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Le monument dit « à auges » d’Althiburos : nouvelles interprétations

p. 103-117


Texte intégral

1Nous présentons dans cette contribution le monument dit « à auges1 » d’Althiburos (el-Médéïna), site qui se trouve à environ 215 km au sud-ouest de Tunis et à 45 km au sud de la ville du Kef, l’antique Sicca Veneria2. Le monument fut découvert par A. Merlin, lors des fouilles entreprises en 1912 dans le forum et ses abords. Situé au sud-est du forum, il est décrit ainsi par cet auteur3 : il est composé de deux salles rectangulaires oblongues non couvertes et communicantes en leur milieu par une porte qui sera obstruée plus tard ; chaque salle contient un bassin disposé contre le mur mitoyen et était percée d’une entrée située au sud-ouest (fig. 1) ; les murs des salles sont creusés de niches, celle de gauche en compte quatorze, celle de droite sept ; cette dernière communique à son angle nord-est avec une rotonde voûtée. L’auteur en conclut : « Il y a là à Médéïna, un type d’édifice dont le plan est assez nouveau en Afrique et fort curieux4 ». Curieux effectivement parce qu’il est atypique, donnant lieu à plusieurs interprétations. A. Merlin identifie rapidement cet édifice comme étant une fontaine, mais rejette l’hypothèse aussitôt, à raison5. Il évoque ensuite prudemment l’hypothèse d’un lavoir public, pour ne pas la retenir, ce qui est également notre avis6. Finalement, il penche pour celle d’un établissement industriel, une teinturerie (foulonnerie), ou plutôt une huilerie artisanale7 ; cette dernière proposition a été retenue aussi par L. Poinssot8. Quant à M. Ennaïfer, il s’est contenté de qualifier cet édifice d’« œuvre tardive », sans abandonner toutefois l’hypothèse d’un édifice industriel, titre d’ailleurs donné à son cliché9. Enfin, dans leur publication récente, les auteurs du premier volume d’Althiburos n’ont pas tranché la question non plus, ils se sont contentés de l’appeler « monument à auges », ajoutant toutefois, « sujet à discussion »10. Par conséquent, le problème n’est pas résolu et la destination de ce monument reste encore confuse et nécessite un examen approfondi. Mais avant de présenter notre point de vue, nous allons d’abord examiner surtout celle retenue et expliquée par les auteurs, à savoir un établissement industriel, fullonica ou huilerie artisanale et/ou « monument à auges ».

Fig. 1. — L’état actuel du « monument à auges » de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

Établissement industriel ou « monument à auges » ?

2L’affectation industrielle de ce monument repose, selon A. Merlin, essentiellement sur la présence des cuves. Or, si celles-ci plaident généralement pour une activité industrielle, il ne semble pas qu’en l’état elles étaient effectivement pratiques et fonctionnelles pour une activité pareille.

3Qu’en est-il d’abord de la fullonica ? Celle-ci suppose que les cuves en question ont une architecture et une disposition qui répondent à cette fonction précise (foulonnage), à savoir être communicantes ; en outre l’une doit être plus élevée que l’autre pour permettre à l’eau de déverser d’un bassin à un autre. Or, d’une part, il se trouve que nos deux cuves sont séparées par un mur et elles devaient avoir très probablement la même élévation ; d’autre part, et par comparaison avec la fullonica de Pompéi11, par exemple, il faudrait que les niches arrivent jusqu’au pavement pour contenir à même le sol les « auges » et qu’elles aient une élévation suffisante pour l’appui des coudes, ce qui n’est pas le cas ici. Par conséquent, le schéma d’une fullonica ne semble pas correspondre aux données architecturales de notre édifice.

4Quant à l’hypothèse d’une huilerie artisanale, hormis les niches qui pourraient effectivement servir à « abriter les provisions, les habits, tout ce qu’on avait besoin de déposer pendant le travail12 », il n’y a pas d’argument suffisant en lui-même. En effet, l’un des deux bassins est muni d’un siphon originel, incompatible donc avec ce genre de contenant. De plus, l’architecture du monument est trop luxueuse pour servir à un tel usage : outre les corniches, les murs étaient couverts de marbre rouge et le pavement d’un opus figlinum d’une belle facture (fig. 2). Ajoutons à cela l’absence de tout autre élément propre à une huilerie, contrepoids, plateau de pressoir, meta ou catillus, etc.

