Chapitre iii
La colonie marchande française de Cadix d’un siècle à l’autre
Anatomie d’un déclin
p. 139-181
Texte intégral
1Encore puissante à la fin des années 1780, la colonie marchande française de Cadix connut à partir de la décennie suivante un vertigineux déclin, dont on peut mesurer l’ampleur en comparant la « liste des négociants, boutiquiers, artisans, domestiques et autres sujets du Roy » dressée par le consul de France à Cadix en 1777 – laquelle recense pas moins de 885 personnes, dont 397 commerçants1 – et le « recensement des Français résidant dans la circonscription consulaire de Cadix » de 1891, qui ne dénombre plus que 57 ressortissants français, dont seulement 3 « négociants » et un « commerçant »2. En un siècle, la colonie marchande française de Cadix, qui avait été l’une des plus importantes et des plus prospères de l’Europe moderne, avait été littéralement réduite à néant. Derrière ce constat sans appel, la chronologie précise de cette disparition, son rythme et ses modalités demeurent pourtant des réalités mal connues. Certains historiens situent le début de la décadence de la colonie française à la fin des années 1770, lorsque la libéralisation du commerce colonial, d’une part, et la politique de remise en cause des « privilèges » dont bénéficiaient les marchands étrangers en Espagne, d’autre part, furent appliquées avec plus de vigueur par les autorités espagnoles3. D’autres mettent plutôt en exergue la période 1791-1794, marquée, dans le contexte nouveau créé par la Révolution française, par une succession de mesures d’expulsion et de représailles prises à l’égard des ressortissants français en Espagne4. Michel Zylberberg insiste, de son côté, sur le mouvement de retour des Français après la signature des traités de Bâle et de San Ildefonso en 1795 et en 1796, et retient plutôt la date de l’intervention napoléonienne de 1808 pour marquer la fin de la domination marchande française en Espagne5. Pour Antonio García-Baquero González, enfin, c’est l’éclatement de la guerre contre l’Angleterre en 1796 et l’instauration du commerce des neutres l’année suivante qui constituèrent les faits majeurs qui provoquèrent le départ des marchands étrangers de Cadix6. Remarquons par ailleurs qu’aucun de ces auteurs ne semble avoir porté attention aux multiples témoignages qui situent dans les années 1820 l’abandon de Cadix par les marchands étrangers et le retrait des « capitalistes » vers d’autres villes7.
2Pas plus qu’ils ne s’accordent sur la chronologie du déclin de la présence marchande française à Cadix, et plus généralement sur celui des colonies marchandes étrangères de la ville, les historiens ne s’accordent sur la causalité de ce processus. En effet, selon qu’ils mettent en avant la date de 1778, celle de 1793, celle de 1797 ou celle de 1821, c’est l’évolution du cadre réglementaire de la Carrera de Indias qui est placée au premier plan, la dégradation des relations diplomatiques franco-espagnoles, celle de la conjoncture commerciale à l’époque des French Wars ou, enfin, le processus des indépendances hispano-américaines. Ces questionnements relatifs à la chronologie et à la causalité du déclin de la colonie française de Cadix nous ramènent finalement à la question fondamentale soulevée par notre étude : qu’est-ce qui détermina la trajectoire singulière suivie par les marchands français de Cadix au cours des 5 décennies qui séparent la promulgation des décrets du libre comercio de leur suppression en 1828 ? Or, si l’analyse chronologique de l’évolution de la présence marchande française à Cadix ne saurait suffire à elle seule à répondre à une telle question, elle apparaît comme un préalable incontournable.
3Cette étude de l’évolution numérique de la présence marchande française à Cadix au cours de la période peut être menée à partir des divers recensements des naturales franceses y résidant, effectués en 1773, 1791, 1794, 1808, 1809, 1819 et 1839. Les recensements consulaires de 1777, 1837 et 1840 viennent par ailleurs utilement compléter ces informations. Les données obtenues ont été reproduites dans le tableau 15.
Tableau 15. — L’évolution numérique de la présence marchande française à Cadix d’après les recensements consultés (1773-1840)
Date | Source | Détails | Total « colonie marchande française » |
1773 | « Padrón » de 1773 | 218 négociants, 98 boutiquiers, 9 courtiers, 123 commis, 17 fils de négociants | 465 |
1777 | « Liste des négociants, boutiquiers, artisans, domestiques et autres sujets du Roy établis et résidents présentement à Cádiz, sous la protection de sa Majesté » | 133 négociants, 78 boutiquiers, 181 commis et 5 marchands | 397 |
1791 | « Padrón de los extranjeros » | 285 del comercio, 6 negociantes, 10 corredores, 3 mercaderes, 2 dependientes | 306 |
1794 | « Lista de los franceses domiciliados. Matriculas de ratificaciones hechas desde 7 de febrero a 18 junio 1794 » | 103 del comercio, 9 corredores | 112 |
1808 | « Juramientos de fidelidad de los nacionales franceses y otras naciones agregadas » | 162 del comercio, 4 corredores, 6 comisionistas, 1 armador, 1 dependiente, 4 retirados | 178 |
1809 | « Notas remitidas por los comisarios de Barrios, expresivas de los naturales franceses quedados en esta ciudad, con distincion de su domicilio » | 32 del comercio, 6 divers | 38 |
1819 | « Padrón general de extranjeros » | 53 comerciantes, 2 corredores, 2 mercaderes, 1 traficante, 1 fabricante, 1 almacen de licores | 60 |
1837 | « État des Français établis dans la province de Cadix ou qui s’y trouvent momentanément à la date du douze mars 1837 » | 39 négociants, 9 commis, 2 élèves de commerce, 2 commerçants, 3 marchands, 1 fabricant de savon | 56 |
1839 | « Padrón de los extranjeros » | 32 negociantes, 8 comerciantes, 7 dependentientes, 2 mercaderes, 1 viajero de comercio | 50 |
1840 | « État des Français établis dans la place de Cadix à la date du 20 novembre 1840 » | 18 négociants, 7 marchands, 9 commis, 1 courtier, 1 quincaillier | 36 |
Driesch, 1972, pp. 112-122 (1773) ; Ozanam, 1968, pp. 310 sqq. (1777) ; AHMC, sección Padrones, vol. 1000 (1791) ; AHMC, sección Padrones, vol. 6971 (1794) ; AHMC, sección Padrones, lib. 6973, 6974, 6975 (1808) ; AHPC, Gobierno Civil, c. 4, exp. 7 (1809) ; AHMC, sección Padrones, c. 6630 (1819) ; CADN, Cadix, 136PO/392 (1837) ; AHMC, sección Padrones, vol. 1149 (1839) ; CADN, Cadix, 136PO/392 (1840).
4La représentation graphique de ces différentes données, si elle apporte une première idée de l’évolution globale de la colonie française au cours de ces décennies, soulève cependant de nombreuses difficultés (graphique 8).
Voir les références citées pour le tableau 15.
5Les objets de ces différentes enquêtes, qui avaient chacune leurs propres objectifs, ne sont en effet pas les mêmes, pas plus que les nomenclatures qu’elles utilisent ; certaines ont par ailleurs été réalisées dans des contextes de crise, propices aux départs précipités et aux dissimulations en tout genre, et toutes l’ont été, de toute façon, avec les moyens limités des enquêtes censitaires de l’époque ; enfin, leur espacement irrégulier laisse dans l’ombre d’importantes périodes (1777-1791, 1794-1808, 1819-1837), pour lesquelles il aurait été particulièrement utile, dans l’optique qui est la nôtre, de pouvoir suivre plus en détail l’évolution de la présence marchande française. Pour ces diverses raisons, il s’est avéré indispensable de compléter l’information fournie par les différents recensements disponibles en utilisant d’autres indicateurs et en recoupant les données censitaires avec celles extraites de la base de données prosopographiques dans laquelle ont été consignés la totalité des documents dépouillés dans le cadre de cette étude8.
6Ce procédé a permis de combler les lacunes chronologiques de la documentation et de révéler l’ampleur de la face cachée de la présence marchande française à Cadix, celle qui n’apparaît pas, pour une raison ou une autre, dans les recensements. En contrepartie, l’adoption d’une telle démarche a supposé de formaliser les données disponibles, en utilisant des catégories larges (« marchand », « français »), qui correspondent finalement assez bien avec la vision des choses des contemporains. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne les nomenclatures professionnelles puisque les sources qui regroupent le plus souvent l’ensemble des acteurs du grand commerce – qu’ils soient négociants, boutiquiers ou simples commis – sous les termes génériques de « négociant » ou « del comercio » rejoignent finalement nos propres partis pris. Mais, cela est également le cas, quoique de façon plus nuancée, en matière d’identification nationale. Les différentes catégories existant dans le droit espagnol pour désigner les étrangers (transeunte, domiciliado, naturalizado et jenízaro) traduisent, en effet, aussi bien la complexité réelle du statut d’étranger dans l’Espagne moderne, que le fait que les individus d’origine étrangère, quel que soit leur degré d’intégration, n’étaient jamais considérés comme des naturales à part entière. On en veut pour preuve le grand nombre de franceses qui durent exhiber leurs cartas de naturaleza pour justifier leur séjour à Cadix en 1809, après l’invasion de l’Espagne par les armées françaises.
7À l’heure de dénombrer les « marchands français » présents à Cadix, nous nous sommes donc gardé de procéder à un quelconque tri a priori et nous avons préféré prendre en considération l’ensemble des individus qui exerçaient une profession en lien avec le commerce à distance et qui étaient nés en France ou qui, bien que nés ailleurs, faisaient partie, de facto, de la colonie française de Cadix – soit qu’ils soient directement placés sous la protection du consul de France, soit qu’ils aient pratiqué leurs activités au sein des compagnies françaises de la place. Ces préalables méthodologiques étant posés, il est dorénavant possible de retracer dans ses grandes lignes l’évolution numérique de la présence marchande française à Cadix, en analysant successivement trois grands moments : le temps de l’« apogée » de la colonie, situé entre 1778 et 1791, qui est brutalement interrompu par la crise révolutionnaire (1791-1795) ; le temps de sa « reconstitution » entre 1796 et 1808, qui se clôt également de façon dramatique avec l’intervention française en Espagne ; et, enfin, le temps de l’« agonie », qui voit la faible colonie reconstituée après 1815 disparaître peu à peu.
Une colonie puissante et constamment renouvelée (1778-1791)
8Quatre documents censitaires constituent, une fois complétés et recoupés par les autres sources disponibles, la matrice de notre information pour la période considérée : le « padrón » de 1773, qui fut réalisé dans le cadre des enquêtes fiscales liées à l’instauration de la única contribución et qui recense la totalité de la population de la ville, en spécifiant la profession et l’origine nationale des individus recensés9 ; la liste consulaire de 1777, qui ne recense que les individus placés sous la protection du consulat de France à Cadix et qui distingue très précisément les différentes catégories socioprofessionnelles composant la nation puisque les droits des ressortissants n’étaient pas les mêmes selon qu’ils aient été identifiés comme des négociants, des boutiquiers ou de simples artisans10 ; le « padrón general de extranjeros » de 179111, qui fut réalisé dans le contexte des mesures prises par la Couronne espagnole pour se prémunir de la contagion révolutionnaire et qui distingue les étrangers de la ville en fonction de leur profession et de leur statut juridique – transeunte pour ceux qui ont choisi de demeurer sous la protection de leur consulat, et domiciliado pour ceux qui y ont renoncé et ont accepté de prêter un serment de fidélité au souverain espagnol ; et, enfin, la « lista de los franceses domiciliados », qui recense, en 1794, les Français demeurés dans la ville à la suite de l’expulsion des transeuntes à laquelle il avait été procédé l’année précédente12. Certaines de ces sources ont été totalement ou partiellement éditées13. Les deux dernières sont en revanche demeurées inédites, et c’est la raison pour laquelle elles ont été reproduites partiellement dans les annexes14.
9En dépit des grandes différences que l’on constate entre ces 4 recensements, qui n’ont ni les mêmes objets ni les mêmes finalités et encore moins les mêmes nomenclatures, ils témoignent cependant tous d’une même réalité : la colonie marchande française de Cadix était demeurée très importante dans le dernier quart du xviiie siècle et elle était extrêmement dynamique d’un point de vue démographique.
10Quelle que soit la source considérée, la présence marchande française apparaît en effet comme numériquement très importante et toujours voisine des 500 individus à cette époque. Le « padrón » de 1773, qui ne fait aucune distinction entre les différents statuts juridiques auxquels se rattachaient les Français résidant à Cadix, permet d’identifier nominalement quelque 218 « commerçants » français alors en activité à Cadix, auxquels peuvent être agrégés 17 de leurs enfants nés en Espagne et exerçant le commerce à leurs côtés. Si on ajoute à ces 235 individus, les 98 boutiquiers et les 9 courtiers également recensés, ainsi que les 123 commis français travaillant dans leurs établissements, on parvient à un nombre total de 465 marchands français résidant à Cadix durablement et y exerçant une profession liée au commerce à distance15. Nous n’avons pas les moyens de recouper ces informations avec d’autres sources de la période et on ne peut donc exclure que cette liste souffre de quelques lacunes : à l’exception de Pierre Luceta, par exemple, aucun autre négociant français naturalisé n’apparaît dans la liste – alors qu’ils devaient être une dizaine à Cadix cette année-là –, et les jenízaros n’apparaissent pas non plus systématiquement16. Dans l’ensemble, ce recensement est cependant le plus complet et le plus fiable de tous ceux qui ont été réalisés à l’époque, et il est très peu probable que des dépouillements plus poussés dans les sources locales permettent de trouver plus d’une cinquantaine d’individus méritant d’être ajoutés à ceux qui ont été relevés dans les listes éditées par Wilhelm von den Driesch.
11La liste consulaire de 1777 est en revanche beaucoup plus incomplète puisque, comme elle l’indique dans son titre, elle ne recense que les individus placés sous la protection du roi de France, à savoir les individus bénéficiant du statut de transeunte. Aussi, les 397 marchands français qu’elle recense nominalement – 126 associés dans les 63 maisons de négoce, auxquels il convient d’ajouter 7 « négociants » indépendants, 78 boutiquiers, 5 marchands et 181 commis – ne constituent qu’une partie de la présence marchande française à Cadix. En effet, nous avons pu identifier pas moins de 111 individus d’origine française qui exerçaient le commerce à Cadix en 1777 ou 1778 mais qui n’apparaissent pas dans la liste consulaire17, ce qui laisse supposer un nombre total de marchands français à Cadix plutôt proche de 500. Au total, on constate ainsi qu’entre 1773 et 1777, la présence marchande française à Cadix n’a pas dû sensiblement évoluer.
12Le recensement de 1791, pour sa part, porte sur l’ensemble des Français présents à Cadix, aussi bien ceux qui se déclarèrent transeuntes – parmi lesquels on dénombre 186 individus « del comercio », 5 « negociantes », 3 « dependientes » et 1 « corredor » (soit 195 individus au total) – que ceux qui se déclarèrent domiciliados – parmi lesquels on compte 77 individus qui se déclarent « del comercio », 8 « corredores », 3 « mercaderes » et 1 « negociante » (soit 89 individus au total). Notons que pour 23 autres individus (22 « del comercio » et 1 « corredor »), le recensement ne mentionne aucun statut juridique déterminé. Cependant, les 306 marchands français recensés ne constituent, là encore, qu’une partie de la colonie marchande française effectivement établie à Cadix au début des années 1790 puisqu’il faudrait leur ajouter pas moins de 248 individus qui exerçaient le commerce à Cadix à cette période mais qui, pour des raisons diverses, n’apparaissent pas dans le recensement. Parmi eux, distinguons immédiatement 41 individus que nous avons agrégés à la colonie française alors qu’ils ne sont pas à proprement parler français. Il s’agit principalement de 16 citoyens suisses, qui travaillaient le plus souvent dans le cadre de compagnies françaises (comme Louis de Ribeaupierre, Antoine Chancel ou François Mavit) ou, alors, s’étaient placés sous la protection du consulat de France et, parfois même, siégeaient aux assemblées de la nation française (comme Georges-Gabriel Dutoit, Jacques Courant ou Antoine Taxil). Les 25 autres sont des jenízaros qui, en dépit de leur naissance en Espagne, sont demeurés très proches de la colonie française et, parfois, sous la protection du consul18. À côté de ces individus non recensés à juste titre comme « français » en 1791, on distingue un important contingent de 86 authentiques immigrés français, qui ne se présentèrent pas aux autorités de la ville parce qu’ils ne durent pas s’estimer concernés par la mesure. Certains possédaient en effet une carta de naturaleza en bonne et due forme et n’avaient donc plus aucune raison d’être considérés comme des étrangers. Les plus nombreux s’étaient en revanche déclarés domiciliados avant la promulgation de la Real Cédula du 20 juillet 1791 et ils avaient donc déjà prêté le serment de fidélité exigé à cette occasion. S’ils ne furent visiblement pas convoqués durant l’été 1791, ils durent en revanche se manifester auprès des autorités espagnoles en 1794, lorsque furent recensés les « franceses domiciliados » demeurés à Cadix après l’expulsion de 1793, ce qui permet donc d’en connaître assez précisément le nombre. Enfin, 121 autres marchands français qui étaient présents à Cadix en 1790 ou en 1791, et qui apparaissent dans les documents consultés pour ces 2 années – soit qu’ils aient octroyé une procuration à la chancellerie du consulat de France, soit qu’ils aient été sollicités par un notaire gaditan pour honorer une lettre de change, soit qu’ils aient participé à une assemblée de la nation française, soit enfin qu’ils figurent parmi les 220 contributeurs de la « contribution patriotique » réunie par la colonie française en 1790 pour soutenir l’Assemblée nationale – n’apparaissent pas dans le recensement de 1791 pour des raisons que nous distinguons mal. Une partie d’entre eux ont pu décéder ou quitter la ville avant que ne soit décrétée la Real Cédula du 20 juillet ; d’autres, probablement plus nombreux, ont dû prendre peur lors de la parution de la Real Cédula et quitter précipitamment la ville par crainte de représailles19 ; enfin, un nombre indéfinissable dut parvenir à se dissimuler et à rester dans la ville sans se déclarer auprès des agents du recensement.
