Chapitre III
Femmes en guerre
p. 93-122
Texte intégral
1Si l’on tient la culture nobiliaire pour un phénomène encore largement oral, dont les chroniques seraient comme la pointe émergée, se pose naturellement la question du périmètre de sa diffusion. Autant il est possible d’espérer suivre la trace d’un texte en examinant les inventaires de bibliothèques et en établissant la liste des sources de textes postérieurs qui ont pu s’en inspirer, autant les circuits de l’oralité sont difficiles à cartographier : les pratiques sociales qui en sont le moteur restent souvent cachées à l’historien en raison de leur caractère domestique et quotidien. Ce constat s’applique avec une acuité particulière lorsque l’on s’intéresse aux aspects de la culture nobiliaire qui touchent directement à l’activité militaire. Tout autant que la pratique des armes elle-même, la « culture de guerre » — prise ici au sens de l’ensemble des savoirs nécessaires pour concevoir et mener une entreprise belliqueuse — apparaît au xve siècle comme un facteur de distinction : elle ferait partie du patrimoine symbolique de la noblesse et plus spécifiquement, en son sein, de celui des hommes qui font profession des armes — et qui justifient ainsi la position et les privilèges de leur classe, constituant une espèce d’élite dans l’élite. Nous avons vu dans les premiers chapitres les enjeux qui entourent à la fin du Moyen Âge ce phénomène de supériorité, voire d’exclusivité culturelle : la revendication d’un monopole nobiliaire sur la culture de guerre apparaît d’autant plus cruciale que la prééminence du groupe est sensiblement moins assurée que par le passé.
2Pour autant, l’examen des pratiques liées à l’activité militaire reste à conduire pour mesurer jusqu’à quel point cette revendication s’est traduite dans les faits. Avant même d’envisager le problème de la participation du commun à la culture de guerre — ou de l’existence d’une culture de guerre roturière, ce qui revient un peu au même —, la question se pose de sa diffusion parmi les individus qui peuvent de bon droit se dire nobles. Cette démarche conduit à interroger un certain nombre d’idées reçues, fondées sur notre propre expérience sociale et sur une lecture des sources souvent trop conditionnée par cette même expérience. Le cas le plus évident, celui par où il convient donc de commencer, porte sur la nature des liens que les femmes peuvent entretenir avec l’activité militaire. Selon l’opinion dominante, la culture de guerre serait caractéristique d’un modèle de masculinité pleinement épanoui dans les sociétés traditionnelles — à l’exemple de la société castillane du xve siècle. Certains aujourd’hui encore restent convaincus du caractère consubstantiel de cette partition : les femmes manifesteraient par nature une moindre propension sinon au conflit, du moins à la violence physique. Les secteurs qui, de nos jours, combattent ces positions parviennent à la même conclusion, quoique par un autre chemin : les femmes seraient tout aussi capables que les hommes de faire la guerre, mais un ordre social conçu par et pour les seconds les en aurait presque toujours et presque partout empêchées. Opposées dans leurs prémisses, les deux grilles de lecture ne se superposent donc pas moins pour conclure que les femmes n’ont en général pas les moyens théoriques ni pratiques de mener une activité militaire de façon autonome.
3Pourtant, s’agissant du Moyen Âge occidental, les recherches menées depuis une vingtaine d’années ont montré le caractère au moins partiellement erroné de cette opinion. Dans le cas de la Castille du xve siècle, la figure complexe de la reine Isabelle Ire, dont l’implication dans la guerre de Grenade est bien connue, invite à la réflexion. Et un examen attentif du dossier historiographique laisse penser que son cas, pour être singulier, ne doit pas pour autant paraître exceptionnel.
I. — Deux topiques : femmes victimes de guerre et faiseuses de paix
Une exposition spécifique des femmes à la violence guerrière ?
4Peu prolixes sur le sort des populations exposées à l’activité guerrière, les chroniques castillanes mentionnent à de très nombreuses reprises la capture de paysans à l’occasion d’expéditions de part et d’autre de la frontière avec Grenade, et elles ne manquent généralement pas de signaler la présence de femmes parmi les prisonniers. Dans le cas où une agglomération qui refuse de se rendre est prise d’assaut, ces femmes constituent même avec leurs enfants l’essentiel du butin humain puisque les hommes sont alors souvent exécutés pour prix de leur résistance1. Les mentions de violences sexuelles restent, en revanche, exceptionnelles. Cela retient d’autant plus l’attention que la dénonciation des viols dont l’ennemi se serait rendu coupable apparaît souvent comme une espèce de passage obligé, au même titre que celle des profanations d’églises : sans toujours faire référence à des situations concrètes, les chroniqueurs signifient par ces allusions l’extrême violence des adversaires et leur absence de sens moral. C’est à ce titre que le topique des viols en contexte de guerre revient de façon récurrente dans les textes, au moins depuis le xiie siècle2. S’agissant de l’affrontement entre la Castille et Grenade, on n’en rencontre pourtant qu’un seul exemple dans l’historiographie nobiliaire d’époque trastamare, et il n’appartient même pas au discours de l’historien : c’est dans une lettre que Miguel Lucas de Iranzo aurait envoyée au pape Sixte IV en 1471 pour solliciter l’appui financier du Saint-Siège que se trouve cette mention3. Reproduit dans la chronique du connétable, le texte de la missive décrit avec beaucoup d’emphase les malheurs de la Castille ravagée par la guerre civile et l’audace des Maures qui, profitant du désordre et de la trahison d’une partie de la noblesse andalouse, sèment la désolation dans les campagnes de Jaén. Dans ce climat d’apocalypse, Miguel Lucas de Iranzo se pose en dernier rempart de la chrétienté locale face à des ennemis cruels. Relatant au pape des événements survenus fin septembre 1471, il décrit la mise à sac de Figuera de Martos : comment des habitants ont péri brûlés vifs dans leurs maisons, comment le prêtre a été tué sur l’autel de son église, et comment les femmes, sans considération d’âge ni d’état, ont été violées par les Maures4.
5Outre cette occurrence, qui relève de façon évidente d’une utilisation rhétorique de l’abus sexuel5, la pratique du viol associée à des violences armées affleure à différents endroits dans les chroniques, chaque fois dans des circonstances particulières. Diego de Valera fournit un premier élément au dossier. En 1472, les habitants de Carmona sont victimes de la guerre qui oppose les partisans du duc de Medina Sidonia, Enrique Pérez de Guzmán, et ceux du marquis de Cadix, Rodrigo Ponce de León6 : les premiers empêchent les seconds de s’emparer d’une des forteresses qui dominent la ville ; mais une fois ce succès remporté, leurs alliés sévillans qui étaient venus participer à la bataille se retirent et laissent la population de Carmona — ou du moins les secteurs qui soutiennent Enrique Pérez de Guzmán — sans défense. Un des capitaines du marquis, Luis de Godoy, exerce alors sa vengeance, tuant, brûlant les maisons et violant les femmes « sans aucune crainte de Dieu7 ». Le récit est ambigu parce que Valera manifeste assez clairement sa préférence pour le duc et qu’il trace un portrait hostile de Godoy, décrit comme un homme violent, colérique, qui ne respecte pas même les églises. Dans cette perspective, les termes choisis pour rendre compte des représailles qui s’abattent sur les habitants de Carmona laissent soupçonner que Valera mobilise le topique du viol pour signifier que Godoy dépasse les limites de l’acceptable, et qu’il se comporte vis-à-vis de ses coreligionnaires comme les Maures8. La mention de son indifférence au châtiment divin conforte cette hypothèse. Pour le reste, dans les chroniques nobiliaires, la pratique du viol n’est associée qu’à des contextes d’émeutes. Lope García de Salazar fait état de plusieurs cas en Biscaye9, liés aux luttes de clans, et Diego de Valera évoque le viol de jeunes filles et de femmes mariées à Cordoue, en avril 1474, à l’occasion d’une vague de violences dirigée contre les judéo-convers de la ville10. Qu’il s’agisse des conflits entre lignages ou de la persécution des nouveaux chrétiens, l’agression sexuelle ne participe alors pas d’un déchaînement aveugle de brutalité ; elle vise clairement à provoquer l’adversaire, à l’abaisser ou à s’en venger en portant atteinte à son honneur11. Pour autant que la documentation permette d’en juger, ce mécanisme ne fonctionne pas de la même façon en contexte de guerre, pas même dans le conflit avec les Nasrides12.
6Sur la frontière de Grenade, un cas retient l’attention. La chronique du marquis de Cadix rapporte comment, en 1488, Rodrigo Ponce de León est obligé d’intervenir pour réprimer la rébellion des Maures de Gaucín13 : la forteresse a été occupée en l’absence du gouverneur castillan, et celui-ci emprisonné à son retour. Située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest d’Estepona, peuplée de 7 000 à 8 000 habitants selon la chronique, Gaucín a été conquise en mai 1485. Le front s’est considérablement éloigné depuis cette date, en particulier après la chute de Málaga en 1487. Le chroniqueur insiste néanmoins sur l’importance stratégique de la place, et il décrit une mobilisation importante : Ponce de León réunit 600 lances et 1 500 fantassins à Arcos et à Marchena ; il convoque la milice de Jérez de la Frontera, et envoie des messagers au comte de Cifuentes, à Alonso de Aguilar et au comte d’Ureña pour exiger leur participation à l’opération. À peine arrivé à destination, le marquis reçoit une délégation des habitants musulmans de la ville voisine de Casares qui justifient la révolte de Gaucín par l’attitude du gouverneur castillan : celui-ci, en compagnie de certains de ses subordonnés, abusait des femmes et des filles de la localité14. L’affaire est bientôt réglée : Rodrigo Ponce de León donne raison aux révoltés, fait exécuter plusieurs hommes de la garnison et place un de ses capitaines à sa tête en attendant que le roi nomme un nouveau gouverneur. Il parvient ainsi à reprendre le contrôle de la situation en s’épargnant les dépenses d’un siège qui s’annonçait compliqué et coûteux. Il est difficile de dire si le motif avancé par le chroniqueur pour expliquer la révolte est sincère. Néanmoins, on perçoit à travers cet exemple les violences qui peuvent s’exercer contre la population féminine après la guerre, dans une zone encore profondément marquée par le conflit : passée aux mains des Castillans depuis un peu plus de trois ans au moment des faits, Gaucín se situe néanmoins dans une zone étroitement surveillée — ce dont témoigne la promptitude de la riposte organisée par Ponce de León.
7Pour autant, ce seul exemple ne permet pas de conclure à une vulnérabilité accrue des femmes en contexte de guerre. Un autre épisode de la vie du marquis de Cadix suffit en effet à montrer que leur sécurité n’est pas mieux garantie en temps de paix. L’auteur du récit est, cette fois, Diego de Valera. Dans le Memorial de diversas hazañas, il rapporte les conditions de la prise de Medina Sidonia par Rodrigo Ponce de León15. Nous reviendrons à une autre occasion sur cette conquête opérée non pas aux dépens des musulmans — la ville est au pouvoir des Castillans depuis 1264 — mais de l’ennemi juré du marquis de Cadix : Enrique Pérez de Guzmán. Disons, pour s’en tenir à l’essentiel, que la réussite de l’entreprise menée par le marquis est justifiée par les défaillances du gouverneur de Medina Sidonia, Pedro de Basurto : l’homme ne s’intéresse qu’aux femmes et aux chevaux, et néglige la défense de la forteresse. Lorsque Rodrigo Ponce de León se rend maître de la ville et que le gouverneur est tué dans le combat, les habitants ne manifestent ni effroi ni regrets : ils remercient au contraire le marquis, le fêtent comme un libérateur, et ils justifient leur haine de Pedro de Basurto par le fait que celui-ci prenait de force leurs femmes16. Le parallélisme entre cette affaire et celle de Gaucín appelle au moins deux commentaires. Il apparaît tout d’abord que les violences exercées contre les femmes appartiennent à un registre assez commun de l’abus de pouvoir. Que cet abus soit plus systématique en contexte de guerre et qu’il soit facilité par l’appartenance des victimes à un groupe confessionnel devenu minoritaire — au sens juridique du terme — peut nous sembler probable. Mais les chroniques ne permettent pas d’en juger. Un deuxième enseignement est sans doute le plus important : alors que de façon globale, les textes se montrent très peu loquaces sur les brutalités dont se rendent coupables les combattants, les rares mentions de viol apparaissent extrêmement stéréotypées17. Cela ne signifie pas que les femmes ne subissent pas les violences de guerre différemment des hommes et plus durement18, mais il faut reconnaître que leur expérience particulière nous échappe.
