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Constructions à « auges » en Cyrénaïque et à Chypre

Traduit par Katarzyna Bartkiewicz (trad.)

p. 217-229


Texte intégral

Les « auges » du sanctuaire de Balagrae

1La plus ancienne construction à « auges » connue de l’antique Cyrénaïque semble être celle qui fait partie des vestiges de l’Asclépiéion de Balagrae (El Bayda/El Beida)1. Il s’agit d’une rangée d’à peine quatre « auges », située dans une petite pièce rectangulaire élevée à l’emplacement du portique nord de la cour du sanctuaire. Cette grande cour (40 x 36 m), dès l’origine centre du complexe cultuel dédié à Asclépios (fig. 1), renfermait trois temples sur plan rectangulaire voués au culte de ce dieu (le plus grand des trois au milieu) et peut-être aussi à celui de ses filles, Hygie et Iaso (les deux plus petits sur les côtés)2. La publication des travaux réalisés dans les années cinquante du siècle passé reste malheureusement incomplète ; de surcroît, la situation actuelle en Libye ne donne aucun espoir de reprendre les recherches archéologiques dans un proche avenir, ni de vérifier les résultats des anciennes fouilles inachevées.

Fig. 1. — Sanctuaire d’Asclépiéion, vue du nord-ouest, Balagrae, El Bayda, Libye, 2007

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© E. Jastrzębowska.

2Les débuts du complexe cultuel païen de Balagrae remontent à l’époque hellénistique (ive-iiie siècle av. J.‑C.), mais les vestiges existants datent du règne d’Hadrien (iie siècle)3. Un passage dans le texte de Pausanias témoigne de la grande notoriété dont jouissait ce lieu de culte en ce temps-là4. Le théâtre attenant au sanctuaire a livré un trésor de monnaies datées pour la plupart du milieu du ive siècle, ce qui a amené R. G. Goodchild à penser que l’ensemble du complexe avait été détruit par le séisme mémorable qui frappa la Cyrénaïque en 3655. Il semble donc légitime de croire que, au moins jusqu’au début de la seconde moitié du ive siècle, le centre de Balagrae vit affluer des malades qui venaient implorer l’aide d’Asclépios, appelé là « Médecin », et se soumettre à sa fameuse « thérapie nocturne » (incubatio). Selon S. Stucchi, ces soins auraient été dispensés dans la grotte souterraine découverte sous les vestiges du portique ouest de la cour6 où, en guise de supplément, les souffrants se seraient vus administrer une spécialité médicinale originaire de Cyrénaïque, à savoir un jus ou une décoction obtenue à partir d’une plante indigène, le fameux silphium dont les représentations ornent les chapiteaux de colonnes locales (fig. 2)7. Les temples et le portique de la cour furent anéantis par le tremblement de terre de 365. Après ce désastre, sur l’emplacement des bâtiments détruits et le long de l’ancien portique nord fut élevée une suite de petits locaux rectangulaires. On ignore si le culte d’Asclépios a survécu à la catastrophe dans sa forme traditionnelle, mais il est certain que la vie ainsi que certaines pratiques cultuelles, réduites ou modifiées, continuèrent à Balagrae tout au long des ve et vie siècles8. D’ailleurs, il n’est pas tout à fait exclu que les ruines de l’ancien sanctuaire aient été investies par de nouveaux arrivants, de simples colons sans doute ; mais, à l’heure actuelle, il est impossible de le confirmer sans pouvoir continuer les recherches in situ. En tout cas, aucune trace de christianisation, de quelque forme que ce soit, n’a été découverte dans cet « établissement de cure » païen, ce qui fait sa différence avec le sanctuaire d’Asclépios à Épidaure9, pour ne citer que cet exemple.

Fig. 2. — Chapiteau avec l’image du silphium, Balagrae, El Bayda, Libye, 2007

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© E. Jastrzębowska.

