
4 | C PONTILIENI M.F FAB | 1055 |
5 | M.P.ROSCIEIS.M.F.MAIC | 1064 |
6 | Q SEI P.F.MEN POSTVMI | 1065 |
7 | P TVRVLLI.M F // ‘MA’I delphinus | 1074 |
8 | delphinus // Q.VIREI C.F // STE | 1081 |
9 | C.VTI.C.F.ME‘NE’N | 1084 |
67Une remarque préalable est nécessaire : l’inscription dans une tribu donnée peut aider doublement, tant pour la détermination de l’origine des exploitants que pour la datation des lingots, dans la mesure où nous savons qu’à une date donnée, les habitants de telle cité d’Italie, devenus citoyens romains, ont été inscrits dans telle tribu.
68Dans certains cas, cette aide n’aura que peu de portée. Ainsi nous apprenons que P. Cornelius Pollio (no 3) est de Formies et qu’il est inscrit dans la tribu Aemilia. Or c’est dès 188 que cette cité de la côte méridionale du Latium a été rattachée à ladite tribu67. Le lingot qui porte la marque de P. Cornelius est donc postérieur à cette date, mais on ne saurait être plus précis, car, pour la raison exposée plus haut, il n’est pas possible a priori de s’en tenir exclusivement à la date à partir de laquelle la mention de la tribu devient habituelle, soit 89 av. J.-C., fin de la guerre sociale. Par ailleurs, en toute hypothèse, la marque de P. Cornelius peut être antérieure à cette date. Nous y reviendrons.
69Nous ne pouvons guère nous engager davantage avec la marque des frères Roscii (no 5), inscrits dans la tribu Maecia, et très vraisemblablement originaires de Lanuvium, dans le Latium Vetus, qui appartenait précisément à cette tribu dès 33268. Néanmoins cette date ne saurait être considérée comme le terminus post quem des lingots ainsi marqués, puisque Rome n’a pu historiquement exploiter les mines de plomb-argent d’Hispanie qu’à partir de l’extrême fin du iiie ou du début du iie siècle av. J.-C. Il faut donc le rabaisser au moins jusqu’à cette date. En fait, la période à l’intérieur de laquelle on peut situer les lingots des Roscii est la même que pour celui de P. Cornelius Pollio. Certes, l’usage du nominatif pluriel en -eis dans la marque des Roscii pourrait faire remonter à la fin du iie – début du ier siècle av. J.‑C., mais rien ne l’assure.
70Dans les deux exemples précédents, la connaissance de la ville d’origine, certaine dans un cas, fort probable dans l’autre, a facilité l’enquête. Quand une telle information manque, il en va autrement : c’est ce qui se passe dans tous les autres cas. Cependant l’onomastique permettant de tracer les aires de répartition respectives des gentilices italiques — ce qui est le cas de tous les exploitants figurant au tableau 38 — il suffira de voir pour tel d’entre eux si, dans les régions où ce nom est attesté, des cités ont été incluses dans la tribu à laquelle il appartient et si ce fut à l’occasion de la guerre sociale. De ce fait, une telle recherche d’une part assurera nos présomptions sur l’origine du nom, d’autre part fournira des éléments de datation pour les marques concernées et pour les lingots qui les portent.
71Appliquons cette méthode69 aux sept marques du tableau 38 restant en jeu : d’abord celles de producteurs d’origine campanienne — Cn. Atellius (no 1)70, L. Carulius (no 2)71, Q. Seius (no 6)72, C. Vtius (no 9)73, tous inscrits dans la tribu Menenia, qui, après la guerre sociale, reçut Herculaneum, Pompéi, Stabies, Nuceria74, soit une importante bande côtière au sud de Naples (cité elle-même rattachée à la Maecia) —, ensuite celles d’autres producteurs inscrits dans d’autres tribus, et provenant de régions où ces tribus sont attestées après la guerre sociale : M. Pontilienus (Picenum) dans la Fabia75, P. Turullius (sud de l’Italie) dans la Maecia76, et, finalement, Q. Vireius/Vereius (Étrurie) dans la Stellatina77.
72On peut faire à leur propos plusieurs observations concordantes :
- deux de ces marques (nos 1 et 2) bénéficient indirectement d’un terminus post quem plus précis, établi grâce à la datation des épaves où ont été trouvés des lingots ainsi marqués, respectivement celles de Mahdia (80-70 av. J.-C.)78 et de La Madrague de Giens (généralement, 75-60 av. J.-C. ; en dernier lieu, 55 av. J.-C.79). Dans les deux cas, ces lingots n’ont rien à voir avec une vraie cargaison d’exportation de métaux hispaniques. L’un (no 2) faisait partie de l’équipement de bord, l’autre (no 1) de la cargaison certes, mais comme complément indispensable à l’ajustement des éléments d’architecture qui constituent une part importante de cette dernière80, autrement dit, il peut s’agir de lingots déjà anciens provenant de stocks divers (le plomb ne se périme pas) et non de lingots fraîchement fabriqués, comme ceux qui constituaient les cargaisons normales des vaisseaux d’exportation et de redistribution ;
- ces deux dates se situent dans la période de grande production des mines du Sud-Est, dont le début n’est pas précisément fixé (fin du iie – début du ier s. av. J.-C.), qui s’achève à la fin du ier siècle av. J.-C.81 et qui coïncide exactement avec le(s) rush(es) des Italiens sur les mines d’Espagne et leur enrichissement, comme l’atteste le fameux passage de Diodore de Sicile82 ;
- pendant cette même période de production, s’est déroulée en Italie la guerre sociale (91-88 av. J.-C.) dont la conséquence essentielle a été l’attribution de la cité romaine aux Italiens. À cette occasion plusieurs tribus romaines ont vu s’étendre leur territoire dans les régions d’Italie : en Campanie, principalement la Menenia, mais aussi la Maecia, dans le Picenum la Fabia, en Étrurie la Stellatina, précisément les tribus qui sont mentionnées dans les sept marques qui nous occupent, avec une nette prédominance (4 occurrences) de la Menenia, une proportion qui reflète l’importance de l’émigration campanienne dans les mines de Carthago Nova, telle que l’a représentée M. Stefanile83, par rapport à celle des autres régions italiennes : une raison de plus pour renforcer la relation chronologique de ces marques avec l’attribution du droit de cité romaine aux Italiens après la guerre sociale ;
- la mention de la tribu d’appartenance n’est certes pas fréquente dans les divers types de dénomination figurant sur les marques des lingots produits par une même famille d’exploitants84 — 2 occurrences sur 4 pour les Atellii, 1 sur 8 pour les Pontilieni, 1 sur 3 pour C. Vtius, 1 sur 2 pour P. Turullius, 2 sur 2 pour L. Carulius Hispallus) — comme si cette mention avait été liée à l’expression ponctuelle d’une réalité nouvelle (l’obtention de la civitas romaine), qui avait compté pour l’exploitant à un moment donné, mais qui n’avait pas besoin d’être rappelée régulièrement, bref, une « mode » éphémère liée à la fierté momentanée d’exploitants devenus citoyens romains, mais qui, une fois exprimée dans un ou deux types de marques, perdait son caractère exceptionnel et n’avait plus à se manifester.