13Au total, si l’on ajoute les 306 individus recensés aux 248 qui ne le furent pas, on constate que la colonie marchande française de Cadix, dans son extension la plus large, comptait encore à cette époque un nombre d’individus tout à faire similaire à celui relevé en 1773 ou en 1777, peut-être même légèrement supérieur. Indéniablement, les réformes du comercio libre et la conjoncture difficile du début des années 1780 n’avaient pas entraîné de diminution du nombre de marchands français présents à Cadix et n’avaient pas porté atteinte au rayonnement dont bénéficiait la ville de l’autre côté des Pyrénées – ce que confirment par ailleurs les dynamiques démographiques que l’on constate alors au sein de la communauté marchande française.
14Les registres d’immatriculation du consulat de France de Cadix du xviiie siècle ayant été perdus, il s’avère extrêmement difficile de connaître les dates auxquelles les marchands français présents à Cadix dans les années 1780 et 1790 étaient arrivés dans la ville et s’y étaient installés. On peut cependant pallier cette lacune en utilisant les déclarations concernant la durée de leur séjour en estos Reynos que firent les marchands français lors des recensements de 1791 et 1794 ou dans le cadre des diverses procédures pour lesquelles ils devaient mentionner la durée de leur séjour en Espagne (procédure de naturalisation, supplique pour obtenir l’autorisation de revenir à Cadix après 1794). Naturellement, ces déclarations sont peu précises, susceptibles d’être erronées ou falsifiées – les Français ayant intérêt selon les situations à minimiser ou au contraire à exagérer la durée de leur séjour – et, surtout, elles indiquent en général la date de l’arrivée en Espagne et non celle de l’arrivée à Cadix. Elles n’en fournissent pas moins une première information importante pour évaluer l’époque à laquelle les marchands français présents à Cadix au début des années 1790 s’étaient établis en Espagne ainsi que le rythme auquel la colonie se renouvelait. Au total, les déclarations faites au cours de la première moitié des années 1790 permettent ainsi de disposer d’une indication sur la date d’arrivée en Espagne de 415 marchands français en exercice dans le commerce de Cadix en 1790 ou 1791 (tableau 16).
Tableau 16. — Dates d’arrivée en Espagne de 415 Français actifs dans le commerce de Cadix au début des années 1790, d’après leurs déclarations
Décennie | Nombre de Français arrivés en Espagne |
1731-1740 | 9 |
1741-1750 | 32 |
1751-1760 | 74 |
1761-1770 | 76 |
1771-1780 | 116 |
1781-1791 | 108 |
dont 1786-1791 | 43 |
Élaboration personnelle à partir de AHMC, sección Padrones, vol. 1000, vol. 6971, lib. 6973, 6974, 6975.
15Le regroupement des données en séjours très longs (plus de 30 ans), longs (entre 10 et 30 ans) et courts (moins de 10 ans) facilite l’analyse et révèle que la colonie se divise en 3 groupes d’inégale importance : un gros quart de ses membres sont arrivés en Espagne avant 1760 (116 sur 415), un peu moins de la moitié s’y sont installés au cours des années 1760 et 1770 (192), et le dernier quart sont arrivés après 1781 (108). Notons que ces derniers se répartissent de façon à peu près équivalente entre la première moitié et la seconde moitié de la décennie, puisque 43 marchands français déclarent être arrivés en Espagne après 1786. Ainsi, si la colonie du début des années 1790 apparaît dans son ensemble comme solidement implantée, on remarque qu’elle se renouvelle à un rythme soutenu et régulier puisqu’on peut estimer qu’une dizaine de nouveaux marchands français venaient s’installer chaque année dans la ville, et que ce rythme ne dut quasiment pas varier au cours de la seconde moitié du siècle.
16En contrepartie, la colonie perdait chaque année un nombre à peu près équivalent d’individus. On constate ainsi que 203 marchands recensés sur la liste consulaire de 1777 ne sont plus présents à Cadix quinze ans plus tard. Une partie d’entre eux y sont décédés au cours des années 1780, souvent à un âge avancé. C’est le cas, par exemple, de Jean Jolif et de Pierre Douat, respectivement nés en 1714 et 1715, qui meurent tous deux à Cadix à plus de 70 ans après des séjours de plusieurs décennies dans la ville (32 ans pour le premier, 31 ans pour le second). Simon Fornier, qui était demeuré à Cadix après la faillite de sa société en 1786, y meurt plus jeune en 1789 (58 ans), mais après un séjour qui a également duré plus de 3 décennies. Claude Monnot, Pierre Mercy et Antoine Grandjean qui disparaissent des sources dans les années 1780 alors qu’ils avaient déjà atteint un âge avancé durent également décéder à Cadix. Le plus grand nombre avaient cependant dû quitter la ville, soit pour se retirer du commerce à l’issue d’une longue carrière passée en Andalousie, soit pour poursuivre leurs affaires ailleurs. On sait que le système de « rotation » auquel se livraient certaines familles négociantes françaises, qui envoyaient leurs jeunes se former à Cadix avant de leur confier des responsabilités dans les maisons mères situées en France, n’a jamais concerné qu’une minorité de compagnies, situées au sommet de la hiérarchie mercantile de la colonie, et a certainement eu tendance à perdre de l’importance au cours du xviiie siècle. Ce système n’a cependant pas totalement disparu, et on en trouve encore des témoignages dans les années 1780. Ainsi, en 1779, Pierre Malibran quitte Cadix après y avoir passé 15 années et laisse sa compagnie à la charge de son frère, pour aller diriger une société à Paris20. De même, Armand Delaville a laissé ses affaires gaditanes en 1776 à son frère Prudent, avant de regagner Nantes où il a prospéré dans le négoce pendant plusieurs décennies21. Les Lecouteulx ont également continué à fonctionner selon ce système, même si leurs gérants, à l’image de ceux des maisons Magon et Jugla Solier et Cie, tendent aussi à se sédentariser22. Par ailleurs, de nombreux négociants français de Cadix, qui avaient exercé le commerce indépendamment de toute organisation familiale pendant plusieurs années ou décennies, rentraient « au pays », riches de leur expérience et des capitaux accumulés durant leur séjour, pour s’y installer définitivement. Il est toujours malaisé de suivre leurs trajectoires après leur départ de Cadix, mais quelques exemples sont bien documentés. Ainsi, le Béarnais Jean Nogarolles qui n’était encore qu’un modeste commis en 1777, puis qui s’était mis à son propre compte et avait siégé pendant 5 ans comme négociant au sein des assemblées de la nation française, quitta la ville en 1782 et vécut à Bayonne, où il exerça le commerce pendant une vingtaine d’années au moins. Dominique Labadie, de son côté, quitta Cadix à 43 ans, après y avoir séjourné 23 ans, et s’installa à Paris, où on le voit régulièrement se charger des procurations que lui adressent ses anciennes fréquentations demeurées en Andalousie. Le Ciotaden Jean Payan œuvra dans le commerce de Marseille dans les années 1780, tout en maintenant des liens étroits avec Cadix où il avait exercé le négoce dans les années 1770 au sein de la compagnie Verduc Kerloguen Payan. Quant à son ex-associé Gil Apuril de Kerloguen, il en fit autant depuis Saint-Malo, où il s’était établi après son départ de Cadix à la même époque. Honoré Lieutaud, qui gagna Marseille après plusieurs décennies de service au sein de la compagnie Fornier, constitue un autre exemple bien connu.
17La colonie française se renouvelait donc continuellement, les pertes causées par les décès, les retraits du commerce, les faillites et les départs volontaires, étant largement compensées par les phénomènes d’ascension sociale constatés en son sein – installations à leurs comptes de simples commis – et par l’attractivité que Cadix continuait d’exercer sur la jeunesse négociante française. Cet important renouvellement se traduit de façon particulièrement nette au niveau des listes des compagnies convoquées aux assemblées du corps de la nation française. Si leur nombre resta stable tout au long du siècle – environ une soixantaine –, leur composition changeait continuellement et de plus en plus au cours des années 1780. De fait, plus du tiers des compagnies de négoce convoquées en 1791 (23 sur 62) étaient apparues après 178523. Aussi, à la veille des mesures de représailles de l’année 1791, qui allaient la voir disparaître, la nation française de Cadix, qui s’était élargie depuis peu aux boutiquiers, paraissait plus puissante que jamais : lors de la dernière séance qui eut lieu le 28 août 1791, ce sont près de 100 individus qui furent convoqués pour nommer les 6 commissaires chargés de désigner les députés de la nation, parmi lesquels on dénombre 60 représentants des maisons de négoce de la ville et 37 représentants du corps des boutiquiers. On peut donc bien considérer que c’est une colonie au faîte de sa puissance qui fut anéantie en quelques années en raison de la soudaine dégradation des relations franco-espagnoles que provoqua la Révolution française.
La parenthèse révolutionnaire : un effondrement brutal mais temporaire (1791-1795)
18Tout au long du xviiie siècle, les marchands français de Cadix avaient profité d’un contexte politique favorable. Certes, en dépit de l’alliance dynastique liant la France et l’Espagne, les relations entre la colonie et la Couronne espagnole étaient loin d’être parfaitement harmonieuses à la veille de la Révolution. Les négociants français ne jouissaient d’aucun traitement de faveur de la part de l’administration espagnole, dont ils dénonçaient continuellement les vexations, et leurs privilèges étaient régulièrement contestés24. Cela peut expliquer les atermoiements dont fit preuve l’assemblée du corps de la nation française à l’heure de célébrer l’avènement de Charles IV en 178925. Pourtant, la situation était loin d’être aussi dramatique que ne le laisse supposer la seule lecture de la correspondance consulaire. Grâce aux pressions diplomatiques, directement exercées sur Madrid, les principales tentatives de remise en cause des privilèges dont bénéficiaient les marchands français échouèrent, et l’essentiel des garanties dont ils jouissaient en vertu des traités furent préservées26. En outre, aucun conflit entre la France et l’Espagne n’avait perturbé depuis plus d’un siècle le bon fonctionnement des établissements français, alors que les négociants britanniques, par exemple, avaient régulièrement souffert de la situation toujours précaire des relations diplomatiques hispano-britanniques. Ce contexte globalement favorable pour la colonie française au xviiie siècle se détériora cependant après 1789, d’abord progressivement, à l’époque de la monarchie constitutionnelle, puis beaucoup plus brutalement lorsqu’éclata la guerre de la Convention (1793-1795). En quelques mois, la colonie française fut alors anéantie, avant que la signature des traités de Bâle et de San Ildefonso, en 1795 et 1796, ne rétablisse l’alliance franco-espagnole et ne permette sa reconstitution.
19Dès l’hiver 1789, les autorités espagnoles commencèrent à s’inquiéter du rôle que pouvait jouer la colonie française de Cadix dans la propagation des idées révolutionnaires27. Ses membres avaient en effet accueilli les évènements survenus de l’autre côté des Pyrénées avec enthousiasme et ils ne cherchaient même pas à dissimuler leur adhésion aux idées nouvelles. Les informations et les pamphlets, véhiculés par le courrier, affluaient à Cadix, et la colonie se distingua en répondant de façon particulièrement zélée à la sollicitation d’une « contribution patriotique » que lui adressa le ministre de la Marine en 1790. La totalité des négociants français composant le corps de la nation française – à l’exception de 2 – y participèrent à proportion de leurs moyens, ainsi qu’un très grand nombre de particuliers exerçant une profession commerciale ou l’un des nombreux petits métiers dans lesquels les Français s’étaient spécialisés à Cadix28. Au total, 83 650.7.6 livres tournois furent collectées auprès de 220 souscripteurs différents et transférées à Paris en 3 lettres de change tirées par les maisons Magon, Jugla Solier et Lecouteulx. La réaction des autorités espagnoles ne se fit pas attendre. Dès la fin de l’année 1789, l’Inquisition, par un édit du 13 décembre, avait revendiqué le droit d’ouvrir la correspondance des négociants français, ce qui avait suscité d’amples protestations de leur part. À partir de 1790, un programme de surveillance et de répression de la colonie française commença à être plus systématiquement appliqué. Les horaires d’ouverture des cafés furent restreints, la surveillance du courrier s’accrut, les Français n’eurent plus le droit de se réunir, et une liste des maisons françaises ayant participé à la « contribution patriotique » de 1790 fut dressée. Jusqu’au début de la guerre de la Convention cependant, la principale mesure de ce programme répressif et la seule qui affecta directement les marchands français de Cadix fut la Real Cédula du 20 juillet 1791.
20Ce texte ordonnait le recensement de tous les étrangers résidant en Espagne et précisait qu’ils devaient choisir de se déclarer comme transeuntes ou domiciliados, selon le statut qu’ils souhaitaient se voir appliquer. Il imposait par ailleurs aux domiciliados de jurer fidélité au roi d’Espagne et prévoyait l’expulsion, dans les 15 jours, de tous les étrangers s’étant déclarés transeuntes, à l’exception des négociants et des commerçants en gros qui bénéficiaient de la protection des traités. Après en avoir délibéré de façon collégiale avec le consul, la majorité des négociants de Cadix se décidèrent en faveur du statut de transeunte, mais près du tiers d’entre eux optèrent pour le statut de domiciliado et renoncèrent ainsi à la protection du consul de France de la ville et au statut privilégié dont ils avaient bénéficié jusqu’à présent. S’ils purent rester à Cadix, les négociants français qui s’étaient déclarés transeuntes furent en revanche privés de leur droit de se réunir et, après une dernière séance qui se tint le 28 août 1791, les assemblées de la nation française furent interdites. En parallèle, l’expulsion des travailleurs manuels avait commencé, et durant tout l’été, des navires furent affrétés par le consul pour rapatrier en France les centaines de ressortissants français résidant en Andalousie qui ne pouvaient pas voyager par leurs propres moyens29. Les négociants qui demeurèrent à Cadix ne furent cependant plus inquiétés par la suite et ils purent donc poursuivre normalement leurs affaires jusqu’à ce que l’exécution de Louis XVI en janvier 1793 et la déclaration de guerre entre l’Espagne et la France n’entraînent une nouvelle dégradation de leur situation.
21Le sort des négociants français transeuntes restés à Cadix bascula en effet brutalement durant le mois de mars 1793, avant même que ne débute officiellement la guerre de la Convention. Des mesures de représailles furent prises à leur encontre dès le 4 mars. La prise de représailles contre les ressortissants d’une puissance ennemie n’avait rien d’inédit et elle avait été traditionnellement pratiquée à l’encontre des marchands français lors des conflits de la fin du xviie siècle ou des marchands britanniques au cours du xviiie siècle30. Le consul de France à Cadix ne manque cependant pas de souligner dans sa correspondance la rigueur avec laquelle ces dispositions furent appliquées, et tous les témoignages recueillis semblent lui donner raison. De fait, lors des conflits du xviiie siècle, les marchands britanniques de Cadix avaient seulement été contraints de présenter leurs livres de compte afin que les autorités puissent vérifier qu’ils n’entretenaient pas de relations commerciales avec leurs compatriotes résidant en Angleterre31. Lorsqu’ils étaient en règle, les négociants recevaient l’autorisation de « continuar sus negociaciones ». Quant aux mesures d’expulsion, elles n’avaient visiblement jamais été appliquées systématiquement, ni à l’encontre des marchands français du xviie siècle, ni à l’encontre des marchands britanniques du siècle suivant. À ce jour, un seul cas d’expulsion de marchand britannique a été relevé pour l’ensemble du xviiie siècle32. En mars 1793, au contraire, les représailles prises à l’égard des Français furent particulièrement sévères. Elles furent précisées par deux Reales Provisiones édictées les 4 et 15 mars 1793, avant même que l’état de guerre contre la France ne soit déclaré (23 mars 1793). Elles prévoyaient principalement deux dispositions : les biens des marchands français transeuntes furent placés sous séquestre, et il leur fut ordonné de quitter le territoire dans un délai de 15 jours.
