Immigration féminine et domesticité à Turin
Relations sociales et parcours individuels (xviiie-xixe siècle)
p. 177-196
Texte intégral
Modèles de domesticités classiques et nouveaux
1La domesticité — et son lien avec les phénomènes de migration — est sans doute l’un des sujets les plus traités parmi les études d’histoire de la famille et d’histoire du travail dans les différents contextes de l’Europe préindustrielle. Les études de Peter Laslett et du groupe de Cambridge à partir des années 1970 ont ouvert la voie à cet axe de recherche important et fécond. D’après leurs travaux l’entrée dans le service était un événement lié à une phase spécifique du cycle de vie des individus, en particulier l’adolescence des garçons et des filles, et destinée à s’achever avec le mariage, célébré quelques années avant la trentaine1. En effet, le service marquait le début de la vie indépendante ; il permettait aux jeunes de réaliser des économies et les poussait à reporter l’âge des noces, constituant ainsi l’un des traits fondamentaux du modèle de mariage de l’Europe du Nord-Ouest (European marriage pattern).
2En Italie, le débat historiographique sur ce thème a démarré à la fin des années 1980. Ainsi, en 1988, le volume thématique de la revue Quaderni Storici intitulé « Servi e serve » permit aux historien(ne)s italien(ne)s de connaître les travaux classiques de l’Europe anglophone et germanophone, mais il offrit aussi un premier regard sur les phénomènes du service en Italie. À partir de cette date, les études portant sur les domestiques furent nombreuses et alternèrent une approche strictement démographique avec une autre plus attentive aux stratégies et à la reconstruction des parcours biographiques ainsi qu’aux modèles culturels qui les sous-tendaient. Ces dernières années, le modèle du life-cycle servanthood décrit par Peter Laslett a subi de nombreuses critiques et des études récentes en ont nuancé la diffusion y compris dans l’Europe du Nord-Ouest, c’est-à-dire au sein-même de l’environnement socio-économique d’élaboration des thèses laslettiennes2. En Italie, les recherches des années 1990 et 2000 consacrées à la domesticité ont montré l’importance d’un modèle de service urbain dont les traits différaient nettement du modèle proposé par Peter Laslett. Selon ces études, à partir du xvie siècle les domestiques étaient surtout concentrés dans les villes où ils servaient les familles nobles et les élites. Ils s’agissaient en grande majorité de célibataires, âgé(e)s de 30 ans et plus, qui avaient fait du service un métier pour la vie. Pour ces hommes et ces femmes, le service domestique n’était pas une expérience transitoire propre à la jeunesse, mais bien plutôt un choix de vie qui se fondait sur la fidélité et la stabilité auprès d’un maître3.
3Dans ce paysage historiographique désormais fourni, aucune recherche spécifique n’existe, à ma connaissance, sur la ville de Turin à l’époque moderne. Toutefois, comme on le verra en détail, les métiers de service étaient un des secteurs économiques parmi les plus importants de la ville, et, selon un trait bien connu dans la littérature sur le sujet, ils attiraient surtout la main-d’œuvre féminine immigrée. Pour cette raison, la présente étude interrogera explicitement le lien entre domesticité et immigration du point de vue féminin. S’agissait-il d’une activité liée à des phases spécifiques du cycle de vie, ou s’agissait-il plutôt d’un métier destiné à durer toute la vie ?4 Autre interrogation : les métiers de service pouvaient-ils devenir un canal de mobilité sociale et/ou professionnelle des migrantes ou conduisaient-ils plutôt à des formes de ségrégation ? Il s’agit de questions cruciales dans la mesure où leurs réponses permettent d’analyser les projets migratoires des femmes, leurs choix et leurs attentes, mais aussi le développement de leurs parcours professionnels et sociaux dans le nouveau milieu d’installation, des sujets qui jusqu’à présent n’ont pas reçu suffisamment d’attention de la part des chercheurs.
4Dans un célèbre article de 1968, deux sociologues avaient placé les métiers de service parmi les « bridging occupations », c’est-à-dire les activités qui, à l’image des ponts, permettaient aux individus de passer d’une condition professionnelle à une autre, d’un métier à l’autre5. Certaines recherches ont montré que, dans le passé comme au sein des migrations internationales contemporaines, les domestiques avaient et continuent d’avoir de grands risques d’entamer un parcours de chute sociale ; pour d’autres études en revanche, ces activités professionnelles ouvraient et ouvrent toujours la voie à des mariages « vers le haut »6. Surtout, il apparaît désormais clair qu’aujourd’hui comme hier les métiers de service forment « un pont » non seulement entre univers professionnels distincts, mais aussi entre cultures différentes7.
5Quelle était la situation à Turin ? Une longue tradition historiographique a mis en valeur les migrations saisonnières et l’existence de chaînes migratoires d’individus venant de la même communauté locale à l’époque préindustrielle8. Selon cette vision, les individus se déplaçaient et s’installaient en ville à l’aide de circuits gérés par des « compatriotes » arrivés précédemment ou à la suite d’amis ou de membres de la parenté9. Les chaînes migratoires fonctionnaient comme des canaux de communication : pour les nouveaux arrivants, la connaissance du milieu urbain était donc filtrée, au moins dans un premier temps, par ces liens communautaires, et cela finissait souvent par conditionner les relations sociales futures, les parcours professionnels et même le choix du conjoint. Cependant des travaux récents ont montré le caractère partiel de ce modèle, dès lors que, de fait, les migrants avaient les moyens de mettre en place des trajectoires individuelles dégagées des conditionnements communautaires et extérieures aux réseaux structurés par les compatriotes10. En outre, comme il a été suggéré par des études récentes issues de l’historiographie italienne, pour saisir ces dynamiques « alternatives », il faut déplacer le regard sur les relations sociales construites dans l’espace urbain par les nouveaux arrivés11. Cela constitue bel et bien le but ultime de cet article qui vise à interroger la nature des liens construits en ville par les migrants, notamment les femmes, occupés dans les métiers de service. Une telle approche est par ailleurs possible uniquement via la reconstruction biographique et le suivi longitudinal des parcours des individus, une méthode à laquelle j’aurai recours dans les pages qui suivent.
6Mon étude adoptera la démarche suivante : dans un premier temps, je chercherai à cerner le poids des métiers de service dans l’ensemble de la population turinoise entre 1750 et 1858 ; puis je m’attacherai à la reconstitution des parcours d’immigration et d’installation en ville des femmes — domestiques et migrantes — ainsi qu’à la reconstruction de leurs réseaux relationnels ; cela permettra enfin de passer au crible plusieurs stéréotypes liés aux métiers de service.
