« Salles à auges » et écuries dans des bâtiments routiers des Hautes Steppes d’Algérie
p. 131-146
Texte intégral
1Compte tenu de la richesse de la documentation archéologique et épigraphique des provinces romaines d’Afrique, la réflexion sur l’identification de « bâtiments à auges » lancée par les archéologues et les historiens offre une opportunité d’enrichir les connaissances sur la question de l’équipement du réseau routier romain. La place des chevaux dans les différents usages de la route fait des auges dont la fonction première est l’alimentation animale un indice d’identification d’un bâtiment de bord de route1. Mais il ne faut pas prendre pour des mangeoires des récipients qui ont eu un tout autre usage, comme l’a montré N. Duval en réinterprétant des ensembles architecturaux trop rapidement identifiés comme des écuries alors que leur taille empêchait les chevaux d’y avoir accès. Si donc on veut identifier des bâtiments routiers par leurs écuries, il faut laisser de côté la catégorie de monuments dont il a défini un plan type2 et isoler des écuries dans la série des « monuments à auges ». L’examen de la documentation disponible se heurte alors à deux difficultés. La première est d’ordre documentaire. Des auges ont existé dans toutes sortes de constructions, pour des usages et à des époques différentes. Mais leur présence n’a pas toujours été signalée comme il apparaît dans les inventaires dressés. La seconde relève de la nature des bâtiments nécessaires à l’accueil de courriers, de voyageurs et de commerçants circulant seuls ou en convois et également aux militaires, plus particulièrement aux cavaliers assurant la police et le contrôle de la route.
2Deux études de cas m’ont servi de point de départ. Le premier, celui du site du Val d’Or à Oued Athmenia me servira à montrer qu’il existe bel et bien en Afrique des « salles à auges » qui sont des écuries. Le second est celui de deux « bâtiments à auges » qui entrent dans la série des fortins des Hautes Steppes étudiés par Z. Lecat3. Dans les deux cas, il s’agit de contextualiser les données disponibles et d’en proposer une identification par la méthode comparative. Dans l’un, celui d’une villa luxueuse, j’attire l’attention sur deux possibilités : interpréter des écuries en relation avec la place du cheval dans la vie aristocratique ou comme un témoignage d’une hospitalité offerte à titre gracieux ou rémunérée. Dans le second, l’identification de fortins pourvus d’écuries au bord d’une route reliant Carthage aux villes de Numidie trouve sa place dans la remise en question d’une histoire de l’Afrique fondée sur des extrapolations héritées cette fois des militaires, à qui l’on doit précisément l’essentiel des données archéologiques utilisées ici.
« Bâtiments à auges » et archéologie des sites de bord de route
3Le rêve de trouver sur un site de bord de route une inscription qui en assure l’identification est parfois réalisé. Le seul exemple que je connaisse est la reconstitution d’une inscription de Sardaigne qui a permis d’identifier comme un praetorium un bâtiment fouillé au xixe siècle pour lequel on disposait d’un plan4. En Afrique, la contribution de l’épigraphie africaine à l’accueil des usagers de la route reste anecdotique. Dans son livre Le voyage dans l’Afrique romaine, St. Guédon ne peut guère citer qu’une inscription datée de 408 à Calama en Numidie proconsulaire, à une soixantaine de kilomètres d’Hippone. Gravée dans un cadre à queue d’aronde (2 m sur 0,67 m), elle mentionne « un lieu couvert de ruines qui avait été précédemment dégradé par la saleté et la crasse, remis en état pour ce que son utilisation nécessite et pour l’accueil des voyageurs… jusqu’au toit5 » (fig. 1). Le bâtiment remis en état « à ses frais » (propria pecunia) par un curator rei publicae dont seul subsiste le cognomen de Valentinus est qualifié de locus. L’inscription qui se trouve au Musée du Louvre a été copiée par Delamare et commentée par St. Gsell qui ne donne aucune information sur son origine. Le locus se trouvait probablement en périphérie de la ville près de la sortie d’une des huit routes que St. Gsell énumère dans l’article consacré à Guelma dans l’Atlas archéologique6.
4Dans ces conditions, l’archéologie est seule en mesure de faire avancer le dossier de l’identification des bâtiments routiers. La question de l’accueil n’a été encore envisagée que pour les villes. À Timgad, le site le mieux documenté, dans le secteur de la porte de Lambèse où l’épigraphie atteste des meritoria, c’est-à-dire des logements proposés aux voyageurs7, P. Salama décrit une « zone d’attente » pour les véhicules lourds et J. Lassus identifie comme une auberge une grande maison au nord du Capitole8. De son côté, St. Guédon relève la présence d’une auberge signalée par A. Berthier à l’entrée du Castellum Tidditanorum9. Par ailleurs, à Oudhna (Uthina), nous avons examiné sous cet angle les entrées et sorties de la ville à la recherche d’établissements et de lieux de stationnements pour montures, troupeaux et voyageurs en transit analogues aux fondouks des villes médiévales10.
L’écurie du Val d’Or à Oued Athmenia
5L’écurie du Val d’Or à Oued Athmenia, qui apparaît au détour d’allusions dans la bibliographie, mérite qu’on lui accorde l’intérêt qui lui a manqué. C’est pourtant en Afrique la seule dont l’identification est certaine à la différence de toutes les autres.
6Le Val d’Or se trouve à 2 km d’Oued Athmenia, à 32 km au sud-ouest de Constantine dans la vallée du Rhumel11. Au xixe siècle la découverte des mosaïques des thermes dits « de Pompeianus » en a fait la célébrité. Bien qu’aucun plan général du site n’ait été publié ni au xixe siècle lors des fouilles des thermes ni à la fin des années 1920 à la reprise des fouilles, il est à peu près certain qu’il y avait là une villa luxueuse. Les 800 m2 de l’ensemble dégagé alors correspondaient à des thermes et à un appartement contigu de treize salles. La partie principale de la villa serait une centaine de mètres à l’ouest, mais ses matériaux ont été récupérés pour la construction des bâtiments modernes12. On ignore le rapport qui a pu exister entre cette villa et les vestiges reconnus à 1 800 m de là au lieu-dit Kharba : un « petit centre romain qui subsistait au temps du christianisme » et des thermes pavés de mosaïques13. Selon J. et A. Alquier, l’attribution du domaine à Pompeianius est probablement erronée. L’historique du dossier qu’a réalisé É. Morvillez confirme ce qu’ils écrivaient à propos des mangeoires des chevaux qui figurent sur la mosaïque reproduite dans l’article « equitium » du Dictionnaire des Antiquités14 : c’est le fruit de l’imagination du dessinateur qui a voulu compléter une lacune15.
