Chapitre v
Les « Pygmées » entrent en politique
La bataille madrilène de 1880
p. 65-79
Texte intégral
1« Les Pygmées que nous sommes contre les puissantes entreprises1 » : l’image est datée, liée à la découverte, quelques années plus tôt, des Pygmées du Gabon par Paul Belloni Du Chaillu. L’explorateur les a révélés au monde dans un livre sur l’Afrique équatoriale paru à Londres en 18672. Plus de dix ans après, la référence ne s’est pas érodée, bien au contraire, portée par des ouvrages de vulgarisation, des représentations iconographiques et la fascination, alors à son sommet, pour l’Afrique mystérieuse. Au demeurant, l’image de disproportion de taille traduit bien l’état d’esprit des populations victimes des fumées au moment où elles s’engagent sur un nouveau front, extérieur à la zone affectée et même à la province, celui du Parlement, à Madrid. C’est un vrai changement. Jusqu’à la fin de 1879, les pollutions environnementales de la zone minière n’ont eu pratiquement aucun écho national en dehors des sphères, très réduites, des ingénieurs d’État et de l’administration centrale de Fomento. Il n’y a aucune raison pour que cela change puisque la commission ad hoc nommée en 1877 a proposé une solution destinée, officiellement à harmoniser tous les intérêts, en fait à pérenniser les calcinations moyennant des indemnisations limitées. Certes, le système d’expropriations partielles proposé implique un processus législatif, mais celui-ci est engagé rondement : dès le 14 novembre 1879, un décret autorise le ministre à présenter le projet de loi correspondant. Deux mois plus tard, le 14 janvier 1880, la commission du Congrès émet un avis favorable, les députés approuvent aussitôt et le texte est transmis au Sénat le 28 du même mois. La commission du Sénat émet un avis conforme sur le fond, mais demande au ministre des éclaircissements qui ne viendront pas avant la fin de la législature. À partir de ce moment, la mécanique législative s’enlise : le projet ne sera plus présenté et disparaît dans les limbes parlementaires.
2Quelques années après, à la veille des événements de février 1888, un ingénieur des Mines, ardent partisan des calcinations, affirme en public que le projet avait fait consensus entre les villages et les compagnies et que sa simple existence avait engendré un climat favorable au règlement amiable des problèmes. Comme si, par miracle, le vote d’une loi était devenu inutile. C’est beau comme l’antique, mais cette vision irénique vise surtout à masquer un problème simple : pourquoi ce blocage d’un texte jugé quelques mois plus tôt fondamental pour les finances publiques et l’économie régionale ? La réponse donnée par une spécialiste de la politique régionale est le changement de majorité, avec l’accession au pouvoir, à compter de février 1881, d’une majorité libérale attentive aux intérêts des compagnies3. L’hypothèse paraît logique, mais elle est un peu courte : c’est Rio Tinto qui avait suggéré la solution de l’expropriation, contre laquelle aucune compagnie ne s’est ensuite élevée, et surtout le projet est bloqué dès le début de l’année 1880, bien avant le changement de situation politique.
3El Alosno en avait, la première, appelé au pouvoir dès 1877, mais la commune avait respecté la voie normale, hiérarchique, en s’adressant à la superior autoridad, le gouverneur. En 1878, un nombre élargi de notables municipaux s’était exprimé, mais leur document, long et argumenté, relevait de la requête traditionnelle adressée au pouvoir central. À chaque étape, les municipalités ont été les porte-parole de communautés villageoises menacées dans leurs activités rurales et atteintes dans leur vie quotidienne. Sous ces deux aspects, ce qui se passe au début de 1880 prolonge le mouvement précédent. En revanche, deux éléments nouveaux se font jour. Le premier est la mobilisation, par les notables eux-mêmes, de toute la société rurale, contre un projet jugé mortel pour l’agriculture et la vie locale. El Alosno avait déjà révélé le mécontentement des milieux populaires. L’hiver 1880 lui donne une visibilité nouvelle et forte. L’autre fait nouveau, paradoxal compte tenu du précédent, est que l’essentiel ne se passe plus dans le cadre local, ni même provincial, mais à Madrid où est envoyée une représentation des victimes des fumées. Ces quelques semaines de lobbying temporaire mais intense aux Cortes, auprès des parlementaires de la province, pour obtenir la modification d’un projet de loi, sont un phénomène transgressif radicalement nouveau : des villageois dans les couloirs des Cortes ! L’épisode est si inouï qu’il en est presque impensable et que même, dans l’esprit des pouvoirs, il aurait dû ne pas avoir lieu. L’épisode est bref, moins de trois mois, mais il est lourd de conséquences. Née à El Alosno trois ans plus tôt, l’affaire des « calcinations de Huelva » ou des « fumées de Huelva », expressions désormais en usage dans la capitale pour désigner ce problème de pollution lointain, acquiert, pour de nombreuses années, une dimension nationale et surtout, comme à Alosno trois ans plus tôt, le moment est fondateur. Toute une société rurale de l’intérieur d’une province reculée aura un temps la volonté et l’illusion — au sens espagnol du mot, chargé d’espoir — de faire changer la décision publique, de faire changer la loi. Non pas une société contre l’État, mais une société en attente d’autre chose de l’État, en attente d’un autre État. Un combat perdu, ignoré, mais exceptionnel.
