Annexe iii
Lettre de l’« espion divin » Jean de Quercy au roi Philippe III (AGS, K, 1468 [10 décembre 1613])
p. 647-656
Texte intégral
1Fondé sur une thématique relativement simple, ce texte, d’un style encore nettement influencé par le modèle de la période latine – malgré quelques incertitudes de structure –, accumule les citations et allusions érudites, multiplie les antithèses, les métaphores et les comparaisons les plus diverses, en un miroitement incessant qui à chaque instant donne au propos une coloration nouvelle et l’infléchit vers une direction imprévue. L’« espion divin » décèle les machinations tramées par des ennemis tapis dans l’ombre mais aussi, en « bon françois et catholique » fait jouer tous les registres émotifs pour convaincre de son entier dévouement. Ce discours en perpétuel déséquilibre, typique du premier baroque, est aussi le constat d’une déchéance et dune impermanence généralisées ; l’époque qui s’ouvre est « un siècle d’iniquité où tout noie d’horribles crimes », un « siècle de girouette et de sable mouvant » où « toute corruption [...] est en flux et en marée. »i
2Sacrée et Catholique Magesté,
3Je me feusse monstre déserteur de mon honeur et indigne de vostre affection et eust esté à moy une perfidie tres grande de mestre theu et avoir attandu jusques au premier jour de lan pour vous fere presant en memoire anniversaire de tant de favveurs recues de vos royalles mains, non dune robe dor parelle à celle que je vous fis voir en vostre palais paincte dans ung petit crayon1 mais dung bouclier2 tres asseré et tout enceinct de peux de veau marin qui vous garantist des fouldres et des orages foug[u]eux des moresques3 les enemis jurés de vostre estat, qui ne perdent pas tamps ni ne lessent arrière aulcun artifice qu’ils ne practiquent pour tacher de parvenir à leur desein et mal multa sc[iu]nt4 :
Instant morantur persequuntur, occursum et hinc et illinc usqueqaq quasumq5.
4Si bien qu’ils comancent desia a publier leur victoire sans la rancontre d’aulcune resistance, et pour avoir esté chasés comme traistres d’une si saincte hostellerie et d’ung lieu ou pour leur infidélité ils ne meritoient d’habitter ils y veullent maintenant rantrer avec tant d’iniustice. V. M. scait que le diable ne manqua jamais de semance de division pour jetter dans le bercail de Dieu et par ce moyen chasser les ames divines et de fin or et pour y fere succeder et establir en leur place des ames de fer et de plomb et de c[œ]ur si desnaturés et diaboliques qui ayent la volonté de conspirer et attanter contre les estats, semer calomnies faulses contre des Magestés tant utiles et nécessaires a la chretienté et tant aymables a leurs subiets desqueles linnocance et la piété sont aussi cognues a tous que leur prudance, mais encore le mal est que come lheresie est un hydre qui a plusiers testes antées6 sur un seul corps le venin duquel est tres violant et pestiféré aux homes, il faict aussi ung mortel desgast es estats et es lieux ou il passe et avecq une telle contagion quil n’en fault qune pour gaster tout un grand nombre de peubles, corne il ne fault qune brebis infectée pour perdre tout ung troupeau et qung raysin corrompu pour gaster toute une grappe :
Usque contacta livore ducit ab uva7.
