Les « bâtiments à auges » d’Haïdra : des écuries ?
p. 49-58
Texte intégral
1Les édifices utilisés comme écuries sont fréquemment caractérisés par la présence d’auges ; il s’agit là de l’un des principaux éléments permettant leur identification. Sur le site d’Haïdra, quatre bâtiments en présentent dont deux désormais bien connus (le grand bâtiment, dit « Haïdra 1 », et le petit bâtiment, dit « Haïdra 2 ») ; ils possèdent un plan particulier et sont de tailles différentes. Ils sont composés d’une grande salle centrale entourée de deux séries d’auges marquant une séparation avec deux salles latérales basses. Il est donc tentant d’identifier ces bâtiments comme des écuries et ce d’autant plus si on les compare avec le « bâtiment à auges » du complexe chrétien de Tébessa, que l’on considère comme une sorte d’auberge accueillant les pèlerins et leur monture1. Toutefois, les « auges » sont nombreuses2 en Afrique du Nord, notamment en Algérie et en Tunisie, qu’elles soient seules ou en série, sans qu’on puisse être assuré qu’elles servaient toujours de mangeoires. Il en est de même au Proche-Orient3. L’analyse proposée ici s’appuie sur l’étude pratique des deux principaux « bâtiments à auges » d’Haïdra. S’ils ont pour fonction d’accueillir des animaux, il faut s’assurer que leur architecture est adaptée à ces derniers. Les édifices sont-ils seulement assez grands pour accueillir des équidés ? Si oui, lesquels ? Si l’utilisation de l’âne et de la mule est attestée et constante en Afrique du Nord, qu’en est-il du cheval et quels types de chevaux étaient employés ? Autant d’interrogations qui entrent en jeu dès lors que l’on s’intéresse à la présence d’écuries. Dans le cas présent, il convient de se demander, à travers le prisme de l’étude comparative et notamment grâce à l’analyse de l’édifice de Tébessa, dans quelle mesure les deux bâtiments d’Haïdra pourraient avoir abrité des écuries. Afin de tenter de confirmer ou d’infirmer la fonction équestre de ces lieux, il est primordial de prendre en considération plusieurs aspects indispensables à leur bon fonctionnement. La question des dimensions et des axes de circulation mais également celle des aménagements et des équipements nécessaires sont importantes dans la mesure où la présence des animaux implique des servitudes (alimentation, déchets, etc.). Autant d’éléments d’ordre pragmatique qui entrent dans la définition même d’une écurie. Il s’agit donc de présenter dans un premier temps les différents bâtiments étudiés, avant de s’attacher au type d’équidés qui auraient pu y séjourner. Enfin, l’observation des critères nécessaires à l’installation d’écuries adaptées aux animaux permet d’apporter des éléments de réponses indispensables à la validation ou non de la fonction de ces bâtiments.
Présentation des bâtiments
2Situé au nord du complexe qui l’abrite, le « bâtiment à auges » de Tébessa (fig. 1) mesure 49,60 m de long pour 22,40 m de large4. La pièce centrale de cette vaste construction est divisée en trois espaces par deux rangées de piliers carrés et est flanquée de deux successions de onze petits compartiments au nord et au sud. La majorité d’entre eux mesure 5,10 m de long pour 1,90 m de profondeur et est reliée par un passage continu situé derrière les rangées d’« auges » marquant la séparation avec l’espace principal. Les « auges » sont au nombre de 76 dans ce bâtiment. L’accès aux compartiments s’effectue par des baies au milieu et aux extrémités des rangées d’« auges ». Une large ouverture axiale permet d’accéder à la pièce centrale depuis le côté nord-est. Enfin, le sol est composé de dalles de calcaire gris. Les « auges » apparaissent comme l’élément déterminant pour la fonction de cet édifice. L’hypothèse avancée par J. Christern5, selon laquelle ce bâtiment était une grande auberge accueillant des hommes et des animaux, est renforcée par la largeur de cette construction, mais aussi, entre autres, par celle de l’entrée principale indiquant un passage très aisé pour les animaux. Comparativement, le « grand bâtiment à auges » d’Haïdra6 est inscrit dans un rectangle de 22 m de long sur 16 m de large à peu près régulier. Il adopte un plan simple : on observe tout d’abord un vestibule K ouvert sur une porte unique donnant accès à un grand couloir transversal O dans lequel on trouve les vestiges de deux d’escaliers, P et Q, permettant un accès à l’étage. Trois pièces L, M et N sont en façade et sont dissymétriques en raison de la présence du vestibule K au sud-est de celles-ci. La grande salle carrée S, d’environ 7,6 m de large pour 8,3 m7 de long sans compter l’abside, est séparée des deux salles latérales T et U par des « auges ». Enfin, l’abside semi-circulaire W est située au nord-est, flanquée de deux salles : V et X. Pour ce bâtiment, la question de la fonction est encore en suspens. Il en est de même pour le petit « bâtiment à auges » d’Haïdra (Haïdra 2), longtemps nommé « fortin » ou encore « maison fortifiée »8. Il reprend sensiblement le même plan que le grand bâtiment dans la mesure où il est également divisé en quatre parties9 : une salle transversale ouverte sur une « salle à auges » et deux pièces latérales. Toutefois, il conserve des dimensions plus réduites et mesure 11,55 m de longueur pour 9 m de largeur. L’accès se fait ici par une porte étroite, de 1,96 m de haut pour 0,80 m de large10, située à l’est de la façade. La comparaison de ces trois bâtiments, notamment de leurs dimensions, permet de mieux percevoir leurs disparités, illustrées par le tableau ci‑dessous.
Tableau 1 — Dimensions des bâtiments (en m)
Tébessa11 | Haïdra 112 | Haïdra 213 | ||
Longueur totale | 49,6 | 22 | 11,55 | |
Largeur totale | 22,4 | 16 | 9 | |
Pièce transversale | Longueur | – | 15,2 | 10,5 |
Largeur | – | 3,2 | 3,3 | |
Pièce centrale | Longueur | 49,6 | 8,3 | 5,6 |
Largeur | 15 | 7,3 | 4,4 | |
Pièces latérales | Longueur | 4414 | 8 | 5,1 |
Largeur | 1,90 | 2,75 | 2,4 |
3Haïdra 2 présente des dimensions deux fois moins importantes que le grand bâtiment du même site et quatre fois moins que celui de Tébessa. Si les édifices d’Haïdra présentent de réelles différences de taille, il convient de noter que la largeur de leurs pièces latérales reste similaire tout en étant supérieures à celles de Tébessa. Si la fonction de ces dernières n’est pas, selon l’hypothèse de J. Christern, d’accueillir des équidés, la question n’est pas encore résolue pour les deux monuments d’Haïdra. Toutefois, avant de formuler une hypothèse sur la fonction des « bâtiments à auges », il convient de tenter de comprendre quels sont les éléments à prendre en compte. Une des premières questions à aborder est celle de la taille même des équidés qui auraient pu y séjourner. Il faut pour cela définir quels types pourraient effectivement être retenus.
Les équidés
4Il faut que les animaux soient à même de se déplacer au sein de l’édifice et, par conséquent, qu’ils puissent passer les différentes portes et accès. Ainsi, deux mesures sont à prendre en compte : celle de la taille au garrot — c’est-à-dire dans la zone du corps des grands quadrupèdes délimitée par l’encolure, le dos et le plat des épaules — et la longueur approximative du corps, depuis la pointe de l’épaule jusqu’à la pointe de la fesse, le plus souvent proche de la hauteur au garrot.
5Les équidés les plus courants en Afrique du Nord entre les ive et vie siècle sont issus du genre Equus Asinus : l’âne et la mule. Dans le premier cas, la taille au garrot s’élève entre 1,10 m et 1,30 m en moyenne. Issue de l’union d’une jument et d’un âne, la mule est plus grande que l’âne et mesure entre 1,20 m et 1,40 m au garrot. Il convient de considérer aussi le cheval. La mention de race est évitée ici, car trop contemporaine dans ses acceptions. Toutefois, il semble légitime d’avoir recours au terme de type, car si les races proprement dites ont été officialisées et caractérisées à partir du xviie siècle, la morphologie de ces animaux n’a pas évolué de façon significative depuis l’Antiquité tardive. Il n’est donc pas anachronique d’évoquer les types alors qu’il est impossible de parler de race.