I. — Le combat de toute une société rurale, dans un cadre clientéliste
4La protestation contre le projet de loi rendant les calcinations « d’utilité publique » et faisant d’elles un motif légal d’expropriation s’exprime d’abord dans un cadre strictement local : début janvier 1880, une manifestation contre les fumées et contre la loi provoque le mécontentement du ministre de l’Intérieur, Romero Robledo. Celui-ci est pourtant sensible au problème, la manifestation est pacifique, mais le ministre n’apprécie pas l’atteinte à l’ordre public4. À la fin du mois, la forme et le cadre d’action changent radicalement : alors que le projet de loi achève de franchir l’étape des Cortes, une Comisión humista est envoyée à Madrid5. Son existence et son action nous sont connues par la correspondance échangée entre les deux principaux animateurs de l’opération, le cacique de Zalamea, José Lorenzo Serrano Lancha, resté au village, et son gendre, José María Ordóñez Rincón, âgé de 23 ans seulement et principal responsable de la commission à Madrid6. Tous les deux sont grands propriétaires fonciers, l’un à Zalamea, l’autre à La Higuera, village situé aux confins des provinces de Huelva et de Séville. C’est l’illustration parfaite de cet entre-soi de rigueur dans les stratégies d’alliances matrimoniales. Le beau-père pilote l’opération depuis Zalamea, en prodiguant ses conseils, pour ne pas dire ses instructions, à son gendre, sur la stratégie à adopter et les interlocuteurs à rencontrer. Les lettres émanent presque toutes de Serrano Lancha, selon un rythme pluri-hebdomadaire7. La source est exceptionnelle, par sa nature comme par sa richesse, mais elle est lacunaire et peut créer une fausse perspective en faisant ressortir à l’excès le rôle de deux membres d’une même famille, entretenant des liens quasi filiaux, d’autant plus qu’elle est l’unique source d’informations sur la commission. Heureusement, les lettres du beau-père sont accompagnées parfois d’autre correspondance et plusieurs courriers sont adressés directement par d’autres interlocuteurs, notamment des députés. Enfin, le contenu même des lettres donne des informations nourries aussi bien sur les relations entre la commission et les villages affectés que sur le sens même de sa mission à Madrid.
5Localement, l’enracinement de l’initiative est plus large qu’on ne pourrait le croire. Tout d’abord, elle n’émane pas d’une seule famille, mais d’un groupe de notables qui se connaissent et sont familiers de la vie politique, au moins locale. Plusieurs d’entre eux font part de leur position personnelle à l’émissaire madrilène, soit à travers José Lorenzo Serrano Lancha, soit directement. Les réseaux de solidarités ou d’affinités jouent à plein, avec leurs corollaires de rejet, au moins latent : toute initiative est affirmation d’un pouvoir, d’une prééminence acceptée ou rejetée. L’heure n’est pas encore aux divisions affichées et toute parole négative disqualifierait son auteur devant l’opinion locale, mais certains courriers font allusion à des divergences ou des rancœurs qui ne s’expriment pas ouvertement. D’autre part, la mobilisation géographique va très au-delà de Zalamea et fait peu à peu tache d’huile : le 14 février, un notable local adresse à Ordóñez Rincón une pétition d’appui signée par vingt-deux mairies, alors que, quelques jours avant, un autre correspondant de Ordóñez Rincón en espérait au mieux de quinze à dix-huit8. Par comparaison, le mémoire de 1878 n’avait réuni que neuf municipalités. La démarche intéresse enfin très au-delà des élites villageoises. L’un des correspondants d’Ordóñez Rincón, Manuel Carvajal, rend compte ainsi du climat local :
Il est frappant de voir comment, à l’heure d’arrivée du courrier, tant de personnes se rassemblent devant la mairie pour demander et savoir si vous avez écrit ou non, et même si le contenu des lettres n’est porteur d’aucun résultat concret, ils s’en vont tous remplis d’enthousiasme et contents déjà des espérances qu’elles laissent transparaître ou du fait de la satisfaction et de l’orgueil d’avoir vu si juste dans la nomination de la commission, avec le seul regret de ne pas l’avoir envoyée avant9.
6Le correspondant souhaite certes encourager les membres de la commission, à qui pèse leur éloignement du village, mais enjoliver n’est pas son style, puisqu’il ajoute aussitôt : « Basta de flores ». Il traduit en fait à la fois l’adhésion populaire à l’envoi d’une commission et l’ampleur des attentes, avec les risques inhérents aux déceptions éventuelles. Ce mouvement est soutenu par une stratégie de mobilisation la plus large possible, d’autant plus aisée à mettre en œuvre que les fumées n’épargnent personne.
7L’expression la plus visible de ce parti pris est la transparence de l’information, par des courriers destinés à être rendus publics, ce qui n’exclut pas des lettres plus personnelles, à travers aussi des débats publics dans les mairies, notamment celle de Zalamea. Au-delà même de la volonté de communication, le plus important est la prise en compte effective des intérêts de tous, très clairement formulée dans le viatique argumentaire fourni par son beau-père à José María Ordóñez Rincón :
Les deux arguments principaux que vous devez utiliser pour combattre le projet sont : premièrement, le caractère passager des résultats des entreprises minières en comparaison avec ceux de la richesse territoriale et, en deuxième lieu, l’impossibilité d’indemniser des villages entiers, surtout lorsqu’il s’agit de petits propriétaires et par-dessus tout, ce que vous devez obtenir est que les réclamations sur les dommages s’effectuent par voie administrative : les laisser à la voie judiciaire serait comme laisser les entreprises leur donner l’aumône qu’elles voudraient compte tenu de l’incapacité financière des petits propriétaires et colons à réclamer par cette dernière voie10.
