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Les salles et les « bâtiments à auges » dans les villages de la Syrie du Nord

p. 147-158


Texte intégral

1L’étude des « salles et des « bâtiments à auges » dans les villages de la Syrie du Nord s’inscrit dans le cadre des recherches menées par la Mission archéologique syro-française de la Syrie du Nord, sous l’égide du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français, de la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Damas, et en collaboration avec des membres du CNRS et des étudiants des universités syriennes et françaises1. Elle concerne les auges et constructions à auges recensées dans la plupart des villages antiques des campagnes de la Syrie du Nord. Ces villages d’époques romaine et byzantine sont situés dans une vaste région comprise entre la frontière turque au nord et Apamée au sud, les vallées de l’Afrin et de l’Oronte à l’ouest et la plaine d’Alep à l’est. Ils occupent un ensemble de plateaux calcaires connus sous le nom de « Massif Calcaire ». Avec une superficie d’environ 2 000 km², celui-ci se divise en trois groupes de chaînons : Gebels Sem‘an et Halaqa au nord, Baricha et El A‘la au centre et Zawiyé au sud.

2Les plus anciennes « salles à auges » conservées sur les sites datent de l’époque protobyzantine, de la fin du ive à la fin du vie siècle. Elles n’ont jamais fait l’objet d’études spécifiques, à l’inverse d’installations similaires associées aux activités artisanales, comme les aires de broyage ou les recettes des pressoirs. Leurs installations ont toujours été associées aux animaux domestiques et leurs fonctions de mangeoires ou d’abreuvoirs n’ont jamais été remises en cause. Ces installations sont le plus souvent intégrées à de grandes maisons, mais on les trouve aussi disposées à l’intérieur de bâtiments à usage collectif, comme l’auberge de Sergilla et le « bâtiment à auges » du village de Géradé, constructions sur lesquelles nous reviendrons plus en détail.

3D’une manière générale, ce type d’installation observé sur l’ensemble du Massif Calcaire utilise des auges en pierre dont la plupart sont taillées dans des blocs extraits de la roche calcaire qui affleure en permanence sur tous les sites de la campagne de la Syrie du Nord (fig. 1). Les auges les plus répandues ont un gabarit rectangulaire quasi standard de 0,70 m de hauteur sur 0,60 m de largeur, avec une longueur comprise entre 1 m et 1,50 m. Leurs faces supérieures sont creusées sur environ 0,30 m de profondeur, laissant des bords d’une douzaine de centimètres de largeur. D’après leurs formes, ces blocs à auges étaient disposés entre des piliers ou contre les murs des édifices. Désolidarisés des éléments porteurs, ils ont été, pour la plupart, déplacés et remployés lors des phases d’occupation postérieures des villages antiques. Utilisés aujourd’hui comme abreuvoirs, ils sont disposés, le plus souvent, à proximité des citernes antiques creusées dans les cours des maisons protobyzantines (fig. 2). Ainsi, considérés généralement comme des blocs épars, ces blocs à auges, isolés au milieu des ruines, témoignent de réoccupations de sites qui diffèrent suivant les lieux et les époques. Souvent négligées du point de vue historique, ces phases d’occupation tardives peuvent également varier selon les modes de réappropriation des lieux, qu’ils soient sédentaire, semi-sédentaire ou même nomade suivant les périodes de transhumance.

Fig. 1. — Un bloc à auge déplacé dans le village de Sergilla, Syrie, 2009

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© Mission de la Syrie du Nord.

Fig. 2. — Un bloc à auge utilisé comme abreuvoir près d’une citerne à Sergilla, Syrie, 2009