7Au début des années 1960, A. Berthier a publié un article dont le titre ne rend pas véritablement compte du contenu16. L’un des deux bâtiments est une huilerie qui appartenait au site de Kharba, ce qui en justifie la qualification d’« agricole ». En revanche, elle ne s’applique pas au second qui se trouve à l’ouest du bâtiment à mosaïques du Val d’Or, un grand bâtiment carré de 70 m de côté constitué de quatre ailes larges de 8,5 m. Une entrée charretière formée par un tronçon de voie dallée de 8 m de long sur 3 m de large ouvrait sur une vaste cour de 53 m de côté bordée par une galerie de 2,50 m de large. A. Berthier a reconnu dans le long hall de 70 m sur 8 m de l’aile occidentale une vaste écurie partagée par une file de plus de quarante-trois auges de pierre que séparait en deux un passage situé dans l’axe de l’entrée depuis la cour. Vingt-sept auges étaient en place et l’emplacement de seize autres a été reconnu. Ces auges dont les cavités étaient longues de 1 m, larges de 0,42 m et profondes de 0,28 à 0,30 m étaient taillées dans des blocs parallélépipédiques mesurant eux-mêmes entre 1,25 m et 1,33 m sur 0,60 m de large et 0,70 m de hauteur, ce qui laisse pour chaque animal un espace supérieur à un mètre. Leurs rebords se trouvent à 1,10 m au-dessus du sol. Elles comportent des perforations de 4 cm de diamètre qui servaient à attacher les chevaux côte à côte sur une seule rangée, au sud. Leurs faces étaient laissées brutes du côté où se trouvaient les chevaux, alors qu’elles étaient travaillées avec soin et bouchardées de l’autre. Ces précisions, qui caractérisent bien les auges comme des mangeoires ajoutées à celles qui portent sur les accès lèvent les doutes qui ont pu s’exprimer sur l’identification d’écuries. La partie réservée aux chevaux se trouvait à l’est, côté cour ; elle mesurait 3,25 m de large et un couloir d’alimentation situé du côté ouest avait 4 m de large. Deux portes ont été reconnues dans l’angle nord de cette aile. L’une située dans le prolongement du couloir d’alimentation ouvrait vers l’extérieur. L’autre donnait accès à l’aile nord. Dans la partie dégagée de cette dernière, une porte-cochère située dans l’angle du bâtiment ouvrait sur la cour. Mais on ne peut rien dire d’elle, pas plus que de celle qui lui fait face (fig. 2).
8Pas plus que les autres représentations de villa connues17, celle que l’on voit sur la mosaïque de Pompeianus n’a de chance d’être la villa du propriétaire et encore moins l’écurie qui abritait les chevaux qui y sont figurés. En revanche, si l’on suit la proposition de J. Rossiter, la façade du bâtiment de la mosaïque de Tabarka qu’il interprète comme une écurie pourrait évoquer les boxes de celle d’Oued Athmenia18.
9A. Berthier se contente de souligner la qualité architecturale du bâtiment sans en proposer une identification d’ensemble. Selon l’opinion commune, la mosaïque des chevaux qui en décore une des salles thermales suggère que c’était une annexe de la résidence d’un très grand propriétaire et que l’écurie était destinée aux chevaux qu’il élevait pour la course ou pour la chasse. Un même raisonnement a été utilisé pour la domus de Sorothus à Sousse19 ainsi que pour la « villa de l’aurige » à El Val (Alcala de Henares) dans la péninsule Ibérique20. Mais il existe une autre possibilité relevant de la thématique de l’accueil. Dans l’aile orientale, au sud de l’entrée principale, A. Berthier a reconnu deux groupes de trois pièces au sol bétonné formant comme deux appartements. Le compartimentage du reste de cette aile fait croire à une disposition analogue dans sa partie nord. Plusieurs appartements auraient pu être dévolus à l’accueil gratuit ou payant des hôtes du grand personnage propriétaire du domaine du Val d’Or comme on le sait ailleurs21. Mais on ne peut en dire plus à cause de l’absence de précisions sur la cour, sur l’environnement du bâtiment et sur les deux ailes nord et sud dont seul le plan général est reconnu. Le site ayant été depuis noyé dans les eaux d’un barrage, il faut espérer que les archives de la Société archéologique de Constantine qu’a consultées J.‑P. Laporte permettront un jour d’en dire davantage.
Bâtiments routiers d’Afrique Proconsulaire et de Numidie
Les deux bâtiments de la voie de Theveste à Lambèse dans la plaine de Gassès
10La recherche que je poursuivais sur la typologie des bâtiments routiers m’a conduit à m’intéresser à Henchir el Abiod et el Adjeje, les deux bâtiments à files d’auges que Z. Lecat et F. Bejaoui ont présentés22. Tous deux figurent sur la feuille 39 (Chéria) de l’Atlas archéologique de l’Algérie, le premier à une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau à l’ouest de Chéria et le second une quinzaine plus à l’ouest, dans la partie algérienne de la Numidie sur le territoire de Tébessa (fig. 3). La plaine de Gassès où ils se situent et celle du Guert qui la prolonge au sud appartiennent à une région steppique du nord des Nemencha, où de nombreux débris de pressoir témoignent d’une prospérité qui offre un contraste violent avec l’aridification actuelle23. J. Birebent a consacré un chapitre à la description des aménagements hydrauliques qui en rendent compte24. Henchir el Abiod était un municipe dont le nom pourrait être Municipium Uneniense25. En revanche, on ignore celui d’el Adjeje que Fr. Guénin décrit comme une « ruine étendue et importante » où l’on a trouvé plusieurs inscriptions dont une dédicace à Gordien III et à Sabina26.
11Dans les deux cas, les bâtiments ont été identifiés comme des forts byzantins. Ils sont de dimensions analogues, une quinzaine de mètres de côté, et leur espace interne s’organise autour d’une cour. Mais Henchir el Abiod paraît plus important. Ses murs sont épais de 1,70 m au lieu de 1 m pour Henchir el Adjeje. Deux files de six auges en caractérisent deux pièces latérales comme des écuries. Quatre pièces identifiées comme des chambres étaient situées à l’opposée d’une entrée de part et d’autre de laquelle le plan figure deux pièces plus vastes. Des escaliers donnaient accès à un étage. Le plan d’Henchir el Adjeje est légèrement différent de celui d’el Abiod : l’entrée est en retrait par rapport aux tours qui l’encadrent ; les deux séries d’auges ne sont que de quatre chacune, les espaces qu’elles délimitent ne sont pas cloisonnés et il ne paraît pas avoir comporté d’étage (fig. 4).
