Chapitre v
Et l’argent devint plomb…
p. 77-102
Texte intégral
1Une présence sur le terrain depuis Alicante jusqu’à la Sierra Almagrera, une assurance de jugement sur les situations et les opportunités locales qui ne laisse place au doute que devant l’échec, le tout au service des Rothschild et de la banque familiale : une vraie boulimie d’action, d’affirmation de soi et d’initiative. Cette surexposition immédiate n’est toutefois pas dispersion parce qu’elle repose sur deux ancrages forts. Le premier, à l’origine même du voyage, est le métier de banque orienté vers le contrôle de l’argent métal. Le second est une ville, Carthagène, où Hilarion Roux concentre l’essentiel de son activité, où il n’attend même pas dix mois pour fonder un foyer. L’histoire pourrait s’arrêter là, sans doute intéressante mais nullement originale, tant elle ressemble à l’aventure, de multiples fois répétée, d’autres émigrations négociantes : au siècle précédent, les marchands français de Cadix en offrent de nombreux exemples, dont certains particulièrement brillants1. Au demeurant, pour l’heure, ce ne serait guère une success story. Au début de 1845, Hilarion Roux est en passe de subir deux échecs, dont un seul est déjà visible. Celui de la filière de l’argent d’Almagrera reste masqué pendant un an. 1845 est encore une belle année pour la sierra : 184 000 marcs produits, plus que les 167 000 de 1844, pas si loin du sommet de 1843, 229 000. Mais le déclin est ensuite rapide : 147 000 en 1846, 107 000 en 1847, 89 000 en 18482. L’argent du sud‑est n’a rien à voir avec celui d’Amérique : Almagrera n’est qu’un cycle court, une flambée éphémère, bien loin, en volume comme en durée, du Potosi et de la Nouvelle Espagne. Le second échec, déjà actuel, est celui du lieu : si Almagrera n’est pas Zacatecas, Carthagène ne peut être un nouveau Cadix. Certes, la baie est vaste, parfaitement abritée, la ville sous‑bancarisée : ces deux arguments ne manquent pas de valeur pour le choix d’une implantation, mais ils comptent tellement peu en regard d’autres réalités. L’argent d’Almagrera est obtenu, pour les deux tiers, dans des fonderies proches de la sierra et Carthagène ne compte qu’une fonderie significative, San Jorge3. Le panorama n’est pas plus riant si on l’élargit à l’ensemble du négoce : au nord, Alicante est la porte méditerranéenne de Madrid, bien avant la liaison ferroviaire, achevée en 1858 seulement. Plus au sud, l’Andalousie, avec Málaga sur la Méditerranée et Cadix sur l’Atlantique, est autrement plus attractive pour les échanges que l’ancien reino de Murcia alors voué aux cultures de secano. Carthagène est certes devenue une escale de bateaux, mais pour combien de temps encore ? Végéter à Carthagène ou rentrer discrètement à Marseille avec son épouse pour travailler à la banque aux côtés de son père, telle semblait être, deux ans après son arrivée, l’alternative du jeune Roux.
2Hilarion Roux a choisi de rester. J’ai insisté sur son orgueil, mais Carthagène peut‑elle porter d’autres projets, d’autres rêves, alors qu’elle vient d’engloutir, à grands frais, des illusions partagées entre Lyon et Marseille ? Le jeune banquier peut encore ignorer les menaces sur le minerai d’Almagrera, mais que faire d’une fonderie, au demeurant peu équipée, sur un site qui n’a rien de stratégique ? Carthagène 1845 : un apprentissage de la modestie, voire de l’humilité, ou une école du sens des opportunités, un lieu de formation accélérée à l’agilité de l’esprit et de la décision, un espace pour un nouveau départ pour une carrière qui doit déjà rebondir à peine après avoir commencé ?
I. — Le plomb des scories romaines, alternative immédiate à l’argent d’Almagrera
Sur la pointe des pieds avec les Rothschild
3À la fin de 1844, Roux n’en mène pas large, surtout avec les Rothschild. Il veut leur parler du plomb, mais les circonstances le dissuadent de s’adresser directement à eux pour ouvrir une autre perspective que l’argent, de plus étrangère à leurs centres d’intérêt. Il craint que sa parole n’ait perdu quelque peu son crédit, au moins pour un temps. Il passe donc par le « filtre » de Weisweiller, auquel il laisse le soin d’apprécier l’information et l’opportunité de sa transmission à la maison parisienne.
Le commerce des plombs a pris une grande extension sur place, la quantité exportée mensuellement pouvant s’évaluer environ à 25 000 quintaux.
L’éloignement que le mauvais résultat des fonderies d’argent a naturellement donné à Messieurs de Rothschild Frères, pour les affaires avec cette côte, m’a empêché de leur faire part de l’extension qu’allait prendre ce commerce ; la maison Cucurny de Marseille, de concert avec la maison Valarino de cette ville s’en est emparée, mais je crois la spéculation un peu au‑dessus de leurs forces, car les plombs ayant un peu baissé à Marseille, ces Messieurs offrent ici de céder les contrats qu’ils ont faits avec toutes les fabriques, ces contrats sont sans avances de leur part.
Les plombs fabriqués ici proviennent presque tous des scoriaux ou résidus que l’on a découvert [sic] des fabriques romaines, il est facile d’évaluer que d’ici à trois ans cette fabrication cessera, tous les scoriaux devant être épuisés à cette époque et l’on pourrait même calculer la quantité de plomb qui pourrait être produite par ces divers scoriaux.
Je prends la liberté de vous donner ces renseignements afin que vous jugiez, Monsieur, s’il est convenable d’en donner avis à Messieurs Rothschild4.
4La prudence est de retour. Pourtant, l’offre est alléchante, d’autant plus que les risques sont minimes : pas d’avances de fonds cette fois. Par ailleurs, il est exact que du plomb est désormais produit localement. L’extraction du minerai, peut‑être apparue dès 1839 dans la sierra voisine, est attestée en 1840. La fièvre de l’argent du Jaroso, puis de la Sierra Almagrera tout entière avait alors contaminé Carthagène. La sierra avait attiré, par familles entières, des mineurs de la province d’Almería expérimentés, privés d’emploi par l’épuisement des mines de plomb de la Sierra de Gádor. De multiples petites mines avaient été ouvertes pour rechercher les sulfures argentifères abondants dans la Sierra de Cartagena. Ce n’était pas le plomb qui intéressait, mais l’argent. Or les sulfures locaux, minerais complexes associant plomb, zinc, fer et argent, se sont révélés très difficiles à traiter, même en association avec les minerais d’Almagrera. La frénésie n’avait guère duré. Elle était déjà retombée lorsque Roux est arrivé à Carthagène, au début de 1843 : on ne s’intéressait alors qu’au minerai d’Almagrera. C’est pourtant cette année‑là que démarre véritablement la métallurgie locale du plomb, à la faveur d’une matière première marginale mais spécifique : les scories et les déblais des exploitations antiques, qui abondent sur les pentes et au fond des ravins de la sierra. Très peu coûteux, ils sont traités pour l’essentiel dans des fonderies rudimentaires, équipées le plus souvent de fours traditionnels « castillans », déjà en usage en Sierra de Gádor. L’information donnée par Roux n’est donc pas fausse, mais elle est largement exagérée : le chiffre officiel de production pour toute l’année 1843 n’atteint pas 1 400 tonnes, bien loin des 1 150 tonnes mensuelles avancées par Roux5. La progression de la production au cours de l’année ne suffit pas à expliquer un tel écart. Roux n’est certes pas un menteur, mais il est bel et bien un hâbleur patenté, qui ne peut s’empêcher de grossir les perspectives, de colorier en rose tout événement.
5Weisweiller décide d’informer la maison parisienne, qui en retour demande à Roux une simulation financière d’opération de négoce sur le plomb. Le jeune homme s’exécute aussitôt, depuis Marseille où il est revenu pour le mariage de sa sœur. Il adresse un courrier détaillé, dans lequel il présente le produit qui n’est pas de première qualité à l’issue de la première fusion, analyse le marché marseillais marqué par la baisse des cours, suggère l’échec de la manœuvre de la maison Cucurny associée avec Valarino, homme d’affaires de Carthagène, pour contrôler les plombs, et enfin propose une simulation de gains. L’opération paraît intéressante, sinon séduisante. 1 000 quintaux traditionnels, soit 46 tonnes, se vendraient 15 640 F à Marseille, pour un coût global, de l’Espagne à Marseille, de 14 015 F. 1 625 F de gains, soit 11,6 % de l’argent mobilisé au cours de l’opération : c’est bien, sans plus6. Mais n’est‑ce pas exagéré ? Sans doute rendue prudente devant les calculs optimistes de notre homme, la maison Rothschild ne paraît pas avoir donné immédiatement suite à la proposition.
Un engagement personnel précoce
6Un peu hâbleur, et surtout cachottier. Lorsqu’il signale, sur la pointe des pieds, l’intérêt de la filière du plomb, il y a un an que Roux s’est déjà lancé dans celle‑ci. Le 15 décembre 1843, il s’est accordé avec deux détenteurs d’amas de scories et de déblais de mines antiques pour financer la construction et le fonctionnement d’une fonderie in situ7. Il a avancé 15 000 réaux et s’est engagé notamment à assurer un stock de 100 à 150 tonnes de charbon pour l’alimentation des fours. En échange, le plomb devait lui être intégralement remis pour un prix inférieur de 3 réaux le quintal à celui obtenu ensuite à la vente. Contrairement à ce qu’il assure à Weisweiller un an plus tard, le schéma reste analogue à celui de l’argent : des avances contre remise du métal. Deux différences : le gain est beaucoup plus faible, mais il est aussi plus sûr, tant la matière abonde et son traitement est aisé.