6Dès lors, pour le cheval, quatre types sont à retenir pour cette région. Tout d’abord le cheval de type poney des Mogods15 issu des régions du nord de la Tunisie : il mesure entre 1,20 m et 1,40 m au garrot. Il s’agit du plus petit cheval connu dans cette région, notamment autour de Amdoun, Héllil Mogod ou encore Nefza. Sa morphologie est proche du deuxième type de cheval à retenir ici, dit « Barbe ». D’une hauteur de 1,40 m à 1,55 m au garrot, il présente une tête longue, une encolure musclée, un garrot saillant et un dos court. C’est un type très ancien de cheval robuste et très endurant mais moins rapide que le troisième cheval de type dit « Arabe ». Cet animal possède une tête fine, un profil rectiligne ou concave. Mesurant entre 1,47 m et 1,56 m au garrot16, il s’agit de l’un des plus anciens types morphologiques du monde, prisé notamment pour ses qualités sportives et son aptitude à résister à de hautes températures. Enfin, le dernier type à considérer est dit « Barbe‑Arabe ». Issu comme son nom l’indique du croisement des deux types précédents, il mesure entre 1,40 m et 1,55 m au garrot. Très bon cheval de selle, il présente une tête plus fine que le Barbe, il est également plus endurant que celui-ci.
7Ainsi, si l’on s’en réfère au tableau ci‑dessous, la hauteur minimale moyenne des équidés retenus pour cette étude est environ de 1,30 m pour une hauteur maximale de 1,45 m au garrot. Il faut par conséquent que les infrastructures dans les édifices étudiés soient adaptées à cette moyenne afin que l’on puisse attester la présence d’une écurie. Dès lors, il s’agit d’analyser les lieux de façon pratique en fonction de la taille moyenne des équidés. Pour cela, l’étude des accès et des axes de circulation, puis celle des infrastructures est indispensable.
Tableau 2 — Hauteur au garrot des équidés (en m)
Type d’équidés | Taille au garrot17 |
Âne | 1,10-1,30 |
Mule | 1,20-1,40 |
Cheval type poney des Mogods | 1,20-1,40 |
Cheval type Barbe | 1,40-1,55 |
Cheval type Arabe | 1,47-1,56 |
Cheval type Barbe-Arabe | 1,40-1,55 |
Moyenne | 1,30-1,45 |
Analyse des bâtiments
Accès et axes de circulation
8La question des accès est fondamentale ; c’est le premier obstacle à franchir afin de pouvoir pénétrer dans un bâtiment. Si l’on compare les portes d’entrées des trois monuments étudiés, on constate qu’elles ont des dimensions variables.
La largeur des portes
9Dans le cas de la porte d’entrée, c’est principalement la largeur qui est probante. Un espace de près de 3 m est disponible dans le cas du bâtiment de Tébessa, ce qui permet un passage très aisé pour des équidés. Ce passage ne mesure que 1,15 m dans le cas du grand bâtiment de Haïdra et 0,80 m pour Haïdra 2. Or, pour la bonne conduite d’un équidé, il convient au palefrenier de se placer à ses côtés. Se positionner derrière ou devant l’animal empêche, dans le premier cas, de le guider et peut s’avérer dangereux et, dans le second, de créer le contexte de confiance nécessaire permettant de le rassurer efficacement. L’équidé pourrait, dans les deux cas, refuser d’avancer. Par conséquent, il faut considérer les dimensions minimums requises pour le passage d’un être humain et d’un animal de front, que nous avons établies à 1,20 m18. La largeur de la porte du petit bâtiment d’Haïdra (0,80 m) exclut donc toute utilisation par des équidés. Si les dimensions de la porte du grand bâtiment sont très légèrement inférieures à celles requises pour un passage aisé, la circulation reste envisageable. Par ailleurs, les portes latérales, ne mesurant que 0,90 m dans le cas de Tébessa et 0,75 et 0,65 m pour les deux bâtiments d’Haïdra, sont dans chaque cas bien trop étroites pour le passage. Dès lors, les salles latérales ne peuvent en aucun cas avoir accueilli des équidés, quels qu’ils soient (tableau 3).
