Introduction
p. 1-14
Texte intégral
1Si la fonction et l’usage des grands monuments romains sont, pour la plupart d’entre eux, bien assurés, il n’est pas si rare néanmoins que des discussions puissent surgir à l’occasion sur l’interprétation à donner d’un édifice particulier, dont le plan pourtant paraît sans problèmes : rappelons la controverse née il n’y a pas si longtemps à propos de « l’édifice des Juvenes », à Mactar, en Tunisie, maison ou siège d’une association1. Mais il est bien plus exceptionnel qu’un groupe de monuments de construction soignée, au plan bien défini, relativement nombreux dans une zone géographique restreinte, reste énigmatique et résiste depuis plus d’un siècle à l’analyse.
2C’est pourtant le cas d’une série d’édifices observés en Afrique du Nord, traditionnellement désignés comme les « monuments à auges » (carte 1) : faute d’en comprendre la nature, c’est une des particularités de leur architecture qui sert à les désigner, la présence de deux rangées parallèles de cuves en pierre à l’intérieur d’une grande salle2 (fig. 1). Le premier à avoir été étudié est aussi l’un des plus spectaculaires : c’est celui qu’avait décrit en 1882 H. Saladin à Haïdra, au cours de l’une de ses missions en Tunisie avec R. Cagnat3 et dont il avait réalisé une pittoresque restitution4. Si certains de ses éléments étaient toujours restés visibles, il venait d’être plus complètement dégagé5 et attirait l’attention par les deux arcades monumentales encore en place, mais aussi par les deux rangées de huit petites arcades abritant autant de cuves taillées dans des blocs de pierre — les auges. La présence d’une abside flanquée de deux petites pièces, ouvertes sur trois espaces parallèles interprétés comme des nefs, avait conduit Saladin à y reconnaître une église ; étonné par l’existence des auges, il avait proposé d’y voir un travail postérieur à la conquête arabe, correspondant à la transformation du monument en écurie. Il avait aussi observé au cours de sa mission un autre monument, à Henchir Goubeul6 (fig. 2), mais ce dernier étant incomplètement fouillé, Saladin n’avait pas reconnu qu’il s’agissait du même type d’édifice que celui d’Haïdra.
3Une dizaine d’années plus tard, Ch. Diehl, passant à son tour à Haïdra7, s’était intéressé lui aussi au « monument à auges » ; réfutant l’analyse de Saladin8 et inversant son raisonnement, il considérait, à juste titre, que les auges appartenaient bien à l’édifice primitif, qui ne pouvait être une église, et il rapprochait la salle à auges du complexe chrétien de Tébessa, aujourd’hui considéré, après J. Christern, comme une sorte de caravansérail (fig. 3). Le bâtiment d’Haïdra était ainsi pour Diehl d’abord une écurie et faisait partie d’une auberge, elle-même intégrée sans doute, comme à Tébessa, dans un plus vaste complexe, un couvent fortifié. Il admettait néanmoins que dans un second temps l’écurie ait pu être transformée en église.
4Le dossier allait rapidement s’enrichir à la suite de la découverte par le commandant Guénin au sud de Tébessa, à Henchir Faraoun, d’un nouveau « monument à auges », une pièce essentielle du dossier puisqu’il a été intégralement et soigneusement fouillé par son découvreur, qui en a donné une publication assez complète9 (fig. 4). La polémique était ainsi lancée pour Haïdra entre les partisans de l’écurie et ceux d’une église (appartenant à un couvent, puisque la cour à péristyle voisine passait pour un cloître), mais pendant près d’un quart de siècle ces monuments ne retinrent qu’épisodiquement l’attention : certes, la présence des auges intriguait, mais on leur trouvait des interprétations, parfois étranges comme celle qui voulait y reconnaître, dans ce qui aurait été une église fréquentée pour les cérémonies du Jeudi saint, des bassins destinés à la cérémonie du Lavement des pieds10. On doit toutefois à St. Gsell, dans son rapport sur les églises de Thelepte et d’Ammaedara pour le second congrès international d’archéologie chrétienne, à Rome, en 1900, une mise au point attentive du dossier11.