7Roux a vite pris goût au plomb, au point de changer de statut dans l’affaire. Six mois plus tard, le 26 juin 1844, un nouveau contrat l’a rendu exploitant de la fonderie et acheteur de la matière première au prix d’un réal le quintal, très inférieur au prix du marché8. Un litige de propriété sur un escorial entre ses co‑contractants et un tiers l’a incité à accélérer sa marche vers la production9. Le 1er août, il est devenu exploitant de deux escoriales et propriétaire des deux tiers de l’établissement jusqu’à extinction de son activité10. Il peut désormais l’améliorer à sa guise. En novembre 1844, il profite d’une vraie aubaine. Plusieurs Français, sans doute lyonnais, établis à Carthagène, y ont construit une fonderie au nom de leur société Chevelot y Cía. L’usine, créée tardivement et même à contretemps pour le traitement du minerai d’Almagrera, semble n’avoir jamais réellement fonctionné et ses fondateurs ont été incapables d’honorer un contrat d’avances de fonds. Roux, en position de créancier, impose une transaction originale, révélatrice de sa tentation métallurgique11. En échange d’une baisse substantielle de sa créance, de 38 000 à 17 300 réaux, il se fait remettre du bois de chauffe, du minerai de cuivre, quatre mauvais chevaux et surtout un ventilateur et sa machine, estimés ensemble à 10 000 réaux. La ventilation forcée augmente le rendement des fours et elle économise la main d’œuvre pour actionner les soufflets nécessaires au tirage des fourneaux.
8Roux a échappé au faux‑départ de l’exploitation des sulfures. En revanche, il a su s’insérer dans le premier boom minier de la Sierra de Cartagena, celui de l’exploitation des scories. Il s’est initié, à peu de frais, à la filière du plomb. Une initiation à la fois minière et métallurgique. Du côté minier, ses initiatives ne sont pas de grande envergure, mais elles sont à l’image des pratiques locales : la mainmise sur des dépôts de scories dispersés sur les flancs de la sierra. Cette présence commence à faire de lui un acteur connu à l’échelle régionale, avec par exemple, en mars 1845, l’acquisition d’une mine de plomb à Linares, dans un bassin de l’intérieur andalou encore très peu exploité, mais aux minerais exceptionnels, en quantité et en teneur12, ou encore l’acquisition d’un escorial à Motril13. Ces achats présentent deux traits communs : ils sont effectués dans le cadre d’une société, Esperanza, créée en mars 1845, et ils se font en partenariat avec un homme de loi local, José Prefumo14. Du côté de la métallurgie, aucune révolution, mais une présence astucieuse, fondée sur l’insertion dans les opportunités locales, telles que celle mentionnée ci‑dessus ou d’autres encore comme l’acquisition de la fonderie Montserrat15, avec aussi un souci d’amélioration technique à moindres frais. Et, last but not least, les Rothschild sont tenus à l’écart, y compris en termes de simple information.
II. — Tout fait ventre
Nourrir l’armée française en Algérie
9Les Rothschild sont devenus prudents devant les propositions de Roux, mais ils restent néanmoins attentifs à toute affaire solide. C’est le cas à la fin de 1845, avec une fourniture de viande pour l’armée d’Algérie. L’opération a été préparée à Paris, Roux n’en est que l’exécutant local : il doit gérer un crédit de 400 000 F en faveur d’un officier d’administration militaire, Thiébault16. Une occasion pour lui de rentrer en grâce. Il ne manque d’ailleurs pas de souligner qu’il choisit la date d’une traite « afin de ne pas perdre des intérêts ». Un bon commis à défaut de jouer les visionnaires… Et pourtant, le père d’Hilarion reçoit des Rothschild, au début mars 1846, une lettre exprimant de vifs reproches à l’égard de son fils. Le nœud de l’affaire : un gros contrat de viande pour l’armée d’Algérie à Oran. Le jeune Hilarion ne s’est pas contenté du rôle d’intermédiaire financier : il a voulu aussi jouer le fournisseur aux armées. Il s’est donc associé avec d’autres partenaires pour être en mesure de répondre et surtout étouffer la concurrence. Les Rothschild ne lui reprochent nullement un quelconque délit d’initié, mais tout simplement de ne pas avoir été associés à l’opération. Roux se défend comme un beau diable :
Vous me dirigez des reproches sévères, qui vous me permettrez de vous le dire, ne me paraissent pas mérités. Depuis l’arrivée de votre recommandé, M. Thiébault, je n’ai cessé de lui être utile en tout ce qu’il m’a été possible, l’aidant à faire ses achats, l’accompagnant dans ses courses, sacrifiant enfin mes petites affaires pour les siennes et le tout sans aucune autre rétribution que celle d’une commission d’un ½ % sur les payements que je lui ai faits.
[…] La seule affaire dans laquelle j’espère prendre part est une fourniture de viande. Je m’étais d’abord réuni pour cet objet avec un ami et nous avons dû ensuite élargir le cercle, afin de diminuer la concurrence, nous réunissant avec une autre personne. Je n’ai pas cru, Messieurs, qu’entrer dans une affaire médiocre (à cause du bas prix de la soumission) pût vous convenir et, pour cette raison je ne vous l’ai pas proposé, vous fesant [sic] du reste observer que, depuis l’arrivée de votre recommandé, vous ne m’avez manifesté aucun désir d’entrer dans les affaires que sa présence pourrait amener et que, par conséquent, si j’eusse par moi‑même fait des opérations importantes sans vous en rendre compte, je l’eusse fait sans penser que je pourrais encourir vos reproches17.
En d’autres termes, Roux est toujours resté un bon soldat de la maison Rothschild, mais ne pouvait exécuter des ordres qu’il n’avait pas reçus, pour une affaire au demeurant de second ordre. L’explication est plus habile que convaincante : il a su déjà fort bien proposer sans être sollicité. Il a déjà fait, sur un contrat d’argent, le coup de l’affaire « trop petite » pour la maison parisienne. Au demeurant, l’affaire est‑elle si médiocre ? Le volume — 1 200 tonnes de viande sur pied — est très important et l’étouffement de la concurrence a pu faire monter le prix de la soumission18. La plus grosse erreur de Roux, toujours la même, a été de croire possible d’opérer en cachette des Rothschild. Carthagène ne manque pas d’amis jaloux prompts à dénoncer et Thiébault lui‑même a pu s’ouvrir de la chose à sa hiérarchie. Hilarion, roublard, mais naïf aussi quelque part.
10La bourrasque est forte mais elle ne dure pas. Roux reprend sa gestion, rigoureuse et avisée, des fonds de l’armée, jusqu’à laisser l’officier dépasser de près de 100 000 F le montant des fonds mis à sa disposition19. Il sait que les Rothschild auraient fait de même, tant l’armée française est un payeur de premier ordre. Il a su comprendre et devancer leurs attentes. Une intelligence en affaires qui aide à faire pardonner bien des incartades.
Une performance : exporter l’orge d’un pays de secano
11L’indulgence est intéressée, parce que le jeune Roux provoque lui‑même de bonnes affaires. En voici un exemple inattendu pour une région pauvre en céréales : l’orge. Pour la récolte de 1852, Roux joue, pour lui‑même et les Rothschild, sur les dates de moisson, sur la faiblesse des frets de retour pour les vapeurs qui ont apporté le coke anglais et sur la méconnaissance locale du marché international. En juillet 1852, Roux achète dès avant la fin de la récolte et, en janvier suivant, il impose au capitaine d’un navire chargé de ses plombs de compléter sa cargaison avec de l’orge pour Liverpool20. De la bière anglaise avec de l’orge de Murcie !
III. — Le plomb roi et Hilarion roi du plomb à Carthagène
Une succession de matières et de cycles
12Les scories et autres rejets de l’exploitation romaine sont le support d’une première fièvre métallurgique, mais ne sauraient assurer une activité pérenne : la production de plomb culmine à 10 673 t en 1846 avant de s’effondrer à 5 474 t en 1847. Par ailleurs les cours n’échappent pas à la crise conjoncturelle de la fin de la décennie. Ainsi, à Londres, la tonne anglaise de Spanish pig passe de 18 £ en 1846 à 15 en 1849. Le négoce des plombs espagnols à Marseille est en crise. Il s’y était développé dès avant 1820, grâce à plusieurs émigrés espagnols, Guerrero et surtout Luis Figueroa, cet ancien demi‑solde de Napoléon d’abord enrichi par le trafic avec les fonderies de la Couronne puis par des achats à des mineros de Sierra de Gádor. La filière a connu un nouvel élan avec les plombs issus des escoriales de Carthagène, avec comme principal acheteur le tandem Cucurny‑Vilarino. Plusieurs fonderies avaient été ouvertes, à Marseille ou dans les environs. En mars 1846, Luis Figueroa et Cucurny avaient créé Figueroa et Cie, au capital de 1,2 millions de francs21. Deux ans après, le temps est à l’orage : la société est sauvée par un emprunt de 2 millions de francs auprès de la Banque de Marseille en mars 1848, cautionné par plusieurs des principales banques marseillaises, parmi lesquelles Roux de Fraissinet22.
13La situation des fondeurs est donc devenue délicate, par l’épuisement des matières premières, la contraction des prix et des marchés. Le problème de la matière première ne dure pas. Les scories sont très vite remplacées par les carbonates. Ces minerais, très abondants dans la sierra — on le sait depuis longtemps —, sont d’une teneur faible pour l’époque, de 7 à 10 %. Ils ne sont pas faciles à traiter, ni dans les fonderies modernes, ni dans les fourneaux traditionnels. La solution est mise au point par un pharmacien local, Juan Martín Delgado, sous la forme d’un « horno de gran tiro », fourneau à long tirage appelé aussi « horno atmosférico », four atmosphérique. Les noms expriment bien l’originalité du procédé : le tirage est assuré par un jeu de longues tuyères, sans recourir à une ventilation mécanique, manuelle ou motorisée23. La solution n’est pas exigeante en capitaux : une paire de fourneaux coûte seulement 3‑4 000 F, y compris 4 000 réaux (1 053 F) de droits versés à l’inventeur qui, par real cédula de janvier 1847, a reçu un privilège d’exploitation exclusif, mais pour cinq ans seulement. L’invention est complétée par le savoir‑faire local, notamment une technique de lavage utilisant de simples cribles manuels en fer pour améliorer la concentration des minerais. Ce procédé rudimentaire, à la fois économique et efficace, qui fait l’admiration de l’ingénieur en chef du district, José de Monasterio, présente deux avantages majeurs. Le premier est de permettre l’utilisation de minerais pauvres : en 1852, année de très forte demande, la teneur moyenne des minerais traités ne dépasse pas 7 %. Cette année‑là, tout sert d’aliment aux fonderies, depuis les restes des escoriales jusqu’aux déblais considérés comme stériles quelques années plus tôt24. L’autre avantage du lavage est de limiter la consommation de coke, seul poste de dépense délicat pour les fondeurs. Par ailleurs, la conjoncture se redresse rapidement : le cours du plomb à Londres dépasse 16 £ dès 1850, 17 en 1852, et même 22 à partir de 1853. Le cycle de hauts prix va se poursuivre jusqu’à 1877, avec des moyennes annuelles toujours supérieures à 17 £ et le plus souvent à 19. Le changement de matière première et l’adaptation technique ont précédé la reprise du marché. À partir des années 1850, le temps est durablement à l’euphorie du plomb, et cela surtout grâce à la Grande Bretagne, première consommatrice et longtemps première productrice du métal à l’échelle mondiale. Sa consommation continue à augmenter, alors que sa production plafonne d’abord, avant de s’effondrer à partir des années 1860, du fait de l’épuisement des mines du pays25.