Fig. 2. — Pavement en opus figlinum du monument d’Althiburos, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

5Venons-en maintenant à l’hypothèse d’un « monument à auges », en le comparant aux autres monuments connus en Afrique, recensés et décrits par N. et Y. Duval13. Deux éléments de base seulement relevés par ces deux auteurs peuvent être rapprochés de notre monument, les salles et les « auges », car les autres composantes y sont absentes14. Mais sont-elles réellement comparables ? Dans les « monuments à auges », le plan comporte une salle centrale « à auges » flanquée de deux salles latérales avec une abside axiale, par contre à Althiburos le plan se présente différemment, avec trois salles contiguës, sans abside, et une rotonde. Quant aux « auges » qui constituent la principale composante de ce genre de monuments, elles sont totalement absentes ici, en tout cas telles qu’elles doivent figurer, intégrées aux murs, à 1 m environ de hauteur et surmontées de niches. Cela, outre le fait qu’au lieu d’avoir des niches seulement dans les deux murs latéraux, dans notre édifice elles se trouvent sur les quatre murs, celui du fond, les deux murs latéraux et le mur mitoyen. Les seules « auges » relevées sont des éléments à part qui n’ont jamais été intégrées dans un mur quelconque, elles sont en plus de dimensions et de formes différentes les unes des autres. Par conséquent, leur usage était différent de celui des « monuments à auges » où elles sont quasiment identiques. Il s’ensuit que l’édifice d’Althiburos ne peut être un « monument à auges » comme ceux décrits par N. et Y. Duval.

6De ce fait, s’il ne pouvait pas s’agir d’une fontaine ou d’un lavoir publics, ou d’une huilerie artisanale, ou encore d’un atelier de foulons ou enfin d’un « monument à auges », que pouvait être ce monument et à quoi était-il destiné ?

Les données archéologiques et architecturales essentielles

7Faute de pouvoir fouiller le monument, par manque de temps, nous nous sommes contentés de procéder à un nettoyage dans les surfaces déjà fouillées, de faire un relevé architectural précis ainsi que des sondages. Disons tout de suite que le travail d’exploration du monument n’est pas encore fini ; néanmoins les premières investigations nous ont permis de parvenir, d’ores et déjà, à quelques conclusions interprétatives nouvelles, qui demeurent cependant encore hypothétiques.

8Le nettoyage fait dans les trois salles (fig. 3-5) a mis au jour les structures suivantes :

Fig. 3. — État de la salle A de l’édifice d’Althiburos après le nettoyage, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

Fig. 4. — État de la salle B de l’édifice d’Althiburos après le nettoyage, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

Fig. 5. — État de la salle C de l’édifice d’Althiburos après le nettoyage, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

9La rotonde (A) qui se trouve à l’angle nord-est de la grande salle a révélé trois pavements superposés (le premier est en mortier de chaux hydraulique, le deuxième en mortier de tuileaux et le troisième en mortier de chaux), une canalisation, et au milieu, deux interfaces négatives superposées : la première, de forme à peu près arrondie, fait 1,20 m sur 1 m ; la seconde, d’une épaisseur d’environ 0,06 m, irrégulière, mais dessinant en gros un quasi-pentagone de 1,60 m sur 1,50 m. Dans la grande salle (B), on retrouve les mêmes trois pavements qui correspondent stratigraphiquement à ceux de la rotonde, une fosse au milieu (en fait une surface en terre qui sépare deux tranches de pavements), un mur nord-est/sud-ouest qui se trouve à l’extrémité du grand bassin, et dans la petite salle (C), un dallage, des conduites d’eau, un foyer et un pavement en opus figlinum. Les relevés précis (fig. 6-7) ont révélé de nouvelles particularités architecturales que nous présentons ci-dessous, en appui à nos interprétations.

Fig. 6. — Plan de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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© DAO : Équipe Althiburos

Fig. 7. — Coupes de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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© DAO : Équipe Althiburos.

