Préambule de la quatrième partie
p. 321-322
Texte intégral
1D’abord deux articles, l’un parisien, l’autre marseillais, parus le dimanche 25 novembre 1883. Le Figaro se contente d’une brève : « Marseille, 24 novembre – On annonce que la maison Roux de Fraissinet et Cie, une des plus anciennes de la place, a suspendu ses paiements ce matin. Le passif serait d’environ dix millions1 ». L’information n’est nullement celle d’un événement national : elle mérite simplement d’être signalée. En revanche, Le Petit Provençal lui consacre tout un article :
Une catastrophe financière a éclaté hier sur notre ville par suite de la suspension de paiement d’une des premières maisons de banque, la maison Roux de Fraissinet, qui laisserait un passif de 20 millions, contre un actif à réaliser de 15 à 16 millions. On cite trois ou quatre noms de négociants marseillais fortement atteints : un seul de ces derniers perdrait 1 500 000 francs, M. Massol d’André 1 million.
La maison de banque Roux de Fraissinet et Cie, établie depuis plus de cinquante ans, était une des premières de notre ville. Son crédit était des plus grands et ses rapports avec la succursale de la Banque de France venaient en première ligne. La maison qui prospérait sous l’ancien nom Roux de Fraissinet et Cie, était dirigée par M. Hilarion Roux (Roux d’Escombrera) et Emilien Baccuet. En outre de la banque, elle exploitait la mine d’Escombrera (près de Carthagène) et récemment même achetait des mines dans l’Isère ; c’était la plus grande maison française faisant le négoce avec Madagascar où elle avait des comptoirs sur tous les points. Elle avait autrefois exploité les riches mines du Laurium en Grèce, que le gouvernement de ce pays a rachetées à coup de millions. Les affaires de Madagascar étaient des plus prospères et la mine d’Escombrera exploitée depuis près de 20 ans. De là la distinction de marquis d’Escombrera attribuée à M. H. Roux.
On attribue cette catastrophe par ricochet à quelques maisons anglaises avec lesquelles la maison était en relations pour les affaires de Zanzibar.
La Banque de Fraissinet a été longtemps commanditée par la maison Rothschild de Paris et il pourrait se faire que les financiers juifs, qui pourtant ne placent leur argent qu’à bon escient, y laissent quelques sous. Ce fait démontre la confiance qu’inspirait cette ancienne maison. La nouvelle a produit en Bourse hier, une véritable panique, on craint de graves conséquences2.
2Le mot de catastrophe est sans nul doute exagéré : la faillite de Roux de Fraissinet n’a rien à voir avec celle de l’Union Générale l’année précédente3. La chute de la banque dirigée par Eugène Bontoux avait secoué la Bourse de Lyon, aggravé les difficultés de l’économie régionale. Néanmoins, l’inquiétude est là, sans doute alourdie par le précédent lyonnais. D’où une double stratégie, lourde et parfaitement visible : d’une part limiter quelque peu l’impact local du tsunami par des chiffres moins effrayants et par l’énoncé, limitatif, des maisons affectées et, d’autre part, chercher des excuses à une banque dont la conduite avait été validée par les Rothschild et serait victime d’intérêts étrangers — des maisons anglaises de Zanzibar. À part cela, aucune information véritable, sinon sur son auteur : un travail bouclé à la hâte appuyé sur quelques repères approximatifs, Escombreras, le Laurium, Madagascar, assorti d’un relent d’antisémitisme. Tout se passe comme si la chute de Roux de Fraissinet avait pris tout le monde par surprise, les créanciers, la Bourse marseillaise comme la presse locale. Vite connue à Carthagène, l’information y est diffusée de manière discrète, sans doute sous l’influence de la famille Aguirre. Il faut attendre une dizaine de jours pour que le journal provincial, La Paz de Murcia, donne une estimation chiffrée du désastre : « D’après ce qu’on lit dans le journal de Marseille, la maison Roux, ainsi que certains le savent ici malheureusement, a suspendu ses paiements, avec un passif évalué à quinze millions de francs4 ». Le 13 décembre, le journal prend soin d’indiquer que la faillite marseillaise n’affecte pas les opérations de Carthagène. Là aussi, d’abord limiter l’inquiétude, éviter l’affolement.
3Comme tout événement de cette nature, la chute de Roux de Fraissinet appelle une interrogation sur ses origines et sur l’onde de choc, à Marseille et en Espagne. Il faut néanmoins se garder de toute erreur de perspective. Pour une étude centrée sur Hilarion Roux, les questions cruciales ne sont pas la faillite en elle‑même, ni même ses conséquences sur l’environnement économique. C’est d’abord le rôle de la stratégie et des agissements de Roux dans l’effondrement de la banque qu’il dirige. Ce sont aussi les conséquences de ce revers de fortune sur son patrimoine personnel, puisque la banque est une société en nom collectif, ainsi que sur les entreprises dont il avait été l’initiateur. Ce sont enfin les ressources mises en œuvre par un homme dont l’énergie n’est plus à démontrer. Il ne faut pas douter qu’il va l’employer à sauver ce qui peut l’être, en un mot à sauver sa propre histoire. Restera ensuite à lui survivre.
Notes de bas de page
1 Le Figaro, 25 novembre 1883, p. 4.
2 Le Petit Provençal, 25 novembre 1883, p. 2.
3 Bouvier, 1960.
4 La Paz de Murcia, 5 décembre 1883, p. 2 : « Según leemos en el periódico de Marsella, a la casa Roux, que como saben aquí algunos desgraciadamente, ha suspendido sus pagos, se le calcula su pasivo en quince millones de francos ».
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