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Les « pièces à auges » de la province d’Arabie romaine et byzantine

Une synthèse et de nouveaux éléments

p. 173-190


Texte intégral

1Notre intérêt pour lesdites « salles à auges » vient des installations du Hauran (Syrie du Sud et Jordanie du Nord), tout à fait impressionnantes autant par leur nombre et la qualité de leur conception que par leur état de conservation1. Cette région de 10 000 km² caractérisée par sa nature géologique volcanique et basaltique a été abondamment documentée dès le début du xixe siècle. Explorateurs, épigraphistes et archéologues ont entrepris le recensement des monuments des villes et des quelques trois cents villages antiques intégralement édifiés en basalte ; ils ont mis en évidence l’intense exploitation agricole de cette région dans l’Antiquité, qui semble avoir fait sa richesse2 (fig. 1). Parmi les caractéristiques récurrentes de l’architecture domestique du Hauran, on observe la présence au rez-de-chaussée de nombreuses maisons de pièces équipées de rangées de bassins en pierre, éléments architecturaux stéréotypés et souvent soigneusement taillés. La première partie de cet exposé offre une tentative de synthèse sur les « pièces à auges » de l’architecture hauranaise, fondée sur une documentation archéologique ancienne et récente. Elle constitue un état des lieux de notre connaissance de ces installations, exploitant les travaux de W. J. Bankes qui parcourut la région autour de 1817, de M. de Vogüé, dans les années 1860, et de H. C. Butler, dans les premières années du xxe siècle3. Cette synthèse s’appuie aussi sur les travaux de Fr. Villeneuve réalisés entre 1984 et 2003, qui analysa l’architecture domestique du Hauran et décrivit le développement d’un important réseau de villages relativement autonomes d’un point de vue administratif, sur lequel s’était fondée une économie prospère4. Elle repose enfin sur les travaux encore plus récents de P. Clauss‑Balty5, qui a repris et complété entre 2004 et 2010 le relevé et l’analyse de nombreux bâtiments et ensembles villageois de la région, et ceux de M. Sartre et A. Sartre-Fauriat qui signalent dans les volumes des Inscriptions grecques et latines de la Syrie les « salles à auges » antiques qu’ils ont repérées lors de leurs prospections épigraphiques. Dans la seconde partie sont recensées des installations de « pièces à auges » plus méridionales, en Jordanie, souvent encore inédites, basées sur des observations personnelles ou publiées de façon très succincte.

Fig. 1. — Sites du Hauran syrien et jordanien

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© DAO : P. Piraud-Fournet, 2019.

« Pièces à auges » du Hauran (Syrie du Sud, Jordanie du Nord)

2Le Hauran est divisé en trois régions principales qui présentent des paysages différents : un plateau fertile aux allures de plaine divisé entre la Nuqrah et le Jedûr (ouest et sud du Hauran, l’antique Batanée), le plateau rocheux du Léjà (au nord, l’antique Trachôn), résultat d’une vaste coulée basaltique solidifiée, et enfin un massif volcanique compact, le Jebel al-Arab (à l’est, l’antique Auranitis). Ces régions aux géographies contrastées ont conservé jusqu’à nos jours les vestiges de nombreux villages antiques dont les maisons possèdent, au rez-de-chaussée, des « pièces à auges ». Édifiées en basalte depuis les fondations jusqu’à la toiture-terrasse, ces maisons peuvent être constituées d’un bâtiment unique, sinon de deux bâtiments disposés en équerre, en L, ou de trois bâtiments disposés en U. Ces bâtiments sont parfois précédés d’un portique et bordent presque toujours une cour fermée sur ses autres côtés par des murs. La taille de ces maisons, la qualité de leur maçonnerie à double parement et la quantité d’éléments de décor qu’elles portent varient, mais pas le matériau de construction et peu les principes qui ont régi leur construction. Beaucoup ont été réoccupées et, ainsi, entretenues jusqu’à nos jours.

Description

3Les alignements d’auges ou de cuves sont presque toujours installés au sein d’une grande et haute salle dont le plafond est porté par un arc clavé médian parallèle à la façade principale ouvrant sur la cour (fig. 2, les dimensions données sont indicatives). Cette salle était éclairée par des fenêtres grillagées situées au-dessus de la porte d’entrée. Les alignements d’auges séparent une partie antérieure, ou centrale, à double hauteur, d’une, deux ou trois pièces basses surmontées d’une autre dite en entresol. Les parois qui séparent l’espace central, ou antérieur, des pièces latérales superposées sur deux niveaux sont percées d’une baie offrant un passage et d’autres baies infranchissables, couvertes de linteaux droits ou bien d’arcs clavés, ménagées au-dessus d’une cuve en pierre. En général, les façades intérieures des pièces latérales, superposées, ont un parement moins soigné que les façades de la partie centrale ou antérieure. Souvent aussi des cavités, petits trous de section circulaire de 5 à 10 cm de diamètre, sont creusées dans l’un des trumeaux séparant les cuves ou dans la paroi de la cuve elle‑même.

Fig. 2. — Vue perspective d’une « salle à auges » du Hauran, type 6

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© DAO : P. Piraud-Fournet, 2015.

4Le niveau supérieur, en entresol, est accessible par une porte précédée d’un palier constitué de dalles jointives posées en porte-à-faux, qui devait être accessible depuis la partie centrale ou antérieure par une échelle. Dans le plus grand nombre de cas, l’accès aux pièces basses latérales se faisait depuis la salle principale, ou antérieure, c’est-à-dire celle ouvrant sur la cour. Dans certains cas, plus rares, elles étaient en plus accessibles par une porte directement depuis la cour.

5Les sols d’origine des pièces antérieures et latérales ont été remblayés ou sur-creusés lors d’occupations plus récentes, mais des vestiges de dallages ont été vus6. Les auges peuvent être creusées dans un bloc monolithe ou bien être constituées de deux parements de section triangulaire ou droite posés en vis‑à‑vis. Le plus souvent, les montants des baies qui les séparent les unes des autres sont posés sur les petits côtés de deux blocs monolithes mitoyens ou prennent appui sur les deux parements dans le cas des auges construites. Enfin, les baies peuvent être surmontées de niches couvertes de linteaux droits, qui ont pu servir au stockage.