Influences féminines sur le déroulement des conflits
8Les chroniques apportent en revanche des informations assez nombreuses sur l’intervention de femmes médiatrices dans certains conflits armés. Cela s’explique dans la mesure où cette activité en faveur du rétablissement de la paix apparaît conforme au modèle féminin alors dominant : les textes apologétiques rédigés en Castille à partir de la fin de la décennie 1430, dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler la « Querelle des femmes », désignent la compassion comme un trait caractéristique de la nature féminine et en déduisent une capacité particulière à instaurer la concorde19. Cette croyance dans le pouvoir pacificateur des femmes trouve en outre confirmation dans des pratiques réelles : il est courant à la fin du Moyen Âge que des femmes issues de la plus haute aristocratie, souvent de familles royales, participent à des arbitrages et à des négociations de paix. Bien étudiées par les spécialistes de la guerre de Cent Ans, ces situations ne sont pas ignorées par l’historiographie des royaumes ibériques20. Leur périmètre est restreint : elles ne se manifestent jamais dans le cadre de la confrontation entre la Castille et l’émirat nasride de Grenade, pas plus que pendant le dernier quart du xve siècle, lorsque la lutte pour le trône oppose deux figures féminines — la demi-sœur du roi Henri IV, Isabelle, et la fille d’Henri, Juana, tenue par certains pour illégitime. En revanche, les guerres entre Trastamares de Castille et Trastamares d’Aragon, sous Jean II, et le long conflit entre la royauté castillane et certains secteurs de la noblesse, en particulier sous Henri IV, offrent des conditions propices à l’implication des femmes.
9S’agissant de la première séquence, la chronique du fauconnier de Jean II, Pero Carrillo de Huete, apporte de nombreux éléments sur le rôle joué par les reines d’Aragon, de Castille et de Portugal dans les négociations entre les factions. La guerre qui oppose alors les Couronnes d’Aragon et de Castille relève du conflit familial. À la fin du mois de mai 1410, Martin Ier d’Aragon meurt sans laisser d’héritier. Au terme d’une longue procédure, c’est finalement Ferdinand de Trastamare qui lui succède le 28 juin 1412. Jusqu’alors connu sous le nom de Ferdinand d’Antequera, en souvenir d’une importante victoire remportée sur les Maures en 1410, il s’agit d’un fils cadet du roi Jean Ier de Castille ; il tient ses droits au trône aragonais de sa mère, Éléonore d’Aragon, fille de Pierre IV21. En 1412, Ferdinand Ier n’a pas de concurrent sur la scène ibérique : son neveu Jean II de Castille n’est encore qu’un jeune enfant. Le nouveau roi d’Aragon profite de sa position pour concevoir une ambitieuse politique matrimoniale, dont la mise en œuvre incombe en grande partie à ses successeurs22 : son fils Jean épouse la reine Blanche de Navarre, sa fille Éléonore le prince Édouard (Duarte) de Portugal — qui règne ensuite sous le nom d’Édouard Ier — et sa fille Marie le roi Jean II de Castille. La relation avec la branche castillane de la famille est en outre consolidée par l’union de l’héritier de Ferdinand Ier, Alphonse, et de la sœur aînée de Jean II, Marie, et par celle d’un frère d’Alphonse, l’infant Enrique, et de Catalina, une autre sœur du roi Jean23. Mais, loin d’amener la paix espérée par certains, l’entrecroisement des liens familiaux avive la rivalité traditionnelle entre les royautés ibériques. Pendant le deuxième quart du xve siècle, l’affrontement entre Jean II de Castille et ses cousins les infants d’Aragon vient se greffer sur le conflit qui oppose le favori du roi, Álvaro de Luna, à de larges secteurs de la noblesse24.
10Parmi les fils de Ferdinand Ier, les deux plus actifs dans le royaume d’origine de leur père sont Jean, roi de Navarre à partir de 1425, et Enrique25. Leur influence s’explique par l’étroitesse du lien familial qui les unit au roi, mais aussi par l’étendue de leur patrimoine en Castille : à la mort de Ferdinand Ier, en 1416, ses possessions castillanes sont revenues à Jean ; Enrique, pour sa part, administre les biens de sa mère, Éléonore d’Albuquerque, puis il en hérite après son décès en 143526. L’infant Enrique occupe en outre les fonctions de grand maître de l’ordre de Santiago, que son père lui a fait obtenir alors qu’il n’avait que 10 ans. Dès le début des années 1420, les deux frères manœuvrent pour s’assurer le contrôle de leur cousin le roi de Castille, qui vient tout juste d’être déclaré majeur. Ils se heurtent au favori, Álvaro de Luna, qui cherche à les évincer en poussant Jean II à reprendre les droits qu’ils détiennent dans son royaume. D’abord présent aux côtés de ses frères, Alphonse V d’Aragon se détourne assez vite de la politique péninsulaire pour se consacrer à son projet de conquête du royaume de Naples. Il revient alors à son épouse, Marie de Castille, d’agir en son nom27. En juin 1429, elle s’interpose pour empêcher la bataille : son époux Alphonse et son beau-frère le roi de Navarre sont entrés en Castille à la tête de 2 000 hommes d’armes ; à une quarantaine de kilomètres au nord de Guadalajara, ils rencontrent Álvaro de Luna qui s’est avancé pour leur barrer le passage. Selon le témoignage de la chronique biographique consacrée au favori, la reine Marie de Castille arrive à bride abattue28 et fait dresser sa tente entre les deux armées29 ; Carrillo de Huete, dans son propre récit, évalue la distance entre les lignes à deux fois la longueur d’un tir d’arbalète30. C’est à partir de cette position que la reine négocie l’accord qui permet aux Aragonais et aux Navarrais de se retirer en sécurité31. Encore en 1435, la chronique de Carrillo de Huete mentionne la visite de Marie à Soria où elle obtient de Jean II une prolongation de la trêve signée quelque temps plus tôt — déjà à son initiative — entre Castille et Aragon.
11Jean II doit également compter avec son épouse, qui n’est autre, comme on l’a vu, que la sœur des infants d’Aragon32. Carrillo de Huete ne fait état des activités médiatrices de Marie d’Aragon qu’à partir du début des années 1440, et la reine est systématiquement associée à son fils le prince Henri — qui est alors âgé d’une quinzaine d’années. Mais les offres de bons offices que lui adresse Marie n’agréent pas au roi Jean. En mai 1441, il refuse explicitement que son épouse et leur fils s’entremettent entre les infants d’Aragon et lui33. Le conflit se trouve alors dans une phase aiguë : poussé par Álvaro de Luna, Jean II s’est emparé de Medina del Campo et d’Olmedo, deux villes qui appartiennent au roi de Navarre34. Dans les premiers jours du mois de juin, les infants d’Aragon assiègent Medina. Éléonore d’Aragon, reine de Portugal et sœur des infants, propose au roi de Castille de servir de médiatrice ; elle est admise dans la ville. Après négociations, Jean II consent à aussi laisser entrer son épouse Marie et le prince Henri. Comme pour souligner encore la dimension familiale du conflit, les deux reines sont logées au couvent dominicain Santa María la Real où leur mère Éléonore d’Albuquerque avait établi sa dernière résidence en 1430, et où elle est décédée en 1435 ; l’église conventuelle abrite son tombeau35. À plusieurs reprises, Marie et Éléonore d’Aragon empêchent que n’éclate la bataille décisive. Carrillo de Huete décrit avec quelques détails une intervention de la reine de Portugal, vers le milieu du mois de juin : une importante escarmouche ayant tourné à l’avantage des assiégés, Jean II et son favori décident de profiter du désordre dans les lignes ennemies pour opérer une sortie. La reine de Portugal intervient alors et, en larmes, elle supplie le roi de renoncer à livrer bataille36. Jean II, écrit Carrillo de Huete, « répondit comme il appartenait à un roi37 » : il cède à la requête. Finalement, le 28 juin, lorsque les infants parviennent à investir Medina par ruse, avec la complicité de la garde de nuit, ce sont leurs sœurs Marie et Éléonore qui, avec le prince Henri, obtiennent du roi de Castille qu’il renonce à résister.
12Marie de Castille, Marie d’Aragon et Éléonore de Portugal situent leurs démarches dans le cadre lignager, et leur registre est celui des sentiments, des émotions et finalement de la morale. Le chroniqueur ne manque pas de rappeler à chaque occasion les liens de parenté qui unissent les protagonistes. À propos de l’entrevue de Soria, il souligne que le roi Jean aime beaucoup sa sœur38 et qu’il consent à prolonger la trêve par amour pour elle39. Finalement, les larmes qu’aurait versées Éléonore de Portugal en 1441 ne semblent pas incongrues dans ce qui apparaît comme une espèce de drame familial. Selon les mots du chroniqueur, les femmes de la famille s’entremettent afin de rétablir la paix, de parvenir à une « bonne concorde ». L’objectif est louable puisqu’il s’agit de faire triompher un principe universel sur des intérêts particuliers. Il est aussi équitable, dans la mesure où l’intervention médiatrice vise à éviter aux deux parties de commettre l’irréparable en faisant courir le sang de leurs plus proches parents. Cela explique l’efficacité des démarches, tout en les justifiant : les deux Marie et Éléonore mettent en jeu des mécanismes qui prétendent s’abstraire de toute implication politique. Elles se situent sur le terrain socialement assigné aux femmes selon la norme dominante de leur époque : celui du domestique et de l’intime ; et elles se réclament de valeurs perçues comme caractéristiques de la féminité : la compassion, la douceur, le désir de paix. Pero Carrillo de Huete rapporte avec une certaine complaisance les différents tableaux de ce théâtre de vertus. Mais sans doute parce que Jean II en apparaît comme la principale victime, il n’hésite pas à dévoiler les coulisses du drame. Cela revient à montrer que l’engagement des trois reines n’est pas aussi désintéressé qu’elles voudraient le laisser penser. Le chroniqueur épargne relativement Marie de Castille, la sœur de Jean II ; il ne cache pas pour autant que son intervention spectaculaire de 1429 vise avant tout à permettre la retraite des troupes aragonaises promises à la destruction par l’arrivée prochaine de renforts castillans40. Le jugement porté sur Marie d’Aragon et Éléonore de Portugal est beaucoup plus sévère. Carrillo de Huete écrit que la reine Marie a pris le parti de ses frères les infants contre son époux ; il ajoute qu’elle a entraîné le prince Henri avec elle41. C’est pour cette raison que Jean II repousse dans un premier temps l’offre de médiation : il ne croit pas en la neutralité de l’arbitre. Sans le dire, Pero Carrillo de Huete laisse entendre que la victoire provisoire des infants d’Aragon, en juin 1441, est l’œuvre de Marie et d’Éléonore : en limitant autant que faire se pouvait le recours aux armes, elles ont empêché que s’exprime la supériorité militaire du parti royal.
13Dans son récit, Carrillo de Huete joue donc double jeu. Sans renoncer à l’image convenue de la femme médiatrice, personnage récurrent de nombreux récits de négociations à la fin du Moyen Âge, il laisse voir que cette posture n’est guère sincère : Marie de Castille, Marie d’Aragon et Éléonore de Portugal ne cherchent pas la paix à tout prix. Sous prétexte de ramener la concorde, elles défendent les intérêts d’un camp contre l’autre. Plus que comme des agents pacificateurs, le chroniqueur invite à les considérer comme des acteurs à part entière de l’affrontement, dont les manœuvres contribuent à la victoire de leurs alliés.
