Chapitre VI
La chair de l’Empire
p. 149-167
Texte intégral
1Si l’immensité des étendues et les formes du relief façonnaient sans aucun doute ce monde éclaté qu’était l’Amérique espagnole, la géographie humaine en avait toujours été le principal architecte. Car en dépit du caractère fondamentalement contraignant de la topographie, des infrastructures routières existantes et de l’organisation de l’administration impériale, c’était en fin de compte le comportement des hommes qui avait petit à petit modelé les contours des possessions américaines de la Couronne.
2La bipartition première entre les deux grandes vice-royautés censées administrer les Indes n’était en ce sens que le calque de la géographie humaine préhispanique, les hautes terres de l’Anahuac et des Andes centrales, sièges des plus grandes densités humaines de l’Amérique précolombienne, ayant été le point de fixation des envahisseurs européens. Dès qu’ils pouvaient les atteindre, les conquistadors s’installaient en effet sur les terres où la densité démographique devait leur assurer des rentes et des travailleurs. Les hommes, comme dans bien d’autres guerres, étaient le premier butin et le premier bénéfice tiré de la conquête par les vainqueurs1. D’où la dispersion initiale des implantations espagnoles, fondées au gré des noyaux de peuplement autochtones. Peu à peu cependant, la dispersion même aidant, ce mouvement de fondations s’étiola, et la catastrophe démographique provoquée par la conquête et l’exploitation des communautés — qui réduisit de 80 à 90 % les populations autochtones vaincues — imposa d’autres formes de « mise en valeur ». L’accroissement démographique des villes et l’émergence concomitante de couches modestes urbaines (les « Espagnols pauvres » et les « castes ») entraînèrent également d’autres dynamiques de travail et de gestion des ressources. Ainsi, tandis qu’au xvie siècle la prédation — sous forme de butin ou d’exploitation des peuples vaincus — éperonnait les groupes les plus mobiles, aux xviie et xviiie siècles, la lente émergence d’une démographie et d’un urbanisme hispano-américains mette en évidence des processus différents. Désormais, la circulation ou l’enracinement des populations coloniales étaient marqués par la quête d’opportunités d’avancement ou de marchés, de terres à exploiter ou tout simplement de lieux où vivre en homme libre. Quel que soit le cas de figure considéré, cependant, ces phénomènes placent l’expérience vécue au cœur de la construction territoriale de la monarchie catholique, expérience marquée par un certain nombre de convergences.
3En effet, bien que peu nombreuses, atomisées et séparées les unes des autres par d’énormes distances, les populations hispaniques des Indes n’en partageaient pas moins deux traits communs : leur rapport spécifique et privilégié avec les centres péninsulaires de pouvoir (Madrid, Séville puis Cadix), ainsi que la conscience très claire de faire partie d’un ensemble de royaumes des « Indes », même si les composantes de celui-ci demeuraient floues et largement méconnues à l’échelle locale. Certes, la plus ou moins grande proximité géographique entre les noyaux hispaniques conférait à ce référent vague davantage de réalité, mais c’étaient surtout les échanges humains entre les différents centres et pôles de peuplement américain, le commerce fréquent entre les régions, qui lui donnaient une dimension vécue. Dès lors, il ne s’agissait plus simplement de territoires relevant aussi du monarque catholique, mais de régions et de terroirs, de villes et d’individus, que les récits, les produits et les hommes transformaient peu à peu en une réalité tangible. Parents, amis ou clients habitant au loin donnaient ainsi un nom, un prénom et un visage à ces contrées lointaines.
4D’interconnaissance en relations de famille, de véritables réseaux couvraient peu à peu des étendues de plus en plus vastes, intégrant de la sorte les villes et les hameaux au sein de plus grands ensembles, donnant en somme de la chair aux pôles que nous avons évoqués. Or, les formes et les capacités d’action de ces relations interpersonnelles, fortement déterminées par la configuration atomisée de l’œkoumène hispanique en Amérique, avaient de profondes conséquences sur la gestion économique et politique des territoires. Cette dialectique entre réseaux d’interconnaissance, emprise sur les ressources territoriales et capacité d’action politique locale était perçue tant comme un atout que comme une menace par les différents acteurs sociaux à l’échelon local. Cette tension se manifeste notamment par la profusion, du xvie au xviiie siècle, de la thématique de la corruption2, par le népotisme et la monopolisation des moyens et des biens, dénoncés avec véhémence par les contemporains sous forme d’écrits ou d’affaires portées devant la justice. Trois de ces affaires, au xvie et au xviie siècle, serviront pour illustrer la singulière articulation entre les trajectoires personnelles et la structuration des espaces coloniaux.
I. — Lima, 1583 : le népotisme comme outil de gouvernement
5En 1583, don Martín García de Oñaz y Loyola adressait au roi un mémoire dans lequel il dénonçait le comportement de l’alcalde del crimen du tribunal de Lima, don Diego López de Zuñiga3. Loyola, ex-corregidor de Potosí qui venait d’être désigné gouverneur du Río de la Plata4, était à l’époque un riche entrepreneur minier. Il avait pris cette promotion, pourtant prestigieuse au premier abord, comme une relégation, voire comme une sanction. En effet, la lointaine Buenos Aires, où il ne semblait y avoir ni mines ni populations soumises en abondance à exploiter, lui paraissait bien pauvre comparée au Pérou, où son activité minière lui rapportait des profits considérables. Dans une lettre adressée au monarque en 1585, il exprimait ouvertement son inquiétude, arguant que les provinces du Río de la Plata étaient une région « sans bénéfice d’aucune sorte5 », et demandait même l’autorisation de faire venir une fois par an d’Angola ou du Cap-Vert un bateau chargé d’esclaves « dont les droits [fiscaux] me permettront de m’assurer un salaire », ou bien, le cas échéant, le droit de faire venir trois ou quatre mille esclaves d’Angola pour son propre compte6 !
6En tant que corregidor de Potosí, siège des richissimes mines d’argent dans une période de forte expansion, il avait largement profité et abusé de sa charge à des fins d’enrichissement personnel. Dès 1575, García de Loyola avait été accusé de faire passer en Espagne de l’argent et de l’or non déclarés7. Pour lui, sans l’ombre d’un doute, tout office devait comporter des bénéfices compensant la modicité du salaire. On conçoit dès lors aisément qu’il ait pu considérer sa nomination à Buenos Aires comme une rétrogradation et qu’il ait pu la relier à l’enquête qui était en cours à ce moment même, dans le cadre du juicio de residencia sur son action en tant que corregidor, en 1581. Un des rapports rédigés par le juge chargé de la residencia pointait justement nombre d’exactions et de malversations, et incriminait García de Loyola non seulement d’enrichissement illicite, mais également d’assujettir à sa volonté le cabildo et même le tribunal de l’audiencia. Le visiteur préconisait partant de dépayser Loyola8. Or, ce juicio de residencia avait justement été confié à l’alcalde del crimen de Lima, don Diego López de Zuñiga9.
7Dans son mémoire, García de Loyola accusait le magistrat de partialité à son égard, partialité fondée sur le fait que, selon Loyola, celui-ci s’en prenait « à tous ceux qui ne lui étaient pas apparentés10 » dans la vice-royauté. Il demandait en conséquence qu’un juge fût saisi pour examiner l’affaire ; pour cela, en vue de l’éventuelle enquête, il envoyait au monarque un mémoire où figuraient le nombre et la qualité des personnes comprises dans ce cercle de parents, afin que le futur juge pût en être instruit. García de Loyola commençait en reprochant au magistrat d’avoir arrangé le mariage de l’une de ses filles, doña Mariana, âgée de moins de douze ans, avec don Sancho Díaz Zurbano11. Celui-ci, fils d’une certaine doña Úrsula Pacheco, jouissait dès cette époque d’une encomienda à La Paz. En dépit du fait que la ville de La Paz relevait de la juridiction du tribunal de Charcas — et se trouvait donc en dehors de la juridiction du tribunal de Lima dont don Diego de Zuñiga était juge —, Loyola cherchait à démontrer que ce mariage devait être considéré comme une alliance avec les naturels de sa juridiction, et qu’il relevait de toute évidence des lois interdisant ce type de rapprochement périlleux avec les administrés. Selon Loyola, la parentèle de doña Úrsula Pacheco — « parents, proches et amis12 » —, qui s’étendait sur toute la juridiction du tribunal de Lima, bénéficiait, grâce à cette alliance, de l’appui de l’alcalde Zuñiga, ce qui la rendait « puissante et téméraire13 ».
8Comme bien souvent dans ce genre d’accusation, la principale motivation de Loyola se trouvait sans doute ailleurs, et notamment dans sa vindicte contre l’alcalde en raison de son rôle dans la residencia qui était en cours (et dont les attendus avaient dû filtrer). Certes, don Diego de Zuñiga avait prêté son soutien juridique et usé de ses influences à l’Audiencia de Lima, l’année même de la rédaction du mémoire de Loyola, afin d’aider la cousine germaine de doña Úrsula Pacheco, doña Leonor de Valenzuela, qui sollicitait la succession dans l’encomienda de son mari à Quito14. Cependant, au-delà du cas du mariage de la fille de l’alcalde, ce que Loyola dénonçait était en réalité le réseau de familles tissé une génération plus tôt par le père et l’oncle de doña Úrsula, le capitaine Isidro Pacheco, et son beau-frère, le conquistador Nicolás de Ribera l’Ancien (généalogie 5).
9Les deux hommes avaient en effet été des conquistadors du Tahuantinsuyu, et leur alliance, scellée par leur union avec deux sœurs, reflète clairement le comportement des premières élites économiques coloniales issues de la conquête. Isidro Robles Pacheco, conquistador de l’Amérique centrale et du Pérou, était certainement de ceux-là puisqu’il se trouvait dès 1513 sur l’île de Saint-Domingue, où il s’était joint à l’expédition de Pedro Arias Dávila en Amérique centrale. En 1530, il avait été son lieutenant au Nicaragua, avant de partir à la conquête du Pérou, où il fut l’un des premiers habitants de la ville de Lima15. À Saint-Domingue, il avait épousé la fille du gouverneur de l’île, doña María de Solier Dávalos, qui le rejoignit ensuite au Pérou accompagnée de son frère et de ses trois sœurs16. L’une d’elles, Elvira Dávalos, épousa à Lima Nicolás de Ribera et constitua par la même occasion le noyau dur de la parentèle « dénoncée » par Loyola.