8Les petites gens — petits propriétaires ou exploitants temporaires — sont l’argument de base pour promouvoir une loi substituant la voie administrative à la voie judiciaire pour les indemnisations. José Lorenzo Serrano ne variera jamais sur ce point. Alors que, dès la fin février, la majorité du conseil municipal paraît prête à s’y rallier — ou à s’y résigner —, José Lorenzo Serrano continue à s’opposer fermement à l’option judiciaire, en expliquant que les petits propriétaires ne pourront en aucun cas assumer une procédure longue et coûteuse et qu’il est préférable d’appuyer l’établissement d’une voie administrative de règlement des dommages accessible à tous : les plaintes pourront ainsi se multiplier et les entreprises, confrontées à un coût croissant des indemnisations, seront amenées à réduire les calcinations11.
9Cette divergence de position au sein même du milieu des notables va très au-delà d’une simple affaire d’opinion : elle traduit tout ce qui sépare deux statuts, celui de simple propriétaire, même important, et celui de patron. Le gros propriétaire ne défend que ses intérêts personnels, il a les moyens d’aller en justice et de soutenir une action de plusieurs années, avec une possibilité de succès illustrée par le cas Rebollo une douzaine d’années plus tôt. José Lorenzo Serrano est l’un de ces propriétaires, mais il est aussi beaucoup plus que cela : il se comporte en défenseur des intérêts de tous, y compris des plus modestes, de loin les plus nombreux, même si l’absence de toute étude des structures de propriété et d’exploitation empêche de le vérifier12. On peut estimer que cela relève de la compétence et de la mission de la mairie, sur laquelle il pèse tant, de défendre le territoire communal et les intérêts de ses habitants. En fait, c’est très probablement l’expression d’une relation plus profonde, celle d’un « patron », au sens anthropologique du terme. Selon une acception bien connue dans le monde méditerranéen, et tout particulièrement en Andalousie, le patron se trouve au centre d’un réseau d’obligés dont il se doit de défendre les intérêts autant qu’ils doivent le soutenir. Dans cette perspective, sa fonction de maire est moins une responsabilité au service de l’intérêt général qu’un outil de fortification et de service d’un réseau préexistant. Nous sommes ici au cœur du caciquisme de la Restauration, un système politique fondé sur son enracinement dans des pouvoirs de fait. Comme l’a souligné María Antonia Peña, le système n’est pas encore parfaitement constitué, notamment parce que les appartenances partisanes ne sont pas encore figées dans le cadre d’un bipartisme conservateurs/libéraux, mais les bases socioéconomiques sont là13. Cette situation locale donne un éclairage particulier à l’envoi d’une commission à Madrid. Outre ses objectifs affichés, elle remplit deux fonctions locales : conforter une assise sur des petits propriétaires ou de simples fermiers, affaiblis, souvent ruinés et parfois désespérés, construire ou affirmer une prééminence sur des propriétaires plus importants invités à s’unir à l’initiative. Les rancœurs latentes ne sont sans doute pas autre chose que le rejet d’un leadership, mais elles ne peuvent s’exprimer tant que l’opération est porteuse d’espoirs et surtout en l’absence de proposition alternative : démobiliser serait trahir et on ne mobilise pas sur l’inertie.
10Politiquement, l’opération apparaît à la fois hasardeuse, logique, et même urgente. Hasardeuse parce qu’il s’agit d’obtenir des modifications profondes à un projet de loi issu de son propre camp, celui des conservateurs. Logique parce que le travail de la commission nommée en 1877 a été détourné de son objectif initial de défense des populations locales. Urgente parce que l’accès au pouvoir d’une majorité libérale, encore plus sensible aux intérêts des compagnies minières, enterrerait tous les espoirs d’une solution législative.
11Les émissaires des villages miniers se trouvent donc dans une situation délicate. Ils ne sont nullement invités à Madrid, ni même attendus. Certes, à la différence de représentants des couches populaires, ils ont les moyens de leur séjour, et même d’un séjour prolongé : aucune lettre n’évoque la moindre difficulté matérielle. Mais ils n’ont d’accès, direct ou indirect, ni à la haute administration ni au pouvoir d’État : venus défendre les intérêts d’une vingtaine de villages étouffés et ruinés par les fumées, ils ne rencontreront aucun ministre, aucun directeur d’administration, aucun ingénieur, même si, pour ces derniers, on peut penser qu’ils auraient plutôt cherché à les éviter. Leurs seuls interlocuteurs sont les représentants de la province aux Cortes et au Sénat. Dès sa première lettre à son gendre, Serrano donne ses appréciations et suggère un mode d’emploi. Rien à attendre de deux sénateurs, Pinzón et Gómez14. Parmi les quatre députés, tous conservateurs, deux noms à retenir, d’abord celui de Miguel Tenorio de Castilla. Élu d’une circonscription extérieure à la zone minière, il est d’abord classé dans le camp des adversaires. Lorenzo rapporte que, lors du débat aux Cortes, il a déclaré : « L’activité minière est supérieure ici à l’agriculture et doit donc être traitée de manière préférentielle15. » Cette prise de position aurait été décisive pour l’adoption du projet. Une semaine plus tard, léger changement de ton : en dépit de son discours, Tenorio aurait fait tout son possible pour l’améliorer. Serrano laisse donc à son gendre le soin d’apprécier l’opportunité d’une visite16.