3Située à l’extrémité occidentale de la rangée de locaux construits à l’emplacement du portique nord de la cour, la première pièce abrite toujours quatre « auges » en pierre (fig. 3), alignées en son centre selon l’axe est-ouest. Les dimensions réduites de ce local, le peu d’espace qui reste devant les « auges », l’accès impossible à l’espace arrière et, surtout, la hauteur du seuil à franchir à l’entrée semblent exclure l’identification de cette pièce comme une écurie. Il serait peut-être possible d’y voir une étable à chèvres. De fait, selon le témoignage de Pausanias, à Balagrae les Cyrénéens offraient ces animaux en sacrifice ; il s’agissait d’ailleurs d’un rituel qui n’est connu d’aucun autre Asclépiéion10. Il y a cependant lieu de douter qu’entre la fin du ive et le vie siècle les chèvres puissent continuer à y être sacrifiées selon la vieille coutume païenne, car de telles pratiques étaient alors proscrites, tandis que les « auges » restaient toujours en usage. De même, il est difficile d’imaginer que ces installations — en admettant qu’il s’agisse toujours du lieu de culte d’Asclépios — aient pu servir à la distribution de biens matériels aux nécessiteux et aux malades. Il semble beaucoup plus probable que ces constructions servaient à toute autre chose, à savoir à la collecte de dons en nature ou en espèces offerts au dieu de la Santé par les pèlerins. De nombreuses inscriptions provenant de l’Asclépiéion romain de Pergame, bien que plus anciennes, font savoir ce que les malades étaient tenus d’apporter et quelles sommes ils devaient verser en offrande à Asclépios pour être admis au sanctuaire, mais aussi combien ils étaient prêts à payer dans l’espoir de la guérison11. Il apparaît donc que la fonction primitive la plus probable des « auges » de Balagrae était celle de récipients destinés à collecter les dons qu’apportaient les malades venus chercher la guérison de leurs maux dans l’ancien sanctuaire d’Asclépios.

Fig. 3. — Quatre « auges » dans une pièce à l’angle nord-est du sanctuaire, après 365, Balagrae, El Bayda, Libye, 2007

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© E. Jastrzębowska.

Les « auges » en contexte domestique à Cyrène et à Ptolémaïs

Cyrène

4Un autre environnement archéologique caractérise les constructions à « auges » découvertes à Cyrène et à Ptolémaïs, où les installations de ce type apparaissent dans de riches demeures tardo‑antiques (vevie siècles). Dans deux cas étudiés, les habitations se trouvaient dans le voisinage direct de bâtiments religieux, non pas païens, mais chrétiens. À Cyrène (fig. 4), dans trois maisons, les « auges » en pierre appartiennent à la dernière phase d’occupation de ces demeures.

Fig.  4. — Plan de la ville de Cyrène, Libye

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1. – La maison du Peristilio Dorico ; 2. – La maison de la Kline Semicircolare ; 3. – La maison d’Hesichius.

© Pensabene, Gasparini, 2014, p. 134, fig. 1.

5Deux récipients parallélépipédiques en pierre (dont un en deux morceaux) sont conservés dans la maison d’Hésychius12, connu par la correspondance avec Synésios, évêque de Ptolémaïs, originaire de Cyrène13. Alignées, orientées nord-sud, ces « auges » se trouvent au milieu d’une longue pièce étroite attenant du côté nord au vestibule de la maison (fig. 5), dans une salle dallée de pierre, divisée dans la partie septentrionale, derrière les « auges », par une paroi en deux pièces encore plus étroites14. Les constructions datent de la troisième phase de fonctionnement de cette habitation, après le séisme de 365. La maison appartenait alors au chrétien le libyarque Hésychius15. R. Goodchild interprète ces deux récipients en pierre (fig. 6) comme des auges destinées à abreuver les chevaux du propriétaire ou ceux de ses hôtes16. Il est cependant curieux de constater que ni S. Stucchi ni la plupart des auteurs des publications plus récentes, sauf E. Gasparini, ne signalent la présence des « auges » dans la maison d’Hésychius17. D’ailleurs, leur emplacement dans cette longue pièce étroite semble exclure la fonction d’abreuvoirs. Gasparini se range à mon opinion selon laquelle ces récipients, tout comme d’autres structures de ce type dans les maisons de Cyrène, servaient à stocker les dons en nature destinés à être acheminés jusqu’à la capitale de l’Empire18.