22Les opérations se déroulèrent très rapidement. Dès le 15 mars, des lettres de change commencèrent à être protestées par les négociants français de Cadix « por estar intervenidos el escritorio y los almacenes de [su] casa en virtud de la Real Orden de SMC ». De tels actes se multiplièrent par la suite : le seul notaire Ramón García de Menenses fit ainsi protester 327 lettres de change pour les mêmes motifs entre le 15 mars et le 4 octobre 179333. Le lendemain, le 16 mars, le gouverneur de la ville, Fondesviela, écrivait à Jorge Francisco de Estada, l’administrateur de la douane de Cadix, pour lui demander la saisie des biens, situés sur un navire britannique provenant de Hull et récemment entré dans la baie, qui étaient consignés à Jean-Louis Castera, un négociant français de la ville. Il ajoutait que « Io mismo se executara con todos los efectos que se hallan en el propio caso y para despachar en esa Real Aduana de la pertenencia de qualesquiera individuos de la Nacion Francesa34 ». Il fallut cependant attendre le 6 juin pour que soit créé un tribunal spécial, sous le nom de Junta de Represalias, chargé de la gestion des effets ainsi saisis. La Real Cédula promulguée alors prévoyait qu’il soit procédé à un inventaire de tous les biens des Français expulsés por ser transeuntes, en vertu des Reales Provisiones des 4 et 15 mars, à leur mise en vente, au recouvrement des effets trouvés dans leurs comptoirs et parvenant à échéance, et au paiement de leurs dettes passives35. Les biens et effets des Français ne résidant pas en Espagne étaient évidemment aussi visés – notamment les navires –, mais le texte spécifiait, en revanche, que les biens des Français domiciliados ne l’étaient pas et que les épouses et les enfants naturales españoles des marchands français pourraient solliciter auprès de la Junta le paiement de leurs dots et de leurs gananciales. Par ailleurs, dans la semaine qui suivit la déclaration de l’état de guerre, une Real Cédula édictée le 1er avril avait été prise afin de prohiber tout commerce avec la France et tout commerce de produits français : les détenteurs de produits français devaient les déclarer dans les 15 jours et bénéficiaient ensuite d’un délai de 6 mois pour les écouler, au-delà duquel ces biens seraient également placés sous séquestre.
23Parallèlement à ces mesures de représailles prises à l’encontre des biens des Français débuta leur expulsion du territoire, avec une rigueur tout à fait inédite par rapport aux conflits précédents. Les ordres prônant la plus grande sévérité venaient de Madrid, alors que le gouverneur de Cadix se serait volontiers montré plus accommodant. Le 26 février, alors que des rumeurs d’expulsion commençaient à circuler dans la ville – et en Europe36 –, de nombreux marchands français transeuntes se présentèrent devant le gouverneur pour prêter le serment de fidélité à la Couronne auquel ils s’étaient refusés 2 ans plus tôt. Fondesviela consulta le secrétaire d’État en charge des opérations (le duc d’Alcudia) sur l’attitude qu’il devait adopter, mais ce dernier lui répondit que ces individus devaient être expulsés37. Il reçut la même réponse quelques jours plus tard lorsqu’il s’enquit du sort qui devait être réservé au personnel du consulat de France et au consul lui-même. La même sévérité fut appliquée à l’encontre de 4 figures de la colonie française – Jean de Bonneval, Bernard Magon, Thomas de la Gervinais et Jacques Jugla – qui, après s’être déclarées transeuntes en 1791, sollicitèrent leur naturalisation en 1793. Leurs demandes furent rejetées une première fois le 9 avril par les juges du Consejo Extraordinario, qui était chargé de la gestion des affaires pendant la durée de la guerre, en dépit des avis très favorables qu’émit sur leurs cas le gouverneur Fondesviela. Celui-ci faisait valoir tantôt l’ancienneté de leur installation en Espagne et leur âge avancé, tantôt leur richesse et l’importance des affaires qu’ils animaient, tantôt enfin leur « moderación política y honestidad en el trato y conversaciones38 ». Après ce premier refus, les 4 négociants français offrirent un don de 100 000 reales pour infléchir la position du conseil mais il leur fut répondu que « no han sido capaces de retraerles de su adhesion a la Nacion y gobierno frances, no obstante las novedades occuridas en su constitucion : solo el temor de verse privados de sus bienes en virtud del embargo que mandaban dichas Provisiones, les movio a pedir la gracia de naturaleza39 ». La décision de les expulser fut confirmée le 5 juin 1793. Il en fut de même pour 3 citoyens suisses – Jacques Courant, Philippe Molinier et Georges Bridel – auxquels on refusa la protection du consul de Prusse qu’ils sollicitèrent, au prétexte qu’ils avaient été immatriculés au consulat de France et placés sous sa protection durant tout leur séjour à Cadix et que, « aunque ellos sean suizos en España, han permanecido como franceses40 ». De modestes marchands, bien mieux intégrés à la société locale que ces grands négociants cosmopolites, ne bénéficièrent pas non plus de la moindre clémence. Ainsi, dans une procuration octroyée le 4 avril, Antoine Pantostier déclare qu’on lui a donné 3 jours pour quitter le pays alors même qu’il résidait à Cadix depuis 21 ans, qu’il y était marié avec une Espagnole depuis 17 ans, et qu’il ne s’était déclaré transeunte en 1791 que parce qu’il s’y était cru obligé41.
24D’autres marchands français, qui s’étaient pourtant déclarés transeuntes en 1791, réussirent cependant à obtenir gain de cause. Ce fut notamment le cas de 5 marchands « navarrais » qui octroyèrent le 20 juin une procuration à un procurador madrilène pour qu’il plaide en leur faveur et fasse valoir les privilèges qui avaient été concédés aux natifs de Basse-Navarre en 1769. Ils obtinrent satisfaction le 27 juillet et purent demeurer à Cadix avec le statut de domiciliado42. Avec d’autres arguments, Jean Binalet, Antoine et Mathieu Sedze, Étienne Prat et Servais Millet réussirent aussi à faire oublier qu’ils avaient refusé de prêter le serment en 1791 : certains arguèrent qu’ils avaient été contraints de se déclarer transeuntes sous la pression de leurs compatriotes acquis aux idées jacobines43, le dernier manifesta pour sa part qu’il avait refusé de jurer par loyauté envers son souverain, mais que depuis son exécution, il ne se sentait plus aucunement lié à sa patrie d’origine44. Prudent Delaville, qui obtint l’autorisation de rester à Cadix puis sa naturalisation espagnole alors qu’il avait constamment bénéficié de la protection consulaire française et qu’il s’était déclaré transeunte en 1791, constitue un autre exemple d’individu qui parvint à convaincre les autorités espagnoles de sa détestation des évènements révolutionnaires. De tels cas demeurèrent cependant exceptionnels45. Dans leur immense majorité, l’ensemble des marchands français qui avaient participé à la « contribution patriotique » en 1790 ou qui s’étaient déclarés transeuntes en 1791 furent donc contraints de quitter la ville durant le printemps et l’été 179346.
25Il ne resta dès lors à Cadix que les marchands français les plus intégrés à la société locale, ceux qui étaient naturalisés ou qui avaient renoncé de longue date à la protection consulaire française, ceux qui s’y étaient résolus lors du recensement de 1791 et ceux qui étaient parvenus à faire admettre leur bonne foi lors des évènements du printemps 1793. Leur nombre devait se situer aux alentours de 180, si l’on ajoute aux 112 marchands qui furent recensés le 18 juin 1794 dans la « lista de los franceses domiciliados », les 8 marchands naturalisés et les 24 jenízaros qui avaient continué à évoluer dans l’orbite de la colonie pendant les années 1780 ainsi que 37 individus qui, pour des raisons qui nous échappent, ne figurent pas dans le recensement de 1794 alors que leur présence à Cadix est attestée par ailleurs. En théorie, tous ces marchands reconnus comme naturales ou domiciliados n’auraient plus dû être inquiétés : les représailles exercées lors des conflits passés n’avaient jamais été appliquées qu’aux seuls étrangers transeuntes, et les Reales Provisiones des 4 et 15 mars 1793 précisaient bien que les Français domiciliados n’étaient concernés ni par les mesures de séquestre, ni par l’expulsion. La méfiance à leur égard demeura cependant vive, comme l’attestent la correspondance du gouverneur Fondesviela ou encore le recensement dont ils furent précisément l’objet en juin 1794. De fait, leur situation se dégrada rapidement durant l’été 1794, lorsque le sort de la guerre tourna en faveur de la France et que les troupes françaises pénétrèrent sur le territoire espagnol. Le 25 septembre 1794, une nouvelle Real Cédula stipula à leur encontre une mesure d’« internement » à 20 lieues des côtes.
26Une telle mesure d’internación n’était pas inédite dans la tradition administrative espagnole et elle avait été régulièrement décrétée par la Couronne au cours des 2 siècles passés afin d’écarter des littoraux, jugés plus exposés à des attaques, les ressortissants des pays ennemis. Pour la première fois, cependant, une telle mesure fut décrétée non pas à l’encontre de transeuntes mais bien de vecinos, c’est-à-dire d’étrangers ayant renoncé à la protection consulaire de leur pays d’origine, ayant accepté de prêter un serment d’allégeance au roi d’Espagne et présentant généralement tous les signes d’une bonne intégration à la société locale (long séjour, possession de biens, mariage). Les marchands français durent alors confier leurs affaires à leurs épouses ou à leurs fondés de pouvoirs et quitter la ville pour s’installer à l’intérieur de l’Andalousie, dans des localités comme Cordoue, Cabra, Écija, Carmona, Osuna ou Marchena. À la fin du mois de septembre 1794, il ne restait donc plus rien de la présence marchande française à Cadix, à l’exception d’une poignée de négociants naturalisés et de quelques dizaines de jenízaros. La colonie avait été littéralement annihilée.
27Cette situation ne dura cependant que très peu de temps et dès les premiers jours du mois d’octobre 1794, nombre des marchands français « internés » en Andalousie adressèrent des suppliques au gouverneur de Cadix pour lui demander l’autorisation de revenir dans la ville. Le plus souvent, ils arguaient de la décadence de leurs affaires en leur absence, des préjudices financiers que cela causait à la Couronne et, plus généralement, à l’économie espagnole, et de la misère à laquelle se trouvaient réduites leurs familles. Ces suppliques furent systématiquement transmises aux comisiones del comercio exterior du Concejo Extraordinario siégeant à Madrid. Là, elles étaient examinées par des fiscales qui, sur la base des rapports remis par le gouverneur de Cadix, émettaient un avis favorable ou défavorable que les conseillers suivaient généralement. L’avis du gouverneur était donc décisif et il évolua, au cours du premier semestre 1795, vers un plus grand laxisme. Dans un courrier daté du 28 novembre 1794, le gouverneur invitait en effet les conseillers à rejeter la totalité des 40 requêtes qui lui avaient été adressées. Il y déclarait connaître personnellement les requérants et être persuadé de la sincérité de leur allégeance à la Couronne espagnole, mais il développait divers arguments en faveur d’une attitude ferme : la situation singulière de Cadix, d’abord, une ville maritime ouverte aux influences étrangères et où un grand nombre d’habitants, vecinos naturales, extrangeros, domiciliados como transeuntes, regardaient avec enthousiasme les évènements de France ; la crainte, ensuite, que le peuple de Cadix, jugé dangereux, n’interprétât l’autorisation accordée aux marchands français de revenir dans la ville comme un acte de faiblesse du gouvernement47. Après divers échanges avec le Concejo, un accord fut trouvé pour que la totalité des requêtes formulées pendant l’automne soient rejetées et que des autorisations ponctuelles et temporaires soient concédées à l’avenir au cas par cas, en fonction des rapports remis par le gouverneur. La première dérogation fut donnée à Jean-Baptiste Bordas, un courtier d’origine française, le 10 février 1795. Elle fut justifiée par le fait qu’il ne pouvait pas exercer son métier sans résider à Cadix, ni le déléguer à un fondé de pouvoirs, et que son métier n’impliquait, par ailleurs, aucune correspondance avec l’étranger, ce qui en limitait la dangerosité. À partir de là, l’afflux des requêtes émanant des Français reprit et, suite aux avis favorables du gouverneur, le Concejo se montra de plus en plus coulant : dès le 20 février, le Concejo donnait un avis favorable aux 27 requêtes qui lui avaient été adressées au cours du mois de janvier et autorisait leurs auteurs à revenir passer 2 ou 3 mois à Cadix pour régler leurs affaires ; les 10 et 27 mars, ce sont les 27 nouvelles requêtes adressées durant le mois de février qui furent acceptées ; entre le 17 avril et le 27 mai, 15 nouveaux avis favorables furent formulés alors que 2 dossiers – ceux de Raymond Heguiluz et Jean-Pierre Bidot – firent l’objet de demandes de renseignements complémentaires au gouverneur ; au cours du mois de juin, 15 avis favorables furent encore accordés à des marchands français, et le 7 août enfin, une dernière série de 11 dossiers reçut un avis favorable, une quinzaine de jours après que le traité de Bâle n’ait rétabli la paix entre la France et l’Espagne (22 juillet)48.
28Ainsi, avant même que la paix ne soit signée, la colonie française avait commencé à se reconstituer. Les choses s’accélérèrent ensuite, lorsque les premiers transeuntes expulsés en 1793 demandèrent à pouvoir revenir en Andalousie. Dès le 23 mars 1795, Jacques Jugla, qui s’était réfugié à Gibraltar après l’expulsion et avait pris soin d’acquérir ensuite la citoyenneté genevoise, demandait au gouverneur de Cadix l’autorisation d’y revenir. Celui-ci lui rappela immédiatement que sa participation à la « contribution patriotique » de 1790 faisait résolument obstacle à l’autorisation qu’il sollicitait, ce à quoi Jugla répondit que cette participation « lui faisait plus honneur que honte, puisqu’il la fit à la demande du duc de Vauguyon qui avait réclamé des principaux commerçants de Cadix une sorte de don gratuit pour soutenir la monarchie constitutionnelle49 ». Le gouverneur se résolut finalement à plaider en sa faveur, et le 5 juin, le Concejo donna un avis favorable pour qu’il revienne exercer le commerce à Cadix en qualité de suisse transeunte. Son exemple fut vite imité à la suite de la signature de la paix de Bâle et durant tout l’automne 1795, des négociants français revinrent à Cadix. Le 6 novembre 1795, le consulat de France rouvrait ses portes, et la chancellerie recommençait à enregistrer les procurations des marchands français revenus en Andalousie pour récupérer leurs biens séquestrés ou reprendre la direction de leurs affaires. De fait, dès les premiers mois de l’année 1796, les négociants français étaient rentrés par dizaine à Cadix et ils avaient repris leurs affaires sur des bases somme toute similaires à celles d’avant l’expulsion, comme en témoignent les livres de courtiers de cette année-là, dans lesquels sont consignées pas moins de 1 320 transactions commerciales ou bancaires, impliquant une centaine de marchands français différents. Le 20 avril 1796, enfin, le consul de France réunit plus de 60 négociants représentant les maisons de commerce françaises de la ville et, après leur avoir tenu un discours d’un ton patriotique affirmé, il fit procéder – comme autrefois – à la désignation des 6 commissaires et des 2 députés de la « factorerie française de Cadix50 ». Sous un nouveau nom, c’est bel et bien la colonie française de Cadix qui s’était reconstituée et qui allait demeurer, pour plus d’une décennie encore, la plus importante communauté marchande étrangère de la ville.
La « factorerie française de Cadix » aux époques révolutionnaire et impériale (1796-1808)
29Le contexte politique et institutionnel dont bénéficièrent les marchands français de Cadix à l’époque du Directoire, du Consulat et de l’Empire changea peu par rapport à la période pré-révolutionnaire. La France et l’Espagne étaient de nouveau alliées sur le plan politique, mais ni les marchandises françaises, ni les marchands français présents dans la Péninsule ne furent mieux traités que par le passé. Le Directoire et le Consulat, en dépit de leurs multiples tentatives, n’obtinrent pas en effet la signature du traité commercial que réclamait la diplomatie française depuis plus d’un siècle et auquel la Couronne espagnole s’était constamment refusée. À Cadix, la situation de la colonie française était donc demeurée peu ou prou la même qu’avant la Révolution. La communauté marchande française locale, qui s’était largement reconstituée, puisqu’on peut estimer à un peu plus de 350 le nombre de marchands français qui avaient repris une activité commerciale à Cadix, continuait à souffrir des vexations régulières que lui infligeait l’administration locale et devait faire face épisodiquement à la remise en cause de ses privilèges. Elle y répondait avec la même virulence qu’autrefois et elle parvint dans l’ensemble à obtenir le maintien du statu quo qui avait existé dans les années 1780. L’organisation de la colonie avait en revanche profondément changé dans sa forme. La « factorerie », créée en 1796, différait sous plusieurs aspects de la « nation ». Elle était notamment beaucoup plus démocratique dans son fonctionnement : la fonction de « commissaire », qu’avait traditionnellement accaparée une étroite oligarchie négociante et dont le consul supportait de plus en plus mal les empiétements sur ses propres prérogatives, disparut. Les 2 députés qui furent nommés lors de la séance du 20 avril 1796 étaient d’ailleurs de modestes négociants et non des représentants de l’élite de la colonie51. En outre, après quelques essais infructueux pour lever des fonds auprès des marchands de la ville, le consul se résolut à ne plus convoquer d’assemblées générales de la « factorerie » et à ne travailler qu’avec la poignée de négociants qui lui étaient le plus dévoués52. La cohésion de la communauté n’en demeura pas moins très forte et elle s’exprimait à chaque fois que le besoin s’en faisait ressentir. Dans l’ensemble, la colonie avait donc retrouvé les conditions politiques favorables dont elle avait bénéficié au siècle précédent.
