Chapitre iv
Entre mobilité et ancrage
Les inscriptions sociales d’une élite militaire
p. 165-213
Texte intégral
1L’exil flamand a commencé par un vaste mouvement d’émigration au début du xviiie siècle consécutif au détachement des Pays-Bas de la monarchie hispanique. Au départ, en raison de son caractère politique, il s’agit d’une mobilité à hauts risques qui met en péril les biens laissés derrière soi et oblitère potentiellement toute possibilité de retour. Cependant, avec le temps, au gré des relations erratiques entre l’Espagne et l’Empire, les exilés de la première heure ont renoué des liens jamais vraiment rompus avec leurs parents restés au pays. Hommes célibataires pour la plupart, disposant de peu d’attaches dans la Péninsule, les officiers flamands comptent sur leurs familles pour les aider financièrement, tandis qu’ils offrent en contrepartie des débouchés professionnels aux cadets de famille dans les troupes du roi d’Espagne. Ainsi, après la guerre, des chaînes familiales de recrutement se mettent rapidement en place dans les régions historiques du bourbonisme flamand — le sud des Pays-Bas et le nord de la France — pour acheminer des jeunes officiers vers l’Espagne. L’exil politique du début du siècle évolue donc progressivement vers un service étranger ordinaire, structuré non plus autour d’une logique d’émigration mais de mobilités professionnelles plus ou moins transitoires. Tout au long du xviiie siècle, ces réseaux de collaboration familiale font circuler les hommes, les biens, l’information, dans un espace transnational qui connecte Madrid et Bruxelles, mais s’étend rapidement jusqu’à Versailles et Naples.
2Cependant, le service des Flamands en Espagne n’est jamais devenu un simple service étranger où les hommes ne font que passer. Les privilèges des corps flamands, l’ascension professionnelle qu’ils permettent dans l’appareil d’État de la monarchie, sont de nature à faciliter une installation durable dans les domaines du roi d’Espagne. La Cour et les grandes villes militaires de province — en particulier Barcelone — sont des lieux d’ancrage où les officiers flamands ont trouvé un terreau favorable pour s’intégrer localement. De plus, malgré le renouvellement des effectifs, il subsiste un noyau dur de familles « historiques » de l’exil flamand qui, non seulement se sont installées en Espagne, mais s’y sont constitué un patrimoine important. Par conséquent, les microsociétés qui se constituent autour des régiments de la nation connaissent au fil des ans une diversité croissante des champs d’expérience et des horizons d’attente, ce qui n’a pas manqué de fragiliser la cohésion des collectifs.
3En marquant une pause dans le déroulé chronologique, ce chapitre entend mettre en lumière, tout d’abord, la façon dont les exilés flamands ont réussi à reconstruire des liens stables avec leurs parents restés au pays, et comment ces réseaux familiaux ont constitué pour eux une ressource essentielle à leur stabilité professionnelle. Dans un second temps, il analyse les conditions de sédentarisation d’une partie des officiers flamands dans les sociétés locales et la manière dont ce processus affecte les équilibres de pouvoir au sein de la communauté professionnelle. Ces deux volets visent à identifier les sources des profondes dissensions internes qui se manifestent dans la seconde moitié du xviiie siècle et qui vont précipiter l’abolition des privilèges de la nation flamande.
I. — Sociologie d’une émigration
La revue générale de 1715
4En 1715, un grand recensement des débris de l’armée de Flandre repliée en Espagne a eu lieu. Mené par le comte de Soupat, inspecteur de l’infanterie étrangère, il vise à réorganiser de façon pérenne l’armée des nations dans la Péninsule. C’est la première fois qu’une enquête est menée à cette échelle, offrant par la même occasion une visibilité exceptionnelle sur la composition sociale de l’exil flamand puisque l’origine, l’âge et la condition sociale sont relevés pour 974 individus.
5Pour établir les principaux foyers d’émigration, nous avons choisi par convention de privilégier le lieu de naissance, et donc de recouper les informations de l’enquête avec d’autres sources (administratives, notariales, généalogiques). Aux 974 officiers des régiments flamands de ligne, nous avons rajouté les 161 officiers de la maison militaire (gardes wallonnes et compagnie flamande de la garde du corps), qui n’avaient pas été passés en revue par le comte de Soupat, de manière à réunir l’ensemble des unités de la nation. Au total, la cohorte est constituée de 1 135 individus, dont les lieux de naissance ont pu être établis dans 91 % des cas1 (Tableau 7).
Tableau 7. — Lieux de naissance des officiers des régiments flamands en 1715
Lieux | Nombre | Pourcentage |
Pays-Bas autrichiens | 411 | 36,3 % |
France | 378 | 33,3 % |
Empire | 95 | 8,3 % |
Espagne | 76 | 6,7 % |
Italie | 36 | 3,2 % |
Îles britanniques | 35 | 3,1 % |
Provinces-Unies | 8 | 0,7 % |
Suisse | 2 | 0,1 % |
Suède | 1 | 0,0 % |
Inconnu | 93 | 8,2 % |
Total | 1 133 | 100 % |
Sources : AGS, GM, 2231 ; Guillaume, 1858 ; Vegiano d’Hovel, 1865 ; Goethals, 1857-1862.
6À l’échelle des grandes entités politiques européennes, les résultats montrent tout d’abord l’extrême diversité de « l’exil flamand » au point de mettre en doute la pertinence de cette expression pour désigner ce mouvement d’émigration vers l’Espagne. En effet, les officiers natifs des Pays-Bas autrichiens représentent à peine un tiers de l’effectif et les Français sont pratiquement aussi nombreux que les Flamands. De plus, les natifs d’Espagne constituent une minorité importante, sachant qu’il faudrait leur ajouter les fils d’Espagnols nés aux Pays-Bas. En réalité, ces chiffres reflètent pour l’essentiel la composition de l’armée de Flandre, davantage que le seul exil flamand. L’un et l’autre ne sont pas totalement isomorphes, même s’ils se recoupent très largement. Les officiers de l’armée de Flandre constituent un ensemble très cosmopolite qui ne compte pas que des Flamands, a fortiori depuis la grande réforme de 1701 qui a attiré de nombreux sujets français sous les drapeaux espagnols2. De même, l’exil flamand ne se limite pas aux seuls officiers de l’armée de Flandre puisque d’autres natifs des Pays-Bas servent en Espagne en dehors des régiments de leur nation, que ce soit dans la cavalerie, dans le corps des ingénieurs, à la Cour ou dans les gouvernements de province. Cette liste n’est donc pas exhaustive, il s’agit simplement d’une photographie à un instant donné d’une partie des institutions de l’État espagnol où la présence flamande est particulièrement dense.
7Un examen plus approfondi des lieux d’origine offre toutefois une image plus précise de ces corps flamands. On constate en effet que l’immense majorité de ces officiers provient de territoires anciennement sous domination espagnole ou bien liés de longue date à l’Espagne. Ainsi, sur 325 Français dont la région d’origine est connue, 221 sont nés dans les anciennes provinces espagnoles conquises par Louis XIV (Hainaut, Flandre, Artois, Franche-Comté). C’est également le cas des officiers originaires de la péninsule italienne, puisque sur 34 individus, 19 sont originaires de Milan, de Naples ou de Sicile. Quant à l’Empire, des 95 officiers, 23 sont originaires de la Gueldre espagnole cédée à la Prusse par le traité d’Utrecht. À ces anciennes possessions espagnoles, s’ajoutent d’autres territoires liés depuis longtemps à la monarchie hispanique, à l’image de l’Irlande (31) ou de Gênes (3), ou ceux situés aux frontières des territoires espagnols, telles que le Béarn (18), le Languedoc (17), la principauté de Liège (23) ou la Lorraine (13). Ces trajectoires multiples ont donc convergé vers l’armée de Flandre avant ou pendant le conflit successoral avant de se replier sur l’Espagne. À la lumière de ces sources, l’infanterie wallonne apparaît donc comme un vecteur de mobilité pour nombre de sujets issus de territoires européens liés depuis longtemps au roi d’Espagne. Cependant, malgré la grande hétérogénéité des provenances, les individus originaires des Pays-Bas constituent bien la majorité des effectifs de l’armée de Flandre, si l’on considère non pas les frontières tracées en 1713 au traité d’Utrecht, mais les limites de l’ancien Cercle de Bourgogne constitué par Charles Quint.
8Dans la revue du comte de Soupat, la condition sociale des officiers se décline selon une variété terminologique que nous avons tâché de regrouper en trois catégories : nobles, groupes intermédiaires et roturiers. Malgré les limites propres à toute classification, cette distribution offre un aperçu des grandes tendances. La présence de la noblesse apparaît relativement restreinte, puisqu’elle n’atteint pas 25 % de l’effectif alors que Francisco Andújar a établi pour la même époque une proportion de 53 % de nobles parmi les officiers de l’armée espagnole3. Les secteurs les plus représentés sont issus de milieux modestes, mais surtout des élites urbaines en voie d’ascension sociale (Tableau 8). La répartition des âges montre principalement des militaires expérimentés dans la force de l’âge ou d’âge mûr, puisque 36 % sont âgés de trente à trente-neuf ans, et 24 % ont entre quarante et quarante-neuf ans. Cette moyenne d’âge relativement élevée signifie que la grande majorité des officiers qui arrive en Espagne est entrée sous les drapeaux à la fin du règne de Charles II et pour la plupart au début de la guerre de Succession. Dans tous les cas, ils ont effectué l’essentiel de leur carrière militaire au service de Philippe V. Enfin, seulement 113 d’entre eux (sur 974) ont déclaré être marié, soit un taux de 11,6 %. L’épouse et les enfants sont souvent du voyage : le comte de Soupat a recensé au total 212 enfants accompagnant leur père au régiment.
Tableau 8. — Condition sociale des officiers des régiments flamands en 1715
Termes employés | Nombre | Pourcentage | |
Noblesse | « Noble », « gentilhomme » | 187 | 24,3 % |
Intermédiaire | « Bien né », « fils de bons parents », « fils d’officier », « cadet », « fils de bourgeois », « fils d’avocat », etc. | 349 | 45,4 % |
Roture | « Sans naissance », « soldat », « fils de soldat », « valet », etc. | 233 | 30,3 % |
Total | 769 | 100 % |
Source : AGS, GM, 2231.
9La grande revue de 1715 offre un instantané très utile de la composition sociale de l’armée de Flandre arrivée en Espagne après le démembrement. Toutefois, l’exil flamand n’a pas été un mouvement ponctuel et sans lendemain, il a initié une dynamique de mobilité qui s’est inscrite dans le temps, au grand dam de l’empereur, le nouveau maître des Pays-Bas.
Les Pays-Bas et le service de l’Espagne après le démembrement
10Le service de l’Espagne aux Pays-Bas évolue au rythme des relations tendues entre Madrid et Vienne. Immédiatement après la guerre, lorsqu’il prend possession du territoire, l’empereur a essayé de décourager la poursuite du service de Philippe V. La publication le 16 mai 1716 d’un placard confisquant tous les biens des sujets flamands restés au service du duc d’Anjou donne le ton. Philippe V réplique par une ordonnance le 14 septembre 1716 décrétant la saisie des biens en Espagne des Flamands entrés au service de Charles VI4. Durant ces années, la tension est telle que des officiers renoncent à leurs emplois en Espagne pour préserver leurs biens, tandis que d’autres mènent toutes sortes de stratégies de dissimulation pour mettre leur patrimoine à l’abri des confiscations afin de poursuivre leur carrière en Espagne5.
11La rupture des relations politiques et diplomatiques directes entre Madrid et Vienne prive les exilés flamands d’un relais politique officiel à Bruxelles. Philippe V a certes conservé des agents officieux, tels qu’Antonio de Castro (1712-1739) ou son fils, José de Castro (1741-1746), parfois désignés avec le titre de « chargé d’affaires » ou de « ministre de Sa Majesté ». Si ceux-ci ont entretenu une correspondance régulière avec la secrétairerie d’État à Madrid, ils n’ont jamais été en mesure d’établir une représentation permanente du roi d’Espagne à la cour de Bruxelles6. La position des Castro est d’ailleurs régulièrement doublée par des agents espagnols plus ou moins officiels de passage aux Pays-Bas, à l’image du marquis de Beretti Landi, l’envoyé espagnol au congrès de Cambrai qui réside longtemps à Bruxelles, ou encore de Melchor Macanaz, pendant son exil en Flandre7. Face à ces difficultés, le rôle des ambassadeurs espagnols de Vienne et de Paris demeure essentiel dans toutes les négociations particulières qui concernent les Pays-Bas.
12Le traité de Vienne (1725) a amorcé un rapprochement entre les cours de Vienne et de Madrid permettant aux familles philippistes flamandes d’envisager la reconnaissance par l’empereur des titres de noblesse accordés par Philippe V8. Toutefois, la reprise des guerres en Italie a rapidement eu raison de ce rapprochement, et le gouvernement de Vienne publie en 1738 et 1751 deux nouvelles interdictions du service étranger. L’enjeu n’est plus l’éradication du phénomène mais il s’agit d’obliger les élites des Pays-Bas à demander l’autorisation préalable du gouverneur-général à Bruxelles, avec à terme l’ambition de réorienter les pratiques de service vers l’espace allemand9. À partir des années 1740, les familles flamandes peuvent donc envoyer des cadets servir en Espagne sans trop de difficultés, même s’il faut pour cela recevoir l’assentiment des autorités autrichiennes10. Cette surveillance s’exerce aussi sur la politique matrimoniale des grandes familles de Flandre, afin d’éviter le rapprochement avec les exilés philippistes en Espagne. C’est le cas en 1738 lorsque l’empereur tente d’empêcher le mariage entre l’héritier du duc de Bournonville, capitaine de la garde du corps de Philippe V, et la fille du duc d’Ursel, l’une des principales maisons des Pays-Bas. Jugé « trop contraire à [s]on service », le mariage n’est autorisé par l’empereur qu’avec l’assurance que l’épouse restera maîtresse absolue de ses biens11.
13Avec le renversement des alliances de 1756 et le rapprochement durable de la France et de l’Autriche, de nouvelles opportunités s’offrent pour retisser les liens entre l’Espagne et les Pays-Bas. L’occasion est saisie par les officiers des gardes wallonnes pour essayer de sécuriser un foyer de recrutement de soldats. En effet, la fourniture régulière en recrues est la meilleure façon de garantir la conservation des emplois et des privilèges de la nation en Espagne. Or, depuis la fin de la guerre de Succession, les corps flamands ont été alimentés de façon irrégulière par la capture des déserteurs à la frontière pyrénéenne. Les insuffisances du système ont été palliées par des missions ponctuelles financées par les propres régiments dans le nord de l’Italie ou dans les principautés impériales. Très onéreuses, menées le plus souvent en secret, ces campagnes de recrutement n’ont pas réussi à couvrir les besoins, obligeant les officiers à se tourner vers la couronne espagnole pour se fournir auprès des grands asentistas de soldats installés en Italie12. Avec 4 200 places, la demande des gardes wallonnes est énorme : en 1766, le colonel estimait les besoins annuels de son régiment à 600 hommes en temps de paix, et jusqu’à 1 000 en temps de guerre13. À partir de 1756, des tractations sont donc menées pour permettre aux régiments flamands de recruter aux Pays-Bas autrichiens. Néanmoins, les méthodes coercitives des recruteurs espagnols ont rapidement provoqué des frictions avec le gouvernement de Bruxelles qui finit par les expulser. À partir de 1769, les officiers des gardes wallonnes parviennent à établir un bureau permanent dans la principauté voisine de Liège, ce qui leur permet de continuer à enrôler des recrues dans les Pays-Bas tout en contournant les interdictions prononcées par Bruxelles14. Par conséquent, si le service des cadets des familles nobles en Espagne est encadré mais toléré par les autorités autrichiennes, le recrutement des soldats demeure quant à lui une pomme de discorde entre Vienne et Madrid.
14En termes quantitatifs, il est difficile d’évaluer l’importance comparée du service d’Espagne dans les Pays-Bas autrichiens. Après le démembrement, les élites flamandes ont réorienté le service militaire vers l’Autriche même si elles maintiennent l’habitude d’envoyer des cadets de famille dans les armées des princes allemands, de la France et de l’Espagne. Une étude globale des stratégies de service des élites flamandes fait toutefois défaut et l’on ne peut compter que sur quelques travaux menés à l’échelle régionale. Parmi ceux-ci, l’étude de C. Hudemann-Simon sur la noblesse luxembourgeoise est la plus complète. Basée sur 268 familles, elle montre la solide loyauté des élites locales envers leur souverain autrichien (61 %), tandis que le service étranger se partage entre la France (22 %) et les principautés impériales (10 %), l’Espagne n’apparaissant que dans les dernières positions, à moins de 7 %15. D’autres études menées sur des échantillons plus réduits, en l’occurrence les familles siégeant à l’État noble, donnent des chiffres plus importants. Sur 27 familles nobles représentées aux États de Brabant en 1794, 9 (33 %) ont eu un membre au service espagnol, contre 7 (26 %) au service de la France16. À Namur, sur 87 familles siégeant à l’État noble entre 1699 et 1739, 23 (26 %) ont été au service de Philippe V17. Un sondage sur la châtellenie de Lille confirme ces chiffres élevés aussi bien parmi la noblesse qu’au sein des magistratures citadines. Dans le premier cas, sur 92 familles nobles recensées au xviiie siècle, 32 (34,7 %) ont eu au moins un parent au service de l’Espagne18. Dans le second cas, sur 41 familles représentées à la tête du magistrat de Lille entre 1600 et 1716, 17 (41 %) d’entre elles ont envoyé au cours du xviiie siècle un parent au service de l’Espagne19. Malgré leur imprécision, ces chiffres montrent l’importance du service d’Espagne dans les anciennes Dix-Sept Provinces des Pays-Bas, puisqu’il concerne de 25 % à 40 % des familles de la noblesse et des élites urbaines, avec toutefois de grandes disparités régionales.
Tableau 9. — Lieux de naissance des officiers des gardes wallonnes (1715, 1788)
1715 | 1788 | |||
Pays-Bas autrichiens | 96 | 53,3 % | 36 | 21,3 % |
Brabant | 41 | 22,7 % | 4 | 2,3 % |
Hainaut | 20 | 11,1 % | 13 | 7,8 % |
Flandre | 16 | 8,7 % | 10 | 5,9 % |
Namur | 12 | 6,6 % | 6 | 3,5 % |
Luxembourg | 6 | 3,3 % | 1 | 0,6 % |
Limbourg | 1 | 0,5 % | 2 | 1,2 % |
France | 65 | 36,1 % | 57 | 34 % |
Flandre, Hainaut, Artois, Franche-Comté | 31 | 17,2 % | 39 | 23,2 % |
Béarn, Roussillon, Languedoc | 11 | 6,1 % | 4 | 2,4 % |
Autres régions françaises | 23 | 12,8 % | 14 | 8,4 % |
Espagne | 4 | 2,2 % | 63 | 37,5 % |
Catalogne | - | - | 29 | 17,3 % |
Castille | - | - | 17 | 10,1 % |
Amérique | - | - | 7 | 4,2 % |
Valence | - | - | 4 | 2,4 % |
Autres régions espagnoles | - | - | 6 | 3,5 % |
Empire | 10 | 5,5 % | 4 | 2,4 % |
Provinces-Unies | 3 | 1,7 % | 0 | 0 % |
Italie | 0 | 0 % | 5 | 3 % |
Autre | 2 | 1,2 % | 3 | 1,8 % |
TOTAL | 180 | 100 % | 168 | 100 % |
Sources : AGS, GM, 2588 et 2589 ; AD Pas-de-Calais, 1J, de Dion, 191 ; Guillaume, 1858 ; Vegiano d’Hovel, 1865 ; Goethals, 1857-1862.