Datation

6La construction des « salles à auges » est contemporaine de celle des maisons dont elles sont toujours partie intégrante. Le décor architectural, quelques inscriptions en place et l’étude du matériel issu de fouilles archéologiques réalisées sur les maisons du Hauran, très rares encore ou inédites, permettent de placer leur construction entre le iie et le vie siècle apr. J.-C. Elles étaient encore habitées et entretenues à l’époque omeyyade (viiie siècle)7.

Inventaire

7Les recherches menées dans les villes et villages antiques du Hauran n’ont jamais eu pour objectif de recenser ces installations. Si ces « pièces à auges » ont toujours surpris les archéologues à cause du caractère encore incertain de leur usage, de leur fréquence et de leur conception souvent élaborée, leur évocation dans les rapports a été faite en marge d’un recensement général des constructions antiques, de l’architecture domestique, des monuments civils et religieux, des inscriptions etc. La première ébauche de recensement des « pièces à auges » du Hauran qui documente le présent article a été réalisée principalement à travers les publications et les documents d’archives de la Mission archéologique française en Syrie du Sud (MAFSS). Elle permet d’avoir une idée de leur nombre a minima et de mettre en évidence l’intérêt que ces installations ont suscité. Ainsi, publications et rapports signalent la présence d’une ou plusieurs « pièces à auges » sur au moins quatre-vingt-six sites (villes, villages, hameaux) du Hauran (fig. 1 p. 000)8. Sur vingt-huit de ces quatre-vingt-six sites, cinquante-cinq constructions conservant les vestiges de « pièces à auges » ont été relevées, dès le xixe siècle. Certaines des cinquante-cinq constructions relevées possèdent plusieurs « pièces à auges », ce qui porte à quatre-vingt-treize finalement le nombre de « salles à auges » dont le plan a été relevé et publié, sans pour autant, rappelons-le, que ces installations aient fait l’objet d’un projet d’inventaire ou de recherche en tant que tel.

8Le gros bourg de Shaara, particulièrement bien conservé, a été étudié de manière plus exhaustive9. Sa publication est en cours. Il enrichira considérablement cet inventaire. En effet, aux cinquante-cinq constructions conservant les vestiges de « pièces à auges » repérée dans le Hauran il en ajoute à lui seul cinquante-trois autres, portant le nombre d’édifices présentant des « salles à auges » à cent huit, et à environ cent cinquante le nombre de « salles à auges » déjà relevées. Cet inventaire n’a pas vocation à être poursuivi, son objectif étant seulement de montrer la fréquence de ces installations.

Typologie

9L’observation du plan des quatre-vingt-treize « pièces à auges » relevées et publiées permet de distinguer au moins huit variantes10. La plupart des plans se rapportent à six d’entre elles. Le type 1 est le plus simple (fig. 3). Il consiste en une pièce de faible hauteur divisée en deux travées de dimensions égales par la paroi percée de baies et d’auges. Une porte donne accès à la travée antérieure depuis la cour et une autre ménagée dans la paroi à auges donne accès à la travée postérieure. Quinze pièces relevées entrent dans cette catégorie. Le type 2, représenté par quatorze pièces, est constitué de trois travées parallèles. Les deux premières appartiennent à une grande pièce divisée en une partie antérieure de grande hauteur, elle-même divisée en deux par un arc portant les dalles de couverture. L’entrée se fait au centre de la façade sur cour de cette pièce. Au fond, une paroi percée de baies et d’auges donne accès au moyen d’une porte à une troisième travée inférieure, basse, alors qu’un escalier, ou une échelle amovible, donnait accès depuis la grande salle à une travée supérieure, en entresol. Le type 3 est constitué d’une grande salle à deux hautes travées séparées par un grand arc donnant accès à travers la paroi de baies et d’auges à une troisième travée située non pas comme dans le type 2 parallèlement à la façade principale, mais perpendiculaire à celle-ci. Un palier et une échelle amovible donnaient accès depuis la grande salle à la travée supérieure en entresol. Vingt-quatre « pièces à auges » relevées se rapportent au type 3. Le type 4 est représenté par quatorze pièces et, parmi elles, se trouvent les rares « pièces à auges » observées en contexte urbain et péri-urbain (Bosra, Jmarrin, Ezra). Ce type est composé d’une grande salle à double travée et couverture portée par un arc, donnant accès à deux autres travées disposées en L, les parois percées de baies et d’auges se développant donc sur deux côtés de la grande salle à double travée par laquelle on entrait. Dans cette salle, un palier (et une échelle amovible) donnait accès aux travées supérieures latérales en entresol. Les neuf « pièces à auges » du type 5 présentent une grande salle à deux travées séparées par un arc, encadrée sur deux côtés en vis-à-vis par deux parois à baies et à auges et par deux travées superposées, une au rez-de-chaussée, une en entresol accessible par un palier. Les onze exemples définissant le type 6 présentent la « pièce à auges » la plus développée (fig. 2 p. 000). Elle consiste en une pièce centrale haute séparée en deux travées par un arc médian, entourée par un couloir formant un U, bas de plafond, surmonté d’un entresol bas de plafond aussi. Le type 7 n’a jusqu’à maintenant été repéré qu’à Umm el‑Jimal, dans le sud du Hauran ; les plans de quatre rez-de-chaussées à auges ont été publiés. Ce type est constitué, comme le type 1, de deux travées en L, donc non pas parallèles mais perpendiculaires l’une par rapport à l’autre. Les deux travées sont chacune accessibles directement depuis la cour. Le type 8 est très différent des autres ; il n’a été relevé que dans deux maisons et sa particularité est d’associer la « salle à auges » à l’entrée du bâtiment. Il est observable au moins à Shaara et à Umm el‑Jimal. Il consiste en deux pièces mitoyennes ; l’une des pièces fait office de porche d’entrée, séparant la rue de la cour intérieure de la maison, et est séparée de l’autre par une rangée de deux ou trois auges. À Umm el‑Jimal, les baies au-dessus des auges ne sont pas traversantes.