12Le seul député initialement perçu comme utile est Manuel Martín de Oliva, élu du district de Valverde, donc de la zone minière. Lorenzo Serrano est sûr qu’il « fera tout son possible17 ». Derrière cette assurance, sans doute une vraie connaissance des problèmes et une sensibilité certaine aux difficultés de la population, mais aussi des relations personnelles avec Serrano Lancha, que le député traite avec les plus grands égards. Dès réception d’un courrier du notable de Zalamea lui demandant d’intervenir pour une nomination comme secrétaire du tribunal local, il répond avec empressement, termine sa réponse par une formule témoignant d’une proximité, réelle ou recherchée18. Tout se passe comme si, à ce moment de sa carrière, le député était encore dépendant du réseau du cacique local. C’est sans doute un appui précieux, mais au départ, c’est manifestement le seul. Ordóñez Rincón possède assez d’entregent pour rencontrer et gagner officiellement à sa cause l’ensemble des élus nationaux de Huelva : dès le 8 février, José Lorenzo Serrano enregistre avec plaisir l’appui officiel de tous les députés et sénateurs de la province. Il ne faut pas se leurrer : ces nouveaux soutiens, qui doivent sans doute beaucoup au poids local du beau-père et déjà du gendre, sont de pure forme : dans les faits, Oliva demeure la seule voie d’entrée vers les assemblées et le gouvernement.
13La commission desserre donc quelque peu l’étau d’indifférence ou même d’hostilité à son égard, mais le climat reste difficile. La mobilisation a retenu l’attention de quelques journaux locaux, au point que la municipalité de El Alosno décide de s’abonner à deux d’entre eux, La Patria et El Conservador, « en considération de leur brillante défense des intérêts des villages dans la question des fumées19 ». En revanche, la presse nationale ignore le problème des calcinations. Dès le début du mois de février, José Lorenzo Serrano appelle à agir dans cette direction20. Manifestement en vain : quinze jours plus tard, Manuel Carvajal s’étrangle d’indignation devant l’indifférence des journaux : « Pourquoi la presse est-elle restée muette ? Ne conviendrait-il pas qu’elle s’emploie sans relâche à alimenter le feu et à vous aider21 ? »
14L’environnement n’est pas seulement indifférent, il est aussi hostile, notamment un pouvoir central fort mécontent de voir perturbé un processus qu’il a lui-même lancé et suspecté d’user des moyens les plus divers pour entraver le fonctionnement de la commission. Ainsi, Serrano va jusqu’à douter des conditions de transmission du courrier : des lettres sont-elles interceptées par le pouvoir pour être lues ou même éliminées ? Les anomalies deviennent telles que, à la fin du mois de février, il prend contact avec un prêtre qui peut avoir ses entrées à l’administration des Postes et convient d’un code avec son gendre pour vérifier la ponctualité des remises de lettres22. Les méthodes utilisées quelques années plus tard, au moment de la grande crise des fumées, montreront que cette crainte ne relève nullement d’une quelconque paranoïa. Serrano est d’ailleurs trop au fait des réalités du contrôle politique pour entretenir des illusions ou nourrir des fantasmes. En revanche, c’est un provincial, un Andalou par toutes ses fibres. Trois jours de fermeture des bureaux à Madrid sont pour lui l’occasion de laisser éclater son rejet de la société de la capitale :
Effectivement, la question des fumées n’aura avancé en rien au cours des trois derniers jours, mais en revanche tu auras pu te consacrer là-bas à voir cette ville, parce que, effectivement, on ne peut voir autre chose durant ces journées pendant lesquelles tout est fermé au public. Je ne doute pas que tu tireras beaucoup d’enseignements des personnes et des choses qu’on trouve là-bas, ou pour mieux dire dans cette société corrompue, mais si tu crois que tes attentes pourraient être comblées dans une autre situation, tu te trompes, parce qu’il faudrait pour cela régénérer le peuple espagnol23.
15Derrière l’anathème, une opposition implicite mais évidente, entre la corruption madrilène et la moralité de la société rurale andalouse. Le parti pris peut faire sourire, comme si le clientélisme corrigeait avec bonheur les inégalités multiples au sein des campagnes, comme si le cacique andalou pouvait être lu comme un précurseur de Joaquín Costa24. L’important est en fait ce dont il témoigne en creux, un attachement sans nuances à la société rurale qui lui est familière et dont il connaît tous les ressorts avec deux implications concrètes : cette société doit être protégée, sauvée, et c’est en elle que sont les forces vives du combat.
II. — L’effeuillage des illusions
16La commission ne part pas à Madrid la fleur au fusil pour exiger et obtenir l’arrêt des calcinations. Comme l’écrit Manuel Carvajal, ils savent très bien qu’ils ne sont que des « Pygmées […] contre les puissantes entreprises ». Les objectifs se situent dans le cadre du projet de loi et sont doubles : d’une part, obtenir le vote de la loi pour faire sortir le processus d’indemnisation de la voie judiciaire, longue, coûteuse et parfaitement contrôlée par les compagnies25, d’autre part, améliorer le contenu de la loi, très insuffisante sinon inacceptable en l’état.