30Le contexte commercial que trouvèrent les marchands français à leur retour à Cadix se détériora en revanche très rapidement. Après une année 1796, tout à fait conforme à ce qu’ils avaient connu avant la Révolution, le commerce colonial s’effondra en 1797, à la suite de l’instauration du blocus maritime britannique de la baie. La paix d’Amiens fut certes marquée par une période d’euphorie dans le commerce de la ville mais la parenthèse fut de courte durée et après la rupture de la paix en décembre 1804, et surtout après la défaite de Trafalgar un an plus tard, la situation du commerce colonial espagnol ne cessa d’empirer jusqu’au renversement des alliances de l’été 1808. C’est donc avec une conjoncture économique très dégradée que durent composer les marchands français qui étaient revenus à Cadix ou qui s’y étaient installés après 1796. Leur nombre n’en demeura pas moins très important. À l’été 1808, ce ne sont pas moins de 178 marchands français qui furent recensés par les autorités de la ville après que les évènements du mois de mai et la déclaration de guerre de la Junta Suprema à la France n’eurent entraîné la mise en œuvre d’une nouvelle série de représailles à leur égard53. Or, comme pour les précédents recensements et pour des raisons similaires, ce chiffre minore grandement le nombre de Français qui exerçaient effectivement une activité commerciale dans la ville. D’après nos propres relevés, la place accueillait alors encore 274 marchands français, auxquels il conviendrait d’agréger en outre une dizaine de Suisses et une vingtaine de jenízaros.
31Entre 1796 et 1808, une puissante communauté réunissant plus de 300 marchands français se maintint donc à Cadix, en dépit des difficultés que connaissait alors la place. Or, si cette colonie apparaît diminuée d’un point de vue strictement démographique par rapport au siècle précédent, elle avait en revanche largement retrouvé son influence politique et surtout elle avait conservé dans une large mesure son dynamisme démographique.
32Ce dernier point est en effet confirmé par l’étude démographique menée sur les 524 « marchands français » qui ont séjourné à Cadix à un moment ou l’autre entre 1796 et 1808 et dont nous avons pu retrouver la trace. Parmi eux, 469 sont des marchands nés en France et installés à Cadix, alors que 12 sont des Suisses traditionnellement très liés à la colonie française, et 43 sont en fait des fils de marchands français nés à Cadix – des jenízaros –, dont il est malaisé de déterminer avec précision la nature des liens qu’ils maintenaient avec le pays d’origine et les compatriotes de leurs pères. Une vingtaine d’entre eux continuèrent cependant vraisemblablement de vivre et d’évoluer dans l’orbite de la colonie française et on peut donc sans risque d’erreur les y agréger. Au total, on peut donc considérer qu’environ 500 Français exercèrent une activité dans le commerce de Cadix à cette époque. Ils n’étaient naturellement pas tous présents la même année, et leur nombre fluctua vraisemblablement entre 350 (en 1796) et 300 (en 1808), ce qui traduit une légère érosion plus qu’un réel recul significatif. Qui étaient ces marchands français ? Étaient-ils des nouveaux venus dans la place, des membres de l’ancienne « nation française » de retour à Cadix après les turbulences de la période révolutionnaire ? Ou bien étaient-ils ces marchands domiciliados, extrêmement bien intégrés, qui avaient renoncé de longue date, ou à l’occasion du recensement de 1791, à la protection consulaire française ?
33Aucune source ne permet de répondre rigoureusement à ces questions. L’exploitation systématique des archives paroissiales gaditanes représentant une masse de travail hors de portée, seuls les registres de la paroisse du Rosario ont été dépouillés54. Concernant les flux migratoires, les lacunes des sources sont encore plus patentes : la destruction des registres de passeports et d’immatriculation du consulat français de la ville, pendant les événements de 1808, interdit toute étude statistique précise des départs et arrivées de marchands français à Cadix. Une analyse démographique rigoureuse n’est donc pas envisageable, et il a fallu pallier cette lacune en recourant à la base de données prosopographiques de notre étude, qui permet de relever la première et la dernière date auxquelles chaque individu apparaît comme résidant de façon certaine à Cadix. À partir de ces informations, il a été possible d’observer, pour chacune des 4 dates retenues (1796, 1800, 1804 et 1808), l’évolution des apparitions et des disparitions des marchands français à Cadix. Ces données – réunies dans le tableau 17 –, en dépit de leurs limites, livrent quelques enseignements majeurs sur l’évolution démographique de la colonie durant cette décennie.
Tableau 17. — L’évolution démographique de la colonie française entre 1791 et 1808
Nombre de marchands | 1791 | 1796 | 1800 | 1804 | 1808 | Total |
Présents à Cadixa | 533 | 350 | 327 | 277 | 282 | |
Dont ceux présents avant 1793 | 307 | 255 | 210 | 180 | ||
Disparus par rapport à la date précédente | – 226 | – 71 | – 79 | – 50 | – 426 | |
Apparus par rapport à la date précédente | 43 | 48 | 29 | 55 | 175 | |
Solde | – 183 | – 23 | – 50 | 5 | – 251 | |
a. Nous avons volontairement exclu les jenízaros du décompte. |
Élaboration personnelle à partir de l’ensemble des sources consultées.
34Il est inutile d’insister sur le premier constat que l’on peut tirer de ces résultats, celui de l’affaiblissement de la colonie provoqué par l’épisode révolutionnaire : pas moins de 226 marchands français ont définitivement quitté Cadix à la suite des diverses expulsions prononcées en 1791, 1793 et 1794. La saignée aurait cependant pu être plus importante. En effet, 307 individus sont revenus à Cadix au cours des années 1795 et 1796 : 181 qui avaient été expulsés en 1793, et 126 qui avaient été internés en Andalousie en 1794 ou qui avaient pu demeurer à Cadix en raison de leur naturalisation. En outre, 43 nouveaux marchands qui n’avaient jamais vécu à Cadix auparavant s’y installèrent, probablement mus par les espoirs nés du renouvellement de l’alliance franco-espagnole ou par la bonne santé que connaissait encore à ce moment le commerce colonial espagnol. Naturellement, nombre des Français qui étaient revenus à Cadix en 1796 ne le firent que pour liquider leurs affaires. C’est ce qui explique la forte érosion qu’enregistre la colonie entre 1796 et 1800 : sur les 71 marchands ayant disparu de la place entre ces deux dates, 54 d’entre eux en effet avaient vécu à Cadix dans les années 1780 et n’y étaient donc revenus que pour un court séjour. Le recul du nombre global de marchands français est cependant largement limité du fait de l’attractivité que la place continue d’exercer sur les négociants de France : ils furent 48 à s’y installer plus ou moins durablement pendant ces 5 années – soit un rythme d’installation d’environ 10 par an, similaire à celui des années 1780 –, en dépit de la crise que connaissait alors le commerce colonial espagnol. Le dynamisme de la course française, qui connut son pic d’activité à cette époque, fut en large partie responsable de cet engouement renouvelé pour Cadix, comme nous le verrons plus en avant. Les 8 années suivantes sont en revanche marquées par une érosion accélérée de la colonie puisque le rythme des arrivées se ralentit, alors que celui des disparitions tend au contraire à s’accélérer. Cependant, la colonie ne perdit en définitive qu’une cinquantaine d’individus entre 1800 et 1808.
35La colonie a donc enregistré 200 disparitions entre 1796 et 1808, mais elle a par ailleurs gagné 132 individus, la différence se traduisant par un recul global de seulement 68 individus au cours de la décennie – ce qui est finalement très peu compte tenu de la conjoncture commerciale de la période. Ce constat d’ensemble étant fait, il reste à préciser quelles ont été les principales dynamiques démographiques à l’œuvre au sein de la colonie.
36Le rythme des disparitions est très régulier sur l’ensemble de la période : 71 marchands français sont morts, ou ont quitté le commerce de Cadix, entre 1796 et 1800, 79 entre 1800 et 1804, et de nouveau 50 entre 1804 et 1808. Les facteurs à l’origine de ces disparitions sont difficiles à déterminer en raison des lacunes de nos sources concernant les départs de Cadix ou les cessations d’activité survenues durant la période. Ainsi, seules 13 faillites de maisons françaises ont été relevées dans les fonds consultés pour cette décennie55. Rien n’indique donc qu’il y ait eu une recrudescence du nombre de faillites au cours de cette période. De plus, ces faillites ne se traduisent pas nécessairement par le départ de Cadix des individus concernés, ni même par leur retrait du monde négociant : si Jean-Laurent Lasserre est rentré à Paris dès 179756, Jean-Baptiste de Espeleta, Ciprien Tanto et Thomas de la Gervinais (le dernier gérant de la compagnie Magon Lefer) apparaissent sur une liste qui recense les courtiers de la ville en 180657, François Mavit demeure à Cadix jusqu’en 1808 pour y liquider ses affaires58, Pierre Tanto « négociant de cette ville » reçoit une procuration en 1807 pour gérer les intérêts d’un négociant de Bayonne engagé dans un armement corsaire local59, Joseph Casabona meurt à Cadix en 1800, 4 ans après sa déclaration de faillite60, et Joseph François y réside encore également 4 ans après61. En ce qui concerne les négociants qui ont abandonné leurs affaires et ont quitté la ville sans avoir fait faillite, 2 seulement ont pu être identifiés62. Plus que les retraits du négoce ou les départs de la ville, ce sont donc les décès qui ont été la première cause du déclin numérique de la colonie. Divers indices suggèrent, en effet, que le taux de mortalité des marchands français a nettement augmenté après 1796. Cela est en partie lié à l’épidémie de fièvre jaune de 1800, qui fut particulièrement meurtrière à Cadix. Plus fondamentalement cependant, cette hausse de la mortalité reflète le vieillissement de la colonie française de Cadix – l’âge moyen des marchands passant de 46 ans en 1791 à 54 ans en 1804.
37En ce qui concerne le nombre de nouveaux marchands français installés dans le commerce de la ville durant la période 1796-1808, il demeure relativement soutenu, de l’ordre de 10 par an en moyenne, soit un rythme similaire à celui des années 1780. Ces arrivées furent souvent très conjoncturelles et furent notamment liées au boom que connut la course française à la fin des années 1790 ou à l’euphorie commerciale que provoquèrent les 3 années de la paix d’Amiens. Le maintien de ce flux migratoire régulier illustre l’attractivité que la place continuait d’exercer à cette époque sur une partie de la jeunesse négociante française. En témoigne, de façon éloquente, l’exemple de Jean-Joseph Leydet, un simple commis marseillais arrivé à Cadix en 1803 pour y liquider une affaire ponctuelle mais qui chercha à y faire souche avant que la maladie ne l’emporte63. Son jeune collègue Louis Dastis gagna aussi l’Andalousie à la même époque pour y faire fortune64. Quant au négociant bordelais Bruno Lafitte, il essaya de monter à Cadix une raffinerie de sucre en 180565. Ces installations se soldèrent cependant souvent par des échecs et elles s’avérèrent dans l’ensemble éphémères : 17 des 43 marchands arrivés pour la première fois en 1796 n’étaient plus présents 4 ans plus tard, et il en est de même pour 25 des 48 marchands qui s’étaient installés entre 1796 et 1800, et 13 des 29 marchands qui s’étaient installés entre 1800 et 1804.
38Finalement, si une puissante colonie marchande se perpétua à Cadix pendant la période 1796-1808, c’est donc avant tout en raison du maintien dans la ville des dizaines de marchands qui s’y étaient installés avant la Révolution. Ils forment l’essentiel de la colonie reconstituée en 1796 (307 sur 350, soit près de 90 % des individus dénombrés cette année-là) et si leur part tendit à se réduire au cours de la période, elle demeura tout le temps très majoritaire (80 % en 1800, 75 % en 1804, et encore 60 % en 1808).
39En 1808, la colonie marchande française de Cadix n’avait plus le lustre qu’elle avait eu 15 ans plus tôt, à la veille de l’expulsion de 1793. Elle était nettement diminuée d’un point de vue numérique et elle n’avait recouvré qu’une partie du rayonnement dont elle avait bénéficié au siècle précédent. Avec près de 300 individus à son actif et une attractivité maintenue sur la jeunesse négociante française, elle faisait cependant toujours bonne figure aussi bien vis-à-vis du milieu négociant local, en proie à la difficile conjoncture commerciale du moment et décimé par les épidémies de fièvre jaune, qu’au sein du monde négociant européen, partout très affecté par le contexte belliqueux de l’époque. C’est donc une colonie, certes affaiblie, mais encore puissante, que frappèrent les évènements du mois de mai 1808, qui s’accompagnèrent de prises de représailles à l’encontre des Français beaucoup plus violentes et beaucoup plus radicales que celles de 1793.
L’intervention napoléonienne et l’anéantissement de la présence marchande française à Cadix (1808-1815)
40L’année 1808 débuta indéniablement sous le signe de la continuité pour les marchands français de la ville. On ne constate ni accélération des départs, ni augmentation des faillites. L’activité des comptoirs français suit son cours, en dépit des difficultés du moment. Guillaume Rey, tout en constatant l’inactivité qui règne dans la place, se félicite de l’occupation du Portugal « qui constituera une colonie avantageuse pour la France66 » ; Jean-Pierre Gastelu et Grégoire Lafforé fondent en février une société dédiée au commerce du vin de Jerez de la Frontera, dotée d’un capital de plus de 100 000 pesos67 ; Pierre Ibarnegaray et François Sallenave, qui ont mis un terme à leurs activités corsaires, sont recrutés en qualité de commissionnaires par la célèbre maison parisienne Ternaux frères pour écouler des draps de Sedan et la fournir en teintures68 ; et Jean-Nicolas Brunet, après plusieurs années d’apprentissage dans la boutique de Joseph Ravel, accède au statut d’associé69. Rien ne pouvait alors laisser présager la catastrophe qu’allait entraîner, pour la colonie, la « révolution d’Espagne » qui éclata au mois de mai.
41L’onde de choc du dos de mayo ne parvint que tardivement à Cadix puisque la population de la ville ne se souleva contre les autorités locales, jugées favorables à la France, qu’à partir de la fin du mois de mai. L’insurrection fut en large partie provoquée par les atermoiements du gouverneur de la ville vis-à-vis de l’escadre française qui, depuis la bataille de Trafalgar, était bloquée dans la baie de Cadix par la flotte britannique. Ces événements sont bien connus grâce aux témoignages circonstanciés écrits au xixe siècle par des auteurs gaditans. On doit à l’historien Adolfo de Castro un récit détaillé de ces événements et, notamment, de la chasse à l’homme dont fut victime le gouverneur de la ville, le marquis de Solano, assassiné par une foule exaltée70. Antonio Alcalá Galiano, un autre témoin indirect des faits, souligne également la « ferocidad » du soulèvement populaire71. En revanche, aucun de ces deux auteurs ne s’attarde sur le sort des centaines de civils français qui résidaient à Cadix. Adolfo de Castro évoque bien l’attaque du consulat de France par la foule insurgée (nuit du 28 au 29 mai 1808) ainsi que d’autres exactions commises à l’encontre de « otras muchas personas notables de esta ciudad » ou encore d’« afrancesados o parciales de Godoy72 », mais il ne mentionne aucune violence directement commise contre des ressortissants français. Pourtant, les sources consulaires et notariales locales permettent de reconstituer avec précision la descente aux enfers dont furent victimes, en plusieurs étapes, les ressortissants français de la ville.