Fig. 3. — Typologie des « pièces à auges »

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© DAO : P. Piraud‑Fournet, 2019.

10Pour conclure, toutes les régions du Hauran, malgré leur géographie contrastée, présentent des « pièces à auges ». On ne peut pourtant pas, a priori, mis à part le type 8 qui dans l’état actuel de nos connaissances paraît propre au bourg de Umm el-Jimal, affecter un type à un village ou à une région précise. L’emploi d’arcs clavés au-dessus des baies, observés à Bosra et à Jmerrin, autorise une ouverture plus large (fig. 4). Il distingue ces installations de celles repérées en général dans le Hauran basaltique, mais les rapproche d’une tradition de construction en calcaire, plus méridionale, qui sera décrite dans la deuxième partie de cette étude. Enfin, une région voisine du Hauran, le Jaulan, présente des maisons construites en basalte, selon des principes identiques, elles aussi équipées de « pièces à auges »11.

Fig. 4. — « Pièce à auges » au centre de la ville antique de Bosra, Syrie, 2004

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© Mission archéologique française en Syrie du Sud (MAFSS).

Fonction

11Dès 1818, Bankes interprétait les salles présentant des auges comme des écuries ou des étables12. Cinquante ans plus tard, Vogüé et Duthoit proposaient une restitution de l’un de ces ensembles13, animée par des chevaux représentés dans les pièces latérales et plus basses14, et, depuis, rares ont été les propositions alternatives pour expliquer la présence et l’usage de ces alignements de cuves en pierre. Au début du xxe siècle, Butler a mis en évidence des inscriptions signalant un triklinos15 à l’étage de deux maisons, salle de réception, salle à manger ou pièces à vivre pour la famille. L’interprétation aujourd’hui communément admise16, qui semble être la plus à même de justifier leur présence si abondante, place donc au rez-de-chaussée de ces maisons les animaux domestiques, dans les petites pièces latérales les plus basses aux façades moins soignées que celles de la grande pièce ou de la pièce antérieure. Les petites cavités ménagées dans les trumeaux séparant les cuves pourraient être destinées à attacher le licou de l’animal accueilli. La pièce principale — centrale ou antérieure — a pu servir aux manœuvres liées à la stabulation ou aux activités agricoles, à entreposer les réserves et les biens de la famille, ou de pièce à vivre elle aussi. Dans les pièces d’entresol situées au-dessus des pièces basses latérales du rez-de-chaussée, devait être entreposé le fourrage17.

12Une analyse fine de leur architecture et des fouilles archéologiques plus développées permettraient de préciser plus sûrement la nature du bétail abrité. Il apparaît déjà que la hauteur du rebord des auges, située entre 0,60 m et 1,10 m, exclut le petit bétail (ovins, caprins) et parait mieux adaptée aux bovins18 et aux petits équidés. L’élevage ovin et caprin était dans le Hauran antique une activité majeure, en témoignent les études archéozoologiques effectuées19, mais le pacage et le rassemblement de ce petit bétail ne nécessitait que des enclos, des cours ou des grottes20. À l’appui de l’hypothèse « étable‑écurie », parmi les inscriptions retrouvées en abondance dans cette région depuis le début du xixe siècle, qui font état de nombreuses constructions, deux mentionnent des étables à bovins. L’une mentionne un boustasion21 associé à un triklinos à l’étage, l’autre un stablon associé aussi à un triklinos qui pourraient se rapporter à une auberge ou à une sorte de relais22. Malheureusement ces inscriptions ne sont pas conservées à leur place d’origine.

13À Shaara, village situé sur la bordure ouest de l’aride plateau du Léjà et occupé depuis le ier siècle apr. J.‑C. jusqu’à l’époque ottomane, sur les soixante-quatorze maisons repérées, cinquante-trois sont équipées de « pièces à auges », soit 72 % de l’architecture domestique du village23 (fig. 5). Sur les soixante-quatorze maisons du village, quarante-trois ne disposent pas de mangeoires, ou en ont moins de cinq, que P. Clauss‑Balty propose d’affecter à des ânes, des mulets, des bœufs ou des vaches laitières, destinés à la nourriture de la famille, au transport et aux travaux des champs24. Cependant trente-et-une maisons ont des étables équipées de plus de cinq auges ; quatre d’entre elles possèdent même entre treize et vingt-quatre auges et toutes sont situées en périphérie du village, rapprochant le bétail d’éventuels pâturages. L’élevage aurait donc pu constituer un secteur d’activité important.

Fig. 5. — « Pièce à auges » à l’entrée d’une maison de Shaara, Léjà, Syrie, 2010

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© P. Piraud-Fournet.

14Le village de Muarribeh présente plusieurs « pièces à auges » (des types 2, 3, 4, 5 et 6) et est situé à quelques kilomètres de la capitale de la province d’Arabie, Bosra (Bostra). Dans cette ville, qui accueillait la plus importante concentration d’habitants et de voyageurs de la province, l’architecture domestique, maintes fois réoccupée, restaurée et transformée, est plus difficile à explorer et pour l’instant une seule installation présentant des rangées d’auges a été repérée. Cette installation appartient à un bâtiment à étage daté de la fin de l’Antiquité (viie-viiie siècle), situé au centre de l’espace urbain, à proximité des deux rues principales à portiques, et des marchés (fig. 4 p. 178). Elle est associée à une grande salle à arc où l’on aurait pu entreposer des marchandises, si le propriétaire était un marchand par exemple. Étant donné leur localisation par rapport à la capitale de province, nous posons l’hypothèse que les villages péri‑urbains tels que Muarribeh ont abrité des fermes spécialisées, peut-être même des abattoirs, fournissant viande et lait à la ville, ou alors des relais où étaient entretenues les montures des voyageurs.