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4Plusieurs auges en pierre sont remployées dans les ruines de bâtiments protobyzantins réhabilités comme habitations aux époques médiévale, moderne et contemporaine. Dans le village de Ruweiha où vivent encore plusieurs familles, des auges en pierre ont été disposées à l’intérieur des vestiges de l’église protobyzantine (fig. 3). Les murs des nefs latérales conservés sur plus de 3 m de hauteur servaient jusqu’en 2011 de murs d’enclos pour une ferme toujours en exploitation. Ce type d’aménagement est également visible à l’intérieur des grandes maisons des ve et vie siècles dont les ruines ont été réoccupées aux périodes moderne et contemporaine. En revanche, la plupart des auges remployées aux époques post-byzantines (omeyyade ou abbasside) et médiévale disparaissent sous les remblais et les éboulis, comme nous avons pu le constater sur le site d’El Bâra. Les fouilles réalisées entre 2007 et 2010 au centre de cette grosse agglomération villageoise ont permis d’observer plusieurs installations à auges implantées à proximité et à l’intérieur des vestiges des premiers bains publics du ve siècle. La première concerne une petite salle située à l’angle nord-est du bâtiment thermal, dans le prolongement du portique d’entrée des thermes. Sa construction est contemporaine de la phase de transformation des bains byzantins en hammam, à la fin de l’époque omeyyade ou au début de la période abbasside. Elle est pourvue de deux auges décalées l’une par rapport à l’autre. Celle au nord est maçonnée à l’aide de petites pierres colmatées à l’argile et pouvait constituer une première mangeoire, tandis que la seconde, fabriquée à partir d’un chapiteau-console, pouvait servir d’abreuvoir (fig. 4). Décoré sur ses deux faces principales, ce bloc a été creusé au lit d’attente sur une vingtaine de centimètres de profondeur. Il repose sur un sol constitué de dallettes en terre cuite. D’après le dispositif en place, l’installation des auges est postérieure à la construction de cette salle qui, dans un premier temps fonctionnait comme une pièce d’habitation.

Fig. 3. — Le remploi d’une auge dans l’église sud du village de Ruweiha, Syrie, 2009

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Fig. 4. — La petite « salle à auges » d’El Bâra, avec le remploi du chapiteau-console, Syrie, 2009

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5Lors de la phase postérieure à l’abandon des bains islamiques, le bâtiment thermal a été partiellement démonté en vue d’être réhabilité en maison de village aux périodes ayyoubide et mamelouke (xiiexve siècles). Une des salles humides des anciens thermes est transformée en étable pourvue de deux grandes auges accolées à un pilier central. De longueurs différentes, ces dernières ont été fabriquées à partir de deux gros parpaings provenant des murs gouttereaux des thermes du ve siècle. Ces installations faites de blocs de remplois s’inscrivent dans l’histoire du village antique d’El Bâra occupé aux périodes post-byzantines et médiévales, avant un abandon quasi complet des ruines aux époques moderne et contemporaine.

6Malgré ces remplois quasi systématiques des blocs à auges, les villages antiques ont conservé in situ de multiples vestiges d’installations à auges de l’époque protobyzantine. Leur authenticité se traduit par des ensembles structurés réalisés suivant des modèles bien établis, caractérisés par des rangées clairement alignées constituées parfois d’une quinzaine d’auges, comme à Dar Qita2. Coincés entre des piliers porteurs, les blocs à auge sont alignés suivant un axe parallèle ou perpendiculaire aux murs de façade. Faute de dégagements systématiques, plusieurs auges sont encore enfouies sous les éboulis, mais nous pouvons supposer leurs présences à partir de caractéristiques architecturales visibles en élévation. Il s’agit le plus souvent de piliers monolithes qui supportent un mur de refend disposé entre la façade principale et le mur de fond des maisons (fig. 5). En revanche, il est souvent difficile de distinguer les étables liées aux pratiques de l’élevage, des écuries associées aux déplacements et au transport. Selon l’hypothèse de H. C. Butler, reprise ensuite par G. Tchalenko3, entre le début et le milieu du xxe siècle, ces installations étaient destinées essentiellement aux chevaux et aux animaux de bât utilisés pour les déplacements et le transport de denrées agricoles, notamment de l’huile4. Sans remettre totalement en cause ces interprétations, G. Tate considère qu’un fort pourcentage de ces salles à auges recensées dans les villages antiques du Massif Calcaire servait surtout d’étables5. Les auges destinées à des bovins ou des ovins témoignent alors de l’importance d’un élevage de stabulation qui implique une activité commerciale d’envergure difficile cependant à quantifier, en raison des multiples remplois et déplacements des auges en pierre. Selon l’auteur cette pratique des remplois s’est développée notamment aux xiie et xiiie siècles, période correspondant à une réoccupation partielle du Massif Calcaire par une paysannerie dont l’activité principale était l’élevage, hypothèse validée par les fouilles d’El Bâra.