14Ces belles décennies, personne ne saurait les prévoir, surtout pas en 1847. Les acteurs de la minería de la sierra sont alors obsédés par l’immédiat, par la nécessité de remplacer les scories romaines en trouvant le moyen de traiter les carbonates. La découverte de Juan Martín Delgado dégage l’horizon et donne le point de départ d’une fièvre minière et métallurgique. La sierra connaît alors un pullulement de sociétés, le plus souvent minuscules, une frénésie d’excavations anarchiques, dangereuses mais efficaces car le minerai affleure ou se trouve à faible profondeur. On extrait sans aucune préoccupation d’aérage ni même le plus souvent de boisage des galeries. Les accidents sont nombreux : on meurt beaucoup dans la sierra, mais on extrait aussi beaucoup de carbonates aussitôt dirigés vers des fonderies équipées de ces paires de hornos de gran tiro salvateurs. En 1852, 51 fundiciones ont produit plus de 16 000 tonnes de plomb, maintenant l’Espagne au second rang européen, encore derrière la Grande Bretagne.
Chances acquises, chances construites
15Engagé dans le traitement des scories depuis la fin de 1843, Roux ne peut rester à l’écart du mouvement des carbonates. Mais comment le banquier pourrait‑il s’immiscer dans ce bouillonnement, en partie informel, d’entreprises microfundiaires qui n’ont même pas besoin d’investir ? Pillet, Brun et quelques autres avaient trop immobilisé dans la construction de leurs usines, jusqu’à manquer de fonds de roulement. Rien de tel ici. Presque pas de capital à amortir, un besoin de fonds de roulement limité au seul achat indispensable, qu’il faut régler comptant, le coke anglais : les exploitants miniers ne sont payés qu’à la vente du plomb. Et cela grâce au système des contrats a partida qui règne dans les mines de la sierra. Une fois perçu le montant des exportations vers Marseille, l’argent remonte la chaîne productive, depuis le fondeur jusqu’à la société minière, le chef d’équipe, le partidario qui exploite un quartier de la mine, et enfin jusqu’au simple ouvrier qui est le dernier payé26. Une activité au prix du sous‑investissement minier, au prix des accidents, parfois mortels, au prix de la misère d’ouvriers qui se bousculent depuis la ville proche, depuis les villages de la province, qui affluent aussi depuis l’Andalousie, pour s’entasser dans les faubourgs de Carthagène, dans les villages du pied de la sierra dont la réunion de plusieurs donnera naissance à la commune de La Unión en 1868. Du crédit oui, mais uniquement de ces avances crypto‑usuraires de logeurs, de boutiques ou de tavernes pour permettre à l’ouvrier d’attendre le règlement du contrat en cours.
16Comment la banque pourrait‑elle s’insérer dans un jeu qui exclut largement ce qu’elle sait le mieux faire, le crédit ? Cette dévalorisation locale du pouvoir du capital aurait pu décourager définitivement les ambitions locales d’un banquier fils de banquier. Pour Roux, le temps aurait pu être venu d’abandonner le plomb après avoir été abandonné par l’argent, de quitter peut‑être même l’Espagne. S’engager directement dans la production était en fait la seule solution pour participer à l’aventure des carbonates de la sierra. La situation était délicate, surtout avec la crise de 1847, mais Roux ne manque pas de ressources. Tout d’abord, à travers le traitement des scories, il est déjà initié aux pratiques de la sierra et aux opérations de traitement des minerais. Deux autres ressources, déjà à l’œuvre au cours des années précédentes, sont loin d’avoir perdu toute leur validité. La première tient à la familiarité de la banque Roux de Fraissinet et d’Hilarion lui‑même avec le métal argent. Certes, la quête du métal blanc ne peut plus être prioritaire à moyen ou long terme, mais elle ne disparaît pas : à la différence de celui de Gádor, le plomb de la Sierra de Cartagena est argentifère de manière significative et jusqu’à 1852, la réglementation espagnole pénalise encore l’exportation des plombs argentifères, après l’avoir interdite pendant la décennie précédente27. La perspective de prendre le contrôle d’un établissement comme San Isidoro peut devenir intéressante, voire stratégique pour le désargentage avant exportation des plombs produits dans les petites fonderies de la sierra.
17Le second atout est tout simplement la puissance financière. Elle compte moins qu’auparavant parce que la nouvelle économie minière repose moins sur des avances, mais elle ne s’évanouit pas. Financer les achats de coke, exporter le métal, acheter des parts de mines ou de fonderies : autant de possibilités de pénétrer le système, avec un seuil d’entrée très bas mais des possibilités multiples de répétition d’opérations. Par ailleurs, la mise en valeur des sulfures devrait donner bientôt une actualité nouvelle aux questions d’investissement. Il est vrai que l’exploitation de ces minerais complexes a échoué au début des années 1840, que leur coût d’extraction est plus élevé que celui des carbonates parce qu’ils sont à plus grande profondeur, mais ils sont aussi beaucoup plus riches que ces derniers. La découverte, en 1848 dans le barranco Mendoza, du plus important horizon métallifère de la sierra, une couche complexe de galène argentifère, blende, pyrites de fer et de cuivre, appelée le manto de azules, redonne sens à des procédés plus modernes que les fourneaux atmosphériques. San Isidoro pourrait jouer un rôle important pour le traitement des sulfures. La cohabitation et même la complémentarité de plusieurs niveaux de cultures techniques sont donc appelées à marquer durablement la métallurgie de la sierra. La maîtrise de la filière de l’argent et la capacité d’investissement ne sont plus au premier plan, mais elles ne sont pas marginalisées.
18Hilarion Roux bénéficie d’autres facteurs favorables. Deux d’entre eux doivent d’abord retenir l’attention. Le premier tient au fait que, en quelques années, il s’est construit un réseau dans le petit monde de la mine et des affaires, à Carthagène et sur toute la côte jusqu’à la province d’Almería voire au‑delà. On connaît la capacité financière de sa banque, sans nul doute son intransigeance, mais aussi son intérêt pour les affaires minières et son intelligence de celles‑ci. Ses initiatives personnelles sont restées jusque‑là limitées mais il possède désormais toutes les relations nécessaires pour déployer, localement et régionalement, ses moyens et son entregent, jusqu’à paraître comme une alternative à Cucurny et Figueroa, en position dominante avant la crise de 1848. L’autre nouvel atout d’Hilarion Roux est tout simplement sa belle‑famille. Je l’ai déjà évoqué à propos de son mariage, mais les confirmations arrivent très vite. Il faut dire que Roux n’a pas ménagé sa peine pour s’intégrer à la famille Aguirre, ni d’abord son argent. À la fin de 1846, son beau‑père achète un remplaçant pour les obligations militaires de l’un de ses fils, Simón, malheureux au tirage au sort de la conscription28. La somme versée, 5 000 réaux en deux fois, n’est pas compatible avec ses 320 réaux de retraite mensuelle. Il ne fait aucun doute que Roux a financé, sans doute même en totalité, la libération du service militaire d’un de ses beaux‑frères. Le geste est de nature à fortifier les liens du Marseillais avec sa famille espagnole. Nous verrons qu’il ne tarde pas à mettre en pratique cette solidarité familiale, utilisant son beau‑père puis son beau‑frère Simón comme simples hommes de paille. Au demeurant, tout le monde le sait. Dans un acte de la fin de 1847, José de Aguirre est qualifié de « fondé de pouvoir notoire de D. Hilarion Roux29 ». Son testament, écrit à la veille de sa mort en février 1848, des suites d’un accident, clarifie la situation : il déclare que le vrai propriétaire d’un escorial et de la fonderie Los Cuatro Santos est en réalité son gendre30.
IV. — Une puissance inattendue dans la métallurgie du plomb
Prises de position
19Roux semble décidé à tirer parti de toutes ses positions, à forcer les opportunités, du côté de l’argent et du plomb. Il mobilise immédiatement ses ressources pour acquérir une position privilégiée dans le cycle des carbonates. L’attribution, fin janvier 1847, à Juan Martín Delgado d’un privilège officiel pour l’invention du « horno de gran tiro » le fait entrer aussitôt en manœuvre. Le 25 février suivant, l’un des trois associés de la société Esperanza, Nicolás Toledano, détenteur d’un « privilège exclusif » sur les fourneaux de deux et trois tuyères, se retire de la société et transmet son privilège à Hilarion Roux lui‑même31. Deux semaines après, le 10 mars, Juan Martín Delgado donne pouvoir à l’autre associé de la société, José Prefumo, « pour permettre d’utiliser, céder ou aliéner en partie le privilège concédé au comparant pour cinq années par cédule royale du 21 janvier dernier pour la construction de fourneaux de fusion de minerais sans soufflet32 ». Les conditions de la dissolution de la société Esperanza éclairent les relations entre Roux et son associé. Celui‑ci la quitte sans droits aux bénéfices et conserve seulement la propriété du quart d’une mine, tant qu’il en assure la bonne marche. Si l’exploitation se révèle infructueuse, Prefumo recevra une indemnisation de 20 000 réaux pour solde de tout compte33. La relation entre les deux partenaires était donc inégale. Roux devient seul maître de la société, pour un coût éventuel loin d’être négligeable. Rémunération de la valeur de la part dans la société ou du rôle global de Prefumo dans la stratégie de Roux depuis plusieurs années et surtout dans la chaîne de contrôle de l’invention ? Impossible de le dire. Les deux actes de 1847 ne sont pas contradictoires : Toledano a acquis un simple droit d’usage du brevet, tandis que José Prefumo devient le représentant de l’inventeur, mort la même année, pour la commercialisation du procédé34. Au‑delà du pouvoir ou de l’influence que Roux pouvait espérer retirer de ces prises de position, la gestion de Prefumo témoigne clairement de la volonté de Roux de s’insérer de la manière la plus stratégique possible dans la nouvelle économie du plomb. Le pouvoir sur la nouvelle filière, ou au plus près du pouvoir, avec une fascination pour l’innovation.