15L’évolution du recrutement des régiments flamands au cours du xviiie siècle offre toutefois de riches informations sur les régions les plus investies dans le service d’Espagne. Par sa longévité, le régiment des gardes wallonnes offre un cadre propice à l’analyse : en confrontant les lieux de naissance des officiers sur deux années de référence (1715 et 1788), on observe que les régions de recrutement ont changé (Tableau 9). La première constatation, sur laquelle nous reviendrons dans un prochain chapitre, est la forte augmentation d’individus nés en Espagne. Ce phénomène témoigne de l’enracinement des dynasties d’officiers, particulièrement en Catalogne où le régiment est caserné, et du contrôle que celles-ci exercent sur les emplois20. Une autre constatation est la diminution de moitié des officiers originaires des Pays-Bas autrichiens, ce qui démontre un processus d’érosion du service de l’Espagne au cours du xviiie siècle. Sans doute la politique de réorientation du service des sujets des Pays-Bas vers l’espace germanique a-t-elle porté ses fruits, alors même que le long gouvernement de Charles de Lorraine (1744-1780), en redonnant de l’éclat à la vie de cour dans la capitale bruxelloise, a permis de retisser les liens avec les élites flamandes. Cette érosion reste toutefois contenue dans le comté de Hainaut, frontalier avec la France, et l’un des anciens foyers de l’émigration vers l’Espagne. Troisième constat, enfin, la part des officiers français se maintient, voire augmente si l’on tient compte des seules provinces anciennement espagnoles. Dès lors, une dynamique frontalière semble se détacher de ces données : alors que les chiffres baissent partout, les régions situées de part et d’autre de la frontière franco-belge — les provinces dites « wallonnes » — sont les seules à maintenir ou à augmenter leur participation au recrutement. Or, celles-ci constituent le cœur historique du bourbonisme flamand, foyer des grandes maisons nobles ralliées très tôt à Philippe V, et qui se sont réfugiées de l’autre côté de la frontière au cours de la guerre. Il y a donc une double dynamique régionale qui s’affirme au cours du temps puisque d’une part les familles de la Flandre wallonne maintiennent une assiduité prononcée pour le service de l’Espagne, alors que leurs parents établis de l’autre côté des Pyrénées ont fait de la Catalogne un autre foyer important du recrutement.
II. — Mobilités et réseaux dans l’espace bourbonien
La constitution des chaînes de recrutement
16Le service d’Espagne aux Pays-Bas est avant tout une affaire de familles de notables urbains qui contrôlent les emplois d’officiers. C’est autour de l’accès aux emplois réservés en Espagne, obtenus grâce aux mérites des exilés flamands de la première heure, que se construisent des collaborations familiales à l’échelle continentale. D’un côté, les foyers familiaux y trouvent un moyen aisé de placer des fils cadets dans des emplois relativement prestigieux. De l’autre, les officiers exilés protègent leurs emplois et consolident leur position sociale en assurant l’afflux de sang neuf. Cette multitude de réseaux familiaux de recrutement constitue donc autant de « chaînes migratoires » placées en situation de concurrence pour décrocher les meilleurs emplois en Espagne21.
17Ainsi, environ deux cent cinquante de ces chaînes de recrutement constituent le « service d’Espagne » depuis les Pays-Bas autrichiens et le nord de la France22. Le nombre d’individus recrutés par famille a varié considérablement : les chaînes les plus importantes, telles que celles des Colins ou des Bassecourt, ont pu acheminer jusqu’à une petite dizaine de parents vers l’Espagne23. Articulée autour du parrainage des oncles envers les neveux, celle de la famille de Croix a été particulièrement réduite, puisqu’elle n’a bénéficié qu’à cinq membres de la famille (voir annexe VIII). Ces liens d’entre-aide se déploient dans la parenté proche, mais ils sont aussi à leur tour constitutifs de liens de parenté quand ils se déploient en dehors de la parenté biologique. Prendre un jeune homme sous sa coupe, lui trouver un emploi, le faire venir en Espagne, et assurer sa subsistance sont des épreuves qui créent des liens de dépendance extrêmement forts. Lorsqu’il entreprend un voyage en Flandre, le baron de Carondelet confie sa fille à Albert Desmaisières, un ancien capitaine des gardes wallonnes retiré à Barcelone. « M’ayant servi de père lorsque je vins en Espagne, il veut en servir également avec notre fille », écrit-il24.
18Les liens qui se constituent autour de l’obtention des emplois dessinent donc des fronts de parenté qui collaborent entre eux. Ainsi, la famille de Croix s’inscrit dans un groupe d’une dizaine de familles alliées dans la région lilloise, dont plusieurs membres sont partis servir en Espagne. Cependant, les dynamiques en Espagne ne répliquent pas toujours les alliances existantes dans les régions d’origine. C’est le cas des familles Croix et Cassina, originaires de Lille et alliées, mais dont les membres expatriés en Espagne ne collaborent pas entre eux. Charles François de Cassina, enseigne des gardes wallonnes depuis 1762, ne connaît pas Charles de Croix et n’a pas obtenu son emploi par son intermédiaire25. Dans des systèmes de parenté élargie, qui collaborent dans les institutions municipales et participent au même marché matrimonial, l’accès aux emplois espagnols apparaît comme un bien rare dont la jouissance peut reconfigurer les liens familiaux autour de groupes resserrés.
19Ces chaînes de recrutement sont réduites car elles dépendent de la protection en Espagne des grands patrons de la nation flamande. Dans certaines circonstances, ces intermédiaires ont pu être contournés lorsque des familles d’officiers sont parvenues à contrôler elles-mêmes certains verrous du recrutement. De ce point de vue, le cas de la famille Verboom à la tête des ingénieurs militaires est emblématique. Contrôlant un corps qui ne jouit pas d’un privilège de nation, elle a pu développer son propre réseau de recrutement indépendamment des grands médiateurs flamands de la faveur royale26.
20Enfin, ces chaînes de recrutement fonctionnent tant que les membres expatriés ont un accès limité au marché matrimonial en Espagne. Le cas des Croix constitue une figure relativement exceptionnelle puisqu’un seul membre de la famille s’est marié dans la Péninsule, les expatriés restant de ce fait étroitement dépendants du noyau familial pour leur renouvellement. En revanche, dans de nombreux cas, le mariage en Espagne les a incités à privilégier progressivement leurs propres enfants dans l’accès aux emplois au détriment de leurs parents venus par les chaînes de recrutement. Ainsi, en 1720, Jean Baillet Grandcourt, aide-major des gardes wallonnes, originaire du Luxembourg, a épousé Isabel de Montoliu, d’une famille de la petite noblesse de la région de Barcelone. La même année, le frère de l’épouse, Manuel, est reçu comme cadet des gardes wallonnes grâce au soutien de son beau-frère. Si Jean Baillet favorise sa nouvelle famille, il ne néglige pas pour autant son noyau familial d’origine puisqu’il entretient aussi une chaîne migratoire. Dans les années qui suivent, Jean accueille dans sa compagnie deux parents luxembourgeois, tout en permettant à ses deux fils nés à Barcelone d’entrer dans le corps27. À la génération suivante, la collaboration avec le noyau familial se poursuit puisque, à nouveau, deux cousins du Luxembourg prennent du service dans le régiment28. Cependant, le système s’épuise par la suite, alors que l’intégration des Baillet parmi les élites catalanes se confirme, et que de son côté, le groupe familial luxembourgeois délaisse le service d’Espagne pour celui de l’Autriche29. Il n’y a donc pas incompatibilité entre les cousins arrivés par le biais des chaînes de recrutement et les fils nés en Espagne poussés dans le régiment par leur père. Néanmoins, les emplois étant rares, l’autonomisation familiale des expatriés est source de tensions car elle tend à privilégier la descendance directe sur la parenté collatérale restée au pays.
21Les chaînes de recrutement constituent l’épine dorsale de la collaboration entre les noyaux familiaux et leurs membres expatriés. Ces configurations sociales se sont mises en place à l’ombre du privilège de nation, en raison de l’autonomie accordée aux chefs de la maison militaire dans la présentation des jeunes officiers au roi. Elles sont donc l’expression d’un système endogamique de recrutement qui repose essentiellement sur des officiers qui n’ont pas encore fondé de famille en Espagne. Ces réseaux familiaux ne servent néanmoins pas seulement à l’acheminement de nouvelles recrues, ils sont aussi pourvoyeurs de ressources politiques et économiques.
Circulations, réciprocités, solidarités
22Pour les membres expatriés, le soutien économique du chef de maison est indispensable pour se maintenir au service de l’Espagne. Le coût de la vie militaire dans la Péninsule ne tient pas à la vénalité des charges : sauf très rares exceptions, les emplois des régiments flamands ne sont pas vénaux, ce qui constitue un avantage indéniable du service d’Espagne par rapport à celui de la France. Cependant, la modicité des émoluments et les dépenses somptuaires exigées par le service à la Cour représentent un obstacle infranchissable pour ceux qui ne disposent pas de biens propres ou de l’aide de leur famille.
23Dans un mémoire transmis à son père, Théodore de Croix évalue ses frais courants à 2 134 livres annuelles alors qu’il n’en perçoit que 1 056 en tant qu’enseigne des gardes wallonnes30. Par conséquent, le marquis d’Heuchin est contraint de payer à chacun de ses fils une pension complémentaire allant de 100 à 120 livres par mois31. Le service à la Cour est de loin le plus onéreux. Lorsque Philippe de Croix obtient un bâton d’exempt dans la garde du corps, il demande à son père de l’aider à payer les 3 000 livres nécessaires à son équipement32. En 1760, c’est au tour de Théodore d’accéder à la prestigieuse garde du corps. Cette fois, la somme nécessaire à l’achat d’un carrosse, de quatre chevaux équipés, et à l’entretien des palefreniers et des domestiques est estimée à 10 000 livres33. Malgré les efforts de leur père, Philippe et Théodore contractent de nombreuses dettes qu’ils sont ensuite incapables de rembourser. Entre 1747 et 1754, le marquis d’Heuchin est à nouveau mis à contribution pour régler les créances de ses enfants à hauteur de 19 000 livres34. La branche espagnole des Croix ne devient autonome financièrement qu’au tournant des années 1760 lorsque Charles est nommé capitaine général de Galice, avec des appointements de 120 000 réaux annuels, et qu’il peut alors prendre ses deux neveux à sa charge35. Quelques années plus tard, avec la nomination de Charles de Croix à la vice-royauté de la Nouvelle Espagne, les flux d’argent s’inversent pour la première fois. Avec 400 000 réaux d’appointements et des perspectives d’enrichissement colossal au Mexique, Charles est en mesure d’aider financièrement ses parents restés au pays36.
24Outre la solidarité économique, les membres expatriés ont intérêt à conserver des liens étroits avec leur foyer familial en raison de l’incertitude liée à leur métier. Depuis la guerre de Succession, les revers politiques ont été nombreux, et les emplois réservés n’ont jamais été à l’abri d’une réforme administrative. En conséquence, les officiers sont prompts à quitter d’eux-mêmes le service dès qu’une meilleure opportunité se présente aux Pays-Bas. D’ailleurs, au début du xviiie siècle, les congés sont donnés avec une grande facilité laissant ainsi à certains officiers la possibilité de résider de très longues périodes dans leur région d’origine et d’envisager le service d’Espagne comme une situation transitoire. En 1723, Eugène de Croix demande une licence d’un an et demi, pour lui et ses deux neveux, en raison « des mariages du marquis d’Heuchin et du comte de Mastaing, mes neveux, chefs de leurs maisons37 ». En 1756, Théodore de Croix, enseigne des gardes wallonnes, obtient un congé de deux ans pour se rendre en Allemagne suivre le noviciat des chevaliers teutoniques38. L’attribution des licences est en théorie une prérogative royale, même si, à plusieurs reprises, le colonel tente de délivrer lui-même les permis de voyager39. Il s’agit d’une façon d’entretenir les chaînes de recrutement et de donner des gages aux familles des Pays-Bas que le service dans le régiment n’est pas incompatible avec leurs intérêts patrimoniaux. L’horizon d’attente de nombre d’officiers reste donc tourné vers le nord de l’Europe, les demandes de retraite anticipée étant monnaie courante lorsque la mort inopinée d’un chef de maison ou un mariage avantageux incitent à écourter le séjour espagnol40.
25Du côté des foyers familiaux en Flandre française, les attentes sont à la hauteur du coût économique du service d’Espagne. Il ne s’agit pas seulement de trouver des débouchés professionnels pour les cadets, mais aussi de produire des mérites à faire valoir à Versailles. En effet, à l’image de la famille de Croix, nombre de familles peinent à trouver des accès à la cour de France. À la fin des années 1730, alors que le marquis d’Heuchin a décidé de renouer avec le service royal en plaçant son héritier dans les armées françaises, il éprouve les plus grandes difficultés à lui trouver des emplois militaires. Après l’achat d’une compagnie de cavalerie, il tente pendant plus de dix ans de lui obtenir un régiment. Finalement, en 1758, âgé de trente-trois ans, l’héritier d’Heuchin transmet sa compagnie à son frère et quitte le service. « Il y a quinze ans qu’un régiment aurait pu lui convenir et même le mener à une fortune brillante, mais à l’heure qu’il est, il est trop tard », commente depuis l’Espagne son oncle Charles41.
26À notre connaissance, il n’existe pas d’étude sur le sentiment de provincialisation des élites nouvellement rattachées à la France, alors que celui-ci est perceptible dans les correspondances privées adressées à leurs parents en Espagne. Visiblement, cette impression de marginalité naît de la difficulté d’insertion dans les réseaux de pouvoir de la cour de France doublée du durcissement de la frontière franco-belge qui ferme l’accès aux emplois des Pays-Bas42. On peut d’ailleurs penser que les familles les plus investies dans le service d’Espagne sont celles qui peinent à trouver des charges prestigieuses dans leur région d’origine. « En restant enterré à Cambrai — écrit le baron de Carondelet à son frère depuis l’Espagne — vous resterez chanoine. Il faut vous montrer à la Cour43 ». À la même époque, à Lille, le chef de la maison de Croix regrettait d’être « bien dans l’ombre » en regard de ses parents partis en Espagne et s’interrogeait :
Quelle peut donc être la cause du peu de grâces versées sur les provinces ? […] Telle est notre destinée. Il faut s’en consoler44.
27Par conséquent, dans la Flandre française, le service d’Espagne reste visiblement perçu comme un moyen d’enrayer l’éloignement des centres de pouvoir. Sans doute l’espoir demeure-t-il que l’ancienne promesse de Louis XIV formulée au temps de l’union dynastique subsiste, et que « les services en Espagne seraient regardés comme rendus en France45 ». C’est donc le capital politique des parents expatriés en Espagne qui doit bénéficier aux familles restées au pays. Car, entre les uns et les autres, les accès dont ils jouissent sont sans commune mesure.
28En 1720, le jeune marquis d’Heuchin cherche tant bien que mal l’appui de l’intendant de Flandre pour obtenir un emploi dans l’armée du roi de France. Entre-temps, depuis l’Espagne, son oncle Eugène obtient la recommandation du chevalier d’Asfled qu’il a connu en 1707 lorsque ce dernier était commandant général du royaume de Valence et aux côtés duquel il a combattu à Almansa46. Il sollicite également la duchesse de San Pedro, Marie Thérèse de Colbert, la sœur du ministre Torcy, qui a épousé en 1704 Francisco Spinola, duc de San Pedro, un noble milanais partisan de Philippe V qui occupe les fonctions de gouverneur et capitaine général du royaume de Valence depuis 171747. Entre l’oncle et le neveu, il y a une asymétrie évidente dans la qualité des intermédiaires qu’ils sont capables de mobiliser. Alors qu’Heuchin est obligé de passer par la voie institutionnelle de l’intendant, Eugène de Croix peut recourir à des contacts personnels qu’il s’est forgés au service d’Espagne. Il agit ainsi à la cour de France depuis l’Espagne de manière plus efficace que son neveu établi à Lille.
29Ce différentiel d’opportunités explique l’intérêt porté dans les régions d’origine pour les carrières de ces parents et voisins partis au service de l’Espagne. Les nominations aux emplois annoncées par la Gazeta de Madrid sont souvent reprises par les journaux de France, des Pays-Bas ou de Hollande, et sont relayées ensuite par les correspondances familiales48. Les recueils généalogiques publiés en France ou aux Pays-Bas mentionnent systématiquement les membres qui servent en Espagne et il n’est pas rare de trouver dans les papiers de familles, y compris parmi celles qui n’ont pas de parents en Espagne, des listes très précises des officiers des gardes wallonnes et de leurs états de service49.
30À ce titre, vue depuis la Flandre, l’Espagne peut apparaître comme un pays de cocagne même si ceux qui y servent ne cessent de le démentir. « Ma réputation étant telle dans les pays où vous êtes, que j’y passe, me dites-vous, pour être ici dans la plus grande opulence », écrit Charles de Croix, déplorant que cela ne soit pas le cas50. Dans une autre lettre, son neveu se désole lui aussi des idées fausses qui circulent aux Pays-Bas : « l’Espagne et les appointements de ceux qui y servent ont beaucoup de renommée pour ceux qui ne les connaissent pas ». Selon lui, beaucoup d’officiers ne reçoivent pas assez de secours de leurs parents car « dans les pays étrangers on nous croit décorés et tous galonnés51 ». Bien que les officiers expatriés en paient parfois le prix, l’image flatteuse du service d’Espagne constitue un grand pourvoyeur de capital social, surtout localement, car elle modifie le regard porté sur la famille et place celle-ci en position de dispenser des faveurs.
31En somme, pour nombre de familles de la Flandre ou du Hainaut, mal insérées dans les réseaux de pouvoir structurés autour de Vienne ou de Versailles, le maintien (ou l’invention) de la tradition de service vers l’Espagne permet de freiner un processus de provincialisation et de marginalisation politique. Grâce à l’action de leurs parents à la cour d’Espagne, les provinces flamandes restent équidistantes de Madrid et Versailles. Les réseaux de l’exil flamand contribuent à structurer socialement l’espace bourbonien et à en exploiter les ressources politiques pour servir les intérêts familiaux.
La structuration patrimoniale du territoire
32Le duc de Bournonville est allé particulièrement loin dans la structuration familiale de cet espace politique en tentant d’unifier depuis l’Espagne un patrimoine dispersé entre différentes couronnes. En effet, Michel Joseph de Bournonville appartient à une branche cadette de sa maison, restée au service de l’Espagne, qui a été spoliée d’une partie de ses biens par les branches aînées passées au service de Louis XIV au cours du xviie siècle52. L’histoire familiale de Michel Joseph est celle de la revanche d’un cadet sans fortune contre ses prestigieux aînés grâce aux récompenses obtenues de Philippe V. Parmi celles-ci, en 1717, le roi lui a accordé le titre de duc de Bournonville avec la Grandesse d’Espagne, suivi, en 1720, du rétablissement en sa faveur de la compagnie flamande des gardes du corps53. Solidement installé à Madrid, se posant en principal représentant de la nation flamande à la Cour, Michel Joseph entreprend alors de récupérer et d’unifier sous sa tutelle l’ensemble des possessions de la famille en France, aux Pays-Bas et en Espagne, et de les lier à sa charge de capitaine de la garde du corps. Dans cette stratégie de refondation familiale, unification du patrimoine et patrimonialisation de l’emploi vont de pair (voir annexe IX).