10Nicolás de Ribera (« l’Ancien »), comme son beau-frère Isidro Pacheco, était un conquistador, compagnon de la première heure de Francisco Pizarro, dont il avait un temps été le trésorier. Il fut l’un des fondateurs de Lima le 18 janvier 1535, premier alcalde de la ville et, surtout, l’encomendero des Indiens de la basse vallée de Ica (Hurin Ica) qui lui rapportaient d’importants revenus17.
11Soucieuses de consolider la position que le butin de la conquête et le travail de leurs encomendados (travailleurs soumis à l’encomienda) leur avaient assurée, les deux familles se lièrent par le mariage de leurs enfants à d’autres familles d’encomenderos. C’est ainsi que deux cousines germaines et un cousin germain de doña Úrsula (généalogie 5), enfants tous les trois du conquistador Nicolás de Ribera, permirent aux Ribera d’établir successivement, en l’espace de sept ans, des alliances stratégiques avec trois grandes figures de la société locale : en 1567, avec le mariage entre doña María de Ribera et un vieil ami de son père, riche encomendero d’Arequipa, Lucas Martínez Vegaso18 ; en 1572, grâce à l’union de doña Isabel de Ribera et de Pedro Ortiz de Zárate, petit-fils de l’un des fondateurs du tribunal de Lima et encomendero de Pisco et Condor ; et en 1573, enfin, avec le mariage de Juan Dávalos de Ribera et doña Leonor de Santillán, fille du licenciado Hernando de Santillán, ancien oidor du tribunal royal de Lima (1550-1563), dont l’autre fille avait épousé un encomendero de Ica19.
12Pedro de Zárate, le mari de doña Isabel, appartenait de plus à une famille dont les ramifications allaient de la cour (à Madrid) au Río de la Plata et au Chili. En effet, son grand-oncle, Juan Ortiz de Zárate, avait joui du titre d’adelantado du Río de la Plata jusqu’à sa mort, en 1576, dignité occupée par la suite à titre intérimaire par Juan de Garay, neveu de l’adelantado, jusqu’en 1583, au moment même où Martín García de Loyola, qui devait lui succéder, rédigeait sa dénonciation. Enfin, dans la lointaine Santiago du Chili résidaient les Irarrazabal Zárate, riche famille de propriétaires terriens et d’encomenderos contrôlant largement le gouvernement local20, et cousins issus de germain de l’adelantado Ortiz de Zárate21.
13Si à tous ces liens on ajoute ceux de la famille Robles Pacheco, apparentés par alliance à Nicolás de Ribera, il en résultait effectivement un enchevêtrement familial embrassant, du nord au sud, les villes de Quito, Puerto Viejo, Guayaquil, Chachapoyas, Trujillo, Huánuco, Lima, Huancavelica, Huamanga, Cuzco, Arequipa, La Paz, Cochabamba, La Plata, Potosí, Asunción, Córdoba del Tucumán, Santiago du Chili et La Imperial… Dans toutes ces villes résidait au moins un parent proche des Ribera-Pacheco au moment de cette dénonciation, ce qui, comme le mettait en avant Martín García de Loyola, justifiait pleinement sa démarche. Ces choix matrimoniaux étaient de surcroît complétés par une course aux charges urbaines ou ecclésiastiques, source de prestige et de distinction locale, tout comme moyen de pérenniser et d’inscrire cette accumulation patrimoniale dans la durée. Alcaldes, regidores, oidores et évêques peuplaient ainsi les rangs de cet enchevêtrement de familles d’encomenderos.
14Ce type de comportement, visant à capter les différentes sources de richesse ainsi que les différents moyens de s’en assurer le contrôle (magistratures urbaines, charges dans l’administration locale), était d’autant plus lisible pour les contemporains qu’il s’inscrivait dans un ensemble de pratiques communes. Encomienda et fermeture (dans le sens weberien du terme), notamment par le biais d’alliances matrimoniales, sont caractéristiques de la cristallisation des premières générations issues de la conquête en des groupes se percevant et étant perçus comme tels… et donnant lieu à une concurrence tenace pour les ressources humaines, économiques et politiques, en particulier vis-à-vis des groupes qui ne jouissaient pas de main-d’œuvre encomendada. Les factions concurrentes avaient alors beau jeu, à l’instar de Loyola, de pointer l’emprise de ces « fronts de familles » sur les ressources locales.
15En ce sens, la lettre adressée en 1608 à Madrid par Gaspar Freire (ou Freyle) de Andrade, regidor propriétaire de la ville de Quito depuis 160722, dans laquelle il prévenait le roi des « inconvénients » occasionnés par la parenté entre le nouveau corregidor de la ville, Sancho Díaz Zurbano — le même qui était visé par la dénonciation de Loyola — et son oncle, fray Salvador de Ribera, évêque de Quito depuis 160623, était sans doute l’expression de ces antagonismes entre groupes rivaux : bien d’autres lettres adressées au monarque au même moment se plaignaient en effet de la même situation, témoignant d’une opération collective concertée24. Ces coalitions d’encomenderos ou de propriétaires terriens constituent la marque de fabrique des sociétés coloniales naissantes au lendemain de la conquête, qui ont vu la rapide formation de réseaux d’intérêts locaux renforcés par des mariages à l’intérieur de cercles fermés.
16L’énumération par Loyola d’une aussi vaste parentèle d’encomenderos, quelles qu’aient été par ailleurs leurs querelles entre factions, était en outre d’autant plus alarmante qu’elle intervenait dans un contexte tendu entre ces derniers et le monarque. En effet, entre les Leyes Nuevas de 1542, qui visaient à l’abolition de l’encomienda et avaient provoqué l’insurrection pizarriste, et le début du xviie siècle, une âpre lutte opposait les encomenderos, qui réclamaient la perpétuité des encomiendas, et le pouvoir royal, qui cherchait à les abolir. En 1548, la victoire à Jaquijahuana de l’envoyé du monarque, Pedro de la Gasca, qui avait vu le gros des troupes de Gonzalo Pizarro déserter leur propre camp, s’était tout de même accompagnée d’un franc recul du roi, le monarque acceptant d’annuler le chapitre xxx des Leyes Nuevas, celui précisément qui interdisait les encomiendas héréditaires. La question était cependant restée en suspens et alimenta dès lors une agitation permanente des nantis de la conquête. De surcroît, les largesses consenties par Gasca aux anciens rebelles comme moyen d’obtenir leur adhésion avaient créé un grand mécontentement parmi ceux qui avaient milité sous la bannière royale dès la première heure et qui se considéraient lésés25. En effet, jugeant sans doute que leur fidélité était acquise, Gasca n’avait pas estimé urgent de les récompenser de leur loyauté. Les exigences des uns et des autres expliquent ainsi le climat social explosif qui suivit le départ de Gasca : les insurrections armées se succédèrent pendant près de six ans, et ne cessèrent qu’avec la défaite de l’insurrection de Francisco Hernández Girón, en 1554, et l’arrivée du vice-roi Andrés Hurtado de Mendoza, en 1556. Le combat des encomenderos continua cependant sous d’autres formes, les pétitions et les envois de représentants généraux à Madrid remplaçant désormais les soulèvements et les prises d’armes. Or, l’un des acteurs de cette lutte était justement Salvador de Ribera, l’évêque de Quito, fils de Nicolás de Ribera « el Viejo », et l’auteur, au tournant du xviie siècle, d’un texte sur « les bénéfices qui résulteraient, pour le service de Dieu notre seigneur et de V.M., et pour le bien du royaume du Pérou, de la perpétuation des repartimientos et des encomiendas qui s’y trouvent », texte qu’il avait personnellement porté à Madrid26.
17Dans un tel contexte, l’argumentation de Loyola ne manquait pas de poids : pointer la concentration de pouvoirs au sein d’un même front de familles était immédiatement traduit — même si Loyola avait choisi une autre rhétorique — en termes politiques. En effet, toute constitution de pôles politiquement puissants aux Indes était interprétée à Madrid comme un risque potentiel pour l’équilibre entre les décisions du Conseil des Indes et leur application, comme les soulèvements du Pérou l’avaient dramatiquement prouvé trente ans plus tôt. La dénonciation s’en tenait toutefois au développement d’une argumentation classique, consistant à démontrer la manière dont les ramifications familiales d’un individu rendaient virtuellement impossible l’exercice impartial de sa tâche au service de la Couronne27. Loyola n’hésitait pas, dès lors, à se répandre en adulations envers la clairvoyance du monarque lorsqu’il avait prévu des lois empêchant les fonctionnaires royaux ou leurs enfants de se marier avec des naturels de leur juridiction.
18Il faut souligner, de plus, que dans cette dénonciation, Loyola n’accusait personne d’un délit en particulier — si ce ne sont les « tracas et les difficultés » (« ocasiones y tropiezos ») que l’alcalde aurait infligés à tous ceux qui n’appartenaient pas au cercle des parents et des affins. Il se limitait à présenter au monarque le degré d’interpénétration familiale qu’il existait entre différentes personnes, parfois avec des fonctions et des charges, toujours avec du pouvoir factuel (c’est-à-dire avec des moyens politiques ou économiques importants). C’était au monarque et à ses conseillers de tirer les conclusions qui s’imposaient et qui, pour Loyola, apparaissaient avec la force de l’évidence : entre les liens du sang et le service royal, la question de savoir dans quel sens pencherait la fidélité des agents locaux ne lui semblait faire de doute.