San Isidoro : Roux maître de l’horloge judiciaire ?
20Quel rôle peut jouer San Isidoro dans cette stratégie ? J’ai évoqué l’intérêt potentiel de la fonderie pour le traitement des matières argentifères, le rôle de la famille dans son affermage, mais après plusieurs années d’inactivité, quel est l’état de son équipement ? Peut‑elle vraiment être le pivot d’une stratégie de métallurgie du plomb alors que le traitement du minerai ne relève plus de la modernité, mais simplement d’une inventivité de bricoleur de génie ? La première question est en fait celle de l’appropriation de la fonderie. La réalisation du gage hypothécaire est longue, beaucoup plus sans doute que ne le pensait Hilarion : la fonderie est totalement arrêtée en 1845 et 184635. La justice doit traiter à la fois la faillite et le sort du gage. Compte tenu sans doute de la lourdeur de la procédure et de la faible valeur de la fonderie, Roux de Fraissinet paraît avoir remis gracieusement celle‑ci au jeune Hilarion, qui agit désormais en son nom personnel36. Hilarion réussit à raccourcir quelque peu le temps judiciaire. Chance sans doute provoquée, le liquidateur de la société lyonnaise est un Marseillais, Louis Journel, et son représentant local, Augustin Blanc, un proche de la famille Aguirre‑Roux37 : en août 1844, donc avant la faillite, il a été témoin au baptême du premier enfant du jeune couple, Elodie, et, en février 1848, José de Aguirre le désigne comme l’un de ses exécuteurs testamentaires, aux côtés de son fils aîné et de Roux lui‑même38. En mai 1847, sans attendre le transfert de propriété, Augustin Blanc donne en fermage pour un an la fonderie à José de Aguirre39. Tout s’accélère à partir d’août 1848. Le 12, Simón, qui doit à Hilarion Roux d’avoir échappé à la conscription, prend le relais de son père, décédé accidentellement en février, comme bénéficiaire du contrat d’affermage40. Le 26, Hilarion demande la réalisation de l’hypothèque. Trois jours plus tard, le 29, la justice procède à l’inventaire de la fonderie. L’ensemble est soumis à enchères, par crieur public, le 2 décembre, sans que se présente aucun soumissionnaire. Le 4, Hilarion Roux déclare renoncer aux autres recours possibles pour recouvrer sa créance. Le 7, en présence des deux parties, Augustin Blanc et Hilarion Roux, l’établissement d’Escombreras est officiellement adjugé à Roux pour 128 229 réaux, une valeur couvrant presque entièrement la dette encore à recouvrer, de 131 479 réaux, frais inclus. Le 9, la procédure s’achève par la remise officielle des clés de la fonderie :
En présence de M. Hilarion Roux, domicilié dans cette ville, S. S. le prit par la main et l’introduisit dans la salle principale de ladite fabrique, en faisant ouvrir, en lui faisant ouvrir et fermer ses portes, en faisant sortir et entrer les personnes présentes dans le dit édifice, et tout cela le susmentionné Roux l’accomplit en signe de la vraie, réelle, actuelle, civile et naturelle […] possession qu’il prenait dudit édifice, de cette fabrique et des autres effets mentionnés dans ces actes, laquelle possession lui fut donnée de manière sereine et pacifique, sans aucune contradiction de personne envers les paroles du juge41.
Le formalisme est impeccable, la comédie se déroule sans anicroche, le ballet sans faux‑pas, notamment dans la gestuelle de franchissement du seuil et de remise des clés. L’ironie, ou l’humour, ne concernent pas le formalisme judiciaire, mais le contraste entre l’apparente opposition des protagonistes (d’un côté le demandeur — el actor —, Roux, et de l’autre le mis en cause — el reo —, Blanc), el la réalité de leurs relations. Ils sont en pleine connivence, ont eu le temps de préparer le déroulement, de répéter une scène qui devient grotesque, y compris dans sa symbolique. Le symbole devient simulacre : Roux franchit le seuil d’un bâtiment qu’il occupe déjà de fait depuis plus d’un an et demi. Tout se passe comme si Roux avait d’emblée pris le contrôle de la gestion de la faillite, en acceptant d’abord la logique du temps judiciaire, avant de provoquer l’accélération du processus. Au détriment peut‑être des intérêts de Brun : un délai supplémentaire aurait pu favoriser l’apparition d’un enchérisseur extérieur, insensible aux pressions de Roux. L’hypothèse n’est pas absurde : les prix du plomb ont commencé à se redresser. L’accélération sert à coup sûr les intérêts de Roux. La conjoncture redevient favorable, l’extraction des carbonates en forte expansion : il est devenu urgent pour lui de devenir pleinement maître d’un outil appelé à jouer un rôle décisif dans son dessein industriel.
Une innovation technique : la ventilation forcée
21Le problème est que, à la fin de 1848, cet outil appelle une rénovation profonde. On en possède deux descriptions. La première est l’inventaire du 29 août précédent42. Le bâtiment est vaste, divisé en plusieurs salles, avec une nef principale de cinq arches, mais l’équipement est misérable : un mobilier en mauvais état, quelques moules et bascules, et seulement trois fours de pava (à soufflet), et deux de coupellation. Le local de la machine à vapeur est désormais vide : l’appareil a dû être vendu, probablement par Brun avant son remplacement par le liquidateur. La seconde description est celle d’un ancien élève de l’École des Mines de Paris, Edouard Saglio, qui, à l’automne 1848, visite les mines et fonderies du sud‑est de l’Espagne. Il se rend à San Isidoro43. On lui présente deux petits fours ronds, cylindriques. Comme sur les fours à manche, le vent est assuré par des soufflets (pavas) mus par des hommes. Outre ces fours, la fonderie dispose uniquement de quelques fours à manche, dont un seul en activité, pour des campagnes qui ne dépassent pas 40 jours. Leur ventilation demeure manuelle, alors même que Roux a mis la main, trois ans plus tôt, sur un appareil mû à la vapeur. Cet état des lieux éclaire l’impatience de Roux : il lui faut moderniser pour profiter de la conjoncture, mais impossible de le faire tant que la fonderie n’est pas sienne. Il valoriserait le gage à son propre détriment et, en dépit de ses liens avec Blanc, pourrait voir surgir d’autres enchérisseurs. Dans cette attente, il met en œuvre les deux seules pratiques possibles.
22La première est la poursuite des activités antérieures à la paralysie de fin 1844. La fonderie ne s’est nullement reconvertie au plomb : elle ne traite que des matières d’Almagrera. Plus encore, alors que les venues d’eau ont fait diminuer l’extraction mais ne l’ont pas encore paralysée, San Isidoro n’utilise pas du minerai de première qualité, mais des « minerais inférieurs » (guardillones, polvos) et des scories encore riches en argent. Une métallurgie des restes là où l’on attendrait que la puissance du banquier pût encore attirer du beau minerai.
23Le banquier, précisément, Saglio ne le connaît pas et ne peut l’imaginer, mais sa visite permet de décrypter l’autre usage que Roux fait de la fonderie. Les deux petits fours ronds, cylindriques, ventilés par des soufflets mus par des hommes, ont été « bâtis sur les dessins de M. Roux de Fraissinet, directeur de l’usine44 ». Avantage de ces fours selon l’interlocuteur de Saglio : facilité de réparation et économie de combustible. Le visiteur reste sceptique devant un concept « tout nouveau du reste et peut‑être insuffisamment expérimenté45 ». La conclusion de Saglio n’en reste pas moins positive :
C’est un exemple de ce que peuvent l’activité et l’intelligence dans ce pays où il y a tant à faire pour un bon métallurgiste ; exemple d’autant plus frappant que, sur d’autres points de la côte, on a vu des usines, alimentées régulièrement et en bons minerais, végéter sans profit et fermer enfin quelquefois avec des pertes considérables46.
On croit rêver. Une fonderie d’argent de second rang « qui passe pour être dans un état commercial prospère47 » grâce au savoir‑faire local. Le principal banquier de la ville présenté comme simple directeur, ingénieux mais quelque peu approximatif. Le propos est révélateur des ignorances de Saglio sur la banque marseillaise, sur l’économie locale et surtout sur l’histoire récente de la fonderie. L’ignorance est entretenue : on lui masque que Roux va s’approprier l’établissement. En revanche, grâce à ses méconnaissances mêmes, Saglio donne, sans filtre, des informations précieuses : confirmation de l’état de la fonderie et de la modestie d’activités encore tournées vers Almagrera, donc vers le passé, et surtout révélation que, dans l’attente de sa reconversion, la fonderie est devenue laboratoire, lieu d’expérimentation d’équipements et de techniques.
24Il faut donc se garder de voir dans l’usage de San Isidoro à la fin de 1848 l’expression d’un refuge dans les restes d’Almagrera ou même d’une prudence industrielle. Cette dernière image lui aurait sans doute plu pour corriger celle d’impétuosité de naguère, mais Roux n’est nullement un créancier repreneur d’une fonderie réduit à l’art d’accommoder les restes, un visionnaire replié sur le passé. Le temps judiciaire l’oblige à la patience, à une attente qu’il sait transformer en période d’apprentissage. Son souci de contracter les étapes, de bousculer le temps judiciaire, témoigne peut‑être qu’il se sent désormais prêt pour l’aventure industrielle.
Le surgissement d’un autodidacte
25La « photographie » proposée par le texte de Saglio est instructive : en matière de métallurgie, Roux part, ou repart, de très bas et la conversion de San Isidoro à la métallurgie du plomb n’est toujours pas engagée en 1848. En revanche, l’instantané ne donne pas le mouvement, n’éclaire pas sur les années suivantes. La dynamique surgit très vite. Dès le printemps 1851, l’ingénieur en chef du district, José de Monasterio, décrit une fonderie entièrement rénovée, notamment par l’installation de la ventilation forcée :
Il existe une autre catégorie de fourneaux, de forme semblable à ceux de grand tirage. De ventilation forcée, avec deux tuyères, ils servent au traitement des minerais carbonatés mélangés avec des sulfures, des scories, des gandingues et autres résidus menus. Ils fonctionnent à la fabrique appelée San Isidoro, située à Escombrera, l’une des plus actives et constantes du pays et dont le mécanisme intérieur régulier et uniforme laisse voir les connaissances de son propriétaire directeur, ainsi que l’assiduité et application de celui qui veille directement sur les fourneaux et l’ensemble des opérations de la fabrique48.