Domestiques et immigration à Turin : xviiie et xixe siècles
7Le xviiie siècle marqua pour Turin un moment de forte croissance démographique : la ville passa de 58 000 habitants environ en 1750 à plus de 76 000 dans les années 1790. Turin était désormais le siège de la cour royale, des structures administratives et bureaucratiques du royaume, et enfin des hiérarchies militaires et ecclésiastiques. Tout cela contribua au développement d’un marché du travail qui avait ses piliers principaux dans les métiers de l’artisanat et du service. Sur le premier plan, la politique économique, fortement marquée par les principes du colbertisme, apportait un appui considérable à la production de la soie brute, l’organzino, renommée et exportée dans toute l’Europe, et soutenait dans une moindre mesure les activités de tissage et de vente de tissus et de dentelles. Dans le même temps, la « culture des apparences » rendait indispensable l’apport d’un artisanat de luxe pour décorer et embellir les corps et les demeures. Pour le second aspect, domestiques, gouvernantes, blanchisseuses et repasseuses, cuisiniers-ères, palefreniers, cochers, porteurs et portefaix de différents rangs pullulaient non seulement à la cour, mais aussi auprès des maisons des aristocrates et des riches marchands-banquiers de la soie ; en outre, nombreux étaient les individus employés comme serviteurs ou servantes dans les auberges, les tavernes et les cafés de la ville12. Selon les statistiques de la population turinoise réalisées annuellement par la municipalité, durant la période 1750-1848, les seuls domestiques (hommes et femmes ensemble) travaillant en maison (servi di casa) oscillaient entre 9 et 12 % de la population totale installée dans le périmètre de la ville, et les femmes y étaient majoritaires13.
8Ces pourcentages, qui augmentent encore si on prend en compte les domestiques employés dans les hôpitaux, les couvents et les institutions de charité, sont proches de ceux enregistrés dans d’autres villes italiennes et européennes : dans certaines paroisses romaines du xviiie siècle, par exemple, les domestiques représentaient 10 % de la totalité des habitants14 ; dans quatre paroisses des faubourgs de Pise entre 1656 et 1740, ils comptaient pour 9,5 %15, tandis qu’à Florence en 1810 ils atteignaient 14 % de la population totale16. Autres exemples, en 1695, domestiques et serviteurs constituaient 8,1 % de la population d’Aix-en-Provence et 10,3 % de celle de Toulouse, tandis qu’en 1784 ils représentaient 13,2 % des habitants de Dijon17.
9Un lien étroit existait entre métiers de service et immigration ; la domesticité constituait un des secteurs attractifs pour les individus venus à Turin pour gagner leur vie. La présence d’un centre économique et politique de premier rang avait engendré un marché du travail particulièrement porteur en termes d’opportunités d’emplois. Tout au long du xviiie siècle, d’importants flux migratoires alimentèrent la ville depuis les montagnes et les campagnes environnantes, celles du Piémont en premier lieu et, dans une moindre mesure, de la Ligurie, de la Savoie, des vallées suisses et de l’État de Milan. La population immigrée — c’est-à-dire les individus nés en dehors de Turin — constituait un réservoir de main-d’œuvre essentiel à la croissance urbaine. Selon les processicoli matrimoniali de la paroisse de Santi Processo et Martiniano entre 1760 et 1791, 62,7 % des époux et 44,5 % des épouses n’étaient pas né(e)s en ville18. La domination napoléonienne amplifia la crise économique et sociale qui avait débuté à la fin du xviiie siècle et marqua un arrêt important pour la croissance économique et démographique de la ville, mais sa population resta pour une grande partie le résultat de flux migratoires d’importance. Selon le recensement de la population de 1802, à l’époque napoléonienne, la population descendit à 60 000 unités, mais on comptait encore environ 60 % des hommes âgés de 26 à 60 ans qui étaient nés hors de la ville, et il en était de même pour plus de 40 % de la population féminine entre 15 et 40 ans. La fin de la période napoléonienne constitua pour la ville un moment de restauration économique et sociale, et le début d’un nouveau cycle de croissance, surtout durant les années 1820. En 1828-1829, les habitants de la ville dépassèrent 91 000 unités. À la veille de l’unification italienne, dans un scénario économique et social transformé, les immigré(e)s restaient une composante cruciale de la croissance. D’après le recensement de 1858, on comptait en ville plus de 100 000 habitants et c’était surtout les migrations féminines qui s’étaient accru de façon spectaculaire : dans les quartiers centraux, 67 % de la population masculine et 63 % de la population féminine étaient nées en dehors de la ville19.
10Durant la première partie du xixe siècle, comme au xviiie siècle, la majorité des migrants s’orienta soit vers l’artisanat, soit vers l’ensemble des métiers de service. Surtout, les recensements témoignent d’un lien étroit, pour les femmes comme pour les hommes, entre domesticité et migrations20. En 1802, parmi les immigrés déclarant un métier, plus de 49 % des femmes et plus de 16 % des hommes gagnaient leur vie comme domestiques. En 1858, dans un contexte socio-économique qui avait changé, les personnes employées dans ce même secteur représentaient 32 % de l’ensemble des femmes et 8,5 % des hommes immigrés21. Dans les deux cas, toutefois, il s’agit de chiffres minimaux car il faudrait prendre en compte d’autres services manuels (blanchisseuses et repasseuses, cochers, palefreniers, portefaix) dans lesquels les immigrés étaient tout aussi nombreux.
11Les données révèlent aussi un autre phénomène, largement observé ailleurs en Europe : la présence importante des « femmes » employées dans la domesticité. Selon certaines études, ce phénomène en Italie n’explosa qu’au xixe siècle, mais des signaux clairs existaient déjà à Turin à partir de la seconde moitié du xviiie siècle. Ce phénomène a été décrit comme le résultat d’un processus de prolétarisation des métiers de la domesticité, d’une baisse de leur rentabilité économique et d’une perte du prestige social qui leur était attaché, ce qui conduisit à une ouverture en masse de ce secteur aux femmes, ces dernières étant disposées à se placer dans les activités moins rémunérées que les hommes refusaient22. Or, c’est justement la présence importante des femmes migrantes dans les métiers de service qui nous encourage à mieux saisir les caractéristiques de leurs trajectoires d’émigration, bref, à étudier de plus près un sujet difficile à traiter à cause du silence des sources, c’est-à-dire la place des réseaux sociaux des femmes dans leur parcours d’installation en ville.
12Pourquoi les immigrées se dirigeaient-elles vers les métiers de la domesticité ? En premier lieu, en se proposant comme servantes, les immigrées, surtout celles qui arrivaient seules, trouvaient plus facilement de quoi se loger. Selon Andreina Clementi, les femmes qui arrivèrent aux États-Unis à l’époque des grandes migrations transatlantiques sans pouvoir compter sur l’aide d’un réseau parental, furent obligées de satisfaire rapidement les besoins les plus élémentaires. Le service domestique était donc une réponse immédiate au problème du travail mais aussi à celui du logement, un constat qui était déjà valable plus d’un siècle auparavant23.
13En second lieu, les métiers de la domesticité regroupaient un ensemble de tâches à la portée de toutes, puisque celles-ci constituaient un prolongement des activités et des savoir-faire que les filles avaient appris de leurs mères. Ces connaissances et compétences étaient perçues comme « naturelles » pour les femmes, considérées comme étant avant tout des épouses et mères. Même les orphelines ou les filles internées dans les nombreuses institutions de charité de l’époque n’échappaient pas à ce modèle social. L’éducation visait à leur inculquer les rudiments du ménage, de la cuisine, du soin des malades, de la confection et de la reprise des vêtements, en un mot des savoirs indispensables dans l’optique d’un mariage ou d’un séjour définitif dans l’institution. Cela explique pourquoi, à l’Ospedale di Carità, par exemple, les filles alternaient le travail artisanal — travaux de broderie, filature, tissage, couture et reprise des vêtements — et l’accomplissement de tâches ménagères. Le règlement pour les congrégations de charité établissait explicitement que les filles devaient à tour de rôle s’occuper des tâches ménagères pour s’y entraîner : « ranger une chambre, faire le lit, la cuisine, les linges, le pain, la couture et toute autre chose que les servantes et les mères de famille doivent savoir pour le service de la maison »24. Il y avait donc un lien culturel très fort entre la mère et la servante, les deux ayant pour but d’assurer l’entretien et les soins du ménage et des proches25.