Tableau 3 — Mesures des accès (en m)
Tébessa | Haïdra 119 | Haïdra 2 | Dimensions minimums requises20 | ||
Porte d’entrée | Hauteur | Élévation insuffisamment conservée | 2,25 | 1,96 | 2-2,10 |
Largeur | Environ 2,93 | 1,15 | 0,80 | 1,20 | |
Portes latérales | Hauteur | – | 1,75 | 1,65 | 2-2,10 |
Largeur | Environ 0,90 | 0,75 | 0,65 | 1,20 |
La hauteur des portes
10La hauteur des portes est également un élément à prendre en compte. Afin de prévenir tout accident, il convient en effet de concevoir des portes suffisamment hautes pour que l’équidé se cabrant, dans le cas d’une frayeur, ne puisse pas se blesser avec le linteau de la porte. Et ce, d’autant plus lorsque la largeur de celle-ci est étroite et que l’équidé est en situation difficile. Ainsi, une hauteur d’environ 2 m21 semble la plus sûre dans le cas où la hauteur moyenne des animaux est de 1,30 à 1,45 m au garrot. Si c’est largement le cas pour le grand bâtiment d’Haïdra (2,25 m de haut), la porte d’entrée du petit édifice présente une hauteur limite (1,96 m) pour le passage aisé d’un équidé de taille moyenne et semble inenvisageable dans le cas d’un animal de grande taille, soit 1,55 m au garrot22. Dans tous les cas, il semble impossible d’accéder à Haïdra 2 dans la mesure où la porte reste indéniablement trop étroite. Face à un passage trop petit, les équidés risqueraient d’être effrayés ce qui créerait un contexte d’anxiété dangereux à la fois pour l’animal mais également pour les individus qui l’entourent. La hauteur des portes du bâtiment de Tébessa reste inconnue en raison d’une élévation insuffisamment conservée.
Les axes de circulation
11Outre les dimensions, la question des axes de circulation est primordiale. Pour que le bâtiment soit occupé par des équidés, il est nécessaire que ceux-ci puissent aisément se déplacer au sein de la construction. Les circulations dans le bâtiment de Tébessa sont très simples. On y pénètre par une porte située au centre de la façade orientale puis on peut déambuler dans le large espace central et se diriger à droite ou à gauche vers les « auges » et les salles latérales. La circulation dans le petit bâtiment d’Haïdra est similaire hormis la position de la porte d’entrée qui est décalée sur le côté est de l’édifice. Une fois cette première porte franchie, on débouche sur un espace barlong s’ouvrant largement sur une salle centrale dans laquelle se situent les « auges ». Les accès aux espaces latéraux s’effectuent par deux portes étroites situées juste derrière les premières « auges ». Enfin, si les circulations dans le grand bâtiment d’Haïdra23 sont similaires à celles du petit édifice du même site, elles restent moins aisées au niveau de la porte d’entrée. Ce bâtiment est construit sur un plan plus complexe, comme cela a été montré au début de cette étude. La présence des salles L, M et N, situées dans la partie sud-ouest de l’édifice, a impliqué la construction du vestibule K pour accéder au couloir transversal O. L’entrée dans ce bâtiment suit donc un axe de circulation effectuant un coude dans l’espace réduit qu’est le vestibule K. Or, si un accès aussi complexe n’est pas dérangeant pour des êtres humains, il devient bien plus problématique pour des équidés, d’autant plus en raison des dimensions particulièrement réduites de l’espace — seulement 2,05 m sur 2,35 m24. Outre le fait qu’ici la largeur de la porte de 1,15 m est insuffisante pour le passage aisé d’un équidé et de son palefrenier, les dimensions du vestibule ne permettent en aucun cas à l’animal d’effectuer un virage aussi serré. Par ailleurs, la présence d’un escalier abrupt à gauche de la porte d’entrée du vestibule K est également un élément rédhibitoire pour le passage d’équidés car bien trop dangereux. Dans le cas où l’animal serait pris de panique, la présence de cet escalier l’exposerait à un danger inconsidéré.