26La transformation est rapide et les résultats en sont spectaculaires, selon la description qu’en donne le même Monasterio dans un mémoire écrit en 1852 pour une exposition publique des produits de l’agriculture, de l’industrie et des arts de la province de Murcie. Certes, le propos est quelque peu biaisé parce que le responsable administratif se doit d’être positif dans le cadre d’une manifestation de promotion de l’économie régionale. Il est néanmoins fondamental parce que l’ingénieur, familier de la sierra depuis plusieurs années, est un connaisseur exceptionnel des techniques et des réalités de fonctionnement de chaque entreprise. Son passage sur San Isidoro est assez bref, mais, moins de quatre ans plus tard, il éclaire cet entre‑deux singulier de 184849.
27Il peut se résumer en quelques constats. Le premier est que le plomb est désormais la production principale de l’usine, ce que confirment d’ailleurs les statistiques de l’année : avec près de 2 000 tonnes exportées, soit 12 % de la production de la sierra ou 10,6 % de celle de toute la côte, Almería comprise, San Isidoro est la seconde fonderie de Carthagène, encore derrière San Juan Bautista, mais avec une production triple de celle de la troisième50. Si l’on ajoute la production de Los Cuatro Santos de Cartagena, située à El Algar, achetée pour 16 000 réaux au nom de Aguirre dès septembre 184751, les fonderies Roux représentent au moins 15,6 % de la production locale et le banquier est désormais tout près d’être le premier métallurgiste de la sierra (carte 3)52. La production d’argent n’a pas disparu, mais elle est devenue secondaire. Sur ce point, la rupture avec 1848 est donc manifeste.
28Le second constat est, en revanche, celui du maintien de la ventilation forcée. Roux n’aime décidément pas les fours atmosphériques si en vogue dans le pays dont il a pourtant essayé de contrôler le brevet, passé dans le domaine public précisément en 1852. Il a mis au point ses propres fours, qui ont d’ailleurs évolué depuis 1848. Il s’agit toujours de fours à deux tuyères reliées à une cheminée centrale, mais alors que Saglio avait vu des fours cylindriques, ventilés par des soufflets mus par des ouvriers, ils sont désormais en forme de tronc de cône inversé, leur ventilation est assurée par la vapeur — une machine pour quatre fours — et leur capacité a beaucoup augmenté. Le dispositif est complété, au début de 1850, par la construction d’une galerie de condensation de plus de 120 mètres53. Pour Monasterio, les avantages sur les fours atmosphériques sont multiples : ils acceptent toutes sortes de minerais, y compris des fines (menudos), et surtout des scories d’Almagrera « qui avaient été jetées à la mer par quelque fondeur de la côte ouest parce que jugés improductifs et constituent aujourd’hui l’un des principaux éléments des opérations de traitement de cet établissement54 ». Même si rien n’est dit du procédé utilisé, coupellation ou pattinsonage, la production d’argent n’a pas disparu, mais elle est devenue complémentaire de celle de plomb55.
29La fonderie n’est plus ce petit atelier observé avec sympathie par Saglio : les fours traitent plus de 20 tonnes de minerai par jour, versé par un chargeur situé au‑dessus des tuyères. L’un des avantages les plus décisifs sur le four de Delgado est la régularité : le fonctionnement n’est plus dépendant de la pression atmosphérique, du temps qu’il fait. Le dernier avantage est le coût. Les fours offrent une forte économie sur le principal poste de dépense : le coke. Le tonnage nécessaire par rapport au minerai traité n’est que de 13,5 % contre 17 % pour les fours atmosphériques56. Un ingénieur civil français, Petigand, en visite à Carthagène en 1853 sous la houlette de Monasterio, ajoute que le rendement des fours en plomb est bien meilleur parce qu’il n’y a pas de perte en contenu du minerai57. Tout cela rejaillit sur le coût de traitement : 2 réaux 17 maravédis le quintal contre 2 réaux 32 à 2 réaux 26 pour les fours atmosphériques, ce dernier cas de figure étant de fait exceptionnel58. À cette compression de coût de plus de 15 % s’ajoutent les économies d’échelle, soulignées par Monasterio lui‑même.
30Petitgand signale deux autres fonderies utilisant la ventilation mécanique, Roma et Santa Lucía, mais les fours de San Isidoro dont il propose le dessin sont bien spécifiques. Pourquoi n’a‑t‑elle pas d’imitateurs ? Après avoir montré auparavant la complexité de la confection des charges, Monasterio donne d’autres raisons du caractère isolé de ce succès :
D’abord parce qu’il est difficile à l’ensemble des fonderies de réunir les circonstances spéciales qui sont celles de San Isidoro : la propriété de la majeure partie des matières qui vont aux fours, les connaissances et le capital de son propriétaire, et l’économie à l’œuvre dans toutes ces opérations, des points qui ne se retrouvent pas dans la marche des fours à fort tirage ; en second lieu, parce que ces derniers fours traitent très bien les carbonates de la région qui sont la matière la plus à la portée de tous59.
L’une des circonstances spéciales mentionnées par l’ingénieur ne saurait étonner : la capacité financière de Roux. Monasterio et Petitgand confirment que l’image modeste, presque misérabiliste, de débrouillardise dans la conduite de la fonderie en 1848, n’était qu’un trompe‑l’œil. En réalité, San Isidoro était en pleine réorientation de son activité, en préparation d’un nouveau départ. Elle fondait encore des minerais argentifères, mais préparait aussi sa reconversion vers le plomb. Plus surprenantes sont les « connaissances » du directeur‑propriétaire de la fonderie. Roux n’a aucune formation d’ingénieur. Pourtant, plus que Saglio, Monasterio, au jugement très sûr, a pu vérifier la qualité des fours conçus par Roux. Deux pistes d’explication peuvent être écartées. La première est celle d’un ingénieur dont Roux aurait usurpé les mérites. Aucun autre nom n’apparaît, personne ne doute jamais du talent personnel de Roux. L’autre piste, plus sérieuse, serait celle d’une transposition de fours utilisés dans les usines à plomb de Marseille, que Roux aurait pu connaître lors de ses retours dans la cité. Elles sont alors une dizaine et, même si elles pratiquent surtout la seconde fusion, le désargentage et l’élaboration de produits finis, certaines d’entre elles traitent des minerais, en provenance de L’Argentière, de La Calle en Algérie, de Sardaigne, de Toscane et aussi d’Espagne, à Saint Louis, Septèmes et aux Catalans60. On utilise des fours à manche et même à l’usine de Bouc, un four atmosphérique sur le modèle de Carthagène. De fait, on peut repérer des analogies entre les fours à manche décrits pour Marseille et ceux de San Isidoro, mais il s’agit surtout de traits généraux à ce type de fours, comme Roux a pu en voir aussi sur la côte espagnole. Il ne peut y avoir eu simple transposition de Marseille à Carthagène, pour deux raisons. La première est que les fours à manche marseillais atteignent jusqu’à 6 m de haut et sont en fait des demi hauts‑fourneaux. La seconde est que ces fours ne travaillent jamais des matières d’une teneur en plomb inférieure à 40‑45 %, alors que Roux s’est fait une spécialité du traitement complet des matières pauvres. Il ne faut pas exclure qu’Hilarion Roux ait étudié attentivement les fours à manche, à Marseille ou ailleurs, avec l’idée de les adapter aux matières de sa région, mais il ne faut pas sous‑estimer l’importance de son apport personnel, dans l’architecture des fours, la composition des charges et la conduite des calcinations.
31Hilarion Roux est bien un innovateur, peut‑être même un inventeur, qui a su mettre à profit le temps suspendu de la transmission judiciaire pour se livrer à des expérimentations fondatrices. Mais alors d’où vient ce talent — lui pensera bientôt ce génie ? Une certitude : il possède un sens aigu de l’observation. Le jeune Hilarion avait déjà su décrypter immédiatement les failles des fonderies d’Alicante. Ses voyages vers la côte d’Almagrera lui ont permis de percevoir les approximations et les gaspillages des fonderies locales. Le traitement des scories lui a servi d’initiation à la filière du plomb. Son intérêt initial pour le four atmosphérique a pu fléchir devant le constat de ses faiblesses : irrégularités de fonctionnement et de rendement, consommation de coke élevée, inadaptation à d’autres matières que les carbonates. Tout cela peut éclairer à la fois l’engagement initial dans le traitement des scories d’Almagrera, puis le glissement vers la combinaison de scories argentifères et de carbonates, avec évolution des équipements. L’acuité du regard sur la côte espagnole explique la perception des problèmes ou des chances ; sa curiosité à l’égard de Marseille, plus hypothétique, peut avoir aidé la découverte des solutions. La formation, à la fois humaniste et scientifique, reçue à Sorèze, a pu jouer aussi dans l’attention aux problèmes techniques et leur interprétation, mais il faudrait aussi disposer d’autres informations, sur d’éventuelles lectures scientifiques et techniques, et surtout sur ses essais de fours.