14En réalité, bien qu’extrêmement répandu parmi les immigrées, le service domestique avait été parfois considéré comme un métier capable de mettre en danger l’honnêteté sexuelle de la fille et donc l’honneur de toute sa famille, dont la femme était porteuse. Pour cette raison, en Toscane, à la Renaissance, et encore dans l’Italie méridionale des xviie et xviiie siècles ce métier était à éviter pour les filles « honnêtes », et en conséquence il formait l’apanage des couches sociales les plus démunies. Mais cette prescription culturelle ne semble pas avoir pesé sur les immigrées turinoises qui, lors de la rédaction de l’acte de dotation devant le notaire, déclaraient sans honte ni hésitation leur profession. Ainsi, Francesca Varetta, originaire de Pavarolo, rappela que 60 lire de sa dot (d’une valeur totale de 250 lire) avaient été gagnées grâce à ses salaires de servante auprès de l’Opera del Deposito delle Convertite (une institution de charité féminine)26 où elle avait travaillé pendant un an, tandis qu’Anna Maria Blanc, originaire de la Savoie — une des régions les plus concernées par la migration des domestiques vers Turin —, expliqua que sa dot et son trousseau étaient le fruit des salaires reçus comme servante27.
Un métier polyvalent
15Essayons maintenant de mieux cerner la nature des métiers de service exercés par les femmes. D’après les thèses bien connues de Laslett, le service était amplement diffusé dans l’Europe rurale du Nord-Ouest et il était typique d’une phase spécifique de la vie, la jeunesse. Ainsi, les jeunes partaient au service pour faire des économies et, par ce biais, se préparer au mariage et à la vie adulte. Quelle était la situation pour Turin ? Peut-on considérer qu’y existait aussi le life-cycle servanthood ? Les sources turinoises révèlent la polyvalence de la domesticité, les multiples situations présentes et un contexte dans lequel les femmes choisissaient de travailler au service. Tout d’abord, il est clair que l’installation en ville n’était pas l’objectif de toutes les migrantes : nombre d’entre elles étaient servantes pour une partie de l’année seulement et rentraient régulièrement dans leur communauté d’origine. D’autres quittaient le métier une fois la dot constituée et opéraient un retour définitif dans leur lieu de départ. Pour d’autres encore, en revanche, le milieu de travail et/ou le voisinage étaient des lieux de socialisation cruciaux pour l’installation définitive dans le tissu social urbain. Leurs trajectoires sociales et professionnelles feront l’objet des paragraphes suivants. Mais à ce stade de notre analyse, ce qu’il convient de noter, c’est la grande variété d’usage et de modalité d’exercice qui caractérisait les pratiques de la domesticité à Turin. Considérons par exemple l’âge des domestiques immigrées présentes dans les recensements de 1802 et de 1858 (tableau 1). Dans les deux cas, les pourcentages signalent que ce métier était largement pratiqué bien au-delà de la jeunesse28.
Tableau 1. — Âges des servantes immigrées dans deux recensements de la population turinoise au xixe siècle (en %)
Tranches d’âge | 1802(intégral) | 1858(1/3 de la population) |
10-30 ans | 36,4 | 51,2 |
31-60 ans | 56,5 | 44,1 |
Plus de 60 ans | 7,0 | 4,7 |
Total | 100,0 | 100,0 |
Sources : Archivio Storico della Città di Torino (ASCT), Censimento della popolazione 1802 ; Censimento della popolazione 1858.
16Ces données confortent en outre ce qui a été déjà observé par d’autres études : en Italie, la domesticité n’était pas l’occupation exclusive des jeunes gens, bien qu’elle fût aussi importante parmi les filles de moins de 30 ans. C’était très souvent un choix de vie ou une stratégie, temporaire ou définitive, d’individus adultes. Le taux considérable de célibataires dans les tranches d’âges au-dessus de trente ans enregistrés dans les deux recensements (48,5 % en 1802 et 57 % environ en 1858), ainsi que le fait qu’au début du siècle, l’âge moyen du mariage des servantes était de 28 ans environ29 et que les filles plus âgées étaient probablement destinées à le rester pour toute leur vie, tout ceci confirme la prégnance d’un modèle italien de domesticité, fondé sur l’exercice du métier à vie30. Un constat qui est renforcé aussi par le fait qu’une très grande majorité des servantes (âgées de plus de 30 ans) vivaient sous le même toit que leur maître ou maîtresse31. Il est clair, donc, que pour celles-ci la domesticité n’était pas un état transitoire, mais un choix de vie.
17Toutefois, au-delà de ce modèle dominant, il serait réducteur d’ignorer la proportion conséquente de domestiques adultes mariées ou veuves, qui oscille autour de 20 % dans les deux recensements considérés (tableau 2).
Tableau 2. — Statut marital des servantes immigrées ayant 30 ans ou plus dans deux recensements de la population turinoise au xixe siècle (en %)
Statut marital | 1802(intégral) | 1858(1/3 de la population) |
Célibataires | 48,5 | 57,4 |
Mariées | 16,6 | 21,0 |
Veuves | 23,5 | 21,4 |
Sans indication | 11,4 | 0,1 |
Séparées | 0,0 | 0,1 |
Total | 100,0 | 100,0 |
Sources : ASCT, Censimento della popolazione 1802 ; Censimento della popolazione 1858.
18Dans ces pourcentages, on compte sans doute les servantes qui avaient réussi à se marier en poursuivant leur métier, mais il y avait certainement d’autres femmes qui rentraient dans la domesticité temporairement, en fonction des nécessités, pour échapper au chômage et en adoptant des stratégies de survie. Ainsi, en 1792, Margherita Mollina, femme de Francesco Pinsolio, interrogée par les officiers du Vicariato de Turin, déclara être tisserande en velours mais « à cause du manque de travail occupée comme servante »32. De même, un mois plus tard, Glodine, veuve de Lorenzo Renaldi, originaire de Pontarlier en Franche-Comté, expliqua avoir abandonné sa ville depuis 14 ans, après son veuvage, pour se rendre à Turin où elle trouva à s’employer comme femme de ménage auprès des particuliers ; elle raccommodait aussi chemises et chaussettes et allait jusqu’à assurer des soins à domicile aux malades33. Ainsi, dans les déclarations des femmes qui postulaient à une aide auprès de l’Ospedale di Carità, beaucoup décrivaient leurs occupations comme un mélange d’activités féminines, exercées simultanément ou par intermittence. On a par exemple le cas d’une épouse ex-servante devenue ensuite revendeuse de légumes, celui d’une femme, jadis cuisinière et devenue faiseuse de bas, ou encore ceux d’une mère de trois enfants qui cousait et travaillait comme domestique, et d’une autre encore qui servait et confectionnait des pantalons pour l’armée34. Il convient aussi de noter que très souvent les sources sont laconiques et ne permettent pas de savoir en quoi consistaient exactement ces activités domestiques. Par ailleurs, il est très probable que les pourcentages de femmes mariées employées dans les services domestiques issus des recensements sous-estiment leur présence réelle dans le métier. Comme je l’ai expliqué ailleurs, les recensements et les statistiques de la période préindustrielle sous-évaluaient largement le travail des épouses, a fortiori si de telles activités étaient exercées de manière occasionnelle, ou dans des conjonctures spécifiques, comme c’était le cas pour les métiers de service35.