73Cette « mode » a pu s’étendre au même moment à d’autres exploitants, citoyens romains de moins fraîche date, mais qui, en imitant les autres, faisaient eux aussi preuve de leur fierté d’être des cives Romani : ce pourrait être le cas de P. Cornelius Pollio et des frères Roscii, dont les lingots dateraient alors, eux aussi, d’après 89 av. J.-C., et ce ne serait pas surprenant. Imaginons en effet un instant qu’ils soient bien antérieurs, de la fin du iie – début du ier s. av. J.-C. par exemple ; pourquoi, alors, dans un milieu où, en toute hypothèse, rien n’indique qu’il ait été habituel de préciser dans une marque commerciale sa tribu d’appartenance, ces producteurs l’eussent-ils fait ? Il est plus logique de penser à un effet de mode, et, par conséquent, de dater les lingots de P. Cornelius Pollio et ceux des Roscii de cette même période, immédiatement postérieure à la guerre sociale.
74Certes, aucune de ces remarques n’apporte la preuve absolue de la relation chronologique existant entre les marques mentionnant la tribu d’appartenance de l’exploitant et l’attribution du droit de cité romain aux Italiens après la guerre sociale, mais elles constituent un faisceau concordant d’observations qui assoient plus fortement la réalité de ce rapport85.
75Venons-en, pour terminer, à la dénomination des producteurs pour ce qui concerne la mention du cognomen et l’indication de la filiation.
76Il semble que l’emploi du surnom soit devenu habituel chez les ingénus plébéiens sous Auguste, vers 30 av. J.-C.86. Mais on peut rencontrer le surnom épisodiquement avant cette date, surtout dans des inscriptions non officielles87. On en verra d’excellents exemples dans les marques de lingots du type D1. La présence ou l’absence de cognomen dans les dénominations de nos producteurs n’a donc pas de valeur chronologique.
77En revanche, l’indication de la filiation paraît être un marqueur chronologique un peu plus évident, dans la mesure où, inexistante dans les lingots du type D4 (seconde moitié du ier s. apr. J.-C.), elle figure presque toujours sur les lingots du type D1 (ier s. av. J.-C.). Mais la datation des uns et des autres est en fait assurée plus fortement par d’autres critères plus marquants, dont certains ont déjà été mentionnés, tandis que d’autres figurent ci‑après.
78Parmi eux on comptera les timbres imprimés en creux après démoulage. Ils sont rares sur les lingots de type D1 issus des mines de Carthago Nova et sur ceux du type D3. Mais ils sont beaucoup plus fréquents sur les autres (lingots D1 de la Sierra Morena, D2 et D4). Certains fournissent des informations plus précises, dans la mesure où ils contiennent des noms de personnages historiques. Ainsi, sur un lingot isolé trouvé dans l’épave Cap d’en Font (Menorca) [type D4 : 4703] figure le cachet AGRIP, qui semble bien être celui d’Agrippa, gendre d’Auguste et personnage officiel : ce lingot est donc obligatoirement antérieur à la mort de ce dernier, en 12 av. J.-C.88.
79La titulature de Néron (54-68 apr. J.-C.) apparaît, en plusieurs cachets qui se complètent, sur des lingots des types D2 (Bou Ferrer, 2003, 2008, 2705-2711) et D4 (4001), celle de Vespasien (69-79 apr. J.-C.) sur des lingots D4 (Cabrera 6 : 4001, 4003 à 4005, 4007, 4008, 4010, 4701, 4702)89.
80Outre ces timbres, « officiels » en quelque sorte, d’autres, plus nombreux — mais en général moins précis —, sont liés au commerce des lingots. Dans un, et peut-être même deux cas, ils permettent de dater une cargaison dépourvue de tout élément de datation, par comparaison avec un chargement mieux favorisé sur ce point. Ainsi le cachet du même commerçant, C. Cacius Philargyrus, figure à la fois sur les lingots de la cargaison de l’épave de Chipiona (nos 2002, 2011 et 2012) et sur ceux de Sud-Perduto 2 (nos 1008, 1025, 1076, 1077, 1079 1085, 2001, 2004 et 2005), une épave qui, elle, est bien datée du 1er quart du ier siècle apr. J.-C. par le matériel d’accompagnement (amphores) : on peut donc conclure que les uns et les autres sont contemporains. De la même façon, on peut attribuer à SM 35 une date par comparaison avec Cabrera 5. Parmi les timbres imprimés sur les lingots de SM 35 en effet, trois renferment des noms : Demetrius, L.Fannius ou des initiales (Q.P.S) qui figurent sur des cachets portés par des lingots de l’épave Cabrera 5, datée des premières décennies du ier siècle apr. J.-C. Certes, d’une épave à l’autre, il y a quelques différences dans les caractères techniques des cachets et dans la graphie des inscriptions, mais l’on peut admettre que les personnages mentionnés aient pu utiliser, au cours de leur activité, des cachets fabriqués et rédigés de façons diverses — dimensions et forme, hauteur des lettres, modelé de ces dernières en relief ou en creux, ligatures, lettres retro —, donc qu’il s’agit bien des mêmes individus. Dans ces conditions, il nous paraît logique de considérer que SM 35 date également des premières décennies du ier siècle apr. J.-C., sous réserve que la poursuite de la fouille archéologique de l’épave confirme cette datation.
Les données extrinsèques : l’environnement archéologique
81Au cours de la deuxième moitié du xxe siècle, le développement spectaculaire de l’archéologie sous-marine a permis de mettre à la disposition des archéologues des ensembles clos — les épaves —, dont le contenu (cargaison, matériel de bord) constitue un environnement archéologique de premier choix, dont l’une des premières informations (avec les indications de provenance examinées plus haut90) est d’ordre chronologique.
82Les découvertes terrestres de lingots fournissent rarement des données de ce genre : on retiendra cependant que le lingot de Pompéi (4001-2) et les deux d’Herculanum (4006, 4501) ne peuvent être postérieurs à 79 apr. J.-C. ; par ailleurs les deux lingots de type D4 provenant du port antique de Marseille (4704, 4705) ont été découverts dans un niveau archéologique datant de l’époque Tibère-Claude, et celui de C. Iunius Paetus (1031) au Magdalensberg dans un milieu de la fin du règne de Tibère.