12Les deux édifices présentent un dispositif de fermeture original par un disque de pierre qui en confirme le caractère fortifié. Avec un diamètre de 1,70 m, celui d’el Abiod correspond à une ouverture suffisante pour le passage d’un cheval. La porte d’Henchir el Adjeje était « assez étroite » et « défendue de chaque côté par deux corps de bâtiments faisant saillie à l’extérieur » selon Lac de Bosredon qui l’a décrite. Il n’en précise pas les dimensions, mais donne un dessin du système27 (fig. 5).
13La seule enceinte du secteur pour laquelle on dispose d’une date est celle d’Henchir el Ksour, 4 km au nord de Tébessa où Fr. Guénin a identifié un fragment de borne milliaire du second mille sur la section commune des routes de Cirta et Thamugadi par Aquae Caesaris (Youks)28. Une inscription placée au-dessus d’une des deux entrées en date la construction du règne d’Héraclius (612-641)29. Bâtie en matériaux de récupération, elle entoure une construction (disparue) que St. Gsell interprète comme une chapelle. Ses portes ne sont pas décrites. À Henchir el Khima près d’Haïdra où le disque est encore en place, la céramique collectée indique, à ce jour, une fourchette d’occupation entre la moitié du iie et le vie siècle30. À défaut de données épigraphiques permettant de dater ces dispositifs, on peut invoquer le parallèle de l’enceinte d’Henchir el Begueur (ou Henchir Faraoun). L’ouverture mesurait 2,14 m sur 1,6 m. Elle était munie d’une feuillure. Sur le montant, le seuil et les linteaux, des trous marquaient l’emplacement de gonds et de verrous. Entre les deux portes, un vide de 0,37 m de large sur 1,8 m de hauteur et 2,5 m de longueur abritait un disque de 1,68 m de circonférence et de 0,20 m d’épaisseur. On pouvait le déplacer au moyen d’un levier depuis une chambre latérale de 1,18 m sur 3,23 m31. Y. et N. Duval ont montré que le « bâtiment à auges » inclus dans l’enceinte que fermait cette porte datait du ve siècle. Cela donne un terminus qui s’accorde à l’hypothèse traditionnelle d’une datation à l’époque byzantine.
14Ce dispositif de fermeture se retrouve sur deux autres bâtiments dans la région du Darmoune par où passait une voie secondaire venant de la plaine du Bahiret el Arne et rejoignant au sud la voie Theveste ad majores32. L’une se trouve 21 km au sud-est de Cheria à Henchir el Outed où Fr. Guénin signale une « petite tour carrée en pierres de taille bien assemblées, dont la porte est fermée par un disque de pierre » et « un fort byzantin »33. L’autre est Henchir Belfrouts, où il décrit dans un ensemble de ruines de 800 m sur 500 m « un fort de l’époque romaine » de 25 m sur 15 m qui présente une entrée en saillie flanquée de deux tours carrées conservées en élévation sur 4 m34 (fig. 6).
15D’autres exemples de ce système en ont été reconnus à deux occasions plus à l’ouest. Dans Fossatum africae, J. Baradez explique qu’une fouille rapide lui a permis le dégagement d’une porte à disque sur un petit ouvrage situé à l’est de Gemellae le long d’une voie35. A. Lebert, un administrateur de la commune mixte d’Ouled Djellal qui a collaboré avec le colonel Baradez signale sur une autre piste reliant Ouled Djellal à Ourlal, 17,7 km à l’est, un bâtiment en grand appareil dont la porte était fermée par un disque de pierre. L’intérieur comprenait des chambres, les restes d’une huilerie et un puits. Mais il n’en donne ni le plan ni les dimensions36.
16En définitive, ce système de fermeture est donc mieux représenté en Numidie et dans les Hautes Steppes du côté algérien que dans la partie tunisienne que Z. Lecat a prospectée, et les quelques exemples qu’elle a recensés sont moins élaborés37.
Bâtiments routiers et voies romaines dans la zone du limes
Forts byzantins et voies jalonnées de milliaires
17La proximité d’une route jalonnée de milliaires sur un itinéraire reliant Carthage à Lambèse en passant par Theveste est une donnée essentielle pour l’interprétation des deux « bâtiments à auges ». Selon St. Gsell qui a fait le point sur le dossier, ce n’était pas la route portée sur les Itinéraires38. L’Itinéraire d’Antonin indique en effet une voie entre Theveste et Cirta qui devait se confondre sur une dizaine de kilomètres avec celle que la Table de Peutinger indique vers Thamugadi en passant par Aquae Caesaris (Youks)39. P. Salama la fait figurer en trait plus fort sur sa carte des voies. Cette route nord était doublée par une route sud qui, selon St. Gsell, passait par Vazaivi (Zoui)40. Elle reliait ce site vers l’ouest à Mascula (Khenchela) et vers l’est à Theveste en passant par Henchir el Abiod41. Le nombre des milliaires connus dans la plaine de Gassès est remarquable. Fr. Guénin en signale deux à des distances décomptées depuis Tébessa, l’un marque le 38e mille, l’autre le 37e ou le 38e42. Henchir el Abiod est à 3 km de Henchir el Ahzem où a été trouvée la borne du 36e mille43. Entre les deux, à 1 500 m à l’ouest, deux colonnes marquent le 37e mille44. À 800 m à l’ouest de ce site, à Bir Allouchet, ce sont treize bornes du 38e mille, plusieurs gisant à côté de leur base45 (fig. 7). Une telle densité de milliaires a attiré l’attention de W. H. C. Frend dans les commentaires que lui a inspirés un texte de Phrygie sur l’angareia46. Il établit une relation entre les milliaires et la répartition des obligations des provinciaux et utilise à l’appui sa proposition sur l’exemple d’el Abiod qu’il connaissait par l’article que L. Leschi a consacré à sa riche épigraphie47.