5Je veux dire que ces sthimfalides8 et oyseaux de proye, ces traistres amans, ces bouttefeux de disantion en lestat qui, bien quayant esté agrandis par nostre feu assuere mais non pas avec un tel honeur quils prettandoint, ont conceu un desdain cruel contre nous, si bien que
Dentes eorum dentes leonum interficientes animas nostras9,
6crapaults qui cr[è] vent de voir que nostre vigne est en fleur, que la France doibt bientost prosperer et se dilatter en toute sorte de fécundité, ils comancent desia à preparer leurs flesches ardantes et décocher leurs pennes de loing à guise de javelots : mais come ce sont des orgues qui ne peuvent rien fere sans le vant de quelque secours enemy, et se craignant d’ung sa[m]blable banissemant lors que le soleil dardera de ses rays nostre orizon francois, je dis vostre Infante la reyne de France, en se grocissant desirent voler pour en obsurcir la clarté et tacher par ce moyen à briser l’arche dunion et de concorde et avec leurs escumeux retours en surmonter les bords et à teste bessée abbatre la tour inexpugnable de nostre mutuelle affection, arracher les rochers de nostre fermeté, si que10, prevoyans qu’ils n’avoient jamais peu venir à bout de leurs desseins et que leurs sources bien que secrettes nous ont toujours esté descouvertes, que nous avons veu a chaque pas et à grand jour les cavernes [où] estoi[e]nt les lions tous armés avec les drogues de leurs boyttes, et voyant que l’obscurité de la nuict nestoit suffisante pour cacher leurs assamblées pernicieuses, moins les muralles de leurs maysons empecher11 que leurs coniurations ne seschapassent et quelles ne rettantisent à chaque pas aux orelles de nostre reyne reg[n]ante, aussi maintenant ces vaultours se sont alliés à des grues moresques, peuble affamé et du tout perdu, banny de tous vos Royaulmes, et les ayant veux en ceste extreme necessité se veulent servir lesperance et du refuge des desesperés et se randre partisans de mesmes compagnons de fortune, croyant par ceste invantion mieux à propos venir et attaindre au but de leurs coniuration et se servir de leur mesme necessitté pour en fere les mestres ouvriers et invanteurs de leur artifice :
Magister artis ingeniique largitor vester12,
7et sanchans que cest elle qui excitte mil ingéniosités [et] esvelle13 les ames les plus endormies, si puissannte et violante que mesme en lextremité dune guerre elle rand les plus lasches et poltrons resollus et vallans, et de quoy se fault il estonner puis que le livre ne sattache quaux meschans arbres et muralles plus pourries ?
8Il est donq véritable que l’extrémité d’ung péril éminant esguise lesprit vehemens :
Res est necessitas et extremum peruclum satis est ad indvendam audaciam sinon sit innata, quibus non est artibus praedita ad qua tolleranda non impellit14
9et le[s] plus lasches, contre leur naturel, devienent audacieux voire furieux, et le plus sovant
Ad desperationem compulsi, inexpugnabiles redduntur15,
10et la plus grande couardise est esvellee16 par la necessité qui fait souvant trouver lesperance dans le desespoir mesme : Thaïes, enquis un jour17 quelle estoit la plus forte chose du monde, respondist que cestoit la necessitté et les histoires rapportent des A[quil]eens questans un jour assiegés par lempereur Maximinus18 se virent réduits à ceste extrémité de munitions de guerre que nayants plus de cordres nerfveuses pour mettre à leurs arcs, ils sadvisèrent demployer à cest usage les cheveux de leurs fames, tant leur estoint pognantes et vifves les attaintes d’une extreme desesperade : la nécessité, disoit Cassiodore, est mere de beaucoup de crimes, elle rand les homes audacieux à entreprandre plusieurs meschancetés ; et voilà pourquoy on dit que les tours de soupplesse de Annibal donoit plus de paines aux Romains que ses forces :
Longa dies acvit mortalia cordia et labor ingenium miseris dedit et maque denique advigilare sibi jussit fortuna premente19.