32À la différence des autres industriels locaux, Roux avait le moyen de financer des expérimentations et de se donner du temps. Avec San Isidoro à sa disposition depuis 1847, il avait le lieu et quelques fours inutilisés construits par Brun. Il n’était pas ingénieur, n’a pas eu recours à un ingénieur salarié pour le redémarrage d’Escombreras, mais il a su trouver d’autres solutions. L’une d’elles tient aux opportunités offertes par l’échelon inférieur, celui des maîtres‑fondeurs ou même de simples fondeurs, intelligents et habiles. À Carthagène, il a pu embaucher facilement des ouvriers pratiquant la métallurgie du plomb depuis plusieurs années déjà. Il a pu surtout rencontrer ou faire venir des fondeurs plus expérimentés, rompus à des techniques plus variées et plus subtiles que la fusion des scories et des carbonates, en provenance de la province d’Almería, et en particulier d’Adra. Il a pu profiter de leur métier, de leur coup d’œil, de leur expérience de la composition des charges, de la conduite des opérations. Il a pu les voir mettre en œuvre leurs tours de mains. Il a pu essayer avec eux des solutions sur la forme, le volume et le mode de tirage des fours61. L’autre solution, complémentaire, est le recours ponctuel à un ingénieur pour l’installation de dispositifs de haute technicité. C’est ce que fait Roux en 1851 pour l’installation de chaudières de Pattinson destinées à remplacer le vieux procédé de la coupellation, sous la direction de l’ingénieur en chef du district minier lui‑même, José de Monasterio. L’affaire aurait pu, aurait dû, rester discrète si une notule anonyme, mais émanant d’un ingénieur, peut‑être de Monasterio lui‑même, n’avait été publiée dans la revue du Corps des mines62. Le geste de Monasterio ne saurait étonner, tant il est coutumier du soutien technique à la métallurgie locale, dans un bassin où les fonderies sont singulièrement dépourvues de compétences de haut niveau. Le fait que Roux y ait eu recours est plus étonnant, dans la mesure où il aurait eu le moyen de salarier un ingénieur : c’est un indicateur de plus de son habileté à exploiter toutes les opportunités, à jouer sur tous les registres, y compris celui de la connivence des élites et de la communion dans le progrès.
33Le banquier‑métallurgiste n’a pas participé à l’éclatement en de multiples micro‑fonderies du traitement des carbonates. L’invention de Martín Delgado a cessé de l’intéresser presque aussitôt après qu’il se soit donné les moyens d’en prendre le contrôle. Une rapidité de décision déjà évidente en 1843, tout comme sa sûreté et sa logique de jugement : pas question alors pour lui d’acquérir des fonderies dont il conteste la technique. Peu lui importe le microfundisme métallurgique de la sierra. Il poursuit son chemin. Il s’est donné du temps, jusqu’à attendre trois ans avant d’introduire le procédé moderne de désargentage, comme s’il voulait d’abord s’assurer de la validité de son projet industriel. Tout au long de ces années, il semble avoir combiné la prudence et l’exploitation de son environnement technique. Du temps, mais le moins de frais possible. Repartir à petits pas après l’échec fracassant du projet Brun : telle semble être la démarche industrielle d’Hilarion Roux au cours de ces années‑là. Mais la discrétion n’a qu’un temps. La réussite d’Escombreras deviendra le socle de l’image industrielle de Roux : son aura et celle de ses fondeurs, en Espagne et au‑delà en Méditerranée, reposera largement sur leur savoir‑faire métallurgique et notamment sur leur capacité à traiter des scories et des matières pauvres. La sûreté de jugement ne tardera pas à devenir l’assurance d’avoir toujours raison. Roux ou l’autodidacte le plus célèbre, le plus énigmatique et bientôt le moins modeste de la sierra.
Une stratégie minière au service de la politique métallurgique
34On ne comprend rien aux engagements miniers de Roux si l’on ne les met pas en relation avec son obsession métallurgique. Sinon, comment comprendre que le jeune homme, naguère à l’affût de bons coups, comme l’a illustré, en 1844, l’achat de parts dans la mine Diosa, tarde à s’engager dans l’acquisition de concessions ou mines de carbonates ? La tentation spéculative a désormais cédé devant la volonté industrielle, ou plutôt se conjugue avec elle. Le commun des fondeurs se dispute ces carbonates extraits en quantité toujours insuffisante pour l’appétit de la cinquantaine de fonderies de la sierra : l’année 1852 en fournit le parfait exemple, toujours selon Monasterio63. Roux dispose de deux voies pour s’insérer dans le mouvement, la demande de concessions auprès de l’administration minière, ou l’achat d’actions de sociétés minières.
35Les données de la Jefatura de Minas, publiées dans le Boletín Oficial de la provincia de Murcia64, sans doute très lacunaires jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi de 1849, d’interprétation délicate aussi, on le verra, n’en sont pas moins significatives. C’est seulement à partir de 1853 que Roux commence à prendre des initiatives en ce domaine par la demande de concession de deux mines, ainsi que d’une demasía et un escorial, demandes toutes concentrées sur la Sierra de Cartagena. Ce peut être un début, mais c’est en réalité très peu65. L’autre voie, l’achat de mines, n’est guère plus pratiquée. Hilarion Roux achète certes à Brun, dès mars 1847, pour 4 000 réaux, une action de la société Fenicia66, mais le geste demeure isolé. Sa politique minière devient à peine plus active à partir de 1849, alors qu’il est désormais maître de San Isidoro. Il achète simplement quelques mines ou actions de sociétés minières, notamment de la société Buena Fe67. Le mouvement prend quelque ampleur au cours des années suivantes, en 185168, plus encore en 1852. Roux fait alors une acquisition dans la Sierra de Gádor69, défend ses droits sur un escorial dans la province de Cordoue70, afferme une mine à El Garbanzal, achète des actions de mine dans le même site et crée deux petites sociétés71. Par ailleurs, il commence à pratiquer l’affermage de mines72. Une partie des opérations m’a probablement échappé, mais l’énumération ne doit pas abuser : le mouvement d’ensemble reste modeste. La préoccupation métallurgique constitue la priorité, et les opérations minières locales consistent surtout à s’ajuster aux besoins de la fonderie.
36En réalité, Roux joue surtout sur un autre terrain, celui des déblais miniers et des déchets de fonderies d’Almagrera. Cette stratégie a commencé dès 184773. Elle culmine en janvier 1851 avec l’opération la plus importante, la première financièrement significative pour Roux : l’achat, pour 52 500 réaux, soit 13 800 F, des scories de l’une des premières fonderies du minerai d’Almagrera, celle de Benito Perier à Águilas74. Ce souci de contrôle de son approvisionnement éclaire une remarque de Monasterio, citée plus haut, sur l’un des avantages de San Isidoro : « la propriété de la majeure partie des matières qui vont aux fours ».
V. — Une image forte, et après ? L’énigme du retour à Marseille
37Roux est devenu industriel, mais il est resté aussi banquier‑négociant, à l’affût des affaires, désormais presque exclusivement sur les plombs. Peut‑être en partie du fait de ses incitations, les Rothschild y participent activement, dès la sortie de la crise75. Ils contribuent d’ailleurs à l’élargissement du regard d’Hilarion par leurs informations sur les marchés anglais et surtout américain. En revanche, ils sont une source de difficultés pour lui par leur réticence permanente à suivre la montée des cours locaux. Il essaie bien de jouer sur des différences de prix, entre Carthagène et Almería ou Adra. En dépit des reproches de la maison parisienne, il consent aussi quelques avances aux fondeurs pour le coke afin d’essayer de se garantir leur production. Le succès est maigre parce que la concurrence, surtout marseillaise, est rude : beaucoup préfèrent rembourser les avances et profiter de l’envolée des cours. Et comme en 1843, il lui faut à nouveau se préoccuper de toute la chaîne du négoce, y compris du gardiennage des dépôts de plomb et de coke ! Roux regrette parfois de n’être pas compris, mais il ne se plaint jamais d’être surmené, fatigué. Il ne contrôle pas toute l’économie locale du plomb, mais il sait tout, il est partout, il décide et il fait beaucoup. Roux à partir de 1850 : un homme essentiel du plomb, du mouvement du port et de toute l’économie de Carthagène.
38Tous ont pu voir les étapes de son enracinement, de la construction de sa réussite. Le jeune homme pressé de 1843 a eu l’œil vif, a décidé vite : ce sont là des qualités d’homme d’affaires nécessaires et admises par tous, y compris dans leur dureté. Mais il a aussi jeté des racines, il est resté banquier, négociant, mais il a pris le temps de construire une famille, de poser les bases d’une réussite industrielle qui ne doit rien, ou peu, à la banque familiale. Tout le monde lui reconnaît la paternité de ses fours, l’habileté de sa gestion des scories. Il n’est pas le premier Français établi à Carthagène, il n’est pas le premier à s’être lancé dans l’industrie : nombre de Lyonnais l’ont précédé. Plusieurs y ont fondé une famille et sont restés, y compris après leurs faillites respectives, comme Brun ou les Pillet. Ils sont toujours là, survivants de leur propre histoire, toujours en quête d’aubaines minières : achat‑vente d’actions, contrats divers, direction de mines ou fonderies. Roux n’a pas non plus vraiment réussi son entrée dans l’argent d’Almagrera, mais lui n’a pas fait faillite, parce qu’il avait d’autres assises, un autre métier, un autre éventail d’activités, un autre sérieux. Chacun a pu voir ses difficultés, de 1844 à 1847. Chacun a pu voir aussi qu’il n’a pas été le simple commissionnaire des Rothschild, le simple représentant de la banque paternelle. Il n’a dû qu’à lui‑même son intérêt pour le plomb et une réussite métallurgique que ne lui garantissait nullement la récupération de l’usine d’Escombreras. Premier industriel, gran minero, mais aussi homme du lieu, dont on connaît la famille, dont on connaît — ou croit connaître — les ressorts, un homme qui s’est inséré dans les pratiques locales en les utilisant à son profit au lieu de jouer le donneur de leçons promis à l’échec et au sarcasme. Le voici au premier rang d’un bassin dans lequel :
toutes les opérations métallurgiques sont effectuées avec tant de perfection et d’économie que les étrangers les plus avertis en sont étonnés et avouent ne pas comprendre comment un paysan sans connaissances techniques a pu améliorer les opérations de fusion au‑delà de ce que l’on connaît en Allemagne76.
Roux n’est pas paysan, mais il est bien le premier métallurgiste d’un bassin exceptionnel au niveau européen et même mondial. Le voici notable d’une ville en plein essor de sa population et de sa richesse, confrontée à des problèmes nés de sa prospérité même : l’hôpital, l’ordre public, la moralité ouvrière77. Carthagène années 1850, ville de promesses d’avenir, comme il y en a peu dans l’Espagne du temps.