II. — La participation féminine aux activités militaires
14Cette incitation à repenser le rôle des femmes dans les conflits armés du xve siècle castillan mérite d’être prise en considération. Victimes, sans doute, médiatrices, éventuellement, elles jouent aussi un rôle pleinement actif dont il convient de chercher à bien mesurer la portée. Cette démarche a été engagée dès les années 1990, d’abord par des chercheurs anglo-saxons, et elle n’a pas tardé à toucher la péninsule Ibérique dont l’histoire offre un certain nombre d’éminentes figures féminines42. Néanmoins, si l’activité politique de ces figures a suscité des publications en nombre significatif depuis vingt ans, la question spécifique de leur implication dans les conflits armés apparaît relativement négligée43. Cela tient pour une part aux réticences qui continuent à habiter certains chercheurs face à la possibilité pour une femme du Moyen Âge de s’imposer en chef de guerre, voire en combattante. Cela tient aussi, et plus encore, à la rareté et à l’ambiguïté des indices documentaires. Pourtant, si les sources ne sont guère loquaces, elles apportent des informations suffisantes pour avancer sur ce terrain.
Des femmes dans la bataille ?
15S’agissant de la participation de femmes aux combats, il est possible d’esquisser une typologie constituée d’au moins trois catégories de récits. Ceux du premier type racontent un travestissement : dans une situation où elles se trouvent obligées d’assurer elles-mêmes la défense de leur ville, des femmes endossent l’équipement militaire des hommes absents pour dissuader l’ennemi de donner l’assaut. Plusieurs épisodes construits sur cette structure sont connus, comme celui qui met en scène l’épouse d’Álvar Pérez de Castro défendant le château de Peña de Martos contre les Maures en 1227. Ils ont en commun de ne jamais montrer de combats, dans la mesure où le subterfuge se révèle efficace et pousse l’ennemi à se replier44. Ces femmes font preuve de valeur, mais elles n’agissent que contraintes par la nécessité et surtout, on note qu’elles ne triomphent que grâce à une qualité perçue comme caractéristique de leur sexe : l’astuce.
16Un deuxième type de récits met en scène l’activité militaire féminine en recourant à des procédés littéraires qui induisent le lecteur à considérer l’épisode comme une fiction exemplaire. Alonso Maldonado en offre un bel exemple au début de la biographie qu’il consacre à Alonso de Monrroy45 : parcourant l’arbre généalogique de son personnage, il s’arrête sur l’une de ses tantes, María de Monrroy, et rapporte à son sujet ce qu’il nomme un « fait romain46 ». Encore jeune, María est restée veuve du seigneur de Villalba et mère de trois enfants, une fille et deux garçons. Alors que ses deux fils ont atteint l’âge de 18 et 19 ans, ils sont tués par les frères Manzano à l’issue d’une partie de pelote qui a mal tourné. María confie à ses parents le soin des funérailles et se lance à la poursuite des meurtriers avec une vingtaine de cavaliers. Ses hommes tentent de la dissuader, mais elle affirme renoncer à son identité sexuelle pour se faire leur capitaine et s’engage à se tenir en première ligne face aux dangers47. Fidèle à sa promesse, María de Monrroy entre en armes dans la maison où les frères Manzano ont été localisés. Elle en ressort avec leurs têtes tranchées, qu’elle dépose ensuite sur la tombe de ses fils dans une église de Salamanque. Développée sur près de quatre pages dans l’édition moderne, cet épisode revêt un statut tout à fait ambigu : donné pour vrai par Alonso Maldonado, il apparaît néanmoins fortement romancé, au point que le lecteur ne peut que douter de la réelle implication de María de Monrroy dans l’exécution de sa vengeance.
17Enfin, une troisième manière pour les chroniqueurs d’évoquer l’activité militaire féminine sans lui laisser prendre sa pleine place dans le récit consiste à en souligner l’exceptionnalité. Le corpus des chroniques nobiliaires castillanes du xve siècle n’apporte qu’un seul exemple de femmes combattant pour repousser des assaillants. Cet exemple se trouve dans le Memorial de Diego de Valera et concerne la ville de Quesada, en Andalousie orientale48. Valera rapporte qu’au printemps 1469, profitant des troubles qui agitent la Couronne de Castille, les Nasrides ont lancé une grande offensive contre la région d’Úbeda et de Baeza. Vers le milieu du mois de mars, l’armée de l’émir de Grenade se dirige vers Quesada. En infériorité numérique, d’après la chronique, l’adelantado Lope Vázquez de Acuña parvient à repousser les Maures, à leur infliger de lourdes pertes et à récupérer l’essentiel du butin qu’ils avaient accumulé depuis leur entrée en territoire castillan49. Issu d’un lignage portugais qui a fait souche en Castille, Lope Vázquez de Acuña est le neveu d’un des hommes les plus puissants de l’époque : l’archevêque de Tolède Alfonso Carrillo50. Dans son histoire personnelle et dans celle de son lignage, la bataille de Quesada occupe une place importante : les quatorze bannières que les Castillans auraient prises aux Nasrides à cette occasion figurent ensuite sur les armes de Lope Vázquez, et une légende se diffuse selon laquelle saint Jacques serait apparu pendant le combat pour donner la victoire aux chrétiens51. Valera ne mentionne pas l’apôtre, mais il évoque une lumière surnaturelle52. Il signale aussi le comportement exceptionnel de plusieurs acteurs de la bataille : un frère de l’adelantado, qui en dépit de son jeune âge et de son inexpérience se comporte comme un combattant aguerri53 ; et les femmes de Quesada, qui affrontent l’ennemi aux côtés de leurs époux et de leurs fils54. Le chroniqueur ajoute qu’après la bataille, l’une d’elles parvient, seulement armée d’une lance, à faire prisonniers sept Maures qui se cachent dans une grotte55. Le registre n’a cette fois rien de romanesque : il relève plutôt d’un merveilleux assez répandu dans les récits destinés à orner l’histoire d’une grande famille. Mais le résultat est le même que dans le cas des aventures de María de Monrroy : le contexte narratif induit une forte incertitude quant à la réalité de l’épisode.
18Une participation féminine à l’action guerrière dans un contexte comme celui qui est décrit pour Quesada apparaît pourtant tout à fait probable. Dans le cas d’un assaut, l’enjeu principal pour les défenseurs d’une place fortifiée est de garnir tout le périmètre de l’enceinte. Jusqu’à ce que l’ennemi prenne pied sur le chemin de ronde, la capacité à manier efficacement la lance ou l’épée reste superflue : le geste défensif le plus courant consiste à accabler les assaillants de projectiles. Même exclues de la pratique des armes, les femmes peuvent utilement compléter l’effectif et se montrer aussi habiles que les hommes lorsqu’il s’agit de jeter des tuiles ou des briques du haut de la muraille. Cette contribution ne mérite pas de mentions dans les chroniques sans doute parce qu’elle manque du relief et du lustre que recherchent leurs auteurs. Mais on ne peut douter que le silence qui l’entoure témoigne aussi d’un refus de principe : les femmes n’ont rien à faire sur le terrain des combats. L’activité militaire féminine est donc renvoyée dans les chroniques à des registres narratifs secondaires, en marge du récit historique proprement dit. Les femmes combattantes ne semblent avoir leur place que dans les romans56 ou dans des contextes marqués par le surnaturel.
Commandements féminins
19Cette réticence à associer les personnages féminins du récit aux activités guerrières trouve sa limite lorsqu’il s’agit d’évoquer le rôle de femmes investies d’un pouvoir seigneurial, que ce soit à titre personnel ou par délégation. Il n’est pas question ici de participation directe au combat mais leur implication, nous allons le voir, peut porter fort loin. Pour le xve siècle castillan, un cas s’impose d’évidence : celui de la reine Isabelle Ire. Néanmoins, si par bien des aspects, la personnalité et la trajectoire d’Isabelle apparaissent tout à fait singulières, il serait erroné de considérer son protagonisme dans les conflits de son temps comme une attitude exceptionnelle.
a) Isabelle Ire et la guerre
20La vie et le règne d’Isabelle sont marqués par une longue série de conflits. Elle intervient personnellement dans au moins deux d’entre eux : la guerre de succession qui l’oppose à sa nièce Juana après la mort de son demi-frère Henri IV en 1474, et la guerre finale contre Grenade qui mobilise les forces castillanes entre 1482 et 1492. La plupart des textes qui évoquent la participation de la reine à ces événements renvoient une image globalement conforme aux modèles féminins dominants à la fin du xve siècle57. Dans ces récits, Isabelle assume des tâches qui peuvent être regardées comme la projection à l’échelle du royaume des fonctions domestiques auxquelles sont traditionnellement assignés les individus de son sexe : elle assure le financement des expéditions, le ravitaillement des troupes et se préoccupe du sort des victimes en créant un hôpital de campagne et en dédommageant les familles des combattants tués ou blessés. Dans un registre très proche — et tout aussi féminin au regard des normes de l’époque —, Isabelle apparaît à de nombreuses reprises implorant Dieu d’accorder la victoire à ses troupes. Son activité est reconnue et louée mais clairement située à l’arrière-garde, en appui des opérations militaires que conduit son époux Ferdinand. En ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la propagande s’attache à montrer la complémentarité du couple royal. Comme l’écrit le poète Juan del Encina, la victoire sur les Infidèles est une œuvre commune, à laquelle Isabelle contribue par ses prières et Ferdinand par ses faits d’armes58.
21D’autres auteurs, cependant, donnent une image moins équilibrée et moins idéale des deux souverains. Il faut dire qu’en dépit des liens probablement sincères qui existent entre eux, Isabelle et Ferdinand vivent dans une tension perpétuelle induite par leur statut respectif : elle est reine de Castille de plein droit et de plein titre, et d’abord aucunement disposée à déléguer à son époux l’exercice d’une autorité qui reste sienne59. Un premier accord conclu au moment où sont négociés les termes du contrat de mariage, le 5 mars 1469, ne prévoit d’autre attribution pour Ferdinand que la conduite des opérations militaires. Devenue reine, Isabelle s’engage dans les mêmes termes à l’occasion de la signature d’un nouveau document, le 15 janvier 1475. Finalement, ce n’est que le 28 avril 1475, alors que l’issue de la guerre de succession apparaît encore incertaine, que Ferdinand acquiert une vraie autonomie politique : le principe d’un gouvernement conjoint, exercé entre égaux, est acté ; il demeure en vigueur jusqu’à la mort d’Isabelle, en 1504. Le compromis du printemps 1475, imposé par les circonstances, ne met cependant pas un terme aux dissensions. Dans l’entourage de Ferdinand, certaines voix se font entendre pour rappeler que l’héritier de la couronne d’Aragon est aussi l’arrière-petit-fils du roi Jean Ier de Castille et surtout le dernier rejeton mâle de la dynastie trastamare. À ce titre, ses droits au trône castillan peuvent sembler suffisamment fondés pour lui permettre de contester la prépondérance symbolique qu’Isabelle continue à revendiquer au sein du couple royal60. Ce discours ne manque pas d’inquiéter les proches de la reine qui craignent de voir les intérêts de la Castille sacrifiés à ceux de l’Aragon, et cela d’autant plus à partir du mois de janvier 1479, date à laquelle Ferdinand succède à son père Jean II. À la fois pour des raisons personnelles et pour des motifs qui relèvent de l’équilibre politique entre les deux grandes puissances péninsulaires, Isabelle est donc encouragée par ses conseillers à assumer la plénitude de ses fonctions, ce qui pose de façon aiguë le problème de l’exercice du pouvoir souverain par une femme. La question ne relève pas du domaine juridique : en Castille, le droit des princesses à régner ne soulève aucune objection61. La difficulté est plutôt d’ordre pratique et moral.