11Vostre Magesté scait que ces misérables sont en France et mes yeux a leur grand regret les y voyent, puis qu’ils sont les banys de vostre afffection parternelle et non tant pour leur irreligion que pour un juste jugemant de Dieu a rayson de leur perfidie et desloyauté et reprouvés come aiglons illegitimes de leur p[è]re20 ; mais, voy-je, encores ont-ils trouvé de la pitié en vostre rigueur et de la franchise en vostre cholère, veu que les pouvant tous embraser convaser et submerger lors de leur banissement comé criminel de leze mageste divine et humaine, touteffois vous avés desiré qu’entre toutes les perfections divines qu[i] reluisent sur vostre sacrée personne et tant daultres qualités royalles, celle[s] de la miséricorde et clemance ayent couroné et embelly vostre chef plus glorieusement et esclatté pour ouvrir [aux morisques] les po[r]tes de vos royaulmes et leur ba[i]lier le sauf conduit de toute seurté, sachant bien qu’il n’y a point de plus grande louange ni chose qui soit plus convenable à un grand roy que l’humanité et la douceur : mais cest un malheur que dun vin si délicat, se soit randeu un si fort vinègre et que d’une eau si claire et tant belle sen soit faict une si corruptible et puante et que de vostre grande debonaireté et patiance se soit resolue une si grande cholère. Vous leur aves bien monstré que vous nesties pas samblable à ce Calligula ni a cest ours enragé de Domitian qui estant en cholère fesoint une boucherie dhomes à tout propos, mais, ô fils de jupiter Roy tres puissant qui pouvez faire come un aultre Alexandre branler et trambler les deux poles et doner lalarme jusques aux antipodes, je voy que pour tout cela21 ils nont point diminué leur malice et taschent ce jour dhuy a bastir une conspiration peut estre la plus prodigieuse qui soyt jamais tombée en esprit humain, non ja dhomes mais plustost des diables qui veulent desraciner (et quen scavons nous ?) la vigne dor dont les fleurs esgalent en beauté les rayons du soleil22 et par ce moyen se randre les mestres dou ils nont jamais mérité destre les vassals ; mais si on dit d’Hercule que ne pouvant venir à bout de Ihydre et luy voyant soudain renaistre des testes à mesure que sesforcoit de les couper, feust costrainct après le fer dy apliquer le feu, maintenant aussi il seroit necessaire, si ceste conspiration estoit véritable (come il y en a des indices), que V. M. et celle du roy de France y apportassent toutes les extremités que le fer et le feu vous peuvent signiffier ; et pour aquerir la santé du corps on se sert de toutes sortes d’incisions pour les bruslures et de ca[u]teres :
Ut corpus redimas ferum patieris et ignes arida nec sitiens o[s] lavabis aqua23 ;
12et pour aquerir la santé des estats et le repos de l’Eglise, ne se servira on de mesmes remèdes ? Il fault donc avoir loeil dessus, les veller, se tenir sur vos gardes et, sils seslèvent, les estouffer en leur nayssance ou les arracher come des plantes malancontreuses devant qu’ils ayent le loysir de pulluler et pousser plus avant leurs racines. En vain on se sert de chelebote24 quand le mal sest saysi du ceur et qu’il nous fait emfler et boursouffler la pe[a]u :
Heleborum frustra cum iam cutis agra tumelit
Poscantes videas venienti occurere morbo25.
13Il est nécessaire danticipper ceste maladie, de mettre des remèdes a cest ulcère nayssant qui se va renayssant dans les entralles et aller audevant par une prevoyance :
Nam pa[r] va scintilla magnum excitat neglecta incendium26,
14dit Nicephore, et
Et a parvis veniunt summa mala principiis sigue multo facilius est malorum principis obstare et incrementa prohibere a extirpare27,
15et les rettardemants sont cause le plus souvant de beaucoup de mauls, et la playe qui se peust promptement guarir par la tardifveté se rand incurable :
Vidi ego quod fuerat primo sanabile vulnus dilatum longa damna tulisse mora28.
16Les maysons menassent de ruine avant que tomber, la fumée nous advertist du feu qui nous veut embraser, la tampeste se void venir de loing, mais la main de lhome assasine soudain lorsquon y panse le moins et selon le dire dun ancien, il est perilleux de croire, mais il nest pas moins dangereux de ne croire pas :
Nam mala unde minime expactabantur erumpunt29.