12Il est donc peu probable que le grand bâtiment d’Haïdra ait été utilisé comme écurie, il convient néanmoins d’étudier d’autres éléments architecturaux avant d’émettre une hypothèse définitive.
Les sols
13Un autre aspect important à analyser est celui de la qualité des sols. Le sol en calcaire du grand bâtiment d’Haïdra est grossièrement dallé dans les salles latérales mais il l’est de façon très régulière dans la salle centrale25. Or, si on considère que la salle centrale est une écurie ou un espace dans lequel les équidés viennent se restaurer, il devient nécessaire de disposer au sol de la paille afin de protéger les sabots des animaux et de pouvoir plus facilement nettoyer leurs déjections. Comment expliquer alors la présence d’un dallage aussi luxueux ? La détérioration induite par les déchets, notamment urinaires, très acides, endommagerait trop le sol et le coût d’entretien serait très important pour des écuries. De plus, le matériau calcaire utilisé ici montrerait, s’il avait été piétiné par des équidés, des traces de sabots et de l’urine des animaux, même s’il avait été recouvert de paille.
14Une problématique similaire se pose pour le petit bâtiment du site, lui aussi dallé avec soin dans la salle centrale. L’accès à cette dernière présente une difficulté supplémentaire par la présence d’une marche qui permet de surélever le niveau du sol par rapport au niveau de la salle transversale26. Ce degré supérieur complique l’accès à la salle centrale pour des équidés. Dès lors, il semble que l’organisation même des sols de cet édifice soit l’un des éléments rendant invraisemblable une utilisation du lieu comme écurie.
15L’édifice de Tébessa présente aujourd’hui un sol majoritairement en terre battue mais avec quelques pierres, plaques ou disques de calcaire gris27. S’il est envisageable de restituer un dallage, on ne peut connaître, selon la documentation disponible, son aspect ni observer avec précision la présence de traces d’usure. Cet élément semble par conséquent insuffisamment conservé pour que l’on puisse effectuer l’étude.
Les « auges »
16À l’origine des hésitations sur la fonction des bâtiments étudiés ici, les « auges » sont ces cuves disposées de part et d’autre de la grande salle des trois édifices. Au nombre de 76 dans l’édifice de Tébessa, elles ne sont respectivement qu’au nombre de 1628 et de 10 dans le grand et dans le petit bâtiment d’Haïdra, comme cela est indiqué dans le tableau suivant. La grande distinction numérique qui existe entre ces différents bâtiments peut être le signe d’une utilisation différente des lieux. Il convient d’étudier les autres aspects de ces « auges » afin de pouvoir établir une hypothèse sur leur utilisation par des équidés (tableau 4).
Tableau 4 — Nombre et dimensions (en m) des « auges »
Tébessa29 | Haïdra 130 | Haïdra 231 | ||
Nombre d’« auges » | 76 | 16 | 10 | |
Hauteur au sol | 0,75 | 1,05-1,10 | 1-1,05 | |
Hauteur du bloc | 0,42 | 0,40-0,42 | 0,45 | |
Largeur | 0,50 | 0,35-0,45 | 0,42 | |
Cuve | Longueur | 0,70 | 0,70-0,80 | 0,78 |
Profondeur | 0,24 | 0,20-0,25 | 0,24 | |
Bords | 0,10 | 0,10 | 0,10 | |
Hauteur des montants | 1,17 | 0,95-1,00 | 0,85 | |
Hauteur entre le sol et le linteau ou l'arc | 1,92 | 2-2,10 | 1,85-1,90 |
17S’il y a une utilisation par des chevaux de ces bâtiments, les « auges » doivent leur être adaptées. Leur hauteur doit permettre à l’animal de manger sans difficulté. Pour des équidés mesurant en moyenne 1,30 m à 1,45 m au garrot, la hauteur de la mangeoire doit se situer entre 0,75 m et 1 m afin d’éviter que l’animal puisse y mettre les pieds ou encore se blesser les jambes. C’est le cas dans les trois édifices, bien que les « auges » du grand bâtiment d’Haïdra, disposées sur deux assises de pierre de taille et s’élevant à 1,05-1,10 m32, soient légèrement trop hautes pour des animaux de petites tailles, notamment les ânes. La profondeur des cuves dans les trois bâtiments est très proche, entre 0,20 et 0,25 m, comme cela est présenté dans le tableau ci-dessus, et est parfaitement adaptée aux équidés.