18De ce fait, il m’a semblé utile de rechercher des éléments de comparaison permettant d’éclairer la relation à la route des deux « forts byzantins » sur l’axe routier qui reliait Tébessa à Timgad et au reste de la Numidie à l’époque byzantine. Son équipement reprenait ceux des routes qui avaient assuré la relation entre Carthage et Lambèse quand la IIIe Légion Auguste y séjournait. Simples voyageurs, commerçants et officiels y trouvaient des bâtiments d’accueil, mansiones, mutationes et tabernae. Ils étaient pourvus de locaux de service pour le personnel civil et militaire affecté à son entretien et à sa sécurité. Procope de Césarée en apporte un témoignage indirect quand, résumant en effet en quelques phrases l’histoire de la poste impériale dans un passage à charge contre l’Empereur Justinien, il explique que « des chevaux se trouvaient dans chaque station routière au nombre de quarante et [que] des écuyers étaient assignés à toutes les stations à proportion du nombre des chevaux48 ».
Bâtiments routiers de Numidie
Mansiones sur le Fossatum Africae
19Avec leurs quarante chevaux, les stations qu’évoque Procope correspondent à la catégorie supérieure des bâtiments routiers, ceux qui sont qualifiés de mansio dans les constitutions relatives au cursus publicus contenues dans le Code théodosien. Leur identification se heurte à une difficulté qui n’est pas propre à l’Afrique, mais se retrouve dans le reste du monde romain. En effet sur les Itineraria picta et adnotata, mansio est devenu un double de mutatio, terme qui désigne à l’origine un établissement où les courriers et les transports lourds peuvent changer d’équipage. Il devait comporter des bâtiments d’hébergement en plus des écuries et des enclos pour les animaux. Mais dans son manuel d’épigraphie, J.‑M. Lassère ne trouve à citer qu’une inscription où une femme dit qu’elle est venue de Gaule en cinquante étapes (mansiones) pour honorer le souvenir de son mari49. Le sens de « lieu d’étape » dérive de celui d’« étape ». St. Guédon, qui a utilisé les constitutions des codes dans son livre sur le voyage pour identifier certaines spécificités du cursus publicus en Afrique proconsulaire, cite le plan d’Henchir Bit el Mal comme un exemple de station routière50.
20Cet édifice de 33 m sur 37 m est situé « le long d’une voie allant de Thabudeos vers le sud-est51 ». La porte ouvrait à l’est sur une cour intérieure autour de laquelle se répartissaient des pièces qu’il identifie comme des magasins. Des murs épais de 1 m à la base étaient maçonnés sur 1,5 m. La présence d’un enduit sur la partie supérieure montre que le reste de l’élévation était en terre (fig. 8). Le terme « mansio » revient à cinq autres reprises dans Fossatum africae. Dans deux cas, c’est sans précision sur les raisons de cette identification. Le premier est un bâtiment situé le long de la voie venant de Tobna et se dirigeant vers Mesarfelta52 à hauteur des sites no 64 à 70 de la feuille 37 (El Kantara) de l’Atlas archéologique53. Dans le second, J. Baradez appelle « mansio » un bâtiment situé à proximité du fort de Doucen en justifiant l’interprétation par la proximité de la voie venant de Gemellae54. À deux autres reprises, J. Baradez donne une description plus précise de ces « entrepôts magasins ». La seconde « mansio » se trouve sur la feuille 37 (El Kantara) de l’Atlas archéologique, 1 km à 1,50 km au nord du « Castrum du Confluent » au bord de la voie de l’Aurès allant vers Biskra (Vescera)55. Cet établissement qui mesurait 21 m sur 26,50 m était construit « en magnifiques pierres à bossage56 ». Il était entouré par d’autres ruines et situé en face d’un village mentionné au no 76 de la même feuille de l’Atlas. Les deux derniers sont près de Gemellae. La « mansio » fermée par une porte à disque décrite plus haut correspondait à un des « tertres avec des traces de fondations » signalés au no 58 de la feuille 48. « Elle me prouva », écrit-il, « le mode de construction mixte des murs (soubassement en moellons armés de harpes en pierre de taille avec superstructure en brique de terre crue) ». Enfin, entre ce site et Gemellae, une autre voisinait un fortin, « tous deux sur un tell dominant la voie57 ».
21J. Baradez a arrêté ses prospections sur une ligne passant à l’est de Sadouri/Doucen/Ouled Djellal. Mais d’autres établissements du même type jalonnaient une route qui rejoignait directement les monts des Ouled Naïl et Mesaad par un itinéraire suivant le rebord nord de l’oued Djedi58. A. Lebert avait relevé le plan de l’un d’eux dans les années 1949-1950 dans la plaine du Mahisser, sur la butte de Mahder Saay, 20 km au nord d’Ouled Djellal. D’après les mesures portées sur le plan qu’il en donne, ce bâtiment était de plan carré (20,50 m) et ses pièces s’organisaient autour d’une vaste cour. L’entrée de 2,20 m de large se trouvait sur le côté sud, au milieu du mur de façade entre deux pièces de 2,80 m de profondeur mesurant respectivement à l’ouest 7,70 m de long et à l’est 4,20 m à l’est. Les côtés de la cour étaient bordés par quatre pièces à l’ouest et cinq à l’est mesurant entre 3,80 et 4,20 m (fig. 9)59.
22St. Guédon a relevé une similitude de plan entre Henchir Bit el Mal et la station routière de Saint-Albans en Bretagne60. Ce parallèle fait entrer ce site dans une catégorie dont la référence est Godmanchester dans la même province, un vaste ensemble qui mesure 48 m sur 30 m sans son annexe thermale61. Une première cour accueillait des équipages. Les espaces de restauration et une première série de chambres se distribuaient avec régularité autour d’une vaste cour. Une seconde série de chambres se situait à l’étage.
23J. Baradez entend par « mansio » un établissement utilisé par le service de l’annone pour stocker des productions locales62, ce qui correspond à un moment de l’histoire de la route, quand ces bâtiments sont utilisés par l’armée dans le cadre de l’annone militaire. Ainsi, dans l’introduction du chapitre consacré aux « Conséquences politiques des travaux hydrauliques et de la colonisation des confins sahariens », il explique que « des entrepôts-magasins » échelonnés le long des voies jalonnent une « rocade militaire qui constituait l’artère économique du pays » le long de l’oued Djedi vers Doucen et Ouled Djellal63. De là, affirme-t-il, on expédierait « sur les entrepôts portuaires les excédents de denrées collectées », témoignant d’une activité agricole qui « permettait de faire vivre une population nombreuse et d’expédier à Rome l’huile et le grain toujours plus indispensables au corps anémié de l’Empire […]. Ces régions particulièrement déshéritées par un climat brutal [étaient intégrées] dans les pays fournisseurs de l’annone64 ». Cette affirmation, pour le moins excessive bénéficiait de la caution de J. Carcopino : dans le compte rendu qu’il a consacré aux prospections du colonel Baradez, il explique que celui-ci « a recueilli la preuve que la production du limes de Numidie était si abondante que l’annone comptait sur elle pour nourrir les armées de Rome et la population65 ». Sans aller jusque-là, G.‑Ch. Picard a suggéré que des auges auraient servi à mesurer le blé fourni par les paysans dans le cadre d’une perception de l’annone en nature : les « salles à auges » auraient été des horrea66. Plus modestement et avec le recul du temps, il semble que ce que J. Baradez entend par « mansio » correspond à la définition d’un centenarium proposée par M. Munzi, G. Schirru et I. Tantillo67.