19En somme, ces données montrent dans l’ensemble qu’à Turin — comme ailleurs en Italie — les métiers de la domesticité étaient une réalité polyvalente. Leur exercice variait non seulement selon les choix et les projets de vie des individus, mais aussi selon les nécessités et les stratégies de survie, au point que, comme l’a écrit Angiolina Arru, pour le cas italien « il est probablement plus correct de souligner la coexistence de plusieurs marchés du travail, souvent radicalement séparés, dans une même ville »36. D’autre part, ces observations conduisent à formuler une remarque d’ordre plus général : puisque le modèle du life-cycle servanthood se référait explicitement au monde rural, il serait utile de questionner la pertinence d’un tel modèle pour d’autres contextes urbains européens que celui de l’Italie, en interrogeant à nouveaux frais les données disponibles et en prenant en compte plus attentivement les variables de l’âge et du statut marital des domestiques.
Domesticité et parcours d’installation : une approche relationnelle
20Depuis une vingtaine d’années, les études portant sur la mobilité des sociétés d’Ancien Régime ont connu un grand essor. En Italie, le débat s’est renouvelé grâce à des publications qui, consacrées aux migrations italiennes, invitaient les historiens à prendre en juste compte la nature des relations sociales construites par les immigré(e)s dans leur milieu d’installation. Il s’agit d’une démarche innovante qui, dans le sillon des études d’anthropologie sociale, encourage les chercheurs à penser les parcours d’immigration en termes de réseaux sociaux pour les affranchir de tout déterminisme communautaire. C’est donc en faisant référence à cette proposition méthodologique que je voudrais m’intéresser dans les pages qui suivent aux parcours des femmes qui migrèrent en ville en qualité de domestiques, dans le but de comprendre la nature des relations sociales bâties par les filles dans leur nouveau milieu et les conséquences de cela sur leur vie sociale et leurs parcours professionnels. Si, comme on l’a rappelé plus en haut, une partie des servantes repartait après avoir rassemblé la dot pour le mariage, d’autres néanmoins restaient en ville et tentaient de s’y installer de manière définitive. Or, il est clair que le milieu de travail et le voisinage étaient des lieux de socialisation cruciaux : les jeunes y nouaient des liens, choisissaient les amitiés et même leur conjoint. L’analyse de réseaux, outil emprunté à l’anthropologie britannique, a constitué un tournant historiographique essentiel. L’étude de Philip Mayer est de ce point de vue très représentative de ce type d’approche, dans sa manière d’analyser deux modèles opposés d’installation de populations migrantes à East London, en Afrique du Sud : celui des « Red », de langue Xhosa, et celui des « Scholars », originaires des campagnes environnantes37. Les deux groupes construisaient de façon antinomique leur rapport à la ville : les « Red » fréquentaient les compatriotes et conservaient des relations avec leurs parents restés à la campagne, limitant voire rejetant tout contact et lien avec leur milieu d’accueil, au point d’être définis par Philip Mayer comme « encapsulés » dans leur réseau communautaire. À l’inverse, les « Scholars » travaillaient à élargir et diversifier leur réseau, multipliaient les efforts pour s’intégrer dans la réalité urbaine et privilégiaient la création de nouveaux liens.
21À Turin, les tranches de vie de servantes immigrées que j’ai pu reconstruire par croisement de sources diverses — les actes de mariages, les processicoli matrimoniali, les enregistrements de la population par la municipalité et les actes notariés — permettent de nuancer et d’enrichir le modèle « à deux pôles » élaboré par Philip Mayer. Comme on le verra en effet, les liens sociaux établis par les domestiques s’inscrivaient dans des configurations relationnelles très différentes, plus ou moins ouvertes vis-à-vis de certaines autres réalités socio-professionnelles. Ainsi, par exemple, pour une bonne partie des servantes, les contacts et les échanges avec les métiers de l’artisanat étaient très fréquents. En outre, les relations sociales dont ces femmes immigrées s’entouraient, se développaient à la fois d’une manière horizontale, à travers le mariage et l’intégration du réseau des alliés, mais aussi d’une façon verticale, en tissant et nourrissant des rapports de confiance avec les maîtres et les maîtresses au service desquels elles étaient employées.
Mariage et liens familiaux
22Les actes de mariage civil rédigés pendant la période napoléonienne (1803-1814)38 permettent de connaître l’origine géographique et la profession des époux au moment du mariage et donc d’évaluer, quoique d’une manière indicative, le taux d’endogamie professionnelle. Or, selon ces actes, 40 % environ des servantes immigrées épousèrent un artisan ou un ouvrier, un autre 40 % prirent pour conjoint un homme employé lui aussi dans un des nombreux métiers de service, 10 % environ un commerçant ou un négociant, et 2,5 % un soldat (tableau 3).
Tableau 3. — Secteurs d’activité des époux des servantes immigrées à Turin selon les actes de mariage civil de la période napoléonienne (1803-1814)
Secteurs d’activité | N. | % |
Agriculture | 9 | 3,2 |
Artisanat/Manufacture | 112 | 39,7 |
Commerce | 28 | 9,9 |
Services manuels | 113 | 40,1 |
Services non manuels | 6 | 2,1 |
Armée | 7 | 2,5 |
Ouvrier sans qualification | 1 | 0,4 |
Autres conditions (rentiers, malades, etc.) | 5 | 1,8 |
Sans indication | 1 | 0,4 |
Total | 282 | 100,0 |
Source : Base de données MANAP.