83Les types D1 et D2 sont les grands bénéficiaires des informations chronologiques fournies par les épaves : ainsi les lingots D1 du ier siècle av. J.-C. (presque exclusivement ceux de Carthago Nova) sont intéressés par les datations de Mal di Ventre C (2e quart du ier s. av. J.-C.), La Madrague de Giens (vers 75-60 av. J.-C.), Mahdia (entre 100 [ou 89 ?] et 60) ; ceux qui, dans ce même type, proviennent des mines de la Sierra Morena et appartiennent à la 1re moitié du ier siècle apr. J.-C. le seront, eux, par Cabrera 4, Cabrera 5 et Sud Perduto 2 (1er quart du ier siècle). On voit aussi, grâce à Lavezzi 1, Sud-Lavezzi 2, mais aussi Sud Perduto 2, les lingots du type D2 (toujours de la Sierra Morena) apparaître au début du ier siècle apr. J.-C., et se maintenir au milieu (Port-Vendres II) et encore au 3e quart (Bou Ferrer) de ce même siècle.
84La chronologie du type D4 ne tire aucun bénéfice de l’environnement archéologique qu’aurait pu fournir Cabrera 6 si cette épave n’avait été pillée par les plongeurs clandestins : ce sont au contraire les lingots qu’elle contenait qui, grâce aux cachets de Vespasien, datent l’épave elle-même.
85Quant au type D3, nous disposons aujourd’hui de quelques éléments pour le dater. La seule épave actuellement connue qui renfermait sûrement des lingots de ce type est SM 3591. Or plusieurs lingots de sa cargaison portent des marques de commerce — L.FAN(ni), DE‘ME’TRI, Q.P.S — que l’on retrouve sur des lingots provenant de l’épave Cabrera 5, bien datée, elle, du 1er quart du ier siècle apr. J.-C. Telle doit être aussi la date de SM 35 et des lingots de sa cargaison, en particulier ceux du type D3.
86Les informations détaillées ci-dessus ont permis de définir avec assez de précision la typo-chronologie des lingots de plomb hispano-romains. Mais elles ne sont pas toutes aujourd’hui d’égale valeur : ainsi celles que l’on peut tirer par exemple de la paléographie des marques de producteurs, si précieuses il y a un siècle, ne présentent pas aujourd’hui le même intérêt, en face des données plus précises et diversifiées fournies par l’archéologie sous-marine. Et c’est bien du développement de cette dernière qu’il faut désormais attendre des informations nouvelles. Les types qui, au final, tirent le plus grand bénéfice de l’ensemble de notre examen sont les types D1 et D2 : ce sont eux que l’on connaît le mieux. Le bénéfice est assez maigre pour le type D4. Quant au type D3, de nouvelles découvertes permettraient de mieux en assurer la chronologie.
La fabrication des lingots
87Nos lingots sont en général des pièces d’excellente facture, par leur forme, par leur esthétique (surface régulière et polie), par la qualité de leurs inscriptions : il suffit de considérer tel exemplaire des Pontilieni ou tel autre de Marcus Aquinius. Par ailleurs, et compte tenu des accidents qu’ils ont pu souffrir une fois démoulés, ils présentent, dans une même série, exactement les mêmes qualités. Ils ont donc été fabriqués dans d’excellentes conditions, mais nous ne disposons que de rares informations sur la façon dont ils ont été coulés. En fait, ces informations résultent de l’examen des lingots eux-mêmes et des données fournies par quelques documents archéologiques.
a) L’examen macroscopique
88L’observation des lingots fait ressortir un certain nombre de caractères :
- les lingots ont été coulés à plat, leur base actuelle constituant la surface de la lingotière ;
- sur de très nombreux exemplaires — mais pas sur tous : on n’en voit pas par exemple sur les lingots de Chipiona et de Bou Ferrer — on distingue, tant sur les petits que sur les longs côtés, des stries horizontales (une dizaine environ : fig. 40), qui, à première vue, sembleraient indiquer que le lingot est fait de couches de plomb superposées et pourraient faire penser que ces traces constituent des indices de la façon dont le lingot a été coulé, par petits apports de plomb liquide successifs, versés à la louche. Dans le courant du siècle dernier, des métallurgistes britanniques, J. A. Smythe et G. Clement Whittick, se sont intéressés à la question92 : en utilisant des lingotières faites de divers matériaux (sable, cuivre, marbre, brique isolante, argile réfractaire séchée ou cuite à environ 800-900°), ils ont montré que cet effet superficiel se produisait normalement au cours d’une coulée continue, et qu’il était dû aux conditions de refroidissement du plomb, qui pouvaient également provoquer la formation de criques, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur (dépressions sur la base) d’un lingot. Les meilleurs résultats concernant les stries avaient été obtenus avec des lingotières en argile réfractaire cuite. La coulée en continue avait été effectuée directement à partir du trou de coulée d’un fourneau. Dans l’Antiquité romaine, une telle opération était sûrement possible, soit directement du fourneau à la lingotière, comme on vient de le voir, soit par l’utilisation d’une poche d’un volume correspondant à celui d’un lingot pour pouvoir réaliser ce dernier en versant en une seule fois dans la lingotière le contenu d’une poche. La densité du plomb liquide étant de 10,3 (au lieu de 11,3 pour le plomb solide), la poche devait avoir une contenance d’un peu plus de 3 litres pour les lingots du type D1, de 5 ou 6 litres pour ceux du type D2.
- la surface est généralement lisse, les seuls défauts remarquables se trouvent tant sur les flancs que dans les cartouches : bavures, coulures en relief. Lorsqu’on a affaire à une série, ces défauts se répètent sur tous les exemplaires. L’exemple des 95 lingots de Sud-Lavezzi 2 marqués MINVCIORVM (2009) est instructif de ce point de vue. Un examen approfondi93 a montré qu’ils se distribuent en deux séries principales94, qui se définissent par les particularités du cartouche et de l’inscription qu’il contenait, ainsi que par des coulures de plomb qui chevauchent transversalement les lingots (cartouche et longs côtés compris) et qui sont présentes, toujours exactement semblables, sur tous les exemplaires d’une même série95. Comment expliquer la présence de ces coulures ? Elles ne peuvent exister, nous semble-t-il, que si, aux emplacements correspondants, les lingotières étaient fissurées, fendillées ou portaient en creux d’autres défauts superficiels.