22En effet, les qualités et les vertus qui fondent le bon gouvernement appartiennent au registre masculin. Parce qu’elles seraient faibles, facilement impressionnables, inconstantes, et incapables de garder un secret, les femmes ne pourraient soutenir le poids du sceptre. Trois textes dédiés à Isabelle entre la fin des années 1460 et le milieu des années 1470 pour la conseiller dans sa mission de gouvernement permettent de comprendre comment les auteurs qui écrivent à son service parviennent à élaborer un contre-modèle favorable : le Jardín de nobles doncellas de Martín de Córdoba, le Regimiento de príncipes de Gómez Manrique et le Dechado d’Íñigo de Mendoza dressent le portrait d’un être hybride qui apparaît comme un souverain parfait dans la mesure où il combine les qualités des deux sexes62. Sous la plume de leurs auteurs, le triomphe d’Isabelle tient à sa piété, à la compassion dont elle est capable de faire preuve, au modèle d’honnêteté et de chasteté qu’elle incarne ; mais il tient aussi à l’inflexibilité avec laquelle la reine élimine les fauteurs de trouble et les factieux, et à sa détermination dans la lutte contre l’Islam. Il ne s’agit donc pas de nier la féminité d’Isabelle mais d’en dégager les traits les plus susceptibles d’orner le portrait royal, tout en montrant que la reine est capable de transcender les limites induites par son identité sexuelle pour exercer la plénitude du pouvoir. Ce phénomène d’hybridation suppose, entre autres choses, qu’Isabelle peut et doit être une reine guerrière63. L’histoire fournit son lot d’antécédents qui permettent de justifier l’implication d’une femme sur le terrain militaire. Parmi les figures convoquées par Martín de Córdoba pour rehausser le portrait de la dédicataire de son traité et lui servir d’exemples, on trouve plusieurs personnages féminins dont la dimension belliqueuse est évidente, à l’instar de Judith, de Sémiramis ou des Amazones. Le personnage biblique de Judith illustre l’obligation où se trouve la reine de frapper à mort l’ennemi si le salut de son peuple l’exige. Sémiramis apparaît comme un modèle plus immédiat puisque la fondatrice légendaire de Babylone est réputée avoir régné seule pendant quarante ans après la mort de son époux Ninos ; la tradition rapporte les nombreuses conquêtes qu’elle aurait accomplies, de la Méditerranée à l’Indus64. Enfin, les Amazones incarnent l’image la plus aboutie de femmes qui se comportent comme des hommes, jusqu’à se passer d’eux et à les remplacer sur le champ de bataille65. À la même époque, c’est-à-dire dans la deuxième moitié des années 1470, un auteur anonyme — qui pourrait être Juan de Gamboa ou Fernando de Pulgar — offre à la reine Isabelle un récit chevaleresque fondé sur l’histoire de Jeanne d’Arc66. Le parallèle est d’abord facile à tracer : le biographe superpose l’image de deux femmes appelées par Dieu à prendre les armes pour libérer leur peuple d’un pouvoir tyrannique. Naturellement, les choses se compliquent avec la capture et le supplice de Jeanne ; mais l’auteur anonyme n’a pas les scrupules d’un historien : il passe sous silence le bûcher d’Orléans et décrit la Pucelle triomphant des Anglais avant de couler une retraite studieuse et pieuse. Les deux figures restent ainsi en parfaite correspondance et le discours messianique et providentialiste qui se développe à cette époque autour de la reine se trouve alimenté : comme Jeanne, Isabelle est vouée par la Providence à combattre et elle ne peut aux yeux de ses soutiens que l’emporter sur les ennemis de la Castille — qui se trouvent naturellement être aussi les siens : sa nièce Juana et l’époux de celle-ci, le roi Alphonse V de Portugal.
23On voit à travers ces exemples que la participation de la reine aux affaires militaires est non seulement admise mais également souhaitée par certains. Est-ce à dire, si l’on repense au témoignage des chroniques, qu’Isabelle aurait déçu ses partisans en se cantonnant à des missions logistiques et à des œuvres religieuses ? En vérité, il apparaît difficile de se prononcer, car l’image de la reine pieuse, veillant depuis l’arrière à favoriser les succès militaires de son époux, est parfois contredite. Ainsi les panégyristes italiens de la souveraine castillane mettent-ils l’accent sur son caractère viril et sur son rôle à la tête des armées67 : Paolo Pompilio la désigne sous le nom de virago, un substantif qui n’a que des connotations positives à cette époque ; quant à Ugolino Verino, après avoir décrit Isabelle exhortant ses troupes sous les murs de la ville musulmane de Baza, en 1488, il la compare à Penthésilée, la reine des Amazones68, et célèbre l’épouse martiale de Ferdinand (Ferrandi martia coniunx). Plusieurs textes castillans, comme la Chronique incomplète des Rois Catholiques et la chronique de Fernando de Pulgar, confirment le caractère guerrier de la reine. Le récit de la Chronique incomplète s’interrompt brutalement en 1477 ; il porte donc sur les premières années du règne, marquées par l’affrontement avec les partisans de l’infante Juana. Deux épisodes illustrent l’implication d’Isabelle dans la guerre de succession69. En juillet 1475, Ferdinand renonce à chasser de la forteresse de Toro la garnison portugaise qui s’y trouve installée : les difficultés de ravitaillement rendent l’entreprise excessivement pénible. Alors que l’armée s’apprête à rallier Tordesillas, l’avant-garde voit la reine sortir de la ville et chevaucher dans sa direction, accompagnée de quelques cavaliers. Sa tentative pour obliger les hommes à faire demi-tour échoue, mais la reine est furieuse et elle interpelle vivement son époux et les nobles qui assument le commandement à ses côtés. La scène du conseil, située le lendemain, est particulièrement intéressante : l’auteur attribue à la reine une longue diatribe à laquelle le roi répond vertement. Isabelle reproche à Ferdinand et à son entourage de n’avoir pas manifesté les vertus nécessaires en temps de guerre. Ferdinand manifeste son agacement devant des accusations qu’il juge d’autant plus infondées qu’elles sont proférées par une femme qui ne peut rien connaître à la chose militaire. L’épisode s’avère néanmoins ambigu. D’un côté, il montre l’engagement de la reine dans la guerre pour le trône et sa détermination : l’auteur de la chronique note que ses mots sont ceux d’« un homme courageux bien plus que d’une femme timorée70 ». Mais, de l’autre, l’avantage reste finalement à Ferdinand : à la reine qui l’accuse d’avoir manqué d’audace, il rappelle que la victoire s’obtient par la prudence. Les intentions du chroniqueur sont beaucoup plus claires dans le récit qu’il donne du deuxième siège de Toro, en juillet 1476. Cette fois, le roi est absent, retenu en Aragon, et Isabelle assume le commandement. Sans équivoque, le portrait est favorable et il montre Isabelle en parfait capitaine : partageant sans se plaindre le quotidien de l’armée, c’est elle qui, après mûre réflexion, prend la décision de l’assaut et peut se prévaloir de la victoire.
24On pourrait ainsi multiplier les pièces, mais le dossier n’en serait pas plus facile à trancher71. L’image de la reine dans son rapport à la guerre apparaît en effet systématiquement médiatisée, soit par une norme culturelle qui tient les femmes à distance de l’activité militaire, soit par un projet politique qui impose à la souveraine d’assumer pleinement ses fonctions, jusque dans les zones de combat. Le positionnement de l’auteur et ses intérêts induisent une représentation dont il est difficile de juger la sincérité. Contrairement à ce que l’on pouvait penser a priori, le cas d’Isabelle Ire n’aide donc pas, ou peu, à évaluer la participation des femmes de la noblesse castillane aux conflits armés. L’approche doit être plus ouverte et le recensement plus large.
b) D’autres exemples de commandement féminin
25L’historiographie nobiliaire castillane procure en effet un matériel relativement abondant sur cette question. Il n’y a pas matière à s’étonner : les historiens savent désormais que partout dans l’Occident médiéval et à toutes les époques, les femmes qui se trouvent en position de le faire assument directement les prérogatives seigneuriales, que ce soit à l’échelle d’une région ou d’un royaume72. À ce titre, et sans combattre personnellement, elles gèrent les ressources militaires et honorent les engagements passés auprès du roi ou d’autres seigneurs en envoyant des troupes. Cette activité a d’abord été mise en évidence pour le haut Moyen Âge et le Moyen Âge central, particulièrement à l’occasion des croisades, mais il est désormais acquis, sans se limiter au cas exceptionnel de Jeanne d’Arc, que les femmes guerrières n’ont pas été aussi rares qu’on l’a d’abord pensé aux xive et xve siècles.
26En ce qui concerne notre champ d’étude, Lope García de Salazar apporte plusieurs exemples intéressants dans les chapitres qu’il consacre aux luttes de partis en Biscaye. Il mentionne par exemple le cas de Sancha García Carrillo qui soutient militairement le lignage d’Ángulo dans sa guerre contre les Salazar73. Veuve de Sancho Sánchez de Velasco, elle exerce la tutelle de son fils Ferrán. Le chroniqueur biscayen rapporte aussi comment María Alonso de Múgica satisfait plusieurs demandes d’envoi de renforts adressées par des alliés alors que son époux, Gonzalo Gómez de Butrón, est retenu à la cour74. Toujours dans le premier quart du xve siècle, María Sarmiento agit de façon identique en l’absence de son époux, Ferrán Pérez de Ayala75. Nous observons à trois reprises une même situation : celle de femmes qui exercent un pouvoir par substitution ou par délégation. La mobilisation et l’engagement des moyens militaires de la seigneurie ne témoignent alors d’aucune véritable autonomie politique, puisque la décision est prise sous couvert d’une autorité masculine et dans le cadre des accords d’alliance en vigueur. Un autre exemple, celui d’Elvira de Zúñiga, quoiqu’un peu différent dans sa configuration, permet également de mettre en évidence le contrôle exercé par l’entourage. Diego de Valera mentionne la présence de sa bannière et de ses troupes dans l’armée qui affronte celle des partisans du roi Henri IV à Olmedo, en 146776. Mais les 150 lances envoyées par la comtesse de Belálcazar combattent aux côtés des hommes de son père, Álvaro de Zúñiga y Guzmán, et sous le commandement d’un même capitaine, Pedro de Fontiveros. Depuis 1464, Elvira de Zúñiga est veuve d’Alfonso de Sotomayor. Elle gouverne en lieu et place de son jeune fils, Gutierre, et s’est engagée à ne pas contracter un nouveau mariage. Cette décision s’explique dans la mesure où la comtesse, dès le début de son veuvage, a reçu le soutien de son lignage, plusieurs de ses frères venant s’installer auprès d’elle dans sa ville de Gahete77. On comprend qu’en renonçant à accepter un nouveau conjoint, Elvira ne préserve pas ses intérêts personnels mais qu’elle assure à sa puissante famille paternelle la mainmise sur les ressources des seigneurs de Belálcazar. Dans ce contexte marqué par la prééminence de figures masculines, l’initiative féminine en matière militaire n’est illustrée que par un seul épisode rapporté dans le Libro de las buenas andanças e fortunas. En 1327, Ochoa López de Gordejuela sollicite l’aide de Diego Pérez de Muñatones contre Sancho Urtiz Marroquín de Montermoso. Diego Pérez refuse, mais son épouse, Teresa de la Sierra, en décide autrement, car les ennemis d’Ochoa López sont aussi ceux de sa famille ; elle envoie au combat deux de ses fils et de nombreux hommes du lignage, choisis parmi les meilleurs78. Lope García de Salazar formule un jugement moral qui exprime sa désapprobation : Teresa de la Sierra est, selon lui, une femme très orgueilleuse79. Dans la pratique, nous constatons qu’elle fait prévaloir les intérêts de sa famille sur ceux de son époux. Elle n’y parvient, cependant, qu’avec le soutien de ses fils : sans leur engagement à ses côtés, il est difficile d’imaginer les troupes du seigneur de Muñatones échappant à son contrôle.