33L’entreprise est ambitieuse car Michel Joseph de Bournonville n’est pas marié, n’a pas d’héritier, et ne possède à peu près aucun bien, le titre de duc étant simplement nominatif et la Grandesse personnelle54. Le nouveau duc de Bournonville entreprend donc de reconstituer un patrimoine autour de son titre : en 1721, il reçoit du roi d’Espagne une pension de 90 000 réaux sur la production de mercure en Nouvelle Espagne55 ; en 1727, l’année où le dernier descendant de la branche française des Bournonville s’éteint sans héritier, Philippe V autorise Michel Joseph à transmettre à ses héritiers son titre — la Grandesse — et sa pension. Dans les années qui suivent, Michel Joseph rachète à la branche aînée le duché de Bournonville dans le Boulonnais, le fief historique de la famille, et l’unit au nouveau titre de duc acquis au service de Philippe V56. En 1732, il fait venir en Espagne son neveu François Joseph, pour lequel il a obtenu un emploi d’exempt dans sa compagnie. Michel Joseph entreprend alors des démarches pour permettre à son neveu de lui succéder dans sa charge et pour qu’il puisse hériter de ses titres et de son patrimoine. En 1738, Michel Joseph fonde un majorat selon la coutume de Castille et unit en un tout indivisible les terres du duché de Bournonville, le titre de duc, la Grandesse, et la pension perpétuelle sur le mercure de Nouvelle Espagne57. Par la suite, il augmente ce majorat de la terre de Lembeek (Brabant), de l’emploi de garde major du bateau de la Avería de la baie de Cadix, acheté à la couronne pour 750 000 réaux, et de différents droits concédés par le roi sur des terres situées à Logroño, Guadalajara et Barcelone58. Ce majorat comprend donc des biens situés en France, aux Pays-Bas, en Espagne et au Mexique. Parallèlement à l’unification de son patrimoine, Michel Joseph travaille à se doter d’un héritier. En 1738, il a organisé le mariage de François Joseph avec la fille du duc d’Ursel, une des maisons les plus riches de la noblesse des Pays-Bas, qui doit assurer à sa famille un ancrage durable dans les provinces autrichiennes59. En outre, lui, l’exilé philippiste, s’unit avec l’une des principales familles flamandes dévouées au service impérial. La jeune épouse n’est autre que la fille du comte d’Ursel — devenu duc impérial — qui avait levé la compagnie de mousquetaires pour Philippe V. Pour Michel Joseph, cette alliance tient lieu de réhabilitation politique aux Pays-Bas, ce qui ne va d’ailleurs pas sans susciter l’inquiétude de l’empereur60. En 1739, dans la foulée de ce mariage, il obtient de Philippe V le droit d’adopter son neveu afin que celui-ci puisse jouir sans attendre du statut de fils aîné de Grand d’Espagne61. La stratégie patrimoniale de Michel Joseph de Bournonville se construit donc à l’échelle des Pays-Bas, de la France et de la monarchie hispanique. Son majorat, qui regroupe des biens dispersés sur ces territoires, constitue l’assise sur laquelle il entend refonder la maison de Bournonville, en l’associant à la charge de capitaine des gardes du corps62.
34Le cas Bournonville éclaire la façon dont la gestion du patrimoine contribue à donner une assise matérielle à l’espace politique formé par l’alliance des Bourbon. À la lumière de ces pratiques, malgré son morcellement, l’Europe des Bourbon apparaît comme un espace politique polycentrique traversé par un maillage dense de réseaux de collaborations familiales. Grâce aux officiers flamands, cet espace déborde largement sur les Pays-Bas autrichiens par les multiples contacts qui se maintiennent entre Bruxelles et Madrid. Au sein de l’élite militaire espagnole, les Flamands sont sans doute les mieux placés pour exploiter les ressources de la nouvelle diplomatie bourbonienne en Europe. Ils en tirent un bénéfice considérable lorsqu’il s’agit de s’implanter dans les sociétés locales en Espagne.
III. — Vie militaire et sociabilités urbaines
35La grande majorité des officiers flamands arrivés en Espagne au début du xviiie siècle ne dispose pas d’une assise sociale préalable dans la Péninsule. Malgré la mobilité inhérente à la vie militaire, certains d’entre eux se sont pourtant installés dans les villes espagnoles et ils y ont développé des relations en dehors de leur groupe professionnel. Madrid et Barcelone, les villes de casernement de la garde royale, ont constitué des lieux d’ancrage particulièrement favorables. Néanmoins, les spécificités locales de la vie militaire ont engendré des formes différentes d’intégration dans la cité.
Madrid et la Cour
36La capitale de la monarchie a toujours été réticente à la présence de militaires dans ses murs, comme l’a illustré la difficile réforme de la garde royale au début du règne de Philippe V. Durant la première moitié du xviiie siècle, la présence des troupes s’est donc faite discrète, et avec elle, celle des corps flamands. À partir de 1723, avec l’inauguration de la caserne de la rue Conde Duque, à deux pas du palais royal, les compagnies de la garde du corps ont été logées de façon permanente dans Madrid. Au total, la garde du corps ne regroupe que six cents cavaliers dont les fonctions se limitent à la sécurité intérieure du palais royal. Par contre, plus encombrants ont été les deux régiments de la garde dite « extérieure », en raison de la protection qu’ils sont censés assurer à l’extérieur du palais et des sites royaux, et de leurs effectifs de 4 200 hommes chacun. Depuis leur création, chacun d’entre eux n’a détaché qu’un seul bataillon (700 hommes) pour le service à la Cour, le reste des effectifs étant stationné en Catalogne. Seule la compagnie de service au palais royal a été casernée dans Madrid, tandis que le reste du détachement était stationné dans des villes relativement éloignées de la capitale, à Torrelaguna, Colmenar Viejo, ou Alcalá de Henares. Il faut attendre les années 1770 et 1780, et la construction des casernes de Vicálvaro pour les gardes espagnoles et de Leganés pour les gardes wallonnes, pour que ces détachements soient ramenés dans la périphérie immédiate de la capitale63. Cette situation a permis de limiter au maximum les conflits avec les institutions traditionnelles de la ville et de la Cour. L’absence d’une juridiction militaire unique et autonome et le casernement extérieur des unités les plus visibles, ont favorisé l’insertion de la garde royale dans le tissu institutionnel local. Depuis sa fondation, l’autonomie juridictionnelle de la garde du corps a été garantie conjointement par le conseil de Castille et la salle des alcaldes de l’Hôtel et de la Cour64. Ainsi, la garde du corps a pu s’installer à Madrid car elle n’a pas fondamentalement bouleversé l’organisation juridictionnelle de la capitale.
37Le relatif apaisement sur le plan institutionnel tranche en revanche avec l’hostilité que témoigne la population à l’égard des militaires, en particulier les soldats des gardes wallonnes. Ceux-ci semblent cristalliser par métaphore toute la présence armée à la Cour puisque dans le vocabulaire populaire madrilène le terme « valona » désigne l’ensemble des prostituées et des filles à soldats65. De plus, la brutalité de la troupe a contribué à attiser la haine populaire : en 1764, lors du mariage de l’infante María Luisa, à la suite d’un mouvement de foule, les gardes wallonnes ont ouvert le feu sur l’assistance tuant une trentaine de personnes. Cet événement aurait été à l’origine du déchaînement de violence à l’encontre de ces soldats lors de la révolte dite d’Esquilache en 1766. Cette fois, alors que la garde royale tente de réprimer le peuple de Madrid, les émeutiers s’attaquent tout particulièrement aux gardes wallonnes. Aux cris de « mort aux Wallons », une vingtaine d’entre eux périt au cours de la journée, lynché par la foule66.
38Malgré cet environnement hostile, les sites royaux demeurent les centres incontournables du pouvoir, et c’est là que se sont installés les membres les plus éminents de l’exil flamand. Les familles de Bournonville, de Lede, ou de Croÿ résident à la Cour, tandis que beaucoup d’officiers viennent y séjourner régulièrement, que ce soit pour leurs obligations de service ou pour y présenter des requêtes. D’autres y occupent des fonctions auliques : 13 officiers des corps flamands ont occupé une charge effective de gentilhomme auprès du roi ou des infants, tandis que l’on compte une douzaine de femmes natives de Flandre parmi les dames de compagnie de la reine ou des infantes67. Un personnage tel que le namurois Nicolas Mahy Chenu illustre cette présence discrète mais continue des officiers flamands dans les rouages de la vie de Cour. Officier de la garde du corps, protégé des Bournonville, il a été intendant puis intendant général du site royal de Saint-Ildefonse de la Granja de 1773 à 179768. L’importance de ces courtisans flamands ne doit toutefois pas être exagérée : dominés par la famille de Bournonville, ils ne sont pas plus d’une vingtaine de personnes dont la résidence à la Cour est plus ou moins permanente. En outre, on sait que leur influence politique est restée limitée et qu’elle n’a pu s’exercer que dans le cadre d’alliances avec les grandes maisons nobles castillanes et italiennes69. S’il y a bien des logiques de nation dans les jeux de pouvoir à la Cour, celles-ci s’inscrivent dans d’autres clivages, autrement plus politiques, dont nous verrons les enjeux au chapitre suivant.
39À la peine pour donner une orientation « flamande » à la politique extérieure de la monarchie, les grandes familles nobles de l’exil exercent en revanche un pouvoir important sur les officiers des corps flamands en médiatisant la faveur royale. Les chefs de la maison militaire tiennent ce pouvoir de leurs prérogatives dans l’attribution des emplois mais plus généralement, avec leurs épouses, ils jouent un rôle de facilitateur et d’introducteur des jeunes officiers à la Cour. En 1749, lorsqu’il arrive pour la première fois à Madrid, Théodore de Croix a été recommandé par son oncle Charles auprès de ces figures éminentes de l’exil flamand.
Je ne sais pas où commencer pour vous faire savoir toutes les politesses et les grâces dont j’ai été comblé dans ce pays-ci en votre considération. M. de Gages n’a pas plus tôt su mon arrivée qu’il m’a fait dire d’aller dîner chez lui. J’ai été le lendemain de mon arrivée chez M. le comte de Glimes, qui m’a mené au palais et a bien voulu me faire la grâce de me présenter à Leurs Majestés et à toute la famille royale. Il m’a aussi fait faire connaissance avec Mmes de Masseran et de Lede. M. de Flobert m’a mené chez Mmes de Béjar et de Bournonville70.
40Si la réputation acquise par la famille de Croix permet d’ouvrir facilement les portes de ce petit milieu, il n’en est pas toujours ainsi. En 1789, le témoignage d’un jeune émigré béarnais réfugié en Espagne, M. de Sibas, décrit les difficultés rencontrées pour pénétrer ce cercle courtisan. Alors qu’il cherche de l’emploi dans la compagnie flamande de la garde du corps, il lui faut faire bien des démarches pour parvenir à entrer en contact avec le capitaine, le prince de Masserano, et que celui-ci accepte de lui accorder sa protection71. Quelques années plus tôt, le baron de Carondelet, un officier du régiment de Flandre originaire du Cambrésis, s’était rendu à la Cour pour présenter un mémoire au roi. Décrivant ses démarches pour obtenir une entrevue avec le souverain, il parle de ses « protecteurs » à la Cour, dont « la comtesse de Baillencourt, qui est Duchasteler en son nom, et par conséquent notre alliée, [m’a été] également fort utile, son emploi de gouvernante des petites infantes lui donnant accès auprès de Sa Majesté et des Princes72 ».
41Pour les officiers, Madrid est donc davantage une ville de passage, sur la route des sites royaux qui se trouvent à la périphérie de la capitale et où la Cour séjourne habituellement. Y faire étape est l’occasion de gérer des affaires en cours devant le tribunal de la garde royale, de rédiger des actes notariés ou de tester devant le greffier de ce même tribunal73. En 1737, Charles de Croix est de passage à Madrid, en route pour l’Escorial, car « il est indispensable de faire de temps en temps sa cour à nos maîtres », et il en profite pour régler « quelques affaires de régiment que j’avais à finir74 ». Les voyages à la Cour sont donc des moments d’intense activité sociale qui passent par la fréquentation des salons du palais, de la table des commandants de la maison militaire et des hôtels des Grands d’Espagne. Ces sociabilités ne sont pas exclusivement flamandes, bien au contraire, mais une vie communautaire semble s’organiser autour des grandes figures de l’exil. Diffuse et perméable, elle n’est pas toujours facile à saisir dans les sources.
42Par exemple, beaucoup d’officiers flamands candidats à un habit d’un ordre militaire demandent à ce que les enquêtes de pureté de sang du conseil des ordres se déroulent à Madrid « par patrie commune ». Cette mesure dérogatoire prévoit qu’une bonne réputation à la Cour vaille en tout lieu, ce qui permet non seulement de diminuer les frais liés à l’envoi de commissaires dans les régions d’origine, mais aussi de tirer profit des sociabilités flamandes de Cour. Il n’est d’ailleurs pas rare que les témoins interrogés s’y réfèrent explicitement pour justifier leur bonne opinion du candidat. Dans l’enquête du comte de Lalaing, un officier des gardes wallonnes témoigne de la réputation du prétendant « par les fréquentes conversations avec des officiers du même pays ainsi que la fréquentation à la Cour de toute la noblesse75 ». Quelques années plus tard, ce même Lalaing témoigne à son tour dans une autre enquête menée à Madrid. Lui qui est né à Badajoz de père flamand n’a jamais été aux Pays-Bas ; il s’estime pourtant apte à déclarer en faveur du comte de Nassau « car il a fréquenté dans cette Cour avec beaucoup d’intimité et de fréquence les personnes visibles de cette nation76 ». L’inscription dans ces réseaux de sociabilité à la Cour constitue donc une ressource pour les officiers, mais aussi un instrument de contrôle social sur cette petite communauté d’expatriés.
43Une autre preuve tangible de l’importance des sociabilités de nation à la Cour sont les liens qui existent entre les officiers de la garde royale et l’hôpital Saint-André. Avec la compagnie des archers flamands et le conseil suprême de Flandre et de Bourgogne, cet hôpital a joué un rôle structurant depuis la fin du xvie siècle dans la représentation politique de la nation flamande à la cour d’Espagne77. De ces trois institutions, l’hôpital est la dernière à avoir survécu tant bien que mal aux réformes du début du règne de Philippe V, vraisemblablement grâce au soutien des exilés flamands qui ont vu dans la survie de cette institution caritative un moyen de protéger les régiments de nation menacés par les réformes de l’après-guerre78. Or, cette alliance de circonstance a survécu à la crise de 1715, et certains officiers flamands ont maintenu des liens avec l’hôpital, comme le prouvent les dons mentionnés dans certains testaments d’officiers79. Plus significatives sont les rares archives de l’hôpital qui ont été conservées, et en particulier la seule liste qui nous est parvenue des membres de la députation, l’organe chargé de gérer l’institution. Datée de 1767, elle fait état de dix-neuf membres, dont quatre officiers des gardes wallonnes et deux de la compagnie flamande de la garde du corps. Parmi ceux-ci figure un personnage aussi important que le comte de Priego, le colonel des gardes wallonnes, ce qui témoigne de l’intérêt accordé par les officiers de l’exil à cette vieille institution de la nation flamande80. Cela confirme un élément déjà mis en lumière avec le duc de Bournonville, à savoir la récupération par les exilés flamands du nacionismo traditionnel. En se plaçant en héritiers institutionnels des archers de Charles Quint, les familles philippistes inscrivent dans le temps long de l’histoire de la monarchie les privilèges récents de l’élite militaire.
44Madrid et la Cour sont donc les lieux où les relations communautaires entre Flamands sont les plus denses. La présence des grandes figures de l’exil flamand y est pour beaucoup. Madrid est le théâtre d’une compétition pour la représentation de la nation auprès du monarque qui passe par la constitution de vastes réseaux de clientèles et par le contrôle des institutions qui incarnent les droits de la nation flamande en Espagne. Dans le reste de l’Espagne, là où la plupart des officiers flamands se trouvent, cette compétition n’a pas lieu. Loin de la Cour et des enjeux symboliques de pouvoir, les configurations sociales se structurent selon d’autres logiques.
Barcelone et la Catalogne
45Depuis la fin de la révolte des Segadors en 1652, la présence militaire en Catalogne a été renforcée et elle a été une source constante de tensions entre la monarchie et les Cortès catalanes81. L’avènement de Philippe V n’a rien changé à cette situation : en 1704, alors que la sédition austraciste n’a pas encore eu lieu, la nécessité de renforcer le dispositif militaire en Catalogne est déjà posée. À peine créée, la nouvelle maison militaire du roi est pressentie pour jouer un rôle clé dans le maintien de l’ordre dans la principauté. À ce sujet, le conseil d’État représentait au roi :
Prenez en haute considération le fait que jamais vos régiments de la garde et les compagnies du corps ne seront mieux employés que lorsqu’ils assureront à Votre Majesté sa souveraineté en Catalogne82.
46Il aura fallu attendre la chute de Barcelone en 1714 et une tentative de soulèvement l’année suivante pour que le conseil soit suivi et qu’un nombre important de troupes soit maintenu dans la principauté. En 1715, 60 des 114 régiments d’infanterie de l’armée de Philippe V sont cantonnés en Catalogne, soit plus de 20 000 hommes83. En 1716, le roi ordonne à l’ingénieur militaire flamand, Georges Prosper Verboom, de raser le quartier de la Ribera à Barcelone pour y construire une citadelle capable de tenir la ville en respect84. Il charge ensuite ses deux régiments des gardes wallonnes et espagnoles d’y prendre alternativement leurs quartiers pour tenir la garnison. Avec le début des campagnes d’Italie, Barcelone devient la grande base stratégique où transitent des milliers des soldats destinés à s’embarquer sur les navires de guerre. Au milieu du siècle, la présence militaire est assurée essentiellement par les deux grands régiments d’élite de la maison du roi. Sur les 42 compagnies que compte chacun, 35 sont en Catalogne, soit 3 500 hommes, qui se relaient à peu près tous les ans pour tenir garnison à Barcelone. Lorsqu’un régiment est dans la ville, l’autre répartit ses compagnies dans plusieurs villes catalanes, le plus souvent à Lérida, Tortose, Vich et Mataro85. À Barcelone, pour une population évaluée à environ 40 000 habitants, le logement de 3 500 hommes nécessite la construction de 7 casernes, tandis que 924 habitations particulières ont été attribuées aux officiers86.
47La place prépondérante occupée par la maison militaire en Catalogne ne tient pas qu’à son importance numérique. Après la crise de 1715, les officiers supérieurs des gardes wallonnes et espagnoles sont parvenus à établir un quasi-monopole sur les emplois de corrégidors et de gouverneurs militaires de Barcelone et des villes catalanes, faisant de la principauté leur pré-carré87. Par conséquent, Barcelone et ses environs deviennent des lieux de résidence prolongée pour beaucoup d’entre eux : ils y contrôlent sans partage les hauts emplois, dominent les sociétés locales par la volonté du roi, et ils n’ont pas à souffrir le voisinage encombrant de la haute noblesse de Cour. La présence militaire en Catalogne, généralement vue par l’historiographie nationaliste catalane comme une occupation, est en réalité le fruit d’un rapport de force qui a permis à l’élite militaire philippiste de se tailler un fief dans l’Espagne de la Nueva Planta.