Fig. 5. — Plan de la maison d’Hesichius, Cyrène, Libye

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© Avec l’aimable autorisation d’E. Gallocchio et E. Gasparini.

Fig. 6. — Deux « auges » dans la maison d’Hesichius, Cyrène, Libye

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© E. Gasparini.

6À Cyrène, des « auges » similaires, taillées dans des blocs de calcaire parallélépipédiques, sont connues dans une autre habitation située au centre de la ville, au sud du forum et à l’est du théâtre romain. Il s’agit de ladite Casa del Peristilio Dorico qui, dans l’Antiquité tardive, fut selon Goodchild le vestige « d’une maison romaine privée19 », alors que Stucchi considérait qu’elle était constituée de trois demeures indépendantes20. Aujourd’hui, à la lumière des derniers travaux d’E. Gasparini, il apparaît qu’il s’agissait d’une seule grande résidence (fig. 7)21. Dans sa partie sud-ouest, au bout d’un long couloir étroit qui y conduit et après le petit péristyle appartenant à la maison plus ancienne, dite la Casa del Cortiletto a Mosaico, furent découvertes quatre « auges » alignées et orientées nord-sud et une cinquième, perpendiculaire aux quatre premières et située dans le coin sud-est de la pièce (fig. 8)22. Comme dans le cas précédent, la présence de longs couloirs étroits exclut l’interprétation de ces installations comme des abreuvoirs ou des auges pour les chevaux. Dans la même maison il y a d’ailleurs encore une « auge » supplémentaire (fig. 9a), dans une petite pièce du côté nord, mais pour le moment il est impossible de préciser l’époque de son installation et sa fonction. On trouve une « auge » unique dans la même situation aussi dans la maison T à Ptolemaïs (fig. 9b).

Fig. 7. — Plan de la maison du Peristilio Dorico, Cyrène, Libye

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© Avec l’aimable autorisation d’E. Gallocchio et E. Gasparini.

Fig. 8. — Cinq « auges » de la maison du Peristilio Dorico, Cyrène, Libye

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© E. Gasparini.

Fig. 9. — « Auges » découvertes dans des maisons en Libye

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a. – Maison du Peristilio Dorico, Cyrène ; b. – Maison T, Ptolémaïs.

© E. Gasparini.

7À Cyrène, une salle à « auges » beaucoup plus spacieuse fait partie des vestiges d’une autre demeure privée à péristyle communiquant avec une grande pièce rectangulaire, dallée de pierre. C’est dans cette pièce que fut découverte une rangée de neuf « auges » relativement bien conservées (fig. 10)23. Appelée par Stucchi Casa della Kline Semicircolare, cette maison se trouve dans un autre quartier, mais toujours central, de la ville, au nord du gymnase et au sud de ladite « basilique centrale » chrétienne. Les vestiges témoignent de quelques phases d’occupation de la maison, à partir de la période hellénistique jusqu’au ve siècle24. La grande salle appartient à la dernière phase de fonctionnement de la demeure et se trouve dans sa partie septentrionale, au sud de l’angle est de la basilique centrale du vie siècle et en face des petits thermes accolés à l’église25. Les « auges » occupent le centre de la salle, disposées les unes à la suite des autres sur l’axe longitudinal (est-ouest). L’accès à la pièce est assuré par un escalier de cinq marches situé dans son angle sud-est. Ni les « auges », ni la salle elle-même n’ont jamais fait l’objet d’une publication détaillée, hormis quelques remarques de Goodchild et de Stucchi selon lesquels il s’agit d’écuries appartenant à une grande habitation romaine. Il est toutefois difficile d’imaginer que l’on ait pu conduire les chevaux à l’écurie en leur faisant descendre l’escalier26.