39La performance est exceptionnelle, en termes de parcours et d’image : à la fois « fils de » et self made man, marseillais et profondément de Carthagène. Reste une énigme : dès le milieu de la décennie, Roux n’habite plus dans cette ville, mais à Marseille. Le départ intervient durant l’été 1854, alors même qu’il s’apprête à engager un mouvement fort d’achat de participations minières. À la fin mars de cette année‑là, il réside encore à Carthagène lorsqu’il fait enregistrer par un habitant de Lorca une mine de fer à Águilas ; le 3 septembre, le détenteur de la concession fait acter le nom de son véritable propriétaire et le notaire précise le changement de résidence de Roux entre les deux dates : « alors habitant de cette ville et maintenant de celle de Marseille78 ». Cela dit clairement que le départ n’a rien à voir avec le classique retour estival en Provence. En fait, Roux ne part qu’à la fin du mois de septembre : le 25, il écrit encore aux Rothschild pour la dernière fois depuis Carthagène79. Le notaire a enregistré qu’il s’agit d’un changement de domicile mûrement préparé, et sans retour durable. Les actes des années suivantes le confirment : Roux se fait représenter par l’un de ses beaux‑frères ou signe lui‑même lors d’un de ses retours estivaux. Le sens des vacances a changé, mais les affaires restent.
40Pourquoi ce retour dans une ville qu’il a quittée depuis plus d’une décennie, alors que, à force de détermination et de talent, il a, enfin, réussi à être plus que fils de banquier pour devenir l’industriel du plomb le plus reconnu ? Faudrait‑il y voir un choix d’éducation ? Le couple a trois enfants : deux filles, Elodie, appelée « Anita » jusque dans les actes notariaux, née en août 1844, Trinidad, née en mai 1847, et un garçon, José ou Joseph, dit « Pepito », né en octobre 1851. Tous ont vu le jour à Carthagène80. L’hypothèse du choix d’une éducation des enfants, notamment de Joseph, dans un cadre français, donc à Marseille, n’est pas convaincante : les Roux pouvaient engager sans difficulté, à Carthagène, une préceptrice ou un précepteur français. La préoccupation familiale aurait pu tout au plus jouer un rôle complémentaire dans une prise de décision.
41Il faut en fait chercher du côté des affaires, à la fois à Carthagène et à Marseille. Plusieurs hypothèses peuvent être émises. D’un côté, les affaires de plomb, avec San Isidoro et de multiples participations dans la sierra, seraient désormais suffisamment solides pour n’avoir plus besoin de sa présence permanente, et surtout, Carthagène, une superbe réussite, mais un horizon déjà trop étroit ? Par ailleurs, Hilarion, rompu aux affaires de banque comme à la métallurgie du plomb, n’est‑il pas tenté de rejoindre le siège de la banque paternelle, ou appelé par son père pour l’assister et surtout préparer sa relève à la tête de Roux de Fraissinet, l’une des premières banques de la place ? En ce cas, ce ne serait plus Carthagène, mais le plomb lui‑même qui ne serait plus à la mesure de la stratégie familiale et des ambitions du jeune trentenaire.
42L’image d’Hilarion Roux et, au‑delà, toute son insertion dans le milieu local et l’activité de la sierra peuvent‑elles survivre à ce départ ? L’image n’est sans doute pas le plus important, mais en fait les deux thèmes, l’image et les affaires, ne sont que les deux faces d’une même question, celle de la présence multiple : comment rester d’ici alors qu’on est ailleurs, qu’on est aussi d’ailleurs, comment être à la fois industriel et banquier ? Carthagène, Marseille, la banque, l’argent, le plomb : Hilarion Roux a commencé à entrelacer ses vies. Il est loin d’en avoir fini avec ses ambitions, avec ses horizons, avec ses rêves.
Notes de bas de page
1 Bartoloméi, 2017.
2 Sánchez Picón, 1983, p. 66.
3 Ibid., p. 68 et Pérez de Perceval, 1989, p. 94.
4 CAMT, 132 AQ, R 152, Hilarion Roux à Weisweiller Madrid, décembre 1844. Les quintaux mentionnés sont les traditionnels, de 46 kg. Le tonnage indiqué est donc de 11 500 quintaux métriques, ou 1 150 tonnes.
5 La production de plomb à Carthagène en 1843 est de 1395 t. Revista Minera, 1855, p. 346. Estevan Senis, 1966, p. 67.
6 CAMT, 132 AQ, R 152, Hilarion Roux à Rothschild Paris, 21 janvier 1845.
7 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6347, 15 décembre 1843, « Convenio Antonio Alarcón con Hilarión Roux ».
8 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6348, 26 juin 1844, « Convenio Antonio Alarcón con Hilarión Roux ».
9 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6348, 22 juillet 1844, « Convenio Roux Rizo ».
10 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6348, 1er août 1844, « Convenio Hilarión Roux con Antonio Alarcón ». Roux acquiert les deux tiers de la fonderie pour 17 895 réaux. Le prix de la matière première est relevé de 1 à 1,25 réal si la teneur en plomb excède 10 %.
11 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6348, 28 novembre 1844, « Convenio Bernardo Gillet y Cía a D. Hilarión Roux ».
12 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6349, 28 mars 1845 : création d’une société minière à Linares, La Esperanza.
13 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6349, 5 avril 1845.
14 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6351, 25 février 1847, « Declaración de N. Toledano ». Celui‑ci annonce quitter la société La Esperanza créée le 28 mars 1845, en renonçant à tous ses droits « pour exploiter en commun, sous les conditions fixées alors, toutes les mines et scoriaux en plus de ceux énumérés dans l’écriture » (« para beneficiar en común bajo las condiciones que establecieron, cuantos minas y escoriales adquiriesen, además de los que en esta escritura se detallen »).
15 Acquisition mentionnée par Pérez de Perceval, López Morell, 2009, pp. 187‑204. Voir en particulier p. 192.
16 CAMT, 132 AQ, 6 P 15, Hilarion Roux aux Rothschild Paris des 13, 18, 25, 31 décembre 1845, 1er, 13, 21 janvier 1846.
17 CAMT, 132 AQ, 6 P 15, Hilarion Roux aux Rothschild Paris, 9 mars 1846.
18 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6350, 9 avril 1846, « Poder a los Sres Boyer, Puig y Manegat, del comercio de Orán ».
19 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6350, 11, 25 et 28 mars 1846.
20 CAMT, 132 AQ, 6 P 15, 1850‑1851, lettres de juillet 1852 (sans mention du jour) et du 10 janvier 1853.
21 Chastagnaret, 1992, pp. 11-38. Voir en particulier p. 26.
22 Raveux, 1998, pp. 136 et 240-241.
23 Saglio, Édouard, « Notes métallurgiques recueillies dans un voyage en Andalousie, automne de 1848 », Annales des mines, 1849, série 4, t. XVI, pp. 192-194 ; Monasterio, José de, « Industria minera de Cartagena, IV Fundición de minerales plomizos », Revista Minera, 15 avril 1851, pp. 227‑238 ; Estevan Senis, 1966, p. 68 ; Chastagnaret, 2000, pp. 334-339.
24 Monasterio, José de, « La minería de Cartagena en 1852 », Revista Minera, 1853, p. 117.
25 Voir Chastagnaret, 1986, pp. 181‑187 et 2000, pp. 265‑266.
26 Id., 2000, pp. 336 et 841‑842. Les contrats sont le plus souvent à part de fruits et peuvent en ce cas mettre en péril la sécurité de la rémunération ouvrière.
27 Monasterio, José de, « La minería de Cartagena en 1852 », Revista Minera, 1853, p. 149 ; Pérez de Perceval, 1989, p. 105.
28 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6350, 27 novembre 1846, « Convenio José Aguirre con Francisco Pérez, de Mahón » : « Il verse le tirage au sort militaire échu à son fils D. Simón de Aguirre [5 000 réaux en deux échéances égales de 2 500 réaux] » (« Cubre la suerte de quinto que a su hijo D. Simón de Aguirre, le ha cabido »).
29 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6350, 14 décembre 1847 : « apoderado notorio de D. Hilarión Roux ».
30 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6352, 21 février 1848, « Testamento de D. José de Aguirre ».
31 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6351, 25 février 1847, « Declaración de N. Toledano » : « D. Hilarion, au profit de qui il renonce et cède le quart qu’il possédait dans ladite société, avec les droits et actions qui lui revenaient, en conférant en plus toutes permission et faculté nécessaires à D. Hilarion pour que, quand et comme il lui semble bon, il construise et utilise les fourneaux de fusion avec deux ou trois tuyères, dont le privilège exclusif est concédé au comparant » (« D. Hilarión, en quien renuncia y cede la cuarta parte que el comparente interesaba endicha sociedad con los derechos y acciones que por ello le competían, confiriendo además el permiso y facultad que se quiera y necesario sea al D. Hilarión para que, cuando y como le parece, construya y haga uso de los hornos de fundición de dos y tres toberas de que está concedido privilegio exclusivo al comparente »).
32 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6351, 10 mars 1847 : « para que pueda conceder permiso, ceder o enajenar en parte el privilegio que está concedido al comparente por 5 años en virtud de real cedula expedida en 21 de enero último para la construcción de hornos de fundición de minerales sin fuelle ».
33 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6352, 30 octobre 1848, « Acuerdo Roux José Prefumo para disolución de la sociedad Esperanza ».
34 Saglio, Édouard, « Notes métallurgiques recueillies dans un voyage en Andalousie, automne de 1848 », Annales des mines, 1849, série 4, t. XVI, p. 216.
35 Ibid., p. 161.
36 Hypothèse confirmée par un passage de l’acte de transmission de la fonderie à Roux, pour une dette « que ladite société devait à Roux, en provenance d’une autre qui avait fourni à celle-ci pour les préparatifs et fonds de roulement de la fonderie » (AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire García, vol. 6411, fo 341, 13 décembre 1848 : texte intégral en annexe i p. 000).
37 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6351, 6 mai 1847. Le 19 mars 1845, le liquidateur, Louis Journel, donne pouvoir à Auguste Blanc, pour le représenter à Carthagène.
38 Parroquia Santa María de Gracia de Cartagena, Libro de bautismos, doc. 415, 12 août 1844 ; AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6352, 21 février 1848, « Testamento de D. José de Aguirre ».
39 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6351, 6 mai 1847 : Auguste Blanc, français, au nom de Louis Journel, liquidateur de la société Isidoro Brun y Cía (selon pouvoir reçu à Marseille le 19 mars 1845) « daba en arrendamiento a D. José Aguirre la fábrica de fundición titulada San Isidoro, paraje de Escombreras », pour un an (du 15 mai 1847 au 15 mai 1848), pour 10 000 reales par an (5 000 au début, 5 000 à la fin).