17Les modifications doivent porter sur les points suivants :
- l’unification des zones 1 et 2 qui doivent bénéficier des mêmes conditions d’expropriation ;
- une amélioration des règles d’indemnisation, incluant notamment une majoration de 20 % de la valeur du bien, conformément à la loi minière, et non de 5 % comme le prévoit le projet, et, dans l’attente du transfert de propriété, une meilleure prise en compte des récoltes perdues. Cette revendication met en lumière le poids des compagnies dans la rédaction même du projet : la majoration « d’un cinquième » de la valeur du bien prévue dans la loi générale est devenu 5 % dans la loi spécifique sur les calcinations. Le maintien du chiffre 5 est le paravent d’une mesquinerie ;
- une interdiction de toutes les fumées au-delà des zones expropriées, ce qui revient à introduire une limitation de fait des calcinations, bien plus efficace qu’un contingentement affecté aux entreprises, puisqu’elles dissimulent allègrement le niveau de leur activité26.
18D’autres observations sont formulées, notamment sur le fait que le projet ne traite pas de la question, vitale pour l’élevage, de la pollution des lieux où le bétail s’abreuve, mais ces regrets ne font pas partie du cœur du mandat de la commission27. La limitation des objectifs paraît conçue comme un gage de succès.
19L’argumentaire doit insister sur plusieurs points. Deux, exprimés dès la première lettre, le 30 janvier, ont déjà été évoqués : l’opposition entre le caractère éphémère de l’extraction minière et la permanence des revenus tirés de l’agriculture et l’impossibilité d’indemniser des villages entiers. Un courrier de début février en ajoute habilement un troisième : une distinction forte entre industrie métallurgique et extraction minière :
Il est bien d’accorder toute protection à la première parce qu’elle est d’utilité publique au sens exact du mot et qu’elle apporte de grands bénéfices à l’État. Ce n’est pas le cas de la seconde, qui en donne très peu, se nourrit de la destruction des richesses agricoles et pastorales, provoquant en outre de grands ravages de santé publique28.
20L’opposition entre minería et métallurgie est à la fois un classement, une affirmation et une rhétorique habile. Le classement est celui des calcinations comme simple complément de l’extraction. L’affirmation est que les grandes compagnies n’ont pas — ou presque pas — d’activité métallurgique in situ. L’habileté réside dans l’esprit d’ouverture à l’égard d’activités non agricoles productives pour la nation et dans le message implicitement adressé à l’État, à l’appareil politique, mais aussi aux ingénieurs : l’intérêt collectif serait de promouvoir une véritable métallurgie au lieu de défendre une extraction prédatrice. Un discours que le Corps des mines mettra des décennies à comprendre puis à faire sien.
21Une fois construite, cette ligne demeure inchangée jusqu’à la dernière décade de février. Les doutes apparaissent d’abord au sein même de la commission, envoyée à Madrid pour faire évoluer un projet que certains membres trouvent en soi inacceptable : vexatoire pour les propriétaires et insuffisant dans les indemnisations. Après le rejet des amendements demandés, le découragement est patent et Lorenzo Serrano emploie toute sa diplomatie pour inviter les émissaires des villages à prendre patience, à suivre les travaux de la future commission mixte Sénat–Cortes d’où peuvent encore sortir des modifications. Il dit comprendre leur lassitude d’être si éloignés de leurs familles, mais il ajoute que la situation de ceux qui sont restés dans les villages, sous la menace permanente des fumées, n’est pas plus enviable. Autrement dit, à chacun son fardeau29.
22Le débat se transfère aussitôt à Zalamea, où Serrano se retrouve bien seul à défendre l’acceptation malgré tout du projet initial, parce qu’il permet de sortir de la voie judiciaire, et parce que les entreprises, croulant sous les demandes d’indemnisation, devraient peu à peu s’autoréguler30. Manuel Carvajal se fait l’interprète auprès de la commission de la position contraire, finalement unanime après le ralliement de Serrano Lancha. Mieux vaut le retrait du projet si les amendements « radicaux » demandés n’y sont pas introduits. Le motif exprimé par les propriétaires est formulé de manière énigmatique : « Le statu quo est désormais terminé, par leur volonté souveraine31. » La fin du courrier n’est guère éclairante :
À l’incitation des amis présents, je vous fais savoir que nous sommes tous très satisfaits de votre action et que vous serez reçus avec plus d’enthousiasme si vous n’avez absolument rien obtenu que si vous êtes parvenus à une voie médiane qui nous laisse en lutte perpétuelle contre les entreprises. Synthèse, ou tout ou rien.