24En fait, s’il est vrai que tous les bâtiments routiers ne sont pas au service des usagers de la route et qu’à partir du iiie siècle au moins, l’administration militaire a bien utilisé les stations du cursus publicus pour ses besoins, on ne peut ainsi confondre cette institution avec le ravitaillement de la capitale de l’Empire et voir dans ses bâtiments seulement des lieux de concentration de produits agricoles destinés à Rome. En 2000, P. Morizot distingue bien les deux services, quand, revenant sur ces questions pour l’Aurès, il prend en compte la possibilité de deux fonctions dans l’interprétation de constructions rectangulaires à cour centrale, qui pourraient avoir été des auberges68.
Les stabula
25Les dimensions d’Henchir el Abiod et d’el Adjeje paraissant incompatibles avec celles d’un établissement de ce type, on peut proposer une comparaison avec des établissements plus modestes désignés comme des stabula. M.‑A. Le Guennec qui a fait une analyse très précise des utilisations de ce terme explique que ce mot, dans un contexte privé, peut désigner une auberge avec écurie, comme taberna, caupona ou hospitium69. Avant de prendre à l’époque tardo-républicaine le sens général d’établissement d’accueil, il désignait un bâtiment destiné à accueillir un animal70. En épigraphie routière, il est attesté en dehors de l’Afrique par deux textes. L’un date du règne de Marc-Aurèle : c’est une inscription trouvée sur une voie romaine de Thrace qui fait état dans ses quatre dernières lignes « d’écuries que la vieillesse a fait tomber en ruine » (« stabula vetustate dilapsa71 »). L’autre qui est datée entre 379 et 393 désigne un stabulum comme un établissement du cursus publicus72. Selon A. Kolb, ce terme peut désigner une station du cursus publicus dont l’écurie est un élément73. Des passages du Code théodosien et du Digeste l’associent à caupona et à diversorium74.
26Il est donc intéressant de confronter les deux sites d’Henchir el Abiod et el Adjeje à une série d’établissements mis au jour par des archéologues autrichiens en Hongrie sur une section de la « Voie de l’Ambre » qui reliait l’Adriatique (Caput Adriae) à la Baltique. Des fouilles réalisées entre 2009 et 2012 y ont mis au jour une série d’édifices d’une superficie réduite (165 m2 à 520 m2) présentant un portique de façade du côté de la route, quelques chambres simples et une cour intérieure en partie couverte offrant un minimum de service. Les fouilles ont plus particulièrement porté sur deux d’entre eux situés l’un (Nemescsó), 8,7 milles romains au nord de la Colonia Claudia Savaria (Szombathely), l’autre (Sorokpolány) 9,2 km au sud. Le bâtiment de Sorokpolány, qui est situé à une dizaine de mètres de la voie, mesure 25 m sur 27 m (675 m2). En façade, du côté de la voie, un porche couvert est encadré par deux pavillons d’angle faisant saillie qui mesurent 11 m sur 7 m. De là, on pénètre dans une cour intérieure entourée d’un portique de 16 m sur 19 m (304 m2) (fig. 10)75. On trouve ailleurs des parallèles. Ainsi, un bâtiment présentant un plan proche a été identifié dans la plaine d’Alsace à proximité d’une agglomération et d’un camp où une unité militaire a stationné entre le règne de Tibère et le début de l’époque flavienne. Il se trouve au carrefour de deux voies : l’une sud-nord, qui, venant d’Italie, empruntait la rive gauche du Rhin pour se diriger vers la mer du Nord ; l’autre ouest-est venant de Metz76.
27Une similitude planimétrique peut être trompeuse. S. Groh relève des parentés planimétriques entre des bâtiments de la bordure de la voie et les villae à pavillons d’angle77. De même, P. Morizot précisait à propos des bâtiments de l’Aurès qu’il a identifiés sur des photos aériennes qu’ils pouvaient être interprétés aussi bien comme des bâtiments routiers que comme des « fermes à cour centrale » ou « courtyard farm »78. On peut prendre pour exemple Henchir el Gueciret, un site des Matmata sur le limes tripolitanus que D. Pringle décrit comme un ksar d’époque byzantine. Par leurs dimensions, leur disposition générale et la présence d’une « salle à auges », Henchir el Abiod et el Adjeje peuvent en être rapprochées. C’est un bâtiment carré de 18,20 m sur 18,05 m situé à 30 m de la piste dont « le côté nord était occupé par des écuries divisées en trois boxes par deux lignes de trois mangeoires79 » (fig. 11). D. Pringle le qualifie de ksar, ce qui l’assimile à un habitat fortifié, et il en compare le plan à celui de la maison romaine d’It-Tuba en Syrie80. Une inscription nous apprend que ce bâtiment appartient au domaine rural (praedium) d’un couple issu de deux familles, les Mamilii et les Arelli. Il ne s’agit ni d’un burgus ni d’un castellum, mais d’une turris dont ils ont confié la réalisation à un de leurs esclaves ; ils devaient y séjourner fréquemment81.