17Il est donq à craindre que, si on nestouffe ces serpants tandis quils rampent sur lherbe, ils ne marchent a ce jour la teste levee et dung horrible soufflemant ampoysonent les deus estats ; il fault prévoir les choses lorsquelles sont proches darrivver, et ne fault qune petite bluette30 de feu pour faire un grand embrasemant, qun petit trou pour faire abismer un vesseau et qu’une petite qurelle pour excitter un grand trouble. O Dieu ! Ou somes nous et en quel tamps vivons nous ? Est il possible qune bande chettivve d[e] belistres et tournebroches imfames entrepren[ne] de destronner nos Roys, que les subiets (et encore les plus vils) délibèrent et décernent31 de lestat et de [la] vie de leur prince ? Quel maudit freslon demfer ou quelle mouche de marets les a piqués pour les avoir ramplis de tant de fureurs jusques à les fere enrager, qui les a p[u] mouvoir pour les randre les flambeaux d’un si grand embrasemant et les ouvriers meschants de tant de pla[ie]s, qui veulent come des géants32 désarmer contre le Ciel et ranverser les arrests de la Divinité et le consantemant universel de tous les chrestiens, lesgale disposition de leurs volontés et luniversel concours de nos affictions ? Quoy ! En plain midi ne verrions nous point le jour ? Quel malheur que nostre aage couve de tels prodiges (qui ne desireroint pas que nous prinssions ceste dragme dhelebore, le seul lenitif de nostre mal ?) et quil sy puisse trouver tant de traistres qui ne conspirent que lantière ruine de nos monarchies ! Ouy, nous somes en un siècle diniquité ou tout noye dhorribles crimes, siecle de girouette et de sable mouvant en la legereté de ses affections, rocher endurcy en lopignastreté de ses erreurs, basiliq33 qui rampant dune partie du corps porte la teste en hault, siècle faict vrayment de travers et de biays puisque toute corruption y est en flux et en marée. Mais j’espere que Dieu dissipera leurs assamblées et en chastira les autheurs par sa justice et sa puissance, qui sont inséparables en bien, et que sils implorrent son secours en une si mauvaise cause ce sera pour neant et de mesme que sils luy presantoint des verges pour les chastier ou come ces couppeurs de bources qui appellent la justice à leur ayde. Ah ! Sacrée Magesté, je suis bon ffancois et catholique, plain de courage de charité et damour de Dieu, je ne ressamble point aux animaux amphi[b]ies, je n’ay ni la volonté ni le ceur double, corne ils ont deux elemants pour faire retraicté34 moins aussi aux harpes qui mettrent35 de hors un tres doux son et nen santent rien en elles mesmes, ni ne suis pas de ceux qui sont habillés de blanc au dehors et au dedans de rouge, reproche que fesoit jadis Alexandre à Antipater36 ; je suis tel enlame que le tesmo[i]gnent mes parolles, qui sont les caractères de ma volonté qui vallent vie a mon intantion ; je n’auray jamais le c[œ]ur double et seray touiours corne ce cube des geometres n’ayant qune mesme face ; et corne tel, je les desirerois bien voir à la lumière un a uri37, affin de pouvoir mieux calculer leur vie et leurs œuvres, conter tous les plis et replis de leur ame et desployer à plain jour les rides et descoupures de leur mauvaise coniuration et si, en donnnant ma vie, je la scavois esteindre et amortir, je leur ba[i]llerois desia tres volontiers38 affin que sur ce blanq39 ils y decochassent leurs mortelles flesches ; je massurerois que honorée de ses playes elle40 seniroit tout droit dans le Ciel espouser une eternité de gloire pour avoir servy de stafferme41 à la juste querelle de Dieu. Ah ! Que desia ils santent mal et puent de telle façon qu’ils en pouroint infecter tout le bon aire de nostre royaulme ! Leurs poulmont sont si pourris quils en crachent la bile ! Quils se retirent donc et bien avant hors de nous ; puisqu’ils desirent voir ces deux royaulmes abissmés dans les misères dune horrible confusion et confus en lhorreur de leur desolation. Je ne suis pas, Sacrée M agesté, pour doner du conseil en une affaire si important à