42L’attaque du consulat français est confirmée par l’état de ses archives aujourd’hui conservées à Nantes : l’enregistrement des actes de chancellerie s’interrompt brutalement le 25 mai 1808 sans raison apparente, et le fonds présente diverses lacunes qui attestent que de nombreux registres purent être détruits à ce moment. En outre, plusieurs témoignages datant des années 1820 font allusion à cette destruction73. En ce qui concerne les violences commises à l’encontre de particuliers, deux témoignages seulement ont été identifiés. Le premier est la déposition faite en mai 1809 par Barthélémy Faurie devant la « Commission d’indemnisation des négociants français ayant subi des pertes lors des insurrections survenues en Espagne » de Bayonne74. Il rapporte que « lors de l’Insurrection », Pierre Faurie, son frère, qui était alors marchand à Cadix, « fut traduit en prison et de là conduit sur une place publique où il fut mis en pièces75 ». Ce témoignage qui met en cause non seulement la foule gaditane mais aussi les autorités de la ville n’est cependant pas nécessairement fiable. De fait, le second témoignage, le manifeste publié par le nouveau gouverneur de la ville, le général Morla, dans le Diario mercantil de Cádiz du 1er juin 1808, ne confirme que partiellement les dires de Barthélémy Faurie. En effet, s’il invite la population à traiter avec respect les civils français résidant dans la ville – ce que l’on peut interpréter comme la reconnaissance que des débordements ont bien eu lieu –, il atteste également que l’attitude des autorités fut plutôt bienveillante à leur égard. Le texte précise en effet que « no se debe hacer alteración sobre el tratamiento que hasta aquí se ha observado con los individuos de la nación francesa » et invite la population à respecter les civils français jusqu’à ce que Napoléon ait donné suite à la pétition qui lui a été adressée, lui demandant de restituer dans ses fonctions « nuestro muy augusto Soberano Fernando Septimo76 ».
43Quelle qu’ait été l’ampleur de ces évènements, il ne fait aucun doute qu’un mouvement de panique s’empara des négociants français dans les premiers jours du mois de juin. Ils furent alors nombreux à quitter précipitamment la ville. Les 2 et 4 juin, Charles Moisant et Antoine Rivet octroient des procurations générales pour organiser la gestion de leurs affaires durant leur absence77. La multiplication des protêts de lettres de change causée par l’absence de négociants français devant honorer des traites arrivant à échéance prouve également l’importance de ces départs78, tout comme les nombreuses mentions « parti sans aviser », consignées par les commissaires de quartier, dans une enquête réalisée au mois d’octobre 1808, en regard des noms des individus qui ne s’étaient pas présentés lors du serment de fidélité exigé des sujets de l’Empire français durant l’été79. La crise fut cependant de courte durée. Le 6 juin, la Junta Suprema de Sevilla déclara la guerre à la France, ce qui clarifia la situation politique. Elle adopta à cet effet les mesures traditionnellement observées contre les ressortissants des pays ennemis en temps de guerre : les sujets de l’Empire français avaient 4 jours pour prêter serment de fidélité à Ferdinand VII et renoncer aux privilèges et aux protections dont ils jouissaient en vertu de leur statut de ressortissant étranger. L’édit stipulait en outre que, au terme de ce délai, tous les individus n’ayant pas prêté serment verraient leurs biens confisqués. En revanche, aucune précision n’était donnée concernant le sort qui leur serait personnellement réservé80. Contrairement à ce qui s’était passé en 1791, aucune exception n’était prévue pour les négociants, et les membres de la colonie française acceptèrent donc, dans leur très grande majorité, de faire allégeance au roi d’Espagne81. Au même moment, la reddition de l’escadre française de l’amiral Rossilly et la victoire de Bailén écartèrent tout risque de voir les combats s’étendre à la ville, et l’importante communauté française cessa donc d’être perçue comme une menace. Au début du mois de juillet, les affaires avaient retrouvé leur cours normal. À partir de ce moment, plus aucune lettre émise sur une maison française n’est protestée en raison de l’absence du tiré, et les noms de négociants français apparaissent de nouveau fréquemment dans des protêts de routine dressés durant l’été.
44Pourtant, cette accalmie ne fut que de courte durée et, durant l’hiver suivant, des mesures d’une rare sévérité furent prises à l’encontre des ressortissants français qui, se croyant protégés par leur allégeance à Ferdinand VII, étaient demeurés dans le port andalou. Au mois de mars 1809, une dizaine de listes des « Français demeurés en cette ville », établies par les commissaires de quartier, ne recensent en effet plus que 38 individus del comercio, justifiant de leur présence à Cadix soit par leur statut de naturalizado, soit par leur santé fragile82. Entre l’été et l’hiver 1808-1809, la colonie marchande, qui comptait encore près de 200 membres au mois de juillet, avait donc été totalement anéantie. Le sort de ces Français qui avaient pourtant accepté de prêter le serment de fidélité et qui étaient donc censés jouir de « los privilegios de la Bandera Española » a été jusqu’à présent totalement ignoré par l’historiographie locale. Il est pourtant possible de le reconstituer en recoupant divers témoignages.
45Les protocoles notariaux fournissent un premier témoignage sur la seconde vague de représailles qui frappa la colonie française de Cadix. La courbe des testaments octroyés par les marchands français de la ville atteint en effet son point culminant en 1808. Plus précisément, la chronologie de leur enregistrement au cours de l’année 1808 montre clairement qu’à partir du mois de septembre un grand nombre de marchands français éprouvèrent le besoin de rédiger leurs dernières volontés parce qu’ils s’apprêtaient à quitter la ville ou parce qu’ils craignaient pour leur vie : alors que 7 actes furent enregistrés durant les 3 premiers trimestres, 12 le furent au cours des 3 derniers mois de l’année, dont la moitié durant le seul mois de décembre. C’est aussi durant l’automne (le 28 octobre) qu’Augustin Proharam, le chancelier du consulat de France, « se sentant menacé », s’embarqua pour Tanger avec « d’autres Français qui avaient à redouter le même sort83 ». Des procurations octroyées au même moment confirment qu’il y eut alors une vague de départs mais il est difficile d’en préciser l’ampleur84. Divers négociants français de la ville évoquent aussi le séquestre dont ils furent victimes. Les frères Lapadu, réfugiés à Tanger, rapportent, dans une déclaration faite postérieurement afin de percevoir une indemnité, que « le séquestre fut mis sur toutes les propriétés, meubles et effets appartenant à des Français par ordre du gouvernement espagnol dans l’année 1809 » et précisent que, « dans le mois de mai de la même année », ils apprirent « que [leur] maison n’avait pas été plus épargnée que celles des autres Français85 ». De même, en 1825, Pierre Lamis entreprend des démarches pour récupérer les effets appartenant à François Demeure qui furent mis sous séquestre « en el año 1808, [lorsqu’il fut établi par] la Comisión de represalias […] que estaba sujeto al pabellón francés e inscripto en su matrícula86 ». En 1818 enfin, André Gallarda, « como socio de la casa titulada Malibran y hermano », reconnaît avoir reçu « 75 771 reales de vellón procedentes de las ventas de los bienes de la misma sociedad », somme qui avait été déposée « en esta tesorería » le 21 avril 180987. Cette mise sous séquestre des biens de ressortissants étrangers ayant juré fidélité et ayant renoncé à leur statut privilégié constituait un fait sans précédent, puisque, en 1794, les marchands français domiciliados, dans une situation similaire, avaient seulement été contraints de se retirer à 20 lieues des côtes et n’avaient souffert d’aucune confiscation de leurs biens. Une seconde mesure, aux conséquences bien plus graves encore, fut en outre prise à l’encontre des Français qui étaient demeurés à Cadix : leur détention sur les pontons.
46L’épisode des pontones – ces navires démâtés, mouillés dans la baie, sur lesquels furent détenus les marins français de l’escadre de l’amiral Rossilly avant leur déportation vers l’île de Cabrera – constitue un fait bien connu de l’histoire militaire du Premier Empire. Le fait que des civils aient été également détenus dans ces prisons flottantes, pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, était en revanche totalement ignoré. Pourtant les témoignages attestant cette détention sont multiples. Le plus précis est le récit que divers négociants français de la ville firent, en 1822, de la détention de leur confrère Guillaume Rey sur le navire la Rufine. Ils rapportent, que lors de la « Révolution d’Espagne qui éclata à la fin de 1808 », Guillaume Rey fut « enlevé de chez lui pendant la nuit à titre de Français et porté sur l’immatricule du consulat, il fut d’abord enfermé dans le fort Sainte-Catherine, et quelques jours après transporté sur le bateau la Rufine avec cinq ou six cents autres Français habitants de cette ville [illisible] qui y furent confinés en même temps ». Ils précisent « que pendant sa détention sa maison fut séquestrée, ses livres et papiers saisis, les effets qui s’y trouvaient vendus, leur produit confisqué, son commerce interrompu, ses établissements ruinés ». Ils insistent naturellement aussi sur « les malheurs et les privations dont ils étaient la victime, irrités par la menace, chaque jour plusieurs fois répétée, de venir les égorger ou les brûler » et décrivent ensuite l’évasion de Guillaume Rey : « à l’époque de la tempête du 5 au 12 mars 1810 pendant laquelle […] il fut transbordé sur le ponton de la Castille […] [d’où] il se sauva à la nage88 ». Ce témoignage, certifié conforme par le consul Vins de Peysac, est confirmé par diverses autres preuves qui attestent toutes que les marchands français, qui avaient prêté le serment de fidélité durant l’été 1808 et qui étaient demeurés à Cadix par la suite, furent bien détenus, d’abord au fort Sainte-Catherine, puis sur les pontons, où nombre d’entre eux décédèrent89.
47Le recoupement de ces différents témoignages permet finalement de reconstituer le déroulement des faits : les Français qui étaient demeurés à Cadix furent privés de leurs biens et enfermés dans le fort Sainte-Catherine probablement durant le mois de décembre 1808, puis ils furent déportés sur les pontons dans les premiers mois de l’année 1809, et ils y restèrent plusieurs mois, voire plusieurs années90. La date précise de leur détention, pas plus que celle de leur libération, ne nous sont cependant connues. Très peu de documents officiels se rapportent à ces événements. Le récit qu’en fit postérieurement Augustin Proharam, qui avait quitté la ville le 28 octobre et qui n’eut donc connaissance des faits qui s’y déroulèrent qu’indirectement, est en effet assez peu précis. Il évoque un ordre qui fut donné le 21 janvier 1809 par « la Junte centrale et suprême de Séville à Monsieur le Marquis de Villel [sic] délégué à Cadix pour le séquestre des biens appartenant aux Français » et précise que les opérations de séquestre furent réalisées « par différents moyens […] et lors même que les Français que l’on dépouillait de leurs propriétés se trouvaient relégués sur le ponton Rufina ». Il mentionne aussi une émeute populaire qui serait survenue à Cadix vers la fin du mois de février de l’année 1809, au cours de laquelle « la foule se transporta dans la maison consulaire dans le dessein de brûler les archives91 ». Un courrier rédigé par deux membres du conseil de Castille (Miguel Alfonso Villagómez et Tomás Moyano), mandatés à Cadix par la Junta Suprema de Sevilla, en mars 1809, pour faire un rapport sur le marquis de Villellonde, porte à son crédit d’avoir mis en œuvre « la traslación a los pontones de los prisioneros franceses que se hallaban en los Castillos [ainsi que le séquestre] de los bienes y pertenencias de los franceses en esta plaza cuio encargo se sirvió hacerle VM en Real Orden de 14 de enero, siguiendo en todo las reglas establecidas sobre represalias92 ». Un autre courrier rédigé par le marquis de Villellonde permet en outre de mieux comprendre les raisons qui poussèrent les autorités à enfermer les prisonniers civils français sur les pontons. Celui-ci y déplorait en effet l’attitude des gouverneurs des deux forts dans lesquels étaient détenus les Français, « el primero por sus expresiones todas a favor de los franceses, y el otro por la libertad que da a los arrestados en aquel castillo para venirse a la ciudad quando quieren93 ». Il soulignait ensuite les difficultés que soulevaient de tels comportements pour assurer la défense de la ville « en circunstancias como las actuales ». Dans le contexte de l’avancée des troupes françaises en Espagne, c’est donc la crainte de la formation d’une « cinquième colonne » au cœur même de Cadix qui semble avoir constitué la préoccupation première de ceux qui adoptèrent des mesures aussi radicales.
48À partir de l’hiver 1808-1809, la colonie française se trouva donc scindée en trois groupes. Les prisonniers détenus sur les pontons, qui y demeurèrent à de rares exceptions jusqu’à la signature de la paix, forment le premier. Le deuxième est composé des marchands qui avaient réussi à quitter la ville avant le mois de décembre 1808. Certains regagnèrent la France, où ils vécurent dans des conditions que l’on peut imaginer difficiles94. D’autres se réfugièrent dans les parages, à Tanger notamment95. Mais, plusieurs d’entre eux revinrent en Andalousie dès le début de l’année 1810 et s’installèrent sur la rive nord de la baie, dans la zone occupée par l’armée française. Enfin, un troisième groupe, composé principalement de jenízaros et de naturalizados qui avaient fait le choix de l’Espagne, put demeurer à Cadix et subit, avec le reste de la population, le siège que l’armée française infligea pendant 18 mois à la ville.
49Au total, ces derniers ne durent pas être plus d’une centaine. Les sondages effectués dans les registres notariaux de l’époque permettent de recenser 89 individus, dont la présence à Cadix est attestée par l’enregistrement d’au moins un document entre 1809 et 1814. On compte parmi eux une trentaine de jenízaros, qui ne semblent plus avoir aucun lien avec la France, et 27 marchands possédant une carta de naturaleza, octroyée par le conseil de Castille ou par celui des Indes. Sur les 32 individus restants, 17 se trouvent dans une situation particulière qui justifie leur présence : 8 ont bénéficié de la clémence des autorités en raison de leur grand âge ou de leur santé fragile, 5 se déclarent suisses, Ciprien Tanto revendique le statut de « Navarrais », Arnaud Labat celui d’« émigré », et les deux derniers, Manuel Costa et Francisco Castañeda, sont en fait des Espagnols qui étaient associés à des compagnies de commerce tenues par des Français. Pour ce qui est des 15 derniers individus figurant dans notre liste, aucune raison n’explique qu’ils aient pu séjourner librement à Cadix. Selon toute vraisemblance, cependant, cette population d’origine française fit preuve d’une réelle loyauté envers le camp espagnol. En dépit de consignes officielles très hostiles à la naturalisation de Français tant que durerait « la guerra actual », Jean-Pierre de Irigoyen, qui était déjà titulaire d’une carta de naturaleza du conseil de Castille, obtint l’extension de ses droits afin de pouvoir « comerciar y tratar con las Indias », grâce à l’importance des dons qu’il avait consentis pour contribuer à l’effort de guerre contre la France96. Dans d’autres cas, ces Français ralliés à la cause espagnole payèrent de leur personne et s’enrôlèrent sous les drapeaux pour combattre l’armée ennemie. C’est le cas, par exemple, des deux neveux d’Antoine-Vincent Labraque, Josef María del Rosario et Luis Josef Ramón Labraque y Fuentes, qui ont décidé de servir « en las actuales circunstancias en el ejército de Andalucía » et auxquels leur oncle s’oblige à fournir 20 reales de vellón par jour pour assurer leur entretien97. D’autres fils de marchands français, qui s’étaient engagés dans la carrière des armes au cours de la décennie précédente, durent se retrouver dans une situation similaire. Au total, il paraît légitime de considérer que les « Français » qui étaient demeurés à Cadix n’avaient plus aucun lien avec leur pays d’origine et étaient dorénavant totalement assimilés à la société espagnole.