23Rien, à défaut de tout : l’histoire de la commission pourrait s’arrêter là. D’ailleurs, la correspondance beau-père–gendre s’interrompt pendant près de deux mois, signe d’un retour en Andalousie dès la fin du mois de février. L’épisode parlementaire n’est pourtant pas terminé, au moins sous forme épistolaire : à la mi-avril, Oliva reçoit d’Ordóñez Rincón un courrier lui demandant d’interpeller le gouvernement sur l’affaire des fumées alors même qu’il s’emploie par ailleurs, toujours à la demande de la population locale, à bloquer le processus législatif et que le gouvernement est prêt à envoyer de nouveau une commission scientifique. Tout cela lui paraît peu cohérent et il demande des éclaircissements à Serrano32. Sollicité par son beau-père de clarifier ses propos, Ordóñez Rincón envoie un courrier à Oliva dans lequel il s’explique très sèchement sur les trois points. L’interpellation concerne le ministère de la Justice : il doit notamment obliger les entreprises à nommer un représentant légal sur place, dont l’absence permet aux compagnies, et d’abord à Rio Tinto, d’allonger encore plus les procédures. Il n’y a plus de place pour le doute sur le blocage de la procédure législative : l’ensemble des propriétaires ont exprimé sur ce sujet un accord très explicite, transmis depuis quinze jours au député. Enfin, comme d’ailleurs le lui indiquait son beau-père dans la lettre33, il supplie le député de bloquer l’envoi d’une nouvelle commission34. La défense d’Oliva, qui clôt l’échange, reprend chacun des points. L’interpellation du ministre doit s’appuyer sur un cas concret de blocage judiciaire, qui ne lui a pas été fourni. Il confesse implicitement une forme de naïveté à propos de l’envoi d’une commission : « je croyais que cela pouvait vous convenir puisque, au cours de leur visite, ils [les membres de la commission] n’auraient pu faire moins que prendre en charge les justes plaintes de ces villages, pour la réparation des maux, déjà subis ou en cours, ce qui à mon sens servirait votre cause ». Preuve qu’il n’a rien compris à ce qui s’est passé en 1877 ou insinuation sur la réalité des dommages, de la part d’un élu déjà prêt à changer de bord ? Enfin, après avoir souligné l’importance des obstacles et la difficulté d’obtenir la moindre avancée, notamment sur le terrain minier, il termine, non sans malice, en soulignant qu’il n’aura aucune peine à obtenir le blocage du processus législatif : c’est aussi ce que veulent les compagnies35.
III. — Vers un nouveau round parlementaire ?
24Ultime bouteille à la mer ou relance de l’action ? Une lettre adressée, le 21 juin, à un député de Málaga, José Carvajal Hué. Le choix ne manque pas de pertinence. Juriste, économiste et homme d’affaires — il fut notamment cofondateur de la Caisse d’épargne de Ronda et l’un des principaux actionnaires de la Compagnie des chemins de fer andalous, à l’origine de la ligne Málaga-Ronda, José Carvajal est un ancien républicain, ministre des Finances, puis ministre d’État de la Première République à partir de juin 1873. Devenu ensuite proche de Cánovas, cet indéboulonnable élu d’Andalousie fait partie des hommes d’influence. Sa réponse montre qu’il est déjà sensibilisé au drame des populations et en décrypte parfaitement l’origine :
Je sais, par l’incident provoqué par cette affaire aux Cortes, les préjudices immenses qu’entraînent pour la richesse agricole les fameuses fumées des pyrites de Rio Tinto, et vous avez parfaitement raison de crier à l’injustice, parce que ce qui se passe là est scandaleux et même inique.
Malheureusement, on constate que l’influence financière de la compagnie anglaise vaut plus que le droit de propriété et certaines considérations importantes pour une région espagnole36.
25Il offre aussitôt ses services :
J’aurai plaisir à contribuer, par mon initiative parlementaire ou toute autre activité, à mettre un terme à un état de choses si déplorable qu’il affecte la richesse d’une partie de notre sol ainsi que la santé de ses habitants : dans l’immédiat, vous reconnaîtrez que l’on ne peut rien faire. À partir du moment où vous considérerez que mes forces comme député de la nation peuvent s’associer heureusement à tout effort dans le sens indiqué, disposez de moi comme il vous plaira, car ce qui se passe est désormais un véritable cas de conscience37.
26Peut-être les liens du député avec les Chemins de fer andalous le rendent-ils particulièrement sensible à la cause des villages affectés, dans une zone où la compagnie peut souhaiter pénétrer, mais ni la sincérité de l’émotion ni l’offre de services n’appellent la moindre réserve. Ses propos sur l’influence de la compagnie anglaise et sur le blocage assuré de toute initiative sont peut-être une allusion aux liens personnels entre Cánovas et Rio Tinto.
27Le courrier d’Ordóñez Rincón témoigne de la recherche de nouveaux appuis dans les rangs conservateurs au-delà des élus de la province, vers des cercles plus larges et plus proches du gouvernement. Carvajal n’est pas une mauvaise pioche, loin de là, d’autant plus qu’il est élu indépendamment de toutes les situations politiques, conservatrices ou libérales, mais pourquoi l’avoir sollicité alors que le projet est retiré, que la session parlementaire est close et que chacun sait que la majorité suivante sera libérale ? En fait, il ne s’agit pas d’une démarche à contretemps mais d’une inscription dans une stratégie de plus longue durée, au moins chez Ordóñez Rincón et son beau-père. Certes, ils ont abordé le « front législatif » de manière étriquée, trop étroitement provinciale. En trois semaines, les difficultés rencontrées à Madrid ont fait comprendre à tous, y compris et peut-être surtout à ceux restés au village, le poids politique des intérêts adverses et donc la difficulté de l’entreprise. La prise de conscience a été rapide : alors que la commission est partie à la fin de janvier, dès le 20 février, ils ont perdu toutes leurs illusions. Le problème est que, à partir de ce premier constat, les propriétaires qui tiennent les assemblées n’ont pas su mettre sur pied d’autre stratégie alternative que le blocage d’une loi vouée à être récupérée par les compagnies. La consigne de renoncement à la loi et de blocage du projet a été élaborée dans les villages affectés et s’est imposée à tous, y compris à Serrano et Ordóñez parce qu’ils ont respecté cette démocratie de propriétaires, grands, moyens et petits, qu’ont fait vivre les mairies de la zone, y compris celle de Zalamea, pendant l’épisode madrilène. L’échec de Madrid est certes le leur, mais c’est surtout celui d’une parole collective à laquelle ils se sont pliés. Ils retrouvent désormais leur liberté de manœuvre. La tentative d’élargissement du front parlementaire antihumista dont témoigne l’appel à Carvajal n’est pas une démarche à contretemps mais une initiative nouvelle, de la famille Serrano Lancha–Ordóñez Rincón, pour reprendre le combat dans la durée, sur des bases contrôlées par elle et politiquement élargies, géographiquement et politiquement : à partir de l’été 1880, Ordóñez Rincón s’engage dans une migration politique en deux temps. Il conduit d’abord une dissidence au sein du parti conservateur, dirigée notamment contre le député Oliva, tiède puis de plus en plus douteux sur le dossier des fumées. Cette dissidence est assez puissante pour lui permettre d’être élu député provincial en septembre et d’exercer une influence prépondérante au sein de l’assemblée provinciale. Le glissement politique s’achève au printemps 1881 avec l’appui donné par son groupe à la nouvelle majorité politique nationale, libérale, pour prendre le contrôle de la Diputación provincial38. Rien d’idéologique là-dedans, mais la poursuite obstinée d’objectifs locaux, comme le montre localement la campagne pour les élections législatives d’août de la même année : Ordóñez Rincón réclame des routes bien sûr, mais aussi et surtout le retrait du projet de loi déclarant les calcinations à l’air libre d’utilité publique. Il en fait même la condition de son soutien au comte de Gomar, député cunero désigné pour le district de Valverde39.