Le service de la route sur les confins de Numidie
28C’est là un contexte historiographique spécifique à l’Afrique romaine dont il importe de prendre en compte l’impact sur l’identification des bâtiments de bord de route. Dans leurs travaux sur la Numidie, J. Baradez, les officiers des brigades topographiques à qui nous devons l’essentiel de nos informations sur l’occupation des régions sud, et les historiens qui leur ont emboîté le pas portent sur le paysage un regard qui privilégie le service de l’armée et les empêche d’en appréhender les dimensions autres que militaires. En 1983 déjà, dans un article sur des approches récentes de l’Afrique byzantine, où il ne faisait qu’une brève allusion aux « bâtiments à auges », P.‑A. Février soulignait la nécessité de prendre des distances par rapport à une histoire centrée sur des révoltes maures. Il recommandait aussi de se détacher de la lecture en termes de stratégie militaire héritée de l’interprétation que Ch. Diehl donnait en 1888 du réseau de défense édifié par Solomon et ses successeurs82. Rappelant à une autre occasion l’évidence d’une autre lecture du monde rural du Maghreb antique, il illustrait son propos de la double lecture d’une ruine située au col de Mchira à proximité de la route de Diana à Cirta, que suggère la description qu’en donne L. Féraud : un fort byzantin ou un bâtiment routier dont l’intérieur est « disposé comme nos modernes caravansérails, c’est à dire une vaste cour autour de laquelle se trouvaient des hangars, des écuries ou des logements83 ». Vingt ans plus tard, allant dans le même sens, Y. Modéran demandait que l’on rende leur dimension politique à des ouvrages dont l’une des fonctions était de signifier « la mainmise de l’autorité byzantine sur l’Afrique84 ». Cette observation s’applique particulièrement à des ouvrages que l’on a interprétés comme les éléments d’une ligne défensive alors qu’ils avaient principalement une fonction pratique. En dehors des périodes de troubles auxquels les militaires pensent toujours, des postes de police devaient assurer en période de paix la sécurité des usagers de la route. Ils n’étaient pas des éléments d’une ligne fortifiée et les détachements qui y étaient stationnés étaient au service de la route et de sa surveillance. Dans ces conditions, il faut rechercher un parallèle dans le réseau routier du désert oriental égyptien sous le Haut Empire, désormais connu à la suite des travaux dont la route de Myos Hormos a fait l’objet85.
29Pour la question qui nous occupe, le service de la route, il faut accorder un intérêt particulier au site de Zoui (Vazaivi, fig. 3 p. 135) qui se trouve sur un itinéraire allant de Tébessa à Lambèse et au-delà jusqu’en Maurétanie césarienne86. On y a trouvé un lot d’inscriptions qui y attestent la présence d’une vexillatio de militaires et d’une statio de beneficiarii de la IIIe légion Auguste. L’une des fonctions exercées par ces militaires attire l’attention : celles de police et de maintien de la justice et de l’ordre87. On ignore si la schola dont un texte fait état était un élément d’un complexe ou une partie de la statio88. Le bâtiment n’est pas connu. Mais pour imaginer ce qu’il était, on dispose du parallèle d’Obernburg‑sur‑le‑Main en Germanie supérieure où des fouilles ont dégagé les deux tiers du bâtiment d’une station de beneficiarii consularis. La statio mesurait 18 m sur 26,60 m et était occupée par un agent et sa domesticité. La comparaison de ce plan avec celui des forts byzantins numides exclut une telle identification (fig. 12). On peut aussi chercher des parallèles dans les burgi et praesidia dont une inscription de Pannonie dit qu’ils étaient établis en des endroits propices pour maintenir la sécurité89. Ils étaient occupés par des stationarii, un terme « servant à qualifier des soldats employés à exercer des fonctions de garde90 ».
30La découverte d’ostraca dans le bâtiment d’el Abiod91 et à proximité de la « salle à auges » d’Henchir Touta92 pourrait suggérer un rapprochement avec les praesidia du désert égyptien étudiés par H. Cuvigny93. Ils avaient fait l’objet d’une première lecture par R. Cagnat et H. Omont94. Pour N. Duval qui en fait état, il s’agirait de reçus de livraison ou de retrait de marchandises95. Depuis, ils ont été réexaminés par R. Ast96. Les deux ostraca d’Henchir el Abiod97 attestent la perception d’une redevance sur des terres cultivées (agraria) par des vicarii de domaines localisés aux Casae Nigrae. L’un des deux porte le nom de Puteos. Les Casae Nigrae sont attachés à un Donatus qui est peut-être celui qui a donné son nom au schisme donatiste98. Un ostracon d’Henchir Touta fait état de versement en folles de sommes, dont certaines sont importantes, par trois individus dont l’un est un lanarius99. Dans une région dont L. Leschi soulignait la prospérité dans la seconde moitié du iiie siècle et au ive siècle100, leur lecture suggère que le bâtiment était le siège d’un uicarius chargé de la perception de taxes sur des terres de culture (agraria) et leur date — fin du ve siècle et première moitié du vie siècle — témoigne du maintien à l’époque byzantine de l’administration fiscale sur une région dont les ressources enrichirent ses maîtres successifs. Le titre de uicarius indique que celui qui le percevait était un intermédiaire entre les contribuables et un bureau fiscal central. Le reçu établi était archivé.
31La contribution sur les « bâtiments à auges » présentée ici avait pour origine une recherche sur la relation que l’habitat riverain entretenait avec le réseau routier dans deux dimensions : le service offert à ses usagers publics comme privés ; les charges que son entretien impliquait pour les communautés riveraines et les profits qu’ils pouvaient leur offrir. Il s’agissait d’éclairer un dossier lacunaire en mettant en relations données archéologiques et sources écrites, textes et inscriptions. Z. Lecat avait montré que cette série de fortins réunissait des bâtiments dont l’implantation procédait de choix conscients et stratégiques, mais dont les fonctions étaient d’une grande diversité101. Dans certains d’entre eux, la présence d’auges identifiables à des mangeoires et donc celle d’écuries permettaient d’envisager l’hypothèse de leur utilisation par le service de la poste autrefois suggérée par M. Restle102. La similitude entre le plan et les dimensions de bâtiments identifiés comme des stabula attribués par les archéologues au cursus publicus et ceux des deux « fortins » byzantins d’Henchir el Abiod et d’el Adjeje, et leur position sur une voie documentée par de nombreux milliaires invitaient à en rechercher la relation avec l’équipement du réseau routier de Numidie.
32Il ressort des comparaisons présentées que ces deux bâtiments n’étaient probablement pas dévolus à un usage public stricto sensu. Ils pourraient être des postes de stationarii surveillant à l’époque byzantine une route de liaison entre Carthage et Timgad. Ils auraient hérité d’une fonction que certains d’entre eux avaient exercée durant le Haut-Empire sur la route reliant Carthage au camp militaire de Lambèse, siège du légat de la province, à l’instar des burgi speculatorii dont l’un, Ksar el Adj, porte une dédicace disant qu’il assurait la sécurité des commeantes dans le secteur d’el Kantara103. Mais la lecture des ostraca qui leur sont associés atteste qu’ils ont également accueilli l’administration fiscale.
33J’espère en ce sens avoir contribué à réduire le nombre des incertitudes du dossier que relevait Fr. Baratte104.