Fig. 10. — Neuf « auges » de la maison de la Kline Semicircolare, Cyrène, Libye, 2007

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© E. Jastrzębowska.

Ptolémaïs

8Les « auges » apparaissent à Ptolémaïs dans un environnement archéologique similaire à celui de Cyrène (fig. 11), dans la maison de Paulos située au nord de l’extrémité occidentale de la Via Monumentale27. C. Kraeling, qui découvrit cette maison dans les années 1950, prit ces installations pour des abreuvoirs ou des auges à chevaux et la pièce qui les abrite pour une écurie28. La maison de Ptolémaïs, tout comme celle de Cyrène, présente plusieurs phases de fonctionnement, datées de la haute période romaine jusqu’aux débuts de la période byzantine29. Pendant la dernière phase d’occupation, selon le témoignage d’une inscription mise au jour in situ, la maison appartenait à Paulos, un μεγαλοπρεπέστατος, un haut fonctionnaire nommé par l’empereur de Constantinople30. Taillées dans des blocs de calcaire local, les « auges » se trouvent dans l’angle nord-ouest de la maison (fig. 12) : cinq (dont une sérieusement endommagée) sont alignées (est-ouest) entre les locaux nos 20 et 21 (au sud) sur le plan de Kraeling et le no 23 (au nord). Une autre structure est présente dans le mur nord-sud, entre les locaux nos 25 et 24, au nord du local no 2331. Une des « auges », celle qui se trouve à l’extrémité occidentale de la rangée, présente des orifices au bas des côtés courts, mais aujourd’hui il est impossible de savoir à quelle époque ni dans quel but ces trous ont été percés. Dans l’état actuel de l’ensemble de l’habitation, le tracé des murs des différents locaux n’est pas bien lisible au niveau du sol, ce qui rend impossible l’identification de l’entrée primitive de la maison de ce côté-là. D’après le plan de Kraeling, les locaux abritant les « auges » n’étaient accessibles qu’à un seul endroit, notamment par l’ouest, par une porte étroite directement depuis la rue. Il y avait là une autre porte qui communiquait avec l’intérieur de la maison du côté sud-est, où se trouvaient de petits thermes, mais l’entrée était munie d’un escalier de trois marches au moins32. En tout cas, l’interprétation proposée par Kraeling semble peu probable, car aucune des entrées n’était adaptée au passage des chevaux, de même, les locaux étaient trop exigus pour servir d’écuries. L’aménagement de l’espace au nord de la maison de Paulos n’est pas connu, néanmoins une chose est sûre, à savoir que sur l’îlot voisin, du côté nord-est, se trouve une petite église chrétienne toujours enfouie. Son emplacement ainsi que son plan absolument unique en Cyrénaïque (croix inscrite dans un rectangle de 22,50 x 18 m avec quatre petites pièces dans les angles) sont connus et confirmés par les travaux géophysiques réalisés par K. Misiewicz en 200733.

Fig. 11. — Cinq « auges » de la maison de Paulos, Ptolémaïs, Libye, 2007

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© E. Jastrzębowska.

Fig. 12. — Plan de la maison de Paulos, Ptolémaïs, Libye

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© Avec l’aimable autorisation d’E. Gallocchio et E. Gasparini, avec les nos de Kraeling, 1962, fig. 51 et 55.