10Par contre, les sondages que nous avons menés ne se sont pas révélés assez significatifs pour permettre de cerner avec précision la fourchette d’occupation du bâtiment (fig. 8). Le premier sondage (S 1) a tout juste montré un dallage tardif (US 06) ; le deuxième (S 2) a révélé l’abaissement du sol, à l’époque tardo‑antique, pour atteindre directement le niveau numide. Par conséquent, nous n’avons pas encore toutes les strates.

Fig. 8. — Sections. Sondages dans l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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© DAO : Équipe Althiburos.

11Mais, en dépit de ces sondages peu concluants en définitive, c’est l’étude archéologique et architecturale approfondie qui a permis de distinguer trois états successifs qui correspondent à trois édifices différents. Nous proposons en guise d’hypothèse d’y voir, initialement, peut-être un nymphée, qui fut transformé, par la suite, probablement en thermes de quartier ou privés qui laisseront la place, enfin, à un habitat ou peut-être aussi à une taberna ou tout autre monument. Voyons sur quoi reposent ces hypothèses.

Nouvelles interprétations

12À quoi reconnaît-on tout d’abord les structures et composantes architecturales distinctives pour parler de bâtiments différents ? Au plan architectural, il existe une distinction nette entre les murs antérieur et postérieur et la rotonde, d’une part, et le mur mitoyen et les deux latéraux, d’autre part. D’ailleurs, les corniches ne se trouvent pas à la même hauteur (fig. 4-5 p. 106 et fig. 9-10). Quant aux niches, elles ne sont pas construites de la même façon, celles situées dans les murs latéraux sont construites avec deux blocs de pierre superposés (fig. 9), par contre, celles du mur postérieur le sont avec deux blocs de moyen appareil sur les côtés, un autre de grand appareil au sommet et une dalle au fond (fig. 10). Concernant la technique de construction, les murs latéraux et mitoyen sont construits en appareil quadrangulaire irrégulier (fig. 9), tandis que le mur postérieur l’est selon la technique dite « à cadre et remplissage » (fig. 10-11). Au plan stratigraphique enfin, les murs du fond et de la rotonde sont adossés aux murs latéraux et mitoyen. Ce dernier était lui-même coupé (fig. 12), tandis que les murs de fond, du sud-ouest et du nord-est, ont été ultérieurement démantelés et reconstruits (fig. 13). Les blocs du mur nord-est comportent une ciselure périmétrale qui prend la forme d’un pi au niveau de la baie d’entrée de la rotonde ; ils ont dû être coupés pour aménager cet accès.

Fig. 9. — Niches constituées de deux blocs de pierre superposés, Althiburos, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

Fig. 10. — Niches constituées de deux blocs de moyen appareil sur les côtés, une dalle au fond, et un grand bloc au sommet, Althiburos, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

Fig. 11. — Le mur postérieur, construit selon la technique dite « à cadre et remplissage », Althiburos, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

Fig. 12. —  Mur mitoyen, Althiburos, Tunisie

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a. – Rotonde adossée au mur latéral nord-est ; b. – Extrémité antérieure du mur mitoyen s’appuyant sur le mur plus ancien ; c. – Extrémité postérieure, avec sa corniche coupée pour faire passer le mur postérieur et sa partie supérieure démantelée puis reconstruite

© Équipe Althiburos.

Fig. 13. — Mur latéral sud-est, Althiburos, Tunisie

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Reconstruit après avoir été démantelé, comme le démontre un bloc de pierre à bossage étranger au reste de la construction.

© Équipe Althiburos.

13Ces différentes observations architecturales essentielles, ainsi que d’autres éléments, permettent de dégager effectivement trois états différents et successifs.

À l’origine : un nymphée ?

14Un premier état est révélé par trois murs parallèles, d’un même mode de construction, et comportant des niches (fig. 14). À quoi ces structures auraient-elles pu appartenir ? Certes, elles ne sont pas suffisantes en elles-mêmes pour permettre une interprétation assurée, toutefois, elles pourraient faire penser, avec toute la prudence requise, à un nymphée.