23Les servantes n’étaient donc pas destinées a priori à rester enfermées dans le milieu de la domesticité ; au contraire, elles cherchaient et tissaient des liens sociaux dans d’autres milieux socio-économiques, avec lesquels leur métier les avait mis en contact. En d’autres termes, le métier n’était pas toujours une « cage », mais plutôt un point de départ pour nouer des liens avec d’autres milieux sociaux. Cela signifie que, même si les marges de manœuvre étaient étroites, les servantes avaient des espaces de choix. Maddalena Musso, née à Montechiaro, avait été servante avant d’épouser en 1766 Tommaso Possi, maître menuisier. La même année, Maria Caterina Sorasso, originaire de Villafranca et auparavant serveuse à Turin, se maria avec Giuseppe Longo, fabricant de pâtes39. En 1760, Giacinta Maynassa, native de la ville d’Albe, épousa un ouvrier en draps et déclara avoir gagné sa vie lorsqu’elle était célibataire comme cuisinière auprès de familles turinoises40. On peut constater en effet une certaine porosité entre des secteurs souvent considérés comme séparés : les espaces professionnels et sociaux étaient alors fluides, et les échanges et les croisements entre métiers souvent possibles. En 1778, Anna Perdichisu, originaire de la Sicile, veuve et servante, prit pour mari un sergent du régiment d’artillerie, et en 1789 Maria Domenica Anselmetti, blanchisseuse originaire de Bonnevalle (Maurienne), s’unit à Gio Maurizio Blanc, sculpteur, né à Turin de parents originaires de Bonnevalle. Plus tard, en 1810, Maria Caterina Girodo, âgée de 30 et depuis longtemps installée à Turin comme servante, devint la femme de Francesco Carlevaris, cordonnier turinois. En 1813, Maria Angela Tessiore, 27 ans, depuis trois années en ville comme cuisinière (mais originaire de Germagnano, un village des vallées de Lanzo), épousa Gio Angelo Cabiati, natif de la ville d’Alexandrie, perruquier41. Quelles étaient les conséquences de ces mariages pour les trajectoires professionnelles féminines ? Malheureusement, les sources sont très avares d’informations à cet égard, mais il convient de noter que l’engagement à temps plein de l’épouse dans l’atelier familial était une situation commune. Les femmes des artisans ou des commerçants suffisamment munis pour avoir une boutique à leur propre compte abandonnaient le service pour suivre leur mari dans l’atelier ou le magasin42. Cela fut vraisemblablement le parcours de Maria Margherita Mussa, une native du village de Piossasco qui expliqua que toute sa dot était le résultat de son travail de servante à Turin, où elle avait vécu par ses propres moyens et « sans aucune aide de la part de son père »43. Celle-ci prit pour époux en 1763 Gio Andrea Cerutti, originaire de Sommariva del Bosco, maître boulanger à la tête d’une boutique qui, en 1792, employait neuf personnes comme ouvriers ou apprentis44. Nous n’avons pas d’informations spécifiques pour Maria Margherita mais l’extension de la boutique familiale suggère qu’elle soit devenue l’assistante de son mari dans la boulangerie. Dans le cas d’un mari journalier/ouvrier ou commis, c’était peut-être grâce au mariage — et surtout grâce au paiement de la dot qui en découlait — que les membres du couple pouvaient se permettre d’abandonner leurs occupations respectives pour s’engager dans une activité artisanale ou commerciale indépendante45. Dans ce contexte, il est évident que la domesticité formait bien un « métier de passage », lié à une phase particulière du cycle de vie mais destiné à être abandonné lorsque d’autres possibilités se présentaient ; des possibilités qui, suscitées par les contacts entre les différents milieux professionnels, dépendaient pour une bonne partie de l’esprit d’initiative de la fille et de sa capacité à saisir les occasions.
24Il n’en reste pas moins que, pour beaucoup d’autres femmes, le choix du conjoint se faisait à l’intérieur du milieu de la domesticité ou, d’une façon plus large, au sein du vaste secteur des services manuels. Laura Sodera, par exemple, originaire de Valfenera et servante à Turin, se maria en 1774 avec Gio Giuseppe Biorra, porteur de vin46. Quelques années plus tard, en 1806, Elisabetta Moschetti, 34 ans, de Caraglio, depuis peu en ville, épousa Giuseppe Ghioto, de Moncallier (près de Turin), qui exerçait la profession de cocher, tandis qu’en 1812 Maria Francesca Dorvé, cuisinière, venue de Villarbasse, devint la femme de Carlo Riccardi, voiturier originaire de Fossano47.
25Mais surtout, la reconstruction du réseau des témoins présentés par les époux dans les processicoli matrimoniali ou lors du mariage devant le maire, à l’époque napoléonienne, montre la fréquence des entrecroisements de milieux différents. Certes, il s’agit de réseaux tout à fait partiels, susceptibles de présenter certaines limites : la participation d’individus occasionnels ou de témoins « de métier », par exemple, sollicités par les fonctionnaires ou le curé pour satisfaire les conditions de la loi, est une variable qu’il faut prendre en compte48. Néanmoins, avec la prudence nécessaire, ces informations offrent un aperçu précieux sur les relations sociales des couches moyennes et basses de la société. Or, une telle analyse confirme la fréquence des contacts et des échanges sociaux qui avaient lieu entre secteurs et métiers différents. En 1762, par exemple, Antonia Maria Brich, servante originaire de Luserna, dans la vallée de Pignerol, et installée en ville depuis cinq ans, eut recours au témoignage d’un boulanger et de deux revendeurs de produits alimentaires tandis que son mari, Guglielmo Rosso, mobilisa comme témoins un serviteur et un porteur, tous deux au service du marquis Desso, chez qui, selon toutes vraisemblances, lui-même était employé49. De son côté, la blanchisseuse Maria Domenica Anselmetti, que nous avons évoquée précédemment, se maria avec un sculpteur, mais l’oncle de celui-ci était domestique à Turin. En 1810, un couple d’immigrés, Rosa Maria Tomasio, cuisinière, et Michele Viano, cordonnier, requirent l’intervention d’un tisserand, d’un cordonnier, d’un perruquier et d’un cuisinier ; enfin, dernier exemple, en 1814 Maria Gastaldo, originaire de Sommariva del Bosco, et son mari Giacomo Montà, de Bra, respectivement servante et maître tailleur en ville, eurent pour témoins de mariage un cuisinier, un maître d’hôtel et un fondeur. Ces liens sociaux et ces mariages s’expliquent évidemment par la « proximité » des métiers50 et par le partage de ressources matérielles et relationnelles, comme par exemple une commune clientèle aisée, demandeuse des services des domestiques autant que du travail qualifié des tailleurs, perruquiers, cordonniers, etc. Il s’agissait donc de mondes qui se croisaient et se superposaient via les familles aisées et les clients. L’ouverture relationnelle offerte par la domesticité est visible également lorsque l’on compare le métier des parents et celui des enfants : ainsi, Stefano et Francesca Mousset, originaires de Chambéry, domestiques au palais du prince de Carignan, avaient trois enfants dont l’aîné âgé de 20 ans était « ajutante alla frutteria », et le cadet de 17 ans, « orfèvre »51. De même, l’épisode qui impliqua Gioanni et Margherita Bonino, respectivement palefrenier au service du roi et servante dans la maison du comte Scarampi di Camino, montre l’étendue des relations sociales de ce couple de domestiques, qui allaient bien au-delà des classifications professionnelles. En 1786, les époux demandèrent l’aliénation de la dot de Margherita (500 livres), dans le but d’aider leur enfant, formé au métier de fabricant de bas, et de lui acheter un métier à tisser et d’autres outils professionnels. Dans la documentation produite pour finaliser l’aliénation, on voit se déployer tout un réseau social riche et diversifié. En effet, le couple soutint tout d’abord sa demande avec l’aide de deux collègues (un « cocher du marquis de Laconi » et un « porteur du comte de Camino »), qui furent appelés à confirmer la situation de nécessité ; ensuite, une fois la dot récupérée, il paya 420 livres au négociant en bas Pietro Golla pour un métier à tisser, et 79 livres environ à Luigi Alessio, armurier, pour des outils52. Autrement dit, le couple avait été capable d’activer des liens sociaux dans plusieurs secteurs économiques : il avait réussi à placer son enfant en apprentissage, en dehors du milieu de la domesticité, et ensuite, à lui fournir les instruments nécessaires à son travail. En outre, les deux parents estimaient leur enfant capable de s’insérer avec succès dans un réseau de fournisseurs et de clients — probablement constitué par les mêmes individus qui avaient recours à leur services — afin de poursuivre son activité.