9À la lumière de ce qui vient d’être dit, il apparaît que les deux maisons signalées, celle d’Hésychius à Cyrène et celle de Paulos à Ptolémaïs, appartenaient, certes, à des chrétiens mais d’abord et avant tout à de grands personnages de leurs communautés respectives au ve et au vie siècle. La proximité des églises, dans les deux cas, à Cyrène et à Ptolémaïs, pourrait signifier — toutes réserves faites — que les chrétiens qui se rendaient dans ces lieux de culte déposaient leurs offrandes destinées au sanctuaire dans le voisinage le plus proche des églises, dans des locaux et des récipients spécialement réservés à cet effet34. Bien qu’il porte un titre peu typique de μεγαλοπρεπέστατος, Paulos était un haut fonctionnaire impérial à Ptolémaïs, tandis que le libyarque Hésychius appartenait à l’élite locale de Cyrène qui présidait le koinon de la province35. À ces mêmes sommets de la société appartenaient peut‑être aussi les propriétaires anonymes des deux autres maisons à « auges » dans la ville : la Casa del Peristilio Dorico et la Casa della Kline Semicircolare. Il est donc possible que la présence d’installations de ce genre dans les résidences des représentants du pouvoir central et local signifie que dans ces maisons se faisait la collecte d’« impôts », de dons en nature et/ou en espèces, qui étaient ensuite transférés à Constantinople36.

La basilique chrétienne de la Campanopétra à Salamine (Chypre)

10Pour compléter cette revue des constructions à « auges », il convient de signaler un autre monument abritant ce genre d’installations. Plus récent et situé en dehors de la Cyrénaïque, mais non loin, dans la partie orientale de la Méditerranée, il appartient à un complexe religieux. Il s’agit de la basilique chrétienne de la Campanopétra à Salamine de Chypre qui, dans la dernière phase de fonctionnement au viie siècle, fut dotée d’« auges ». Ce monument peut illustrer une étape plus récente de l’évolution de ce type d’installations dans la partie orientale de l’Empire avant la conquête arabe, postérieure à celle que représentent les constructions de Cyrénaïque. Fouillée par Georges Roux entre 1965 et 1974, publiée vingt ans après, l’immense basilique de Constantia-Salamine fut construite au bord de la mer à la fin du ve siècle et devint vite un lieu de pèlerinages37. Un siècle plus tard, sous le règne de Justinien, elle fut agrandie et embellie. Orientée à l’est, cette basilique monumentale (152,10 x 37,80 m), à trois nefs, anonyme38, était précédée de deux cours, dont la deuxième, l’atrium occidental qui se trouvait directement devant l’église, était bordée de portiques et de plus de trente-trois petites pièces (fig. 13) sur deux niveaux, destinées très vraisemblablement aux pèlerins39.

Fig. 13. — Plan de la basilique de la Campanopétra, pièce avec les « auges » à l’angle sud de l’atrium ouest no 1, Salamine, Chypre

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© Roux, 1998, pl. I.