15Si les « pièces à auges » avaient été plus exceptionnelles dans le Hauran, des usages autres que celui de mangeoires pour bovins ou équidés auraient été plus souvent recherchés. Quelques aménagements originaux ont pourtant encouragé certains explorateurs à proposer d’autres fonctions. Ainsi Vogüé, suivi par Mascle, décrivant le « Deir » de Shaqqa, un ensemble comprenant un bâtiment domestique associé à une petite église présenté comme un couvent antique, vit dans les baies surmontant les auges qui avaient été fermées sur un côté à l’époque moderne, les armoires d’une bibliothèque25. De même, une petite équipe de chercheurs israéliens, menant une prospection dans le nord-ouest du Hauran brièvement occupé en 1973, considéra que l’allure des ensembles à auges du village qu’ils visitèrent, Kafr Nasij, était trop soignée pour qu’on les affecte à des animaux, et qu’il convenait plutôt de voir dans les pièces latérales un « gynécée », séparé de la grande et belle pièce où se seraient tenus les hommes26. Cette interprétation leur avait été suggérée par les travaux de Butler, qui au début du xxe siècle avait décrit une installation particulière découverte dans l’agglomération de Umm el‑Jimal, actuellement dans le Hauran jordanien. Le raffinement de cette construction avait encouragé l’explorateur américain à chercher pour ces auges, séparées de la grande pièce par un mur écran inamovible ajouré et taillé de façon très soignée, un usage différent de celui couramment attribué à l’élevage27. Il proposa d’y voir un appartement pour les femmes, un « harem », séparé de celui des hommes par un musharabiyyeh (une paroi ajourée qui permet de voir sans être vu) en pierre avant de préférer l’hypothèse d’une foulonnerie ou d’une teinturerie28. Cependant, la mission américaine qui reprit l’étude de ce site en 1972 mit en évidence dans presque toutes les maisons de Umm el‑Jimal des ensembles équipés d’au moins cinq à dix auges29, surmontées de baies, mais dépourvues de murs écran, qui mettent à mal les deux hypothèses de Butler. L’écran en pierre ajouré de la maison XIII de Umm el‑Jimal est unique et original. Il sépare ce qui pourrait être l’espace de vie des bêtes (fig. 6), de construction moins soignée, de la salle voisine plus élégante qui ferait partie de celles dévolues aux habitants, à la famille (fig. 7). Fr. Villeneuve30 propose que la pièce d’apparence plus soignée ait pu être une pièce à vivre en hiver, chauffée en quelque sorte par le souffle des bovidés31. Aucun autre écran de ce type n’a été repéré jusqu’à maintenant.

Fig. 6. — Écran ajouré surmontant les auges, depuis la grande pièce de la maison XIII de Umm el-Jimal, Jordanie, 2015

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© A. Montanari et P. Piraud-Fournet.

Fig. 7. — Les auges depuis la petite salle latérale de la maison XIII de Umm el-Jimal, Jordanie, 2015

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© A. Montanari et P. Piraud-Fournet.

16Cette possible clôture complète ou partielle des baies surmontant les auges annonce néanmoins une dernière catégorie de « pièces à auges », où les cuves alignées sont ménagées dans l’épaisseur d’un mur, formant en quelque sorte une série d’armoires à auges. L’ouverture ménagée au‑dessus des baies, qui mettrait en relation les bêtes, placées dans les bas-côtés, avec les hommes et le fourrage peut-être dans la pièce antérieure, avait probablement un avantage pratique, mais n’était manifestement pas indispensable. Cette installation plus simple a rarement été relevée dans le Hauran, mais c’est celle qui a été couramment employée aux époques plus récentes32.

Exemples observés dans les régions voisines

Ailleurs en Syrie

17Les pièces présentant des alignements d’auges ont pu paraître, un temps, caractéristiques de l’architecture en basalte du Hauran car aucune autre région n’en conserve avec une telle abondance. Pourtant, peut-être est-il plus juste de dire que l’architecture de basalte s’est mieux conservée que celle de calcaire des régions alentour. Des sites de Syrie centrale et de Syrie du Nord présentent des « salles à auges », mais leurs manifestations sont plus ponctuelles33. Pour ces régions situées au nord du Hauran, seul le cas du Qasr Ibn Wardan34 est développé ici, pour les perspectives qu’il donne au sujet. L’entrée de cette résidence palatiale ou militaire est encadrée par deux salles terminées par des absides à l’est et à l’ouest, qui servent de fondations aux ailes ouest et est de la grande salle de réception de forme triconque située à l’étage. Les deux salles du rez-de-chaussée sont chacune divisées en deux par une paroi percée de baies dans leur moitié supérieure. Les salles sont vastes ; les baies sont élégantes avec leurs trumeaux élancés, en basalte, parfois décorés sur leur façade antérieure (fig. 8). Associée à l’entrée, l’installation se rapproche du type 7 décrit pour le Hauran. La base de l’ouverture de la baie ne présente plus de cuve, mais une photographie ancienne laisse voir que dans les années 1990 encore, deux blocs de calcaire étroits posés entre les trumeaux formaient une auge35. Il a donc été proposé que ces deux élégantes salles aient fait office d’écurie, où résidents et visiteurs pouvaient laisser leurs montures36. Ce que montre cet exemple, c’est que les auges ne sont pas toujours des monolithes, des bassins taillés dans un seul grand bloc, mais qu’elles peuvent être composées de plusieurs éléments, parfois un pour le fond et deux autres pour les façades prenant appui sur les montants des baies37. Si les blocs monolithes ont pu faire office aussi bien de mangeoire que d’abreuvoir, les auges constituées de plusieurs éléments assemblés ne paraissent pas présenter de vestiges de mortier qui aurait pu les rendre étanches et devaient contenir des éléments solides plutôt que liquides.

Fig. 8. — Mur percé de baies à l’ouest de l’entrée du Qasr Ibn Wardan, Syrie, 2008

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© P. Piraud-Fournet.