48Par le nombre de militaires qu’elle héberge, par leur poids politique, Barcelone constitue donc l’archétype de la ville militaire du xviiie siècle. Il s’y forme une authentique société militaire composée des officiers de l’armée et des agents de l’administration royale en province88. On peut prendre la mesure de la densité de ces relations par les nombreux mariages célébrés à Barcelone au sein des familles de militaires. Ainsi, entre 1741 et 1749, les archives de la vicairie générale de l’armée recensent pour la seule ville de Barcelone 147 mariages, tous effectués entre des militaires et des filles ou des veuves d’autres militaires. On y trouve autant des Castillans, des Valenciens, des Basco-navarrais, des Flamands, des Irlandais que des Italiens89. Une autre trace de l’importance de ces sociabilités professionnelles est aussi visible dans la documentation notariale, par la présence très importante de militaires dans les dispositions testamentaires de leurs compagnons d’armes. Sur 42 testaments effectués par des militaires à Barcelone, tous mentionnent au moins un autre officier parmi les témoins ou les exécuteurs testamentaires90. Il s’agit le plus souvent de parents ou d’amis qui doivent faciliter la liquidation des créances envers le régiment et l’administration militaire, mais cela témoigne aussi du resserrement du tissu relationnel des testateurs sur leur groupe professionnel.
49La vie militaire à Barcelone n’est pas aussi contraignante que le train de vie exigé à la Cour. Elle n’en demeure pas moins dynamique, rythmée par les parties de chasse, les dîners, les bals et le jeu91. De plus, les officiers exercent entre eux un contrôle social très strict qui les oblige à des dépenses somptuaires, condition de leur intégration dans les cercles de la bonne société locale. Théodore de Croix décrivait en ces termes les contraintes de la vie de garnison à Barcelone :
Ce pays, de toutes sortes de façon, est tout différent que le nôtre et par conséquent, notre métier aussi […]. Si vous ne vivez pas avec une certaine décence, on vous regarde comme des misérables, surtout dans ce régiment-ci où l’on est exposé tous les jours à différentes dépenses que si vous ne faites pas comme les autres, personne ne vous regarde et même évite de vous fréquenter. La même chose est dans les meilleures compagnies qu’il y a à voir, si vous ne jouez pas, vous n’êtes pas bon à être jeté aux chiens et l’on ne fait pas plus de cas d’un officier, il a beau avoir un nom, comme si vous étiez un faquin. Voici le style du pays92.
50Si le jeu et les divertissements présentent des dangers pour les plus jeunes, la vie militaire de province offre un cadre plutôt rassurant pour les officiers en fin de carrière. Sans perspective de retour au pays, beaucoup d’officiers flamands âgés demandent à être agrégés à l’état-major de Barcelone ou aux bataillons des gardes wallonnes qui y sont casernés. Ce statut les autorise à résider dans la capitale catalane, à y percevoir leur salaire, sans avoir à prêter de service actif93. D’autres officiers blanchissent sous le harnais dans les bataillons de Catalogne sans demander leur retraite. À deux reprises, en 1740 et en 1762, le secrétaire de la guerre doit demander que les gardes wallonnes soient purgées des officiers les plus âgés incapables de continuer le service94. Enfin, certains officiers convoitent les gouvernements territoriaux catalans pour s’assurer une retraite paisible sans avoir à souffrir les rigueurs de la vie de régiment. En 1717, Eugène Nieulant, infirme depuis une blessure reçue au siège de Barcelone, demande la lieutenance du roi de la citadelle de la ville :
Ayez s’il vous plaît la bonté, Monsieur, de me faire accorder à la suite de l’état-major de Barcelone mes anciens appointements […] en attendant qu’il plaise au roi de m’accorder quelque gouvernement ou quelque lieutenance de roi dans la principauté de Catalogne quand il en vaquera afin d’être aux ordres de Son Excellence M. le prince Pio [capitaine général de Catalogne] qui veut bien m’honorer de sa protection95.
51La longue et massive présence militaire à Barcelone s’est progressivement insérée dans le tissu des institutions urbaines selon des modalités complexes qui restent encore largement dans l’ombre. On sait par exemple que les officiers de la garnison de Barcelone ont joué un rôle fondamental dans le développement de l’opéra italien. Beaucoup d’entre eux ont réalisé des séjours en Italie à l’occasion des campagnes militaires et ils ont ramené avec eux le goût pour le spectacle italien. Pour l’année 1752-1753, 54 % des abonnements au théâtre de Barcelone sont le fait d’officiers de la garnison (soit environ 150 personnes)96. Conséquence directe de cet engouement pour l’opéra, une grande partie des livrets de pièces italiennes édités à Barcelone est dédicacée à des officiers de la garnison, dont une part importante à des officiers des gardes wallonnes97. Il se trouve que le théâtre de Barcelone est administré par l’hôpital de la Santa Creu lequel perçoit sur les entrées les fonds nécessaires au secours des pauvres et des malades. Or, lorsque l’on consulte les registres des entrées de l’hôpital, on constate que l’essentiel de son activité consiste à recueillir et soigner les soldats des régiments de la garnison98. La fréquentation massive du théâtre par les militaires relève donc sans doute d’un goût prononcé pour un spectacle qu’ils ont contribué à promouvoir, mais elle répond aussi à des logiques caritatives qui permettent de donner à une institution locale les moyens de subvenir aux besoins des régiments en garnison.
52Aussi insérée soit-elle dans la vie locale, la présence militaire en province n’a pas été exempte de conflits avec les institutions urbaines. On connaît les tensions très fortes qui ont pu opposer des gouverneurs militaires — tant flamands, italiens, irlandais qu’espagnols — avec les autorités locales tant en Catalogne qu’à Valence99. Cependant, aussi durs soient-ils, aucun de ces conflits n’a porté sur le caractère cosmopolite de l’élite militaire provinciale. Celle-ci a pourtant été accusée de détournement, de corruption, d’abus de pouvoir, mais jamais ses origines étrangères n’ont été stigmatisées. Dans la conflictualité ordinaire qui oppose les autorités des villes aux gouverneurs militaires, la critique xénophobe n’a pas trouvé lieu à s’exprimer. Lorsqu’on trouve des expressions explicites de xénophobie à l’égard des militaires flamands, il s’agit de manifestations populaires. Elles se sont traduites violemment lors de la révolte de Madrid en 1766, mais elles s’expriment aussi dans des altercations ponctuelles avec la population locale qui se terminent souvent devant les tribunaux d’inquisition100. Il n’y a donc pas de cécité ou d’indifférence généralisée des acteurs vis-à-vis du cosmopolitisme des élites militaires, il s’agit plutôt d’un silence propre à des sources — la correspondance politique ordinaire — et circonscrit au milieu des élites urbaines qui côtoient ces officiers. Les nouvelles sociabilités urbaines qui se sont constituées autour de la présence militaire ont visiblement imposé le cosmopolitisme comme un fait qui ne se questionne pas, et surtout pas lorsqu’il s’agit de se plaindre au roi des agissements de ses agents101.
53En 1791, un conflit entre deux officiers, l’un d’origine flamande et l’autre d’origine irlandaise, est l’occasion d’un rare exemple de transgression de ces codes implicites. Née d’un simple conflit de juridictions, l’affaire dégénère rapidement lorsque les deux hommes s’accusent mutuellement de déloyauté envers le roi en raison de leur ascendance étrangère. Ce genre de mise en cause est rarissime et elle est d’ailleurs immédiatement prise très au sérieux par le secrétaire de la guerre. Ce dernier estime que l’affaire contient une matière « scabreuse », indigne d’officiers du roi, et qui donne raison « à la critique de la plèbe et à ses discours peu réguliers102 ». L’indifférence envers le cosmopolitisme du généralat apparaît donc comme une sorte de gentlemen agreement devenu une marque de reconnaissance des membres des sociétés militaires urbaines. La moindre incartade est jugée vulgaire, la xénophobie est considérée comme un trait populaire, alors que les sociabilités militaires se distinguent par leur cosmopolitisme courtois. Les conventions morales des sociétés militaires urbaines demeurent un chantier très largement inexploré. Néanmoins, elles expliquent sans doute l’attachement que les officiers flamands portent aux villes de garnison. Dans ces milieux, les codes de conduite imposent de partager une mémoire commune des services rendus à la couronne par les uns et les autres, et de les traiter avec la considération correspondante. Ces cercles de sociabilités protègent donc autant qu’ils renouvellent la légitimité politique des officiers flamands.
54Ces sociétés militaires cosmopolites ne sont toutefois pas étanches, mais bien inscrites dans l’espace urbain et connectées avec les sociétés locales. La Catalogne n’est pas uniquement un lieu de l’entre-soi militaire, elle est aussi un territoire particulièrement favorable pour les officiers qui ont choisi de faire souche parmi les élites locales.
IV. — De nouvelles élites locales ?
Formes et enjeux de l’intégration locale
55La vie militaire de province a donné l’occasion aux officiers flamands de nouer des liens forts avec les sociétés locales et d’entamer un processus de sédentarisation. Scellé par le mariage, marqué la résidence prolongée et par l’acquisition de biens, ce processus a permis à certains d’entre eux de sortir des cercles militaires urbains pour se rapprocher des élites locales. Loin de rompre avec leur milieu professionnel d’origine, les emplois de l’administration royale ont constitué au contraire le meilleur atout pour pénétrer les sociétés urbaines.
56Le cas de la famille de Bassecourt est un exemple éclairant de la manière dont les officiers flamands se sont servis des emplois en Catalogne pour s’intégrer parmi les élites locales103. Originaires de Grigny (Artois), les Bassecourt ont entamé le service d’Espagne grâce à une enfant de dix ans, Marie Catherine, arrivée à Madrid en 1705 à la suite de Mlle de Beaumarais, nommée dame de chambre de Marie Louise de Savoie104. Devenue à son tour dame de la reine, Marie Catherine de Bassecourt fait venir trois de ses frères, André, Procope et Nicolas, entre 1710 et 1720, pour servir dans les gardes wallonnes105. Les Bassecourt contractent alors des alliances en Espagne, toutes dans le milieu des militaires d’origine espagnole, flamande ou italienne106. Dans les années 1730, les guerres d’Italie donnent à André et à Procope l’occasion de se distinguer et d’obtenir un titre de noblesse des mains du roi de Naples, le futur Charles III. De son côté, Marie Catherine est devenue dame d’honneur de la reine Isabelle puis gouvernante de la fille de Don Philippe, le prétendant au duché de Parme107. Forts de ces titres et de ces appuis à la Cour, les Bassecourt entament un processus d’intégration locale par le biais de la Catalogne. Le phénomène est perceptible chez Procope : il quitte les gardes wallonnes à l’âge précoce de quarante-trois ans, et s’installe ensuite pendant vingt-cinq ans à la tête de places catalanes. Il occupe ainsi le commandement de la citadelle de Montjuich pendant dix-neuf ans, suivi du corregimiento d’Hostalrich en 1760, puis de Lérida de 1761 jusqu’à sa mort en 1765. Décoré du titre napolitain de Santaclara, il obtient en 1754 sa conversion en un titre de Castille, celui de baron de Mayals, lié à des terres qu’il possède dans la région de Lérida. Il s’implante alors dans la région comme un véritable seigneur féodal, avec domaine et château, juridictions civile et criminelle, dans ses fiefs de Mayals et de Llardecans108. L’intégration parmi les élites politiques locales se poursuit avec les enfants du baron de Mayals. Né à Barcelone, Juan Procopo, son fils aîné, épouse vers 1770 la nièce du marquis de Castelldosrius, l’une des principales maisons catalanes109. Il a effectué une longue carrière dans les gardes wallonnes, avant d’en sortir à l’âge de cinquante-trois ans vers les corregimientos militaires, décoré du grade de maréchal de camp. En 1793, il obtient le gouvernement de Gérone, suivi de celui de Barcelone en 1795, avant d’être nommé à la capitainerie générale de Cuba en 1796. Ce passage en Amérique lui permet de revenir avec plus de facilité vers son lieu d’origine. En 1803, décoré du grade de capitaine général des armées, il accède à la capitainerie générale de Catalogne110. En un demi-siècle et en deux générations, le centre de gravité de la famille s’est déplacé. Ce renversement est observable grâce aux deux enquêtes de pureté de sang passées par Juan Procopo à cinquante ans d’intervalle. En 1750, à peine âgé de dix ans, il avait prétendu à l’habit de l’ordre de Saint-Jacques en demandant au conseil des ordres une dispense pour que l’enquête puisse se dérouler à Douai, en argumentant que sa naissance à Barcelone n’était qu’accidentelle et qu’elle ne présumait pas de ses inscriptions sociales111. Cinquante-deux ans plus tard, après avoir servi dans les gardes wallonnes, épousé la nièce du marquis de Castelldosrius, et occupé les plus hautes fonctions politiques et militaires de la principauté, il n’a plus rien à craindre en confiant aux élites barcelonaises le soin d’attester de sa réputation. Quand il sollicite la bande de l’ordre de Charles III en 1802, il convoque l’enquête à Barcelone, sa ville natale, où tous les chefs des institutions militaires, de l’administration royale, de la municipalité et de la noblesse catalane se pressent pour témoigner en sa faveur112.
57Les Bassecourt ont donc utilisé les emplois de l’administration territoriale comme un moyen pour acquérir une reconnaissance sociale au niveau local, et entamer une politique d’alliance avec la noblesse et les patriciats urbains en Catalogne, à Valence et en Navarre113. Le plus remarquable est que la famille n’a jamais abandonné ses liens avec sa région d’origine, le régiment des gardes wallonnes et les emplois militaires. Leur trajectoire témoigne d’un processus rapide de catalanisation d’une frange des officiers flamands par la fréquentation longue et assidue des emplois militaires dans la principauté.
58En face, l’intérêt des élites locales pour les officiers flamands est clairement politique. Ornés de titres, disposant d’accès aux emplois de la garde royale, ceux-ci offrent des perspectives d’accès à la Cour et aux sociétés militaires des grandes villes de province114. Peu fortunés pour la plupart, ils sont des proies faciles pour des élites locales aisées. L’échange d’un capital social contre un capital économique est particulièrement frappant dans le cas de l’union entre la famille de Glimes et celle du comte de Sastago célébrée en 1738. Ignace François de Glimes est un militaire issu d’un petit lignage du Namurois, dont la participation à la réforme de l’armée aux Pays-Bas lui a valu d’être promu à un emploi de capitaine des gardes wallonnes lors de la formation du régiment. Exilé de la première heure, il a gravi tous les échelons de la hiérarchie militaire jusqu’à cumuler, à partir de 1734, le commandement des gardes wallonnes avec l’emploi de capitaine général de Catalogne. Sa trajectoire constitue un archétype de l’élévation sociale qu’ont permis les emplois militaires en Espagne pour des officiers exilés sans fortune115. En revanche, le parcours de Cristóbal Fernández Córdoba, comte de Sastago, est l’exact contrepoint de celui d’Ignace François de Glimes. Issu de l’une des grandes maisons de la noblesse aragonaise, il a fait partie des principaux soutiens de l’Archiduc dans la couronne d’Aragon et il a fomenté un soulèvement en 1706 contre Philippe V, ce qui lui a valu la confiscation de tous ses biens. En 1711, il s’est exilé à Vienne où il a servi l’empereur, notamment comme vice-roi de Sicile entre 1728 et 1734116. Ce sont donc les ennemis d’hier qui s’unissent en 1738 lors du mariage de l’héritier du comte de Sastago avec la fille du comte de Glimes. Au moment où elles contractent cette union, l’horizon d’attente des deux familles est très différent. Pour les Glimes, le centre de gravité familial est resté aux Pays-Bas : Ignace François s’est marié en 1729 dans sa région d’origine avec la noblesse namuroise, et son fils aîné fera de même en 1751. Le mariage d’une fille en Espagne est néanmoins l’occasion de s’allier à la vieille noblesse et d’avoir des héritiers qui sont appelés à jouir de biens considérables. De fait, si le mariage coûte 198 000 réaux de dot au comte de Glimes, son gendre reçoit 450 000 réaux de son père et est confirmé dans l’héritage de tous ses biens et majorats117. De leur côté, l’intérêt des Fernández de Córdoba pour ce mariage est la réhabilitation politique. Glimes n’a guère de fortune, mais il dispose d’un vaste réseau de relations parmi les élites militaires. Les témoins de la cérémonie célébrée à Barcelone sont tous des officiers issus des grandes familles philippistes castillanes (Villena, Montellano, Carvajal, etc.)118. Pour le comte de Sastago, la réhabilitation politique passe précisément par l’accès à ces emplois et à ces nouvelles sociabilités militaires. Il s’agit d’éviter de rester cantonné, comme d’autres anciens soutiens de l’Archiduc, à des positions subalternes et à un marché du mariage réduit aux familles austracistes119. La stratégie s’avère payante puisqu’en 1749, les quatre enfants issus de ce mariage, âgés de dix mois pour le plus jeune à huit ans pour l’aîné, sont appuyés par leur grand-père maternel, le comte de Glimes, pour pouvoir prendre du service comme cadets dans les gardes wallonnes120.
59Les exemples donnés ci-dessus n’épuisent pas toutes les formes d’intégration que l’on peut observer. Des officiers qui ont choisi la sécurité des cercles militaires à ceux qui se sont assimilés complètement en deux ou trois générations aux élites locales, il y a un monde d’écart. Albert Cuvelier se trouve dans le premier cas : fils puîné d’une famille du petit patriciat namurois arrivé en Espagne en 1748, il a gravi les échelons dans les gardes wallonnes jusqu’à l’emploi de lieutenant. Sur place, son entourage est composé de deux officiers du même régiment, Emmanuel et Ferdinand Legros, des frères issus d’une famille alliée des Cuvelier dans le Namurois, et qui ont permis à Albert d’obtenir son emploi dans les gardes wallonnes 121. Au moment de rédiger son testament, Albert Cuvelier dévoile un entourage social marqué par cette parenté militaire proche et par un centre de gravité familial situé dans sa région d’origine. Écrit en latin à Barcelone, l’acte désigne pour exécuteur testamentaire le protecteur du testateur en Espagne, Ferdinand Legros. En outre, célibataire et sans enfants, Cuvelier lègue l’ensemble de ses biens à son père et à son frère aîné résidant à Namur122. Malgré l’aspect parcellaire de la documentation, force est de constater qu’Albert Cuvelier, même à distance, s’inscrit dans des dynamiques sociales étroitement liées à son territoire d’origine puisqu’il prolonge dans la Péninsule les solidarités locales du noyau familial. Sa carrière en Espagne (extram Patriam meam) s’est déroulée sur le mode du transit et elle ne lui a procuré aucune nouvelle attache.
60Cet exemple contraste avec celui de Jean Baillet de Grandcourt, déjà évoqué plus haut. Nous avons vu que cet officier a été l’un des premiers à s’allier, dès le début des années 1720, avec des membres des élites urbaines barcelonaises, favorisant l’accès aux emplois du régiment à sa nouvelle famille catalane. Le groupe familial formé par Jean Baillet Grandcourt à Barcelone s’autonomise progressivement de ses attaches luxembourgeoises. Par son mariage, Jean a reçu des terres à San Cugat del Vallés, et il confirme cet ancrage local en mariant un fils et une fille avec des familles patriciennes catalanes123. Il quitte les gardes wallonnes à quarante-sept ans, un âge précoce, pour occuper la lieutenance du roi de la citadelle de Barcelone124. De la sorte, tout en conservant des liens forts avec le régiment, son nouvel emploi lui confère un statut et une résidence permanente dans la capitale catalane125. Dans ses dispositions testamentaires, Jean lègue l’ensemble de ses biens à son épouse et à ses enfants résidant à Barcelone. Il est entouré de trois officiers des gardes wallonnes — ses fils et son beau-frère — et de plusieurs notables barcelonais126. À la génération suivante, le transfert du centre de gravité territorial de la famille Baillet Grandcourt dans la ville comtale est achevé. Son fils, Juan Pedro Baillet Montoliu — dont le nom s’orthographie parfois Bellet — a servi quarante ans dans les gardes wallonnes et rédige son testament en catalan. Il s’est entouré des seuls membres catalans de sa famille, dont deux anciens officiers des gardes wallonnes. Désormais, malgré une proximité toujours forte avec le régiment, la dynamique familiale est centrée entièrement autour de Barcelone127.