19Le procédé était habile, car il s’agissait d’une accusation sans en être une, mais également parce qu’il mettait le doigt sur un phénomène qui préoccupait le Conseil des Indes (d’où la législation ad hoc), en en détaillant les mécanismes d’action. Ceux-ci étaient de plusieurs natures, comme la pratique des mariages doubles ou croisés par exemple (deux frères avec deux sœurs ; un frère et une sœur épousant une sœur et son frère28), ou celle, de manière plus générale, de constituer un marché matrimonial restreint, dans la mesure du possible, au cercle des détenteurs d’offices municipaux (regidor, alcalde), de justice locale ou dans les tribunaux supérieurs (audiencias), et à celui des encomenderos et des propriétaires de mines29. De fait, tous les individus de sexe masculin cités dans son mémoire tombaient dans l’une ou l’autre de ces catégories (généalogie 5, p. 000).
20Or, ce que dénonce Loyola en 1583 est loin d’être une exception, et du xvie au xviiie siècle, par-delà le changement de dynastie et les réformes de gouvernement, l’imbrication entre les parentèles et les charges de gouvernement et de judicature demeure une constante. Il ne pouvait pas en aller autrement : les institutions locales, les familles qui les peuplaient et le monarque se trouvaient dans une situation de dépendance réciproque et précaire, qui seule garantissait la survie de la monarchie30. Les élites locales étaient en effet les seules à contrôler le terrain et étaient, de ce fait, indispensables à la Couronne. À travers les charges dans la judicature, les corregimientos, les caciquats ou le gouvernement municipal, elles encadraient, de manière toujours précaire et négociée, l’ensemble des populations hispaniques et non hispaniques relevant du monarque. Celles-ci constituaient à leur tour le maillage premier de la monarchie à l’échelon local31. Seul ce dispositif par emboîtements permettait un gouvernement à distance de ses sujets, distance qui était une constante, où que se situent les centres de pouvoir (ville, audience, évêché, capitales vice-royales ou instances « impériales » telles que le Conseil des Indes). Cette architecture impliquait par conséquent une forte dépendance vis-à-vis des acteurs locaux, favorisant de la sorte, et selon les contextes, l’emprise plus ou moins accusée de certains groupes de pouvoir sur des ressources ou des territoires déterminés.
21Au xviie siècle, le cas des Larrea Zurbano, famille comptant de nombreux juristes et juges, est ainsi un bon exemple de la permanence, par-delà la période « fondationnelle » qui a suivi immédiatement la conquête, de cette articulation entre gouvernement impérial et mainmise sur les ressources territoriales par des factions, et ce notamment par le biais du « service à la Couronne ». Les offices pouvaient en effet contribuer à un profond enracinement par les possibilités de contrôle économique et politique à l’échelon local qu’ils autorisaient. Cette situation, à l’opposé de l’esprit des lois interdisant les alliances des magistrats avec des naturels, était pourtant nécessaire pour leur permettre de connaître et de contrôler les réseaux de pouvoir de la juridiction qu’ils étaient censés administrer.
II. — Quito, 1661 : service du roi et accumulation patrimoniale
22En 1661, le docteur en droit Juan de Larrea Zurbano envoyait au Conseil des Indes un écrit étalant les mérites de sa famille afin de prétendre à un avancement32. Au moment de la rédaction de cette relación, Juan de Larrea était avocat du tribunal de La Plata (Charcas) mais son argumentation cherchait à démontrer que tout le désignait à des postes plus élevés. Son père avait été corregidor de la ville minière de Castrovirreyna33 (Huancavelica, Pérou), et son grand-père paternel avait servi pendant plus de vingt-six ans comme trésorier royal à Huamanga (actuelle Ayacucho) et comme corregidor à Oropesa (Cuzco), où il avait épousé doña Ana de Avendaño, fille du premier oidor du tribunal de Lima34 (généalogie 6). La famille était donc bien implantée dans une vaste région (près de 500 kilomètres de routes séparaient Oropesa de Huamanga35) s’étendant sur les hautes terres andines du Sud du Pérou.
23Quatorze ans plus tard, cependant, Juan de Larrea, désormais oidor du tribunal de Santa Fe (Bogota), épousait Juana Pérez Manrique de Lara Cambero (ou Camberos) [sa cadette de plus de 30 ans !]. Juana, alors âgée de douze ans et originaire de Santa Fe, était la fille du premier marquis de Santiago, Dionisio Pérez Manrique de Lara, ancien président de la Nouvelle-Grenade entre 1654 et 1661. Ce mariage, qui contrevenait aux lois, valut alors à Juan de Larrea d’être placé « en dépôt » (en depósito) au tribunal de Quito, place à laquelle il n’accéda en tant que titulaire qu’en 168536. Ce « rappel à l’ordre » de la Couronne semble très modéré au regard des huit ans de suspension dont avait écopé son beau-père, Dionisio Pérez, condamné lui aussi, en 1636, alors qu’il était oidor de Lima, en raison de son mariage sans autorisation royale avec doña Teresa María de Ulloa Contreras37, dont la famille était influente à Lima38. La « relégation » (négociée ?) de Larrea en 1675 servit cependant à son ancrage durable dans les Andes équatoriennes.
24Juan de Larrea conserva en effet sa charge d’oidor à Quito jusqu’en 1692. Son fils, Juan Dionisio de Larrea Zurbano, né à Santa Fe de Bogota en 1676, prit la relève en 1711. Né dans une autre juridiction, il n’était donc pas naturel de Quito et put accéder sans encombre à cette charge que son père avait occupée pendant tant d’années. Le fait que sa femme — qu’il épousa avant d’être nommé oidor — ait été originaire de Riobamba (juridiction du tribunal de Quito, à près de 200 kilomètres au sud de la ville) ne semble pas avoir posé de problème majeur. Les attaches locales du juge ne pouvaient pourtant être plus denses ! Son fils, Francisco Javier de Larrea, remplit à son tour d’importantes fonctions localement (il fut corregidor de Riobamba, berceau de sa mère, de 1720 à 1727)39, tandis que son autre fils, le général Pedro Ignacio de Larrea épousa en 1730 la fille de Gaspar de Santa Coloma, ancien corregidor (en 1718 et en 1724) puis regidor perpétuel de Quito (à partir de 1744)40. Leur fille, María Rosa Rafaela de Larrea, épousa en 1751 le fils d’un ancien oidor de Grenade, don Juan Pío de Montúfar, créé marquis de Selva Alegre et désigné président du tribunal de Quito en 174741. Lorsqu’en 1797, le baron de Carondelet, nouvellement désigné en tant que président de l’Audiencia de Quito, fit appel à Juan Pío de Montúfar Larrea, 2e marquis de Selva Alegre et regidor de Quito, pour être son conseiller, il comptait probablement sur la culture familiale et les alliances puissantes de ce clan42. La manière dont les Larrea déployèrent leurs alliances familiales, construisant des cercles familiaux fermés mais géographiquement situés autour de la ville de Quito, constitue ainsi un clair exemple de cette dialectique entre service du roi, circulation des élites et cristallisation d’enclaves autonomes.
III. — Santiago, 1660 : « chacun dans son état pour ceux de sa propre sphère »
25Le rôle central assumé par les magistrats des audiencias dans la construction et la pérennisation de groupes de pouvoir dont la capacité d’action était le plus souvent limitée à l’échelle locale et régionale, apparaît encore nettement dans un document rédigé en 1657 par don Nicolás Polanco de Santillana, l’un des oidores de l’Audiencia de Santiago du Chili, à des milliers de kilomètres au sud de la ville de Quito.
26En 1655, un soulèvement général des Indiens du Sud du Chili rasa un très grand nombre d’estancias entre Osorno et Maule, riche zone agricole, massacra la garnison de Nacimiento43 et obligea à dépeupler la ville de San Bartolomé de Gamboa (Chillán). Ce bouleversement entraîna la perte de bien des fortunes, dont celle du maestre de campo don Francisco Núñez de Pineda y Bascuñán, habitant de Chillán et célèbre captif des insurgés44. Le gouverneur de l’époque, don Antonio de Acuña y Cabrera, accusé d’incompétence et de népotisme, dut faire face à la révolte d’abord des habitants de Concepción, qui le déposèrent et demandèrent la nomination d’un nouveau gouverneur, puis à la fronde des encomenderos de Santiago, qui refusèrent d’aller se battre dans le Sud, sous prétexte que cela aurait laissé leur ville sans défense. Le gouvernement municipal de Santiago, s’érigeant en représentant des intérêts de ce groupe, envoya alors un procureur à Lima, don Juan Rodolfo Lisperguer, pour expliquer au vice-roi la situation du reino. À son retour, l’oidor don Nicolás Polanco de Santillana dut tenter de s’imposer comme médiateur entre le gouverneur Acuña et le représentant de la ville. Ceci lui valut la haine du camp anti-Acuña et marqua pour lui le début de toute une série de déboires et de faux témoignages élevés à son encontre. C’est ce qui le pousse à adresser, en 1657, un mémoire au roi pour lui expliquer sa situation, mémoire qui dépeint in extenso l’image d’une contrée totalement soumise à l’emprise d’un clan : celui des Lisperguer-Irarrazabal, à la tête duquel se serait trouvé le fiscal de l’audiencia lui-même, don Alonso de Solórzano y Velasco45 (généalogie 7).
27Ce liménien était effectivement apparenté, par sa tante Florencia de Solórzano, à une bonne partie de l’oligarchie de Santiago au milieu du xviie siècle. Florencia était la veuve du riche encomendero de Santiago Pedro Lisperguer46, et la fille de l’ancien oidor du tribunal de Santiago, Pedro Álvarez de Solórzano47. L’un de ses enfants, Juan Rodolfo, héritier des encomiendas de son père en « 3e vie » et propriétaire terrien, avait épousé en 1644, en secondes noces, une fille de la famille Irarrazabal, doña Catalina, pour laquelle il avait perçu une dot de 34 000 pesos, somme considérable, à la hauteur de la richesse de cette famille48. Ce premier noyau Lisperguer-Solórzano s’était donc décuplé grâce aux mariages successifs de doña Florencia de Solórzano (elle s’était remariée vers 1630) et de son fils don Juan Rodolfo Lisperguer Solórzano. Les nièces de doña Florencia, doña Agueda et doña Catalina de los Ríos Lisperguer, complétaient ce tableau succinct de la parentèle du fiscal à Santiago : Agueda avait épousé en 1616 l’alcalde de corte du tribunal royal de Lima, Blas de Torres Altamirano, tandis que sa sœur, Catalina, avait convolé en 1626 avec un potentat de Santiago, Alonso de Campofrío. Les dots mirobolantes versées pour ces deux unions — 50 000 et 41 349 pesos respectivement — témoignent des moyens qui pouvaient être mobilisés par ces familles49. Bien qu’Agueda fut décédée à Lima bien avant cette dénonciation, son fils, Jerónimo de Altamirano, se trouvait à Santiago auprès de sa tante doña Catalina au moment où Nicolás Polanco de Santillana la rédigeait.