En Jordanie

18Dans le Nord de la Jordanie, des « pièces à auges » ont été identifiées sur des sites de construction en calcaire. Elles montrent l’extension vers le sud d’un système architectural bien identifié dans le Hauran syrien et l’extension vers l’est du même système mis en évidence déjà dans le Neguev38. Au moins cinq « pièces à auges » sont signalées dans la ville antique de Pella, dans le nord-ouest du pays. Des squelettes de chevaux et de vaches ont été découverts lors de la fouille de certaines d’entre elles, qui avaient été détruites par le tremblement de terre de 747 après J.-C.39. Dans la même région, près de Salt, le Wadi Shadjara conserve les vestiges d’un site que l’on pourrait décrire comme un ensemble agricole, équipé d’un pressoir à olives et d’un pressoir à raisin, d’époque romano-byzantine probablement40. Non loin des pressoirs, deux rangées de baies surmontées d’arcades disposées en équerre, ouvertes à 0,80 m de haut, mises à part deux baies entièrement ouvertes faisant office de porte, rappellent les installations observées en abondance dans le Hauran. Les cuves ont disparu, mais il est très probable qu’elles aient tout simplement perdu les blocs qui formaient leurs façades (fig. 9)41. On observe sur les montants qui séparent les baies les petites cavités qui permettaient peut-être d’attacher des animaux. En lien avec les installations agricoles voisines, celles-ci ont pu servir à abriter animaux de bât pour le fonctionnement des pressoirs et animaux de trait pour le transport du raisin et des olives, et des jarres de vin et d’huile. On ne peut exclure cependant un usage tout autre et encore mal déterminé des auges que l’on restituerait, lié peut-être à la distribution ou à la collecte des denrées produites : boutiques, guichets ou réservoirs42. Le plan en L de ces parois percées de baies rappelle celui des « pièces à auges » du type 4 décrit dans le Hauran. La disparition des auges sur ce site, comme à Qasr ibn Wardan en Syrie centrale, pourrait s’expliquer par le fait que lorsque les auges n’appartiennent pas à la structure de l’édifice comme c’est le cas dans les maisons en basalte de Syrie du Sud, mais constituent des éléments mobiliers rapportés, ces éléments aisément récupérables ont été remployés ailleurs à une époque plus récente.

19Notre connaissance des installations de Syrie du Sud a permis d’identifier, dans un contexte plus méridional encore, deux nouvelles « salles à auges » qui étaient loin d’être manifestes. Elles ont été mises en évidence en 2007 et en 2013 sur le site archéologique de Dharih, situé au sud‑est de la Mer Morte, dans le Wadi Laban, un affluent du Wadi al-Hasa. À un imposant sanctuaire d’époques nabatéenne et romaine sont associés un village rassemblant des maisons et des pressoirs à huile, et une voie bordée par un bain et une sorte de caravansérail. La plus grande résidence découverte au nord du village, construite probablement à la fin du ier siècle apr. J.‑C. et abandonnée dans la deuxième moitié du ive siècle, conserve une pièce dont le plan est divisé en un espace central entouré d’un couloir en U (fig. 10). Si un tel plan est original dans ce contexte, il a déjà été mis en évidence en Syrie du Sud et correspond à notre type 6. La découverte de deux blocs ruinés (fig. 11), parmi les vestiges, et d’un bloc en place au sommet du muret intérieur qui subdivise cette pièce ont conforté l’hypothèse d’une « salle à auges43 ». Ces trois blocs, de section triangulaire, correspondent aux blocs de façade des cuves qu’il convient de restituer à 1 m de haut, au sommet des trois murets ou parois qui séparent la partie centrale du couloir formant un U. Les montants et les arcs ou linteaux qui couronnaient ces très probables baies à auges ont disparu ; ils ont probablement été récupérés lors de l’aménagement d’un tout nouveau village au vie siècle, en contrebas, dans l’ancien temenos du sanctuaire nabatéen. La hauteur des cuves permet de restituer une écurie pour des chevaux ou une étable pour des bœufs, même si l’accès réservé à ces animaux, qui devaient monter un petit escalier et emprunter une terrasse surplombant la cour pour regagner leur gîte, parait malaisé. Les bovins sont bien attestés dans cette agglomération par les recherches archéozoologiques réalisées sur le matériel découvert en fouille44. À une époque plus récente, mais avant le ive siècle, les baies semblent avoir été bouchées et la présence d’un grand abreuvoir en pierre posé sur le sol de l’espace central de la pièce laisse penser que des animaux plus petits y étaient parqués, chèvres ou moutons sans doute. Les baies à auges appartiendraient à l’état le plus ancien de la maison, dont la construction est datée de la fin du ier siècle apr. J.‑C45. Une autre installation à auges a été identifiée dans l’hypothétique caravansérail fouillé en 2013 par Laurent Tholbecq, qui bordait la voie menant au sanctuaire. Depuis la voie, une porte donne accès à une courette ou pièce séparée au sud par un muret à double parement, d’une autre pièce allongée, au sol pavé sur toute sa longueur d’une calade de pierres. Pour explorer l’hypothèse suggérée par la forme et les dispositions du bâtiment, nous avons recherché dans les ruines de celui-ci des vestiges d’auges et avons mis en évidence trois blocs de section triangulaire ; l’un d’entre eux a été remonté à sa place d’origine (fig. 12). Là encore, un « bâtiment à auges » tout à fait insoupçonnable si l’on n’en avait pas recherché les vestiges, est apparu46.

Fig. 10. — « Salle à auges » dans la maison V1 à Dharih, Jordanie, 2013

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© P. Piraud-Fournet.

Fig. 11. — « Mur à auges » ruiné dans la maison V1 à Dharih, Jordanie, 2013

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© P. Piraud-Fournet.

Fig. 12. — Auges adossées à l’intérieur de l’ancien temple de Dharih, Jordanie, 2015

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© P. Piraud-Fournet.