61Entre ces deux cas extrêmes, il existe un éventail de situations intermédiaires qui traduisent un décentrement plus ou moins fort par rapport aux sociabilités militaires urbaines. En 1793, Alessandro Beretta, capitaine des gardes wallonnes, natif de Milan d’une famille d’origine flamande, teste à Barcelone. Il est entouré de trois compagnons d’armes, tous nés en Espagne, de la seconde génération de l’exil flamand. Sans descendance à Milan, il lègue l’ensemble de ses biens à María Josefa Sentmenat y Clariana, comtesse de Munter et marquise de Sentmenat, l’une des grandes figures de la noblesse catalane. Beretta estime comme une faveur que celle-ci accepte d’être son « héritière de confiance », en raison « de la sincère et fraternelle amitié et de tout ce que j’ai dû ma vie durant à la maison des marquis de Sentmenat »128. Ce testament montre un cas intéressant d’un officier dont l’intégration locale n’est pas passée par le mariage et la fondation de sa propre famille mais par l’inscription dans la clientèle d’une famille de la noblesse locale. Sans faire souche à Barcelone, toujours lié aux sociabilités professionnelles, Beretta a néanmoins fréquenté en position d’infériorité le monde des élites locales. Un autre cas intermédiaire est donné par Frédéric Joseph, baron de Lamberts Cortenbach, natif d’Aix-la-Chapelle, officier des gardes wallonnes retraité à Barcelone. Dans son testament, il demande à être accompagné dans sa dernière demeure par ses « compagnons et amis de la garnison et de la ville ». Célibataire et sans enfants, il transmet ses biens sis aux Pays-Bas à son frère, également au service de l’Espagne, résidant à Ruidoms (Tarragone), tandis que ses biens acquis en Espagne vont à José Agusti, chapelain de l’église del Palau de Barcelone, à Francisco Luis Onesti, avocat, et à Tomas Gibert, notaire, « tous les trois, mes amis intimes et désintéressés129 ». Ce cas montre la force des liens qui ont pu se forger dans la ville à l’occasion des séjours de garnison à Barcelone. Pas plus que Beretta, Lamberts n’a fait souche localement, mais une vie ordinaire à fréquenter les paroisses et les officines de notaires et d’avocats ont tissé des liens d’amitié dans le milieu des petits notables de la ville. À l’ombre des stratégies familiales mises en œuvre par les Glimes ou les Bassecourt, et loin de leurs grands enjeux politiques et patrimoniaux, il existe des formes d’inscription dans le tissu social urbain plus discrètes, forgées sur des relations électives de protection et d’amitié qui ont permis à des officiers qui ne sont jamais sortis du rang de s’intégrer dans la ville.
62En somme, ce processus montre que les institutions de l’État bourbonien dans l’ancienne couronne d’Aragon ne sont pas restées longtemps déconnectées de la société qu’elles étaient censées contrôler. Les agents chargés de les administrer ont fortement contribué à les ancrer localement à mesure qu’ils se sont eux-mêmes intégrés dans les sociétés locales. D’ailleurs, sous réserve d’un inventaire exhaustif, le processus d’intégration locale des militaires en Catalogne semble avoir permis la réhabilitation politique de certaines familles compromises naguère avec l’austracisme. Cela peut être vu comme un échec de la politique bourbonienne en Catalogne puisque la garde prétorienne de la nouvelle dynastie, chargée de tenir en respect les territoires rebelles, a fini par faire souche localement tout en favorisant le retour des vaincus. Cependant, cela peut aussi être considéré in fine comme le succès du projet de régénération de la noblesse espagnole caressé pendant le conflit successoral qui prévoyait la transplantation des familles philippistes d’Europe dans la Péninsule et leur croisement avec les élites locales.
63Les modalités par lesquelles les institutions militaires bourboniennes ont été contrôlées, acclimatées ou détournées localement mériteraient un traitement approfondi. En Estrémadure, d’anciennes familles de l’élite locale, affaiblies dans leur propre communauté, se sont emparées de ces nouvelles institutions pour rétablir leur autorité130. À Cuba, sous Charles III, les liens qui se sont noués entre les grands planteurs et les officiers irlandais chargés de reprendre en main le gouvernement de l’île semblent relever d’une modalité comparable131. Cette diversité de situations témoigne d’une évolution différenciée des institutions provinciales bourboniennes selon les contextes locaux, et il apparaît à présent avéré que les officiers flamands ont joué un rôle clé dans le cas catalan. Cependant, encore faut-il ajouter à ce schéma général l’implication de ces officiers dans le commerce local comme un facteur supplémentaire d’assimilation.
Des élites économiques ?
64Les relations des officiers flamands avec le monde du négoce, de la banque et de l’industrie sont restées encore largement dans l’ombre. Émigration politique avant tout, l’exil flamand a concerné des familles de la noblesse préoccupée essentiellement par la conservation des titres et des emplois acquis au service de Philippe V. Les questions économiques n’apparaissent donc pas a priori comme un motif majeur du repli flamand dans la Péninsule. Néanmoins, on sait que ces deux phénomènes ne sont pas déconnectés : jusqu’à l’avènement de Philippe V, avant qu’ils ne jouissent d’importants privilèges commerciaux en Espagne, les marchands français ont collaboré étroitement avec les négociants flamands pour accéder aux ports espagnols et pénétrer ainsi le commerce américain132. Les défenseurs de l’union dynastique, qu’ils soient français ou flamands, ont donc partagé le même intérêt pour le trafic transatlantique. Il est donc possible qu’une partie des philippistes flamands ait soutenu la cause bourbonienne pour protéger et augmenter ses intérêts commerciaux.
65L’élément qui plaide en faveur de cette hypothèse est donné par quelques familles de négociants flamands, solidement implantées dans les villes espagnoles, qui placent des parents dans les nouveaux corps de la maison militaire. À titre d’exemple, les familles Beyens, Hennebuisse, Van den Brouck, du commerce flamand à Cadix, ou encore la famille Goossens du commerce de Bilbao, ont obtenu des emplois dans les gardes wallonnes133. Par ailleurs, les dispositions testamentaires montrent que certains officiers disposent de fortunes inhabituelles pour des militaires. Il en va ainsi de Charles Huldenberghe Vanderborch, natif d’Anvers, capitaine des gardes wallonnes, qui a épousé une dame de la reine, Josefa Septien, en lui garantissant une dot de 1 320 000 réaux134. Un autre capitaine, Charles Melin, originaire de Bar-le-Duc, dispose quant à lui de plus de 350 000 réaux investis dans une compagnie bancaire qu’il a fondée à Madrid avec des associés espagnols et français135. Certes, la présence d’individus issus du monde du négoce n’est pas une surprise : la carrière militaire est depuis longtemps un moyen employé par les marchands pour acquérir de la respectabilité sociale. Cependant, cette présence n’apparaît pas comme une simple collection de cas individuels mais semble être relativement structurée.
66La composition de la députation de l’hôpital Saint-André à Madrid témoigne de l’importance des liens entre ces milieux. Nous avons déjà évoqué la présence d’officiers de la garde royale dans la députation, mais ils y côtoient des personnes très impliquées dans le commerce ou l’industrie. C’est le cas de Francisco, Cornelio et Adrián Vandergoten, les trois fils de Jacques Vandergoten, un Anversois appelé en Espagne en 1720 pour diriger la nouvelle fabrique royale de tapisserie. On y trouve aussi Fernando Campomenoso, issu d’une famille du commerce anversois, Diego Herreins, mentionné comme « agent » de la cour de Hollande, ou encore Francisco Craywinckel, conseiller de la junte du commerce, des monnaies et des mines, l’un des grands acteurs de la libéralisation du commerce avec l’Amérique, et lui-même issu d’une famille de marchands flamands installée à Séville136. De plus, parmi les officiers siégeant à la députation, deux d’entre eux sont directement liés au monde marchand. D’une part, François Vanderlepe, natif de Bruges, garde dans la compagnie flamande, dispose de biens considérables puisqu’il a obtenu son emploi par la participation à plusieurs levées d’hommes en Hollande et en Allemagne pour le compte de l’Espagne. Il devient par la suite consul de Hollande à Séville puis ministre plénipotentiaire des villes hanséatiques en Espagne137. D’autre part, Manuel Craywinckel, le frère de Francisco, est issu d’une famille anversoise installée à Séville et impliquée dans le commerce américain. Dans les gardes wallonnes, il est aide-major habilitado, une fonction de gestion des comptes, souvent confiée à des personnes aisées. Craywinckel jouit en effet d’une fortune considérable, estimée à sa mort à plus d’un million de réaux, composée pour partie d’actions dans des fabriques de toiles à Barcelone et dans une compagnie de commerce à Cadix. En outre, il apparaît comme un important créancier des officiers des gardes wallonnes, souvent sollicité comme exécuteur testamentaire, ainsi que comme négociateur dans les contrats passés par le régiment pour différentes fournitures138. Le profil des membres de la députation de Saint-André souligne donc les connexions entre les milieux marchands et militaires. Les enjeux politico-financiers autour desquels s’organisent ces réseaux de pouvoir ont vraisemblablement un lien avec le commerce entre la mer du Nord, la Péninsule et l’Amérique, même si une bonne partie de ces enjeux nous échappe encore.
67La porosité entre le monde des élites économiques et militaires n’est toutefois pas au seul profit des négociants. Les militaires flamands trouvent aussi à la faveur de leurs emplois des occasions de participer aux affaires et de s’enrichir considérablement. Léopold Rifflart est sans doute celui qui a le mieux profité de ses emplois pour amasser une grande fortune (Tableau 10). Originaire de Nivelles, fils de l’intendant de Brabant à l’époque du régime anjouin, il a été de la première promotion de capitaines des gardes wallonnes. Ses services durant la guerre de Succession lui ont valu le titre de comte d’Itre, et de poursuivre sa carrière à la tête des gouvernements provinciaux de Valence et de Catalogne. À partir de 1734, il occupe pendant vingt ans la charge de capitaine général de Galice, fonction qui semble avoir facilité son enrichissement. Non seulement il a épousé la fille du comte de Casasola del Campo, une grande famille de la noblesse de la région de Salamanque, mais il a également investi des sommes importantes dans des compagnies à monopole. À sa mort, en 1755, son testament fait état d’une fortune en Espagne (hors biens et revenus détenus aux Pays-Bas) de plus d’un million et demi de réaux constitués pour l’essentiel d’actifs dans le commerce.
Tableau 10. — Les investissements de Léopold Riflart, comte d’Itre (1755)
Activité | Nombre d’actions | Somme (en milliers de réaux) | |
Cie de La Havane | Commerce du sucre et du tabac | 20 | 150 |
Cie Pozuelo de Aravaca | Tannerie | 50 | 75 |
Cie de Tolède | Textile | 45 | 135 |
Cie de Séville | Commerce avec la Nouvelle-Espagne | 56 | 210 |
Cie de Caracas | Commerce avec le Venezuela | 2 | 15 |
Cie Manuel F. de Llano | Commerce à Séville | 36 | |
Cie Carlos M. Maracci | Commerce à Madrid | 22 | |
Cie Juan José Laborde | Commerce à Bayonne | 5 | |
Cie du Boucher | Prête-nom à Madrid d’un négociant nantais (Lory) | 5,8 | |
Juan José del Rio | Agent à Madrid | 82 | |
Bartolomé Aranjo | Régidor de Tuy | 21 | |
Total | 756,8 |
Source : AGMS, 9, leg. 4891, exp. 38509, testament et inventaire des biens de Léopold Riflart, comte d’Itre, Saint-Jacques de Compostelle, 14 juillet 1755.
68L’exemple du comte d’Itre démontre que la haute élite militaire a pu jouer un rôle important dans la vie économique, davantage en tout cas que ne laissent penser leurs attributions formelles de gouvernement militaire. Les actes notariés révèlent ainsi des participations inattendues dans des entreprises commerciales ou industrielles. En 1739, le marquis de Pilares crée une fabrique de feuilles métalliques financées par quelques-uns des grands militaires de l’exil flamand et italien. On y trouve ainsi le duc de Bournonville, capitaine de la garde du corps, comme principal investisseur, associé au marquis de Castelar, le neveu de José Patiño, à Jacques Eustache de la Viesville, le commandant de la brigade des carabiniers royaux, au marquis de Lede, un capitaine des gardes wallonnes, fils du général de l’expédition de Sardaigne en 1717, et au prince de Campoflorido, l’une des figures de l’exil sicilien à Madrid139. Difficile à interpréter, cet exemple montre à tout le moins que les positions acquises par les vétérans de la guerre de Succession ne sont pas seulement politiques. Leur degré d’intervention dans le monde des affaires n’a rien d’anecdotique et il semble même particulièrement important dans certaines régions de la monarchie.
69Une fois encore, c’est en Catalogne que les militaires ont laissé la trace la plus visible dans le monde du négoce140. En effet, la présence des troupes a généré une activité économique importante autour du ravitaillement et des fournitures en tout genre, à laquelle ont dû vraisemblablement prendre part les officiers flamands installés dans la principauté. À ce titre, il convient de relever l’extrême stabilité de la fonction d’intendant des armées en Catalogne, le pilier de l’administration royale en matière de fourniture militaire. De 1726 à 1785, seuls trois officiers ont occupé cette charge, chacun pendant près de vingt ans141. Parmi eux, Antoine Sartine a grandement contribué à définir le périmètre de la fonction : issu d’une famille de négociants lyonnais bien introduite à la cour de France, il a été l’un des principaux fournisseurs de vivres pour les armées de Valence, de Catalogne et d’Aragon pendant la guerre de Succession en association avec Jean Orry142. Entré dans l’administration espagnole à la fin de la guerre, il est resté proche des réseaux dynastiques bourboniens : il a épousé une fille d’un exilé irlandais et son fils s’est engagé dans une carrière administrative en France qui le mènera à la lieutenance générale de police en 1759 et à la secrétairerie d’État de la marine en 1774143. Ces éléments laissent penser que l’intendance de Catalogne n’est pas restée à l’écart du groupe de pouvoir politico-militaire des officiers de la garde qui dominent la principauté. En tout cas, au début des années 1770, un scandale financier éclate en Catalogne suite à la fourniture de milliers d’armes défectueuses à l’armée. S’ensuit un grand procès qui s’apparente à une chasse aux sorcières dans tous les milieux économiques et administratifs qui gravitent autour du ravitaillement militaire catalan. Au centre de l’affaire, l’intendant de Catalogne de l’époque, Juan Felipe Castaños, est démis de ses fonctions avant d’être finalement innocenté144. Or, Castaños a épousé la sœur de Simon Aragorri, marquis d’Iranda, un richissime armateur de Saint-Jean-de-Luz, reconverti dans la fourniture aux armées du roi d’Espagne et l’un des plus importants négociants en grain du royaume145.
70La manière dont les contrats de fournitures militaires ont été gérés en Catalogne reste encore à explorer. Sans doute une étude détaillée révélerait-elle des collusions entre les militaires et les milieux d’affaires franco-espagnols qui ont dû se mettre en place dès la chute de Barcelone en 1714. Il n’y a en effet pas de raison pour que la domination sans partage qu’ont exercée pendant un demi-siècle les militaires, et en particulier les officiers de la maison militaire, n’ait pas eu de répercussions dans le domaine économique. Le grand procès de l’intendance de Catalogne survient au même moment où un scandale sur la gestion des comptes des gardes wallonnes éclate et conduit le colonel à la démission146. Ces épisodes sont à mettre au compte de la rivalité entre golillas et arandistas, à une époque où le comte de Floridablanca cherche à mettre de l’ordre dans les finances militaires et à abattre les bastions de l’aristocratie militaire147.
71Acteurs de la vie économique locale, certains exilés flamands l’ont été sans aucun doute. Que ce soit par les connexions avec les négociants de la nation flamande qui ont accédé aux emplois de la maison militaire, par les possibilités de participer au commerce offertes par l’exercice des gouvernements provinciaux, ou encore à travers le fructueux marché des fournitures militaires en Catalogne, les occasions d’enrichissement n’ont pas manqué. On ignore encore précisément l’extension de ces réseaux économiques, mais ils ont vraisemblablement contribué à structurer les sociétés militaires à Barcelone et dans les grandes villes de province, et ont dû favoriser l’intégration de ces officiers au sein des élites locales.
V. — Le difficile accès à la citoyenneté locale
72Qu’il soit familial ou économique, l’ancrage local des officiers flamands tranche avec l’idée généralement admise d’une élite militaire totalement étrangère aux sociétés locales qui ne détiendrait sa légitimité et ses biens que par la seule volonté du roi. L’intégration locale des officiers flamands pose donc le problème de la rencontre difficile entre deux formes de légitimité politique : celle conférée par la fiction de la vassalité que les exilés s’efforcent de maintenir active et qui leur permet d’accéder à la plupart des emplois de l’État royal, et celle qui émane de l’appartenance à une communauté d’habitants (vecinos) et qui réserve à ses membres l’accès aux ressources locales. Malgré les titres et les emplois des exilés flamands, ni la jouissance des droits de la vecindad ni ceux réservés aux membres de l’élite locale ne vont de soi. L’accès à une série de ressources locales et à la reconnaissance pleine et entière de leur dignité sociale se trouve donc limité, ce qui peut ralentir ou compromettre leur intégration dans les communautés urbaines du royaume.
Condition militaire et naturalité
73Dans le monde hispanique, la jouissance d’une grande quantité de biens — et en particulier les revenus sur les bénéfices ecclésiastiques — est réservée aux naturels du royaume. Le statut de naturel découle de la condition de vecino, c’est-à-dire de la reconnaissance des droits associés à l’appartenance à une communauté d’habitants. Les institutions du royaume ont veillé depuis la fin du Moyen Âge à empêcher le roi de disposer de ces biens à sa guise en posant de lourds verrous institutionnels. Si le roi peut attribuer la naturalité par lettres, cette pratique a été étroitement encadrée, notamment en Castille, où les clauses dites des Millones obligent le roi à demander l’approbation des villes avec droit de vote aux Cortès pour pouvoir les délivrer148. Cette indisponibilité des biens du royaume a rendu difficile l’entretien des exilés de l’ancienne monarchie, ce qui a amené Philippe V à élargir le domaine royal par la militarisation d’une série d’emplois et de revenus — notamment ceux des commanderies des ordres militaires — afin d’en disposer librement149. Les exilés de la première génération se retrouvent alors dans cette situation paradoxale où ils se prévalent d’être nés vassaux du roi, ils jouissent des plus grands emplois militaires de la monarchie, mais ils sont privés des droits associés à la condition de naturel.