b) Les documents archéologiques extérieurs : les matrices
89Elles sont rares. Comme le montrent les trois seuls exemplaires à ce jour connus, provenant des mines de Mazarrón (voir ci-après)96, elles se présentent sous la forme d’étroites plaques de plomb sur une face desquelles apparaissent, en creux et à l’envers, les inscriptions. Ces matrices servaient non point à marquer les lingots eux-mêmes, mais à confectionner des lingotières dans lesquelles les lingots étaient façonnés, comme on le verra plus loin. Les observations réalisées sur les lingots révèlent que ces matrices pouvaient parfois présenter des défauts, dus à l’inattention du graveur, ce qui n’empêcha pas pourtant leur utilisation. La plus courante est la présence de lettres rétrogrades ; dans le cas des inscriptions moulées en effet les matrices doivent être intégralement écrites à l’envers, mais le graveur l’oublie parfois. Nous en avons ici quelques exemples significatifs. Remarquons d’abord qu’à l’exclusion d’une marque tout entière retro du type D2 (no 2007), elles concernent toutes des lingots du type D1. Nous notons ainsi en caractères retro le N dans les marques 1007 et 1084, le S dans la marque 1030, ainsi que le double SS du cognomen RVSSINI dans la marque de M. Planius Russinus M. f. (1051). Des lettres ont pu être aussi oubliées, comme, sur le lingot de type D2 au nom de Q. Bigueius (no 2002), où l’on note l’absence de l’initiale du prénom du père après le gentilice, ou, comme sur la marque 1013, au nom de L. Aurunculeius, dans laquelle la lettre indiquant le statut n’a pas été figurée, à l’évidence par manque de place. On remarquera aussi le R de la marque 1058a, dont la haste oblique a été oubliée par le graveur de la matrice, ce qui donne sur le lingot : SOC.M.C.PO‘NT’ILIENO<P=R>VM.M.F.
90La seule graphie fautive digne de quelque intérêt figure dans la marque 1035 : [..] S.LVCRETI hedera // SOCIETATVS, où l’on relève l’emploi d’un *societatus, participe passé d’un verbe qui n’existe pas, *societare, la désinence -tus ayant pu paraître au graveur plus latine que le -tis du génitif societatis, qui est ici normalement attendu : c'est là le seul exemple qui, dans nos marques, signale une pratique peu sûre du latin. Cette même marque 1035 reste encore « anormale » par l’emploi du mot SOCIETATIS (ici orthographié fautivement SOCIETATVS) écrit en toutes lettres en fin de cartouche. D’une part, le mot complet n’apparaît jamais dans les marques ; d’autre part, lorsqu’il est fait mention d’une société, le mot figure — et toujours sous une forme abrégée — en tête de la marque : par exemple, SOC (nos 1012, 1024, 1058 et 1058a, 1066, 1068), SOCIET (no 1037, 1067, 1069, 1070, 1071), SOCI (no 3001), S (nos 3003, 3006). Ici, ces deux détails (le mot sous sa forme complète et sa position en fin de marque) semblent être d’autres signes de la maladresse du graveur. Ces maladresses et fautes d’inattention ne sont pas toutefois très courantes, ce qui témoigne globalement du soin apporté par les graveurs à la fabrication des matrices. Celles de Mazarrón en sont le témoignage (fig. 41) :
- Matrice 1 : SOC[---] (retro)
- Fragment de plaque de forme tronco-pyramidale trouvée dans le secteur de la mine de Coto Fortuna, près de Mazarrón, dans les années 1980.
- Lieu de dépôt : collection privée (Carthagène).
- Dimensions : 6,4 cm x 3,5-2,5 cm ; ép. 2 cm.
- Sur la plus petite surface, on lit à l’envers et en creux, en lettres hautes en moyenne de 13-14 mm, l’inscription SOC.
- Matrice 2 : SOCIET (retro)
- Plaque de plomb, de forme légèrement tronco-pyramidale, trouvée dans les années 1980 dans une halde antique de la mine de Coto Fortuna, près de Mazarrón.
- Lieu de dépôt : collection privée (Mazarrón).
- Dimensions : 7,8 cm x 2,6 cm pour la surface la plus large et 7 cm x 2 cm pour la plus réduite ; épaisseur : 5-6 mm ; poids : 109,10 g.
- Sur la plus petite surface, on lit à l’envers et en creux, en lettres hautes en moyenne de 15 mm, l’inscription SOCIET. Les quelques traces de raclage que l’on remarque autour de la partie supérieure du E et du T et à la base de cette dernière lettre sont peut-être dues à un nettoyage trop énergique de la pièce. En revanche le court sillon qui, à la pointe la branche inférieure du C, va jusqu’au bord de la plaque semble bien être original et résulter d’un mauvais contrôle de l’outil avec lequel la matrice a été gravée.
- Matrice 3 : MO‘NT’.ARGE‘NT’ (retro)
- Plaque de plomb non oxydé, de forme légèrement tronco-pyramidale, d’une surface un peu plus étroite du côté inscrit. Elle a été trouvée en 1847 au nord-ouest de Mazarrón, dans l’escorial antique du Cabezo del Moro, non loin du Cabezo San Cristobal, dont les riches gisements de galène argentifère ont été largement exploités à l’époque romaine.
- Lieu de dépôt : Museo Arqueológico de Murcie (no d’inventaire : 0/39). Provient de l’ancienne collection de Francisco Cánovas, à Lorca.
- Dimensions : L. : 10,8 cm ; l. : 1,8 cm ; ép. 11 cm.
- Sur la surface la plus réduite, on lit en lettres gravées en creux, l’inscription retro indiquée ci-dessus et qui comprend par deux fois la ligature NT.
91On comparera ces deux dernières matrices avec les inscriptions qui figurent dans les deux premiers cartouches de la marque de cinq lingots de plomb (no 1069) découverts en 1907, à l’emplacement de ce qui semble avoir été une fonderie de plomb, au sommet du Cerro del Castillo, qui domine la mine de Coto Fortuna, déjà mentionnée. La marque apparaît en relief dans trois cartouches en creux : SOCIET // MO‘NT’.ARGE‘NT’ // ILVCRO97 [fig. 42].
92On voit clairement la ressemblance entre les matrices 2 et 3 d’une part et les deux premiers cartouches de la marque d’autre part. Les dimensions des matrices et celles du fond des cartouches correspondants sont à peu près les mêmes ; les lettres sont de même type, bien que le ductus et les proportions de certaines d’entre elles introduisent quelques différences. Cela ne jette aucun doute sur l’authenticité de nos matrices, mais suggère qu’il devait y en avoir plusieurs jeux pour une marque donnée. Par ailleurs, l’épaisseur des deux matrices est assez proche de la profondeur des cartouches relevée sur les deux seuls lingots ainsi marqués qui soient conservés : 8-9 mm pour l’exemplaire du musée du Louvre ; 7 mm pour celui de la collection particulière. Cette correspondance semble indiquer que ces matrices ont dû être utilisées dans la confection des lingotières.
c) Lingotières et lingotage
93Mais on n’a jamais retrouvé de lingotière pour lingots de plomb, à l’inverse de ce qui existe pour ceux de cuivre : dans les scories romaines (ier s. apr. J.-C.) de la mine de cuivre d’Otero de los Herreros (province de Ségovie, Espagne), on a en effet recueilli d’importants fragments de lingotières en terre cuite de forme circulaire98, qui correspondent tout à fait aux lingots de cuivre plano-convexes des mines d’Hispanie et d’ailleurs. On pourrait imaginer des lingotières comparables pour les lingots de plomb. Sans doute, mais le matériau dont sont faites les premières est bien trop grossier en face des surfaces extrêmement lisses de ces derniers. Faut-il penser à du sable de fonderie ou bien à des lingotières en terre cuite, comme celles qu’on pourrait imaginer après les expériences de Smythe et Whittick mentionnées plus haut ?