Relations verticales : patronage et proximité au pouvoir
26Les réseaux sociaux de domestiques se développaient aussi selon l’axe des liens verticaux. Les relations de patronage qui s’instauraient entre les aristocrates et leurs serviteurs ainsi que la proximité au pouvoir, à la cour royale et aux « grâces du roi » créaient des flux d’avantages et de bénéfices dont les domestiques de tout rang pouvaient largement profiter. Au-delà de leurs salaires, les servantes tiraient avantage de primes, de pourboires, ou de cadeaux venant des maîtresses ; souvent elles pouvaient récupérer des linges et vêtements usagés, démodés, que leurs maîtresses ne voulaient plus porter. Ainsi, Angela Vacchino se constitua une dot de 750 livres, dont la majorité — 600 livres — avait été gagnée par elle-même grâce à ses « salaires et cadeaux » reçus en qualité de servante (creada) à Turin, auprès de Madame Rignone53. Les femmes employées à la cour royale jouissaient des dons, pensions et autres avantages matériels. Si l’on s’en tient aux rangs inférieurs de ce milieu extrêmement hiérarchisé — rappelons qu’à l’exemple de la cour de Versailles, le service auprès du roi était aussi à Turin un honneur prisé par la noblesse —54 on rappellera que Francesca Moda, responsable de la garde-robe de la princesse de Piémont, bénéficiait d’un salaire annuel de 400 livres55, tandis que sa sœur Teresa, couturière de la reine en touchait 500 et Marta Ponzo, chargée du raccommodage et du blanchissage des dentelles, 18056. À ce niveau, il ne s’agissait pas que de places occupées à titre symbolique et cérémoniel : ces femmes assuraient un ensemble de tâches, prenaient des décisions, surveillaient le bon déroulement du travail. Selon une instruction envoyée à Caterina Resca, nommée lingère de maison de la marquise d’Ivrée en mai 1798, cette domestique était obligée de « blanchir et repasser toute la lingerie […] et notamment […] les coiffes, […] les housses et les manches garnies de dentelles sans défaire ces linges »; en outre elle était chargée de « repasser les garnitures […] mais aussi raccommoder tout le linge, soit les draps, les taies d’oreiller […] les coiffes, chemises, serviettes, chaussettes et autres ». Caterina devait aussi veiller à ce que les linges ne soient pas déchirés pendant le blanchissage, ou brûlés ou tachés pendant le repassage ; finalement, c’était à elle de choisir et de faire confectionner de nouveaux linges, tabliers, dentelles, en accord avec le trésorier de la maison de la marquise57. Parfois, ces domestiques accumulaient les tâches et donc les salaires : Gioanna Gaudina, née dans le canton suisse de Berne, arriva à Turin dans son enfance, à la suite de son père. Elle devint blanchisseuse des princes et princesses en 1725, et, en 1734, renforça sa position par son mariage avec Michele Griffone, « valet à pié » du roi — mariage à l’occasion duquel elle obtînt en outre 800 livres à titre de dot de la part de la reine58. Gioanna servit la cour pendant plus de cinquante ans en tant que blanchisseuse, et, à partir de 1758, aussi comme « gardienne du linge » de la famille royale. Au sommet de sa carrière, elle disposait d’un salaire annuel de 1 800 livres venant de charges accumulées au fil des années, et pouvait compter sur l’aide de trois filles, qui travaillaient sous sa direction ; en outre, elle bénéficiait d’un appartement dans le palais royal et d’une fourniture de bois pour le chauffage. Son intégration dans ce milieu fut totale au point que, de manière significative, elle demanda dans son testament à être enterrée dans la chapelle royale « en raison de son service »59.
27La position avantageuse de ces femmes avait des retombées importantes pour l’ensemble de leur ménage et de leur réseau parental, car elles étaient capables de mobiliser des ressources au profit de leurs enfants, maris, nièces et neveux. Claudia Pogliano, par exemple, réclama la charge de lingère pour rejoindre ses deux sœurs déjà employées, tandis que Lucia Ferrero sollicita cette même tâche pour l’accomplir avec l’aide « de ses deux nièces […] déjà expertes dans de tels travaux »60. En février 1787, Claudia Regis, « gardienne du linge de table » à la cour royale depuis 33 ans, mit en avant son âge avancé et la lourdeur de ses nombreuses tâches pour demander au roi que sa fille Gioanna Maria, qui depuis deux ans l’avait assistée, puisse être reçue dans le même emploi : le roi lui accorda une augmentation de salaire de 150 livres pour « payer le travail de sa fille ». De son côté, en avril 1788, Maria Pracina, aide-blanchisseuse, demanda un subside en argent « afin de secourir son mari, infirme, et ses trois enfants » 61.
28De ce point de vue, la domesticité pouvait devenir un « métier pour la vie » : les flux de ressources relationnelles et matérielles venant des familles nobles et de l’entourage du roi encourageaient ces femmes, souvent mariées dans le même milieu, à ne pas abandonner leur place. Mais même dans les rangs les plus bas du métier, les gains et la stabilité économique assurés en échange d’un service fidèle dans la maison du maître, pouvaient convaincre une jeune fille, célibataire ou mariée, de s’engager à vie dans la domesticité plutôt que tenter la voie du changement de métier. D’autre part, les maîtres et les domestiques étaient attentifs à sceller leur liens réciproques par des actes symboliques puisque, comme le suggérait déjà Alice Clark, dans les sociétés de l’Ancien Régime les domestiques étaient considérés comme faisant partie de la famille62. Prenons l’exemple de Caterina Forta, native de Fossano et habitant Turin depuis 12 ans, au service du marquis Guerra, qui devint en 1786 la femme de Francesco Gallo, originaire d’un village proche de Mondovi et employé chez le même maître63 : leur mariage apparaît très marqué sur le plan social, puisque, selon les processicoli, les témoins appelés à certifier l’état civil des époux furent un collègue domestique (mastro di casa) et le marquis Guerra lui-même, ce dernier intervenant en qualité de patron, maître et chef de famille bénissant symboliquement l’union. Dans le même esprit, Maria Domenica Savino, niçoise au service du duc Giuseppe Bonaventura Tonso di Vallanzengo, eut l’honneur de compter celui-ci parmi ses témoins de noces, en plus d’un domestique du prince du Piémont et du caporal d’un régiment d’artillerie64. Par-dessus tout, ces liens verticaux montrent que, quoiqu’il revêtait une grande importance, le niveau des salaires n’était pas le seul indicateur de la position sociale des domestiques — cela vaut, plus globalement, pour tous les individus — dans les sociétés de l’Ancien Régime. Être proche du pouvoir et de la cour royale, jouir du prestige social venant du maître et de sa famille, bénéficier de gratifications économiques, ou encore jouir de privilèges symboliques — tels que la présence du maître au moment du mariage ou son acceptation du rôle de parrain des enfants — sont des éléments pertinents pour saisir la position des individus dans la société, et notamment des domestiques, véritables « charnières » entre groupes sociaux et professionnels différents65.