5G. Picard s’était intéressé à ces édifices dont deux exemplaires, de plan assez proche quoique différent, avaient été découverts à Mactar12 (fig. 5). Mais c’est N. Duval qui, en 1972, reprenant l’étude du site d’Haïdra, rouvrit véritablement le dossier des « monuments à auges13 », à propos de deux des plus remarquables par leur état de conservation, le « grand monument à auges » d’Haïdra et celui d’Henchir Faraoun. Une description attentive de leurs vestiges lui avait permis d’exposer clairement les caractéristiques communes de ces édifices14, d’en dresser un premier inventaire en attirant l’attention sur des exemples parfois en mauvais état, comme à Madaure (fig. 6), de rappeler les hypothèses émises sur leur usage et de préciser celle qu’il privilégiait, avant de revenir, à différentes reprises, avec le concours de J.-Cl. Golvin, sur ces questions, qui avaient entretemps retenu l’attention de plusieurs autres chercheurs15. A. Nestori, en particulier, avait insisté sur l’un des usages possibles, celui de dépôt de valeurs16. J. Christern, pour sa part, revenant, à l’occasion de sa publication de la basilique de Tébessa, sur un des bâtiments du complexe chrétien, déjà évoqué plus haut, avait abordé de nouveau le dossier et considéré l’édifice qui, au sein de cet ensemble, offrait deux lignes d’auges parallèles, comme une sorte d’auberge pour les pèlerins, le rez-de-chaussée faisant office d’écurie, les voyageurs logeant à l’étage, une hypothèse déjà développée par les officiers du xixe siècle17, mais qui, reprise dans un plus large contexte, relançait le débat sur la possible fonction d’écurie de ces monuments18.
6La reprise des fouilles sur le site d’Haïdra à partir de 1993 a donné l’occasion de revenir sur ces édifices (fig. 7) : il fut décidé en effet d’étudier systématiquement le « grand monument à auges » (Haïdra 1) en dégageant les parties non encore fouillées et en affinant l’examen de la salle à auges elle-même. Ce travail, qui, en raison des événements politiques récents en Tunisie, a dû être suspendu, a apporté néanmoins des éléments très importants pour la chronologie d’une part, et sur l’organisation générale du complexe d’autre part, en révélant l’existence d’un aménagement qui constituait de toute évidence un autre « monument à auges » (Haïdra 4), au sud de la cour à portiques autour de laquelle s’organisait l’ensemble, imitation de construction plus récente, moins spectaculaire et moins soignée, de celui qui se trouvait plus au nord. Or, au même moment le nettoyage entrepris au nord de la citadelle par J.‑Cl. Golvin de ce que l’on considérait traditionnellement comme une « maison fortifiée » mettait en évidence un édifice du même type, de forme plus simple19 (Haïdra 2). L’occasion était ainsi fournie d’une analyse architecturale minutieuse, donnant lieu à une restitution précise du monument et à une analyse de sa fonction (un édifice abritant des valeurs, pour J.‑Cl. Golvin). Enfin, la fouille du secteur situé entre la citadelle et ce « petit monument à auges » avait abouti à dégager un grand bâtiment à l’histoire complexe, mitoyen semble-t-il du forum et organisé autour d’une cour à portiques. Ce vaste complexe contenait un groupe de salles qui reprenait manifestement l’organisation des « monuments à auges », avec deux courtes lignes d’auges, une abside et deux salles latérales (Haïdra 3). On peut donc désormais considérer que pour la seule ville d’Ammaedara pas moins de quatre « monuments à auges » ont existé, à des moments qu’il n’est pas encore possible de déterminer précisément pour certains d’entre eux (fig. 8).
7Entretemps, ailleurs en Tunisie on découvrait ou redécouvrait des bâtiments que leurs caractéristiques suggèrent de rapprocher des « monuments à auges » : dans la villa de Sidi Ghrib, partiellement dégagée, un espace, incomplètement fouillé et très succinctement publié, offre une abside et deux files d’auges parallèles20. Dans la région de Thelepte, les prospections conduites par Mouna Hermassi ont mis en évidence l’existence de plusieurs édifices qui très probablement rentrent dans cette série. Une fouille attentive, qui reste à entreprendre, permettrait d’en préciser les caractéristiques et, plus nécessaire encore, la fonction. Plus récemment, Elsa Rocca, par une analyse poussée du dossier archéologique de Tébessa, a confirmé l’hypothèse proposée autrefois par J. Christern de l’existence d’un « monument à auges » au sud de la ville antique, distinct de celui de Tébessa Khalia21. Toutes ces découvertes toutefois, si elles ont substantiellement enrichi le dossier, n’ont guère permis d’avancer dans la reconnaissance de l’usage de ce groupe de monuments.