94À ce moment de l’argumentation, il est nécessaire de rappeler les observations que nous avons faites plus haut à propos des coulures de plomb qu’on relève à la surface des lingots des Minucii : elles sont exactement semblables sur tous les exemplaires d’une même série ; le nombre même de ces exemplaires exclut que n’ait été utilisée qu’une seule et même lingotière. Il est donc loisible d’imaginer l’existence d’un nombre x de lingotières, dotées, en creux, de défauts correspondant exactement aux coulures des lingots ; elles auraient été fabriquées à la demande à partir d’un gabarit, issu lui-même d’une « proto-lingotière » ; cette dernière, que nous imaginons en terre cuite, se serait fendillée superficiellement lors de la cuisson et c’est d’après elle — tant qu’elle restait intacte — qu’auraient été produits autant de gabarits qu’on pouvait désirer et qui, eux-mêmes, auraient servi à modeler ces lingotières exactement semblables qu’on vient de mentionner.
95Quel matériau pour ces lingotières ? Nous retrouvons le problème posé un peu plus haut. Il n’existe pas la moindre trace de lingotière en terre cuite : certes aucune fonderie de plomb hispano-romaine n’a été scientifiquement fouillée, pas plus que les monceaux de déchets (escoriales) qui en provenaient, mais, en Espagne par exemple, nombre de ces derniers ont été exploités et détruits au xxe siècle par les « sacagéneros », qui ont laissé sur place les débris inutiles (en particulier les tessons de céramiques : amphores et autres), mais jamais le moindre fragment d’une lingotière en terre cuite n’y a été identifié99. Dans ces conditions, on peut penser que les lingotières étaient modelées dans du sable de fonderie100 et que chacune ne servait qu’une fois.
96Au vu des remarques qui précèdent, et en particulier de celles qui résultent de l’examen de séries de lingots (par exemple les deux séries de lingots marqués MINVCIORVM), voici quel a pu être le processus de fabrication des lingotières, puis d’un lingot (planche IV) :
- a. – Confection d’un modèle en argile (« modèle 1 »), sur le dos duquel sont ménagés, à l’aide des matrices dont il vient d’être question, le cartouche ou les cartouches contenant en relief les marques de production, lisibles à l’endroit ; après cuisson, lissage et colmatage des fissures ayant pu survenir au cours de cette dernière ;
- b. – Confection d’une « lingotière 1 », obtenue par impression du modèle 1, dans une masse d’argile ; cette lingotière reproduit donc en négatif le modèle 1. Cuisson de cette lingotière 1, qui, en conséquence, peut présenter des fissures superficielles peu profondes, dues à la contraction de l’argile ; cette lingotière peut être appelé la « lingotière-type » ;
- c. – Moulage du « modèle 2 » en terre cuite ou séchée, à l’aide de la lingotière 1 précédente ; ce modèle 2 reproduira donc en positif très exactement cette lingotière 1, y compris les défauts qui peuvent en affecter la surface ; ainsi apparaîtront d’éventuelles coulures en relief qui correspondent aux fissures superficielles de la lingotière 1 ;
- d. – Confection de « lingotières de série », façonnées dans du sable de fonderie à l’aide du modèle 2 ; ces lingotières de série sont toutes exactement semblables à la lingotière 1, mais, loin d’être en argile (comme la lingotière-type = lingotière 1), elles sont modelées dans du sable de fonderie ;
- e. – Fabrication d’un lingot par remplissage d’une de ces lingotières en coulée continue, sans doute à l’aide d’une poche verseuse, d’une contenance adaptée au format du lingot (un peu plus de 3 litres pour le type D1), maniée par deux ouvriers, et ainsi de suite.
- f. – Extraction des lingots des « lingotières de série » ; ces lingots reproduisent très exactement le « modèle 2 ».
97Dans le schéma proposé ci-dessus, il est difficile de faire l’économie des phases b) et c). On en est empêché par la présence des coulures à la surface des lingots, comme on en a sur les lingots des Minucii. En effet, si l’on avait fabriqué les lingotières à l’aide du modèle 1, il y aurait eu deux cas de figure :
- ou bien, une fois le modèle cuit, on l’aurait soigneusement lissé pour colmater les éventuelles fissures produites par la cuisson, et la lingotière à l’aide duquel elle aurait été moulée eût été parfaitement incapable de provoquer sur les lingots les fameuses coulures en relief ;
- ou bien, on l’eût utilisé tel qu’il sortait du four, fendillé par la chaleur, et, dans ce cas, c’est la lingotière qui aurait présenté des coulures en relief, si bien que le lingot qui en serait sorti, aurait porté l’empreinte de ces dernières, mais en creux. Or ce n’est pas ce que nous voyons sur les lingots.
98Une lingotière de série ne sert qu’une fois : l’extraction du lingot, une fois le métal refroidi et durci, entraîne en effet la destruction de la lingotière. Ce n’est pas un problème pour les fondeurs : ils disposent en effet du modèle 2 — et, éventuellement, de la lingotière 1 — pour fabriquer d’autres lingotières de série. Par ailleurs, il pouvait exister d’autres modèles de la même marque, comme permet de le penser la deuxième série des lingots des Minucii.
99À ce propos, il n’est pas inutile d’évoquer les creux importants dont la présence a été remarquée à la base des pesants lingots de l’épave Bou Ferrer, à l’exception des nos 9 et 19. Il s’agit de profondes cavités situées à la base des saumons, de section carrée à rectangulaire et de 3 à 5-6 cm de côté pour celles qui ont pu être mesurées101 ; elles sont généralement situées en milieu de largeur, près d’une des extrémités (fig. 43). Sauf sur le lingot no 2, elles sont profondes de 5,85 cm à presque 10 cm102 et affectent un profil vertical pyramidal aigu (fig. 44). On a pu provoquer la formation de ces cavités en plantant un ringard dans le métal à peine durci ou en cours de refroidissement, même si l’on n’observe pas de déformation particulière de celui-ci à l’endroit où elles se trouvent. Cela expliquerait la profondeur inégale d’un exemplaire à l’autre. Il faut savoir que les lingots de Bou Ferrer sont les plus lourds de ceux produits en péninsule Ibérique, leur poids pouvant atteindre jusqu’à 78 kg. Un ringard permettait à un homme de les soulever et de les transporter. Cela pourrait expliquer l’état souvent très endommagé des cartouches dorsaux des lingots, qui apparaissent alors complètement effacés, comme si les lingots avaient été traînés au sol.