27Leur marge d’autonomie apparaît donc réduite, mais il ne faut pas pour autant sous-estimer le degré d’engagement de ces femmes sur le terrain militaire. Plusieurs se retrouvent à la tête de l’armée en campagne. C’est le cas de Sancha García Carrillo au moment où elle décide de porter secours au lignage d’Ángulo contre les Salazar : les troupes de Velasco sont placées sous le commandement d’un capitaine qu’elle a choisi, Ferrán López de la Orden ; mais à l’occasion du siège de la maison forte de Caniego de Mena, Sancha García est présente aux côtés de Ferrán López80. Lope García de Salazar précise dans le Libro de las buenas andanças e fortunas qu’elle est faite prisonnière à l’issue de la bataille, qui voit la victoire écrasante des hommes de Salazar sur ceux de Velasco81. Le chroniqueur biscayen signale également que c’est María Alonso de Múgica qui, en 1411, conduit les troupes du lignage de Butrón jusqu’à Bilbao pour prêter main forte à Juan de Avendaño, en conflit avec Ochoa Pérez de Arvolancha. María Alonso tient la forteresse qui domine la ville jusqu’à l’arrivée de son époux, Gonzalo Gómez82. Dans le Memorial de diversas hazañas, Diego de Valera apporte un autre exemple de cette présence féminine dans des positions de commandement. Au début des années 1470, la guerre qui oppose les partisans d’Henri IV à une partie de la noblesse se traduit en Biscaye par un violent affrontement entre le deuxième comte de Haro, Pedro Fernández de Velasco, mandaté par le roi pour soumettre les territoires rebelles, et Pedro Manrique de Lara, comte de Treviño, qui se pose en défenseur des libertés locales83. Bénéficiant d’importants soutiens parmi les lignages biscayens, Pedro Manrique parvient à chasser de Bilbao les partisans de son adversaire ; il s’avance jusqu’à un col situé à proximité de Villareal pour empêcher le passage d’une éventuelle armée de secours. Les troupes de Pedro Fernández de Velasco se présentent, en effet, avec à leur tête son épouse, Mencía de Mendoza84. La présence de Manrique sur son chemin contraint la comtesse à battre en retraite dans des conditions dont Diego de Valera souligne la difficulté et la dangerosité85. Il apparaît donc au travers de ces quelques exemples que des femmes ne se contentent pas de satisfaire à une sorte de fiction juridique en donnant des ordres au nom d’un époux absent ou d’un fils encore mineur : elles s’impliquent personnellement dans les opérations militaires, s’exposant aux dangers propres à ces situations, et c’est bien à elles que les chroniqueurs attribuent sans réserve ni réticence la conduite des armées.
28Deux figures méritent d’être étudiées à part dans la mesure où elles bénéficient dans les textes d’un traitement un peu plus détaillé que celles dont il a été question jusqu’ici : Leonor Pimentel et Beatriz Pacheco. Issue de la meilleure noblesse, la première a épousé en 1458 son oncle le duc d’Arévalo puis de Plasencia, Álvaro de Zúñiga y Guzmán ; elle est à ce titre la belle-mère d’une personnalité que nous avons déjà croisée : Elvira de Zúñiga, née d’un premier mariage du duc avec Leonor Manrique de Lara86. Les origines de Beatriz Pacheco sont plus modestes mais son père Juan Pacheco, marquis de Villena, joue un rôle de premier plan auprès du prince Henri, un rôle qu’il conserve après l’accession au trône d’Henri IV jusqu’au milieu des années 1460. Beatriz a d’abord été mariée à un autre courtisan influent de l’entourage du prince, d’assez basse extraction mais gratifié en 1456 du titre de comte de Medellín : Rodrigo Portocarrero. Veuve dès 1463, elle épouse deux ans plus tard le comte de Cifuentes, Alfonso de Silva, qui meurt en 146987. Leonor Pimentel, Beatriz Pacheco et Elvira de Zúñiga comptent parmi les acteurs les plus importants de la lutte acharnée qui déchire l’Estrémadure dans les années 1460 et 1470. L’enjeu le plus direct de ce conflit est le contrôle de l’ordre d’Alcántara, fortement possessionné dans la région88. En 1453, la mort du maître Gutierre de Sotomayor, qui gouvernait l’ordre depuis une trentaine d’années, ouvre une période d’incertitude. Henri IV finit par confier la maîtrise à un de ses favoris, Gómez de Solís, en 1458. Mais à partir de 1464, les Sotomayor, dont Elvira de Zúñiga est devenue le chef à la mort de son époux Alfonso, soutiennent les prétentions d’un parent, Alonso de Monrroy. En restant fidèle au roi Henri alors que Gómez de Solís participe à la rébellion de l’infant Alfonso, Monrroy semble prendre le dessus dans la deuxième moitié des années 1460. Il se heurte pourtant à un nouvel adversaire : la disgrâce de Gómez de Solís a ouvert la voie aux ambitions de Leonor Pimentel, qui cherche à obtenir la maîtrise d’Alcántara pour son fils Juan. Une lutte féroce s’engage alors entre Gómez de Solís, qui n’a pas renoncé et dont les droits sont relevés à partir de 1473 par son frère Francisco, Alonso de Monrroy et Juan de Zúñiga. Les liens de parenté, les alliances et les intérêts patrimoniaux entraînent l’implication progressive de tous les lignages de la région. Dirigés par Beatriz Pacheco, les Portocarrero alignent leur position sur celle du père de la comtesse, Juan Pacheco, jusqu’à sa mort en 1474 : ils s’opposent aux partisans d’Henri IV, dont le plus actif localement n’est autre qu’Alonso de Monrroy. Mais lorsque la reine Isabelle décide de confirmer la concession de la maîtrise d’Alcántara à Juan de Zúñiga89, Beatriz Pacheco bascule avec Monrroy du côté des partisans de l’infante Juana. En dépit de quelques succès, comme la prise de Villanueva de la Serena en 1477, la victoire d’Isabelle, consommée en 1479, leur donne finalement tort.
29Dans la biographie qu’il consacre à Alonso de Monrroy, Alonso Maldonado donne un récit très fouillé du conflit jusqu’au milieu des années 1470. Il décrit Beatriz Pacheco et Leonor Pimentel comme des acteurs autonomes qui conduisent les opérations militaires sans que les hommes de leur famille interviennent. Le deuxième époux de Beatriz Pacheco, Alfonso de Silva, n’est même pas nommé. Sans jamais mentionner la présence de la comtesse dans les zones de combat, Maldonado lui attribue la responsabilité de l’ensemble des décisions touchant à la guerre et salue sa compétence en matière militaire. Ainsi, lorsqu’Alonso de Monrroy conçoit un plan pour s’emparer de Medellín, en 1473, c’est Beatriz Pacheco qui, devinant ses intentions, donne des ordres pour repousser l’assaut. Selon Alonso Maldonado, féru de culture classique, la comtesse pourrait en remontrer à tous les généraux de l’ancienne Rome par sa capacité à gérer ses forces et à s’imposer à l’ennemi90. Le portrait de Leonor Pimentel est plus développé et aussi plus complexe. Afin d’obtenir pour son fils la maîtrise d’Alcántara, elle manœuvre à la fois sur le plan diplomatique et sur le terrain militaire. La duchesse fait montre tout au long du conflit d’une duplicité qui pourrait passer, selon les critères du temps, pour un trait typiquement féminin. Elle presse le roi d’appuyer sa cause, soutire au pape une bulle contre espèces sonnantes et trébuchantes, et n’hésite pas à dresser Hernando, le frère aîné d’Alonso de Monrroy, contre ce dernier. Concomitamment, Leonor Pimentel manifeste une grande détermination dans la conduite des opérations militaires. Elle donne personnellement ses instructions aux capitaines qui dirigent les troupes et exige à plusieurs reprises l’élimination physique de ses adversaires. Admiratif, Maldonado s’en souvient comme d’une femme très virile91. Contrairement à Beatriz Pacheco qui semble agir seule, Leonor Pimentel mène ses opérations en étroite concertation avec son époux, Álvaro de Zúñiga. Mais la bonne entente du couple ducal n’entame pas la liberté d’action de Leonor. En 1474, par exemple, Alonso de Monrroy recouvre la liberté après être resté pendant de longs mois prisonnier de Francisco de Hinojosa. Sa libération ne peut que rallumer la guerre. Pourtant, lorsqu’il reçoit la nouvelle, Álvaro de Zúñiga se contente d’informer son épouse. C’est Leonor Pimentel qui, revenant à marche forcée92 vers la zone probable de reprise des combats, prend des dispositions pour défendre les places acquises à son fils contre les hommes du parti de Monrroy.
30L’attitude du duc d’Arévalo s’explique par la rivalité entre les enfants qu’il a eus de Leonor Manrique de Lara et sa seconde épouse, Leonor Pimentel, qui défend généralement les intérêts de son fils Juan au détriment des premiers93. La recomposition familiale apparaît ici comme la clé de l’autonomie féminine. Elle n’est pas sans conséquences sur l’attitude de Beatriz Pacheco : vers 1473 ou 1474, la comtesse de Medellín aurait dû s’effacer pour laisser gouverner son fils aîné, issu de sa première union avec Rodrigo Portocarrero ; mais parce qu’elle souhaite favoriser l’enfant né de son deuxième mariage, Luis Acuña, Beatriz Pacheco fait enfermer le jeune Juan Portocarrero en affirmant qu’il est fou. Ce coup de force prolonge la tutelle qu’elle exerce depuis 1469 et lui laisse les mains libres94. La contrainte lignagère peut donc être déjouée ; surtout, il convient de bien en mesurer la portée : certes, les femmes dont nous avons croisé le parcours se mêlent des choses de la guerre au nom du mari absent, ou bien en fonction des intérêts de leur père ou d’un fils encore mineur. Mais l’obligation de prendre en compte la dynamique collective du groupe familial s’impose de la même manière à tous ses membres, sans considération de genre. Si le système successoral désavantage de façon évidente les filles de la noblesse, la marge de manœuvre dont elles disposent dans le cas où le pouvoir vient à leur échoir n’est pas moins large que la latitude accordée aux hommes. La véritable limite pourrait surgir d’une absence de compétences liée à des carences éducatives : si l’on se réfère aux traités didactiques rédigés en Castille à la fin du Moyen Âge à l’intention des jeunes filles, il est manifeste que la possibilité pour certaines d’accéder à des positions d’autorité et de commandement n’est pas prise en compte95. Parallèlement, l’hypothèse d’un auto-apprentissage par les livres, sans pouvoir être totalement écartée, ne s’impose pas96. Comment expliquer alors la capacité à intervenir sur le terrain militaire dont font preuve les femmes dont il a été question jusqu’ici ? D’où Beatriz Pacheco tire-t-elle l’expertise guerrière que lui reconnaît Alonso Maldonado ? Lorsqu’elle est mariée à Rodrigo Portocarrero, en 1453, Beatriz peut avoir 13 ou 14 ans. Les savoir-faire qu’elle déploie après son deuxième veuvage, en 1469, ont nécessairement été acquis dans ses fonctions d’épouse. Car les femmes de la noblesse ne sont pas reléguées, elles se voient au contraire affecter des tâches essentielles au bon fonctionnement du groupe familial. La gestion de la maisonnée et du domaine leur incombe en grande partie, d’autant plus lorsque le seigneur est souvent retenu à la cour ou à la guerre, et c’est évidemment dans ce cadre qu’elles acquièrent les capacités de gestion et de commandement dont elles font montre dès que les circonstances leur en donnent l’occasion.