40 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6352, 12 août 1848.
41 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire García, vol. 6411, fo 341, 13 décembre 1848 : « encontrándose presentes D. Hilarión Roux, domiciliado en dicha ciudad, S.S. le tomó de la mano y le introdujo en la habitación principal de dicha fábrica, haciendo abrir, haciéndole abrir y cerrar sus puertas, y haciendo salir y entrar a los que había dentro de dicho edificio, y todo lo referido ejecutó el referido D. Hilarión Roux en señal de la verdadera, real, actual, civil y natural […] posesión que de dicho edificio, fábrica y demás efectos que constan de estos autos, tomaba, cuya posesión le fue dada quieta y pacíficamente, sin contradicción de persona alguna en lo que el citado Juez dijo ».
42 Présenté en annexe i pp. 381-383.
43 Saglio, Édouard, « Notes métallurgiques recueillies dans un voyage en Andalousie, automne de 1848 », Annales des mines, 1849, série 4, t. XVI, pp. 192‑195.
44 Ibid., p. 192.
45 Ibid., p. 193.
46 Ibid., p. 195.
47 Ibid.
48 Monasterio, José de, « Industria minera de Cartagena, IV Fundición de minerales plomizos », Revista Minera, 15 avril 1851, p. 233 : « Hay otra clase de hornos, parecidos en su forma a los de tiro, de viento forzado, con dos toberas, en que se tratan los minerales carbonatados en mezcla con sulfuros, escorias, gandingas y otros residuos menudos: están en marcha en la fábrica llamada S. Isidoro, situada en Escombrera, una de las más activas y constantes del país y cuyo mecanismo interior regular y uniforme deja ver los conocimientos de su propietario director y la asiduidad y aplicación del que vela directamente sobre los hornos y las operaciones todas de la fábrica ».
49 Monasterio, Memoria sobre la industria minera de Cartagena, pp. 35‑37.
50 L’intégralité de la production étant exportée, surtout vers Marseille, les chiffres d’exportation sont de fait aussi des chiffres de production. Pour 1852, la production totale de Carthagène est de 349 205 quintaux soit 16 063 t. San Isidoro y a contribué pour 41 900 quintaux, soit 1 927,4 t. San Juan Bautista a produit 58 641 quintaux, soit 2 697 t.
51 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Bernardino Alcaraz, vol. 6241, 20 septembre 1847.
52 Los Cuatro Santos de Cartagena a fourni 12 517 qx., soit 576 t. Je n’ai pu déterminer si Los Cuatro Santos Segunda (139 t. produites) était aussi propriété de Roux.
53 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire García, vol. 6413, 5 juin 1850, « Convenio Roux con Francisco Pérez ». La galerie de condensation, d’une longueur de 150 varas, revient à 52 réaux le mètre.
54 Monasterio, Memoria sobre la industria minera de Cartagena, p. 36 : « que se habían arrojado al mar por algún fabricante de la costa de poniente como improductivos y hoy constituyen uno de los principales elementos del beneficio de este establecimiento ».
55 Monasterio présente les deux procédés, mais il ne précise pas les établissements qui les utilisent : ibid., pp. 42‑47.
56 Ibid., p. 32.
57 Petitgand, E., « Construction des fours à traiter le minerai de plomb employés en Espagne », Mémoires de la société centrale des ingénieurs civils, 1853, t. VI, p. 31.
58 Ibid., p. 34. 34 maravédis équivalent à un réal.
59 Ibid., p. 37 : « Primero porque es difícil que todas las fábricas reúnan las circunstancias especiales que tiene la San Isidoro, como son, la propiedad de la mayor parte de las materias que van a los hornos, los conocimientos y el capital de su dueño, y la economía con que se hacen todas aquellas operaciones, que son extrañas a la marcha de los hornos de tiro. Segundo, porque con estos últimos se tratan muy bien como hemos visto los carbonatos del país, que es la materia que está más al alcance de todos ».
60 Simonin, Louis, « Notice sur les usines à plomb des Bouches du Rhône », Bulletin de la Société de l’Industrie minérale, 1857, t. II, pp. 422‑423.
61 Dans son article de 1851, déjà cité, Monasterio lui‑même fait allusion à l’importance des maîtres fondeurs lorsqu’il soulignait « l’assiduité et application de celui qui veille directement sur les fourneaux et l’ensemble des opérations de la fabrique ».
62 « L’usine San Isidoro de Escombrera achève de monter un appareil de Pattinson pour désargentage des plombs sous la direction de José de Monasterio », Revista Minera, 1er octobre 1851, p. 604.
63 Monasterio, José de, « La minería de Cartagena en 1852 », Revista Minera, 1853, p. 117 : « La meilleure preuve que l’exploitation a été forcée jusqu’à un certain point est que le rendement moyen des matières passées en 1852 aux mains du fondeur n’a pas atteint 7 %. Ce chiffre, aussi admirable que sûr, a été déduit par moi de la comparaison de divers résultats. Il suppose la fusion de 5 000 000 de quintaux de minerais, chiffre qui, avec l’ajout de 140 203 quintaux exportés pour fusion en d’autres lieux, donne un chiffre de 5 140 203 quintaux pour l’exploitation. Ce chiffre n’aurait pu être atteint par les mines de la région dans un état de marche normal, mais du fait de la nécessité d’alimenter 51 fonderies, en général avec deux fourneaux, il a fallu recourir aux déblais eux‑mêmes pour récupérer tout ce qui, il y a peu était jeté comme stérile. Surtout les résidus de lavages simples, multipliés de toutes parts, envahissant les haldes antiques et modernes, n’ont pas peu contribué à augmenter, avec ses résidus fins les matières traitables ».
64 Présentées dans le tableau 1 du chapitre viii de cet ouvrage p. 145.
65 Avant 1853, Roux n’est mentionné que deux fois dans le Boletín Oficial de la provincia de Murcia, en 1845 (renoncement à une concession) et en 1850 (transfert d’une concession abandonnée par Roux). Pour la période 1853‑1862, consulter le tableau 1 du chapitre viii de cet ouvrage p. 000.
66 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6351, 15 mars 1847 : vente d’une des deux actions de Brun de la société Fenicia.
67 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire García, vol. 6412, 12 avril, 12 mai, 23 mai et 10 août 1849.
68 Voir par exemple AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Alcaraz, vol. 6245, 7 octobre 1851. Participation, pour deux actions sur cinquante, à la création de la société Virgen de Agosto y Cueva de la Madera (exploitation de deux mines).
69 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Alcaraz, vol. 6248, 15 juillet 1852, fo 726, « Cesión Toledano a Roux », et fo 727, « Aceptación Roux a José de la Vega Ruiz ».
70 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Alcaraz, vol. 6248, 3 septembre 1852, « Poder a Juan Ignacio Barril ».
71 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Alcaraz, vol. 6248, 18 septembre 1852 (« Arrendamiento ») et 28 septembre 1852 (« Venta Cano a Roux ») ; AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire García, vol. 6414, 17 mars 1852, 17 avril 1852 (« Compra acciones de La Unión, El Garbanzal »), 24 octobre 1852 (« Dos sociedades “Desconfianza” »).
72 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Alcaraz, vol. 6244, 28 juin 1850, « Convenio de la sociedad Patria con Hilarión Roux », et vol. 6248, 18 septembre 1852, « Arrendamiento de la Sociedad Superior Segunda a Hilarión Roux ».
73 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Berri, vol. 6351, 1er mai 1847, « Poder de Roux a Ángel Rostan, de Águilas, para que, a nombre y en representación del comparente, solicite los denuncios y registros de minas y escoriales que le detalle ante la Inspección del ramo del distrito ».
74 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Alcaraz, vol. 6245, 8 janvier 1851 : vente de Benito Périer à Roux. Les scories sont celles de la fonderie Unión. Encore en activité en 1848, elle essayait alors de se reconvertir, sans grand succès, vers le traitement de minerais de plomb et de cuivre. Saglio, Édouard, « Notes métallurgiques recueillies dans un voyage en Andalousie, automne de 1848 », Annales des mines, 1849, série 4, t. XVI, pp. 190 et 211.
75 Voir la correspondance échangée entre février 1850 et septembre 1854 (CAMT, 132 AQ, 6 P 15, 1850‑1861).
76 Miguel Cabanellas, primer alcalde constitucional de Cartagena, « Memoria demostrativa de las necesidades del distrito minero de Cartagena », dans Archivo de la Jefatura de Minas de Murcia, 19 de octubre de 1856, p. 11 (document communiqué par María Teresa Pérez Picazo) : « se efectúan todas las operaciones metalúrgicas con tanta perfección y economía, que, asombrados los extranjeros más entendidos en ella, confiesan que no comprenden el por qué un labriego sin conocimientos técnicos haya podido mejorar las operaciones de la fundición más allá de lo conocido en Alemania ».
77 Ibid., pp. 15‑29.
78 AHPM, Protocolos, Cartagena, notaire Alcaraz, vol. 6252, 3 septembre 1854, « Cesión Antonio Rodríguez a Hilarión Roux » : « vecino entonces de esta plaza y actualmente de la de Marsella ».
79 Lettre du 25 septembre 1854, CAMT, 132 AQ, 6 P 15, 1850‑1861.
80 Elodie est née le 11 août 1844 (baptême du 12 août 1844 : Parroquia Santa María de Gracia de Cartagena, Libro de bautismos, doc. 415), Trinidad le 17 mai 1847 (baptême du 19 août 1847 : Parroquia Santa María de Gracia de Cartagena, Libro de bautismos, doc. 307) et Joseph le 2 octobre 1851, (baptême du 3 octobre 1851 : Parroquia Santa María de Gracia de Cartagena, Libro de bautismos, doc. 544). L’usage des surnoms familiaux est attesté dans plusieurs documents, notamment l’acte de succession de Trinidad Aguirre, marquise d’Escombrera, du 5 juillet 1905, par le notaire Champetier de Ribes, (AMJ, leg. 301‑1‑bis, exp. no 3195, Marqués de Escombreras). Dans le cas d’Élodie, l’usage d’un surnom est peut‑être dû au souci d’éviter toute confusion avec la sœur d’Hilarion, prénommée aussi Élodie.
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