100L’opération du lingotage ne devait pas nécessiter une très vaste aire de travail. Faisons l’hypothèse d’une opération de réduction qui produise de trente à quarante litres de plomb liquide. Pour fabriquer des lingots D1 « normalisés » du type de Carthagène (100 livres romaines, soit un peu plus de 3 litres de plomb), il fallait prévoir une douzaine de lingotières. Un espace d’une surface de 15 à 20 m2, sans doute couvert d’un toit, devait largement suffire.
Notes de bas de page
1 Parker, 1992, nos 208 et 1193.
2 Actuellement conservé au musée du Laurion : galette allongée, assez irrégulière, d’un type qu’il est convenu d’appeler « plano-convexe » (L. : 29 cm ; l. : 15 cm ; ép. : 3,5-4 cm). Autre exemplaire de même genre en France, au musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.
3 Deux seulement ont été sauvés, étudiés et analysés (Jones Eiseman, Sismondo Ridgway, 1987, pp. 52-59) : l’un, court (L. : 27 cm) et rogné à une extrémité, présente une forme allongée, qui pourrait être celle d’une pinne marine (voir ci-dessous), mais les auteurs de l’étude ne mentionnent pas ce rapprochement ; le second a une forme plus régulière, allongée également, plano-convexe (L. : 52 cm ; l. : 12,5 cm ; ép. : 6 cm ; poids : 25-26 kg) ; il porte des timbres en caractères grecs.
4 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 35, 4.
5 En mentionnant dès maintenant ce type d’analyse, nous anticipons sur le chapitre suivant qui constitue un des points forts de notre étude. Mais ce ne sera ici que de façon succincte et, en quelque sorte, pour la bonne cause, car il s’agit, dans cette introduction, des lingots préromains, sur lesquels nous ne nous étendrons pas, mais dont nous voulons indiquer l’origine ibérique autrement que par référence à cette rumeur de richesse métallique mentionnée ci-dessus, comme si tout le plomb mis dans le commerce de la Méditerranée Occidentale devait obligatoirement provenir d’Ibérie ! Non, il y a aussi des arguments analytiques.
6 Hermanns, 2010. Diam. : de 34 à 37 cm ; ép. : de 5,5 à 6,5 cm ; poids : 12, 25, 30 et 43 kg.
7 Coquillage naguère encore assez commun dans les eaux chaudes de la Méditerranée : j’en ai remonté du fond de la mer, dans les années 1950, au voisinage de la presqu’île de Giens.
8 Un exemplaire a été découvert en mer, au Bajo de la Campana, près de Cabo de Palos (Carthagène). Sur ce type, voir Laubenheimer-Leenhardt, 1973, pp. 156-157 et 169 ; Domergue, 1990, pp. 167-168.
9 Ibid., pp. 167-171 ; Parker, 1992, no 124.
10 Voir chap. V, tableau 40b (L001 à L005 et L007 à L009).
11 Ramallo Asensio, 2006, pp. 99-100.
12 Domergue, 2005, p. 189.
13 Voir chap. V, tableau 40a (L010 et L011).
14 Domergue et alii, 2016a, pp. 47-51.
15 Voir chap. V, respectivement tableau 40a, L013, et tableau 40b, L018 à L021.
16 Un lot de lingots, conservés au Dépôt archéologique régional d’Aix-les-Milles (Aix-en-Provence), appartient peut-être à ce type. Les informations dont il est fait état ci-dessous proviennent d’une lettre personnelle de M. J. Burnier, en date du 18 février 1969. Ces lingots ont été découverts en 1963, aux Embiez, par 12 m de fond, à 30 m de la balise, côte est. Nous possédons les photographies de cinq d’entre eux. Ils ont une forme grossièrement parallélépipédique et sont de tailles diverses. Certains portent des inscriptions incisées soit sur le côté soit à la base. Ils n’ont apparemment fait l’objet d’aucune étude.
17 À l’inverse de la période précédente (1er et 2e âges du Fer ; époque du royaume de Tartessos), où du plomb a été importé du bassin méditerranéen (de Sardaigne ?) et de la Sierra Morena orientale (districts de Linares et La Carolina) dans les gisements (type Riotinto) de la ceinture pyriteuse du Sud-Ouest (Hunt Ortíz, 2003, pp. 362-368 et 392-394), pour l’extraction de l’argent.
18 La référence aux types de lingots hispano-romains constitue un critère majeur d’« hispanité ». Mais cette typologie, qui comprend quatre types dénommés D1, D2, D3 et D4, ne sera présentée en détail qu’à la fin de ce chapitre, comme étant l’aboutissement de notre enquête.
19 Voir par exemple le cas des lingots des Planii, dont on avait pensé d’abord, en se fondant sur l’épave de Mahdia, qu’ils pouvaient venir du Laurion (Domergue, 1965).
20 Pour plus de détails sur ces itinéraires, voir chapitre X, « II. — Les grands itinéraires du commerce d'exportation du plomb de l'Hispanie », §§ 10-19.
21 Colls et alii, 1977.
22 Sans doute le district de Fuenteobejuna-Azuaga (voir chap. V, tableau 42, n° L164 à L167).
23 Abascal Palazón, Ramallo Asensio, 1997.
24 Voir, pour le détail, les notices correspondant aux marques de producteurs de la Sierra Morena dans le catalogue.
25 Nous laissons de côté la marque 1029, portée par un lingot trouvé à Castulo, dans l’est de la Sierra Morena, mais ce lingot est aujourd'hui perdu et n’a pu être analysé. Son origine n’est donc pas connue avec certitude.
26 La marque 1068 est celle d’un lingot fabriqué avec un plomb de la Sierra Morena, mais le nom de la société qui l’a produit, la société Baléare, peut justifier à lui seul la présence des symboles marins du dauphin et de l’ancre.
27 Strabon, Géographie, III, 2, 6.
28 S’agissant des symboles de la marque 4003, on peut y voir deux palmes ou, de façon plus imagée et plus liée au nom du producteur, deux cornes.
29 Voir, à la fin de ce chapitre, la partie consacrée à la fabrication des lingots.
30 Un caducée apparaît pourtant, grossièrement moulé, dans le cartouche dorsal de quelques lingots de l’épave de Comacchio, originaires des mines de Macédoine (voir chap. VII de cette même partie,« III. — Les lingots de Comacchio : un cas d'école », §§ 30-46).
31 Bebko, 1971, p. 4 et pl. XVIII.
32 Bernard, Domergue, 1991, pp. 42-43.
33 Étaient-ils du type de ceux qui naviguaient sur le Rhône et dont on connaît quelques vestiges, dont ceux, admirablement conservés, d’Arles (Arles-Rhône 3) ? Voir Marlier (dir.), 2014.
34 Junghans, Sangmeister, Schröder, 1960 et 1968.
35 Pittioni, 1957.
36 Álvarez Pérez, 1989.