8Il est évident que l’on rencontre des auges, regroupées ou non en batteries, un peu partout sur les sites africains et que leurs fonctions pouvaient assurément être diverses. Bien adaptées au stockage de denrées ou matériaux variés, elles devaient tout aussi bien servir d’abreuvoirs ou de mangeoires pour des animaux, mais pouvaient aussi contenir différents produits (on a proposé des olives), solides plutôt que liquides étant donné les difficultés qu’il y aurait eu à récupérer l’intégralité du contenu dans ce cas, ou des objets. Tous les édifices contenant des lignes d’auges n’ont sans doute pas eu la même fonction : le bâtiment au sein du complexe de la grande basilique de Theveste peut avoir joué, par son ampleur et par son organisation intérieure, le rôle d’écurie ; mais il diffère nettement par son plan du second exemplaire identifié dans la même ville ou de celui de Tébessa Khalia ; il ne peut donc servir de modèle pour tous les édifices contenant des auges22. Cependant, d’autres dispositifs existent encore, qui se distinguent par leur plan et les aménagements liés aux auges ; c’est le cas de l’édifice très soigné du Kef, qui adopte un plan intérieur cruciforme, avec des auges installées dans des niches fermées à l’arrière23 (fig. 9), comme dans le « monument Chatelain » à Mactar, où les auges sont en outre disposées en deux demi-cercles qui se faisaient face24 ; il en va de même, à Mactar encore, dans le bâtiment près de « l’édifice des Juvenes », au plan quadrilobé25. À Timgad, dans la forteresse byzantine, les casernements contiennent dans chacune de leurs cellules une paire d’auges, qui ont dû jouer le rôle de placard ou de coffre pour les effets des soldats26. Mais dans ce dernier cas on ne saurait parler de « files » d’auges.
9De nombreux obstacles se dressent donc pour élucider l’usage de ces édifices. Le premier est évidemment le manque de fouilles systématiques : quelques-uns seulement ont été soigneusement dégagés ; parmi eux, celui d’Henchir Faraoun, fouillé en 1906 par le commandant Guénin27, la « chapelle d’Alexandre » à Bulla Regia, dégagée en 1914‑1915 par L. Carton, et, beaucoup plus récemment, à Ammaedara, la salle à auges (Haïdra 4) au sud de la cour à péristyle sur laquelle ouvrait au nord le « grand monument à auges » (Haïdra 1), et celle fouillée dans le complexe étudié immédiatement au nord de la citadelle (Haïdra 3), l’une et l’autre encore inédites. Les autres édifices ont été soit plus rapidement ou partiellement fouillés, soit insuffisamment publiés28.
10Le monument d’Henchir Faraoun pour sa part a livré de précieuses informations sur son architecture ; Guénin, qui l’avait identifié à tort comme une église (comme cela s’est produit pour plusieurs autres monuments du même type, les deux files d’auges paraissant créer trois nefs, la plus importante étant terminée par une abside) signale en outre la présence de silos sous la grande salle, qu’il attribue à l’époque byzantine, et les restes de grandes amphores. Mais le plus intéressant de ces édifices pourrait être celui de Bulla Regia, au plan assez sommaire, inclus à un moment donné dans un petit fort byzantin, dont la destruction est due manifestement à un incendie qui avait eu pour conséquence bénéfique de conserver le matériel qui s’y trouvait, aujourd’hui malheureusement perdu, semble-t-il : de la vaisselle de bronze et de terre cuite, des amphores, qui peuvent être identifiées grâce à plusieurs photographies prises par le fouilleur, et même des denrées, des noyaux de fruits et des ossements de volaille. Rien ne se trouvait dans les auges, tout était dans deux salles annexes, mais la présence en particulier de nourriture a pu être considérée comme un argument en faveur d’une interprétation de l’édifice comme un lieu de stockage, puis de distribution pour les pauvres. Une inscription sur le linteau de la porte d’entrée (un verset du psaume 121), appelant la protection divine sur celui qui quitte les lieux, si elle ne désigne pas comme on l’a parfois pensé une halte pour les pèlerins29, souligne son caractère ecclésial. Cette hypothèse avait été parfois envisagée pour le « grand monument » d’Haïdra, du fait de l’existence de la cour à péristyle, qui avait pu passer pour un cloître30, et de la proximité de la « chapelle vandale », dont le rapport avec le « monument à auges » toutefois demeure purement hypothétique.