Fig. 14. — Les trois états de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

15Il est connu qu’un nymphée est généralement construit suivant un plan absidal, à portique, ou concentrique. Or, l’hypothèse d’un plan concentrique est tentante ici, dans la mesure où un château d’eau déverse l’eau sur les côtés dans deux grands bassins, mais comme on n’a ni les traces des bassins (ceux existants appartiennent au deuxième état), ni celles du quatrième mur, il faut alors supposer qu’ils ont dû être démantelés à la faveur d’un autre aménagement, celui du deuxième état. D’ailleurs, à l’emplacement où devait s’élever le mur présumé, nous avons trouvé dans la fouille de la tranchée de fondation du grand bassin un bloc de pierre (fig. 15) qui correspond parfaitement à la semelle d’un mur de fondation qui serait justement celui du quatrième mur disparu. Toutefois, il n’est pas impossible que ce bloc ait appartenu à une phase antérieure. Nous avons de même repéré, dans le mur nord-est, les restes d’un mortier de chaux, qui pourraient correspondre à l’interface négative d’un balustre surmonté d’une corniche. Mais, au plan architectural strict, ceci ferait penser non pas à un mur mais à un muret qui serait l’un des côtés du bassin disparu. Il demeure cependant possible que ce mortier appartienne à une plaque de marbre qui couvrirait la paroi interne du mur nord-est. Concernant les niches enfin, s’il est vrai que dans les nymphées, elles sont généralement de forme alternante (une quadrangulaire alternant avec une autre à sommet arrondi, par exemple), il est vrai aussi qu’il existe au moins un nymphée où elles sont uniformes, comme celles de la Maison du Cerf d’Apamée de Syrie15. Aussi l’uniformité de nos niches qui sont toutes à sommet arrondi, ne s’oppose pas à leur possible appartenance à un nymphée.

Fig. 15. — Un bloc de pierre sous le bassin de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

16Comme on le voit, il existe bien des éléments qui iraient dans le sens d’un nymphée, mais ils ne sont pas suffisants pour confirmer cette hypothèse ; de plus, se poserait le problème de la désaffectation de ce monument à caractère sacré au profit d’un autre à caractère civil et utilitaire. En tout cas, le premier édifice sera transformé dans sa deuxième phase d’occupation probablement en thermes.

Deuxième état : thermes de quartier, thermes privés ?

17Un certain nombre de données archéologiques s’apparentent à des éléments de thermes (fig. 6, p. 107). Ce sont tout d’abord trois bassins pour la baignade. Le premier, le plus grand, est situé dans la salle centrale (B), il conserve encore son siphon d’évacuation des eaux usées (le bassin appartient lui-même à un deuxième état des thermes). Le deuxième, disparu aujourd’hui, se trouvait dans la petite salle (C), il est révélé seulement par une bouche d’eau et un pavement en opus figlinum. Le troisième, dans la même salle, également disparu, était, selon A. Merlin, sous forme de vasque monolithique, placé contre le mur mitoyen. On ajoutera à ces bassins éventuellement six « auges » de tailles et formes différentes, dispersées au sein de l’ensemble architectural et à ses abords.

18Ensuite une série de canalisations et rigoles pour la circulation d’eau ou d’air ou l’évacuation des eaux usées (fig. 16). Une première conduite provient du château d’eau juste à côté de la rotonde (fig. 17, voir aussi fig. 1, p. 104), elle passe par le mur de fond pour déverser l’eau dans le bassin de la salle C. Trois canalisations sont aménagées dans cette petite salle : une première (c3) serait reliée au grand bassin pour en évacuer l’eau ; une deuxième (c4) est taillée dans le dallage tardif ; une troisième (c5) est creusée en berceau et taillée dans le même dallage. Signalons enfin, un regard (c6) pour l’évacuation des eaux usées dans une conduite aménagée tardivement dans le mur de fond de la même salle (fig. 18).

Fig. 16. — Les conduites d’eau et d’air de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

Fig. 17. — Le château d’eau de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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© Équipe Althiburos.

Fig. 18. — Le regard et la conduite d’évacuation de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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19Puis, l’existence d’une rotonde (salle A), qui rappelle les rotondes connues dans d’autres thermes du monde romain (exemple, les thermes privés de la villa de Settefinestre16) : elles servent de sudatorium ou de laconicum, ce dernier serait le plus envisageable pour notre bâtiment. Iraient dans ce sens deux interfaces négatives repérées au niveau du pavement (fig. 3, p. 106) qui pourraient faire penser à l’emplacement d’un brasero, dont le canal attenant servirait pour l’arrivée d’air. Il n’y a pas de doute que nous sommes dans une salle chaude, que supposent d’ailleurs sa faible hauteur, estimée à 2,50 m, et son pavement en opus figlinum ; elle sert de ce fait comme une source d’air chaud pour le reste du bâtiment. Se poserait tout de même le problème de connexion avec les annexes de service nécessaires à l’alimentation en bois et à l’entretien, qui n’est pas encore élucidé.