toute la chrestianté : je suis trop jeune et come un enfant qui na encores ni forces ni adresse ; je mapprocheray de vostre sacrée persone bien que je sache quil fault use[r] des roys et des princes corne du feu, dont il ne se fault aprocher ni trop, ni trop peu de peur destre bruslés ou glacés, si est ce que42 maintenant je le veus faire avec vostre adveu43, pour la supplier tres affectuesemant que, puisque cest linterest de Dieu44, quelle remette premierement le tout entre Ses mains, et je massure qu’il destournera de dessus vostre sacrée persone la poincte cruelle de leurs armes et, vous guidant de sa lumière, soignera la santé de son corps45, y aportera quantes quand46 du remède et dissipera ces cornettes et ces exhalations eslevées de terre en lair de leur vanité, faira disparestre ces ames imfernales dans les nues de leur confusion (qui ne se playsent que dans le feu, que dans le fiel et le vinaigre du discorde et, samblables a le [a]u du Nil, [sont] ramplis de mil crocodilles [et] de bestes crueles et mefaysantes), si bien quil ne leur restera qun regret extreme de leurs foles prettantions, et par après, au jour de nostre grande feste, affin quils ne la troublent point par aulcunes tenebres de sedition il ne sera pas mauvais de fere par vostre dexterité et prevoyance quon face come ceux qui
In hostili regione versantur huc et illuc conspiciendum erit et ad amnem strepitum circum agenda cervix, [nisi hic timor expectare ejectus est] palpitantibus pracordiis vivitur47
18et, prevenant les desseins de ces traistre[s] (qui nont rien plus a perdre puisqu’ils ont desia perdu vos bones graces), en destourner les coups de loing avant que les attandre et nen tenir compte. Les accidants au desporveu48 meuvent les esprits des homes et font pallir les plus grans courages ; cest pourquoy Caton vouloir dire que toutes choses reussissent h[e]ureusemant avec laide du ciel avec le bon conseil et la diligeance :
Odi lenta remedia et segnes medicos illa enim non expetunt mala nostra49,
19disait celui la ; et come cest un conseil des médecins qui disent que pour esviter un mal contagieux il le fault fuir de boneheure, <et> ; ainsi croyje que leur malicieuse50 trahison, estant descouverte et mise en levidance de la lumiere, moura come le poysson mis en hors de son elemant et [que], come dautltres Icares51, [ils] brusleront leurs ayles pour sestre vouleus approcher trop pres du soleil. Si que52, piqué au vif de tant de poinctes de tant de voix secrettes qui battoint et rabattaoint mes aorelles53 de ceste pitouse nouvelle54 (laquele je vouleu loger à part et ne la joindre à ces crayons), qui na donné patiance à mon esprit qu’il ne mayst fait résoudre descrire55 et prandre la plume en main pour vous dire come quoy elle a este mon esquinance56 et mon démon incube qui avec des cordeaux57 invisibles me serroit la poictrine et le gosier, <et> ; come une navire contresoufflée58 de divers vants ne pouvant voguer ça ni la, enfin j’ay pris resolution de fere esvaporer les flammes de mon affection par les souspiraults de ma bouche, pour ne fere derriver sur moy l’infamie d’aulcun reproche mesmement59 de Vostre Magesté tant saincte et religieuse (si je l’eusse couvert d’un manteau de silance60) ou le vant de mon bonheur ma porté cidevant61 pour recepvoir lhoneur de vostre affection. Je scay que, bien que roy tres tres puissant et ramply de tant de divines perfections, le desdain neaulmoins na jamais habité en vostre ceur et quelle reguardera62 d’un œil favorable come elle a faict jusques icy la peincture63 dun tant zelé64 a la gloire de Dieu et a lunion de ces deux estais, et d’une persone qui recherche tant vostre affection, ce qui est le plus veu collosse de ma gloire65, la plus glorieuse image de mon honeur et d’aultant plus apparante et durable quelle sera bastie par la main et le c[œ]ur d’un si grand monarque, affin que je puisse dire, come disoit celluila dans Athénée :
Quam erit fortunatum splendide vivere quantum dii dederunt ostendere66.