28Toute l’argumentation de l’oidor repose par conséquent — comme celle de Loyola soixante-quatorze ans plus tôt — sur le fait que le fiscal, par sa position privilégiée au sein de l’audiencia, se serait trouvé au centre d’un vaste réseau, construit par les mariages des enfants et des nièces de Florencia de Solórzano, comprenant les plus importantes familles de Santiago50. Selon lui, cette confédération de familles utilisait l’influence du fiscal afin d’obtenir toute sorte de bénéfices, attributions de postes, concessions d’encomiendas ou exemptions de service militaire dans la guerre contre les Indiens du Chili, etc. Dans les propres termes de Polanco,
toutes ces familles, ainsi que leurs dépendants, métis, enfants naturels et artisans à leur service, forment une foule impossible à décrire, et tous invoquent la protection suprême de leur plus haute autorité, et c’est ainsi qu’ils se mettent à son service et affirment haut et fort qu’ils ne connaissent d’autre honneur ; [leur dépendance à l’égard de] don Alonso n’en est que plus grande, car [à travers lui] ils deviennent tous fiscales : chacun dans son état pour ceux de sa propre sphère51.
29La proximité de l’argumentation des mémoires de Loyola et de Polanco, à tant d’années d’intervalle, suggère que les « dysfonctionnements » qu’ils dénoncent ne constituent pas une simple pérennisation de pratiques malhonnêtes, mais au contraire, qu’ils caractérisent, comme nous l’avons signalé, la structuration politique et spatiale de l’Empire. Prises au pied de la lettre, ces dénonciations semblent mettre l’accent sur le caractère central de la famille et de ses solidarités et mécanismes de reproduction, dans la construction et la cohésion même de l’Amérique espagnole. Pourtant, à observer les autres paramètres pointés dans ces documents, l’office et la spatialité (toutes les dénonciations font clairement état de réseaux situés et circonscrits à un territoire, fût-il vaste) semblent également jouer un rôle pivot.
IV. — L’Empire : une affaire de familles ?
Individu, réseaux
30Un retour sur le mémoire de 1583 doit en ce sens nous permettre de reconsidérer ces questions sous un angle différent. En effet, en analysant de plus près la trajectoire de Martín García de Loyola, si prompt à critiquer les dangers pour la monarchie des réseaux de familles, il est possible de constater que bien qu’il soit venu « seul » aux Indes52, il y disposait pourtant d’un vaste réseau d’influences qui, pour ne pas être familiales, n’en étaient pas moins déterminantes. La trajectoire américaine de Loyola est ainsi marquée par les relations — fluctuantes — qu’il entretenait avec les vice-rois qui ont successivement gouverné le Pérou jusqu’à sa mort, en 1598. De fait, ses périodes fastes et ses éclipses coïncident parfaitement avec la chronologie des vice-rois du Pérou de la fin du xvie siècle.
31Loyola était arrivé au Pérou comme capitaine de la garde du vice-roi Francisco de Toledo, en 1569. Celui-ci lui avait confié, ainsi qu’au général Martín Hurtado de Arbieto, la capture de Túpac Amaru, l’Inca de Vilcabamba, frère et successeur de Titu Kusi Yupanqui. « Héros » à Vilcabamba en 1572, puisque c’est lui qui s’était emparé de Túpac Amaru et du butin après une longue traque, Loyola fut récompensé par le vice-roi avec la rente de 1 500 pesos promise en cas de succès de sa mission. Toledo donna de plus à Loyola la main de doña Beatriz Clara Coya, nièce de Túpac Amaru, et fille de l’Inca Sayri Túpac, mort en 156153. Ce mariage, qui eut lieu dès 1572, démontre amplement la protection dont jouissait Martín de Loyola : les biens qu’apportait la princesse étaient estimés à près de 200 000 pesos54 et elle était en outre titulaire des encomiendas de la vallée de Yucay55, attribuées à son père quand il avait accepté de se faire baptiser56.
32En 1578, Loyola fut nommé corregidor de Potosí par le vice-roi Toledo, charge qu’il occupa jusqu’à la mort de ce dernier, en 1581. Pendant toute cette période, il forma une compagnie avec Carlos Corzo, résidant à Huancavelica où se trouvaient des mines de mercure, afin de pourvoir de ce métal indispensable les mines de Potosí. En effet, l’emploi d’une nouvelle technique d’amalgame utilisant le mercure57 rendit leur compagnie incontournable pour les exploitants du Cerro Rico. Ainsi, au même moment où le vice-roi Toledo organisait la mita, migration annuelle forcée de près de 13 000 travailleurs indiens, le nouveau procédé d’affinage permettant d’exploiter les minerais moins riches fut à l’origine d’un grand essor de la production, dont Loyola et Corzo engrangèrent les bénéfices58.
33Cette période faste s’arrêta avec l’arrivée d’un nouveau vice-roi, Martín Enríquez de Almansa (1581-1583). Celui-ci maintint des rapports distants avec l’ex-corregidor mineur, précisément à cause des trafics auxquels il s’était livré en profitant de sa charge, et plus particulièrement en raison du caractère public de son intéressement à la chose marchande. Cependant, l’avènement en 1586 de Fernando de Torres y Portugal, successeur d’Enríquez de Almansa, changea encore la donne, et sa nomination comme corregidor de Huancavelica cette même année peut être considérée comme un signe de son retour en faveur. Le vice-roi expliquait ouvertement que sa nomination répondait à ses qualités « nécessaires pour l’exploitation du mercure59 ».
34En d’autres termes, le fait de ne pas disposer de relations familiales locales n’a pas empêché Martín García de Loyola de profiter de ses relations politiques — et du soutien de la Compagnie de Jésus ? — pour user et abuser des charges obtenues, son attitude ayant été, de ce point de vue, la même qu’il entendait dénoncer chez le clan Ribera-Pacheco. Cette attitude de Loyola explique probablement la piètre opinion que se faisait de lui le nouveau vice-roi don García Hurtado de Mendoza, marquis de Cañete (1589-1596), lorsqu’il écrivait que la nomination de Loyola comme nouveau gouverneur du Chili, en 1591, était une mauvaise décision, car il considérait que celui-ci était « un grand marchand, mesquin et pas soldat du tout », ce qui, dans la bouche d’un aristocrate, était sans doute la pire marque de mépris60.
35Il est clair, par conséquent, qu’hormis les différences entre l’assise familiale ou clientélaire des cas de figure évoqués jusqu’ici, toutes ces relations répondaient à un même type de pratiques. Le cas de Martín García de Loyola montre que l’instrumentalisation de l’appareil administratif de la Couronne à des fins personnelles pouvait reposer sur des liens puissants et efficaces, ceux de l’amitié ou de la subordination, et que ces liens produisaient les mêmes effets que ceux attribués au népotisme familial classique.
36Il ne s’agit pas de nier l’importance des liens de famille comme support de relations d’entraide et de solidarité. Cependant, contrairement à ce que suggéraient Loyola ou Polanco, une parentèle ne constitue un véritable réseau que dans la mesure où elle permet la circulation et l’échange de biens et de services, de tout type de bénéfices matériels et non matériels, qui donnent tout son sens à la notion de groupe ou de réseau61. Sans ces échanges, la famille n’est qu’un réseau virtuel. Et même lorsqu’elles expriment une volonté collective, les relations de famille ne reposent pas forcément sur une logique solidaire, comme le prouve suffisamment le fait que bien des tactiques patrimoniales tendaient à favoriser certains segments de la parentèle au détriment d’autres… tout comme les inimitiés sanglantes que ces pratiques pouvaient entraîner62.
37De fait, en suivant la logique selon laquelle tout parent est un allié — celui qui est mis en avant par Loyola et par une bonne partie de l’histoire de la famille —, on peut se rendre compte que si Loyola avait poussé son raisonnement jusqu’au bout, et qu’il avait développé tous les liens de la famille Ribera-Pacheco qu’il dénonçait avec tant de force, il serait très rapidement arrivé… à lui-même ! En effet, sa cousine germaine, Lorenza de Loyola y Recalde, était également la cousine germaine de Lorenza de Zárate y Recalde (Lorenza était le prénom de leur grand-mère commune), appartenant à la même famille Zárate liée aux Ribera qu’il cherchait à attaquer. Ces Zárate cultivaient de plus le sentiment de la commune appartenance : c’est ainsi qu’une génération plus tard, en 1640, une Irarrazabal Zárate et une Zárate Ribera fondaient le couvent des récollettes augustines de Lima63.
38Les raisons de cette situation « circulaire » sont en réalité la conséquence de la structure même de l’espace impérial aux Indes : le façonnement du territoire par les Hispaniques a des effets en retour, l’espace imposant dès lors ses contraintes aux formes sociales qui s’y développent. Les familles et les réseaux clientélaires comme celui de Loyola avaient en commun le fait de reposer sur un nombre limité de possibilités de « prospérer », tout comme sur des effectifs hispaniques restreints en raison de l’atomisation des noyaux de peuplement urbain et de la difficulté des communications : les Espagnols aux Indes étaient une minorité, dominante certes, mais qui se comportait comme une minorité. L’éparpillement de nombre de parentèles et, corrélativement, leur intégration progressive au sein de groupes locaux qui les ancraient peu à peu dans des territoires spécifiques, à l’image des Larrea à Quito ou des Lisperguer à Santiago, doivent en ce sens être mis en parallèle avec les pratiques démographiques d’autres minorités, tiraillées entre l’affirmation du groupe et les problèmes de reproduction biologique et sociale que cela supposait. L’impératif d’unions entre personnes de « même qualité », les clivages d’origine régionale (Basques, Portugais, Andalous…) ou d’origine confessionnelle (vieux et nouveaux chrétiens) interdisent de considérer les « Espagnols », quels que soient les discours par ailleurs, comme un groupe homogène ou soudé. Ces critères, qui amenuisaient le nombre des alliances disponibles, expliquent en même temps le recours à des comportements endogamiques qui aboutissaient, en fonction du degré d’isolement des communautés, à l’enchevêtrement familial des individus ou des groupes tenant les lieux de pouvoir économique ou politique tant condamné par Loyola ou Polanco. Ces pratiques, que l’on retrouve largement dans le comportement des élites locales castillanes à la même époque, acquéraient une expression aiguë aux Indes, et ce malgré l’arrivée ininterrompue de migrants d’Europe.