11Dans un vaste local occupant l’angle sud-ouest de cette cour (no 1, fig. 13), où se trouvaient primitivement des latrines, furent installés, après la fermeture des canaux d’écoulement sous le sol, le long des parois, des récipients en pierre (fig. 14) qui ressemblent beaucoup aux « auges » décrites ci‑avant40. Il n’en reste aujourd’hui que quatre (1,50 x 0,50 x 0,45 m en moyenne) près du mur sud. Selon Roux, près du mur nord, deux parois latérales carrées, distantes l’une de l’autre de plus de 2 m, seraient des vestiges de trois récipients plus longs, brisés41. Cependant, compte tenu du fait que les supposées parois sont situées plus bas que les « auges » qui leur font face, il est possible qu’il s’agisse non pas de parois latérales mais bien de consoles en pierre sur lesquelles reposait le siège des latrines et qui, après la fermeture des canaux d’écoulement, servaient à soutenir une banquette. Les récipients qui longent le mur sud de la pièce (fig. 15) ont la forme et les dimensions des « auges » présentées ci‑avant, mais n’ont pas été — comme ces dernières — taillées dans un bloc de pierre. Ils ont été confectionnés avec des dalles de pierre de manière à ce que leurs parois courtes soient communes à deux récipients et que la dernière cuve de la rangée, située dans le coin sud-est de la pièce, présente une double hauteur. Il est aujourd’hui impossible de répondre à la question de savoir si les autres « auges » de cette rangée étaient ainsi surmontées de dalles supplémentaires ni si devant ces récipients se trouvait une autre rangée de cuves, comme le prétend G. Roux. De même, il est impossible de vérifier sa deuxième hypothèse selon laquelle la reconstruction de cette pièce ne fut jamais terminée à cause des consoles restantes qui limitaient l’espace devant les « auges »42. Mais ce qui est le plus douteux à notre sens, c’est l’interprétation de la fonction des « auges » proposée par Roux qui y voit des ossuaires ou des ostéothèques. Or, à cet endroit-là il n’y a point de traces de sépultures, alors que leur existence est confirmée pour l’intérieur de la basilique43. En revanche, la datation des travaux de transformation des latrines en local à « auges » proposée par ce chercheur est tout à fait convaincante. Roux situe ces travaux dans la première moitié du viie siècle, en se basant sur les découvertes faites dans le comblement entre deux niveaux de sol (avant et après les travaux) parmi lesquelles se trouvaient quelques monnaies datant de la période entre le règne de Maurice (582‑602) et celui de Constant II (641-668)44.

Fig. 14. — Plan de la pièce no 1 avec les « auges » de l’angle sud de l’atrium ouest, basilique de la Campanopétra, Salamine, Chypre

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© Roux, 1998, pl. III.

Fig. 15. — Pièce no 1 avec les « auges », basilique de la Campanopétra, Salamine, Chypre, 2014

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© E. Jastrzębowska.

 

12Le cas de Salamine de Chypre paraît donc similaire à celui de trois autres complexes religieux chrétiens connus de la partie occidentale de l’Afrique du Nord, à savoir : la chapelle du prêtre Alexandre à Bulla Regia45 et le locus des sept moines de Gafsa à Carthage46. Dans toutes ces églises, les « auges » servaient le plus probablement à collecter des dons, offrandes et aumônes apportés par les pèlerins chrétiens et destinés à l’Église. Leur geste rappelait celui des pieux païens qui se rendaient à l’Asclépiéion de Balagrae en Cyrénaïque et celui des simples citoyens de cette province romaine qui venaient déposer leurs dons destinés à l’État ou à la ville dans des maisons de hauts fonctionnaires ou de représentants des élites locales.

Notes de bas de page

1 Voir Jastrzębowska, 2009a, pp. 386-387.

2 Sichtermann, 1959, p. 335 ; Stucchi, 1975, p. 266, no 1 ; Catani, 2000, p. 183.

3 Sichtermann, 1959, pp. 326-335 ; Stucchi, 1975, pp. 103 et 263-266 ; Catani, 2000, p. 183.

4 Pausanias, Ἑλλάδος περιήγησις, II, 26, 9 = Description of Greece, vol. I, LCL 93, pp. 388-391.

5 Goodchild, 1966-1967, pp. 203-205.

6 Stucchi, 1975, p. 103, no 2 et pp. 264-265, fig. 259.

7 Sichtermann, 1959, fig. 99 ; Stucchi, 1975, fig. 261.

8 Catani, 2000, p. 183.

9 Krautheimer, 1975, p. 125, fig. 72.

10 Pausanias, Ἑλλάδοςπεριήγησις, II, 26, 9 = Description of Greece, vol. 1, LCL 93, pp. 390-391.

11 Wörrle, 1969, pp. 167-190.

12 Reynolds, 1959, pp. 100-101 ; Bonacasa Carra, 2009, pp. 167-183 ; Gasparini, 2012, pp. 2837-2854 ; Pensabene, Gasparini, 2014, pp. 233-235, fig. 23b.