IV. — Le socle des combats à venir
28L’épisode de la commission madrilène peut ouvrir la voie à plusieurs appréciations. La plus négative est celle d’un coup pour rien, d’un échec cinglant puisque aucun des objectifs n’a été atteint. Le retrait du projet est une position de repli, voire de sauve-qui-peut, d’autant plus facile à obtenir qu’elle ne gêne pas les compagnies.
29Une lecture intermédiaire consiste à voir dans ces quelques semaines de l’hiver 1880 un moment d’apprentissage, rapide et efficace : apprentissage du fonctionnement de la politique, d’une mobilisation locale réussie des villages et des populations, grâce à un vrai travail non seulement d’information, mais aussi d’élaboration d’une plate-forme collective signée par plus de vingt municipalités. Autre apprentissage possible, celui de l’impossibilité de faire bouger la politique nationale et donc une incitation au retour au cadre local. Dans cette perspective, tout est à refaire, mais les fondements d’une réussite future ont été posés : la mobilisation de tous sur le terrain même. Cette lecture est très probablement celle de la majorité de ceux qui se sont engagés dans le combat, de ceux qui attendaient avec impatience, espoir puis désillusion, les lettres de Madrid.
30Chacune de ces deux lectures contient une part de vérité : il y a à la fois échec et apprentissage, mais, pour les promoteurs de la lutte collective, Serrano Lancha et son gendre, Ordóñez Rincón, l’épisode est beaucoup plus aussi. Pour eux, le moment de la commission constitue un véritable acquis et un socle fort pour de nouvelles initiatives. L’acquis est une double reconnaissance, locale et nationale. Leur assise locale, déjà très forte, s’est trouvée renforcée à la fois par le succès de la mobilisation, leur prise de position en faveur des petits propriétaires et la pertinence de leur vision : ils ont été les seuls à souhaiter le vote d’une loi, même médiocre, alors que la majorité a préféré un statu quo profitable de fait aux compagnies minières. Ils n’ont pas trahi le jeu de la démocratie villageoise tout en montrant un autre chemin. Loin d’être affaiblie, la position des deux caciques se trouve fortifiée. Nationalement, la commission permet à Ordóñez Rincón d’acquérir plus qu’une expérience : une reconnaissance, une image qui l’impose comme le visage des antihumistas à Madrid et par voie de conséquence, à Huelva.
31Les résultats ne sont pas minces : Serrano et Ordóñez Rincón imposent leur leadership par rapport aux autres notables de la sierra et peuvent surtout s’émanciper de l’intermédiation sinon de la tutelle des représentants de la province à Madrid. Pour autant, ces acquis ne sauraient masquer les risques, voire les périls. Les caciques dominés ou marginalisés, d’abord dans le combat contre les fumées puis dans les joutes politiques, n’ont pas dit leur dernier mot, notamment Narciso García Castañeda, fidèle soutien d’Oliva40. Le combat anticalcinations ne cessera plus d’être aussi une lutte permanente pour le contrôle des caciques locaux. Enfin, et c’est sans doute le plus grave, pour la grande compagnie anglaise, le cacique de Higuera de la Sierra et son beau-père de Zalamea, à quelques kilomètres du village de Riotinto, deviennent des cibles, des personnages à combattre en priorité, à abattre politiquement. Un ennemi frontal, les compagnies minières, et d’autres, plus discrets, mais aussi plus insaisissables : il faut avoir non seulement une assise populaire, mais aussi des amis politiques sûrs pour tenir sur ces deux fronts.