11Devant cette diversité de plans et d’aménagements intérieurs et la multiplicité des hypothèses que ces caractéristiques ont entrainées, il est indispensable d’en revenir à la définition précise des « monuments à auges » qu’avait donnée à plusieurs reprises N. Duval lui-même31 : la présence de cuves en pierre ne suffit pas pour faire rentrer un bâtiment dans cette catégorie32. Il existe bien une série d’édifices au plan homogène, parfois moins amples (le « petit monument » d’Haïdra, Haïdra 2), mais presque toujours de construction soignée, aux caractéristiques communes. C’est ce groupe — une dizaine d’exemples connus aujourd’hui —, qu’il convient de désigner de la sorte. Dans l’état actuel de nos connaissances, ces monuments sont presque tous situés dans la région au sud de Tébessa et d’Haïdra. Si on observe l’existence à Sidi Ghrib d’espaces qui paraissent reprendre le plan caractéristique, il faudrait une étude plus attentive pour pouvoir affirmer avec certitude qu’il s’agit bien d’un ensemble de salles qui se rattachent à cette série. On a par ailleurs souvent relevé un lien possible entre les « monuments à auges » et des huileries, à Tébessa Khalia ou Henchir Faraoun par exemple. Ce n’est pas le cas à Haïdra, même si, de fait, ces bâtiments sont tous situés dans une région où la culture de l’olivier jouait un rôle économique important.
12Devant les questions que posent encore ces « monuments à auges » africains, il nous a paru intéressant de se tourner, comme l’avait déjà suggéré N. Duval, vers une autre région où des alignements d’auges organisés de manière systématique apparaissent aussi en grand nombre, ce qui avait d’ailleurs été relevé dès que les chercheurs ont commencé à s’intéresser à ces bâtiments33. Le Proche-Orient, tout particulièrement, en a livré en abondance des exemples, parfois spectaculairement conservés (carte 2). Les constructions au sein desquelles les auges ont été aménagées, dès l’origine, ont été datées, trop rarement par des fouilles stratigraphiques, plus souvent par l’analyse du décor architectural et de l’architecture, des époques romaine, protobyzantine et omeyyade (ier/iie‑viiie siècles). À la différence des installations africaines, elles sont dépourvues d’abside, à une exception près34, et offrent une typologie de formes et d’organisations variées. C’est dans la région basaltique de Syrie du Sud et de Jordanie du Nord, appelée Hauran, et dans le Jaulan plus à l’ouest, que ces équipements sont les plus nombreux ou les mieux conservés, et les mieux étudiés. Ces constructions occupent systématiquement le rez-de-chaussée de maisons de villages et de demeures urbaines. W. J. Bankes35, en 1816, est le premier à signaler leur existence dans les très nombreux villages du Hauran et les décrit en ces termes : « À l’exception de Pompéi, où peut-on trouver les habitations privées des Romains ? Nous les avons ici en grande quantité, encore habitables ou habitées, fermées par leurs portes et couvertes par leurs plafonds d’origine, et les chevaux mangeant dans les mêmes mangeoires qu’ils le faisaient il y a 1 600 ans36 ». Cinquante ans plus tard, M. de Vogüé37 visita à son tour la Syrie, repéra ces installations originales et, sans pourtant avoir eu connaissance des travaux de son prédécesseur anglais restés inédits jusqu’en 2004, les présenta lui aussi comme des écuries (fig. 10). Au cours des premières années du xxe siècle, l’explorateur américain H. C. Butler38, qui documenta très abondamment les vestiges antiques du Proche-Orient et du Hauran en particulier, s’appuyant sur Vogüé, soutint la même idée39. Beaucoup plus récemment, c’est entre autres sur la présence de ces « salles à auges » au rez-de-chaussée des maisons du Hauran syrien (fig. 11) que Fr. Villeneuve a étayé l’hypothèse selon laquelle le développement et même la prospérité de cette région dans l’Antiquité auraient été fondés sur une grande activité agricole et pastorale40. P. Clauss‑Balty dans les années 2000 a poursuivi l’étude de l’architecture domestique41 de cette région, mettant encore en lumière la qualité et le nombre de ces installations, invariablement associées à des activités de pacage.