20La catégorie des salles disposant d’auges maçonnées, élevées le long d’un mur plein ou intégrées dans l’épaisseur d’un mur, formant une sorte d’« armoire à auges », accessibles d’un seul côté, est bien représentée dans ces régions par des exemples datés de différentes époques. À Dharih, deux séries d’auges adossées ont été mises au jour dans le sanctuaire. Deux auges en pierre ont été aménagées à l’époque omeyyade (vii-viiie siècles), à l’intérieur du temple, dans une des pièces qui encadrent l’entrée lors de la transformation de l’ancien sanctuaire en résidence (fig. 13). D’autres ont été appuyées contre la façade du temple, à la même époque, à l’extérieur ; elles étaient protégées par un auvent. Comme à Pella, au pied de ces auges ont été trouvés les squelettes de deux vaches, une découverte qui confirme leur fonction de mangeoires47. Un autre exemple d’auges de cette catégorie, plus original et ancien, est conservé au nord-ouest de la Jordanie, à Irak el-Amir. Dans la grotte 10 du village troglodyte aménagé dans la falaise dominant un pavillon résidentiel princier d’époque hellénistique, une quarantaine de bassins, placées à 1 m de haut et séparés les uns des autres par un petit rebord d’une quinzaine de centimètres de haut, ont été taillés en vis‑à‑vis dans les parois est et ouest de la grotte (fig. 14). À leur base, des protubérances ménagées de façon ponctuelle dans la pierre, et percées, rappellent les cavités creusées dans les montants des auges de Syrie du Sud48. Si l’on ne peut écarter la possibilité que, dans les auges du Hauran, ces cavités aient été creusées à une époque plus récente et n’aient rien à voir avec la fonction originale de l’installation, celles des cuves de la grotte d’Irak al-Amir appartiennent à la construction originale et ont conduit à identifier, là encore, la longue grotte recelant ces alignements d’auges à une écurie ou une étable (fig. 15). Plus au sud, dans un fort romain du Limes Arabicus, le Qasr el‑Bashir, daté de la fin du iiie siècle apr. J.‑C., une trentaine de pièces ouvraient sur la cour centrale et chacune d’entre elles contenait au moins trois placards ménagés dans le mur du fond ; sans doute constituaient-elles des écuries. Enfin, de tels aménagements existaient aussi en Égypte ; à titre d’exemple l’élégante installation d’alignement d’auges intégrées dans un mur mise au jour en 2014 dans la ville de Taposiris Magna, près d’Alexandrie (fig. 16). Elle appartiendrait à un édifice public ou à une grande maison située en périphérie de la ville, probablement à l’époque romaine49. Cette découverte appelle une synthèse spécifiquement dédiée aux « pièces à auges » d’Égypte, qui permettrait de mettre en relation les « salles à auges » de Syrie avec celles d’Afrique.

Fig. 13. — « Pièce à auges » dans le « caravansérail » de Dharih, Jordanie, 2013

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© P. Piraud-Fournet.

Fig. 14. — Auges adossées dans la grotte 10 d’Irak al-Amir, Jordanie, 2013

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© P. Piraud-Fournet.

Fig. 15. — Plan et coupe sur une auge de la grotte 10 d’Irak al-Amir, Jordanie

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© DAO : P. Piraud-Fournet, 2013.

Fig. 16. — « Auges » adossées dans un bâtiment de Taposiris Magna, Égypte

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© DAO : Th. Fournet, 2012.

 

21Pour conclure, dans la région nord et basaltique de l’ancienne province d’Arabie, l’abondance de « salles à auges », qui appartiennent très généralement au contexte domestique, en fait un élément tout à fait banal de l’architecture locale. Contrairement à tant d’autres constructions antiques dont la fonction a été identifiée et est assurée de longue date — bains, portes monumentales, amphithéâtres, sanctuaires —, la fonction que l’on attribue à ces « pièces à auges », aux traits architecturaux si caractéristiques et si peu communs encore à l’échelle du bassin méditerranéen, reste incertaine. L’hypothèse admise depuis leur découverte au Proche-Orient se rapporte à la stabulation d’animaux domestiques et cette présente synthèse ne la remet pas en question. Leur disposition ferait de ces pièces des étables destinées à abriter des bovins ou des écuries pour des équidés. D’autres, situées à l’entrée des bâtiments par exemple et parfois élevées à proximité de pressoirs, auraient pu être affectées à des animaux de bât (mulets, ânes) ou à des chevaux, pour l’acheminement de marchandises, de récoltes ou de voyageurs. Les auges des maisons ou des étables de Syrie du Sud ont été conservées en place parce que leurs parois en façade étaient scellées dans un bâti en basalte particulièrement solide, qui a résisté à l’épreuve du temps, des séismes et à des siècles de remploi et de réoccupation. Dans les régions plus méridionales, de construction en calcaire, les auges constituées de plusieurs éléments distincts ont fragilisé les murs dans lesquels elles ont été installées ; ruinés, leurs éléments ont été remployés et déplacés. Ces démontages rendent évidemment plus difficile l’identification des « pièces à auges » et donc la présence dans l’architecture d’écuries ou d’étables qu’il conviendra pourtant de rechercher sur les sites du Proche-Orient plus fréquemment qu’on ne l’a fait jusqu’à présent. Les plans-types mis en évidence dans les maisons de la province d’Arabie des époques romaine et byzantine pourront aider à leur identification. Il y a encore beaucoup à dire sur ces « pièces à auges », qui paraissent fréquentes au Proche-Orient dans l’Antiquité, sans que l’on soit encore capable de cerner les origines et les limites chronologiques et géographiques de leur diffusion. La plus ancienne salle divisée en différentes travées par des alignements d’auges surmontées de baies, datée, se situe à Dharih. La salle à auges en forme de U de la plus grande maison fouillée du village aurait été construite vers la fin du ier siècle après J.‑C. ou au début du iie siècle et abandonnée à la fin du ive siècle. Les plus récentes installations d’auges auraient pu avoir été édifiées à l’époque omeyyade. À l’époque médiévale, le système d’alignement d’auges en pierre surmontées de baies développées sur un ou plusieurs côtés semble avoir été abandonné au profit du modèle plus simple et plus commun qui consistait à élever des auges le long d’un mur plein.

22À quelle époque et où le système le plus complexe composé d’auges surmontées de baies divisant une pièce en plusieurs travées a‑t‑il été élaboré ? Comment était-il utilisé exactement ? Cette première synthèse sur le sujet appelle à une recherche plus systématique de cet aménagement dans les maisons urbaines et villageoises, une étude archéologique plus approfondie, mais aussi à l’exploration exhaustive de ces installations en Égypte, qui assurerait une filiation entre les « pièces à auges » du Proche‑Orient et celles de l’Afrique.