39Dès lors, le constat de l’existence de liens de parenté au sein des patriciats urbains aux Indes n’a en soi aucune implication per se : c’est un état de fait. De ce point de vue, les cliques et fronts de familles, dénoncées comme la cause de transgressions et d’« abus », ne sont que le signe d’actions collectives et non leur explication. Ce qui unit les hommes, et peut les pousser à agir de concert, c’est le fait de partager des objectifs en commun, quel que soit le cadre de leur socialisation.
La fabrique familiale de l’Empire
40S’intéresser aux ressorts de l’action individuelle oblige de la sorte à intégrer à l’analyse les contingences, tout en désessentialisant la détermination familiale des comportements. Il ne s’agit pas de survaloriser la capacité d’action individuelle et de nier le social, mais au contraire de réintroduire les individus dans l’ensemble des relations sociales au sein desquelles ils étaient plongés, relations qui dépassaient largement les cadres de la « famille ». Toutes les instances de socialisation, quartier, paroisse, ville, métier, milice ou armée, autant que le statut et la qualité, concouraient ainsi dans la définition des répertoires des possibles qui s’ouvraient (ou non) à chacun en fonction de contextes souvent dynamiques. En ce sens, l’amitié, la confiance, le vécu commun sont des dimensions certes plus difficiles à documenter, mais qui expriment clairement l’idée d’action conjointe et/ou solidaire. Et si les affects et les associations électives sont difficiles à appréhender en raison de la rareté des documents exprimant des parcours à la première personne, c’est également parce que, alors même que l’on en trouve la trace, ces ressorts étaient volontiers évoqués au travers d’un langage imagé qu’il faut pouvoir lire entre les lignes. Ainsi, bien qu’en définitive ils aient résulté d’une convergence d’intérêts, ces liens tendaient fréquemment à être naturalisés à travers le langage de la nation et de la parenté.
41De la nation, tout d’abord, parce que très régulièrement, c’est à la commune appartenance à un groupe d’origine que l’on faisait référence. De telle sorte que si les dénonciations de népotisme touchaient les membres d’une même famille, elles touchaient également très couramment les membres d’une même « nation », qu’il s’agisse de Basques, de Portugais, de Vicuñas ou de Montañeses, dont le seul constat de la commune « appartenance » reconnue suffisait à faire sous-entendre la convergence d’intérêts et la collusion évidente contre tous ceux qui étaient exclus du groupe64. Cet argument, que nombre de travaux d’historiens ont repris au pied de la lettre sous le terme de « paisanaje », est d’autant plus invoqué que les contemporains y faisaient eux-mêmes référence comme critère donnant un sens à leurs actions.
42Dans le cas des Basques, par exemple, la langue partagée ou une anthroponymie spécifique étaient des puissants marqueurs d’appartenance, exploités par les uns et par les autres, tantôt comme recours, tantôt comme stigmate. Dans le récit de sa vie fait en 1625, la célèbre doña Catalina de Erauso, « la monja alférez » (la « nonne lieutenante »), montrait par exemple comment elle avait pu parcourir l’Espagne et l’Amérique en faisant toujours appel à des compatriotes du petit pays : sa description associait ainsi à chaque lieu visité les personnes qui l’avaient aidée, toujours des « Bizcaínos ». Telle qu’elle la présentait dans son opuscule, cette solidarité entre Basques dépassait largement le soutien pour s’établir — cas des marchands basques de Saña ou de Lima qui l’avaient placée dans leur boutique —, mais allait jusqu’à passer outre les lois. Arrêtée à Trujillo pour le meurtre d’un homme, elle raconte ainsi comment lorsqu’elle était conduite en prison par le corregidor don Ordoño de Aguirre lui-même, celui-ci, apprenant qu’elle était Basque, « [lui] dit en basque de se libérer dès qu’ils passeraient devant la cathédrale, et qu’[elle ] s’y réfugie65 ». Un épisode proche se serait encore reproduit à Concepción, où lors d’une rixe sanglante provoquée par des querelles de jeux, son capitaine serait intervenu en lui adressant en basque le conseil de s’enfuir.
43Cette idée de réseau préétabli de complicité appliqué aux Basques était également mobilisée par d’autres contemporains qui n’hésitaient pas à présenter l’origine commune comme preuve de collusion. En 1647, un ancien magistrat du tribunal royal de Santiago du Chili, don Pedro González de Güemez, accusait ainsi le procureur en place, le liménien don Antonio Fernández de Heredia — dont la femme, doña Domesia de Argárate, était « biscayenne », précisait-t-il — de se livrer à toutes sortes de trafics afin de parvenir à vendre à très bas prix (8 000 pesos, au lieu des 20 000 que d’autres candidats étaient prêts à payer) la charge d’alguacil mayor du tribunal de Santiago à Ascencio de Zabala, leur ami. Il aurait également fait vendre à un autre de ses amis, Antonio de Barambio, le poste d’alguacil mayor de la municipalité, titre purement honorifique mais qui donnait un siège au cabildo, afin que celui-ci puisse prendre part au vote de fin d’année et faire ainsi élire un alcalde et un échevin basques (Bernardo de Amasa et Miguel Ortiz de Elguea). Faut-il par ailleurs rappeler qu’au xviiie siècle, la question de la nation d’origine était à la base de l’alternativa (« l’alternance ») au consulat de Mexico entre Basques et Montagnards, les deux « groupes » qui tenaient le commerce de la ville66, tout comme elle fonctionnait dans les ordres religieux entre créoles et péninsulaires67 ?
44La nature argumentative de ces invocations à la nation, la mobilisation de ce champ sémantique en tant que recours discursif, doit cependant inviter à la plus grande circonspection. Car sans nier l’éventuelle connivence qui pouvait naître des origines partagées, on peut également remarquer que les relations qui, dans le cas de Catalina de Erauso, lui avaient permis de subvenir à ses besoins et de mener sa double vie de femme en habit d’homme, étaient certes des Vizcaínos, mais surtout des marchands ou des soldats. Pourtant, Catalina n’invoque jamais les compétences acquises dans le milieu du négoce, espace social avec ses règles et ses codes, ou dans le métier des armes — monde habituellement ouvert aux aventuriers et autres personnes sans attaches — comme argument expliquant les particularités de sa sociabilité et de son parcours. Dans son récit, par conséquent, le langage de la nation est celui qu’elle choisit pour signifier l’amitié, la camaraderie militaire et le patronage… mais jamais son contraire. Ainsi, tandis qu’elle met en avant la nation pour expliquer l’aide qu’elle avait reçue de marchands comme Juan de Urquiza à Saña ou Diego de Lasarte à Lima, ou la protection que lui avait prodiguée le capitaine — basque — de sa compagnie à Concepción, elle ne souffle mot sur le fait que l’homme qu’elle avait dépouillé à son arrivée aux Indes (à Punta de Araya, sur la côte de Terre-Ferme), ou que celui qui, mesquin, ne l’avait guère aidée à Panama, étaient également des Basques, tout comme elle omet de dire que l’ami dont elle avait été le témoin de duel à Concepción, ou bien ceux qui l’avaient soutenue à Potosí et à Rome, ne l’étaient pas. L’argument de la nation vient ainsi exprimer une relation de proximité dans les cas où l’amitié et la confiance étaient accordées à un individu qui se trouvait par ailleurs être d’origine basque.
45Dans le même ordre d’idée, si Pedro González de Güemez usait de l’argument de l’origine commune dans sa dénonciation, c’était parce que cela lui permettait de manifester, sans d’autre forme de preuve, « l’évidente collusion » entre Basques… en passant sous silence le fait que toutes les personnes impliquées dans sa dénonciation — apparemment infondée68 — étaient socialisées dans un milieu de marchands d’origine péninsulaire, basques et non basques.
46Il convient sans doute d’appliquer la même distance critique à l’argument de la parenté, tant invoquée dans les exemples auxquels nous avons fait référence, en l’envisageant comme un lexique pour désigner des acteurs collectifs ou, en tout état de cause, les formes d’association entre individus considérées par les acteurs comme les plus parfaites. La loyauté et la solidarité étant idéalement associées au lexique de la famille, c’est donc sans surprise que celui-ci était utilisé métaphoriquement pour donner la mesure des rapports interpersonnels et pour se référer aux relations interindividuelles les plus solides. On peut en ce sens remarquer que les contemporains pouvaient pousser la logique de ce raisonnement jusqu’au bout, en cherchant bien souvent à transformer des relations d’intérêt commun et/ou d’amitié en relations plus pérennes sous la forme de parentés spirituelles ou charnelles.