13 Synésios, Ep. 93 = Correspondance, pp. 213-214 ; voir Roques, 1989, pp. 191-195 ; Gasparini, 2012, p. 2845 ; Pensabene, Gasparini, 2014, p. 234.

14 Jastrzębowska, 2009a, p. 386, fig. 3 ; Gasparini, 2012, pp. 2842-2843, fig. 5.

15 Stucchi, 1975, p. 490 ; Bonacasa Carra, 2009, p. 167 ; Gasparini, 2012, p. 2845.

16 Goodchild, 1971, p. 89.

17 Stucchi, 1975, p. 490 ; Bonacasa Carra, 2009, pp. 167-169 ; Luni, 2000, p. 99 ; Gasparini, 2012, pp. 2842-2843.

18 Jastrzębowska, 2009a, p. 386 ; Gasparini, 2012, p. 2843.

19 Goodchild, 1971, p. 77, fig. 4/4.

20 Stucchi, 1975, pp. 145-146 et 313-314, no 121-123 sur le plan de Cyrène, pl. I ; de même Luni, 2000, p. 99.

21 Pensabene, Gasparini, 2014, pp. 225-226.

22 Jastrzębowska, 2009a, p. 386, fig. 4 ; Pensabene, Gasparini, 2014, p. 228, fig. 17b.

23 Goodchild, 1971, pp. 143-144 ; Stucchi, 1975, p. 492 ; Bonacasa Carra, 2000, p. 155 ; Jastrzębowska, 2009a, p. 385, fig. 2 ; Pensabene, Gasparini, 2014, p. 228, fig. 17a.

24 Stucchi, 1975, pp. 225-226, 308-309 et 492-493, pl. I, no 68.

25 Goodchild, 1971, p. 143.

26 Ibid. ; Stucchi, 1975, p. 492.

27 Kraeling, 1962, pp. 31 et 74‑83 ; Stucchi, 1975, pp. 274, 338, 341 et 446 ; Mikocki, 2006, p. 38 ; Gasparini, 2009, pp. 170-171.

28 Kraeling, 1962, p. 155.

29 Ibid., p. 156 ; Stucchi, 1975, pp. 221 et 305.

30 Kraeling, 1962, p. 211 ; Stucchi, 1975, p. 493.

31 Kraeling, 1962, fig. 51 et 55 ; Stucchi, 1975, p. 493 ; Gasparini, 2009, p. 171, fig. 6.

32 Kraeling, 1962, fig. 55.

33 Jastrzębowska, 2009b, pp. 231‑233, fig. 7 et 8 ; Misiewicz, 2009‑2010, pp. 34‑35, pl. 42-43.

34 Jastrzębowska, 2008, pp. 333-342.

35 Gasparini, 2012, p. 2845.

36 Voir Jastrzębowska, 2009a, p. 388 ; Gasparini, 2012, p. 2843 ; Pensabene, Gasparini, 2014, p. 227, no 71.

37 Roux, 1998.

38 Selon Roux, 1998, pp. 245-248, il serait question du culte des reliques de la Vraie Croix, alors que pour Megaw, 2006, pp. 394‑404, il s’agit de celles de l’apôtre Barnabé.

39 Roux, 1998, pp. 35‑48 et 236‑240.

40 Ibid., pp. 42‑43 et 62, fig. 39‑41, pl. I et III.

41 Ibid., pp. 43 et 62, fig. 41.

42 Ibid., p. 43.

43 Ibid., pp. 43-44 et 250.

44 Ibid., pp. 43 et 250-251.

45 Carton, 1915b, pp. 116-130 ; Beschaouch, Hanoune, Thébert, 1977, pp. 115-117. Voir aussi, dans ce volume, la contribution de Fr. Baratte pp. 205-216.

46 Ennabli, 1997, pp. 89-100 ; Duval, 1997, pp. 328-334 ; Ennabli, 2000, pp. 120-126 ; Duval, 2000, pp. 389-391.

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