c) Une expertise militaire féminine
31Depuis la deuxième moitié du xive siècle, les temps sont propices au partage d’une culture militaire que l’on imagine trop souvent exclusivement masculine : les affrontements armés se multiplient, n’épargnant aucune région, et on ne trouve pas pendant tout le xve siècle une seule génération qui ait échappé à l’expérience de la guerre. Le souci de préserver les femmes de cette épreuve brutale se manifeste lorsqu’elles appartiennent aux groupes privilégiés, comme en témoigne la mésaventure survenue à Juana del Cerezo, la sœur du connétable Miguel Lucas de Iranzo. Après la célébration à Jaén de son mariage avec Fernando de Quesada, elle est conduite sous bonne garde vers sa nouvelle résidence lorsque la troupe croise le chemin de cavaliers musulmans qui tentent de regagner le territoire nasride avec quelques captifs chrétiens. Diego Fernández de Iranzo, qui commande les Castillans, ne peut se résoudre à laisser ses coreligionnaires aux mains d’Infidèles ; mais avant d’engager la poursuite, il confie Juana del Cerezo et les dames de sa suite à des fantassins chargés de les garder en sécurité, à distance du combat97. Cette mesure de précaution, qui vise aussi à garantir la liberté de manœuvre des combattants, ne peut être observée en toutes circonstances. Dans ses souvenirs des guerres de Biscaye, Lope García de Salazar fait mention de plusieurs femmes nobles qui trouvent la mort ou sont blessées — souvent par une flèche — dans l’assaut donné contre une maison forte98. Diego de Valera, pour sa part, rapporte l’épreuve vécue par l’épouse et les filles d’Íñigo de Mendoza lorsque celui-ci, en 1466, après avoir perdu la citadelle de Gibraltar, s’enferme avec sa famille et quelques fidèles dans le donjon, refusant pendant quatre mois toutes les offres de capitulation99. Pour ces femmes que l’on pense parfois confinées, tenues à l’écart, la guerre n’est donc pas une rumeur lointaine mais bien une réalité vécue. La prise de responsabilités dans le domaine militaire ajoute à leur implication, mais elle dépend de leur position dans le groupe familial, on l’a vu. Outre les cas déjà mentionnés, la documentation témoigne du rôle que jouent les épouses et les mères dans le fonctionnement de l’appareil logistique. La participation de la marquise de Cadix aux tâches de ravitaillement des troupes que commande son époux Rodrigo Ponce de León pendant la guerre contre Grenade est saluée dans la chronique biographique consacrée au marquis ; elle se voit aussi attribuer une intervention décisive dans la mobilisation de renforts alors que son époux est en grand péril, assiégé dans Alhama100. Fille de Juan Pacheco et de María Portocarrero, la marquise n’est autre que la sœur de Beatriz Pacheco, dont il a été question ; elle porte le même nom. Dans un registre proche, on connaît par Diego de Valera l’activisme dont fait preuve l’épouse de Juan Manrique, Mencía Enríquez, au milieu de la décennie 1450, afin de rassembler le montant de la rançon que l’émir de Grenade réclame pour la libération de son mari101.
32Ces femmes agissent a minima comme des auxiliaires, ce qui impose qu’elles soient régulièrement et complètement informées de l’état des forces et du déroulement des campagnes : on ne voit pas sans cela comment elles pourraient veiller à la logistique. Ce rôle nécessite aussi qu’elles soient en relation avec les hommes — capitaines, gouverneurs de places — qui, aux côtés de leur époux ou de leur fils, ont en charge les moyens militaires du lignage. Leurs contacts peuvent même s’étendre au-delà de ce cercle, comme le prouve l’attitude de l’épouse du marquis de Cadix, Beatriz Pacheco, lorsque Ponce de León se retrouve assiégé dans Alhama par des forces nasrides bien supérieures aux siennes : la marquise n’hésite pas à solliciter l’aide du principal ennemi de son mari, le duc de Medina Sidonia102. On comprend, dans ce contexte, qu’elles ne se trouvent pas dépourvues lorsque la mort ou l’absence du chef de famille les laisse en première ligne. Rien de la guerre ne leur est vraiment étranger, à l’exception du maniement des armes. Sans aucun doute l’apprentissage se poursuit-il ensuite dans l’exercice des responsabilités soudainement acquises. Les éléments manquent à propos des femmes de la noblesse, mais la documentation relative à la reine Isabelle apporte des informations intéressantes sur la façon dont elle s’est approprié les compétences qu’on lui devine en matière militaire. À quatre reprises, Isabelle se porte sur le front de la guerre contre Grenade : après la conquête de Loja en 1486, pendant le siège de Málaga en 1487, à la fin du siège de Baza en 1489 et pendant toute la campagne de 1491103. La présence d’une reine au camp n’a rien d’inédit : on connaît plusieurs précédents, comme celui de Constance de Portugal, qui participe à la dernière expédition de Ferdinand IV en Andalousie et se trouve auprès du roi lorsqu’il meurt à Martos, ou encore celui de Leonor de Guzmán, qui suit Alphonse XI dans plusieurs de ses campagnes104. Diego de Valera fait aussi état de la présence de Jeanne de Portugal auprès de son époux Henri IV en 1457. Les circonstances sont un peu particulières : après quinze jours de campagne le roi, qui vient de regagner Alcalá la Real, décide de marcher contre Cambil à la tête de 2 200 cavaliers. Jeanne de Portugal l’accompagne avec une suite de dix jeunes femmes dont les vêtements évoquent l’équipement des combattants105. Une fois les troupes parvenues à destination, la reine réclame une arbalète qu’Henri lui donne déjà armée ; elle tire plusieurs traits en direction des murailles de Cambil106, avant que le roi ordonne la retraite sans engager la bataille. Cet épisode, qui pourrait être apocryphe, contribue à discréditer Henri IV : Valera dessine avec une malveillance certaine le portrait d’un souverain faible qui sacrifie aux caprices de son épouse une occasion d’en finir avec le pouvoir nasride. Alors que le rapport des forces est très favorable, que le pape vient de concéder une bulle exceptionnelle qui pour la première fois ouvre le bénéfice de la croisade aux défunts, Henri hésite, mène une guerre timide et finit par perdre la face : Jeanne de Portugal n’endosse pas les vertus militaires que d’autres femmes assument avec aplomb ; la reine joue à la guerre et humilie l’armée castillane avec cette parodie de combat.
33L’attitude d’Isabelle dans les zones de combat est fort différente. L’auteur anonyme de la biographie du marquis de Cadix fait le récit de deux des séjours qu’elle effectue auprès des armées pendant les années 1480. En mai 1486, apprenant la capitulation de Loja, la reine décide de rejoindre le front107. Elle écrit à Ferdinand pour qu’il envoie Rodrigo Ponce de León assurer son escorte. La jonction s’opère à proximité d’Archidona. Isabelle a parcouru une centaine de kilomètres depuis Cordoue ; elle est accompagnée de sa fille Isabelle, alors âgée de 15 ans, et de plusieurs dames. Le marquis les conduit à Loja puis, le lendemain, à Íllora où se trouve Ferdinand. À Loja, la reine réserve sa première visite à l’église récemment consacrée, puis elle découvre la citadelle sous la conduite du marquis qui lui explique les circonstances de la conquête108. Quelques jours plus tard, Isabelle et Ferdinand observent les conséquences des tirs d’artillerie sur les murailles de Moclín en compagnie de Ponce de León lorsque les assiégés font connaître leur volonté de négocier109. Le roi s’en va ensuite avec le gros des troupes ravager les campagnes autour de Grenade — située à une quarantaine de kilomètres — pendant qu’un contingent met le siège devant Montefrío. C’est Isabelle, demeurée à Moclín, qui reçoit l’annonce de la reddition de la ville et c’est elle qui, le lendemain, en prend possession110. Elle n’abandonne les lieux qu’à la fin de la campagne, précédant le roi à Cordoue de quatre jours afin de préparer son arrivée à la tête de l’armée. L’année suivante, 1487, est décisive sur le plan militaire. Le point d’inflexion du conflit qui a débuté en 1482 date de 1485 : grâce à une mobilisation sans précédent, la frontière recule d’une centaine de kilomètres et Ronda tombe aux mains des Castillans. L’avancée opérée en 1486 — avec en particulier la conquête de Loja, dont il a été question — laisse la plaine de Grenade à découvert ; la route est coupée entre la capitale nasride et Málaga, port d’une grande importance stratégique pour le contrôle du Détroit. Le sort de Málaga devient l’objet d’une bataille acharnée qui occupe le printemps et le début de l’été 1487. Les circonstances qui conduisent la reine Isabelle à se joindre aux assiégeants restent obscures. L’auteur de la biographie du marquis de Cadix affirme qu’elle répond à l’appel d’une partie de la noblesse qui a souhaité sa présence, mais il ajoute que son arrivée au camp est diversement commentée111. Isabelle réserve sa première visite aux positions tenues par Rodrigo Ponce de León : en compagnie du roi, de l’infante Isabelle et de sa suite, elle assiste à la canonnade contre le donjon du château de Gibralfaro. Puis après la reddition de Málaga, la reine demande à inspecter les territoires conquis. C’est le marquis de Cadix qui guide la visite d’Isabelle, tenant son cheval par la bride et lui apportant toutes les informations qu’elle peut souhaiter connaître sur la campagne qui s’achève112.
34Il ressort de ce témoignage que la compétence qu’une femme peut acquérir sur les questions militaires dans la Castille du xve siècle découle avant tout de l’observation directe. Dans le cas d’Isabelle, comme dans d’autres cas déjà mentionnés, cette observation est rendue possible par sa présence volontaire aux côtés des troupes, dans les zones de combat. La reine est probablement consciente du caractère pédagogique de ces séjours puisque, comme on l’a vu, elle se fait accompagner de sa fille homonyme, âgée de 15 ans lors de la campagne de 1486. On a vu aussi que cette présence est parfois subie : en ces temps troublés, le spectacle de la guerre s’impose même à ceux qui voudraient en rester éloignés. En plusieurs occasions, Isabelle recueille les explications et les commentaires du marquis de Cadix. Cette volonté d’être tenue informée se manifeste même lorsque les circonstances ne lui permettent pas d’être présente aux côtés des troupes. Ainsi l’année suivant le siège de Málaga, en 1488, à l’occasion d’une campagne lancée depuis Murcie contre la partie orientale de l’émirat nasride. Ferdinand passe un peu plus d’un mois en territoire musulman, de début juin à la mi-juillet113. La reine ne le suit pas et elle demeure à Murcie pendant toute la durée des opérations ; mais à peine le roi s’est-il mis en route qu’elle fait parvenir à Rodrigo Ponce de León une lettre lui demandant de lui écrire chaque jour afin qu’elle puisse suivre les aléas de l’expédition. Dans la chronique biographique du marquis, sept missives qu’il a envoyées à Isabelle entre le 9 juin et le 10 juillet sont reproduites114. Ponce de León se montre toujours optimiste quant aux résultats des opérations en cours et confiant dans la providence. Il donne régulièrement des nouvelles de Ferdinand, dont il vante le savoir-faire et le jugement ; il assure la reine de sa bonne santé et de sa bonne humeur. À différents endroits, le marquis se montre badin, comme lorsqu’il recommande à Isabelle de recruter de nombreux gouverneurs destinés à prendre le commandement des places nasrides qui ne manqueront pas de se rendre115. Mais les lettres de Ponce de León sont avant tout des rapports sur le déroulement des opérations militaires. Elles donnent à la reine des indications précises sur les itinéraires, les temps de trajet, les effectifs et l’identité des capitaines. Elles décrivent les principaux faits d’armes, en particulier deux escarmouches qui se déroulent sous les murs d’Almería et de Baza. Ponce de León évalue les pertes et signale la blessure mortelle de Felipe de Viana, maître de l’ordre de Montesa, un neveu du roi Ferdinand. La description des villes et des places fortes est particulièrement détaillée. Dans ses lettres, le marquis évalue les capacités de résistance de l’ennemi et il justifie les options prises en annonçant les objectifs du lendemain ou du jour suivant. La reine ne peut donc rien ignorer du déroulement de la campagne, d’autant qu’elle reçoit les rapports d’autres témoins : le marquis lui-même fait référence aux informations que lui communiquent Martín Fernández Fajardo et un merino de Murcie dont il ne dit pas le nom116.