37 Colls, Domergue, Guerrero Ayuso, 1986 ; Domergue, 1998.
38 Trincherini et alii, 2009.
39 Voir l’avant-propos, note 2.
40 Long, Domergue, 1995.
41 Trincherini et alii, 2001.
42 Rothenhöfer, 2003 ; Bode, Hauptmann, Mezger, 2009 ; Raepsaet-Charlier, 2011 ; Raepsaet, Demaiffe, Raepsaet-Charlier, 2015.
43 Voir chapitre VII de cette même partie, « III. — Les lingots de Comacchio : un cas d'école », §§ 30-46.
44 Trincherini et alii, 2009.
45 Nesta et alii, 2011 ; Domergue et alii, 2012b ; Domergue et alii, 2016a et 2016b.
46 On verra plus loin que nos échantillons n’ont pas fait l’objet d’analyses multi-éléments, qui auraient pu se révéler utiles pour départager diverses possibilités d’origine.
47 Brown, mémoire inédit (2011), pp. 98-102.
48 Cette typologie figure, sous une forme différente (mais les quatre types sont bien définis), dans Domergue, Rico, 2018, pp. 216-217.
49 Pour la variété des sections transversales des lingots de ce type D1, voir par exemple la fig. 5 de Colls, Domergue, Guerrero Ayuso, 1986, p. 44 (lingots de Cabrera 5 : Sierra Morena orientale, début ier s. apr. J.-C.).
50 Par exemple dans l’épave Sud-Perduto 2 (Bernard, Domergue, 1991, p. 83, fig. 2).
51 C’est particulièrement le cas de quelques lingots D1c : ainsi celui qui portait la marque de producteur no 1067 a été décrit et dessiné par Besnier, 1921 (2), pp. 111-112, comme étant de section tronco-pyramidale (type 4), alors que, de toute évidence, il est bien du type D1.
52 Domergue, Liou, 1997.
53 Mais, sur les lingots de Cabrera 6, c’est le poids total qui est marqué. Voir aussi le développement qui leur est consacré plus loin, à la fin du catalogue épigraphique, « IV. — Les marques incisées », §§ 173-180.
54 Voir chap. IX, « III. — L'organisation du commerce du plomb de la Sierra Morena au ier siècle apr. J.-C. », §§ 14-23.
55 Hübner, 1885, LXI, LXIII, LXIV ; Cagnat, 1914, pp. 11-41 ; Gordon, Gordon, 1957, pp. 210-211. Par ailleurs, en parcourant Degrassi, 1965, n° 120, 125, 133, 151a, 160, etc., on constatera que le Q à longue queue horizontale est bien attesté aux iiie, iie et ier siècles av. J.-C. De plus, pour les diverses lettres de notre tableau 37 ci-dessus, la comparaison avec ce même album de Degrassi montre clairement que la paléographie des lingots du type D1 est bien celle de l’époque républicaine. Elle se maintient aussi au début du ier siècle apr. J.-C. dans les marques de lingots du type D2.
56 Gasperini, 1992, pp. 571-574. Il est vrai que la graphie PLAANI peut aussi être due à l’inattention du graveur, qui aurait tracé un deuxième A par inadvertance. Dans ce cas, elle ne constituerait pas un marqueur chronologique et serait à ranger aux côtés de quelques autres qui, dans nos marques, sont de simples fautes d’inattention, dues au fait que les matrices ont été gravées à l'envers. Voir, à ce propos, §§ 89-91.
57 Ernout, 1989, p. 31 (§ 33), note. Ces nominatifs ne sont attestés que dans la « langue épigraphique ».
58 CIL XII 675, 676, 677.
59 Vine, 1993, pp. 215-239. Remarquer en particulier les inscriptions qui désignent deux frères : Q.M. Minucieis Q.f. Rufeis (CIL I2 584, l. 1 ; 117 av. J.-C., Rome) et M.P. Vertuleieis C.f. (CIL I2 1531 ; sans date précise).
60 Abascal Palazón, Ramallo Asensio, 1997, p. 204. Pour le texte complet de l’inscription, voir ci-dessus, chap. II, § 39.
61 González Fernández, 1995 ; Amante Sánchez et alii, 1995, pp. 556-558 ; ELRH 109.
62 Sur deux marques du type D1, l’appartenance à la tribu Maecia est indiquée par la forme MAIC (1064 : lingots des Roscieis, déjà mentionnés à propos des nominatifs pluriel en -eis) ou MAI (1074). Certes, il s’agit là de graphies également archaïques, à côté de la forme évoluée, MAE. La diphtongue -ai- est en effet devenue -ae- dès le début du iie siècle av. J.-C. (Niedermann, 1953, p. 82) ; ainsi les formes abrégées de l’indication de la tribu se sont-elles fixées de bonne heure (Mommsen, 1889, pp. 194-195 ; p. 183, n. 1 : l’historien cite Suc. pour Sub., Sucisa étant l’ancienne forme du nom de la tribu urbaine Suburana). Mais elles se sont maintenues telles à Rome jusqu’en pleine époque impériale (pour la permanence de MAI ou MAIC, voir CIL IX 46, 170, 5051, 5056, inscriptions qui ne sont pas toutes « de haute époque »). Aussi ces formes archaïques ne peuvent-elles, à elles seules, constituer un témoignage d’ancienneté des lingots qui les portent. Dans le cas des lingots des Roscii, il en va différemment, l’ancienneté de la marque étant aussi indiquée par le nominatif pluriel en -eis : les deux formes se renforcent l’une l’autre.
63 Taylor, 2013, pp. 101-107 et 369-370.
64 Appien, Les guerres civiles, I, 49.
65 Domergue, 1990, p. 322, n. 12.
66 Taylor, 2013, p. 13.
67 Ibid., pp. 18 et 271.
68 Domergue et alii, 2016b, p. 187, n. 18.
69 Qui s’appuie principalement sur les tableaux de Taylor, 2013, sur Silvestrini (dir.), 2010 et sur Stefanile, 2009, 2013a, b, c et 2014a.
70 Domergue, 1990, pp. 254 et 321-322 ; Stefanile, 2013a, pp. 59-60.
71 Domergue, Laubenheimer-Leenhardt, Liou, 1974, pp. 129-130 ; Stefanile, 2013b, p. 999.
72 Domergue, 1990, pp. 256 et 321-322 ; Stefanile, 2013b, p. 999.
73 Domergue, 1990, pp. 256 et 321-322 ; Stefanile, 2013b, p. 999 ; 2014a, pp. 71-73.
74 Camodeca, 2010.
75 Domergue, 1990, pp. 255 et 321-322 ; Stefanile, 2013a, pp. 61-62. Après la guerre sociale, la tribu Fabia a reçu Asculum (Taylor, 2013, pp. 113-114).