Fig. 5. — Le mur de refend au-dessus des auges dans une maison de Baqirha, Syrie, 2009

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7Depuis ces travaux publiés par nos prédécesseurs, les installations à auges n’ont fait l’objet d’aucune recherche spécifique. Cependant, les prospections et les fouilles récentes ont permis de compléter les données de terrain. Il s’agit d’abord des salles à auges localisées et décrites à partir des relevés topographiques effectués sur le terrain entre 2002 et 2004 dans les villages du Gebel Zawiyé. De nouvelles salles souterraines ont été recensées avec leurs auges directement taillées dans la roche. Elles peuvent, indifféremment, posséder quelques éléments de décor, avec des chapiteaux-consoles décorés au-dessus des piliers, ou en être totalement dépourvues. De récents dégagements ont aussi permis de constater des différences dans la qualité de taille et de mise en œuvre de ces installations. Selon les cas, les blocs à auges disposés dans les salles peuvent être appareillés à la maçonnerie et être intégrés comme éléments de construction, ou être ajoutés à la structure et dissociés des éléments porteurs, à l’image de l’auberge de Sergilla étudiée dans le cadre de la monographie du village6 (fig. 6).

Fig. 6. — Auberge de Sergilla, face sud avec son portique, Syrie, 2009

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L’écurie de l’auberge de Sergilla

8Ce bâtiment remarquable est situé en bordure nord du village, à proximité des thermes situés au creux du wādī. Pourvu d’un étage, sa façade sud est précédée d’un portique surmonté d’une galerie au niveau supérieur. Il est intégralement conservé au niveau des maçonneries et il ne manque, en dehors des tuiles du toit, que les éléments en bois utilisés pour le plancher, la charpente et les aménagements intérieurs comme l’escalier. Les élévations sont constituées de gros parpaings calcaires posés à joint sec, dont la profondeur moyenne de 0,50 m équivaut à la largeur des murs. Les murs pignons est et ouest, ainsi que le mur nord, sont construits par assises régulières et chaînés aux angles, suivant un appareil pseudo-isodome régulier. Fondées sur un radier de deux assises, les joues du portique sont solidaires des murs pignons. Nous sommes en présence d’un bâtiment aux dimensions relativement modestes. Son plan hors œuvre forme un rectangle parfait de 12,45 m de longueur sur 9,4 m de largeur (fig. 7). La totalité du rez-de-chaussée est surmontée d’un étage auquel on accédait par un escalier en bois restitué sous le portique d’entrée à partir des traces d’encastrement. Nous laisserons de côté le niveau de l’étage, avec ses deux salles communicantes, pour présenter les trois espaces qui composent le rez-de-chaussée où sont disposées les blocs à auges : un portique d’entrée (1), une grande salle (2 et 3) séparée en deux parties par quatre piliers qui, disposés en enfilade, supportaient le mur de refend de l’étage. Le portique fait 3 m de profondeur et les deux espaces de la salle du rez-de-chaussée font 5 m (2) et 2,70 m (3) de profondeur. On accède dans la grande salle par une porte principale à deux battants qui ouvre au sud sous le portique de façade. Large de 1,35 m et haute de 2,15 m, la porte est surmontée d’un linteau mouluré de 0,60 m de hauteur frappé d’un chrisme central. Une porte secondaire haute de 2 m et large de 1,10 m, est située dans l’angle nord de la face ouest pour desservir l’arrière-salle.

Fig. 7. — Plan restitué de l’écurie de l’auberge de Sergilla, Syrie

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1. – Portique d’entrée ; 2. – Grande salle ; 3. – Arrière-salle ; 4. – Stalles.

© DAO : Mission de la Syrie du Nord, 2009.