35On peut juger quelque peu biaisée cette manifestation d’intérêt d’Isabelle pour la campagne contre Grenade : sa démarche auprès du marquis de Cadix peut en effet être interprétée comme une démonstration de souveraineté. La reine signifie à l’un des principaux chefs de l’armée castillane que son absence du théâtre des opérations ne doit pas faire oublier que la guerre contre l’ennemi musulman est menée en son nom. Par ailleurs, cette sollicitation apparaît clairement aux yeux du marquis comme un signe de faveur : il manifeste beaucoup de contentement en recevant la lettre d’Isabelle qui l’invite à lui écrire depuis le front117, et ne manque jamais d’insister dans ses courriers à la reine sur son désir de servir les souverains. L’échange épistolaire est donc revêtu d’une dimension politique, dont atteste également l’insertion des lettres dans la chronique biographique de Ponce de León. Cela dit, que le souhait affiché par Isabelle de suivre au jour le jour l’avancée des troupes témoigne d’une attention sincère à la chose militaire ou qu’il relève d’une mise en scène de son autorité n’a pas grande importance : dans un cas comme dans l’autre, la reine est précisément informée. Sa présence dans les zones de combat, les rapports qui lui sont adressés et sa participation au conseil suffisent largement à parfaire une éducation à la guerre dont les prémisses peuvent être recherchées, comme nous l’avons vu, dans sa participation depuis l’arrière au financement des campagnes et au ravitaillement de l’armée. Isabelle peut donc se prévaloir d’une connaissance très étendue en la matière : sa culture militaire, riche et détaillée, n’est amputée par rapport à celle de n’importe lequel de ses capitaines que de l’expérience du combat. Il vaut la peine de souligner que cette appropriation d’un savoir que l’on pense parfois exclusivement masculin passe par le consentement et la collaboration des hommes de son entourage. L’attitude de Ponce de León confirme ce que laissaient observer les commentaires d’Alonso Maldonado à propos de Leonor Pimentel et de Beatriz Pacheco : l’ingérence féminine dans les affaires militaires ne suscite ni réticence, ni sarcasme, ni condescendance. Le marquis s’adresse à la reine comme à un égal, au moins sur le plan de l’expertise guerrière et du goût pour les manœuvres bien exécutées. Maldonado apprécie en connaisseur et loue sans détour les compétences de la duchesse d’Arévalo et de la comtesse de Medellín. Cette bienveillance tient naturellement au statut social de ces femmes, et elle révèle un élément essentiel à la compréhension du phénomène étudié : les contemporains ne corrèlent pas la compétence militaire à la masculinité mais au pouvoir.
36Par sa nature même, le corpus historiographique soustrait à l’examen de vastes zones que d’autres types de sources permettront peut-être de mieux éclairer. Le constat s’impose s’agissant des violences exercées sur les femmes en contexte de guerre et de leur participation aux combats. Alors que le caractère spécifique des brutalités qu’elles ont à supporter dans le cadre d’opérations militaires est attesté sur beaucoup d’autres terrains, les chroniques castillanes manifestent une très grande discrétion dont on ne peut tirer aucun enseignement définitif. Les normes en vigueur dans les sociétés médiévales interdisent certes aux combattants de se livrer à des violences sexuelles, mais l’extrême rareté des mentions, ou leur conversion en topique, ne signifie pas que la règle s’applique. Quant à la participation aux combats, au moins celle de femmes issues du commun, elle n’est que très rarement attestée, même dans des circonstances où la communauté se voit gravement menacée — à l’occasion d’un siège, par exemple. Sans disposer des moyens pour l’affirmer, on ne peut s’empêcher de penser que le silence des textes à ce propos témoigne surtout de l’indifférence de leurs auteurs pour des attitudes qui ne manifestent qu’un réflexe assez ordinaire d’autodéfense, ou éventuellement de la volonté d’occulter un comportement jugé contraire à l’ordre social.
37Sur d’autres points, en revanche, et en dépit de l’incertitude qui demeure à propos d’un dossier aussi central que celui de la reine Isabelle, quelques conclusions s’imposent. Il ressort tout d’abord de l’étude de l’historiographie nobiliaire que, dans la Castille du xve siècle, certaines femmes nobles disposent d’une culture de guerre très étendue. Leur implication dans les activités militaires les conduit jusqu’aux abords du champ de bataille, où elles ne pénètrent cependant pas : aucun texte ne signale leur participation au combat, ni même qu’elles portent les armes. Autant qu’il est possible d’en juger, ces femmes n’ont pas été destinées par leur éducation à assumer des responsabilités dans ce domaine ; la culture de guerre dont elles font montre leur vient de l’expérience, de l’observation, et elle leur a été transmise oralement par les hommes qui en sont les détenteurs naturels — au regard de l’ordre social en vigueur. On ne peut exclure qu’elles aient aussi acquis un savoir théorique et savant sur la guerre en puisant dans la bibliothèque d’un père ou d’un époux, ou en assistant à des lectures collectives. Mais leur cas semble surtout confirmer que la culture de guerre est encore en Castille, à cette époque, un ensemble de savoirs pratiques bien plus que livresques. Il apparaît en outre que ces savoirs ne sont pas limités à un cercle de praticiens dont les femmes seraient exclues : l’activité de ces dernières dans le domaine militaire, tout en restant incomplète puisque, comme on l’a dit, elles ne combattent pas, ne semble rencontrer aucune objection sérieuse ni aucune critique. Des hommes très expérimentés en la matière, comme Rodrigo Ponce de León ou Alonso Maldonado, reconnaissent même volontiers leur expertise — sans que, dans le cas du second au moins, cela puisse s’apparenter à de la flatterie. Plus qu’un élément constitutif de la masculinité, la culture de guerre serait donc partagée par les détenteurs du pouvoir, c’est-à-dire la noblesse, sans distinction de genre. Jusqu’à un certain point, l’analyse de l’activité militaire du haut clergé renforce cette hypothèse.
Notes de bas de page
1 Le fait n’est évidemment pas propre au contexte qui nous intéresse et il a été plusieurs fois analysé. Voir, par exemple : Friedman, 2001 ; Gillingham, 2012. Sur le cas ibérique : Calderón Ortega, Díaz González, 2012.
2 On peut se reporter, à titre d’exemple, à l’Historia Compostelana, un texte de la première moitié du xiie siècle qui décrit pour l’essentiel des événements contemporains. Voir les pages 172 (sur les destructions causées en Castille par Alphonse Ier d’Aragon) et 541 (à propos d’une incursion musulmane sur la côte de Galice) de la traduction d’Emma Falque (Madrid, Akal, 1994).
3 Iranzo, pp. 470-475. Sur cette lettre, voir : Eisman Lasaga, 1991.
4 « Y los tristes que escaparon, como salían fuyendo del fuego, cayan en las armas de los crudos y fieros moros, que con tanta feroçidad los reçebían que les arrebatauan de los braços los fijos, les arrestrauan de los cabellos las fijas, las doncellas desonrrauan, forçauan las casadas; o a lo menos, maltrayan los padres ante los fijos, los fijos ante los padres, crudamente despedaçauan, y todo en fín lo vañauan de sangre de cristianos » (Iranzo, p. 473).
5 Il est significatif que dans le récit de ce même épisode que donne quelques pages plus tôt le chroniqueur, la mention des viols n’apparaisse pas (Iranzo, pp. 467-468). On ne peut en déduire que ces violences ont été inventées pour émouvoir Sixte IV mais cela confirme qu’elles appartiennent à un discours préconstruit sur les « malheurs de la guerre » contre l’Infidèle.
6 Memorial, pp. 210-212.
7 « Los quales partidos, los de Carmona resçibieron muy grandes daños, e fueron muchos muertos e heridos, e puesto fuego por muchas casas, y las iglesias ocupadas por Godoy y por los suyos, robando y matando y forçando mujeres sin ningun temor de Dios » (ibid., p. 212).
8 Sur cette accusation de faire la guerre « comme les Maures », qui est assez courante, voir infra, chap. vi.
9 Andanças, pp. 801, 892, 903.
10 « … muchas vírgenes coronpidas e matronas deshonrradas » (Memorial, p. 242).
11 Ces mécanismes ont été bien mis en lumière grâce à l’exploitation de sources judiciaires. Pour la Couronne de Castille, voir : Córdoba de la Llave, 2008.
12 Un constat qu’il convient de considérer à la lumière des conclusions élaborées pour des époques plus récentes, où le viol est érigé en « arme de guerre » et utilisé pour manifester la domination d’un groupe sur un autre. Voir en particulier sur ces questions : Heineman (dir.), 2011 ; Branche, Virgili (dir.), 2011.
13 Ponce, pp. 303-305.
14 « … dormían con sus mugeres e fijas » (Ponce, p. 304).
15 Memorial, pp. 236-239.
16 « … les quitaba las mugeres por fuerça » (ibid., p. 239).
17 Il est intéressant de noter que les chroniques du domaine bourguignon restent également silencieuses sur la question des violences sexuelles en contexte de guerre : Verreycken, 2016, p. 170. Voir aussi les commentaires d’Anne Curry sur la distance entre la norme (qui interdit le viol en toutes circonstances) et les pratiques, et sur la difficulté à saisir la réalité des usages : Curry, 2011.
18 Cristina Segura insiste sur l’exposition des femmes aux violences sexuelles en contexte de guerre mais elle n’illustre son propos qu’avec des exemples pris en France et en Italie : Segura Graíño, 2003.
19 Alchalabi, 2015.
20 Une vue d’ensemble : Offenstadt, 2007, pp. 112-127. Sur le domaine ibérique, en l’absence de synthèse, on peut privilégier pour une première approche : Muñoz Fernández, 1998.
21 Sur ces circonstances, voir : Arias de Balboa, 1999.
22 Tout particulièrement à sa veuve : Muñoz Gómez, 2015a.
23 Ladero Quesada, 2013.
24 Sur les interventions des infants d’Aragon en Castille, l’ouvrage de référence demeure : Benito Ruano, 1952.
25 Il n’est pas sans intérêt de distinguer leurs trajectoires individuelles (qui ne convergent pas toujours, loin s’en faut) et, dans le cas de Jean, les conséquences de son accession au trône de Navarre sur sa politique castillane : Ostolaza Elizondo, 2000 ; Álvarez Palenzuela, 2002.
26 Sur la complexité et les enjeux de cette succession : Muñoz Gómez, 2009.
27 La personnalité et l’activité politique de Marie de Castille ont suscité de nombreux travaux. Voir en particulier, Earenfight (2009), qui renouvelle sans tout à fait le remplacer Hernández-León de Sánchez (1959). Plus directement sur le sujet qui nous intéresse : García Herrero, 2015.
28 « … viniendo no a jornadas de reyna, más de trotero » (Luna, p. 82).
29 « E demandó al Condestable una tienda, la qual le dió e ella la fizo poner enmedio de las dos huestes » (ibid.).
30 « Fasta en tanto que se llegaron a asentar los rreales a dos trechos de ballesta el vno del otro » (Halconero, p. 38).
31 Ibid., pp. 37-38.
32 Un état détaillé de la trajectoire personnelle et politique de Marie d’Aragon : Álvarez Palenzuela, 2006.
33 Halconero, p. 406.
34 Sur cet épisode : Halconero, pp. 409-412. Voir l’éclairage apporté par Álvarez Palenzuela (2006, pp. 364-367).
35 Carrillo de Huete ne manque pas de le signaler : Halconero, p. 410.
36 « … e topó con la rreyna de Portugal; e començó de llorar delante del Rey, pediéndole por merçed que escusase tanto daño como estaua aparejado » (ibid., p. 412).
37 « El Rey rrespondióle según pertenesçía a Rey » (ibid.).
38 « … aquella hermana que él amaua mucho » (ibid., p. 221).
39 « … por amor de la rreyna » (ibid., p. 221).
40 « E traxo tales maneras porque los rreyes saliensen seguros, e se tornasen, e fuesen por quatro días limitados dentro en el rreyno de Aragón; por quanto estaban en muy gran peligro e muy apretados… » (Halconero, p. 38).