47L’exemple, certes exceptionnel, de Lucas Martínez Vegaso et d’Alonso Ruíz, habitants d’Arequipa dont la relation s’est bâtie sur l’expérience partagée de la conquête du Pérou, peut servir pour illustrer ce phénomène. Tel que l’exprimaient ces deux anciens camarades des premiers temps de la conquête dans un document passé devant notaire à Arequipa en 1540 :
[…] considérant que voici dix ans, peu ou prou, nous sommes venus dans ces provinces avec le marquis don Francisco Pizarro [et que] pendant toutes ces années nous avons été compagnons, marchant côte à côte dans toutes les épreuves que nous avons dû traverser dans cette terre et sa découverte, mangeant et buvant ensemble sous un même toit, sans différend ou désaccord d’aucune sorte, et ayant de même [mis] nos biens en commun, sans division ni partition, voulant l’un la même chose que l’autre, et l’autre la même chose que l’autre [sic] de telle sorte que nos deux volontés n’étaient qu’une [seule] comme il est de notoriété, sachant qu’une amitié si singulière et intime et [une telle] entente ne pouvaient pas être rétribuées de l’un à l’autre et de l’autre à l’autre [sic] mais, en l’occurrence, ensemble par le biais d’un mariage, nous nous sommes concertés pour que d’ici deux ans et demi, moi, ledit Alonso Ruíz, j’épouse la sœur de vous, ledit Lucas Martínez, qui se trouve à Trujillo en Espagne et qui s’appelle Isabel Martínez […] et si ladite Isabel Martínez venait à être décédée, je ferais le mariage en question avec María Martínez, sa sœur et la vôtre, pour qu’en aucune façon une fraternité et une amitié comme la nôtre ne puissent être rompues et séparées69.
48Bien que ce riche document appelle sans doute d’autres angles d’analyse, retenons pour l’instant l’importance accordée par les signataires au fait de parvenir à traduire en termes familiaux l’amitié et l’entente qui les liaient70.
49De ce point de vue, il serait possible d’envisager de la même manière les réactualisations des liens de parenté déjà existants, notamment par la superposition de parentés spirituelles à la parenté par la chair : il s’agirait dans ces cas d’affirmer, par ces liens réitérés, symboliquement et visiblement, l’engagement toujours actuel entre des individus. Dans le mémoire de l’oidor Polanco déjà évoqué, celui-ci insistait sur le fait que les membres des groupes qu’il dénonçait se « prêtaient de l’argent les uns les autres » et qu’ils étaient « les parrains les uns des autres », afin de manifester — renouveler ? — les liens qui les unissaient71.
50Il est dès lors possible de renverser la pratique habituelle, envisageant la famille comme l’aboutissement de réseaux d’amitié et d’intérêt partagé, et non comme leur base ou point de départ. La relation entre des individus ou des groupes précède par conséquent bien souvent sa formalisation ou son affirmation publique sous forme de liens de famille. Cette approche permet en même temps de considérer les configurations familiales comme autant de traces d’un processus préalable de cristallisation de l’univers relationnel de certains groupes d’Espagnols aux Indes. Cette cristallisation n’est ni définitive ni totale, mais permet de saisir, de documenter à un moment donné les convergences d’intérêts entre des individus. Elle serait en quelque sorte l’expression émergée de sociabilités locales, régionales ou impériales.
51On peut en ce sens concevoir toutes les instances administratives évoquées jusqu’ici comme autant de lieux de sociabilité, lieux où des individus établissaient des liens pouvant éventuellement déboucher sur une alliance formalisée par un mariage ou un parrainage, à l’instar de l’exemple de Lucas Martínez Vegaso et d’Alonso Ruíz. La magistrature ne fonctionnait pas autrement lorsque sa structure pouvait être mise au service de desseins particuliers : en 1616, lors du mariage de la vecina de Santiago du Chili, doña Agueda de los Ríos, avec l’alcalde de corte du tribunal royal de Lima, Blas de Torres Altamirano, celui-ci n’avait pas eu besoin de faire le déplacement jusqu’au Chili, car un oidor de l’Audiencia de Santiago, le même qui avait arrangé ce mariage à distance, l’avait représenté par procuration lors de la cérémonie nuptiale72.
52Le monde des affaires, à l’instar des cercles d’encomenderos ou de juristes aux xvie et xviie siècles, constituait également un lieu de sociabilité impériale par excellence. Les relations personnelles établies par Manuel Rodríguez Sáenz de Pedroso73 et Francisco Marcelo Pablo Fernández74, deux riches marchands riojanos affiliés à la faction basque du consulat de Mexico au milieu du xviiie siècle, rendent compte des mêmes mécanismes de construction de groupes à l’œuvre sur les hautes terres de Quito ou à Lima.
53Dans le cas des futurs comte de San Bartolomé de Xala (Rodríguez Sáenz) et marquis de Prado Alegre (Pablo Fernández), c’est sans doute le consulat de commerce qui a fonctionné comme lieu de pouvoir et donc comme pivot de construction de groupes. En effet, arrivé vers 1717, à l’âge de vingt ans, en Nouvelle-Espagne comme commis de Sebastián García de Arellano, un oncle marchand déjà établi sur place75, Manuel Rodríguez bénéficia de son soutien pour s’installer et apprendre le métier. Ce soutien s’exprima au premier chef par le mariage de Manuel avec la fille de son oncle, Juana García de Arellano, en 1722. Celle-ci lui apporta une dot de 8 000 pesos, mais également des biens fonciers : les haciendas Señor San José Gazabe et Cuautepec ; celles de La Limpia Concepción, de Quautengo et de Coamilpa à Otumba, outre celle de Calixto à Zempoala (Hidalgo), toutes dans la région des plaines d’Apan et ses alentours, épicentre de la culture de l’agave à pulque76. La dot de sa deuxième femme, Josefa Petronila de Soria Villarroel, qu’il épousa en 1732, lui permit d’agrandir considérablement son patrimoine foncier et l’incita à y planter à grande échelle des agaves destinés à la production et au commerce de pulque. La boisson étant extrêmement populaire, notamment parmi les couches les plus modestes de la population — et donc les plus nombreuses —, il s’assurait ainsi un énorme marché, en particulier dans les villes et les reales de minas. Il acheta alors des tavernes à Mexico et afferma, de 1742 à 1753, la rente du pulque77. Les profits considérables de cette activité lui permirent d’investir dans l’achat de biens importés de Chine et d’Europe — ses frères Francisco et Diego résidaient à Manille et à Séville respectivement —, marchandises qu’il distribuait ensuite en Nouvelle-Espagne78. Manuel Rodríguez, sans doute avec l’aide de son ami le vice-roi, acheta en 1749 le titre de comte de Xala79. Trois ans plus tard, alors que sa position prépondérante au sein des marchands de Mexico était incontestée, le mariage de son fils avec María Francisca Pablo Fernández scellait l’union avec un autre grand marchand de pulque du consulat de commerce de Mexico, Francisco Marcelo Pablo Fernández80.
54Grâce à l’union de leurs enfants, José Julián Rodríguez Sáenz et María Francisca Pablo Fernández, ces deux marchands de Mexico avaient ainsi fini par donner une expression « familiale » à leur relation commerciale — et amicale ? — fondée sur le contrôle de la distribution du pulque dans la région (généalogie 8). Un autre fils de Manuel Rodríguez s’était lui aussi marié dans le cercle des collègues de son père au consulat de commerce81, tandis que sa dernière sœur épousait, en 1752 également, Ildefonso Antonio Gómez Barcena, propriétaire d’hacienda à pulque, ancien membre du cabildo de Mexico et, surtout, secrétaire du vice-roi comte de Revilla Gigedo82, ami personnel de Manuel Rodríguez83.
55Peu à peu, les liens commerciaux modelaient les sociabilités de ces marchands qui cherchaient dès lors à s’unir en un « groupe » familial. Si l’ancrage local de ces hommes est ici fondamental — les palais du comte de San Bartolomé de Xala et du marquis de Prado Alegre marquent toujours le centre de Mexico —, les alliances de leur famille sur trois générations témoignent en même temps de l’imbrication spécifique de la ville de Mexico et de ses marchands dans le cadre général de l’Empire.
Notes de bas de page
1 Ruiz Ibáñez, Sabatini, 2009.
2 La profusion même de cette documentation a poussé tout un pan de l’historiographie américaniste à adopter pendant longtemps cette notion pour comprendre les dynamiques sociales d’Ancien Régime. Voir notamment Pietschmann, 1982 ; Poole, 1981. Pour une approche plus attentive aux équilibres et négociations socio-politiques révélés et couverts par le terme contemporain de « corruption », voir notamment Bertrand, 2011 et sa version remaniée, Id., 2013.
3 « El memorial del capitán », AGI, Lima, 126. Voir la transcription de ce document dans Morales, 1990.
4 « Título de gobernador », AGI, Charcas, 1, N.22.
5 « Sin aprovechamiento alguno » (« Memorial que presentó Martín García de Loyola », AGI, Charcas, 27, R.5, N.10, fo 1ro).
6 Pour donner du poids à son idée, il affirme qu’il s’agissait là d’une pratique courante chez les Portugais du Brésil : « El cual medio es muy general y acostumbrado en la contratación de los pueblos del Brasil » (ibid.).
7 Accusation portée cependant par Cristóbal Maldonado, qui imputait la légalité du mariage entre Loyola et doña Beatriz Clara Coya, princesse inca qu’il considérait sa femme. « Cristóbal Maldonado », AGI, Justicia, 1167, N.11, R.3.
8 « [La communauté était] mécontente de ses jugements arbitraires et de ses nombreux trafics, de telle sorte qu’il contrôlait à sa guise les volontés, y compris celle [des édiles] de la municipalité, et [même le tribunal de l’] audiencia ne faisait que ce qu’il voulait. » (« Descontenta con la poca justicia que administraba y muchas granjerías que tenía, que esto era de manera que tenía tan oprimidas las voluntades que aun los Cabildos no la tenían, ni el audiencia hacía más de lo que él quería. » Rapport cité par Medina, 1906, p. 611.)
9 « Visita de la Audiencia de Charcas », AGI, Escribanía de Cámara, 862.
10 « Para que vea Vmd. Las ocasiones y tropiezos que de su parte el resto del reino que no son [sic] sus parientes y parientes de parientes podremos tener » (Morales, 1990, p. 96).
11 Parfois écrit Sancho Díez Urbano. Sancho avait alors près de dix-huit ans. Il se remaria par la suite, en 1603, avec sa cousine issue de germain, doña Micaela Dávalos de Ribera.
12 « Deudos, criados y amigos » (Morales, 1990, p. 96).
13 « Poderosos y atrevidos » (ibid.).
14 Doña Leonor de Valenzuela réclamait les Indiens de Otavalo, de l’encomienda de son mari Rodrigo de Salazar à Quito, qui devaient retourner à la Couronne à la mort de celui-ci. Voir Ortiz de la Tabla Ducasse, 1993, p. 97 et « Leonor de Valenzuela », AGI, Escribanía de Cámara, 922 A.