76 Turullius est un gentilice très rare. Conway lui attribue une origine dialectale (Conway, 1967, vol. 1, p. 299), mais, en dehors de Rome, il n’apparaît qu’une seule fois en Italie, chez les Marses (CIL IX 3816 : Aschi), dont la tribu est pourtant la Sergia (Taylor, 2013, p. 162). Cependant, des gentilices très voisins (Turellius, Turillius), sans doute de même racine, sont attestés dans les régions méridionales (Campanie, Bruttium, Iapygie), où, précisément, Brundisium, Paestum, Neapolis et Rhegium ont été attribuées à la tribu Maecia après la guerre sociale (Taylor, 2013, p. 273). Dans ces conditions, il est difficile de maintenir pour notre P. Turullius une origine marse, contrairement à une opinion émise antérieurement (Domergue, 1990, pp. 256 et 321-322 ; voir aussi Stefanile, 2013b, pp. 994 et 999 [fig. 11]). Nous considérons donc désormais qu’il est originaire de l’une de ces cités du sud de l’Italie attribuées à la tribu Maecia.
77 Domergue et alii, 2016b.
78 Hellenkemper Salies, 1994, pp. 21-22 (datation fondée sur le matériel de bord, sans que soit prise en compte la marque de Cn. Atellius).
79 Legendre, 2014.
80 Domergue, Rico, 2014, p. 160.
81 Voir chap. VIII, §§ 18-23, ainsi que Domergue, 1990, pp. 210-211 ; Domergue et alii, 2012a, pp. 99-100.
82 Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 36, 3.
83 Stefanile, 2013b, p. 999, fig. 11.
84 Voir, en fin d’ouvrage, le tableau 63 de l’annexe II.
85 Cette argumentation a, sous des formes antérieures, fait l’objet d’un débat dont on trouvera les éléments dans diverses études : Domergue, 1990, pp. 321-322 ; Eck, 1994, p. 94 ; Domergue et alii, 2016b, pp. 187-189 (pages reprises ici dans leurs grandes lignes).
86 Thylander, 1952, pp. 68 et 103.
87 Ibid., pp. 68 et 230.
88 Il est bien moins certain en revanche que le timbre CATO imprimé sur des lingots du type D3 (3002) se rapporte à Caton l’Ancien, le premier gouverneur de l’Hispanie Ultérieure, en 195 av. J.-C.
89 Des timbres analogues désignant l’Empereur figurent sur des lingots de plomb germaniques (épave Saintes-Maries-de-la-Mer 1) ; la date d’autres lingots d’époque impériale, tant germaniques (épaves Rena Maiore et L’île-Rousse ; lingots de Fos-sur-Mer et de Tongres : Raepsaet, Demaiffe, Raepsaet-Charlier, 2015, pp. 65-69) que bretons (Besnier, 1921 [1], pp. 36-71) est donnée par les noms d’empereurs que contiennent les marques moulées.
90 Les données qui sont fournies par l’étude du « matériel d’accompagnement » présent dans les épaves et qui ont servi à assurer la provenance hispanique de tels ou tels lingots, sont aussi celles sur lesquelles reposent les datations utilisées ici.
91 Il est difficile de prendre en compte le lingot de plomb 3501, remonté du fond de la mer lors de l’exploration de l’épave sicilienne Rasocolmo E, datée de la fin du iiie siècle av. J.-C. par un lot de monnaies de 219-218 av. J.-C. (Tisseyre, 2010b). Certes, comme on le verra plus loin (tableau 43 : LIA L199 et 200), le lingot serait bien d’origine hispanique et proviendrait, avec une assez grande probabilité, de la Sierra Morena orientale (district de La Carolina), tandis qu’un examen tomographique, effectué au Helmhotz Zentrum, à Berlin, a révélé l’existence d’un graffito incisé (X) et d’un timbre en creux : CP, en petits caractères. Mais, d’une part, il n’est pas assuré que le lingot appartienne à cette épave — il y en a bien d’autres, romaines également, dans ce secteur du Cap Rasocolmo —, d’autre part, nous l’avons classé dans le type D3, car c’est de lui qu’il est le plus proche, mais il présente plusieurs particularités qui en font un lingot un peu à part : son dos est apparemment dépourvu de cartouche et ne présente donc pas de marque moulée ; sa longueur est relativement courte : 41 cm ; la base est plus étroite d’un côté que de l’autre.
92 On trouvera un rappel des diverses expériences effectuées par ces deux spécialistes dans Whittick, 1961.
93 Liou, Domergue, 1990, pp. 56-68.
94 Nous avions compté trois séries, dont la troisième étant constituée par un seul lingot, dont les particularités viennent du fait que la lingotière avait subi quelque dommage, puis avait été grossièrement réparée. Les deux véritables séries comprennent respectivement 79 et 13 exemplaires.
95 Des observations comparables ont pu être faites à propos des séries de lingots marqués C.AQVINI.M.F et M.AQVINI.C.F (nos 1005 et 1006) [Domergue, 1966, pp. 68-69], et des deux lingots marqués Q.BIGVEI.F de Chipiona, qui présentent l’un et l’autre les mêmes coulures sur les flancs et dans le cartouche de la marque.
96 Domergue, 2008, pp. 188-189. Nous reprenons ici, avec quelques nuances, l’argumentation qui figure dans cette étude.
97 AE 1907 135.
98 Domergue, 1979, pp. 135-141 ; 1990, p. 508.
99 García Romero, 2002, pp. 431-433, où les seules occurrences de fragments de lingotières sont signalées pour des mines de cuivre (voir Domergue, 1990, pp. 508-509).
100 Le sable de fonderie est constitué par un mélange de sable, de liant et d’adjuvants divers, d’une composition telle qu’il puisse résister sans déformation au poids et à la chaleur du métal liquide versé dans la lingotière. Il ne semble pas que l’on connaisse la composition des sables de fonderie dans l’Antiquité. Un sable de fonderie pouvait être compartimenté par des planches, de manière à recevoir et à maintenir en place plusieurs lingotières régulièrement disposées côte à côte.
101 Mesures constatées sur les lingots des campagnes 2012, 2013 et 2014 : 3,9 cm de côté (L8) ; 3,7 cm (L10) ; 4,4 cm (L11) ; 4,6 x 3,35 cm (L1) ; 3,5 x 2,3 cm (L2) ; 4,5 x 2,77 cm (L3) ; 3,32 x 2,35 cm (L4) ; 5 x 3,5 cm (L5) ; 3 x 3,5 cm (L6) ; 5 x 4,5 cm (L7) ; 5,7 x 2,6 cm (L12).
102 Dans le détail : 6,9 cm (L1), 3,2 cm (L2), 6,2 cm (L3), 5,85 cm (L4), 9,8 cm (L5), 8 cm (L6), 9,2 cm (L8), 9,75 cm (L10), 8,6 cm (L11) et 8,3 cm (L12).
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