20Et si vos enemis, qui eussent bien désiré que je feusse este samblable a ce simulachre dangeronias67, la bouche close pour nen dire mot, me veulent a presant mal, come ils font il y a desia longtamps (ah !, je ne doibs pas soucier de ces grenoulles importunes ni de ces cornelles de malédiction, mais come un espion divin je veus qu’ils sachent que je descouvert leurs embuches et revelees68, bien que je ne sois du nombre de ceux qui avoient jadis a Perse les principales dignittés, qu’on nomoit aorelles69, et pour cest effet ils tachent à me nuire), je feré come les mariniers qui ont recours a lancre au plus fort de la tonnante ; aussi, en la multitude de leurs persecutions, je rechercheray touiours lhoneur de vous bones graces qui me seront corne le port de mon salut et, bien que je sois proche des cataracte du Nil, neaulmoins leur bruit ne m’apportera jamais la surdité, ains70 feré daultant plus provision71 et me tiendray du pied coy72 la teste levée, lore[i]lle preste, mes yeux ouverts et travallans a les descouvrir de loing et, voyant leurs pas dressés contre Vostre Magesté, jiray audevant et, recognoissant leur malice, opposeray73 aux embuches de ces mes chants qui
paraverunt sagittas un obscura luna74.
21Mais Dieu, exaucant mes voeux, vous randra les lieux ou vous passerés plains de seurté, les chemins que vous tiendres75 vuides de malheurs et dacccidants, vous relevera de leurs precipices, voir de plus grands76, et ne voyent ils pas que vous estes loingt de Dieu77, qu’en vos mains pandent mil boucliers, armatura fortium78, et que vous tenés serré dans vostre sacree persone lange de Jacob, qui ne vous abandonera jamais jusques a ce quil vous ayt randeu victorieux sur vos enemis et, vous assistan continuellemant de sa présance, fera que vous jouirés come Roy tres bening79 de vostre royaulme en terre, que vous comanderés en paix et sans contradiction sur vos subiets et quapres vos jours seres admis a la participation de la courone de gloire dans le Ciel, ce que je desire de tout mon c[œ]ur corne estant,
22Sacrée et Catholique Magesté,
23Votre tres heumble et affectionné serviteur
24Jean de Quercy.
Notes de bas de page
1 Un petit crayon : « une petite esquisse », « un petit dessin au crayon » ?
2 Allusion au bouclier d’Achille forgé par Héphaïstos, ou à celui de Pensée, grâce auquel celui-ci put affronter Méduse, ou encore à celui de la foi...
3 Les morisques.
4 « Ils savent de nombreux maléfices... »
5 « Ils sont tout près, ils attendent, ils suivent pas à pas pour faire front ici et pour frapper à la moindre occasion. »
6 Antées : entées, c’est-à-dire greffées.
7 « À partir d’une grappe de raisin qu’elle a atteinte, la moisissure se propage... »
8 Allusion aux oiseaux monstrueux qui, selon la mythologie grecque, vivaient sur les bords du lac Stymphale et se nourrissaient de chair humaine. Ils furent exterminés par les flèches d’Héraclès, qui accomplit ainsi l’un des douze travaux que lui imposa Eurysthée. La thématique d’Héraclès/Hercule apparaît ailleurs dans la lettre (au paragraphe précédent et lors de l’évocation de l’hydre de Lerne, dont l’élimination fut un autre des travaux du héros fils de Zeus/Jupiter).