15 Busto Duthurburu, 1984, p. 356.
16 Freundt Rosell, 1947, pp. 5-12.
17 Tellement importants qu’à la fin de sa vie, touché sans doute par la prédication des dominicains, Nicolás souhaite libérer sa conscience en fondant d’abord un hôpital pour les Indiens de Ica, puis en laissant un important legs — 14 000 pesos ! — aux Indiens de son encomienda, « par voie de restitution ». Voir Riva-Agüero, 1935 et Maldavsky, 2019.
18 Lucas Martínez Vegaso avait été pizarriste, et n’aurait eu la vie sauve que grâce à l’intervention de son ami Nicolás de Ribera, qui avait réussi à le disculper auprès du président Gasca. Son attitude pendant les guerres lui valut tout de même d’être déchu pendant de longues années de son encomienda à Arequipa. Il la récupéra cependant en 1557, et son mariage, en 1667, intervint dix jours avant sa mort, afin que sa veuve, la fille de Nicolás de Ribera, puisse hériter de son encomienda. Voir Roa y Ursúa, 1945, no 172, pp. 31-32 ; Lockhart, 1972, pp. 300-305.
19 D’abord oidor de Lima, Santillana fut par la suite promu président du tribunal de Quito (1563-1568). Veuf, il s’ordonna prêtre et fut désigné évêque de La Plata en 1573, au moment où le mariage en question était en train d’être conclu. Une autre fille de Santillana, doña Leonor, avait épousé Juan de Barrios, conquistador et encomendero (1 300 tributaires !) de la haute vallée de Ica (Hanan Ica). L’ensemble de la vallée (Hanan et Hurin Ica) était ainsi entre les mains du même groupe de parenté. Voir Medina, 1906 ; Piel, 1975, vol. 1, chap. ii ; Alarcón Costta, 2000.
20 Francisco de Irarrazabal et son fils Francisco de Irarrazabal Zárate avaient fait fortune grâce à des encomiendas et à des affaires à la licéité très douteuse. Voir Zuñiga, 2002, p. 310 ; Lambert-Gorges, 1985.
21 Pour la reconstruction de liens généalogiques entre les différentes branches de la famille Zárate, voir « Pruebas para la concesión », AHN, OM-Caballeros Santiago, exp. 6059 ; Melendez, Tesoros verdaderos de las Yndias, vol. 3, fo 94 ; Gómez Nadal, 1934.
22 Confirmation de la vara de regidor pour Gaspar Freyle de Andrade, achetée 2 000 pesos (« Expediente de confirmación », AGI, Quito, 36, N.34). Juan Freyle de Andrade en achète une autre pour 1 500 pesos en 1614 (AGI, Quito, 36, N.70) et Melchor Freyle de Andrade en achète une de la ville d’Ibarra, qui venait d’être fondée par l’époux de sa cousine germaine (?) Mariana Freyle de Andrade, sept ans plus tôt, pour 500 pesos, en 1613 (AGI, Quito, 36, N.64).
23 « Carta de Gaspar Freire de Andrade », AGI, Quito, 27, N.16. Fray Salvador de Ribera avait été élevé à la tête du diocèse de Quito en 1606.
24 Zurbano a été corregidor de Quito de 1607 à 1613. Voir « Carta de Diego de Armenteros », AGI, Quito, 9, R.11, N.81 ; « Carta de Juan Sánchez de Jerez Bohorquez », AGI, Quito, 27, N.18 ; « Carta de Lázaro Fonte Freire de Andrade », AGI, Quito, 27, N.19. La réponse royale va dans le sens des plaignants, le roi ordonnant même aux membres du tribunal royal de Quito de dépayser don Sancho Zurbano en 1610… (« Real cédula », AGI, Quito, 209, L.1, fos 207vo-208ro.) Cela reste sans effet jusqu’en 1613, au lendemain de la mort de l’évêque.
25 Riva-Agüero, 1968 ; Busto Duthurburu, 1984.
26 « Señor. Por las razones que en este memorial se refieren a Vuestra Magestad parece cosa muy conueniente al seruicio de Dios nuestro señor, y al de V.M. y al bien del Reyno del Peru perpetuar los Repartimientos, y Encomiendas que en el ay » (Ribera, Discurso del Pe, fos 86ro-89vo). Quelques années plus tard, en 1619, le licenciado Juan Ortiz de Cervantes, procurador general des encomenderos du Pérou, était à son tour venu porter à Madrid un autre memorial dans le même but. Voir Riva-Agüero, 1968, chap. v, p. 194.
27 Juan Dávalos de Ribera, chevalier de l’ordre de Calatrava en 1597, dénonce le 29 mai 1607 l’hostilité ouverte que montrait au cabildo de Lima (dont il avait été membre en 1600 et le serait à nouveau en 1609) le licenciado Luis Merlo de la Fuente, alcalde del crimen de la Audiencia de Lima. Le magistrat se vengerait ainsi d’un affront que la municipalité aurait infligé à l’un de ses protégés. Dans la lettre, Ribera souligne les inconvénients que présentaient les vastes liens de famille que le magistrat avait en ville. AGI, Lima, 138, cité par Lohmann Villena, 1983, vol. 2, p. 109.
28 Cas du neveu et de la nièce de Juan Dávalos de Ribera, qui épousent une sœur et un frère.
29 Pedro Ortiz de Zárate est le fils de l’un des oidores fondateurs de la Real Audiencia de Lima, et est lui-même regidor perpetuo du cabildo de Lima (1553) et encomendero de Pisco et Condor (ce qui rapporte une rente de 2 000 pesos) ; Inés et Leonor de Santillán sont les deux filles d’Hernando de Santillán, oidor de l’Audiencia de Lima entre 1550 et 1563. Le mari d’Inés, Juan Dávalos de Ribera, est lui-même regidor perpetuo de Lima (à partir de 1569), encomendero de Hurin et Ica (avec un revenu de 2 000 pesos) et jouissant de surcroît d’une rente additionnelle de 1 000 pesos octroyée par la Couronne. Enfin, la sœur de Juan Dávalos de Ribera est la veuve de Lucas Martínez Vegaso, riche encomendero et entrepreneur de Tarapaca, décédé en 1567. Voir Lockhart, 1972, p. 302.
30 Dedieu, Moutoukias, 1998, pp. 23-30.
31 Sur ces questions, voir notamment Zuñiga, 2013, « Introduction », pp. 1-10 et Barriera, 2013a, pp. 81-102.
32 « Información de méritos », AGI, Indiferente, 121, N.122. Sur les « Probanzas de méritos y servicios » (et notamment sur le caractère héréditaire des « mérites et services » rendus à la Couronne), voir McLeod, 1998.
33 « Nombramiento de Alonso Ruíz de Bustillo », AGI, Contratación, 5793, L.1, fos 357vo-359vo.
34 « Información de méritos », AGI, Indiferente, 121, N.122.
35 Treize relais de poste sur près de 83 lieues (ca 462 km) séparaient en effet, en 1773, Oropesa de Huamanga, selon l’itinéraire du Lazarillo de ciegos caminantes de Concolorcorvo.
36 La pratique du depósito était relativement rare (autour d’une dizaine de dépôts en trois siècles, si l’on en croit Barrientos Grandon), mais on y avait recours dans ce genre d’affaires : en 1651, l’oidor de Charcas, Pedro de Azaña Solís y Palacio, était condamné à être mis en depósito au tribunal de Santiago du Chili car il avait marié l’un de ses enfants dans la juridiction de son tribunal sans avoir obtenu d’autorisation royale au préalable. Voir Barrientos Grandon, 2000a, p. 18.
37 Teresa était la fille de l’ancien alcalde ordinario (1614 et 1625) de Lima, don Antonio de Ulloa Contreras, natif de La Plata, où sa famille possédait une encomienda. Il était le petit-fils de Rodrigo de Contreras, ancien gouverneur du Nicaragua, branche à travers laquelle il était apparenté aux Ondegardo de La Plata également. La mère de don Antonio était par ailleurs « deuda » de l’ancien vice-roi du Pérou, le marquis de Cañete. Voir Contreras y López de Ayala, 1920, pp. 187-189.
38 Barrientos Grandon, 2000a.
39 Jurado Noboa, 1986, p. 52.
40 « Título de corregidor », AGI, Contratación, 5796, L.2, fos 90-93 (désignation, 1718) ; « Expediente de información », AGI, Contratación, 5470, N.1, R.57 (licence pour se rendre aux Indes, 1719). Pour le titre de corregidor en 1724, voir Moreno Cebrián, Sala i Vila, 2004, p. 284. Pour la charge de regidor perpétuel, voir Jurado Noboa, 1986, p. 63.
41 Alcedo, Diccionario geográfico-histórico, t. IV, p. 387 ; Aranzaes, 1915 ; Arboleda, 1910.
42 Le 2e marquis de Selva Alegre épouse par ailleurs sa cousine Josefa Teresa de Larrea.
43 Amunátegui Solar, 1937, pp. 259-263.
44 Célèbre pour son œuvre Cautiverio felis del Mo de campo general Dn Franco Nuñes de Pineda, y rason individual de las guerras dilatadas del Reyno de Chille, cet ancien soldat était le représentant de la vision du monde de certains groupes de propriétaires terriens face à ce qu’ils percevaient comme le danger des juristes et autres nouvelles couches dont l’ascension était fondée sur le service royal. Le déclassement qu’il dénonce avec véhémence dans son livre de 1673 a dû largement s’alimenter de la destruction de ces propriétés lors de la révolte de 1655. Sur Pineda et Bascuñan, voir Zuñiga, 2011, pp. 43-57.
45 Auteur d’un « Discvrso legal e información en derecho en favor de los nacidos », Séville, 24 août 1652. Voir Medina (éd.), Biblioteca hispano-chilena (1523-1817), t. I, p. 485 et exemplaire à la British Library, DRT Digital Store 1324.i.13.(3.).