Conclusion
29Le but de ce chapitre était de réfléchir à la nature des métiers de la domesticité — et notamment au travail des immigrées — dans la ville de Turin à l’époque préindustrielle. L’étude s’est développée en suivant deux axes principaux : tout d’abord, j’ai considéré les domestiques turinoises par rapport au modèle du life-cycle servanthood élaboré, il y a plus de trente ans, pour l’Europe du Nord-Ouest ; ensuite, en adoptant une perspective relationnelle, j’ai exploré la nature des liens sociaux que les servantes immigrées étaient capables de construire dans leurs trajectoires professionnelles et leurs parcours de vie. Pour ce qui concerne la première question historiographique, les données montrent que le modèle du life-cycle servanthood n’épuise pas la nature polyvalente de ce métier : si d’un côté, pour les jeunes, la domesticité était bel et bien une solution pour faire des économies en vue du mariage, de l’autre, elle répondait à des exigences différentes. Pour certaines femmes, elle pouvait devenir un métier pour la vie — souvent, mais pas obligatoirement, dans une situation de célibat définitif et de cohabitation avec le maître ou la maîtresse —, en revanche, pour d’autres, le service était une activité choisie permettant de répondre à une nécessité ou à une situation spécifique surgissant au cours de la vie (chômage, veuvage, etc.).
30Sur le second point historiographique, l’approche biographique ainsi que la reconstruction des réseaux sociaux des immigrées en ville ont montré le degré d’ouverture relationnelle offerte par ces activités de service. La domesticité était une véritable charnière entre des mondes, des métiers, des espaces économiques et sociaux très différents, et cela conditionnait en retour les trajectoires personnelles et professionnelles des femmes qui y étaient employées. En valorisant ces éléments, mon intention n’est pas bien évidemment de nier ou sous-évaluer les difficultés. Pour de nombreuses servantes, les échecs et l’exploitation (dont l’exploitation sexuelle) étaient la réalité quotidienne66. Les conditions de travail étaient dures et si la vie en ville devenait trop chère, elle empêchait de réaliser une épargne suffisamment importante. Maria Musso expliqua ainsi que sa dot (un ensemble modeste de linges et d’autres biens estimés à 164 livres environ) avait été constituée pendant « onze ans » de travail comme servante67; quant à la dot de Margherita Vercellone, elle avait été rassemblée « depuis douze ans » qu’elle était gouvernante68. En outre, il pouvait arriver que les seuls gains obtenus en qualité de servante ne suffisent pas pour constituer rapidement une dot, du fait de la faiblesse des salaires, ou parce que la jeune femme était obligée d’en utiliser une partie pendant sa vie de célibataire : elle devait alors fusionner ses économies avec d’autres ressources ou, dans le pire des cas, renoncer au mariage. Néanmoins, les occasions relationnelles qui se présentaient aux femmes employées dans la domesticité témoignent de l’existence de marges de manœuvre : cette occupation n’était pas un milieu fermé, ni un chemin obligé pour toute la vie, mais représentait plutôt « un carrefour de possibilités relationnelles » où des individus différents se croisaient, et où, en conséquence, il revenait aux femmes de saisir les opportunités présentes. Certes, une telle approche, fondée sur l’analyse de réseaux, nécessite des recherches ultérieures et des approfondissements, et ce pas uniquement pour les femmes et les immigrées ; mais cette démarche présente l’indéniable avantage de dynamiser les contextes, de permettre une prise de distance par rapport à certains lieux communs et surtout d’éclairer les espaces d’action et de choix des individus, ainsi que les points de contacts et d’échange entre les divers groupes sociaux et professionnels, souvent décrits comme des mondes séparés et étanches.
Notes de bas de page
1 Laslett, 1977 ; Hajnal, 1982.
2 Mayhew, 1991 ; Simonton, 2011.
3 Arru, 1990 ; Da Molin, 1990.
4 Un bilan historiographique européen est tracé par Fauve-Chamoux, 2009 et Ead. (éd.), 2004 ; Sarti, 2005a et 2007.
5 Broom, Smith, 1963.
6 Brodsky Elliot, 1981 ; Sewell, 1985 ; Sarti, 1997a.
7 Roche, 1981 ; Sarti, 2005a.
8 Levi, Ramella, 1989 ; Lamberti, 2003.
9 J’utilise ici le terme de compatriotes pour désigner les individus venant de la même communauté locale ou du même lieu (village ou ville).
10 Cavallo, 2001 ; Zucca Micheletto, 2012.
11 Arru, Ehmer, Ramella, 2001 ; Arru, Ramella (éd.), 2003 ; Arru, Caglioti, Ramella (éd.), 2008.
12 Dans les sources turinoises, il n’est pas toujours aisé de distinguer clairement les domestiques des employés d’autres services manuels, ni les individus travaillant pour des particuliers et ceux au service d’une clientèle occasionnelle. À titre indicatif, dans cet article je parlerai de « domestiques » et de « métiers de la domesticité » pour indiquer les individus, hommes et femmes, se déclarant serviteurs, servantes, serveuses, cuisiniers ou cuisinières, gouvernantes, maîtres d’hôtel, etc., et « services manuels » pour indiquer tous les métiers comportant un travail de service (blanchisseuses, repasseuses, palefreniers, porteurs de vins, voituriers, cochers, etc.). Sur les difficultés soulevées par la catégorie de domesticité, voir Sarti, 1999b et 2005c.
13 Castiglioni, 1862.
14 Arru, 1997, p. 110.
15 Reher, 2004, p. 49.
16 Gozzini, 1989, p. 163.
17 Gutton, 1981, p. 73.
18 Les processicoli matrimoniali étaient des déclarations de liberté matrimoniale faites devant le curé de la paroisse. Dans ce type d’acte, les deux époux présentaient deux témoins chacun pour certifier qu’ils étaient libres de tout lien matrimonial antérieur (en d’autres termes qu’ils remplissaient la condition de veuvage ou de célibat qui autorisait le mariage). Archivio Arcivescovile di Torino (AAT), Fondi parrocchiali, sezione XVIII, Parrocchia dei Santi Processo e Martiniano.
19 Les données sont tirées de Castiglioni, 1862. Les pourcentages relatifs à l’immigration ont été calculés par moi à partir des recensements de 1802 et de 1858. Ce dernier comprend uniquement les quartiers centraux de la ville pour un total de 32 466 habitants, soit un tiers de la population turinoise de l’époque. Les recensements de 1802 et de 1858 ont été saisis dans des bases de données par deux équipes de l’université de Turin sous la direction de Maria Carla Lamberti, que je remercie pour sa disponibilité.
20 Comme le montrent de nombreuses études, ce lien entre métiers de service et migrations est vérifié aussi dans l’Italie contemporaine. Voir Sarti, 2010 et 2006.
21 Pourcentages calculés pour chaque recensement sur l’ensemble des migrants et migrantes déclarant un métier. Il est très probable que le recensement de 1802 sous-estime le poids des domestiques puisque, suite à la domination napoléonienne, de nombreuses familles nobles avaient quitté la ville avec leurs domestiques.