9 « Leurs dents, des dents de lions qui détruisent nos âmes... »
10 Si que : si bien que.
11 Il faut sans doute comprendre : « et que les murs de leurs maisons parvenaient encore moins à empêcher... ».
12 « Un maître en artifices et en inventions, qui vous fait des largesses... »
13 Esvelle : éveille.
14 « La nécessité fait loi et un péril extrême suffit pour inspirer la hardiesse, si on ne l’a pas eue en naissant, et sans le secours de cet artifice on ne trouve pas l’énergie d’endurer de telles situations. »
15 « Réduits au désespoir, ils deviennent invincibles. »
16 Voir supra n. 13.
17 « Thalès, à qui on demandait un jour... »
18 En 238, l’empereur Maximin Ier (r. 235-238) aurait été tué par les habitants de la ville d’Aquilée, qu’il assiégeait. Selon d’autres sources, il aurait été assassiné par ses propres soldats.
19 « Un long jour aiguise les cœurs des hommes, et l’épreuve accroît l’intelligence des malheureux et finalement les fait veiller sur leurs biens quand le sort s’appesantit sur eux. »
20 Aiglons illégitimes de leur père : faut-il voir ici un parallèle entre Philippe III et Jupiter (dont l’aigle était l’emblème) ? Les morisques seraient alors des « fils » (c’est-à-dire des sujets) illégitimes, étant incapables de loyauté à l’égard du souverain leur « père »...
21 Pour tout cela : malgré tout cela.
22 L’image de la vigne et celle du soleil ont déjà été employées pour évoquer le royaume de France et l’infante Anne.
23 « Pour racheter ton corps, tu supporteras le fer et les braises brûlantes et ne te laveras pas avec de l’eau ton visage altéré. »
24 Chelebote : ellébore.
25 « C’est en vain qu’on les verrait, réclamant de l’hellébore, s’efforcer de prévenir un mal imminent, alors que déjà se boursoufle leur peau malade. »
26 « Car une petite étincelle, si on la néglige, est capable de provoquer un grand feu. »
27 « Et, de ce que les plus grands malheurs ont des commencements modestes, il s’ensuit [ ?] qu’il est bien plus facile de faire obstacle aux germes des maux et d’empêcher leur développement que de les déraciner [une fois qu’ils se sont implantés] » (traduction conjecturale).
28 « J’ai vu pour ma part une plaie qu’on pouvait guérir à l’instant empirer parce qu’on avait longtemps tardé à la traiter. »
29 « Car les malheurs surgissent là où on les attendait le moins. »
30 Bluette : « Le mot désigne une petite étincelle, sens disparu en dehors des dialectes de l’Ouest » (Alain Rey [dir.], Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française ([3 vol.], Paris, Le Robert, 1998, t. I, p. 426).
31 Décernent : décident.
32 Allusion à l’épisode mythologique de la lutte des Géants contre les dieux de l’Olympe, qui finalement furent victorieux de leurs adversaires.
33 Le basilic est un reptile fabuleux dont le regard, croyait-on, était mortel. Ici, ce mot désigne sans doute, plus généralement, un serpent ou un dragon.
34 Le sens exact de ce passage reste pour nous obscur.
35 Mettrent : émettent.
36 Antipater (ou Antipatros) : lieutenant d’Alexandre le Grand, qui lui confia la régence du royaume de Macédoine pendant son expédition en Asie.
37 Un a uri : nous ne sommes pas parvenu à comprendre le sens de cette expression.
38 « ...Et si, au prix de ma vie, je savais le moyen d’étouffer et d’anéantir leur conjuration, de mon plein gré je leur livrerais ma vie à l’instant... »
39 Blanc : cible.
40 Elle : sa vie, c’est-à-dire son âme.
41 Stafferme : ce mot est sans doute à rapprocher de l’espagnol estafermo, qui désigne un mannequin monté sur pivot et tenant d’une main un écu que les cavaliers, lancés au galop, devaient frapper de leur lance. Sous l’effet du choc, le mannequin pivotait et les boules métalliques qu’il tenait dans l’autre main venaient s’abattre sur ceux qui n’étaient pas assez rapides ou pas assez habiles pour les éviter. En français, l’équivalent usuel de stafermo est quintaine (également appelé quintan ou faquin). À la fin du XVIe siècle, d’après Alain Rey (dir.), Le Robert. Dictionnaire historique de la langue française (3 vol.), Paris, Le Robert, 1998, t. III, p. 3047,1e mot quíntaine a pris le sens d’« objet d’attaques continuelles », et « la locution servir de quíntaine s’employait encore au XIXe s. comme variante de servir de cible. »