46 Riche encomendero (il jouissait du travail des Indiens de Talagante, Cauquenes, Putagán ainsi que de l’encomienda de Puelches). Il fut alcalde de Santiago (1620, 1625) et corregidor de la ville en 1622. Il mourut en 1626.
47 Le mariage de Pedro et Florencia eut lieu un an après l’installation du nouvel oidor à Santiago ! Ce mariage provoqua la suspension du magistrat, qui fut rappelé en Espagne. Alors qu’il s’y rendait, il rencontra à Portobelo le vice-roi du Pérou, prince d’Esquilache, qui lui restitua sa place. Voir Medina, 1906.
48 À l’époque, les dots habituelles des familles cossues oscillaient entre 6 000 et 9 000 pesos. Voir Zuñiga, 2002. Pour le montant de la dot, voir Góngora, 1970, p. 150.
49 Vicuña Mackenna, 1877, pp. 92, 99 et 261.
50 Sont citées à tour de rôle, outre celles déjà évoquées, les familles Torre Machado, Gómez de Silva, Calderón, et surtout les familles Troncoso, Santibañez, Jufré, Chumacero et Chaparro, dont plusieurs filles avaient reçu des contributions pécuniaires de Catalina de los Ríos comme aide pour leur dot. Voir la généalogie 7, pp. 000.
51 « Imposible de referir que todos acuden como a su principal amparo a la cabeza y potestad, y asi sirven y fomentan y publican como quienes no reconocen otro honor y con el Sr don Alonso mas, porque se hallan todos fiscales cada uno en su estado para los de su esphera. » (« Resumen breve », AGI, Chile, 13, R.3, N.12, fos non numérotés.)
52 En réalité, il est venu avec un neveu et jouit de la présence d’autres membres de sa famille dans la région. Enfin, son patronyme le met d’emblée sous la protection de la Compagnie de Jésus.
53 Cette union, réalisée sous l’égide de la Compagnie de Jésus, est représentée deux fois par la suite vers 1680, dans des tableaux au contenu politique évident. Ils sont conservés dans l’église de la Compagnie de Jésus à Cuzco. Voir García Saiz, 2002b.
54 Medina, 1906, pp. 610-611.
55 L’obtention des rentes issues du travail de ces tributaires ne fut pas sans problèmes, et elle ne les reçut qu’après un long litige. Voir « Ana María de Loyola y Coya », AGI, Escribanía de Cámara, 503 A.
56 Sur Sayri Túpac, voir Villanueva Urteaga, 1970 ; Wachtel, 1971, pp. 173 sqq. ; Cook, 1981, pp. 211-221 ; Molinié Fioravanti, 1982, pp. 31 et 118 ; Duviols, 2008, p. 139.
57 Voir Vila Vilar, 1992.
58 Tandeter, 1997, pp. 18-19.
59 « Muy necesarias para el beneficio de los azogues » (cité par Mateos, 1956, p. 160).
60 « Por ser gran mercader, muy misero y no soldado » (« Carta del marqués de Cañete al secretario Juan de Ybarra dando explicaciones sobre ciertos actos de su gobierno », Lima, 28 avril 1592, dans Gobernantes del Perú, t. XII, p. 246).
61 Voir notamment Dedieu, Moutoukias, 1998.
62 Sur ces questions, voir Zuñiga, 2003.
63 Le monastère du Prado à Lima, fondé par doña Francisca de Zárate Ribera et doña Angela Irarrazabal Zárate. Voir Retamal Favereau, Celis Atria, Muñoz Correa, 1992. Le culte au prestigieux nom Zárate était par ailleurs à la base de la fondation, en 1575, par Juan Ortiz de Zárate, de la ciudad Zaratina sur le San Salvador (sur l’actuel territoire uruguayen), où il souhaitait que résident sa fille et son neveu. Voir le testament de Juan Ortiz de Zárate, dans Garmendia, 1916, pp. 52-65.
64 Sur les émeutes contre le Basques de Potosí au xviie siècle, voir Crespo, 1969 ; Mendoza, 1954 ; Kintana Goiriena, 2002.
65 « A este tiempo llegó el corregidor, don Ordoño de Aguirre, con dos ministros, y echome mano. […] Llevándome el propio corregidor a la cárcel, que los ministros se ocupaban de los otros, íbame preguntando quién era y de dónde, y oído que vizcaíno, me dijo en vascuence que al pasar por la iglesia mayor le soltase la pretina, por donde me llevaba asido, y me acogiese. » (Voir Erauso, Historia de la monja alférez, pp. 21-22.)
66 Voir les ouvrages classiques de Brading, 1971 et de Israel, 1975, ainsi que Hausberger, Ibarra (éd.), 2003 et Velasco Mendizábal, 2011.
67 Lavallé, inédite.
68 L’accusation portée au sujet de la nomination du capitaine Antonio de Barambio comme alguacil mayor semble être un cas de manipulation, car il avait en principe obtenu ce poste en 1640 comme dot lors de son mariage avec doña Magdalena del Campo, fille de l’ancien titulaire du poste, le riche marchand originaire de Burgos, Alonso del Campo Lantadilla.
69 « […] por quanto a diez años poco más o menos tiempo que pasamos a estas Provincias con el Señor Marqués don Francisco Pizarro en todos los cuales avemos sido compañeros andando juntos en todos los trabajos que emos pasado en esta tierra e descubrimiento della comiendo e bebiendo en una casa juntos sin diferencia e contradicion alguna e teniendo asi mismo nuestra hazienda junta sin división ni partición queriendo el uno lo que el otro y el otro lo que el otro por manera que entre ambas voluntades era una como es notorio sabiendo que una amistad tan una e mesma e conforme no se podía pagar del uno al otro y del otro al otro sino juntamente para el caso por via de casamiento platicamos entre nosotros que de ha de dos años y medio yo el dicho Alonso Ruíz me despose y case con la hermana de vos el dicho Lucas Martínez que esta e los Reynos de España en la ciudad de Trujillo que se dice Isabel Martínez […] y si por caso la dicha Isabel Martínez fuera muerta cumpliré y efectuare el dicho casamiento con María Martínez su hermana y hermana de vos el dicho Lucas Martínez porque en ninguna manera se pueda partir y apartar la hermandad y amistad que entre nosotros ay e ha avido. » (Documentos para la historia de Arequipa, t. I, pp. 84-86.)
70 En 1567, ce même Lucas Martínez Vegaso épousait, dix jours avant sa mort, la fille de son vieil ami Nicolás de Ribera, la laissant ainsi comme héritière de ses biens et encomiendas. Voir ci-dessus.
71 « Se prestan, se fian se juntan y son unos de otros compadres y hacen un cuerpo y familia » (« Resumen breve », AGI, Chile, 13, R.3, N.12).
72 Près de dix ans plus tôt, en 1609, une autre famille de l’élite de Santiago, les Bravo de Saravia avait eu recours à la même méthode afin que leur fille épouse Juan Jiménez de Montalvo, oidor de Lima. L’oidor Luis Merlo de la Fuente avait alors représenté l’époux à Santiago. Voir Zuñiga, 2002, p. 319.
73 Manuel Rodríguez Sáenz de Pedroso (1697-1772), consul (1739) et prior (1759) du consulado de commerce de Mexico, créé comte de San Bartolomé de Xala en 1750 (« Conde de San Bartolomé de Jala », AGI, Títulos de Castilla, 8, R.8).
74 Francisco Marcelo Pablo Fernández (1703-1773), prior du consulat de commerce de Mexico en 1750 et capitaine de la milice du commerce de Mexico (« Relación de méritos », AGI, Indiferente, 158, N.10), créé marquis de Prado Alegre en 1772 (« Título de marqués de Prado Alegre », AGI, Títulos de Castilla, 7, R.16).
75 Membre du consulat de commerce de Mexico, où il figure avec ses deux fils, Juan et Sebastián, parmi les marchands se cotisant pour l’emprunt royal. Voir Ibarra, Valle Pavón (éd.), 2007, p. 119.
76 Voir Velasco Mendizábal, 2011, p. 143 ; Payno, Memoria sobre el maguey mexicano, pp. 50-52.
77 Velasco Mendizábal, 2011, p. 144.
78 Dès les années 1740, il possédait par ailleurs le quasi-monopole du cacao vénézuélien à destination de la Nouvelle-Espagne, et vendait la cochenille de la région de Oaxaca aux manufactures textiles novohispanas et espagnoles. Voir Tutino, 2018, p. 47.
79 Velasco Mendizábal, 2014, p. 770.
80 Prior du consulat de commerce en 1750 — c’était la plus haute charge de cette corporation —, Pablo Fernández fut créé marquis de Prado Alegre en 1772. Voir « Título de marqués de Prado Alegre », AGI, Títulos de Castilla, 7, R.16 ; Borchart de Moreno, 1977.
81 Antonio Rodríguez Sáenz de Pedroso y Soria Villarroel épouse en 1761 Gertrudis Ignacia de la Cotera y Rivascacho, sœur d’un autre commerçant du consulat, José Mariano de la Cotera y Rivascacho ; Velasco Mendizábal, 2011, p. 133 ; Borchart de Moreno, 1977, pp. 158-159.
82 Ami personnel du comte de Xala, le vice-roi avait reçu le titre de comte la même année que Manuel Rodríguez Sáenz de Pedroso.
83 Tutino, 2018, pp. 47-51.
Le texte seul est utilisable sous licence Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les archevêques de Mayence et la présence espagnole dans le Saint-Empire
(xvie-xviie siècle)
Étienne Bourdeu
2016
Hibera in terra miles
Les armées romaines et la conquête de l'Hispanie sous la république (218-45 av. J.-C.)
François Cadiou
2008
Au nom du roi
Pratique diplomatique et pouvoir durant le règne de Jacques II d'Aragon (1291-1327)
Stéphane Péquignot
2009
Le spectre du jacobinisme
L'expérience constitutionnelle française et le premier libéralisme espagnol
Jean-Baptiste Busaall
2012
Imperator Hispaniae
Les idéologies impériales dans le royaume de León (ixe-xiie siècles)
Hélène Sirantoine
2013
Société minière et monde métis
Le centre-nord de la Nouvelle Espagne au xviiie siècle
Soizic Croguennec
2015