18Il en est tout autrement lorsque l’on observe l’aspect des « auges ». Elles sont en effet rectangulaires et présentent, dans les cas du grand bâtiment d’Haïdra et de l’édifice de Tébessa, des angles internes carrés. Or, si elles sont utilisées pour nourrir des équidés, les angles doivent être arrondis afin d’éviter que la nourriture ne s’y accumule et soit inaccessible aux animaux (fig. 2). Seul le petit bâtiment d’Haïdra présente des cuves aux angles arrondis33. À cela s’oppose l’aspect grumeleux des fonds des cuves pour ce petit édifice. On peut y apercevoir des traces de ciseau et ainsi noter une absence de volonté de faire un travail soigné34. Or, dans le cas d’une utilisation répétée par des équidés, l’action de leurs lèvres et de leur langue a pour conséquence un lissage systématique des parois en pierre (fig. 3). Les traces de ciseau ne devraient plus être visibles s’il y avait eu un contact prolongé avec des animaux. Il en est de même pour le grand bâtiment d’Haïdra et celui de Tébessa, selon la documentation dont nous disposons (fig. 4). De plus, dans le cas d’une utilisation par des équidés, on devrait également constater une légère dépression de la pierre du rebord au niveau du passage de la tête de l’animal (fig. 5). Celui-ci entraîne un frottement répété et conséquemment, une usure. L’absence de cette dépression est d’autant plus notable dans le grand bâtiment d’Haïdra que les rebords des cuves sont en saillie35 (fig. 6).
19La hauteur des montants qui surplombent les cuves a également son importance. Si le cheval doit passer sa tête sous ce montant afin de se nourrir, celui-ci doit être suffisamment haut pour ne pas blesser l’animal36. Les chiffres obtenus présentent une hauteur variant entre 1,85 m pour le petit bâtiment de Haïdra, 2,10 m maximum pour le grand édifice du même site et 1,92 m pour l’édifice de Tébessa, soit une moyenne pour les trois bâtiments étudiés de 1,97 m. Les dimensions sont alors parfaitement recevables pour des animaux mesurant en moyenne entre 1,30 m et 1,45 m au garrot. Mais, si leurs mesures sont acceptables, leurs formes restent problématiques dans le petit bâtiment d’Haïdra et dans l’édifice de Tébessa. Afin d’éviter tout risque de blessure pour l’animal, les linteaux devraient adopter une forme oblique, tel que le présente le schéma ci-dessous (fig. 7). Celle‑ci permet, dans le cas où l’animal a un mouvement brusque, de prévenir le choc de sa tête contre le bloc de linteau présentant une arrête saillante. La forme arrondie des arcs du grand bâtiment d’Haïdra reste quant à elle acceptable mais malgré sa large ouverture, elle ne peut garantir une sécurité optimale pour les bêtes.
20Par ailleurs, si les édifices étudiés ont servi d’écuries, ils ont nécessairement accueilli plusieurs équidés. Dès lors, l’espace entre les « auges » est à observer. Un espace inférieur à 1 m est insuffisant37 car la proximité des animaux, au moment de se restaurer pourrait entraîner une certaine tension et une rivalité entre eux. Les morsures et autres désagréments physiques sont fréquents chez des chevaux trop exposés les uns aux autres et ce d’autant plus dans des situations excitantes telles que la distribution de la nourriture.