13La contribution de P. Piraud-Fournet inventorie et propose une typologie des installations repérées dans la province d’Arabie antique, sans remettre en cause cette interprétation. T. Erikson‑Gini présente celles du Neguev sous un jour similaire. Les pièces équipées d’auges découvertes en Syrie du Nord, quant à elles, n’avaient pas encore été considérées de façon globale. Sans offrir une synthèse, le présent ouvrage réunit des contributions de G. Charpentier et J.‑L. Biscop présentant des bâtiments là encore en rapport avec des activités de pacage. Mais on découvre aussi qu’il peut y avoir dans quelques cas particuliers, même au Proche‑Orient, un usage tout autre de ces « auges » : c’est ce que montre D. Pieri, qui présente les petites pièces à auges situées à l’entrée du grand sanctuaire de Qal‘at Sem‘an comme des guichets de boutiques. J. Patrich, pour sa part, s’intéresse non pas aux auges à proprement parler, mais à l’un des thèmes abordés de façon plus générale dans l’ouvrage, la distribution des denrées à la fin de l’Antiquité, qui pourrait justifier la présence de ces récipients sur certains sites.
14Si le type architectural de l’écurie/étable semble déjà avoir été assez abondamment étudié en Orient (fig. 12), en revanche l’étude des spécimens africains n’a encore été qu’occasionnelle. On peut se tourner du côté des images pour recueillir quelques informations : l’un des documents les plus significatifs est une des mosaïques de la villa de l’Oued Athmenia, en Algérie, qui montre des chevaux à l’écurie ; mais il est d’interprétation délicate et n’apporte en définitive que peu de choses sur la compréhension des auges. L’archéologie fournit aussi des éléments tout à fait intéressants : ainsi un des fortins du limes tripolitanus, le centenarium de Tibubuci (Ksar Tarcine), comme le précise sa dédicace, fouillé en 1901-1902 par le lieutenant Tardy, possède en effet une vaste salle au sol bétonné, sur les murs nord et est de laquelle s’appuient deux files d’auges, larges de 0,90 m pour la première, 0,82 m pour la seconde (fig. 13). Les restes organiques recueillis dans la fouille ne laissent aucun doute sur la fonction d’écurie qui a été celle de cette salle42. Mais trop peu d’écuries ont été jusqu’à présent identifiées en Afrique. Pourtant, certains édifices contenant des auges, situés par exemple à proximité des voies ou sur des sites isolés, susceptibles d’avoir constitué des auberges, doivent indubitablement être réexaminés dans ce sens. Cette interprétation n’est toutefois pas satisfaisante pour nombre de « salles à auges », dont les aménagements (types de revêtements de sol, accès etc.) n’étaient pas adaptés à l’accueil d’équidés.
15La comparaison entre les différents modèles mis en œuvre, les contextes dans lesquels ces « salles à auges » ont été élevées, les modes de construction et les formes employées, on le verra, s’avère fructueuse. Elle ne résout pas toutes les questions mais elle met en lumière les similitudes, parfois, les différences souvent, entre les régions et la spécificité des « monuments à auges » stricto sensu. Le dossier, toujours ouvert, en est sensiblement enrichi43
Notes de bas de page
1 Charles-Picard, 1957, pp. 96-147 ; Duval, 1984, p. 468 ; Gros, 1996, pp. 383-384 ; voir aussi Goffaux, 2011.
2 On retiendra pour l’anecdote que dans une des éditions du Guide Bleu de Tunisie (1971), erreur ou coquille, les « monuments à auges » s’étaient transformés en « monuments à anges ». Le rédacteur, soucieux de préciser de quoi il s’agissait, mais qui manifestement n’était jamais allé sur place, ajoutait qu’on pouvait effectivement y voir « une série de figures ailées, dont la destination n’a pas encore été fixée avec certitude » (p. 285) — les anges bien sûr.
3 Saladin, 1887. C’est la pagination du fascicule édité en tiré-à-part en 1886 que nous utilisons ici : pour Haïdra, pp. 169-189 ; sur le « monument à auges », pp. 179-181, fig. 312-314.
4 Cagnat, Saladin, 1887, p. 234 et fig. p. 231.
5 Saladin, 1886, p. 179 : « Un édifice religieux [… qui] a été fouillé en partie tout dernièrement ». On ignore toutefois qui avait conduit ce dégagement.
6 Id., 1887, pp. 142-147.
7 Diehl, 1894, pour Haïdra, pp. 48-51 ; pour le « monument à auges », pp. 49-51.
8 Ibid., p. 49 : « Des erreurs assez singulières ».
9 Guénin, 1907.
10 L’auteur de cette proposition n’avait de toute évidence vu que le plan de l’édifice, sans réaliser à quelle hauteur du sol se trouvaient les auges.