22 Pour des remarques sur le cas italien voir Sarti, 1997b ; Casalini, 2009.
23 De Clementi, 1996.
24 Istruzioni e regole degli Ospizi generali, 1818-1869, libro VII, tit. xix, pp. 64-65.
25 Cela est sans doute une des raisons culturelles de la forte dévalorisation du travail domestique féminin, gratuit ou salarié (Sarti, 2014 ; Sarasúa, 2004).
26 Archivio di Stato di Torino (AST), Sezioni riunite, Insinuazione di Torino, a. 1753, l. 11, fo 705ro-vo. À propos du Deposito delle Convertite, voir Maritano, 2011.
27 AST, Sezioni riunite, Insinuazione di Torino, a. 1764, l. 7, fo 1530ro-vo.
28 On retrouve ce constat dans d’autres terrains italiens : à Reggio Emilia en 1708, par exemple, les domestiques âgées de plus de 30 ans représentaient 56 % de l’ensemble des servantes ; à Rome, dans la paroisse de San Damaso en 1765, elles étaient 48 % (Arru, 1992, p. 276).
29 Pourcentage calculé sur l’ensemble de la population masculine et féminine qui se déclare « domestique », à l’exclusion des individus dont l’âge et la condition maritale n’ont pas été relevés.
30 Pourcentages calculés sur l’ensemble des servantes immigrées âgées de 31 ans et plus.
31 En 1802, 79 % environ des servantes immigrées âgées de plus de 30 ans étaient co-résidentes ; en 1858, elles étaient 67 % environ.
32 Archivio Storico della Città di Torino (ASCT), Vicariato, Atti criminali, vol. 127, fos 58ro-59ro. Le Vicariato de Turin était une magistrature urbaine chargée de la police, du nettoyage, du ravitaillement, de la surveillance en ville et de la répression de la mendicité. Sur cette magistrature, voir Balani, 1987 ; Rolle, 2010.
33 ASCT, Vicariato, Atti criminali, vol. 127, fos 75ro-77vo.
34 Toutes ces données ont été extraites d’une base de données que j’ai construite en saisissant les postulants de l’Ospedale di Carità, et leurs familles, entre 1762 et 1792 (ASCT, Ospedale di Carità, Libri delle informazioni per ricoveri).
35 Zucca Micheletto, 2013. Voir aussi les réflexions de Humphries, Sarasúa, 2012.
36 Arru, 1992, p. 279 (traduction de l’auteur). Pour d’autres exemples italiens, voir aussi Pelaja, 1988.
37 Mayer, 1961.
38 Les actes de mariage enregistrés à l’état civil turinois pendant la période napoléonienne se trouvent dans ASCT, Atti di matrimonio, vol. 1-16. Les données ont été saisies dans une base de données (désormais MANAP) réalisée pour partie par une équipe d’étudiants dirigée par M. C. Lamberti et pour le reste par L. Allegra. Les élaborations présentées dans ce texte sont de mon fait.
39 AST, Sezioni riunite, Insinuazione di Torino, a. 1766, l. 5, fos 1428vo-1430ro et a. 1766, l. 4, fos 1615ro-1616vo.
40 Ibid., a. 1760, l. 3, fos 457ro-460vo.
41 Données tirées de MANAP.
42 Sur la nature du travail des femmes dans les entreprises familiales au fil des siècles, voir Martini, Bellavitis, 2014, et les articles réunis dans cet ouvrage collectif.
43 AST, Sezioni riunite, Insinuazione di Torino, a. 1763, l. 12, fos 393ro-394ro.
44 Le total des personnes employées était de neuf, mais la source ne permet pas de distinguer les apprentis des autres ouvriers qui travaillaient dans la boutique du maître.
45 J’ai développé le sujet dans Zucca Micheletto, 2014, chap. iii.
46 AST, Sezioni riunite, Insinuazione di Torino, a. 1774, l. 4, fos 1627ro-1628vo.
47 Exemples tirés de MANAP.
48 Sur le sujet, voir les remarques de Moch, 2001, pp. 187-192, ainsi que Gourdon, 2008. Pour un récent panorama historiographique des études consacrées aux différents liens familiaux, voir Alfani et alii, 2015.
49 AAT, Fondi parrocchiali, sezione XVIII.
50 Selon la notion de « proximité » employée par Maurizio Gribaudi (Gribaudi, 1996).
51 ASCT, Coll. XII, Consegnamenti della popolazione, 1794, vol. 160.
52 AST, Sezioni riunite, Notai di Torino, vol. 2771, fos 178ro-194vo.
53 AST, Sezioni riunite, Insinuazione di Torino, a. 1780, l. 5, fos 1205ro-1206ro.
54 Au sommet de la hiérarchie se trouvent en effet les valets de chambre du roi, les femmes de chambre et les « dames d’atour » de la reine. Ces places étaient tenues par des membres de la noblesse de cour. Pour Versailles, voir Newton, 2006 ; Da Vinha, 2004. Sur les rapports entre cour royale et métiers artisanaux à Turin, voir Cavallo, 2007.
55 AST, Sezioni riunite, Casa di SM, vol. 120, fo 367. «Princesse du Piémont» était le titre octroyé à la belle-fille du roi.
56 Ibid., vol. 24, fo 250 et vol. 120, fo 200.
57 Ibid., Duca di Genova, Personale di servizio, m. 237, fo 6.
58 Ibid., Insinuazione di Torino, a. 1734, l. 5, fos 953ro-954ro.
59 La carrière professionnelle de Gioanna Griffona a été reconstruite via les registres des patentes royales : ibid., Controllo Generale Finanze, Patenti e biglietti poi Patenti, vol. 13, fos 67ro et 97ro ; vol. 24, fo 29ro-vo ; vol. 26, fo 3ro-vo. Le testament se trouve ibid., Insinuazione di Torino, a. 1784, l. 5, fos 117ro-118vo.
60 Ibid., Casa di SM, vol. 24, fo 110.
61 Ibid., vol. 27, fos 31 et 68 ; vol. 27, fo 79.
62 Clark, 1919, pp. 6-7.
63 AAT, Fondi parrocchiali, sezione XVIII.
64 Ibid.
65 Sur le sujet, voir les réflexions de Levi, 1996 ; Cavallo, 2007, chap. iv ; Sarti, 1999a.
66 Parmi les études classiques sur le sujet, voir Fairchilds, 1984.
67 AST, Sezioni riunite, Insinuazione di Torino, a. 1766, l. 5, fos 1428vo-1430ro.
68 Ibid. a. 1780, l. 5, fos 1589ro-1591ro. Dennis Romano a calculé qu’à Venise au xviie siècle, il fallait vingt ans de travail comme servante pour accumuler une dot moyenne (Romano, 1996, p. 159). Je remercie Anna Bellavitis pour cette indication.
Auteur
GRHIS, Université de Rouen
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Vice-rois, gouverneurs et ambassadeurs dans les monarchies française et espagnole (xvie-xviiie siècles)
Daniel Aznar, Guillaume Hanotin et Niels F. May (dir.)
2015
Élites et ordres militaires au Moyen Âge
Rencontre autour d'Alain Demurger
Philippe Josserand, Luís Filipe Oliveira et Damien Carraz (dir.)
2015