32La position d’Ordóñez Rincón est donc beaucoup moins facile que ne le laissent croire son leadership et ses premiers succès électoraux. Les années qui suivent, jusqu’en 1888 et même au-delà, témoigneront de cette obligation de vigilance et de lutte. Ordóñez Rincón dispose néanmoins d’une force : son désintéressement politique personnel. Pour habiles qu’elles soient, ses manœuvres ne sont pas au service d’une carrière qui commencerait à s’échafauder depuis la province jusqu’aux mandats nationaux41. La commission madrilène n’a pas été un tremplin personnel, mais la première exposition nationale d’un drame et une étape dans une lutte collective dont il est devenu le leader reconnu et assumé. Il n’y a aucun conflit de position entre le latifundiaire, le cacique local et le leader antihumista. Les trois composantes de son personnage sont complémentaires, d’autant plus que sa conduite de la commission madrilène, en faisant ressortir l’altruisme et la justesse de sa position, a conforté sa position et sa démarche caciquiste. L’homme n’a qu’un but, au service duquel il engage tout le poids dont il a hérité et celui qu’il commence à acquérir, un but qui mobilise toute sa détermination : mettre un terme à la destruction du monde rural qu’engendrent les calcinations. Le chantier est devant lui, épouvantablement difficile, très incertain dans son issue, d’autant plus que les adversaires sont divers, depuis les compagnies jusqu’à des pans entiers de l’appareil d’État et du pouvoir politique. Ils sont puissants, parfois masqués, mais c’est le combat d’une vie, comme c’est le combat de la vie pour des dizaines de villages du district minier.
Notes de bas de page
1 Archivo Ordóñez Rincón (AOR), lettre de Manuel Carvajal à Ordóñez Rincón, 8 février 1880.
2 Du Chaillu, A Journey to Ashango-Land ; Hombert, Perrois, 2007.
3 Peña Guerrero, 1998, p. 200.
4 La Provincia, 14 janvier 1880 ; Ferrero Blanco, 1999, pp. 29-30.
5 AOR, lettre de Manuel Carvajal à Ordóñez Rincón, 8 février 1880.
6 Il est né en 1856. Ordoñez Romero, 1990.
7 Cette correspondance était conservée dans le fond d’archives Ordóñez Rincón, aujourd’hui disparu, mais grâce à l’obligeance de María Dolores Ferrero, j’ai eu la chance de disposer d’une copie de plusieurs dizaines de lettres.
8 AOR, lettre de Manuel Carvajal à Ordóñez Rincón, 14 février 1880 ; AOR, note jointe par Braulio Serrano y Gomez à la lettre de Manuel Carjaval à Ordóñez Rincón, 11 février 1880.
9 AOR, lettre de Manuel Carvajal à Ordóñez Rincón, 19 février 1880.
10 AOR, lettre de José Lorenzo Serrano, 30 janvier 1880.
11 Ibid., 23 février 1880.
12 Absence déplorée par Ferrero Blanco, 1999, p. 39.
13 Peña Guerrero, 1998, pp. 131-162.
14 Il s’agit en fait de Pedro Hernández-Pinzón y Álvarez et de Nicolás Gómez González y Pérez. Le troisième sénateur, José María Monsalve y Avendaño, n’apparaît pas dans la correspondance. Sur les élus de la province, voir Peña Guerrero, 1998, pp. 533-536.
15 AOR, lettre de José Lorenzo Serrano, 30 janvier 1880.
16 Ibid., 5 février 1880.
17 Ibid., 30 janvier 1880.
18 « Avec des souvenirs affectueux à toute la famille, recevez-les de la mienne et de votre très sincère ami » (AOR, lettre de Oliva à José Lorenzo Serrano, 19 avril 1880).
19 AMA, leg. 10, Libro de actas capitulares, séance du 26 février 1880.
20 AOR, lettre de José Lorenzo Serrano, 8 février 1880.
21 AOR, lettre de Manuel Carvajal, 19 février 1880.
22 AOR, lettre de José Lorenzo Serrano, 23 février 1880.
23 Ibid., 11 février 1880.
24 Costa, Oligarquía y caciquismo.
25 « Le pire de tout est le statu quo » (AOR, lettre de José Lorenzo Serrano, 11 février 1880). Sur les dissimulations, voir ibid., 13 février 1880.
26 Ibid., 8 février 1880.
27 AOR, lettre de Manuel Carvajal, 8 février 1880.
28 AOR, lettre de José Lorenzo Serrano, 5 février 1880.
29 Ibid., 22 février 1880.
30 Ibid., 23 février 1880.
31 AOR, lettre de Manuel Carvajal, 23 février 1880.
32 AOR, lettre de Manuel Martín de Oliva, 19 avril 1880.
33 Le 23 avril, Serrano écrivait : « Quant à la commission scientifique à laquelle fait allusion Oliva, tu dois lui dire qu’il ne s’emploie pas à la faire venir. Il faut deux ou trois ans avant d’obtenir un résultat et cela ne doit jamais servir nos intérêts : c’est ce qui s’est passé avec l’autre qui est venue » (AOR, lettre de José Lorenzo Serrano, 23 avril 1880).
34 AOR, lettre de Ordóñez Rincón à Oliva, 26 avril 1880.
35 « Et j’estime cela doublement facile à obtenir puisque c’est en harmonie avec les aspirations des entreprises minières » (AOR, lettre de Oliva à Ordóñez Rincón, 5 mai 1880).
36 AOR, lettre de José Carvajal à Ordóñez Rincón, 3 juillet 1880. La dernière phrase est soulignée dans le texte original.
37 Ibid.
38 Peña Guerrero, 1998, pp. 144-152.
39 Ibid., pp. 155-157.
40 Ibid., p. 152.
41 Il est élu sénateur en 1901, non pour la province de Huelva, mais pour celle de Badajoz. Sa carrière nationale est courte puisque son mandat prend fin dès 1902, avant son décès en 1906.
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