Les défaillances du contrôle et de la sanction
p. 119-122
Texte intégral
1Quels que soient la période et l’espace pris en compte, il est évident que le contrôle hiérarchique, disciplinaire et judiciaire des fonctionnaires influe de manière directe sur l’ampleur de la corruption publique. Des peines justes, lourdes et effectives ont un puissant effet dissuasif sur les corrompus potentiels, tandis que l’assurance de l’impunité ou tout au moins la faible probabilité de la punition ne peuvent que les pousser à franchir le pas :
... La mesure dans laquelle un fonctionnaire se laisse corrompre dépend également du risque d’être démasqué et de la nature de la sanction redoutée. Des fonctionnaires totalement amoraux peuvent se montrer honnêtes pour la simple raison que la corruption a plus d’inconvénients que d’avantages1.
2Les peines légales, les procédures de contrôle et de sanction internes ne peuvent en aucun cas suffire pour lutter contre la corruption. Les inspecteurs et les juges sont des hommes, non des machines, et ils ont une large latitude d’interprétation des textes. Dans tous les groupes humains et en particulier dans les administrations, il existe une marge de tolérance de l’illégalité et un consensus implicite sur certaines formes de corruption. Cette operational flexibility2, bien souvent, s’ancre dans les pratiques passées même si elle évolue lentement Les faits de corruption qu’elle inclue sont certes punis par les lois, mais la sanction est loin d’être systématique. Les praticiens de la corruption, tous ceux qui sont accusés, à tort ou à raison, d’être corrompus savent utiliser ces faiblesses pour mettre sur pied leur défense et atténuer les sanctions.
3Les modifications de la définition juridique des faits de corruption et, plus encore, une plus grande détermination des instances de contrôle à faire respecter les règles du jeu se traduisent immanquablement par une multiplication des poursuites : cette hausse ne reflète pas une augmentation de la corruption en valeur absolue, elle rend compte simplement de la volonté de lutter contre la corruption. Il est donc fondamental de cerner les contours et les variations temporelles de cette « zone grise ».
4La lutte contre la corruption n’est pas simplement l’affaire de ceux qui disposent du pouvoir et des freins institutionnels mis en place pour la contrôler et la réprimer. L’action de ces derniers est aussi et surtout déterminée par les réponses sociales face aux comportements transgressifs. La résistance et les réactions du corps social peuvent alerter, ou pas, les supérieurs sur les dysfonctionnements du système ; les témoins et/ou les victimes exercent des pressions, directes ou indirectes, qui, théoriquement au moins, stimulent l’appareil répressif.
5Certes, en situation coloniale la société civile est comme atrophiée et déséquilibrée en faveur de la petite minorité des colonisateurs, mais les victimes de la délinquance administrative disposent tout de même d’une capacité d’initiative et de moyens d’expression. La décision de les utiliser ou pas dépend plus de la grille de lecture des contemporains, souvent éloignée des normes écrites, et d’un contexte de rapports de pouvoir beaucoup plus complexe que ne le laisse penser l’image stéréotypée de la colonisation comme forme d’oppression systématique et implacable.
Notes de bas de page
1 S. Rose-Ackerman, « La démocratie et la corruption au sommet », p. 425. Voir aussi A. J. Heidenheimer (éd.), Readings in Comparative Analysis on Political Corruption, introduction, p. 16, et J. Cartier-Bresson, « Corruption Networks », p. 463.
2 N. E. Park, « Corruption in Eighteenth-Century China », p. 985.
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