41 « E allí viéronse con la Reyna doña María, muger del Rey de Castilla, su hermana, la qual era de su opinión, contra su marido, e estaua con ella el Prínçipe don Enrique, su fijo del Rey » (ibid., p. 406).
42 Voir Ruiz Domingo, 2015 ; Pelaz Flores,Val Valdivieso, 2015 ; et Echevarría, Jaspert, 2016 (avec une abondante bibliographie).
43 Un bon état des lieux pour la péninsule Ibérique : Guerrero Navarrete, 2016. La situation est différente sur d’autres terrains, mais généralement pour des périodes plus hautes que celles qui nous intéressent ici : Nicholson, 1997 ; Truax, 1999 ; Caspi-Reisfeld, 2001 ; Maier, 2004 ; Aurell, 2005. Pour une vue d’ensemble : Illston, inédite ; Cassagnes-Brouquet, 2013.
44 Segura Graíño, 2004, pp. 749-750. À propos de l’épisode de Peña de Martos dans la General estoria puis dans le Compendio historial de Diego de Almela, voir : González Jiménez, 2001, pp. 12-13.
45 Monrroy, pp. 18-21.
46 « Hecho romano » (ibid., p. 18).
47 « … y que ella quería dejar su hábito allí y usar el oficio de buen capitán; y que en los peligros les prometía ser la primera » (ibid., p. 20).
48 Memorial, pp. 151-153.
49 Sur cet épisode : García Guzmán, 1985, pp. 83-84.
50 Sur la trajectoire de ce groupe familial : Alonso Campos, Calderón Ortega, 1989 ; Ortega Cervigón, 2006.
51 Sur la réactivation de la figure de saint Jacques matamore au xve siècle : Olivera Serrano, 2009 ; Id., 2013a.
52 « Algunos de los que fueron cativos en esta batalla afirmaron […] que avían visto ençima del armadura de la cabeça de don Fernando de Acuña tan gran claridad, que les tirava la vista; de que creyan verdadramente Nuestro Señor aver enviado a los cristianos ayuda en esta batalla » (Memorial, p. 153). Fernando de Acuña est le frère de l’adelantado. Valera donne un caractère merveilleux à son comportement dans la bataille (voir note suivante) et affirme qu’il serait resté vierge jusqu’à son mariage, à l’âge de 30 ans.
53 « … hizo cosas tan señaladas, que paresció ser más caballero anciano que moço ni mançebo; el qual fasta aquel día no avía tomado armas ni lança en la mano para pelear » (ibid., p. 152).
54 « E fué vna cosa muy maravillosa, que quando la primera pelea se comenzó, las mujeres de la villa tomaron armas e siguieron a sus maridos, peleando virilmente » (ibid.).
55 « E falláse que entre estás fué vna que vido estar syete moros en la concavidad de vna peña, e con una lança en la mano fue sola a pelear con ellos, e los prendió, e traxo a todos a su casa » (ibid.).
56 Un aperçu de la fortune littéraire de la femme guerrière et des caractéristiques de son personnage dans : Delpech, 1986 ; Marín Pina, 1989.
57 Ladero Quesada, 2006 (pp. 280-285 pour la question qui nous occupe), ainsi que Id., 2004 et Id., 2012 (pp. 63-65 sur la reine et la guerre), et Val Valdivieso, 2004. Plus spécifiquement consacré aux liens d’Isabelle avec les guerres de son temps : Rábade Obradó, 2015.
58 « Ella con sus oraciones / y él con mucha gente armada » (cité dans Peinado Santaella, 2008, p. 711).
59 Val Valdivieso, 1995 ; Ead., 1997.
60 Ladero Quesada, 2006, p. 238.
61 Segura Graíño, 1989.
62 Codet, 2015 ; Haro Cortés, 2009.
63 Sur cette pratique, que l’on observe aussi dans notre documentation à propos de Leonor Pimentel (voir infra) : Lo Prete, 2005. La « masculinisation » du personnage féminin est une manière d’atténuer le sentiment de transgression que suscite son implication dans les affaires militaires.
64 Sur la présence de Sémiramis dans la littérature médiévale, une vue d’ensemble très générale mais utile pour en saisir la constance et les enjeux : Beringer, 2016.
65 Sur la « domestication » de ce modèle a priori subversif : Benito, 2002.
66 Lobato Osorio, 2009 ; Alchalabi, 2016.
67 Peinado Santaella, 2008, p. 715.
68 Sur cette figure clé de l’imagerie de la femme guerrière à la fin du Moyen Âge : Cassagnes-Brouquet, 2004.
69 Rábade Obradó, 2006 ; Parrilla, 2009 ; Baloup, 2019.
70 « … deziendo palabras de varón muy esforzado más que de muger temerosa » (Crónica incompleta de los Reyes Católicos, éd. de Puyol, p. 238).
71 Les contradictions qui le caractérisent sont particulièrement bien mises en évidence dans Peinado Santaella (2008, pp. 709-719).
72 Sur les pistes ouvertes dès la fin des années 1980 par des chercheurs anglo-saxons, les publications se sont multipliées. Dans la bibliographie en français, deux ouvrages collectifs assez récents donnent une bonne idée de l’état de la réflexion : Dubois-Nayt, Santinelli-Folz, 2009 ; et plus particulièrement sur la période qui nous intéresse : Bousmar et alii (dir.), 2012.
73 Andanças, p. 823. Sur cette personnalité qui a joué un rôle non négligeable dans l’ascension du puissant lignage de Velasco : Jular Pérez-Alfaro, 2001 (pp. 182-183 à propos de Sancha Carrillo).
74 Andanças, pp. 867 et 799.
75 Ibid., p. 837.
76 Memorial, pp. 125-128.
77 Cabrera Muñoz, 1977, pp. 203-210.
78 Andanças, pp. 855-856.
79 « … doña Teresa, que era mucho sovervia » (ibid., p. 856).
80 « Esta doña Sancha traxo por adelantado a Ferrand López de la Orden e con él ayuntó CL de cavallo e mill D omes a pie. […] Cercaron en la casa [de] Caniego de Mena, que era de Lope García, a dos fijos vastardos suyos con XII criados suyos que con ellos estavan. Como llegaron estas nuevas a Lope García, […] vaxó por la peña de Mena e llegó al río, que era en medio de la dicha casa e d’ellos, e, como los vieron doña Sancha e Ferrand López e los suyos, posiéronse en batalla orilla del río » (Andanças, p. 823).
81 « E fue presa doña Sancha Carrillo e muertos CXX omes e presos otros tantos e más » (ibid., p. 824).
82 « E vino doña María Alonso, muger de Gonzalo Gómez de Butrón, con todo el solar en su socorro porque Gonzalo Gómez era en la corte e púsose en l’atalaya de Bilbao e en la rentería » (ibid., p. 798).
83 Sur le contexte de cette confrontation, qui déborde le cadre régional : Suárez Fernández, 2001, pp. 486-488.
84 « Y en tanto questo se fazía, la condesa de Haro en persona vino con asaz gente por pasar a la villa de Bilbao por el camino de Balmaseda » (Memorial, p. 188).
85 « … no es el lugar çercado, pero ay muchas torres, las quales por sus bandosidades todos tenían muy aparejadas de vallestas e tiros de pólvora. […] La condesa no pudo pasar, e ovo de se volver con gran peligro de los suyos » (ibid., pp. 188-189).
86 À son sujet : Barco Cebrián, 2014 ; Ead., 2016.
87 Sur Beatriz Pacheco : Cabrera Muñoz, 1985.
88 Lora Serrano, 2003 ; Rodríguez Casillas, 2011 ; Id., 2013c.
89 Cette confirmation est le prix du ralliement de Leonor Pimentel à la cause d’Isabelle. À propos du positionnement de la duchesse pendant la guerre de succession : Prieto Álvarez, 2003 (pp. 100-102 sur Leonor Pimentel).
90 « … trajese tanta diligencia en las cosas de la guerra que ningún capitán romano le hacía ventaja » (Monrroy, p. 99).
91 « Hecho esto, la Duquesa comenzó a tomar les armas porque fué muy varonil mujer » (ibid., p. 116).
92 « … a más jornadas de las que convenía a su persona » (ibid., p. 129).
93 Barco Cebrián, 2016, pp. 243, 254.
94 Cabrera Muñoz, 1985, pp. 530-531.
95 Marcelo Rodao, 1994. La documentation n’apporte que des informations très partielles sur les conditions et les contenus réels de l’éducation dispensée aux filles de la noblesse, même celles qui sont issues de la famille royale. Voir, par exemple, à propos de la reine Isabelle : Salvador Miguel, 2003 ; Id., 2008 (en particulier pp. 169-184). Une vue d’ensemble : Segura Graíño, 2007.
96 La bibliothèque de Leonor Pimentel, forte d’une quarantaine de volumes, est typiquement « féminine » : elle ne contient que des ouvrages de dévotion ou d’édification chrétienne, à l’exception d’un exemplaire de Calila e Dimna et d’un recueil de sentences attribuées à Sénèque : Jiménez Moreno, 2012. Mais il conviendrait sans doute de prendre en compte les autres livres que ces femmes trouvent à portée de main : le premier époux de Beatriz Pacheco possède une dizaine de manuscrits qui sont presque tous des chroniques et des miroirs (Cabrera Muñoz, 1985, pp. 550-551).
97 Iranzo, p. 353.
98 Andanças, pp. 857, 865, 890.
99 Memorial, p. 116.
100 Carriazo Rubio, 2011 ; Id., 2015.
101 López Dapena, 1984-1985.
102 Carriazo Rubio, 2015, pp. 62 sqq.
103 Ladero Quesada, 2006, p. 282.
104 Segura Graíño, 2002.
105 « … y llevó consigo a la reyna, la qual yba en una hacanea muy guarnida, y con ella diez donzellas en la misma forma, de las quales las vnas lleuauan musequies muy febridos, y las otras guardabraços y plumas altas sobre los tocados, y las otras llebauan almexías e almaizares, a demostrar las vnas ser de la capitanía de los hombres de armas, y las otras de los ginetes » (Memorial, p. 45).
106 « … la reyna demandó vna ballesta, la qual el rey le dio armada, y fizo con ella algunos tiros en los moros » (ibid.).
107 Ponce, pp. 253-257.
108 « E de allí fue a ver la fortaleza, porque el marqués le mostraua y daua tan buena razón de todo commo quien lo sabía más principalmente que otro ninguno » (ibid., p. 255).
109 « Y el marqués a la sazón estaua con el rey e la reyna en vn çerro que se faze muy alto sobre la villa, de donde estauan myrando cómo tirauan las lonbardas a las torres y muros della » (ibid., p. 256).
110 « Y en este medio tienpo, el alcayde y moros de Montefrío enviaron sus mensajeros a la reyna, que estaua en Moclín, a dar la villa a Su Alteza. E la reyna ovo dello mucho placer, e partióse para Montefrío e resçibió la villa » (ibid., p. 257).
111 « E muchos ovieron con la venida de Su Alteza mucho plazer, e otros algunos dezían no aver seydo bien fecho » (ibid., p. 276).
112 « E después de aver mandado dar orden en las cosas de la çibdad, quiso yr la reyna a ver a Bélez e a toda aquella tierra que se avía ganado. Y Sus Altezas partieron para allá; e con ellos, el marqués. El qual lleuaua de rienda la reyna e le mostraua los lugares ganados e le dezía todas las cosas cómo avían pasado » (ibid., p. 284).
113 Hernández Martínez, López Rueda, Puertas Tomás, 2013.
114 Ponce, pp. 292-302. J’ai donné ailleurs l’analyse détaillée de ces lettres : Baloup, 2018.
115 « Vuestra Alteza avrá menester, segund Nuestro Sennor lo faze, mandar buscar muchos alcaydes » (Ponce, p. 294).
116 Ibid., pp. 294 et 295.
117 « Resçebida el marqués la carta de la sennora reyna, ovo grandísimo placer con ella » (Ponce, p. 292).
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