11 Gsell, [1902] 1933, pour Haïdra, pp. 57-80 ; pour le « monument à auges », pp. 72-80.
12 Charles-Picard, 1957, pp. 137-142.
13 N. Duval annonçait en 1976 un livre sur cette question, livre qui n’a jamais vu le jour : Duval, 1976, p. 929, n. 1. Mais il a publié à plusieurs reprises ses réflexions sur ces édifices (outre l’article cité ci-dessus) : Duval, Golvin, 1972 ; Duval, Duval, 1972 ; Duval, 1979. Au moment où il vient de disparaître, c’est évidemment à sa mémoire que nous dédions cette introduction et les actes d’un colloque dont il avait encore pu suivre la préparation.
14 Duval, Duval, 1972, pp. 699-710. L’état des deux monuments s’était sensiblement dégradé par rapport à celui qui était le leur au moment de leur découverte.
15 Duval, Cintas, 1976 ; Duval, 1977, en particulier pp. 871-873 ; Duval, 1979 ; Duval, 1985.
16 Nestori, 1980-1982.
17 Christern, 1976, pp. 231-244.
18 La fonction de la salle avait auparavant été âprement discutée, Toulotte, 1904, p. 561 notamment y voyant de manière assez étrange, comme pour tous les autres « monuments à auges », un baptistère, sans doute pour des baptêmes en série, puisque le baptistère ouvrant sur la basilique servait, d’après lui, pour des « baptêmes quotidiens, isolés ». L’hypothèse est reprise par Mesnage, 1912, p. 380.
19 Golvin, Séry-Métay, 2009.
20 Ennabli, Neuru, 1994.
21 Rocca, Bejaoui, 2018, plus particulièrement pp. 230-231.
22 Sur ce débat, Duval, 1979, p. 1016.
23 Plan dans Gauckler, 1913, pl. VI.
24 Charles-Picard, 1957, pp. 137-142.
25 Chatelain, 1911.
26 Lassus, 1981, pp. 169-171.
27 Guénin, 1907. Pour une bibliographie plus complète, voir les travaux de N. Duval, en particulier Duval, Duval, 1972, où est reprise la description du monument à partir de la publication de Fr. Guénin et de ses propres observations.
28 Ainsi le « petit monument à auges » d’Haïdra (Haïdra 2), très soigneusement dégagé des blocs qui l’encombraient par J.-Cl. Golvin et minutieusement publié par ses soins avait-il été préalablement fouillé, à une date inconnue, et vidé du matériel qui pouvait s’y trouver, à l’exception du contenu de l’une des auges, où ont été découverts des bracelets en bronze, d’époque médiévale vraisemblablement.
29 Ennabli, 2000, pp. 133-134.
30 D’où la restitution de H. Saladin dans Diehl, 1896, p. 50. Reproduite dans Duval, Golvin, 1972, p. 160, fig. 17, elle est très largement fantaisiste. Toute la partie au nord de la salle à auges, en particulier, semble entièrement inventée.
31 Par exemple Duval, 1985.
32 On est sans doute passé souvent, par commodité de langage nous semble-t-il, de la qualification par les caractéristiques du plan des édifices, les « monuments à auges », à une désignation qui repose sur la seule présence d’auges.
33 Chatelain, 1911, p. 356. Voir également Duval, 1985, p. 170.
34 Les deux salles qui flanquent l’entrée du palais de Qasr ibn Wardan en Syrie centrale se terminent par des absides. Concernant ce monument, voir De Maffei, 1995.
35 Sartre-Fauriat, 2004.
36 Ibid., p. 197.
37 Vogüé, 1865-1877.
38 Butler, 1913-1919.
39 À l’exception d’un cas : la rangée d’auges de la maison XIII d’Umm el-Jimal en Jordanie qui a la particularité de supporter une élégante et originale paroi ajourée en pierre.
40 Villeneuve, 1985-1986, pp. 96 et 125.
41 En particulier sur ce sujet, consulter Clauss-Balty, 2008 et Ead., 2010.
42 CIL, VIII, 22 763 = ILS, 9 352. Gauckler, 1902, plan p. 327, et p. 329. On notera que les deux portes de la salle ne mesurent que 0,80 m de largeur. Les auges étaient « en maçonnerie ». Toutain, 1902, pp. 360‑375. Trousset, 1974, no *98, Ksar Tarcine, pp. 90‑92.
43 Les monuments à auges, à l'origine de l'ouvrage, constituent en Afrique une catégorie bien définie d'édifices. On a donc laissé entre guillemets dans les textes les expressions qui les désignent. Ailleurs, qu'il s'agisse de salles ou de monuments, les guillemets ne sont pas utilisés lorsque l'usage agricole est évident ; ils ont en revanche été mis dans les autres contextes.
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Les « salles à auges »
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