21Enfin, à Haïdra 1, la présence de traces38 situées aux deux tiers des montants des « auges » et indiquant probablement l’emplacement de tringles métalliques39 pose question. Il est toutefois possible qu’elles soient la preuve d’un remaniement. En effet, l’hypothèse selon laquelle ces tringles auraient pu supporter des rideaux40 ne s’explique pas dans le cas où le grand bâtiment d’Haïdra abriterait des écuries. Les tringles porteraient particulièrement préjudice aux animaux car elles seraient placées trop bas pour que l’équidé puisse glisser sa tête en-dessous et représenteraient un élément dangereux. Cela nuirait à l’utilisation des « auges » par les chevaux et la fonction des rideaux resterait obscure. Toujours dans le grand bâtiment d’Haïdra, il existe de plus, sur la face des montants orientée vers la « salle à auges », des trous obliques41 qui ont pu avoir la fonction d’attacher les chevaux au moyen d’un anneau. La hauteur de ces encoches, situées à 1,30-1,40 m du sol42, permettrait d’attacher un cheval de manière sécurisante. Il est en effet préconisé de placer les attaches au niveau du garrot de l’animal et plus précisément à une hauteur de 1,30 m minimum43, afin de ne pas risquer que l’animal se blesse en raison d’une prise de longe trop basse et, de ce fait, trop longue.
22Ce travail d’analyse permet de faire le point sur les arguments allant à l’encontre ou au contraire étayant l’hypothèse selon laquelle les édifices étudiés auraient pu abriter des écuries. Dans le cas du « grand bâtiment à auges » d’Haïdra, si la largeur et la hauteur de la porte d’entrée, mais aussi la hauteur et la profondeur des « auges »,la hauteur des arcs et enfin la présence de trous obliques sur la face des montants sont compatibles avec l’hypothèse d’y voir des écuries, de nombreux arguments la contredisent. Les salles latérales peuvent dès la première analyse être exclues d’un tel usage dans la mesure où leurs portes sont bien trop étroites, ne mesurant que 0,75 m. La grande salle reste envisageable pour une utilisation comme écurie. Toutefois, les axes de circulation, et plus particulièrement l’entrée à travers le vestibule K, ainsi que la présence de sols relativement soignés ne présentant aucune trace des sabots ou des déchets des animaux posent un problème. À cela s’ajoute l’aspect grumeleux des cuves aux angles carrés et l’absence de dépression sur leur rebord en saillie. Enfin, le manque d’espace entre les « auges », l’existence d’un décor et la possible présence de tringles au-dessus des « auges » desservent particulièrement cette hypothèse.
23Le cas du petit bâtiment d’Haïdra semble encore plus évident. Seules la hauteur de la porte d’entrée, la hauteur et la profondeur des « auges », la présence d’angles arrondis dans les cuves et la hauteur du linteau soutiennent l’hypothèse des écuries. Les éléments allant à son encontre sont plus nombreux. On observe que l’accès au bâtiment est infranchissable en raison de son étroitesse, 0,80 m. De même, l’accès aux salles latérales est inenvisageable car les portes ne mesurent que 0,65 m de large. Le sol présente un aspect similaire à celui de l’édifice précédent et comporte en outre une marche pour accéder à la salle centrale. On observe également l’aspect des cuves et la forme du linteau, incompatibles avec la présence d’équidés.
24Enfin, si le site de Tébessa présente un édifice plus assimilable à une écurie, grâce notamment à la multiplicité des « auges », mais aussi à la largeur des portes à laquelle s’ajoute une grande facilité de circulation, plusieurs éléments semblent contredire l’utilisation équestre. Parmi ceux-ci, l’aspect des cuves et leur forme, très proche de celle du grand bâtiment d’Haïdra ainsi que la forme des linteaux et la proximité des « auges » les unes par rapport aux autres semblent être un frein à cet usage.