74Car le principe de vassalité n’ouvre aucun droit à la naturalité. En 1777, un prêtre sarde expulsé de son pays demande la naturalité pour accéder aux bénéfices ecclésiastiques en Espagne. Il appuie sa demande sur le fait d’être naturel de Sardaigne, « un royaume qui est sous la domination de la couronne [d’Espagne], puisque Votre Majesté porte le titre de roi de Sardaigne », ce qui le persuade que « par équité et ancienne mémoire » les Sardes ne doivent pas être tenus pour étrangers en Espagne. Il reçoit toutefois une fin de non-recevoir de la part du ministre :
La déclaration de naturalité en raison d’être de Sardaigne n’est pas recevable, Sa Majesté estimant que cette décision créerait une règle et un précédent pour les autres Sardes qui voudraient venir et viendront pour ce motif en Espagne. La seule dénomination qu’utilise Sa Majesté de Seigneur de ce royaume n’est pas suffisante, comme cela se vérifie dans de nombreux autres cas, sinon il faudrait faire de même avec les naturels de Milan et de Flandre150.
75Pour les exilés de la première génération, l’accès à la naturalité passe donc nécessairement par l’obtention de lettres. Or, comme nous l’avons vu précédemment, le roi n’a engagé son autorité qu’avec parcimonie en ne sollicitant auprès des villes qu’un petit nombre de lettres de naturalité. Paradoxalement, pour des raisons qu’il reste encore à étudier, l’attribution de la naturalité du royaume d’Aragon semble avoir été plus facile à obtenir. Car, contrairement à une idée répandue, les décrets de la Nueva Planta n’ont supprimé les réserves de naturalité que pour les emplois relevant du domaine royal, tandis qu’elles ont subsisté pour l’accès aux biens du royaume151. Ainsi, la ville de Barcelone est consultée tout au long du xviiie siècle lorsque la naturalité aragonaise est accordée et elle se montre particulièrement docile aux demandes royales. Par exemple, Guillaume Xavier de Verboom, le fils du fondateur du corps des ingénieurs, a été débouté à Madrid mais il est naturalisé à Barcelone, ce qui lui permet d’occuper un canonicat dans le chapitre cathédral de Saragosse152. Sous réserve d’un examen exhaustif, on peut formuler l’hypothèse que les municipalités de l’ancienne couronne d’Aragon ont opposé moins de résistances aux volontés royales que leurs consœurs castillanes. Refondées sur le modèle de Castille à l’issue de la guerre, composées exclusivement de familles philippistes, il est probable qu’elles aient été particulièrement soucieuses de ne pas déplaire au roi153. Quoi qu’il en soit, l’examen des listes de naturalité dans les archives de Madrid, de Barcelone et de Pampelune n’a révélé que trois cas d’officiers flamands naturalisés154.
76Ce faible taux de naturalisation n’est pas seulement dû à la résistance des villes, il l’est aussi vraisemblablement aux réticences de l’administration militaire qui aurait été soucieuse de ne pas ouvrir de nouveaux droits aux officiers étrangers. En effet, l’accès aux droits associés à la condition de naturel relevant du droit commun, l’administration a eu tendance à vouloir en suspendre la jouissance pour les individus relevant du droit militaire. En France, lorsque la question de l’accès à la naturalité a été posée pour les militaires, l’articulation entre les deux régimes juridiques s’est faite de façon relativement souple. Il s’agissait notamment de décider si le service militaire ouvrait automatiquement l’accès à la naturalité et si les soldats étrangers étaient dispensés ou non du droit d’aubaine en raison des services rendus à la couronne. Le problème a été tranché en faveur des soldats puisqu’une ordonnance de 1715 les a exemptés de lettres de naturalité s’ils avaient servi au moins dix ans. Ainsi, en France, le service militaire est devenu non seulement l’une des voies d’accès aux droits de la naturalité, mais cette décision montre aussi une volonté d’articuler plutôt que d’opposer le droit militaire et le droit commun155. En Espagne, par contre, la frontière apparaît beaucoup plus étanche entre les deux juridictions. En 1780, le commissaire de la garde royale se demandait si les enfants de militaires étrangers pouvaient prétendre par leur naissance à la naturalité espagnole :
Par principe de droit, tout étranger acquiert la naturalité [par la naissance] ou après dix ans de résidence […] il reste à savoir si ce principe doit être étendu à tous les régiments étrangers de l’armée. Selon moi, aucun militaire ne peut acquérir la naturalité et donc les enfants doivent conserver celle de leur père156.
77Ce genre de réflexion est très rare dans les sources administratives mais il révèle un aspect de la logique juridique militaire qui envisage la naturalité selon un raisonnement typologique et non en termes de processus d’acquisition de droits. Ainsi, à côté de la naturalité des royaumes, telle qu’elle est définie dans le droit ordinaire, se dessine une naturalité spécifiquement militaire qui correspond à un caractère hérité, stable et indépendant des personnes, de leur lieu de naissance ou de leurs actions. Cette logique répond à des impératifs pratiques de classification et d’organisation d’hommes dont les parcours biographiques sont marqués par la mobilité. Comment gérer des régiments de nation lorsque des officiers se présentent comme ce Pedro Chermont « né au Portugal, d’extraction flamande, fils d’un ingénieur », ou de Jean-Gabriel Lubac, « né en Italie, père flamand et mère italienne », ou encore ce Francisco Gomar Decham « né dans le régiment »157 ? Les revues de troupes sont donc des exercices de fixation des naturalités par l’administration militaire en mettant la priorité sur l’ascendance des individus ou l’usage de la langue. Par exemple, dans une revue, le sous-lieutenant des gardes wallonnes, Juan Vandewalle, est identifié comme de « naturalité du comté de Flandre et né dans les Îles Canaries158 », tandis que le colonel Pedro de Cano de Boulines, identifié comme « espagnol » par un commissaire, est requalifié de « wallon » par le secrétaire de la guerre qui estime « qu’on considère comme wallon les fils d’Espagnols nés en Flandre parce qu’ils ignorent pratiquement la langue [espagnole] et sont aussi Flamands que les autres159 ». Ce dédoublement des naturalités semble avoir été intégré par les acteurs eux-mêmes puisque certains déclinent différemment leur naturalité selon le contexte institutionnel, à l’image d’Enrique Van Asbroeck qui déclare dans son testament être naturel de Malaga, son lieu de naissance, alors que dans les revues des gardes wallonnes, il se dit naturel de Flandre, région d’origine de sa famille160.
78Quand ils n’alternent pas selon les contextes d’énonciation, les officiers semblent avoir adopté cette naturalité assignée par le droit militaire. Dans les testaments, la déclaration d’identité passe d’abord par les titres de noblesse, le grade militaire et l’emploi occupé, souvent sans aucune mention de la naturalité. Dans la plupart des cas, l’omission de la naturalité du déclarant est compensée par l’indication de celles des parents. Cela laisse penser que la naturalité définie comme condition héritée est prégnante chez ces officiers, et que la leur est toujours à relier à leur extraction flamande — y compris à la seconde génération — mais qu’elle demeure dans tous les cas très largement inopérante à dire ce qu’ils sont, en regard de l’importance de leurs titres et de leurs emplois.
79Pourtant, dans leurs déclarations testamentaires, les officiers flamands ne sont pas indifférents à leurs inscriptions locales, même si c’est pour en souligner le caractère instable. À la différence de la naturalité, la référence à la résidence est souvent mentionnée et elle témoigne d’une situation transitoire : « résident en cette ville », « me trouvant à présent dans cette ville », « aujourd’hui en la ville de Barcelone », « étant pour l’instant dans la ville de Madrid », « résident actuellement en cette Cour étant de garnison », etc. La mention de vecino est extrêmement rare : elle apparaît quatre fois dans le corpus, uniquement à Madrid, sous la plume de quatre officiers qui ne sont pourtant pas natifs de la capitale ni ne sont des résidents permanents161. Par contre, d’autres officiers, natifs de Barcelone et qui y séjournent régulièrement, jouissent manifestement des droits de la vecindad. Néanmoins, dans leurs testaments, ils se déclarent simplement « résident » ou bien ne font pas mention de la condition de vecino.
80La source testamentaire atteint ses limites pour permettre d’approcher de plus près les formes de jouissance des droits de la citoyenneté urbaine. À s’en tenir aux déclarations qu’elle contient, force est de constater l’apparente indifférence, voire la légèreté, avec lesquelles sont renseignées ces informations. Est-ce l’expression d’un mépris vis-à-vis de droits locaux dont la plupart des officiers ne souhaitent pas jouir car ils ont une conscience aiguë de leur situation transitoire ? Est-ce le signe de l’érosion des vecindades, comme cela a été signalé pour Madrid au xviiie siècle162, qui permet à ces militaires d’ignorer ces droits car ils ne sont plus en mesure de délimiter des incapacités juridiques ? Ou alors est-ce au contraire le signe de la vitalité de ces droits et de la capacité des communautés locales à interdire à ces officiers de se prévaloir de la vecindad, y compris les mieux intégrés socialement, les obligeant à se définir par référence à leurs emplois, à leur naturalité militaire et à leur condition de simple résident ?
81Les vecindades au xviiie siècle, comme l’ont démontré les recherches de Tamar Herzog, n’ont rien perdu de leur vitalité. Faut-il rappeler une évidence, à savoir que l’une des ressources les mieux protégées des vecinos est l’accès aux institutions municipales et aux prestigieux cercles équestres ? Or, aucune des familles de militaires flamands installées en Espagne n’a accédé à ces charges avant la troisième génération163. Il demeure que ces exclusions n’ont pas empêché les militaires flamands de mener une vie urbaine active, de fréquenter les cercles de pouvoir, de se marier au sein des élites locales, d’accéder au marché de la propriété, de jouir de leur capacité à hériter et à transmettre leurs biens. Seule une enquête plus poussée peut mettre le doigt sur l’émergence d’une citoyenneté militaire à l’échelle locale, dont les sociabilités militaires cosmopolites observées à Madrid, à Barcelone et dans les grandes villes de province seraient les embryons. Ces cercles privilégiés ont dû constituer des lieux d’intégration dans l’espace urbain qui ont permis la mise en relation de la nouvelle élite de l’État avec les anciennes et les nouvelles élites locales. Ces sociabilités ont vraisemblablement ouvert un accès à des ressources locales, notamment la propriété foncière, produisant ainsi des formes de participation à la vie de la communauté malgré une exclusion de fait de la citoyenneté locale en raison d’une résidence irrégulière. Dans quelle mesure cette citoyenneté militaire a-t-elle érodé les droits locaux ? Cette question reste ouverte, mais deux mesures prises par Charles IV à l’orée du xixe siècle laissent penser que le droit militaire a tenté de se substituer progressivement aux droits locaux.
82En 1801, une circulaire du secrétaire de la guerre ordonne que les officiers supérieurs qui jouissent de droits de vecindad dans une communauté soient affectés ou agrégés à l’armée de leur province de manière à pouvoir résider dans les lieux de leur domicile164. Cette décision se différencie de celle de la France car elle ne prévoit pas le service militaire comme une voie d’accès aux droits des naturels, mais doit permettre aux militaires de ne pas être privés de leur citoyenneté locale pendant le temps du service. En 1806, une autre circulaire modifie la précédente : il est déclaré que tous les militaires qui veillent à la défense de la couronne doivent pouvoir jouir de tous les avantages, honneurs et prééminences de la vecindad s’ils en ont la possibilité. Par conséquent, ils peuvent demander à être déclarés vecinos dans une communauté de leur choix, à partir du moment où ils y possèdent une maison ouverte, avec des terres arables et du bétail, administrés sur leurs fonds propres165. Cette fois, cette décision va beaucoup plus loin que l’ordonnance française de 1715 puisqu’elle considère la vecindad comme un droit attenant à la condition militaire, elle n’est pas liée à la durée de la résidence mais à la possession de biens fonciers, et elle s’impose à la communauté si le militaire le décide. En cinq ans, la porosité entre le droit commun et le droit militaire a rapidement basculé en faveur de ce dernier.
83Philippe V a donc pu donner aux exilés flamands des pensions sur le domaine royal, leur accorder des régiments et des gouvernements en province, mais il a pu difficilement leur attribuer un canonicat dans un chapitre cathédrale ou une charge en Amérique. Au lieu de faciliter l’accès des militaires aux droits des naturels par le biais des lettres de naturalité, il semble donc que ce soit plutôt par le prestige et l’extension des privilèges militaires dans la ville que les exclusions ont pu être levées de fait à défaut de l’être de droit. Dans tous les cas, jusqu’à l’extrême fin du siècle, les droits de la vecindad sont restés largement inaccessibles privant les officiers flamands d’atteindre le cœur privilégié des sociétés locales malgré les titres et les grades acquis au service royal. Un dernier exemple permet d’illustrer ce processus : la reconnaissance de la condition nobiliaire.
De la noblesse à l’hidalguia
84Les officiers flamands n’ont pas rencontré de grandes difficultés pour afficher en Espagne leur appartenance à la noblesse. D’abord parce que les emplois qu’ils occupent dans la maison militaire et dans les régiments de nation supposent implicitement de faire partie du second ordre. Prérogative des chefs de corps, la vérification de la qualité des officiers ne fait l’objet d’aucune enquête, ce qui a contribué à alimenter certains doutes sur l’honorabilité supposée de ces corps166. Ensuite, le peu de contrôle exercé sur l’usage des titres nobiliaires a conduit à leur prolifération : 33 % des capitaines des régiments de la garde et jusqu’à 52 % des exempts de la garde du corps portent un titre167. Ceux-ci sont souvent des titres de Flandre obtenus pendant le court règne de Philippe V aux Pays-Bas. D’autres sont visiblement des titres patronymiques ou des titres irréguliers que les officiers s’attribuent sans que cet usage fasse l’objet d’une vérification en Espagne. La famille de Croix est dans ce cas : Charles de Croix porte le titre de « marquis de Croix », un titre patronymique qui n’existe ni aux Pays-Bas ni en France composé à partir du titre du chef de famille. Lorsque les deux neveux de Charles arrivent en Espagne, il est également question de leur attribuer un titre. Pour le plus jeune, écrit Charles, « je ne vois pas que nous puissions l’appeler autrement que le chevalier de Croix168 ». Quant à l’aîné, alors qu’il est en chemin pour l’Espagne, on estime qu’« il faudrait le faire appeler le comte de Croix169 ». Une anecdote rapportée par le marquis de Franclieu, un officier picard au service de Philippe V, illustre la tolérance qui règne en Espagne envers les titres de noblesse étrangers. En 1711, franchissant les Pyrénées avec un autre officier pour aller soigner des blessures à Barège, Franclieu s’étonne de voir son compagnon de voyage, le marquis de Thouy, s’arrêter à la frontière pour y creuser un trou. Interrogé, l’intéressé répond qu’il « y enterr[e] mon Excellence, car on ne [lui] en donnera point en France170 ».
85Cette tolérance de la couronne s’explique parce que les titres flamands ne sont attenants à aucune terre noble ni à aucun droits seigneuriaux dans la Péninsule. Simples ornements individuels, ces titres sont l’objet de démarches de validation auprès des autorités espagnoles lorsqu’il s’agit de les convertir en un titre reconnu en Espagne, ce qui signifie de l’appliquer à des terres et à des rentes que les officiers ont acquises ou qu’ils sollicitent en même temps que la conversion. Ainsi, Angela Vélez Ladrón de Guevara, la petite-fille du marquis de Bay, demande en 1750 la substitution du titre flamand hérité de son grand-père par un de Castille, intitulé comté de la Noruela, auquel sont adjointes plusieurs terres171. La question de la validation des titres étrangers apparaît aussi au moment de les transmettre à sa descendance née en Espagne. En 1791, Pierre de La Haye Saint-Hilaire demande l’autorisation d’utiliser en Espagne le titre français de comte de La Haye pour lui et ses héritiers172. Plus illustratif encore est le cas de Carlos Heymersheim, baron de Horst, né à Berga (Catalogne), capitaine des gardes wallonnes, qui décide de se retirer de la vie militaire pour embrasser une carrière ecclésiastique. Devant notaire, il cède son titre à sa sœur précisant qu’il l’avait hérité de son père, également officier au service de l’Espagne, et qu’il « en a joui paisiblement sans contradiction aucune, bien que pour son usage il n’a pas obtenu du conseil de la chambre [de Castille] l’autorisation habituelle173 ». Le traitement semble donc avoir été différent entre les officiers en situation transitoire en Espagne, et qui ont pu jouir sans entrave de leurs titres, et ceux qui, engagés dans un processus de transmission de leurs biens en Espagne, ont dû demander la validation.
86Observé à l’échelle des individus, l’enjeu de la validation de noblesse porte sur les modalités du transfert de grandeurs produites dans certains lieux, reconnues par des groupes et validées par des institutions qui n’ont pas nécessairement d’équivalents ailleurs. La volonté de faire connaître en Espagne la légitimité des titres acquis dans son pays d’origine est une préoccupation constante des officiers exilés qui accompagnent souvent leurs requêtes d’une généalogie imprimée. Dans l’une d’elle, le comte de Lalaing estime qu’il est du devoir de tout individu qui prétend aux grâces du souverain d’exposer les qualités qui le rendent apte à en jouir. Il ajoute que ce devoir était « indispensable pour une famille étrangère, bien que sujette et vassale de la couronne espagnole », car il peut arriver qu’on n’en ait pas une connaissance exacte dans la Péninsule174. Dans le même esprit, l’importance accordée par les familles des Pays-Bas à l’appartenance aux chapitres nobles de femmes donne lieu à d’intéressants transferts de grandeurs vers le monde hispanique. Ainsi, à peine débarqué au Mexique pour y occuper la vice-royauté, Charles de Croix demandait à sa nièce, chanoinesse au chapitre noble de Mons, de lui envoyer le portrait peint d’une chanoinesse en grand habit de cérémonie. « On ne connaît pas cette espèce-là dans ce pays et il est bon qu’elle y soit connue175 ». Cependant, les formes de l’équivalence ne sont pas toujours de nature à satisfaire les officiers flamands. Il en est ainsi des croix des ordres militaires espagnols, une distinction très recherchée dans le monde hispanique, et qui nécessite une enquête très rigoureuse du conseil des ordres sur les qualités du candidat. Néanmoins, cette enquête vérifie la pureté de sang et non la noblesse, ce qui suffit à la juger de peu de valeur et à déprécier la dignité conférée par les ordres militaires. « Dans le temps que cent manants portent la croix qui ne sauraient prouver autre chose que d’avoir été baptisés et peut-être avec de l’eau croupie176 », écrivait l’un d’eux, mais il jugeait la démarche inévitable pour accéder aux commanderies et « être considéré au-dessus de telle famille connue177 ». En somme, même si l’obtention d’emplois prestigieux du roi confère aux officiers flamands une grande légitimité politique, celle-ci n’est pas sans faille. Il importe donc de démontrer individuellement qu’ils ne sont ni des parvenus ni des aventuriers, en faisant connaître ou reconnaître la validité de leurs titres acquis à l’étranger ou d’accéder à ceux délivrés par le roi d’Espagne178.
87La légitimité des officiers flamands n’est jamais autant mise à l’épreuve que lorsqu’ils font le choix de fonder une famille et de s’implanter durablement dans une communauté du royaume. Les grades militaires, les grands emplois et les titres de noblesse ne leur sont alors d’aucun secours pour accéder aux droits réservés aux élites locales. Du moins, c’est ce que l’on peut déduire des démarches effectuées par certains d’entre eux pour faire reconnaître localement leur noblesse afin d’accéder aux droits réservés à l’hidalguia.