9Grâce au dégagement d’une partie des surfaces intérieures, on restitue un sol en mortier de tuileau damé sur un radier de cailloutis d’une dizaine de centimètres d’épaisseur. Le sol repose sur un remblai de terre et de cailloutis utilisé pour combler les irrégularités du rocher. Le sol de l’arrière-salle (3) était surélevé d’une vingtaine de centimètres par rapport à celui de la grande pièce (2). Le passage entre les deux salles est matérialisé par un troisième seuil situé dans le prolongement du stylobate portant les piliers. Il marque un passage, large de 1,35 m qui était fermé de l’intérieur de la pièce (2) par une traverse en bois restituée à partir des traces d’encastrement.

10Les quatre piliers qui forment le refend, sont espacés en moyenne d’1,30 m les uns des autres à l’exception du pilier situé à l’extrémité et distant d’1,15 m du mur pignon. Ils sont constitués de deux blocs. Les piliers font 0,48 m de côté pour 1,90 m de hauteur. Ils portent des chapiteaux-consoles de 0,45 m de hauteur décorés sur trois faces et sur lesquels reposait une assise moulurée faisant office d’architrave. Quatre auges était disposées entre les piliers sur une même rangée. Deux ont été remployées en position renversée dans des aménagements modernes. L’une d’elles est complète et mesure 1,25 m de longueur pour 0,60 m de largeur et 0,65 m de hauteur. Sa face supérieure fut évidée sur une trentaine de centimètres de profondeur, laissant des bords de 0,12 à 0,15 m d’épaisseur. Comme les trois autres, ce bloc venait s’encastrer entre deux piliers suivant un ajustement parfait. Les quatre blocs à auges reposaient sur une assise inférieure correspondant au stylobate (fig. 8). Ce dispositif semble parfaitement adapté pour une écurie. Les auges accessibles des deux côtés servaient de mangeoires et d’abreuvoirs. Positionnées à 0,90 m de hauteur du côté sud, le personnel remplissait les auges à partir de la grande salle, laissant le côté nord accessible pour les chevaux parqués dans l’arrière salle (3). Les chevaux étaient attachés par des longes aux piliers ou aux blocs à auges sur lesquels on distingue encore les trous d’accroche percés aux angles des pierres, côté nord. D’autres indices permettent de confirmer l’existence d’une écurie. Les trois encoches taillées dans le parement interne du mur est de la grande salle, à 2,20 m de hauteur (fig. 9), correspondent aux encastrements de bâtis en bois liés probablement à l’installation de stalles (4). Cet espace de 4 m de hauteur était pourvu également de huit petites ouvertures de 0,15 m de largeur percées dans les murs est, ouest et nord. Situées à 1,50 m de hauteur au-dessus du sol, elles permettaient de ventiler les salles du rez-de-chaussée en assurant un éclairage minimum.

Fig. 8. — Auberge de Sergilla, coupe nord-sud, Syrie, 2009

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© Mission de la Syrie du Nord.

Fig. 9. — Auberge de Sergilla, parement intérieur du mur est, Syrie, 2009

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© Mission de la Syrie du Nord.

11Les chevaux devaient donc impérativement franchir la colonnade du rez-de-chaussée d’un portique‑galerie qui s’avère identique à ceux construits en façade des grandes maisons à étage et ouvrant sur les cours intérieures (fig. 10). Nous sommes en définitive leurrés par l’aspect monumental que confère au bâtiment le remarquable état de conservation de cette colonnade. Cet édifice ouvrant directement sur l’extérieur servait probablement d’auberge ou de gîte d’étape pour les gens de passage qui, après avoir laissé leurs chevaux à l’écurie et avant de rejoindre les deux salles situées à l’étage, pouvaient se rendre aux bains publics du village.

Fig. 10. — Restitution de l’auberge de Sergilla en perspective axonométrique, Syrie

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© DAO : Mission de la Syrie du Nord, 2009.