Notes de bas de page

1 Je remercie très chaleureusement François Villeneuve pour ses nombreuses et précieuses remarques suite à ma communication en mai 2015 ; plusieurs d’entre elles sont rapportées dans les notes de cet article. Ma gratitude s’adresse également à Annie Sartre-Fauriat et à Maurice Sartre qui m’ont donné accès à leurs manuscrits des Inscriptions grecques et latines de la Syrie (IGLS), encore inédits, pour que je puisse compléter l’inventaire des « pièces à auges » de Syrie du Sud. Elle s’adresse enfin à Pascale Clauss-Balty qui a mis à ma disposition ses rapports de mission dans le Hauran (années 2004-2008), encore inédits eux aussi.

2 Pour une récente synthèse sur l’histoire du Hauran, Sartre‑Fauriat, Sartre, 2014, p. 9.

3 Sartre-Fauriat, 2004 (pour W. J. Bankes) ; Vogüé, 1865‑1877 ; Butler, 1913‑1919.

4 Villeneuve, 1985-1986, p. 64.

5 Clauss‑Balty, 2008. Concernant les « pièces à auges » de la Batanée, voir pp. 62-63.

6 Villeneuve, 1985-1986, p. 99 et Clauss-Balty, 2008, p. 55 et note 107.

7 Villeneuve, 1985-1986, pp. 126-129 ; Clauss-Balty, 2008, p. 79 ; Dentzer-Feydy, 2008, pp. 208-209. Une maison, à Sia, possédant une rangée d’auges a été fouillée et sa construction a été datée des iieiiie siècles, voir Villeneuve, inédit. Une autre, à Bosra, était encore assurément occupée et entretenue à l’époque omeyyade, voir Blanc et alii, 2007, pp. 215-216.

8 Des salles présentant des rangées d’auges ont été relevées sur 28 sites et publiées (ou présentées dans des rapports) dans Blanc et alii, 2007 ; Bodo, Clauss-Balty, 2009 ; Butler, 1913-1919 ; Clauss-Balty, 2004-2005 ; Ead., inédit ; Ead., 2007 ; Ead., 2008 ; Ead., 2010 ; De Vries, 1998 ; Donceel-Voûte, 1989 ; Sartre-Fauriat, 2004 (pour W. J. Bankes) ; Villeneuve, 1985-1986 ; Vogüé, 1865-1877. De même, une ou plusieurs « salles à auges » sont mentionnées sur 58 autres sites par Sartre, Sartre-Fauriat, 2011, vol. 13, fasc. 2 ; Eid., 2014, vol. 15 ; Eid., 2016, vol. 14 et Eid., 2020, vol. 16, mais elles n’ont pas été relevées, ni même décrites plus avant.

9 Ce site a été fouillé et relevé par Fr. Villeneuve dans les années 1980, puis par la Mission archéologique française en Syrie du Sud dans les années 2000 et les résultats de ces missions de terrain sont actuellement en cours de publication. Pour une présentation préliminaire récente, Clauss-Balty, 2010, concernant les « salles à auges », voir p. 199.

10 Seulement six « salles à auges » du village de Shaara, dont les plans ont été publiés (Clauss-Balty, 2010 et Villeneuve, 1985‑1986), ont été prises en considération dans le cadre de ce classement typologique. La publication des résultats des travaux menés sur ce site est en cours et permettra de le compléter ultérieurement.

11 Concernant l’architecture domestique antique de cette région, voir en dernier lieu Al-Halabi, 2012.

12 W. J. Bankes écrivit à leur sujet : « With the single exception of Pompeii, where shall we nd the private dwellings of the Romans? We have them here in innitely greater numbers, still habitable or inhabited, closed by their original doors, and sheltered by their original roofs, and the horses eating out of the same mangers as they did sixteen hundred years ago » (« À l’exception de Pompei, où peut-on trouver les habitations privées des Romains ? Nous les avons ici en grande quantité, encore habitables ou habitées, fermées par leurs portes et couvertes par leurs plafonds d’origine, et les chevaux mangeant dans les mêmes mangeoires qu’ils le faisaient il y a 1 600 ans », traduction de Sartre‑Fauriat, 2004, p. 197). 

13 Voir la restitution proposée dans la fig. 10 p. 000 dans l’introduction de ce volume.

14 Vogüé, 1865-1877, pl. 11. La proposition de Vogüé n’était pas influencée par celle de Bankes puisque ses travaux, longtemps resté inédits, n’ont été publiés qu’en 2004 par A. Sartre‑Fauriat.

15 Butler, 1913-1919, pp. 121 et 142.

16 Elle est énoncée par Villeneuve, 1985-1986, p. 98. Son observation, dans l’est de la France, d’étables vernaculaires (modernes) tout à fait similaires dans leur organisation aux aménagements qui nous intéressent l’a encouragé à partager l’hypothèse émise par les premiers explorateurs. Les anciennes granges de fermes du Périgord (sud-ouest de la France) présentent elles aussi des alignements d’auges. Ces larges auges en pierre calcaire et la charpente, formant des baies qui les surmontent, séparent une grande et haute pièce où étaient entreposés les instruments et engins agricoles, ainsi que le fourrage de deux pièces superposées, plus basses, construites en bois. Dans la pièce la plus basse se tenaient les vaches, qui recevaient dans les auges en pierre, appelées localement « crèches », leur fourrage matin et soir. À chaque vache était affectée une auge, devant laquelle elle retournait se placer tous les soirs. Les ânes se nourrissaient quant à eux sur des râteliers en bois accrochés à un mur et emplis de fourrage. Je remercie chaleureusement Germaine Allary, fermière périgourdine née en 1932, pour ces informations.

17 Voir la restitution proposée dans la fig. 12 p. 000 dans l’introduction de ce volume.

18 Villeneuve, 1985-1986, p. 125. Pour justifier cette assertion : une inscription antique découverte évoquant un boustasion, la présence à la fin du xxe siècle, dans le Haut‑Jebel, d’un important élevage bovin et la découverte, à l’occasion de fouilles, de quelques dents de bovins dans une étable de Sia.

19 De l’époque nabatéenne à l’époque mamelouke, à Bosra, les caprinés sont les animaux les plus consommés (75 à 90 % des vestiges osseux retrouvés). Fournet, Lepetz, 2014, p. 618.