88Souvent considérée comme le degré inférieur de la noblesse, l’hidalguia est avant tout une dignité sociale acquise localement, en principe en vertu de la seule réputation détenue dans une communauté et le plus souvent certifiée devant les chancelleries royales de Valladolid et de Grenade. Ces tribunaux royaux ne peuvent attribuer l’hidalguia, ils se contentent de la certifier en la vérifiant auprès de la communauté lorsqu’elle est contestée (hidalguia ejecutoria ou de sangre). L’hidalguia peut être concédée par le roi mais elle est alors considérée en principe de privilegio ne donnant pas accès aux mêmes droits dans les communautés locales. En effet, la caractéristique essentielle de l’hidalguia en Castille est de bénéficier d’une série d’exemptions fiscales, de figurer sur la liste des hidalgos dans la municipalité d’origine et de pouvoir participer dans certaines villes à l’élection annuelle d’un alcalde179. Comme la vecindad, l’hidalguia est une condition sociale qui se détermine localement et pour laquelle la couronne joue davantage un rôle d’arbitre que de dispensateur. Vecindad et hidalguia ont cependant une portée qui dépasse la communauté locale puisque de la première dépend la condition de naturel du royaume, alors que la seconde constitue un préalable indispensable pour accéder à la noblesse.
89Cependant, l’accès à la condition d’hidalgo pour celui qui ne jouit pas d’un ancrage local ancien est extrêmement compliqué. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de ne pas trouver trace dans les chancelleries de Valladolid et de Grenade d’officiers flamands qui auraient cherché à faire certifier localement leur condition d’hidalgos. Dans de très rares cas, certains officiers d’origine étrangère sont parvenus à obtenir ce statut par une décision de la chambre de Castille180. Pour les autres, à défaut d’être déclaré hidalgos, il s’est agi d’obtenir un décret royal qui reconnaisse la validité de leur noblesse en Espagne. Un premier exemple est donné, en 1795, par Luis Nieulant, comte du même nom, et son frère Enrique, anciens officiers des gardes wallonnes, issus de la deuxième génération de l’exil flamand. Par décret, ils ont été reconnus par le roi « de noblesse de sang dans mes royaumes, comme leurs ancêtres en ont joui dans les états de Flandre181 ». L’un et l’autre sont nés en Espagne et ils résident depuis longtemps, l’un à Zamora et l’autre à Gandia. On peut donc supposer que cette reconnaissance formelle de noblesse par le roi constitue une étape dans l’accès à l’échelle locale aux exemptions de l’hidalguia, dont ils sont manifestement privés. Un autre cas est plus explicite à ce sujet. Il concerne Enrique Van Asbroeck, capitaine des gardes wallonnes, né à Malaga et issu lui aussi de la seconde génération. En 1779, il demande au roi par le biais de la Chambre de Castille
que Votre Majesté lui concède la jouissance de la noblesse que sa famille possède dans les états de Flandre ici en Espagne, et que là où ses enfants établiront leur domicile, ils soient réputés et tenus pour nobles, jouissant des privilèges et des exemptions réservées aux caballeros, les distinguant avec un privilège qui corrobore les grâces que cette famille a obtenues des augustes prédécesseurs de Votre Majesté, avec l’autorisation pour les descendants de cette famille de pouvoir s’établir où il leur conviendra, sans qu’on puisse y faire obstacle182.
90Ces exemples montrent que ni la naissance en Espagne, ni les grands emplois du roi, ni les titres de noblesse ne conduisent à une reconnaissance automatique de la condition nobiliaire, et encore moins de celle d’hidalgo. Certains ont pourtant essayé de jouir localement des droits associés à l’hidalguia, mais ils ont dû pour cela recourir en grâce pour que leur noblesse soit reconnue localement. Tant qu’ils restent dans les villes militaires et au sein de leurs cercles de sociabilités, la légitimité politique et sociale des officiers flamands n’a jamais été questionnée. En revanche, une fois qu’ils en sortent, l’inefficacité des titres et des emplois conférés par le roi devient flagrante. L’essentiel des droits qui définissent l’appartenance à l’élite locale — la vecindad et l’hidalguia — est resté porte close, laquelle ne s’est ouverte qu’au compte-gouttes, soit par injonction royale, toujours incertaine quant à ses effets, soit par un lent et long processus d’assimilation.
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92Les microsociétés qui s’organisent autour des droits de la nation flamande recouvrent des trajectoires individuelles très contrastées selon les horizons d’attente des groupes familiaux qui ont financé l’envoi d’un ou de plusieurs parents servir en Espagne. L’expérience peut être vécue comme un éloignement provisoire de la terre natale dans l’attente de circonstances favorables au retour, ce qui explique des comportements de personnes en transit qui ne s’éloignent pas des régiments et des garnisons. Au contraire, d’autres ont profité des opportunités offertes, soit par la couronne pour faire carrière loin des régiments de nation, soit par les sociétés locales pour s’ancrer durablement parmi les élites urbaines. Selon les cas, cette démarche entraîne un éloignement progressif d’avec le noyau familial originel ou bien, au contraire, permet de mettre à profit la collaboration familiale à l’échelle européenne pour exploiter les ressources politiques de l’alliance dynastique.
93Les positions politiques et sociales élevées atteintes par certains officiers flamands en Espagne s’expliquent en partie par le système de promotion des élites militaires mise en place par Philippe V. Néanmoins, elles doivent aussi beaucoup aux cercles de sociabilité qui s’organisent autour du nouveau pouvoir militaire dans les villes de province. Les dynamiques sociales, politiques et économiques de ces lieux sont encore mal connues, mais il semble avéré qu’ils ont constitué des espaces de pouvoir où militaires philippistes, milieux négociants, et austracistes repentis ont noué de puissantes alliances. Ces villes militaires ont donc été des lieux d’intégration privilégiés pour les officiers flamands, même si l’assimilation complète parmi les notables locaux a été un chemin semé d’embûches que seul le temps a pu lever.
94La diversification croissante des expériences sociales parmi la communauté des exilés a lentement fragilisé la cohésion socioprofessionnelle des corps flamands. Malgré de fortes tensions, la façon dont les équilibres de pouvoir au sein des unités ont été recomposés à la fin de la guerre a permis à toutes les familles de tirer profit des privilèges de la nation. Pour les moins investies, ils donnent l’occasion à des cadets de familles de jouir en toute sécurité d’emplois prestigieux ; pour les plus ambitieuses, ils offrent un tremplin vers le sommet de l’appareil politique de la monarchie et la possibilité de s’ancrer durablement en Espagne. Tant que les solidarités corporatives ont été en mesure de compenser des horizons socioprofessionnels divergents, les officiers flamands ont été en mesure de s’opposer à toute réforme de l’armée qui tenterait de revenir sur l’héritage institutionnel du conflit successoral.
Notes de bas de page
1 Le degré de précision variant considérablement (village, province, royaume), les échelles du royaume et de la province ont été privilégiés (respectivement 1 040 et 928 individus). La revue du comte de Soupat mentionne tous les officiers (enseigne, sous-lieutenant, lieutenant, capitaine, aide-major, sergent-major, lieutenant-colonel et colonel), à l’exception des cadets.
2 Voir chap. i.
3 Andújar Castillo, 1991, p. 156.
4 AGS, Estado, leg. 7479, placard de Charles VI, 16 mai 1716 ; AGN, Tribunales reales, Archivo secreto del Consejo Real, Titulo 4, Fajo 1, exp. 43, ordre royal de Philippe V, Madrid, 18 novembre 1716.
5 Voir chap. iii.
6 AGS, Estado, leg. 7479 et 7480. Dès 1716, la France dispose aussi d’un chargé d’affaire à Bruxelles. Par contre, en 1728, elle obtient d’y envoyer un ambassadeur. Demoulin, 2009.
7 Ozanam, 1998, pp. 26-27 ; Precioso Izquierdo, 2017, pp. 233-244.
8 AGR, Conseil Privé, 349, fos 3-6, « Édit concernant tous les titres, dignités, marques d’honneurs et de noblesse accordées par le roi d’Espagne aux sujets des Pays-Bas pendant la dernière guerre (Bruxelles, 15 janvier 1726) » ; Liste des titres de noblesse, chevalerie et autres marques d’honneur, octroyées par le roy Philippe V, [Bruxelles], 1738.
9 Mertens, Sonkajärvi, 2012, pp. 414-415.
10 AGR, Conseil Privé, 391, fos 393/5, requête de Marie Boets, veuve de Jacques Emmanuel Michel, mort au service de l’Espagne, pour toucher ce qui revient de la succession malgré les dispositions des placards, 1740 ; AGR, Conseil Privé, 431, fo 1157, requête de Frédéric Victor de Meer demandant pour son fils Joseph la permission de servir en Espagne dans les gardes wallonnes, 1754 ; AGR, Conseil Privé, 473, fo 3546, procès contre le nommé Piquet, naturel de Mons, qui s’est enrôlé au service de l’Espagne sans en avoir obtenu la permission, 1778 ; Archives privées du baron de Vicq (Tervuren), farde n° 21 (Joseph Irénée), requête de Joseph Irénée de Vicq de Cumptich pour entrer dans la garde du corps du roi d’Espagne, 1770. Voir aussi : Terlinden, 1925.
11 Mertens, inédite ; AGR, FP, Ursel, L 328, lettre de l’impératrice Marie Amélie à Michel Joseph de Bournonville, 22 novembre 1738 ; AMAE, MD, Espagne, 154, fos 242-247, lettre du duc de Bournonville au duc de Noailles, l’Escorial, 12 octobre 1739.
12 Andújar Castillo, 2003b.
13 AGS, GM, 2306.
14 AGR, SEG, 802 et 803 ; AGS, GM, 2313 ; Glesener, 2012.
15 Hudemann-Simon, 1985, p. 168.
16 Mertens, inédite.
17 D’après Chevalier, inédit, pp. 151-155.
18 D’après Couvreur, Montagne, inédite, t. II, pp. 47-50.
19 À partir de Trénard, 1981, t. II, pp. 446-451.
20 Voir chap. vii.
21 Sur la notion de chaîne migratoire, voir : MacDonald, MacDonald, 1964. Des exemples dans Glesener, inédite, pp. 255-262.
22 Il s’agit d’une estimation réalisée à partir des 1 183 officiers qui ont servi dans les gardes wallonnes entre 1703 et 1808 et qui se répartissent en 757 patronymes différents. Les groupes familiaux d’officiers sont généralement constitués par un front de parenté qui unit en moyenne trois familles patronymiques, parentes ou alliées.
23 Vegiano d’Hovel, 1865, t. I, pp. 473-501 ; Guillaume, 1858, pp. 274-276 et 304-305 ; Válgoma y Díaz-Varela, 1953.
24 ADN, 3G, 1154, lettre du baron de Carondelet à l’abbé de Carondelet, Barcelone, 12 juin 1779 ; ADN, 3G, 1155, lettre du baron de Carondelet à l’abbé de Carondelet, La Havane, 8 février 1783.
25 AGR, FP, Croix, 11, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Xalapa de la Feria, 25 octobre 1771.
26 Wauwermans, 1891 ; Muñoz Corbalán, 1993b ; Galland-Séguéla, 2008.
27 AGS, GM, 2238, lettre du marquis de Richebourg au marquis de Castelar, Barcelone, 18 septembre 1728 ; AGS, GM, 2290, lettre du comte de Glimes à José Patiño, Barcelone, 19 mars 1735 ; Guillaume, 1858, pp. 270-271.
28 Ibid., p. 270 ; Vegiano d’Hovel, 1865, t. I, p. 84.
29 Ibid., t. I, p. 83.
30 AGR, FP, Croix, 9, lettre de Théodore de Croix au marquis d’Heuchin, [Barcelone], 1754.
31 AGR, FP, Croix, 10, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Aix-en-Provence, 31 mai 1747 ; AGR, FP, Croix, 10, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Montpellier, 28 mars 1748.
32 AGR, FP, Croix, 10, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Montpellier, 7 février 1748.
33 AGR, FP, Croix, 11, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, [La Corogne], 27 février 1760.
34 Le décompte est dressé à partir des sommes mentionnées dans la correspondance, AGR, FP, Croix, 9, 10 et 11.
35 AGS, GM, 1422 ; AGR, FP, Croix, 11, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, [La Corogne], 12 décembre 1759.
36 Dès l’annonce de sa nomination, Charles envoie une lettre de change à sa sœur de 1 650 livres pour l’aider à payer des dettes. Il envoie également 12 000 livres à son frère pour refonder une rente héréditaire de 400 florins. En 1773, il rachète à nouveau pour une valeur de 2 000 livres deux petites rentes que sa sœur avait engagées. À son retour du Mexique, Charles a reçu en raison de ses bons services une gratification de 12 000 pesos à percevoir sur les caisses royales de Mexico. AGR, FP, Croix, 12, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Madrid, 18 novembre 1765 ; AGR, FP, Croix, 12, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Madrid, 21 janvier 1766 ; AGR, FP, Croix, 17, procuration de Charles de Croix en faveur du marquis d’Heuchin, Cadix, 24 avril 1766 ; Archives de l’État à Mons (AEM), Contrats, n° 546, testament de Charles de Croix, Valence, 10 octobre 1781 ; AGR, FP, Croix, 11, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Madrid, 22 mars 1773 ; AHPM, 20766, fos 3-4, procuration de Charles de Croix en faveur de Diego Ballesteros, Madrid, 7 janvier 1775.
37 AGS, GM, 2224, lettre d’Eugène de Croix au marquis de Castelar, Madrid, 17 juin 1723.
38 AGS, GM, 2306, lettre de Théodore de Croix à Sebastián Eslava, [Lille], mars 1756.
39 AGS, GM, 2290, ordre royal, Saint Ildefonse, 3 septembre 1735. Le roi rappelle aux commandants des régiments de la garde que seul le roi est autorisé à délivrer des congés. L’ordonnance de 1750 confirme l’attribution des licences comme une prérogative royale. Portugués, Colección general de las ordenanzas militares, t. V, pp. 492-493. Entre 1758 et 1759, durant l’agonie de Ferdinand VI, le secrétaire a donné temporairement la faculté aux colonels des deux régiments d’octroyer les congés. AGS, GM, 2306, lettre du comte de Priego à Richard Wall, Madrid, 5 décembre 1759.
40 Les retraites volontaires des gardes wallonnes sont nombreuses : en 1744, Pierre Bruix annonce au comte de Glimes qu’il se retire car « des affaires de famille [l]’empêch[ent] de continuer davantage dans le service du roi », AGS, GM, 2295 ; en 1748, Louis Desmarest de Sancourt prend sa retraite en Flandre « pour veiller sur les biens de sa maison », AGS, GM, 5453 ; en 1764, le vicomte de Roest quitte le régiment « parce que sa mère a quatre-vingt ans, qu’il ne peut gérer les affaires de sa maison et que, comme fils unique, il doit se marier », AGS, GM, 2312 ; en 1771, le comte de Wonsheim sollicite son congé en raison de la mort de son frère aîné qui le fait héritier de la baronnie de Boulers, Englebert, 1985, p. 48.
41 AGR, FP, Croix, 11, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, [La Corogne], 9 mai 1758. On peut suivre en détail la carrière d’Alexandre Louis de Croix à travers la correspondance de Charles de Croix : AGR, FP, Croix, 10, 11 et 12.
42 Guignet, 1990 ; Sahlins, 2004, pp. 165-169.
43 ADN, 3G, 1155, lettre du baron de Carondelet à l’abbé de Carondelet, Cadix, 26 septembre 1783.
44 AEN, Franc-Waret, 95, lettre du marquis d’Heuchin à [M. de Calonne], La Prévôté, 5 février 1784.
45 AMAE, CP, E, 249, fos 181-182, mémoire instructif de M. l’ambassadeur sur l’état où se trouvent les sieurs d’Ormay et Monbardon, officiers des gardes du corps de Sa Majesté Catholique, Madrid, 24 février 1716.
46 AGR, FP, Croix, 9, lettre d’Eugène de Croix au marquis d’Heuchin, Madrid, 8 avril 1720.
47 AGR, FP, Croix, 9, lettre d’Eugène de Croix au marquis d’Heuchin, Valence, 17 mai 1719.
48 Dans la correspondance de la famille de Croix, les nouvelles publiées dans la Gazette de Hollande sont régulièrement commentées. AGR, FP, Croix, 11, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Madrid, 14 juillet 1760 ; AGR, FP, Croix, 9, lettre de Philippe de Croix au marquis d’Heuchin, Ibiza, 4 juillet 1763.
49 Dans le fonds de la famille artésienne de Dion, on trouve une liste détaillée : AD Pas-de-Calais, 1J, de Dion, 191, « Noms de mrs les officiers du regiment de Gardes Walonnes qui sont morts de maladies, en fonctions, qui se sont retirés, et congediés, depuis la création du régiment qui fût l’année 1703 jusque au présent ». Un document identique figure dans le fonds de la famille namuroise de Van der Straten Ponthoz, AEN, van der Straten Ponthoz, 496. Ces documents privés ont d’ailleurs constitué l’essentiel des sources utilisées par le colonel Guillaume dans son étude pionnière sur le régiment, Guillaume, 1858, pp. 433-435.
50 AGR, FP, Croix, 12, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, La Corogne, 15 février 1765.
51 AGR, FP, Croix, 9, lettre de Philippe de Croix à Alexandre-Louis de Croix, Ibiza, 20 septembre 1763.
52 Voir chap. i.
53 Mestas, 1963, pp. 161-162 ; AHN, Estado, leg. 3488, lettre du duc de Bournonville à Philippe V [1720].
54 Saint-Simon, Mémoires, t. II, p. 140.
55 AGR, FP, Ursel, 445 b.
56 AGR, FP, Ursel, L 328, testament de Michel Joseph, duc de Bournonville, Madrid, 20 mai 1751 ; AHPM, 17816, fos 793-799, testament de François Joseph de Bournonville, Madrid, 11 avril 1756 ; AHPM, 17828, fos 332-338, testament de François Joseph de Bournonville, Madrid, 13 août 1764.
57 AGR, FP, Ursel, W 170. Sur le mariage, voir : AMAE, Mémoires et Documents (MD), Espagne, 154, fos 232-234, lettre du duc de Bournonville au duc de Noailles, Madrid, 3 août 1739 ; Ursel, 2004, t. II, pp. 197-198.
58 En 1750, l’emploi de garde major du bateau de la Avería de la baie de Cadix a été réincorporé au domaine royal. Michel Joseph charge ses héritiers d’en récupérer le capital auprès du trésor royal. AGR, FP, Ursel, L 328, testament de Michel Joseph, duc de Bournonville, Madrid, 20 mai 1751 ; codicille, Madrid, 25 mai 1751 ; codicille, Madrid, 26 mai 1751. La couronne finit par compenser l’héritier en cédant différents droits sur des terres situées à Logroño, Guadalajara et Barcelone pour une valeur de 252 382 réaux. AHPM, 17806, fos 594-595, procuration du duc de Bournonville, Madrid, 26 février 1753 ; AHPM, 17810, fos 344-345, procuration du duc de Bournonville, Madrid, 8 octobre 1754 ; AHPM, 17816, fos 800-803, donation du duc de Bournonville, Madrid, 11 avril 1756.