Le « bâtiment à auges » de Géradé

12Nous terminerons cette présentation par un « bâtiment à auges » situé dans le village antique de Géradé (fig. 11). Construit selon les mêmes techniques et avec les mêmes matériaux, son plan s’apparente à celui de la salle du rez-de-chaussée de l’auberge de Sergilla. Cependant, cet édifice est unique en Syrie du nord, dans le sens où ce n’est plus simplement une salle à auges faisant partie d’un ensemble plus vaste, mais bien un bâtiment indépendant pourvu d’une rangée de huit auges soigneusement disposées au centre d’un même espace. Cette construction est située à la périphérie de Géradé, village implanté sur les premiers contreforts du Gebel Zawiyé, à la bordure orientale du Massif Calcaire. À l’inverse de Sergilla, les ruines du village antique de Géradé sont actuellement habitées sur toute la partie ouest du site. Un plan topographique quasi complet de l’agglomération antique a pu être dressé à partir des photographies aériennes datant des années quarante. Les observations réalisées sur le terrain ont permis de le compléter et de localiser précisément le « bâtiment à auges » à l’extrémité sud de l’agglomération.

Fig. 11. — « Bâtiment à auges » de Géradé, vue de l’angle nord-est, Syrie, 2009

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© Mission de la Syrie du Nord.

13Ce bâtiment a été partiellement dégagé en 1987. Cette opération archéologique, initiée par G. Tate, visait à confirmer par la fouille l’existence d’une bergerie ou d’une étable durant la phase d’occupation protobyzantine. Elle fut rapidement interrompue, en raison de la découverte dans les remblais d’un important matériel lithique (artefacts taillés en silex) dès les opérations de décapage de sols7. Faute de relevés détaillés du bâtiment, un plan et deux élévations schématiques ont été réalisés à partir des données topographiques et d’une couverture photographique de l’édifice complétées en 2004. Cette documentation assez réduite est cependant suffisante pour montrer les principales caractéristiques de ce « bâtiment à auges » dont les murs sont en partie conservés jusqu’à l’assise de corniche. Comme la plupart des bâtiments du ve et du vie siècle, il était couvert d’un toit en tuiles à deux pans porté par une charpente et qui se prolongeait du côté ouest par un appentis. Plus vaste que l’écurie de l’auberge de Sergilla, son plan forme un rectangle régulier de 14,70 m de longueur sur 12 m de largeur, avec des murs de 0,50 m d’épaisseur (fig. 12). Dissocié de toute autre construction, il ouvre directement sur les espaces extérieurs par deux portes orientées au nord et à l’est dont la plus large, avec un passage d’1,10 m, est centrée sur la façade est. Elle ouvre sur un premier espace (1) de 7 m de profondeur bordé du côté ouest par une rangée de six blocs à auges. Celui-ci est pourvu d’une porte secondaire de 0,80 m de largeur orientée du côté nord. Un second espace de 3,30 m de profondeur est situé du côté ouest des auges. Il est accessible par un seul passage intérieur d’environ 1 m de large, ménagé au centre de la rangée constituée de six blocs à auges (fig. 13). À l’inverse de l’installation précédente, les blocs à auges sont parfaitement jointifs de part et d’autre du passage central. Ils constituent ainsi une première assise sur laquelle reposent les six piliers centraux et les deux demi-piliers plaqués contre les parements intérieurs des murs pignons. De section carrée d’environ 0,60 m de côté, ces piliers monolithes ont une hauteur équivalant à celle de deux assises. Ils portent un mur de refend qui, effondré en partie haute, était à l’origine constitué de cinq assises surmontées d’une sixième moulurée faisant office de corniche. Faute de relevés de détail, nous estimons la hauteur des murs gouttereaux à environ 5,50 m, soit une hauteur de 8 m au faîtage du toit (fig. 14). La construction forme un ensemble parfaitement homogène et les blocs à auges sont solidaires de la maçonnerie. Il n’existe aucune trace d’accroche sur les piliers ou sur les angles des blocs à auges. En revanche, la disposition générale à l’intérieur du bâtiment rappelle celle décrite pour l’écurie de Sergilla. Les blocs à auges sont situés 0,90 m au-dessus du sol restitué de l’espace principal (1) et à seulement une soixantaine de centimètres du sol de l’arrière salle (2). Des ouvertures étroites destinées à la ventilation des espaces intérieurs sont également situées à une hauteur équivalente de celles observées à Sergilla.

Fig. 12. — Plan restitué du « bâtiment à auges » de Géradé, Syrie

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1. – Espace principal ; 2. – Arrière-salle ; 3. – Petite salle carrée.