50La situation des marchands français qui avaient réussi à quitter la ville avant l’hiver 1808-1809 et qui revinrent en Andalousie dans le sillage de l’armée française est également difficile à connaître. Le 4 février 1810, l’armée française, après une campagne éclair qui lui avait assuré le contrôle de l’Andalousie, avait établi le siège de Cadix et de la Isla de León, où s’étaient retranchés les autorités espagnoles demeurées fidèles à Ferdinand VII ainsi que des dizaines de milliers de réfugiés. Le siège, qui dura 30 mois, ne fut levé qu’en août 1812. Les localités de Jerez de la Frontera, du Puerto de Santa María et de Chiclana de la Frontera demeurèrent donc aux mains des Français pendant toute cette période et elles virent alors arriver des dizaines de négociants français qui avaient été chassés de Cadix deux ans plus tôt. Parmi eux se trouvaient également des négociants d’origine française, naturalizados ou jenízaros, qui avaient rallié le nouveau régime. Domingo Béhic, par exemple, figure emblématique de ces jenízaros qui étaient étroitement liés à la colonie française, préféra, en 1810, s’installer à Chiclana de la Frontera plutôt que de rester à Cadix98. Il en fut de même pour les fils de Dominique Guillet qui, en 1809, avaient été autorisés à demeurer à Cadix alors que leur père était détenu au fort Sainte-Catherine99. Deux Français naturalisés espagnols demandèrent même leur réintégration dans la nationalité française, ce qui leur fut accordé en vertu de l’article 14 du décret du 26 août 1811100. D’autres négociants d’origine française résidaient déjà de l’autre côté de la baie avant la guerre et ils y possédaient en général d’importants biens fonciers. Pour eux, le choix de vivre en territoire occupé fut certainement dicté par la volonté de préserver leurs intérêts économiques. Certains d’entre eux collaborèrent cependant ouvertement avec l’armée française ou les nouvelles autorités. Antoine Sedze et Jean Binalet siégèrent dans les commissions des subsistances du Puerto de Santa María et de Jerez de la Frontera dès le mois d’avril 1810. Le second en fut même le président et il occupa par ailleurs un poste au conseil de préfecture de la ville101. Des propriétaires terriens naturalisés espagnols, comme Jean-Charles Haurie à Jerez de la Frontera ou Joseph Goin et Martel à Sanlúcar de Barrameda, réalisèrent pour leur part diverses opérations de fourniture pour le compte de l’armée française, qui se révélèrent en l’occurrence de mauvaises affaires si l’on en croit les difficultés qu’ils eurent à se faire payer102. Aux côtés de ces Espagnols d’origine française qui rallièrent le camp de Joseph Bonaparte, par conviction ou par intérêt, de nombreux marchands français de Cadix revinrent en Andalousie avec l’armée française et vécurent pendant la durée du siège au Puerto de Santa María (où s’était installé le consul), à Chiclana de la Frontera, à Jerez de la Frontera ou à Séville. Une vingtaine ont pu être identifiés dans les sources consultées mais ils furent probablement plus nombreux103. À quelques exceptions près, on connaît mal leur parcours et notamment ce qu’il advint d’eux entre la seconde vague de représailles de l’hiver 1808-1809 et l’arrivée des troupes françaises en janvier 1810. Certains durent regagner l’Andalousie après avoir trouvé refuge à Tanger. D’autres, comme Guillaume Rey, Jean-Baptiste Bourt et Dominique Guillet, rejoignirent le camp français après une période de détention en prison ou sur les pontons. Les archives consulaires permettent à peine d’entrevoir les conditions dans lesquelles vécurent ces anciens négociants dont les biens avaient été séquestrés par les autorités espagnoles en 1809. Quelques-uns, y compris des propriétaires terriens, jouirent d’exemptions fiscales en raison de leur dénuement104. D’autres recevaient des fonds du consulat105. Une partie d’entre eux continuèrent cependant à vivre du négoce, profitant des opportunités liées à l’état de guerre : les contrats de fourniture signés avec l’armée et l’approvisionnement des villes occupées bénéficièrent à certains, alors que d’autres jouèrent peut-être un rôle dans les opérations que menèrent les corsaires français basés à Rota ou à Chipiona106. Quoi qu’il en soit, tous perdirent le peu qu’il leur restait lors de la retraite de l’été 1812, durant laquelle ils furent victimes de représailles plus ou moins spontanées. Joseph Cassé, l’agent consulaire français à Rota, fait état des violences qui furent commises contre lui et contre un autre ressortissant français de la ville107. Joseph-François Lieutaud évoque, pour sa part, sa détention sur les pontons, où il fut conduit « con los demás franceses », avant de n’être libéré qu’en 1814108.
51Ceux qui parvinrent à s’enfuir avec l’armée ne connurent pas forcément un sort plus heureux. Ainsi, Bernard Magon, l’héritier de l’une des plus prestigieuses et des plus anciennes maisons françaises de la place, eut une fin misérable. Après 1796, il était revenu en Andalousie mais à la suite de déboires commerciaux, il avait dû déposer son bilan et devenir courtier. Il avait 64 ans lors de la retraite de l’armée française et vivait encore en Andalousie. Deux dépositions enregistrées à la chancellerie du consulat en 1819 donnent de sa mort le récit suivant. Le premier est signé par 7 négociants français qui déclarent
avoir bien connu Bernard Guillaume Anne Magon de Campaneu, jadis négociant à Cadix [et rapportent que] en 1812, il avait l’esprit aliéné par suite des malheurs que lui avait causés la Révolution d’Espagne, qu’au moment où l’armée française commandée par le Maréchal Soult opéra sa retraite d’Andalousie, le dit sieur Magon se trouvait à Séville, que son neveu Monsieur Payan lui donna une place dans sa voiture pour retourner en France, mais que la voiture s’étant brisée aux environs de Grenade, Monsieur Magon de Campaneu s’échappa furtivement et gravit une montagne en criant qu’il était perdu, et disparut sans qu’il fût possible de le ramener, que depuis ce moment on n’a pu se procurer de ses nouvelles malgré toutes les recherches qui ont été faites, ce qui fait présumer qu’il a été l’une des nombreuses victimes sacrifiées pendant cette Révolution109.
Huit mois plus tard, ce furent Jean-Joseph Seignor et Pierre Valié, également négociants français à Cadix, qui racontèrent que
lors de la retraite de Soult, ils virent le sieur Bernard Guillaume Magon de Campaneu, et particulièrement sur la route de Loja où l’armée séjourna, […] en se rendant de cette dernière ville à celle de Grenade, ils virent une grande quantité de cadavres au nombre desquels ils reconnurent positivement Monsieur Magon de Campaneu110.
Même si la trajectoire de Bernard Magon, depuis le sommet de l’élite française de la place jusqu’à cette fin tragique, peut être retenue comme un symbole du déclin de la colonie, les événements de l’été 1812 n’entraînèrent cependant pas la disparition définitive de la présence marchande française à Cadix. Certes, il ne restait plus ni aucun négociant, ni aucun personnel consulaire français dans l’arrondissement de Cadix à partir de l’été 1812, et l’on peut donc légitimement considérer que la colonie française de la ville avait alors bel et bien disparu. Mais le rétablissement progressif des relations franco-espagnoles, d’une part, et celui, partiel, du commerce maritime de Cadix, d’autre part, permirent à nombre de marchands français de revenir, comme ils l’avaient fait après le traité de Bâle en 1795. Cette seconde renaissance de la colonie ne fut cependant que de courte durée et, très vite, le souvenir de l’ancienne « nation française de Cadix » s’effaça définitivement de la ville.
La reconstitution et l’agonie de la colonie française de Cadix après 1815
52La normalisation des relations franco-espagnoles, initiée par le traité de Valençay le 11 décembre 1813, ne se traduisit pas, comme cela avait été le cas en 1795, par la réouverture immédiate du consulat de France à Cadix. Les évènements de l’hiver 1808-1809 s’étaient accompagnés du départ précipité du personnel consulaire, du séquestre des archives du consulat – qui furent pour partie détruites, pour partie conservées dans des conditions déplorables – et de la réquisition de l’immeuble qui l’accueillait. Le court intermède pendant lequel une agence consulaire avait été rouverte au Puerto de Santa María se termina également dans la confusion, les deux titulaires des fonctions consulaires, le consul Leroy et le vice-consul Canclaux, étant contraints de fuir lors de la retraite de l’armée française d’Andalousie durant l’été 1812. À partir de ce moment, le ministère français des Affaires étrangères n’eut donc plus de représentant à Cadix et il n’entretint dès lors plus qu’une correspondance très désordonnée, soit avec les anciens consuls réfugiés en France, soit avec d’anciens membres du personnel consulaire, demeurés ou revenus à Cadix111. Les nominations de Dayot, comme consul, et de Huart, comme chancelier, en novembre 1814, n’améliorèrent pas réellement cet état des choses car les Cent-Jours vinrent interrompre le processus de normalisation entamé, avant même que Dayot n’ait pu gagner son poste. Il fallut finalement attendre le 14 juin 1816 pour que le marquis Vins de Peysac, nommé le 24 décembre précédent, débarque à Cadix et adresse son premier courrier au ministère pour faire part du bon accueil dont il avait bénéficié auprès des autorités. Sa première mission était de reconstituer les archives consulaires dispersées pendant la guerre d’Indépendance. Mais il fut vite rattrapé par les autres tâches qui étaient habituellement dévolues aux consuls : dès le 16 juillet, il s’élevait contre la création d’un nouveau droit frappant les navires français et, 3 jours plus tard, il rédigeait son premier rapport sur la situation politique et commerciale de Cadix, dans lequel il insistait notamment sur la recrudescence des attaques des corsaires insurgés112. En octobre 1816, la chancellerie du consulat rouvrit ses portes, et les négociants et capitaines français, revenus ou de passage à Cadix, recommencèrent à y enregistrer leurs procurations et leurs protêts de mer. L’année suivante, c’est le registre d’immatriculation des ressortissants français soucieux de « jouir de la protection accordée aux Français établis ou voyageant en Espagne » qui fut rouvert. Après quelques années de tâtonnement et un peu de retard sur le cours des choses, le consulat avait alors enfin retrouvé la plénitude de ses prérogatives.
53De leur côté, en effet, les marchands français avaient moins tardé à revenir dans la ville. Dès le printemps 1814, François Fréart, qui avait quitté Cadix en 1808 après un séjour de plus de 42 ans en Espagne, a regagné la ville113. À la fin de l’année, il a été rejoint par Jean-Pierre Lapadu114, par Joseph Villart, qui est alors employé comme commis au sein de la maison Lafforé115, et par Jean Lassus116. Le flux s’accélère ensuite, et les sondages effectués dans les protocoles notariaux de l’année 1815 révèlent que des dizaines de marchands français étaient revenus à Cadix après une période d’absence de plusieurs années117. Le guide mercantile publié à Cadix en 1816 confirme la reconstitution en cours de la présence marchande française, puisque 61 établissements de commerce, tenus par les anciens marchands français de la ville ou par leurs héritiers, y sont recensés118. Cette dernière source est cependant très imprécise, puisqu’elle ne fournit aucune autre information que la raison sociale de l’établissement concerné, et il faut donc attendre la réalisation d’un nouveau recensement des étrangers à Cadix, en 1819, pour pouvoir disposer d’une base fiable permettant d’évaluer l’importance qu’avait retrouvée à cette époque la présence marchande française. Le recensement, en lui-même, consigne les noms de 60 marchands français qui se déclarent le plus souvent « comerciantes » et, plus rarement, « corredores », « mercaderes » ou « fabricantes »119. Comme lors des précédentes opérations censitaires, cependant, on peut y adjoindre diverses catégories d’individus qui ne figurent pas dans le recensement, ou n’y figurent pas comme « Français », mais qui méritent cependant d’être mentionnés : c’est le cas de 7 jenízaros, qui sont nés à Cadix mais ont choisi de se placer sous la protection du consulat de France, de 12 marchands naturalisés espagnols, qui s’étaient installés à Cadix avant la Révolution française le plus souvent et qui y ont fait souche pendant la guerre d’Indépendance, et de 5 négociants suisses, enfin, qui avaient toujours travaillé au sein de compagnies tenues par des négociants français ou en étroite collaboration avec ces derniers. Par ailleurs, on relève dans les autres archives consultées en 1819 et en 1820 les noms de 40 autres marchands français qui sont établis à Cadix mais qui, pour des raisons qui nous échappent, n’apparaissent pas dans le recensement. Au total, la présence marchande française à Cadix, mesurée selon les mêmes critères que ceux employés pour les périodes précédentes, s’élèverait donc à 124 individus en 1819, soit le quart de ce qu’elle était en 1791 et un peu moins de la moitié de ce qu’elle était en 1808. Incontestablement, la saignée entraînée par la guerre d’Indépendance avait été plus profonde que celle provoquée par la guerre de la Convention. Cependant, en dépit de la gravité et de la longueur des épreuves qu’elle avait endurées et des incertitudes du moment, la colonie était de nouveau en voie de reconstitution et elle était probablement redevenue la communauté marchande étrangère la plus nombreuse de la ville.
54C’est avant tout le retour des « anciens » à Cadix qui explique cette reconstitution partielle de la colonie, puisque 74 des individus dénombrés en 1819 étaient déjà présents à Cadix en 1808 et 54 l’étaient en 1791. On retrouve même parmi eux 15 individus qui figuraient déjà sur la célèbre liste consulaire de 1777. Comme en 1796, la renaissance de la colonie fut donc avant tout le fait de négociants qui étaient solidement implantés dans la ville, qui avaient dû renoncer à leurs établissements de commerce en raison de la conjoncture politique, mais qui y étaient revenus dès que possible. Le nombre des nouveaux venus n’est cependant pas non plus négligeable puisque ce ne sont pas moins de 50 individus qui seraient venus s’établir pour la première fois à Cadix, après le rétablissement de la paix en 1815. Avec une dizaine d’installations par an en moyenne, soit un rythme tout à fait comparable à celui des années 1780 ou de la première décennie du xixe siècle, la colonie semble alors avoir retrouvé pour un temps l’attractivité dont elle bénéficiait autrefois au sein du négoce français. Naturellement, les illusions se dissipèrent vite, et cette situation ne dura pas : après 1820, le nombre des nouvelles immatriculations consulaires ne dépassa plus jamais le chiffre de 5 par an120. En outre, seule une partie de ces nouveaux venus se fixèrent réellement dans le port : 30 des 50 négociants arrivés entre 1815 et 1820 n’apparaissent plus dans les sources au cours de la décennie suivante, et on retrouve des proportions similaires pour les individus arrivés après 1820. Il n’en demeure pas moins que ces nouveaux négociants français de Cadix, même lorsqu’ils ne se fixèrent pas, contribuèrent activement à revivifier la colonie française, qui s’était reconstituée autour des figures de l’ancienne « nation » et du consul Vins de Peysac.
55En effet, bien que la communauté n’ait plus disposé alors d’institutions collectives formelles, comparables aux anciens députés de la « nation » et de la « factorerie » française, ou aux « assemblées » au cours desquelles ces derniers étaient désignés, les négociants français de la ville avaient repris l’habitude de s’associer pour défendre leurs droits collectifs ou exprimer des positions communes – et en ce sens, le groupe qu’il formait continue de mériter pleinement le nom de « colonie ». Ces actions prenaient le plus souvent la forme de pétitions et ont laissé d’importants témoignages dans les actes de chancellerie et la correspondance du consulat. C’est l’expression de condoléances publiques et collectives lors de la mort du duc de Berry en 1820, qui fournit à la colonie, pour la première fois depuis longtemps, l’occasion de témoigner de sa cohésion et de son importance retrouvée. Dix-huit négociants, recrutés aussi bien parmi les anciens que parmi les récents arrivés, signèrent en cette occasion une lettre commune qu’ils adressèrent au consul en le priant d’informer le ministère de leur démarche121. Quatre ans plus tard, c’est un motif plus traditionnel, la dénonciation de visites domiciliaires effectuées par les agents des douanes en l’absence du consul de France, qui provoqua la mobilisation de 12 des principaux chefs des compagnies françaises de la ville122. L’affaire se termina bien puisque, un an plus tard, dans un nouveau courrier, 25 négociants français de la ville remerciaient le consul pour le succès des tractations qu’il avait menées pour leur obtenir gain de cause. Se côtoient, là encore, parmi les signataires de ce courrier, aussi bien les anciens notables de la colonie que des individus plus récemment arrivés ou seulement de passage123. En 1826, c’est pour protester contre un impôt qui serait indûment exigé d’eux – et dont seraient exemptés les Britanniques – que les négociants français de la ville mirent en branle la chaîne de protection dont avait traditionnellement bénéficié la colonie124 ; et, en 1831, c’est pour dénoncer la suppression sans préavis de la franchise du port que les négociants français de la ville se mobilisèrent à trois reprises125.
56Ces 3 pétitions, qui sont rédigées aux noms des « négociants et voyageurs français établis et de passage en cette ville » et qui sont signées, au total, par 40 individus différents, de même que les 3 recensements effectués entre 1837 et 1840, qui dénombrent encore une soixantaine de marchands français à Cadix à cette époque, révèlent cependant que la présence marchande française s’était profondément modifiée au cours des 2 décennies écoulées qui furent marquées par le déclin des activités commerciales traditionnelles de Cadix. Le nombre global de marchands français présents à Cadix était certes demeuré relativement stable par rapport au début des années 1820 – les recensements de 1837 et 1839 en dénombrent chacun une soixantaine, comme celui de 1819 – mais la communauté qu’ils formaient n’avait dorénavant plus ni la même consistance, ni le même visage.
57Deux traits distinguent fondamentalement la présence marchande française du deuxième quart du xixe siècle de celle qu’avait connue le port au siècle précédent : d’une part, ces marchands paraissent beaucoup moins implantés qu’auparavant ; d’autre part, ils n’ont pratiquement plus aucun lien avec l’ancienne colonie française de la ville.