25Ainsi, ces divers critères tendent à montrer que l’hypothèse selon laquelle des écuries auraient pu être installées au sein du grand et du petit bâtiment d’Haïdra n’est pas envisageable. Et si elle n’est pas à exclure totalement pour l’édifice de Tébessa, elle reste discutable.
Notes de bas de page
1 Voir Christern, 1976, pp. 90-93.
2 Baratte, Bejaoui, 2011, pp. 37-38 et Duval, Cintas, 1976, p. 947.
3 C’est notamment le cas pour le bâtiment aux piliers d’Ougarit, où l’accès aux auges se fait par des escaliers, ce qui exclut un passage d’équidés. Si ce bâtiment a d’abord été considéré comme de possibles écuries (voir Schaeffer, 1938, pp. 313 sqq. ; Id. 1939, p. 284 et Schaeffer (ed.), 1962, p. 3, fig. 12 p. 16 et fig. 13 p. 18), ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les travaux ont été repris par J.‑C. Margueron et sont en cours de publication.
4 Pour la description et l’ensemble des dimensions, consulter Christern, 1976, p. 91.
5 Ibid., p. 91.
6 Voir fig. 5 de la contribution de J.‑Cl. Golvin dans ce volume p. 63.
7 Duval, Duval, 1972, p. 699.
8 Baratte, 2009, p. 203. Cette étude a permis d’identifier l’édifice en question comme un monument à auges.
9 Voir la fig. 2 de la contribution de J.‑Cl. Golvin p. 61.
10 Golvin, 2009c, p. 222.
11 Christern, 1976, pp. 90-91.
12 Duval, Golvin, 1972, pp. 140-143.
13 Golvin, 2009a et 2009b.
14 Divisée en plusieurs compartiments de 5,10 m de long chacun.
15 Les Mogods sont une chaîne de montagne dans le nord de la Tunisie, située à l’extrémité de l’Atlas.
16 Rousseau, 2014, p. 292.
17 D’après ibid., pp. 27, 30, 394, 292 et 396.
18 Consulter le site des haras nationaux [disponible en ligne, voir « Portes »].
19 Duval, Golvin, 1972, pp. 143 et 156.
20 Par l’Institut français du cheval et de l’équitation, Haras nationaux, [disponible en ligne, voir « Portes »].
21 Il est nécessaire d’ajouter entre 60 et 80 cm de hauteur au garrot afin d’obtenir la hauteur du sommet de la tête des équidés. Cette hauteur est variable en fonction de la position de l’animal.
22 Voir tableau 2 « Hauteur au garrot des équidés ». La hauteur du sommet de la tête d’un animal mesurant 1,55 m au garrot est proche de 2,20 m lorsqu’il redresse le cou.
23 Voir fig. 5 de la contribution de J.‑Cl. Golvin dans ce volume p. 63.
24 Duval, Golvin, 1972, p. 143.
25 Baratte, 2010, p. 294.
26 Golvin, 2009b, p. 213.
27 Christern, 1976, p. 92.
28 Duval, Duval, 1972, p. 707.
29 Christern, 1976, p. 90.
30 Duval, Duval, 1972, p. 702.
31 Golvin, 2009c, p. 236.
32 Duval, Golvin, 1972, p. 151.
33 Golvin, 2009c, p. 236.
34 Ibid.
35 Duval, Duval, 1972, p. 703.
36 À partir des données disponibles, on obtient la hauteur entre le sol et le linteau ou l'arc entre le sol et le linteau ou l'arc sous lequel l’animal doit glisser sa tête, en ajoutant la hauteur du rebord de la cuve depuis le sol à la hauteur des montants.
37 Duval, Duval, 1972, p. 707.
38 Duval, 1985, p. 168.
39 Baratte, 2010, p. 288.
40 Ibid.
41 Duval, Golvin, 1972, p. 152 et fig. 11 et 16.
42 Ibid., fig. 11 et 16.
43 Par l’Institut français du cheval et de l’équitation, Haras nationaux, [disponible en ligne, voir « Anneaux d’attache »]
Auteur
Sorbonne Université-Faculté des lettres – Museum national d’histoire naturelle, Paris
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