59 AMAE, MD, Espagne, 154, fos 232-234, lettre du duc de Bournonville au duc de Noailles, Madrid, 3 août 1739.
60 Voir ci-dessus.
61 AMAE, MD, Espagne, 154, fos 242-247, lettre du duc de Bournonville au duc de Noailles, l’Escorial, 12 octobre 1739.
62 Le cas Bournonville est unique par le volume des biens et l’importance des titres et des emplois concernés. Toutefois, nous avons connaissance d’au moins trois autres cas d’officiers flamands ayant fondé un majorat, le plus souvent après avoir obtenu un titre de Castille. Ces majorats prévoient généralement un ordre de succession en faveur de parents restés aux Pays-Bas. Par conséquent, davantage qu’un symptôme de l’intégration, le majorat apparaît comme un outil juridique censé garantir l’unité d’un patrimoine dispersé par les circonstances de l’exil. Les trois autres majorats connus ont été fondés par Philippe Witz de la Bouchardrie, sergent-major des gardes wallonnes, Archivo Histórico de Protocolos de Barcelona (AHPB), Comelles Mayor, Llibre 7 (1737-1753), fos 85-89 ; Georges Prosper Verboom, ingénieur général de l’artillerie, AHPB, Rondo, Llibre de testaments (1741-1755), fos 31-39 ; et Pierre Bosseau, marquis de Chateaufort, colonel d’un régiment de dragons et corrégidor de Jaca, Montpellier d’Annevoie, 1905. Sur ce sujet : Glesener, 2014c, pp. 320-321.
63 AGS, Estado, leg. 483 ; AGS, GM, 2318 ; AGS, GM, 5913. La construction de casernes sur les sites royaux a précédé celles de la Cour : l’Escorial (gardes du corps, vers 1720), La Granja (gardes du corps, 1764), Aranjuez (garde du corps, 1752 ; gardes d’infanterie, 1770), El Pardo (gardes du corps, 1761). Cantera Montenegro, 2008 ; Glesener, 2017.
64 Voir chap. iii.
65 Herrero y Rubira, Diccionario universal francés y español, pp. 552-553.
66 López García, 2006, pp. 111-114.
67 D’après Fichoz.
68 AHN, Estado, Carlos III, exp. 121.
69 Voir chap. iii.
70 AGR, FP, Croix, 10, lettre de Théodore de Croix à Charles de Croix, Madrid, 24 juin 1749. Dans l’ordre, les personnes citées sont : Jean Bonaventure Dumont de Gages (1682-1753), né à Mons, ancien lieutenant-colonel des gardes wallonnes, nommé en 1749 à la vice-royauté de Navarre ; Ignace-François de Glimes (1677-1754), né à Namur, colonel des gardes wallonnes et capitaine général de Catalogne ; Charlotte Louise de Rohan (1722-1786), née en France, épouse du prince de Masserano, capitaine de la compagnie italienne des gardes du corps ; Anne Marie de Croÿ Roeulx (1706-1792), née à Mons, veuve de Jean-François de Bette, marquis de Lede, première dame de l’infante Élisabeth, duchesse de Parme ; Antoine Grondeau de Flobert, ingénieur militaire français au service de l’Espagne ; Léopoldine Élisabeth de Lorraine-Marsan, née en France en 1716, épouse du duc de Béjar, gentilhomme de la chambre du roi ; Bénédicte Charlotte d'Ursel (1719-1178), née aux Pays-Bas, épouse de François Joseph de Bournonville.
71 Sibas, Notice historique sur M. de Sibas, pp. 13-15.
72 ADN, 3G, 1154, lettre du baron de Carondelet à l’abbé de Carondelet, Madrid, 22 mai 1779. On retrouve le même type de sociabilités autour des commandants espagnols de la maison militaire. Guerrero Elecalde, 2012, pp. 350-366.
73 On trouve beaucoup d’actes rédigés par des officiers de la maison militaire dans l’étude de Bernardo Ruiz Burgo, notaire de Madrid et greffier du tribunal de la garde royale. AHPM, Bernardo Ruiz Burgo, 17795, 17797, 17800, 17803, 17806, 17809, 17810, 17812, 17813, 17816, 17828, 17829, 17834.
74 AGR, FP, Croix, 10, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Madrid, 11 novembre 1737.
75 AHN, OM, Calatrava, exp. 1345.
76 AHN, OM, Alcántara, exp. 1049.
77 García García, 2007 et 2014.
78 Vidal Galache, Vidal Galache, 1996, pp. 82-92.
79 AHPM, 15182, fos 345-349, testament d’Eugène de Croix, Madrid, 21 octobre 1725 ; AHPM, 15594, fos 76-78, pouvoir pour tester de Charles Prevost Alvarado, Madrid, 23 juin 1750 ; AHPM, 22614, fos 380-382, testament d’Alexandre de Pau Vanmarck, Madrid, 8 mars 1804.
80 Vidal Galache, Vidal Galache, 1996, p. 96.
81 Espino López, 1999.
82 AHN, Estado, leg. 1605, consulte du conseil d’État, Madrid, 8 juillet 1704.
83 Roura i Aulinas, 2001 ; Torras i Ribé, 2005, pp. 187-263 ; Andújar Castillo, 2015, pp. 230-232.
84 Muñoz Corbalán, 1993b, pp. 221-287 ; Id., 1995.
85 AGS, GM, Supl., 239 ; AGS, GM, 2218.
86 Archivo histórico municipal de Barcelona (AHMB), 11/1C-XVI-23, « Estado general de las casas marcadas para el alojamiento de la guarnición de esta plaza de Barcelona (1728) ».
87 Voir chap. iii.
88 Franco Rubio, 2001.
89 Archivo Diocesano de Barcelona, Jurisdicción castrense, lib. 2, Libro de partidas de matrimonios de militares.
90 Les références du corpus de testaments figurent dans les Sources en fin d’ouvrage.
91 Franclieu, Mémoires, pp. 176-177.
92 AGR, FP, Croix, 10, lettre de Théodore de Croix au marquis d’Heuchin, Barcelone, 18 février 1753.
93 AGS, GM, 2318, lettre du comte de Priego au comte de Ricla, El Pardo, 24 mars 1772 ; Andújar Castillo, 1998, p. 516.
94 AGS, GM, 2293, lettre du comte de Glimes à Casimiro Uztariz, Barcelone, 3 décembre 1740 ; AGS, GM, 2313, lettre du comte de Priego à Richard Wall, camp de Aldea la Nova, 7 septembre 1762.
95 AGS, GM, 2220, lettre d’Eugène Nieulant à Miguel Duran, Marseille, 30 décembre 1717.
96 Alier i Aixalà, 1990, pp. 133-134.
97 Ibid., pp. 627-629.
98 Biblioteca Nacional de Catalunya (BNC), Fons històric del hospital de la Santa Creu, Llibre d’entrades de malalts, 1725-1728.
99 Giménez López, Pradells Nadal, 1989 ; Giménez López, 1990 ; Blesa Duet, 2005, pp. 370-378.
100 AGS, GM, 2315 ; AHN, Inquisición, leg. 2022, exp. 109 ; leg. 3725, exp. 118 et 144 ; leg. 3733, exp. 20 et 47. Ces conflits donnent souvent lieu à l’expression d’anciens stéréotypes qui associent les Flamands à la religion réformée. Sur ce sujet, voir Thomas, W., 2003.
101 Sur la difficulté de critiquer les généraux de l’armée jusqu’au milieu du xviiie siècle, voir : El Hage, 2016.
102 AGS, GM, 5949, lettre de Joseph Auguste Laporte et José Craywinckel à Pedro Fort Saint Maurin, Barcelone, 30 juin 1791. L’affaire est traitée plus en détail au chap. vii.
103 Válgoma y Díaz-Varela, 1953.
104 AHN, OM, Santiago, exp. 3522-3523.
105 AGP, Felipe V, leg. 212, exp. 199 ; AGS, Gracia y Justicia, lib. 315.
106 AHPB, Troch, Testaments (1772-1793), testament de Francisco Fermín Gonzalez Bassecourt, Barcelone, 24 août 1773.
107 ADN, E, 60. Marquisat de Bassecourt ; AHN, OM, Santiago, exp. 3522-3523.
108 Serrano Flo, 1984 ; Lladonosa Pujol, 1971, pp. 45-47.
109 AGS, GM, 2330.
110 Gay Escoda, 1997, pp. 574 et 588 ; Ozanam, 2008b, pp. 78-79.
111 AHN, OM, Santiago, exp. 894.
112 AHN, Estado, Carlos III, exp. 1171.
113 Ozanam, 2008b, pp. 78-80 ; Mateo Ripoll, 1994, pp. 97-100.
114 Franclieu, Mémoires, pp. 177-178. Colonel d’un régiment flamand, l’auteur relate en détail les attentions dont il est l’objet lorsqu’il se déplace dans les villes du royaume de Valence.
115 Voir chap. iii.
116 León Sanz, 1993, p. 185 ; Fernández de Bethencourt, 1900, t. II, p. 277.
117 AHPB, Gali, Libri septimi capitulorum matrimonialium (1736-1739), fos 191-197, contrat entre Francisco Fernández Córdoba et Marie Philippine de Glimes, Barcelone, 14 novembre 1738.
118 AHN, OM, San Juan, exp. 24 409.
119 Muñoz Rodríguez, 2014, pp. 271-280.
120 AGS, GM, 2300, lettre du comte de Glimes au marquis de la Ensenada, Madrid, 31 août 1749. Sur les politiques d’alliances des Bourbon, voir Dedieu, 2001 et López-Cordón Cortezo, 2003.
121 Outre de nombreuses collaborations locales, ce front de parenté s’entraide également pour favoriser les carrières espagnoles, notamment lorsque les commissaires du conseil des ordres viennent enquêter à Namur. AHN, OM, Montesa, exp. 263, témoignage de Ladislas Cuvelier en faveur d’Emmanuel Ferdinand Legros, Namur, 7 février 1758. Ces familles n’ont pas contracté d’alliances en Espagne, à l’exception de Lambert qui se marie tardivement avec Henriette Caudron Cantin, une domestique de la maison royale, parente d’Adrien Caudron Cantin, capitaine de frégate, natif de Douai. AHPB, Troch, Manuali 1774-1779, fo 2.
122 AHPB, Brugera Rossell, Primus liber testamentorum (1750-1752), fos 75-78, testament d’Albert Cuvelier, Barcelone, 21 décembre 1761.
123 Sa fille, Maria Josefa, a épousé Narciso Paguera y Sala, dont plusieurs membres de la famille ont pris parti pour l’Archiduc pendant le conflit successoral. Son fils, Juan, épouse Maria Teresa Solanell y Graell. AHPB, Rondo, Llibre de testaments (1756-1764), fos 59-61, testament de Jean Baillet Grandcourt, Barcelone, 30 janvier 1759 ; Castellví, Narraciones históricas, t. II, p. 430 ; León Sanz, 1993, p. 186.
124 Guillaume, 1858, pp. 270-271.
125 Jean Baillet Grandcourt est un proche du comte de Glimes, le commandant des gardes wallonnes. En 1738, il est témoin du contrat de mariage de la fille du comte. L’année suivante, il apparaît également comme l’un de ses exécuteurs testamentaires. AHPB, Gali, Libri septimi capitulorum matrimonialium (1736-1739), fos 191-197, contrat entre Francisco Fernández Córdoba et Marie Philippine de Glimes, Barcelone, 14 novembre 1738 ; AHPB, Gali, Libri sextus testamentorum (1737-1756), fos 55-58, testament d’Ignace François de Glimes, Barcelone, 28 août 1739.
126 AHPB, Rondo, Llibre de testaments (1756-1764), fos 59-61, testament de Jean Baillet Grandcourt, Barcelone, 30 janvier 1759.
127 AHPB, Olzina, Liber secundus testamentorum (1774-1779), fos 373-391, testament de Juan Pedro Baillet Montoliu, Barcelone, 1 septembre 1778. Il est entouré de María Teresa Baillet Solanell, sa femme ; de Manuel Montoliu Boxador, ancien officier des gardes wallonnes, chevalier de l’ordre de Saint Jean de Jérusalem et grand prieur de Catalogne, son oncle ; de Manuel Baillet Montoliu, ancien officier des gardes wallonnes, colonel agrégé à l’état-major de Barcelone, son frère ; de Placido Montoliu y Erill, son cousin ; de ses beaux-frères, José de Solanell y Graells et Narciso Paguera y Sala.
128 AHPB, Mas Vidal, Manuale testamentorum (1792-1797), testament d’Alessandro Beretta, Barcelone, 23 décembre 1793.
129 AHPB, Gibert Vilaseca, Primus liber testamentorum (1786-1797), testament de Frédéric Lamberts Cortenbach, Barcelone, 23 octobre 1791.
130 Dedieu, 1998a.
131 Recio Morales, 2010b, pp. 243-246.
132 Voir chap. i.
133 Crespo Solana, 2001, pp. 327-328 et 332.
134 AHPM, 15940, fos 153-158, testament de Charles Huldenberghe Vanderborch, Madrid, 9 avril 1752.
135 AHPM, 16291, fos 209-214, testament de Charles Melin, Madrid, 6 juin 1763.
136 Stein, Stein, 2004, pp. 69-81.
137 Guillaume, 1858, pp. 417-418.
138 AHN, OM, Santiago, exp. 8055 ; AHPB, Troch, Registros de testamentos militares (1772-1793), fos 280-292, inventaire après décès de Manuel Craywinckel, Barcelone, 11 juillet 1772. Une partie de cette fortune est placée à Toulouse, auprès du baron de Puymaurin, un banquier jouissant de nombreuses relations en Espagne, qui a joué un rôle décisif dans l’exfiltration vers la France de Pablo de Olavide. Ozanam, 1965.
139 AGS, GM, 2272 ; AHPM, 17803, fos 143-145 ; AHPM, 17809, fos 72-74 ; AHPM, 17813, fo 612 ; AHPM, 17816, fo 107 ; AHPM, 17795, fos 1011-1014.
140 Archivo de la Corona de Aragon, Real Audiencia, Consultado y tribunal de comercio, 2043, 2053, 2692, 4965, 7136, 12462.
141 Abad, Ozanam, 1992, pp. 79, 75 et 170-171. Il s’agit d’Antoine Sartine (1726-1744), de José Contamina Fernández de Heredia (1744-1763) et de Juan Felipe Castaños (1763-1785).
142 AGS, GM, 2243 ; Aquerreta González, 2001a, p. 571 ; Dedieu, 2011. Un des associés de Sartine, Tomas Capdevila, un commerçant philippiste de Lérida, est proche des Craywinckel. AHPB, Troch, Manuali… omnia testamenta (1768-1773), fos 79-80, testament de Francisco Craywinckel, Barcelone, 19 mai 1769.
143 Abad, Ozanam, 1992, pp. 170-171.
144 Ibid., p. 76.
145 Zylberberg, 1993, pp. 136-138.
146 Voir chap. vi.
147 Torres Sánchez, 2013.
148 Herzog, 2003, pp. 6-9 et 76-82.
149 Voir chap. ii.
150 AGS, GJ, 873, lettre de Manuel de Roda à Manuel Ventura Figueroa, Saint Ildefonse, 5 septembre 1777.
151 Pérez Collado, 1993, pp. 327-329.
152 AHCB, 1D-IV-117, fo 118 ; AHPB, Rondo, Llibre de testaments (1741-1755), fos 31-39, testament de Georges Prosper Verboom, Barcelone, 7 janvier 1740. En 1729, le comte de Lannoy a également reçu un avis favorable de la ville de Barcelone à sa demande de naturalité.
153 Torras i Ribé, 2003, pp. 19-34.
154 Il s’agit du comte de Lannoy et des enfants de Georges Prosper Verboom en Aragon et d’Eugène de Croix en Castille.
155 Sahlins, 2004, pp. 152-154.
156 AGS, GM, 2335, lettre de Juan Treviño au comte de Ricla, Madrid, 19 juin 1780.
157 AGS, GM, 2231 ; AGS, GM, 2588.
158 AGS, GM, 2588.
159 AGS, GM, 2231.
160 AGS, GM, 2588 ; AHPM, 21278, fos 15-19.
161 AHPM, 17828, fos 332-338, testament de François Joseph de Bournonville, Madrid, 13 août 1764 ; AHPM, 21339, f os 107-110, testament de Charles de Witte, Madrid, 20 mars 1782 ; AHPM, 21339, fos 659-661, testament de Juan Nepomuceno Dusmet, Madrid, 8 novembre 1791 ; AHPM, 22614, fos 380-382, testament d’Alexandre de Pau Vanmarck, Madrid, 8 mars 1804.
162 Herzog, 2003, p. 36.
163 C’est le cas d’Andrés María Ruiz Castro T’Serclaes Tilly, petit-fils du prince de T’Serclaes, qui a été chevalier maestrante de Séville. Reçu comme cadet dans les gardes wallonnes, il a fini par en être expulsé pour ne pas être considéré comme flamand par le colonel. AGS, GM, 2306.
164 AHVM, Secretaría, 2-167-65, ordre royal, Madrid, 28 juillet 1801.
165 AHVM, Secretaría, 2-166-90, ordre royal, Madrid, 6 juin 1806.
166 AGS, GM, 2273, dossier relatif à l’usurpation de noblesse d’Antoine Langlade, baron d’Autresalle, brigadier de la garde du corps, 1756.
167 Glesener, inédite, p. 139.
168 AGR, FP, Croix, 10, lettre de Charles de Croix au marquis d’Heuchin, Nice, 19 juillet 1747.
169 AGR, FP, Croix, 13, lettre de Balthazar de Jauche au marquis d’Heuchin, Barcelone, 18 juin 1741.
170 Franclieu, Mémoires, p. 84.
171 AHN, Consejos, leg. 9166, exp. 7.
172 AHN, Consejos, leg. 9956, exp. 2.
173 AHPM, 20221, fos 662-663.
174 AGS, GJ, Leg. 922, lettre du comte de Lalaing au comte de Floridablanca, Aranjuez, 14 décembre 1784.
175 AGR, FP, Croix, 12, lettre de Charles de Croix à Mlle d’Allennes, Veracruz, 18 juillet 1766.
176 AGR, FP, Croix, 9, lettre de Philippe Witz au marquis d’Heuchin, Madrid, 8 décembre 1743.
177 AGR, FP, Croix, 9, lettre de Philippe Witz au marquis d’Heuchin, Madrid, 16 septembre 1743.
178 Les officiers d’origine étrangère ne sont pas les seuls à chercher à asseoir localement leur légitimité sociale. Les archives locales conservent de nombreuses traces de démarches effectuées par des officiers espagnols de l’administration royale pour attester de leurs origines nobles dans leurs lieux d’affectation. Archivo Histórico Provincial de Zaragoza, Audiencia de Aragón, Partido de Teruel, leg. 1222, exp. 51, le colonel Juan Ibáñez Cuevas, gouverneur du Val d’Aran, naturel de Lidon (Teruel) demande que l’on transmette son titre de noble d’Aragon (1731).
179 Soria Mesa, 2007, pp. 254-260.
180 En 1782, c’est le cas de Francisco Javier Everardo Tilly, capitaine général du département maritime de Carthagène, créé hidalgo par privilège car, employée au service royal, sa famille n’a jamais « eu de domicile fixe dans aucun village de mes royaumes, et n’ont pu se faire reconnaître dans aucun lieu les honneurs et exemptions dont jouissent les hidalgos notoires de sang ». Archivo municipal de Cartagena, Marina, CH342-1.
181 AHN, Consejos, 13247, fo 15, décret royal, Saint Ildefonse, 16 août 1795. En 1747, leur père, Eugène Nieulant, officier des gardes wallonnes, s’était vu refuser un titre de Navarre au motif de ne pas être originaire du royaume. AHN, Consejos, 4517, n° 131.
182 AHN, Consejos, 13242, fo 11, requête d’Enrique Van Asbroeck à Charles III, Madrid, 29 mars 1779.
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