20 Villeneuve, 1985-1986, p. 73.

21 Littmann et alii, 1921, p. 321 ; Villeneuve, 1985‑1986, p. 96 ; Clauss-Balty, 2008, p. 62.

22 Gatier, 1998, p. 684.

23 Clauss‑Balty, 2010, pp. 204 et 205.

24 Une hypothèse déjà proposée par Donceel‑Voûte, 1989, p. 1665, pour qui ces auges, trop hautes pour les chèvres et les moutons, auraient servi à l’élevage de bovins pour la consommation familiale. Selon elle, les pièces auraient également fait office d’écuries pour des mulets, des ânes et des chevaux pour le transport qui, comme en témoigne l’état des routes antiques, se faisait à dos d’animal dans cette région de Syrie-Palestine. Voir aussi Bauzou, 1985-1986, pp. 137-159.

25 Vogüé, 1865‑1877, p. 58 ; Mascle, 1944, p. 187 ; Bodo, Clauss‑Balty, 2009, p. 251 et pl. 19b. On pourrait aujourd’hui confronter cette hypothèse à ce que l’on sait des bibliothèques et dépôts d’archives antiques, voir Carrié, 2010 et Coqueugniot, 2013.

26 Barclay et alii, 1974, p. 181 ; Villeneuve, 1985-1986, p. 83.

27 Le plan de cette installation est représenté par le type 7 de la typologie, fig. 3, p. 177.

28 Butler, 1913-1919, pp. 202-204.

29 De Vries, 1998, p. 109.

30 Villeneuve, 1985-1986, p. 97.

31 À l’appui de cette assertion, deux descriptions modernes de la vie paysanne associent les hommes et les bêtes dans le même espace de vie : au Liban, il s’agit de la description d’un type de maison dit « monocellulaire », Aurenche, 2012 (réédition d’un article de 1992), p. 123, où le bétail se tient, près de l’entrée, derrière des auges ouvrant sur la pièce à vivre de la famille. Pour ce qui est des Hautes-Alpes françaises au début du xxe siècle, on apprend à la lecture de Carles, 1981, pp. 41-42, qu’en hiver, les familles se réfugiaient dans les étables « où la chaleur des bêtes entretenait une température supportable » et que le soir s’y tenaient les veillées. L’étable est ainsi décrite comme une pièce à la fois chaleureuse et conviviale.

32 J’ai réalisé le relevé, encore inédit, de telles installations dans deux maisons antiques de Umm el‑Jimal et de Umm es‑Surab. Butler, 1913‑1919, p. 337 en a représenté quelques-unes dans ses relevés de maisons de Syrie du Sud, à Busan par exemple, datables probablement de l’époque médiévale.

33 En plus de celles signalées dans le Massif Calcaire, présentées dans cet ouvrage par G. Charpentier, pp. 147-158, J.-L. Biscop, pp. 159-172 et D. Pieri, pp. 231-247, une « salle à auges » de belle facture a été relevée dans une maison datée de l’époque byzantine de la ville d’Andarin : Strube, 2006-2007, p. 129 et p. 134, fig. 7.

34 Le complexe du Qasr ibn Wardan associe une grande résidence à une église et à une caserne, tous édifiés dans le dernier quart du vie siècle. En dernier lieu, De Maffei, 1995.

35 Je remercie chaleureusement Marion Rivoal pour cette information et la documentation qu’elle m’a fournie.

36 Néanmoins, dans le cas précis du Qasr ibn Wardan, il conviendrait d’explorer plus avant les hypothèses émises dans ce volume par F. Bejaoui et Z. Lecat entre autres, qui proposent que les alignements d’auges liés aux espaces d’accueil aient servi soit à la collecte, soit à la distribution de biens. Voir ci‑dessus p. 83.

37 Un autre « palais », élevé à l’époque omeyyade dans la badiyya jordanienne, Qasr Kharaneh, présente de part et d’autre de son entrée deux longues salles chacune séparée en deux travées par une paroi où des baies alternent avec de massifs poteaux maçonnés. Si auges il y eut, elles ont disparu. Un aménagement très semblable est conservé dans le complexe dit « des étables » au nord du palais de Meggido, daté de l’Âge du Fer. Des salles très allongées étaient séparées en trois travées par deux alignements de pierres dressées séparant des baies. Dans ces baies, des cuves monolithiques sont parfois conservées en place : voir Shiloh, 1993, p. 1021.

38 Voir, dans ce volume, l’article de T. Erickson-Gini, pp. 191-201.

39 Walmsley, 1993, pp. 199-200, fig. 18 et pl. 1, p. 237.

40 Dans les années 1930, seul un tombeau probablement daté de l’époque romaine impériale était connu sur ce site établi à proximité de la ville de Salt : De Vaux, 1938, p. 403. Les autres installations décrites plus haut ont été découvertes à l’occasion des travaux menés pour l’installation d’une station d’épuration d’eau dans le milieu des années 1990.

41 Observations personnelles sur le terrain.

42 Des installations similaires sont observables dans l’agglomération associée au fortin d’époques romaine et byzantine de Umm er-Rasas. Ce village possède des maisons, plusieurs églises, un pressoir à raisin et, non loin, des murs percés de baies couvertes par des arcades clavées, qui auraient aussi perdu les blocs encastrés entre les montants des baies pour former une cuve à leur base (observation personnelle sur le terrain).

43 Pour une présentation plus détaillée : al-Muheisen, Piraud-Fournet, 2013, p840 ; et Durand et alii, 2018, pp. 607-613.

44 Ces recherches sont en cours de publication par l’archéozoologue Hervé Monchot.

45 Durand et alii, 2018, p. 611.

46 Ibid., pp. 613-616.

47 Villeneuve, 2011, p. 327 et Villeneuve, al‑Muheisen, 2000, pp. 1561-1562.

48 Borel, 2010, p. 81.

49 Fournet, inédit. Je remercie Marie-Françoise Boussac et Thibaud Fournet pour cette information. Ce type d’installation est très ancien, attesté par exemple sur le site d’Amarna (Haute‑Égypte), la capitale du pharaon Akhenaton, construite en 1360 av. J.‑C., ou encore par une maquette d’étable, découverte dans la tombe de Méketrê et datée du Moyen Empire, conservée aujourd’hui au Musée du Caire.

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