20Enfin, la dernière composante des thermes concerne les niches ; elles servaient évidemment à y déposer les vêtements et effets personnels des baigneurs.

21Ces éléments plaident donc effectivement pour un bâtiment thermal. La rotonde en constitue la composante essentielle, en tant que laconicum plutôt que sudatorium. La salle B, attenante à la rotonde, devait correspondre normalement au tepidarium, en sachant qu’elle sera réaménagée ultérieurement par l’installation du grand bassin pour la baignade. La salle C doit correspondre normalement au frigidarium. Les niches aménagées dans les murs de ces deux salles servent — comme déjà dit — bien évidemment de casiers pour les vêtements et accessoires de bain. Généralement, elles se rencontrent dans l’apodyterium, mais peuvent se trouver aussi dans le tepidarium, comme dans les thermes du forum de Pompéi, par exemple.

22Toutefois, il existe, malgré tout, un obstacle à notre interprétation : c’est l’absence de caldarium et de son élément essentiel, l’hypocauste. Au vu de l’état d’avancement incomplet de notre investigation, pourrait-on imaginer qu’ils soient encore enfouis dans la partie non fouillée ? Si tel était le cas, et comme le supposé brasero du laconicum ne peut chauffer que le tepidarium, on devrait avoir alors deux systèmes de chauffage différents et séparés, comme à Pompéi17 : un tepidarium chauffé par un grand brasero en bronze et un caldarium par un hypocauste.

23En tout cas, ces probables thermes vont céder la place, à une époque tardive, à un autre bâtiment de toute autre nature.

Occupation tardive : habitat, taberna ?

24Dans sa phase finale tardive, l’édifice a changé de fonction (fig. 14, p. 111), comme le prouvent les trois éléments suivants : toutes les canalisations ont été bouchées (fig. 19-21) ; les parois externes du grand bassin de la salle B furent démantelées (fig. 22) ; au fond de la salle C se trouvent les traces d’un foyer (fig. 23). De la sorte, il est clair que la fonction de thermes n’est plus envisageable. Alors en quoi ont-ils été transformés ? Il est difficile de se prononcer sur la destination finale de cet édifice, mais on pourrait peut-être penser à un habitat, à une taberna ou à un tout autre édifice ?

Fig. 19. — Conduite d'évacuation des eaux (usées ?), aménagée dans le mur nord-est (C8) de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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Fig. 20. — Conduite d’évacuation des eaux usées (C4), aménagée dans le dallage de la salle C de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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Fig. 21. — Conduite d’évacuation des eaux usées (C3) de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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Fig. 22. — Enlèvement des parois externes du grand bassin de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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Fig. 23. — Un foyer constaté au fond de la salle C de l’édifice d’Althiburos, Tunisie

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25Bien que la fouille ne soit pas encore achevée, nous pensons être tout de même parvenus au moins à trois résultats importants : le premier est que l’on n’a pas du tout à faire à un « monument à auges », comme ceux connus en Afrique et relevés par N. et Y. Duval. Le second est que les différentes hypothèses avancées jusqu’ici, soit une fontaine, un lavoir public, un établissement industriel (foulonnerie, ou usine artisanale de production d’huile) ne se vérifient pas. Le troisième est qu’il ne s’agit pas d’un seul monument, mais de trois qui se sont succédés : peut-être initialement un nymphée, ensuite probablement des thermes de quartier ou privés, enfin possiblement un habitat, une taberna, ou tout autre édifice. En dépit de ces résultats, nous sommes conscients cependant que notre travail n’est pas fini, qu’il faut poursuivre la fouille du monument et surtout celle des salles attenantes, pour mieux les identifier et élucider enfin la chronologie précise des différentes phases constructives, ce que nous comptons faire bientôt.