58Ce dernier point apparaît immédiatement à la lecture des données nominatives relatives aux différentes périodes. Ainsi, à l’exception de Pierre Abric, qui résidait à Cadix depuis 1783, aucun des signataires des pétitions de 1831 n’était présent à Cadix avant la Révolution française, et seul Pierre-Vincent Ducasse était à Cadix à ses côtés au moment des évènements du printemps 1808. La colonie française de 1831 se compose donc presque exclusivement d’hommes nouveaux, arrivés à Cadix après 1815. Les recensements de 1837, 1839 et 1840 témoignent de la même réalité : les individus qui apparaissent encore liés à l’ancienne colonie marchande de la ville y sont très peu nombreux126. On ne compte dorénavant plus aucun membre de la génération de négociants qui avaient vécu à Cadix à la fin des années 1780 et qui avaient donc connu la ville au temps de sa prospérité. La « génération de 1808 », qui rassemble les marchands installés à Cadix après 1796 et présents au moment du recensement de 1808, a pratiquement disparu aussi puisque seuls 4 individus en sont issus127. Si cette faible représentation des générations de 1791 et de 1808 est somme toute naturelle compte tenu du laps de temps qui s’est écoulé, il est en revanche plus étonnant de constater que le commerce de Cadix ne compte pratiquement aucun héritier de l’ancienne colonie française en activité au milieu du xixe siècle. Dans les recensements de 1837 et 1839, la génération de 1791 ne compte que 6 représentants indirects, c’est-à-dire 6 individus dont un ascendant vivait à Cadix lors du « padrón general de extranjeros » de 1791. Celle de 1808 n’en compte que 3128. Ainsi, alors qu’en 1819, la présence marchande française était encore largement issue de l’ancienne colonie française de la ville, ce n’est plus le cas dans le second quart du xixe siècle, où dominent des hommes nouveaux, arrivés après 1815 et totalement étrangers aux filières familiales qui avaient existé au siècle précédent. Mais, plus encore que cette rupture de continuité avec la période antérieure, c’est la nature même des séjours qu’effectuent désormais les marchands français à Cadix qui distingue le plus les deux époques.
59En effet, sur les 36 signataires des 3 pétitions de 1831, seuls 2 négociants ont effectué à Cadix un très long séjour (plus de 20 ans)129, 6 seulement y ont fait un long séjour (de 10 à 20 ans) et s’y sont donc installés pendant la période de reconstitution de la colonie (1815-1820), 10 autres ne sont arrivés qu’après 1820 et n’ont donc fait qu’un court séjour à Cadix (moins de 10 ans), et les 18 individus restants (peu ou prou la moitié) ne seraient présents à Cadix que depuis l’obtention de la franchise du port, à savoir un an ou deux. Parmi eux, 10 se déclarent d’ailleurs « voyageurs de commerce » ou « représentants » de maisons localisées en France. Cette prépondérance, tout à fait inédite dans l’histoire de la colonie française, des marchands « de passage » par rapport à ceux bien implantés, n’est en outre pas propre à la période de la franchise du port. On constate, en effet, la même configuration à la fin de la décennie. Sur les 71 individus recensés dans les 3 enquêtes de 1837, 1839 et 1840, seuls 26 individus ont effectué à Cadix un très long séjour (3) ou un long séjour (23), alors que les 45 autres n’ont effectué que des séjours courts (9) ou très courts (36). Cet important turnover est confirmé par la comparaison des listes nominatives dressées : 14 individus ont disparu entre 1837 et 1839 alors que 13 nouveaux marchands sont apparus entre les deux dates. À l’exception de quelques familles (les Sicre, les Conte, les Badel), qui sont parvenues à s’intégrer à la dynamique commerciale du siècle et qui ont fait souche à Cadix130, les marchands français ne s’installent donc dorénavant plus durablement à Cadix et n’y effectuent plus que de courts séjours, quand ils ne se contentent pas d’y faire de simples voyages d’affaires pour y proposer les échantillons des maisons françaises ou les représenter dans des affaires ponctuelles.
60Ainsi, même si la présence marchande française demeure significative à Cadix au milieu du xixe siècle, celle-ci n’a plus ni aucun lien, ni aucune similitude avec la colonie française que la ville avait accueillie au siècle précédent. Les exportateurs français semblent désormais privilégier le recours à des voyageurs de commerce ou à des agents, plutôt qu’à des filiales en commandite ou à des commissionnaires, dont l’emploi, plus coûteux, ne trouvait sa justification que dans le cadre d’importants volumes échanges. À l’imposante et prestigieuse « nation » qui, au iie siècle, servait d’intermédiaire entre les puissantes manufactures françaises et les riches marchés coloniaux d’Amérique succéda donc la maigre cohorte des démarcheurs et des fondés de pouvoirs, qui sillonnaient les grandes villes d’Espagne et passaient, entre autres, par Cadix.
Conclusion
61La comparaison, dans un même graphique, des dynamiques respectives de la présence marchande française à Cadix, d’une part, du commerce colonial de la ville, d’autre part, invite à dégager trois conclusions de cette étude « anatomique » du déclin de la colonie française à la charnière des xviiie et xixe siècles (graphique 9).
62Il faut d’abord souligner l’étroite corrélation existant entre la présence marchande française à Cadix et le volume du commerce colonial de la place. Sans que l’on en soit vraiment surpris, on constate, en effet, que la colonie fut puissante et solidement implantée lorsque le commerce colonial de Cadix était à son apogée dans les années 1780 et qu’elle ne fut plus que l’ombre d’elle-même lorsque, 40 ans plus tard, la ville n’était plus qu’un fournisseur secondaire des marchés américains – et donc un débouché négligeable pour les manufactures européennes. L’ajustement entre les deux périodes ne se fit cependant pas de façon linéaire et, à la charnière des deux siècles, les dynamiques macro- et micro-économiques observées semblent au contraire dissociées. La courbe de la présence française à Cadix montre en effet clairement que les grands décrochages du commerce colonial espagnol (1797, 1805 et 1821) n’entraînèrent jamais de recul corrélé de la colonie, même lorsque les exportations atteignirent des niveaux historiquement bas à l’époque du blocus britannique. Les deux crises franco-espagnoles de 1793 et de 1808 édentent au contraire la courbe de la présence française à Cadix de façon particulièrement nette. Cette dépendance du destin des marchands français de Cadix par rapport aux évènements politiques, bien plus que de la conjoncture commerciale proprement dite, vient ainsi confirmer une réalité certainement bien connue mais qui trouve ici une nouvelle et éloquente illustration : celle de l’étroit encastrement de la décision économique dans la conjoncture politique. Elle nous livre cependant aussi, en filigrane, un autre enseignement, qui a peut-être moins systématiquement été mis en évidence et analysé par les historiens et qui retiendra donc plus spécialement notre attention dans les chapitres suivants : la relative indifférence, à moyen terme, des trajectoires suivies par les marchands français de Cadix vis-à-vis de la crise de la Carrera de Indias. Les reconstitutions de la colonie en 1796 et, dans une moindre mesure, en 1815, dans des contextes commerciaux très incertains, et l’indéniable résistance dont fit preuve la présence marchande française à Cadix durant toute la durée du blocus britannique du port (1797-1808) viennent en effet illustrer ce point et amènent à s’interroger sur les raisons d’une telle distorsion entre la réalité de la conjoncture commerciale, telle qu’elle peut être reconstituée aujourd’hui, et les décisions effectives que prirent les acteurs en leur temps. Faut-il y voir un témoignage de cette aptitude à s’adapter aux crises commerciales qu’ont soulignée plusieurs historiens ayant récemment revisité, et relativisé, la « crise des négoces de l’époque révolutionnaire » ? Ou traduit-elle au contraire l’incapacité qu’avaient les négociants français à quitter Cadix et à se réinventer un avenir en dehors d’une ville à laquelle ils s’étaient profondément intégrés et attachés ?
Notes de bas de page
1 Ozanam, 1968, pp. 311 sqq.
2 CADN, Cadix, 136PO/392, « Recensement des Français résidant dans la circonscription consulaire de Cadix ou de passage le 12 avril 1891 ».
3 Boisrouvray, 1936 ; Rambert, 1959.
4 Ozanam, 1968.
5 Zylberberg, 1993, pp. 470 sqq.
6 Ainsi dans Comercio colonial y guerras revolucionarias (1972), Antonio García-Baquero González évoque à plusieurs reprises « l’abandon de Cadix par les commerçants étrangers », sans fournir cependant de chiffres quantifiant ce phénomène (pp. 50 et 60). Il conclut son analyse en soulignant que « la perte du monopole, les guerres continuelles contre l’Angleterre et la France et surtout le décret de la liberté du commerce accordé aux neutres (1797), déterminèrent le fait que le port de Cadix cessa d’être un lieu de rencontre obligatoire de tous les commerçants étrangers intéressés dans le commerce colonial » (p. 99).
7 Voir supra.
8 Outre les données extraites des différentes enquêtes censitaires, la base consigne principalement la totalité des documents enregistrés par des « négociants » à la chancellerie du consulat de France à Cadix et ceux dépouillés à l’issue des importants sondages effectués dans les archives notariales de la ville.
9 AHMC, sección Padrones, vol. 1006-1007, « Padrón » de 1773.
10 AN, AE BI, 283, « Liste des négociants, boutiquiers, artisans, domestiques et autres sujets du Roy établis et résidents présentement à Cádiz, sous la protection de sa Majesté ».
11 AHMC, sección Padrones, vol. 1000, « Padrón general de extranjeros », 1791.
12 AHMC, sección Padrones, vol. 6971, « Lista de los franceses domiciliados », 1794.
13 C’est le cas de la liste de 1777 qui a été intégralement éditée dans l’article de Didier Ozanam (1968), et du « padrón » de 1773 qui a été commenté et exploité dans plusieurs travaux historiques, dont l’un propose une liste nominale fiable de la totalité des Français employés dans les comptoirs et les boutiques de la ville, et mentionne par ailleurs le nombre de commis français travaillant dans ces établissements (Driesch, 1972, pp. 112 sqq.).
14 Voir les listes 2 et 3 en annexe de cet ouvrage.
15 Les noms des commis n’ont pas été relevés par Wilhelm von den Driesch mais ce dernier a systématiquement mentionné le nombre de commis recensés dans chaque établissement, ainsi que leur nationalité. Au total, les établissements de commerce français employaient 123 commis français, 16 espagnols, 2 allemands, 2 piémontais, 1 suisse, 1 portugais, 1 anglais, 1 hollandais et 4 « non identifiés ».
16 Ainsi, par exemple, si Domingo et Juan Josef Béhic figurent sur la liste, ce n’est pas le cas de leur frère Manuel, pourtant également actif dans le commerce de la ville cette année-là.
17 Près des trois quarts d’entre eux – 75 sur 111 – correspondent à des individus qui avaient renoncé dès cette époque à la protection consulaire française ou qui n’y avaient pas le droit en raison de leur naissance hors de France. Les autres, dont la présence à Cadix est pourtant attestée par d’autres documents, n’ont pas été recensés pour des raisons qui nous échappent (voyage, dissimulation, etc.).
18 Retenons parmi eux les frères Béhic (Domingo, Juan Josef et Manuel), Bernardo Cabanon (qui quitta Cadix pour Rouen peu après), Esteban et Josef Delabat (qui apparaissent tous les deux sur la liste consulaire de 1777), Nicolas Desportes, Claudio Antonio Jourdan, Andrés Lacaze et Pedro Mercy.
19 Rappelons, en effet, que la Real Cédula prévoyait l’expulsion d’Espagne de la totalité des étrangers transeuntes. Si les marchands français de Cadix bénéficièrent d’une dérogation spéciale leur permettant de rester, cela ne fut pas le cas de centaines d’artisans et d’ouvriers français qui furent sommairement embarqués à Cadix, pendant tout l’été 1791 sur des navires destinés à la France (AN, série AE, BIII, liasse 362).
20 Zylberberg, 1993, p. 230.
21 Meyer, 1969.
22 Barthélémy et Laurent Lecouteulx quittent Cadix pour Paris en 1780 et en 1785, et un jeune Étienne Lecouteulx arrive encore à Cadix en 1782. Mais le vrai chef de la compagnie – Pierre Desportes – est présent en Andalousie depuis 1749. Les cas de Bernard Magon et Thomas de la Gervinais (les gérants de la maison Magon) et ceux de Jean Solier et Jacques Jugla sont tout à fait similaires et témoignent d’un même enracinement.
23 Voir supra.
24 Voir infra.
25 Il ne fallut en effet pas moins de 3 séances au cours du mois de février 1789 pour parvenir à un accord sur la nature de la contribution qui serait offerte en cette occasion : il fut d’abord décidé, le 18 février, « de faire chanter un [te deum] avec toute la pompe et la solennité convenable dans l’église de Saint-François où la nation a sa chapelle » ; puis, la semaine suivante, les députés, estimant qu’il fallait adopter des « démonstrations d’un autre genre, plus analogues aux circonstances », décidèrent de manifester leur reconnaissance envers la Couronne espagnole en votant une contribution de 4 500 piastres destinées « à doter de 100 piastres douze jeunes filles pauvres de Cadix et à célébrer leur mariage en grande pompe dans la chapelle Saint-Louis » ; trois jours plus tard, enfin, « plusieurs personnes de la nation [ayant] témoigné être peu satisfaites de ce qui fut arrêté dans l’assemblée », il fut finalement décidé de se contenter de remettre une contribution volontaire aux hospices de la ville (CADN, Cadix, 136PO/258, fol. 91-94, 94-98, 98-104).
26 Voir infra.
27 Enciso Recio, 1959.
28 Les contributions s’échelonnent de 1 000 livres pour les compagnies de commerce composant la première classe de la nation à 1 livre pour le modeste Jean Guillaume Taillefer. Au total, 220 personnes contribuèrent au don. Les deux grands noms du négoce français qui ne figurent pas dans la liste sont ceux de Prudent Delaville et Jean de Bonneval (CADN, Cadix, 136PO/258, fol. 118-126).
29 Au total, 525 Français furent ainsi embarqués sur des navires affrétés par le consul durant l’été 1791. On ne dénombre aucun commerçant, boutiquier ou commis parmi eux (AN, série AE, BIII, liasse 362).
30 Bartolomei, 2009.
31 García Fernández, 2005, p. 59.
32 Il s’agit d’Edward Smith qui fut contraint de quitter l’Espagne en 1739 (ibid., p. 60).
33 AHPC, PN, Cádiz, reg. 4537-4539.
34 AHPC, Aduana, sección Rentas Generales, lib. 44, courrier du 16 mars 1793.
35 AHN, Concejos, leg. 4175, « Real Cédula de SM y Señores del Concejo por la qual se crea, erige y autoriza un Tribunal con la denominación de Junta de Represalias » (6 juin 1793).
36 Le 16 mars 1793, le banquier parisien Jean-Louis Grenus évoque dans un courrier adressé à ses associés Godet et Ségalas de Cadix les rumeurs relatives à « un ordre qu’a donné l’Espagne pour que tous les Français établis en Espagne eussent à quitter le royaume » (Bouchary, 1943, p. 185). La nouvelle avait donc dû quitter Cadix dès la fin du mois de février.
37 AHN, Estado, leg. 555, courrier du 26 février 1793.
38 AHN, Concejos, leg. 6349, requête du 5 juin 1793.
39 Ibid.
40 AHN, Concejos, leg. 6349, requête du 21 mai 1793.
41 Il explique ainsi les motivations qui l’avaient poussé à demeurer sous la protection française en 1791 : « Hube de conformarme en su inclusión, no tuve otro objeto que el de cumplir reveremente la Real Orden de SMC que ordenó se empadronasen los extrangeros en sus respectivos consulados, con varios inconvenientos al que si no lo practicase, pero violento y sin deliberado animo de sugetarme a aquel pavellón y bandera, habiendo sido siempre mi animo vivir y morir en estos reynos como fiel vasallo de SM » (AHPC, PN, Cadix, reg. 4537, fol. 1170, pouvoir général du 4 avril 1793).
42 AHN, Concejos, leg. 6341, requête du 27 juillet 1793.
43 AHN, Concejos, leg. 6349, requête du 6 août 1793.
44 AHN, Concejos, leg. 6349, requête du 22 mars 1793.
45 Au total, seuls 22 marchands français transeuntes demeurèrent à Cadix après les expulsions de 1793.
46 Les derniers documents enregistrés à la chancellerie du consulat de France à Cadix sont datés du 1er mai 1793. Mais, dans les archives notariales, on trouve la trace de testaments et de procurations enregistrés par des négociants français « sur le point de partir » jusqu’au tout début du mois d’octobre 1793.
47 AHN, Concejos, leg. 6341, courrier du 28 novembre 1794.
48 AHN, Concejos, leg. 6341.
49 AHN, Concejos, leg. 6349, requête du 5 juin 1795.
50 Voir le document 4 en annexe de cet ouvrage.
51 En 1777, Simon Pemarchand était recensé comme commis de la maison Vial et Montaut, une compagnie de la quatrième classe de la nation française. Philippe Bertera était, quant à lui, commis dans une boutique en 1777, avant de fonder un petit établissement de négoce.