Notes de bas de page
1 On peut se demander ce que l’on mettait dans ces mangeoires. Sur la scène d’auberge de la stèle dite d’Aesernia, le client acquitte deux as de foin pour sa mule (CIL, IX, 2689 = ILS, 7478 = AE, 1983, 329 f ; AE, 2005, 433). Les chevaux étant des herbivores intégraux, si on leur demande un effort continu, il faut donner du grain.
2 Duval, Golvin, 1972, p. 172.
3 Lecat, inédite.
4 Zucca, 1992.
5 CIL, VIII, 5341 = ILAlg (1), 263 (GuÉdon, 2010, pp. 93-94) : « locum rui[nis obsi]tum qui antea squalore et sordibus foedabatur ad ne[cessa]rium usum et ad peregrinorum hospitalitatem in meliorem [faciem ou statum]…/ad tecti fastigum » (trad. de l’auteur). Telle est la lecture qu’en donne St. Gsell. La restitution « ad ne[cessa]rium usum » correspond à une formule usuelle. Toutefois on peut aussi proposer « ad ne[gotiato]rium usum » (pour un usage commercial).
6 AAA, f. 9, no 146, pp. 20-21.
7 Leveau, 2014, p. 34.
8 Salama, 1994 ; Lassus, 1969, n° 26 du plan en dépliant.
9 Guédon, 2010, p. 91.
10 Leveau et alii, 2019. Pour la Gaule, on ne trouve à citer que le règlement du campus pecuarius qui traite du stationnement des animaux à l’entrée d’une agglomération d’Aix‑les‑Bains (Leveau, 2007).
11 AAA, f. 17, no 262 ; Duval, Duval 1972, p. 704.
12 Poulle, 1878, p. 447.
13 Alquier, Alquier, 1928-1929, p. 315.
14 Lafaye, 1904.
15 Alquier, Alquier, 1926, p. 108 ; Morvillez, 2012 et Id., 2013.
16 Berthier, 1962-1965.
17 Duval, 1986.
18 Rossiter, 1992, p. 45.
19 Laporte, Lavagne, 2006.
20 Rascón Marqués et alii, 1993.
21 Leveau, 2016b, p. 242. Un exemple de cette forme de l’hospitalité aristocratique est donné par la villa où Sidoine Apollinaire reçoit Domitius (Epist., II, 2, 9). Voir aussi Leveau, 2017, p. 238.
22 Voir dans ce volume pp. 69-84 ; voir aussi la contribution de J.-P. Laporte pp. 85-101. Ces bâtiments sont les seuls qui relèvent de ce type et qui soient munis d’auges. Mais, d’une manière générale, comme l’ont noté tous ceux qui se sont intéressés aux « monuments à auges », Fr. Guénin n’a pas accordé un intérêt particulier à des récipients qu’il ne décrit pas. Cela a été le cas pour Henchir el Begueur (Henchir Faraoun) où il notait la présence de six petites ouvertures à auges, mais ne les portait pas sur son plan. Ainsi, dans l’inventaire des fausses basiliques qu’ils ont dressé en 1972, Duval, Duval, 1972, fig. 17 à 19 ajoutent des auges sur les monuments de l’Oued el Louz, de Madaure et d’Henchir Goubeul.
23 Chabin, Laporte, 2016.
24 Birebent, 1962, pp. 16-48.
25 Gascou, 1982, p. 269 ; Leschi, 1936-1937 (= Leschi, 1957, pp. 298-299). Guénin, 1908a identifiait le site à Vegesala (AAA, f. 28, no 138 addenda). St. Gsell a montré que ce n’était pas possible.
26 Guénin, 1908a, pp. 161-163 ; AAA, f. 39, no 101 addenda.
27 Lac de Bosredon, 1878, p. 31.
28 Guénin, 1908a, p. 219 ; ILAlg (1), 3908.
29 CIL, VIII, 10529 ; ILS, 838 = ILAlg (1), 3597 ; AAA, f. 29, 100 ; Pringle, 1981, p. 281 et pp. 330-331, no 37.
30 Lecat, inédite, pp. 291-293.
31 Béguin, 1907, pp. 343-344.
32 AAA, f. 39, no 250.
33 Guénin, 1908a, p. 172.
34 Ibid., p. 175 = AAA, f. 39, no 248.
35 Baradez, 1949, p. 99.
36 Lebert, 1990, p. 82.
37 Lecat, inédite, pp. 291-293, fig. 41.
38 AAA, f. 39, no 101 et 101 addenda et ILAlg (1), pp. 382-385.
39 AAA, f. 28, no 253.
40 AAA, f. 39, no 49 ; Leschi, 1931, p. 276.
41 AAA, f. 28, no 138, p. 8 route no 4 et addenda ; f. 39, no 94 addenda : argumentation contre l’hypothèse de Guénin, 1908a qui plaçait Vegesela à Henchir el Abiod. Ces bornes et le tracé des routes ont été revus par Birebent, 1962, p. 16 et p. 47 qui les a cartographiés.
42 AAA, f. 39, no 94 ; Guénin, 1908a, p. 146 et p. 224.
43 AAA, f. 39, no 94 et addenda.
44 AAA, f. 39, no 95 addenda ; Guénin, 1908a, p. 224.
45 Ibid., p. 149 ; AAA, f. 39, no 93 addenda.
46 Frend, 1956, p. 55 et n. 40 (voir Guédon, 2010, p. 377, n. 311).
47 Leschi, 1931.
48 Procope, Histoire secrète, XXX, 5-7, p. 140.
49 Lassère, 2005, p. 920.
50 Guédon, 2010, p. 220 et annexe 11.
51 Baradez, 1949, p. 202 et p. 206, fig. A. Le site ne figure pas sur la feuille 49 de l’Atlas archéologique. On peut le localiser dans le groupe des sites 9 à 19, 10 km au sud-est de Thouda (Thabudeos) et 5 km au sud-est de Sidi Okba. Dans sa notice, St. Gsell relève que, l’un de ces sites, Sedraïet Adaga (no 16) aurait été le lieu d’une « station postale » sur une route qui aurait pris à cet endroit une direction est-ouest pour longer le piémont vers Aïne Naga et au-delà vers Badès (Badias) : Toussaint, 1908, pp. 394-398.
52 Il situe Mesarfelta à el Outaya. Dans la notice consacrée à ces sites, St. Gsell expose les difficultés de localisation de cette station dont le nom est donné par la Table de Peutinger et le Géographe de Ravenne et que d’autres préfèrent situer à Tolga (AAA, f. 48, no 27), hypothèse qu’il considère comme « des plus fragiles ».