Notes de bas de page

1 Nous avons gardé l’appellation monument dit « à auges » pour rester en conformité avec le thème de la rencontre, car une seule publication le qualifie ainsi, et s’il fallait donner un nom à cet édifice, celui de « monument à niches » serait plus proche de la réalité.

2 Voir carte générale p. 2.

3 Merlin, 1913, pp. 34-36 et fig. II.

4 Ibid., p. 36.

5 Ibid. En effet, selon Ginouvès, 1998, pp. 92-95, les fontaines comportent un réservoir avec une arrivée d’eau, un trop plein et une évacuation. L’eau est fournie aux usagers selon deux systèmes : la bouche d’eau et le bassin de puisage. Les fontaines peuvent être à plan centré : circulaire, carré ou polygonal avec un élément médian autour duquel les eaux s’écoulent. Or, les caractéristiques architecturales de notre édifice ne correspondent pas à ces données. En plus, la présence de 21 niches dépasse de loin ce que devait avoir une fontaine monumentale ; d’ailleurs celle d’Althiburos, par exemple, n’en a que deux (Merlin, 1913, pp. 30-33, fig. 10), l’une de celles de Sufetula, apparemment sept (CÈbe, 1957, p. 187 et pl. IV). En outre, tout près, se trouve une autre fontaine monumentale (Merlin, 1913, pp. 30-31), ce qui ne permet pas d’en envisager une deuxième pratiquement dans un même secteur. Ajoutons encore que notre édifice ne se trouve pas sur une voie, comme il est d’ordinaire pour les fontaines. Enfin, et dans le cas d’une fontaine, les deux bassins qui s’y trouvent devraient être communicants et non séparés l’un de l’autre, comme ici.

6 Merlin, 1913, p. 36. Nous pensons, effectivement, que l’auteur avait raison de ne pas trop s’attarder sur cette deuxième hypothèse pour les raisons suivantes : d’un côté, l’absence d’un rinçoir, de pierres à laver, se situant à sa margelle, et de rigoles d’évacuation du trop-plein. D’un autre côté, le caractère tardif des deux bassins par rapport à l’ensemble architectural et l’absence de ce type d’édifice dans le monde romain. De surcroît, les seules attestations que nous ayons sont d’époque moderne, par exemple en France dans la seconde moitié du xixe et au début du xxe siècle, et en Italie, au xxe siècle. Sur ce type de monuments, voir par exemple LefÉbure, 1995.

7 Merlin, 1913, p. 36.

8 Poinssot, 1936, pp. 29-30.

9 Ennaïfer, 1976, p. 51 et pl. XXII.

10 Kallala, Sanmartí, 2011, p. 12.

11 Sur la fullonica, voir Flohr, 2004, pp. 193-200.

12 Merlin, 1913, p. 36.

13 Duval, Duval, 1972, plus particulièrement pp. 699-705 ; consulter également la carte générale au début de cet ouvrage p. 2. Les « monuments à auges » se caractérisent par les composantes suivantes : une « salle à auges » au centre, flanquée de deux pièces étroites et basses ; une abside encadrée de deux petites pièces, directement ouverte sur la salle à auges ou séparée d’elle par un couloir ; de part et d’autre, des « auges » de même type, surmontées de niches, disposées en batterie ; un transept ou un couloir transversal qui permet l’accès à la « salle à auges » et aux salles latérales, pourvu d’escaliers menant à un étage supérieur. À ces trois éléments de base, s’ajoutent des pièces annexes. Le mode constructif, enfin, est un grand appareil très soigné dans les parties essentielles, avec des murs en moellons dans certaines parois, l’abside et les voûtes, offrant ainsi, parfois, un caractère monumental, particulièrement frappant, avec les arcs et le décor raffiné.

14 En effet, on n’a pu prendre en compte que les éléments existants, car d’autres composantes, ci-dessus mentionnées par les auteurs (voir note 12), pourraient se trouver encore dans la partie enfouie. Faut-il rappeler que nous ne sommes intervenus que dans les limites du bâtiment, dégagé d’ailleurs partiellement par A. Merlin.

15 Vannesse, 2014, p. 493, fig. 4.

16 Ginouvès, 1998, fig. 54.3.

17 Malissard, 1994.

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