52 La dernière assemblée officielle de la factorerie eut lieu en 1800, mais pendant toute la période, divers négociants travaillèrent étroitement avec le consul. C’est le cas, par exemple, de Jean-Baptiste Veillet, l’auteur d’un rapport adressé au Directoire dans le cadre des enquêtes réalisées en vue de la signature d’un traité de commerce avec l’Espagne (AN, AF III, dossier 252, lettre de Jean-Baptiste Veillet [non datée]). Les gérants de la maison Rivet contribuèrent également à cette enquête, comme en attestent divers courriers conservés dans leurs papiers (ACCIM, Fonds Rivet, LXIX-58, liasse 2, dossier 2).
53 AHMC, sección Padrones, lib. 6973, 6974, 6975, « Juramientos de fidelidad de los nacionales franceses y otras naciones agregadas » (1808).
54 APR, reg. 205, « libro 1 de entierros » (1787-1799), reg. 232-233, « libros 1 y 2 de casamientos » (1789-1822).
55 Il s’agit des compagnies Delotz père et fils (1803), Magon Lefer frères et Cie (1804), Guillaume Tanto et frères (1805), Mavit et Poque (1806), Raynaud et Sieurac (1808), et Pierre Lagarde et Cie (1808), et des négociants Jean-Baptiste Cours (1796), Joseph Casabona (1796), Paul Lallée (1796), Jean-Baptiste de Espeleta (1797), Jean Lasserre (1797), Joseph François (1800) et Jean-Pierre Lacomme (1800).
56 CADN, Cadix, 136PO/244, fol. 148, procuration, 22 octobre 1797.
57 AGI, Consulados, leg. 1757, 12 mai 1806.
58 AHPC, PN, Cadix, reg. 4580, fol. 870, procuration, 11 juillet 1808.
59 CADN, Cadix, 136PO/249, fol. 140, enregistrement d’une procuration passée à Bayonne le 9 avril 1807, 27 avril 1807.
60 AHPC, PN, Cadix, reg. 940, fol. 118, testament fait en vertu de pouvoir, 6 mars 1800.
61 CADN, Cadix, 136PO/248, fol. 129, procuration, 10 avril 1804.
62 Le 14 août 1806, Antoine Taxil et Laurent Garat octroient une procuration générale à Jean-Baptiste Alicotis, « négociant français résidant en cette ville […] pour les représenter dans toutes les affaires qu’ils laissent en suspens dans ce pays soit pour compte de leur raison sociale soit pour celui de chacun d’eux individuellement » (CADN, Cadix, 136PO/249, fol. 44).
63 Voir infra.
64 CADN, Cadix, 136PO/404, lettre de Louis Dastis à Jean-Joseph Leydet, 18 juin 1804.
65 AN, AE BIII, 345, « Mémoire de Bruno Lafitte, négociant de Bordeaux actuellement à Cadix à Monsieur Leroy, commissaire général de l’Empire français à Cadix » (16 octobre 1805).
66 ADR, Fonds Guérin, 4 J 384, courrier de Guillaume Rey, 12 février 1808.
67 AHPC, PN, Cadix, 4580-308, contrat de compagnie, 27 février 1808.
68 CADN, Cadix, 136PO/249, fol. 263, enregistrement d’une procuration, 23 mai 1808.
69 AHPC, PN, Cadix, reg. 4580, fol. 50, contrat de compagnie, 18 janvier 1808.
70 Castro, Historia de Cádiz y su provincia, pp. 581 sqq.
71 Alcalá Galiano, Recuerdos de un anciano, p. 126.
72 Castro, Historia de Cádiz y su provincia, pp. 581, 592 et 599.
73 Dans une correspondance datée de 1816, Augustin Proharam, qui avait été chargé de la surveillance de la maison consulaire après la fuite du consul Leroy le 28 mai 1808, rapporte cependant que la destruction des archives eut lieu lors d’une seconde attaque du consulat qui se serait produite en février 1809. C’est alors que les archives du consulat furent déplacées dans des magasins « humides et infestés de nuisibles, situés au dehors du rempart » et qu’elles furent donc en partie détruites (AMAE, Cadix, CCC, reg. 99, courrier du 1er juillet 1816).
74 Deux commissions furent créées en 1809 pour indemniser les victimes françaises de l’insurrection espagnole : l’une à Bayonne pour indemniser les citoyens français vivant en France, l’autre à Madrid pour indemniser ceux qui vivaient en Espagne au moment des événements. Les archives de la première sont conservées à Paris aux Archives nationales ; en revanche, nous ne sommes pas parvenus à localiser les fonds de la commission madrilène.
75 AN, F 12, carton 1831, affaire no 11, 1er mai 1809.
76 Diario mercantil de Cádiz, 1er juin 1808.
77 AHPC, PN, Cadix, reg. 4580, fol. 695, 2 juin 1808 et reg. 2615, fol. 303, 4 juin 1808.
78 Ainsi, dans l’étude no 19 (AHPC, PN, Cadix, reg. 4580), nous avons relevé les exemples suivants : Antoine Superviela (30 mai 1808), Bernard Lacosta (2 juin 1808), François Demeure (4 juin 1808), Guillaume Rey (4 juin 1808), Jean Batsale (7 juin 1808), Jean Barbier (10 juin 1808), Prudent Delaville et Joseph Villart (tous deux le 14 juin 1808).
79 Sur les 23 marchands « français » recensés au cours de cette enquête, 4 déclarèrent n’être pas « français » (les 2 Suisses Louis Chastellain et François Demellet et 2 naturalisés espagnols qui présentèrent leurs cartas de naturaleza, Jean-Baptiste Lemoine et Pierre Bonnecase), 6 prétendirent avoir déjà prêté le serment, et 13 furent déclarés « absents » (AHPC, Gobierno Civil, ca. 3, exp. 11, « Listas de los individuos franceses et de las otras naciones que le son agregadas que no se han presentado al juramiento de fidelidad », 26 octobre 1808).
80 AHMC, ca. 6674, exp. 1, édit de la Junta Suprema du 7 juin 1808.
81 La liste des marchands français figurant dans ce recensement a été reproduite en annexe de cet ouvrage, liste 4.
82 AHPC, Cadix, Gobierno Civil, ca. 4, exp. 7, « Notas remitidas por los comisarios de Barrios, expresivas de los naturales franceses quedados en esta ciudad, con distinción de su domicilio », 21 mars 1809. La liste des marchands français figurant dans ces documents a été reproduite de cet ouvrage, liste 5.
83 AMAE, CADIX, CCC, reg. 99, courrier d’Augustin Proharam du 1er juillet 1816.
84 AHPC, PN, Cadix, reg. 4581, fol. [illisible], procuration de Jean-Pierre Descoubet (10 décembre 1808), et reg. 4581, fol. 1546, procuration de Pierre Bonnecase (13 décembre 1808).
85 CADN, Cadix, 136PO/251, fol. 77, enregistrement d’un courrier de Jean-Pierre Lapadu au consul de France à Cadix, 26 octobre 1819.
86 CADN, Cadix, 136PO/252, fol. 172, enregistrement d’un courrier, 8 mai 1825.
87 CADN, Cadix, 136PO/251, fol. [illisible], enregistrement d’une quittance, 16 novembre 1818.
88 CADN, Cadix, 136PO/252, fol. 37, enregistrement d’une déclaration, 2 avril 1822. La totalité de ce récit a été éditée dans Bartolomei, 2009, pp. 187-188.
89 Ibid., p. 178.
90 On sait que, lors de la retraite du mois d’août 1812, les Français qui résidaient au Puerto de Santa María, dans la zone occupée par l’armée française, furent à leur tour déportés sur les pontons (voir infra).
91 AMAE, CADIX, CCC, reg. 99, courriers d’Augustin Proharam des 1er et 3 juillet 1816.
92 AHN, Estado, leg. 31 C, courrier du 25 mars 1809.
93 AHN, Estado, leg. 31 C, courrier du marquis de Villellonde à Martin de Garay, 7 janvier 1809.
94 En 1812, Véronique Dudoy et Jean-Zacharie Roger, la veuve et le fils aîné du négociant français Ferdinand Roger, tous deux sortis de Cadix en 1811 et réfugiés à Barcus (Basses-Pyrénées), écrivent au ministre du Commerce pour obtenir l’autorisation d’introduire en France les denrées coloniales qu’ils ont laissées à Cadix, entre les mains d’un dépositaire, lors de leur départ précipité (226 surons d’indigo, 85 de cochenille, 2 526 livres de quinquina et 5 500 cuirs de Buenos Aires). Ils font valoir qu’il s’agit là de leur seul bien (AN, F 1894, dossier no 21, 24 mars 1812). Jean-Marc Louis Gros, pour sa part, est contraint de signer, en 1826, une reconnaissance de dette pour la somme de 19 025 francs qu’il a reçue, alors qu’il était réfugié à Bayonne avec sa mère et ses sœurs « pour cause de la guerre d’Espagne », des mains de Joseph Lalanne, directeur des diligences de la ville (CADN, Cadix, 136PO/252, fol. 245, obligation, 30 décembre 1826).
95 Les frères Lapadu, Joseph-François Lieutaud et Antoine-Vincent Labraque, qui y mourut en 1812, vécurent à Tanger pendant cette période.
96 AGI, Indeferente General, leg. 1536, 21 mars 1811.
97 AHPC, PN, Cadix, reg. 4581, fol. 1020, obligation, 26 août 1808.
98 Dans le certificat de vie qu’il fait dresser en avril 1810, il se définit comme « négociant de Cadix, résidant actuellement à Chiclana » (CADN, Cadix, 136PO/269).
99 Antonio Guillet fait dresser un certificat de vie le 7 mai 1811 au Puerto de Santa María (ibid.).
100 C’est le cas d’André Darhan (CADN, Cadix, 136PO/99, courrier du 23 novembre 1811) et de Jean-Antoine Campagne (CADN, Cadix, 136PO/99, courrier du 28 octobre 1811).
101 Muñoz de Bustillo Romero, 1991, index prosopographique.
102 Joseph Goin et Martel avait vendu, en 1811, 157 bœufs à l’armée française pour 115 395 reales de vellón (CADN, Cadix, 136PO/250, fol. 79, enregistrement d’une pièce, 3 novembre 1817). Jean-Charles Haurie eut de telles difficultés à recouvrer le montant des fournitures qu’il avait procurées à l’armée française qu’il fit faillite en 1815 (Lignon-Darmaillac, 2004, p. 230).
103 Dans les registres du consulat de France consultés à Nantes ont été relevées les mentions des individus suivants : Jean-Louis Castera, André Lacassaigne, Pierre Ducourneau, Pierre Bordenave, Jean-Pierre Casaux, Luc Séré, Bernard Mendisco, Léonard Mallet, Grégoire Lafforé, Emmanuel Lacoste, Arnaud Labat, Dominique Guillet et Jean-Baptiste Bourt (CADN, Cadix, 136PO/99 et 269). D’autres sources révèlent que Bernard Magon, Pierre Valié et Philippe Seignor étaient également présents en Andalousie à l’époque (voir infra), ainsi que Jean Sorhaits et Pierre Lesca qui octroyèrent des testaments à Puerto Real et au Puerto de Santa María durant la guerre (AHPC, PN, Puerto Real, reg. 209, fol. 20, 15 novembre 1811 et AHPC, PN, El Puerto de Santa María, reg. 865, fol. 649, 5 octobre 1808).
104 CADN, Cadix, 136PO/99, courriers des 28 octobre 1811 et 29 février 1812.
105 Le 29 octobre 1811, 100 000 reales de vellón sont remis à l’agent consulaire de Chiclana de la Frontera pour qu’il pourvoie à l’entretien des réfugiés (CADN, Cadix, 136PO/99, courrier du 29 octobre 1811). Peu de temps après, le consul de France écrit à l’agent consulaire de Chiclana de la Frontera pour lui indiquer qu’il tient à la disposition de Bernard Mendisco, Léonard Mallet et Luc Séré, 2 500, 1 600 et 2 500 reales de vellón (CADN, Cadix, 136PO/99, courrier du 13 novembre 1811).
106 Un « État général des prises conduites par divers corsaires français dans les ports de l’arrondissement de ce consulat depuis le 2 novembre 1810 », dressé par le consul durant l’été 1811, permet d’identifier nommément 9 navires corsaires français et de dénombrer les 31 prises – d’une valeur globale estimée à 3 368 000 francs – dont ils s’étaient emparés au cours des 7 mois écoulés (CADN, Cadix, 136PO/379-380, 30 juin 1811).
107 En 1816, Joseph Cassé rapporte dans une déclaration enregistrée à la chancellerie du consulat que, le 24 août 1812, « lors de l’évacuation des troupes françaises de cette ville [Rota], […] je fus de suite arrêté et mis en prison, et mes biens séquestrés, au surplus il est à ma connaissance que la chambre louée par ledit sieur Bartolome Arnaud fut forcée et saccagée par la force majeure et ils s’emparèrent de tout ce qu’il y avait sans qu’on ait pu savoir par qui le pillage fut commis » (CADN, Cadix, 136PO/397-398, déclaration de Joseph Cassé, 29 avril 1816).
108 AHPC, PN, Cadix, reg. 4587, fol. 1538, obligation, 21 octobre 1812.
109 Les auteurs de la déposition sont Simon et Pierre Muchada, Julien Mondière, Bernard Liné, Jean-Baptiste Lemoine, Román Larrue et Pierre Ducourneau (CADN, Cadix, 136PO/250, fol. 50, acte de notoriété, 3 janvier 1819).
110 CADN, Cadix, 136PO/251, fol. 128, déclaration, 25 septembre 1820.
111 Entre les mois de juin 1812 – date de l’évacuation de l’Andalousie par les troupes françaises – et juin 1816 – date de l’arrivée de Vins de Peysac à Cadix –, le ministère ne reçut plus aucun courrier d’un agent consulaire officiellement en poste à Cadix (AMAE, Cadix, CCC, reg. 99).
112 AMAE, Cadix, CCC, reg. 99, courrier du 19 juillet 1816.
113 Il octroie un testament à Cadix le 14 avril (AHPC, PN, Cadix, reg. 5212, fol. 92).
114 AHPC, PN, Cadix, testament, reg. 5398, fol. 990.
115 AHPC, PN, Cadix, procuration, reg. 4591, fol. 788.
116 AHPC, PN, Cadix, procuration, reg. 4591, fol. 1160.
117 François Demeure, Jacques Eymar, Bernard Lacosta, Jean-Joseph Lenormand, Jean-Nicolas Brunet, Bernard Andrés et Josef Darhan, Bernard Liné, Étienne et Louis Marchand, Pierre Hourcade, Pierre Abric, Jean Laborda, Abraham Lapadu, Guillaume Rey…
118 Guía General de Forasteros en Cádiz para el año de 1816. Les noms des établissements français ont été tirés des 2 listes intitulées « Individuos que componen la Universidad de Corredores de Lonja » et « Noticia de los Comerciantes y otros individuos que se ocupan en el ramo mercantil de esta Plaza ». À première vue, cette dernière liste réunit les banquiers, les négociants, les assureurs, les armateurs et les marchands en gros, et n’intègre pas les marchands détaillants.
119 Voir la liste 6 en annexe de cet ouvrage.
120 Sur les 50 immatriculations de marchands relevées entre 1821 et 1830, 30 correspondent à l’immatriculation d’individus récemment arrivés, 16 à l’immatriculation de fils de marchands français nés à Cadix mais ayant décidé de se placer sous la protection du consulat, et 4 à des renouvellements d’immatriculation de marchands français installés depuis longtemps (CADN, Cadix, 136PO/262).
121 Parmi les anciens négociants, retenons notamment les noms de Guillaume Rey, Jean-Pierre Lapadu, Pierre Ducourneau et Pierre Abric, et, parmi ceux arrivés après 1815, les noms d’Antoine Sicre, Joseph Hourcade, Étienne Brouquise, Paul Archinard et Étienne Boisson (AMAE, Cadix, CCC, reg. 100, courrier du 5 mars 1820).
122 La pétition est signée par Pierre Abric, Pierre Carrère, Étienne Boisson, Dominique Lagarde, Bernard Badel, Antoine Sicre, Jean Buisson, Auguste Conte, Desolme aîné, Laurent Salet, J. M. Monnard et Dameasille (sic) (CADN, Cadix, 136PO/397-398, courrier du 5 janvier 1824).
123 Voir le document 5 en annexe de cet ouvrage.
124 CADN, Cadix, 136PO/397-398, courrier du 1er mars 1826.
125 Voir la liste 7 en annexe de cet ouvrage.
126 Voir les listes 8, 9 et 10 en annexe de cet ouvrage.
127 Il s’agit de Pierre Lestelle, Joseph Elizague, Jean-Antoine Campagne et Pierre Lacave qui déclarent tous être arrivés en Espagne entre 1796 et 1808.
128 Ces 9 individus sont Fabien Biarrote, Félix et Hilaire Bourt, Clément et Bernard Darhan, Claude Eymar, Jacques Rances, Bernard Badel et Jean-Joseph Campagne.
129 Il s’agit de Pierre Abric, présent à Cadix depuis 1783, et de Pierre-Vincent Ducasse, présent depuis 1802.
130 Voir infra.
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