53 Baradez, 1949, p. 34.
54 Ibid., légende de la figure 108A p. 116, texte p. 99.
55 Ibid., p. 207, fig. p. 211 et carte p. 272.
56 Ibid., p. 276.
57 Ibid., p. 99. Les légendes des figures ont été placées en hors texte après la table des matières. Cela constitue l’un des exemples des difficultés que le lecteur rencontre dans la consultation des travaux de J. Baradez. Dans la légende des illustrations, il précise au no 93 que ce site est « au sud d’Oumach et de l’Oued Djedi », soit à 10 km de Gemellae.
58 Faure, Leveau, 2015, p. 139.
59 J.-P. Laporte qui reproduit ce plan rapporte l’opinion formulée par J. Baradez dans une lettre à L. Leschi : il s’agirait d’une mansio. Il y voit un bâtiment « d’exploitation agricole d’époque byzantine, dont les constructeurs sont inconnus » (Laporte, 2014b, p. 322 et p. 335, fig. 13).
60 Black, 1995, pp. 70-71 et fig. 57 p. 176.
61 Green, 1969.
62 Ce mot est écrit en caractère droit pour souligner qu’il s’agit d’un terme emprunté au latin par les modernes pour désigner une entité archéologique.
63 Baradez, 1949, p. 99.
64 Ibid., p. 202.
65 Carcopino, 1949, p. 145.
66 Duval, Golvin, 1972, pp. 170-171.
67 Munzi et alii, 2014.
68 Morizot, 1997, p. 270.
69 Guédon, 2010, p. 89.
70 Le Guennec, 2014, p. 106 et Id., 2019.
71 AE, 1959, 179 = Corsi, 2000, p. 171.
72 CIL, VI, 1, 1774 = Corsi, 2000, no 172.
73 Kolb, 2000, pp. 210-211.
74 Corsi, 2000, p. 49.
75 Groh et alii, 2013, p. 138.
76 Leveau, 2016a.
77 Groh et alii, 2013, p. 179.
78 Morizot, 1997, pp. 261-262.
79 Trousset, 1974, pp. 85-86. Péricaud, Gauckler, 1905, p. 263 en donnent la description suivante : « Par la porte située au nord, dont la largeur est de 0,80 m, on pénètre dans une écurie de 12,40 m de longueur et de 3,55 m de largeur. Cette écurie est divisée en trois compartiments, dont la longueur est respectivement 2,60 m, 4,91 m et 3,85 m. Les compartiments sont séparés par une ligne de trois mangeoires de 0,80 m de hauteur. Chaque mangeoire est taillée dans une seule pierre. La mangeoire centrale est plus petite que les deux extrêmes et la longueur totale de la ligne est de 2,70 m ; sa largeur atteint 0,52 m avec 0,30 m de vide ».
80 Pringle, 1981, fig. 47 a et b, pp. 604-605.
81 L’expression « in his praediis » suivie du nom du ou des propriétaires sur des édifices en bord de route comporte un effet d’annonce qui dans ce cas évoque le plaisir qu’ils ont eu à y séjourner. Dans d’autres cas, elle précède une proposition « commerciale », comme à Timgad la location d’une chambre (AE, 1909, 5 ; AE, 1946, 41) ou à Lyon l’invitation adressée par C. Ulattius Aper pour l’usage de ses thermulae salutares (CIL, XIII, 1926).
82 Février, 1983.
83 Id., 1986, p. 89 ; AAA, f. 17, no 386.
84 Modéran, 2003, p. 598.
85 Cuvigny, 2003.
86 Nelis-Clément, 2000, pp 170-171 et carte p. 523.
87 France, Nelis-Clément, 2014b, pp. 134-135 ; Guédon, 2014, pp. 290-291. Beneficiarius est un titre dans la hiérarchie militaire.
88 Nelis-Clément, 2000 ; CIL, VIII, 17628 = 10717 = ILS, 2400. France, Nelis-Clément, 2014b, pp. 186-187.
89 CIL, III, 3385 = ILS, 395, Intercisa, 185 apr. J.-C. : « Praesidis per loca opportuna ad clandestinos latrunculorum transitus oppositis » (« des forts en des lieux adaptés pour empêcher les passages clandestins des brigands », trad. de l’auteur). Voir France, Nelis-Clément, 2014b, p. 119, n. 7.
90 Ibid., p. 174.
91 Voir la figure 10 de la contribution de J.‑P. Laporte dans ce volume p. 95.
92 Voir la figure 8 de la contribution de J.‑P. Laporte dans ce volume p. 92.
93 Cuvigny, 2014.
94 Cagnat, Omont, 1908.
95 Duval, Golvin, 1972, p. 167 et n. 4.
96 Ast, 2016.
97 AE, 2016, 1956 (= AE, 1909, 11) : « Petre b[i]carius agrarie | Casarum Nigrensium Cerbus | fundi Puteos pariasti me agra|ria pro serb+ quidem milite art+|5teaxu et pro ++++++a | feci tibi hunc de [r]eceptu ta|ntum m(ense) Aprilio ind(ictione) | [qu]inta decima » (« Petre uicarius de l’agraria des Casae Nigrae, Cerbus du domaine de Puteos tu m’as versé l’agraria pour Serb(-) --- et pour ---, je t’ai établi ce (reçu) de ce qui a été recouvré et de cela seulement le mois d’avril de la 15e indiction », trad. de l’auteur) et AE, 2016, 1957 (= AE, 1909, 11) : « Comita bicariu[s] | aggrarie Cassaru[m] | Nigrensium, B++e+ | pariasti me aggraria octaba indic|5ti[o]nis » (« Comita uicarius de l’agraria des Casae Nigrae, Barec tu m’as versé l’agraria de la 8e indiction », trad. de l’auteur).
98 Mandouze, 1982.
99 AE, 2016, 1953 (= AE, 1909, 11a) : « Ianuarianus lanarius f(o)l(les) CCCLX[-] | Brumasius ded(it) f(o)l(les) C+[-] | Cabcoitinus d(e)d(it) f(olles) CCL | [---]+delille d(e)d(it) f(o)l(les) L |5 [---]inus d(e)d(it) f(o)l(les) C | [---] ded(it) f(o)l(les) LXI[- | ---] f(o)l(les) C[---] | ------ ».
100 Leschi, 1931, p. 293 (= Leschi, 1957, p. 295).
101 Lecat, 2012.
102 Restle, 1966, p. 857.
103 CIL, VIII, 2495 ; Guédon, 2010, p. 216.
104 Baratte, 2010.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les « salles à auges »
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3