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Fig. 13. — Rangée d’auges du bâtiment de Géradé, vue du sud-ouest, Syrie, 2009

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Fig. 14. — Coupe schématique restituée du « bâtiment à auges » de Géradé, Syrie

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1. – Espace principal ; 2. – Arrière-salle.

© DAO : Mission de la Syrie du Nord, 2009.

14L’une des caractéristiques principales concerne une petite salle carrée (3) flanquée dans l’angle sud‑est de la grande salle (1) (fig. 15). Elle fait 3 m de côté pour environ 3 m de hauteur restituée à partir des cinq assises conservées des murs intérieurs. Cette guérite était couverte d’un plancher en bois qui, restitué à partir des encastrements des poutres, devait se poursuivre jusqu’au mur de refend construit au-dessus de l’alignement des auges. Ce plateau situé à 3 m de hauteur environ servait probablement à stocker du fourrage. On accédait à la petite salle par une porte orientée au nord, du côté de la porte d’entrée principale. Ce local était éclairé sur la face est par une petite fenêtre percée sur une hauteur de deux assises et pourvue, à l’origine, d’une grille en fer dont il reste les traces de scellement. Les deux espaces situés de part et d’autre de la rangée d’auges étaient faiblement éclairés par les ouvertures de ventilation et par une petite fenêtre percée au niveau d’une assise à l’extrémité nord de la façade d’entrée. Ainsi, le bâtiment à auges du village de Géradé possède des caractères architecturaux similaires à ceux de l’écurie du rez-de-chaussée de l’auberge de Sergilla. Isolé et ouvrant directement sur les espaces extérieurs, il est destiné à un usage collectif, avec une capacité de stabulation estimée pour six à dix chevaux. Situé en bordure du village, le long d’un axe de passage, il pouvait fonctionner comme un « relais de poste » où les voyageurs faisaient reposer leurs montures le temps d’une étape et sous le contrôle du gérant de l’établissement. On ignore si d’autres bâtiments jouxtaient cet édifice lors de son fonctionnement à l’époque protobyzantine et seuls de nouveaux dégagements aux abords immédiats permettraient de compléter les données archéologiques.

Fig. 15. — Les auges et la petite pièce dans l’angle sud-est du bâtiment de Géradé, Syrie, 2009

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15En définitive, la fonction d’écurie ou d’étable pour les salles à auges des villages antiques de la Syrie du Nord ne semble pas poser de problème dans le cas de l’architecture domestique, ni dans le cas des auberges comme celle de Sergilla. Nous pourrions émettre quelques réserves pour le « bâtiment à auges » de Géradé, d’une part en raison des sols intérieurs dont on ignore le nivellement précis par rapport à la hauteur des auges et d’autre part du fait du caractère monumental de l’architecture des lieux. Toutefois, si la qualité de taille des blocs et l’ampleur des espaces intérieurs du bâtiment de Géradé peuvent surprendre pour une simple écurie, il est tout aussi étonnant d’identifier à Sergilla une écurie dont l’entrée principale ouvre sous un portique à colonnade. Pour conclure, la vraie problématique au sujet des salles et des « bâtiments à auges » recensés dans le Massif Calcaire est de pouvoir identifier clairement les étables des écuries à partir des nombreux vestiges répartis dans les villages antiques de la Syrie du Nord.

Notes de bas de page

1 La Mission archéologique syro-française de la Syrie du Nord est dirigée depuis 2009 par le professeur Maamoun Abdulkarim (Directeur Général des Antiquités et des Musées de Syrie, Professeur à l’Université de Damas) et par Gérard Charpentier (architecte CNRS, MOM-Lyon), avec le concours des Universités de Damas, de Lyon 2 et de Strasbourg.

2 Tchalenko, 1953, vol. 2, pl. XVII.

3 Ibid., vol. 1, pp. 21-25.

4 La prédominance de la culture de la vigne a également été démontrée par Olivier Callot dans une publication récente consacrée à l’étude d’une trentaine de pressoirs qui, situés dans un même village antique, étaient destinés, pour la plupart, à presser le raisin (Callot, 2017).

5 Tate, 1992, pp. 246-247.

6 Tate et alii, 2013, vol. 1, pp. 497-505 ; vol. 2, pp. 201-208.

7 Poplin, 1988, p. 407.

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