42 Si est-ce que... : « et pourtant... ».
43 Avec votre aveu : « avec votre autorisation, avec votre permission ».
44 La lutte (supposée) entre les morisques et l’Espagne engage l’intérêt de Dieu, puisque c’est la religion catholique qui est menacée à travers l’Espagne, son principal soutien.
45 L’auteur emploie la deuxième, mais aussi la troisième personne pour s’adresser à Philippe III ; il pourrait donc s’agir ici de la personne physique du roi. Cependant, il s’agit plus probablement ici de la religion et de l’Église catholiques, qui sont le « corps » de la Divinité.
46 Quantes quand : « en même temps ».
47 « [Ceux qui] se trouvent en un pays ennemi doivent porter leurs regards d’un côté et de l’autre et tourner 1a tête vers le fleuve bouillonnant ; si cette crainte qu’on éprouve à attendre n’a pas été chassée, on vit le cœur battant. »
48 « Les accidents qui surviennent à l’improviste... ».
49 « Je hais les remèdes lents et les médecins nonchalants, tout cela en effet ne cherche pas à guérir nos maux. »
50 Malicieuse : méchante, fourbe.
51 « Comme de nouveaux Icares... ».
52 Si que ; voir supra n. 10.
53 Aorelles ; oreilles.
54 II s’agit de la menace, évoquée au début de la lettre, d’une invasion morisque en Espagne.
55 « ...Qui n’a pas laissé mon esprit en repos avant qu’il ne m’ait fait résoudre d’écrire... ».
56 Esquinance : esquinancie, infection de la gorge (qui empêche de parler).
57 Cordeaux : cordes.
58 « Comme un navire sur lequel soufflent tour à tour des vents opposés... ».
59 Mêmement : surtout, principalement.
60 « Si j’avais caché cette nouvelle sous un manteau de silence... ».
61 Ci-devant : précédemment.
62 « ... Et que Votre Majesté regardera... ».
63 « ... Comme elle a jusqu’à maintenant regardé la peinture... » : nouvelle allusion aux « crayons » ?
64 « ...D’un homme qui déploie tant de zèle pour la gloire de Dieu... ».
65 « ... Ce qui est la statue la plus visible élevée à ma gloire... ».
66 « ...Montrer, autant que les dieux l’auront permis, quel destin fortuné c’est que de vivre dans le luxe. »
67 Sans doute faut-il comprendre : « ... Cette dangereuse idole... ».
68 « .. J’ai découvert leurs guet-apens et les ai dénoncés... »
69 Dans la Perse de l’Antiquité, des hommes de haut rang, dénommés « les yeux et les oreilles du roi », avaient mission de parcourir tout le territoire puis de rendre compte directement au souverain de ce qu’ils avaient vu et entendu.
70 Ains : mais au contraire.
71 « ... Je me préparerai d’autant plus... »
72 Coi : tranquille.
73 Opposerai : « Je ferai obstacle... ».
74 « [Qui] ont préparé leurs flèches sous une lune obscure. »
75 « ...Les chemins que vous suivrez... ».
76 « [Dieu]...vous sortira des précipices qu’ils [les morisques] ouvriront sous vos pas, et même d’autres encore plus grands... ».
77 « ...L’oint de Dieu... ».
78 Armatura fortium : « armes des braves », « armes des hommes de courage ».
79 Benin : bienveillant.
Notes de fin
i La typographie et la ponctuation du texte ont été modernisées ; l’orthographe a été respectée, sauf quand elle pouvait être source de confusion. Les notes proposées s’efforcent, dans la mesure du possible, d’expliciter le sens du texte. Sur Jean de Quercy, voir notre Répertoire des espions (pp. 630-631).
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