Chapitre v
Les immunités diplomatiques, le droit des gens et le protocole
p. 211-255
Texte intégral
1L’action diplomatique consiste à observer, à négocier et à représenter. Ces trois missions nécessitent au préalable un accord juridique entre les parties, car elles exigent des deux puissances souveraines une renonciation à certaines compétences juridictionnelles pour que les principes liés à l’immunité diplomatique et à la question du droit des gens puissent s’appliquer à l’ambassadeur et à sa suite. L’échange de représentants par les souverains conduit donc à formuler, voire à codifier, un cadre théorique et juridique pour permettre une réciprocité des relations et des attitudes communes, ce qui revient à définir un statut particulier aux diplomates, à leur personnel et à leur famille. Afin de protéger les nationaux à l’étranger, des lois spécifiques adaptées au droit des gens (jus gentium) apparaissent donc lors de la naissance des États modernes et de la diplomatie, avec la présence d’un « défenseur » permanent à l’étranger incarné par le diplomate.
2Ces cadres ne sont pas nouveaux. Ils font appel aux traditions gréco-romaines et au droit canon. Le caractère sacré et inviolable des représentants à l’étranger est un fait avéré pour les périodes les plus anciennes. À Rome, les envoyés chargés des relations avec les peuples étrangers sont des prêtres, les féciaux. En droit romain, l’immunitas est l’exemption d’un munus. Par munus, on entend toutes sorts d’obligations imposées par la loi, la coutume ou l’autorité. Selon le Dictionnaire de théologie catholique,
S’inspirant de cette conception, les canonistes définissent l’immunité [comme] le droit en vertu duquel les lieux, choses et personnes ecclésiastiques sont libres et exemptes d’une charge ou d’une obligation1.
3La triple immunité constatée dans le domaine religieux se retrouve plus tardivement dans le droit diplomatique2, avec l’immunité locale et la protection de l’ambassade, l’immunité personnelle, quand les représentants et personnels sont à l’abri de la juridiction commune, et les immunités réelles, qui portent sur les choses, c’est-à-dire les revenus et consommations qui ne sont pas soumis aux taxes et impôts ordinaires.
4La question de la représentation diplomatique – un individu incarnant autre chose que lui-même, un « ailleurs » étranger au pays où il réside – implique la confrontation de deux juridictions différentes : celle de la puissance accréditive et celle de la puissance d’accueil. S’il n’existe pas au XVIIe siècle de convention internationale codifiant les règles à observer envers un diplomate, un consensus existe cependant en la matière. Il recueille les anciennes conceptions du droit canon : on accepte la notion toute théorique d’exterritorialité, cette
fiction diplomatique en vertu de laquelle les agents diplomatiques accrédités auprès d’un gouvernement étranger sont censés résider dans le pays qu’ils représentent et non sur le territoire sur lequel ils exercent leur fonction3.
5Là encore, dans quelle mesure le droit d’asile de l’Église a-t-il influencé cet usage de l’époque moderne ?
6En outre, la conjonction des notions de franchise, de privilège et d’exemption, qui sont étroitement liées aux pratiques législatives des gouvernements d’Ancien Régime, se trouve accentuée par la qualité des représentants envoyés auprès des souverains. Leur personnalité et leur statut social, leur appartenance à la noblesse – la plupart étant issus de lignages de premier rang – renforcent ce principe et cette valorisation de la notion de privilège.
7Leur rôle de représentation est inhérent à leur origine et à leur fonction sociale. Sans vouloir anticiper sur la deuxième moitié du siècle, les remarques de Norbert Elias sur l’étiquette courtisane demeurent applicables au cérémonial diplomatique :
Par l’étiquette, la société de cour procède à son auto-représentation, chacun se distinguant de l’autre, tous ensembles se distinguant des personnes étrangères au groupe et tous ensemble s’administrant la preuve de la valeur absolue de leur existence4.
8Remplaçons étiquette par cérémonial, société de cour par corps diplomatique, et nous trouverons des agents fiers du souverain et de la puissance qu’ils incarnent, sourcilleux sur les places et positions qu’on leur accorde, attentifs à sauvegarder les apparences et attachés aux préséances et privilèges qui les distinguent. Ces aristocrates qui représentent leur maître à l’étranger agissent en réalité pour un double compte. D’une part, en tant qu’individus en rapport avec leur souverain, ils doivent démontrer leur capacité, et donc manifester avec ostentation leur présence. D’autre part, toujours dans le cadre de cette même éthique, ils sont les représentants de leur prince face à un autre groupe. Il s’agit maintenant d’une puissance qui dépasse leur propre individualité en même temps qu’elle rejaillit sur leur personne. Leur fonction consiste à faire reconnaître de tous l’importance de leur maître...
9Les multiples querelles protocolaires s’insèrent dans un triple niveau de relations : entre entités souveraines, à l’intérieur du monde nobiliaire et, enfin, entre souverain et serviteur. Les innombrables disputes relatives aux immunités, au logement, à la maison des ambassadeurs, au protocole et au cérémonial appartiennent à ce jeu de la représentation, non plus seulement en tant qu’enjeu social, mais comme rapport de force politique.
10Le devoir des diplomates ne se borne pas à représenter leur souverain, à observer la puissance d’accueil et à négocier avec elle : il leur impose aussi de défendre les intérêts des régnicoles dans le pays où réside la mission. Les lois étant différentes d’un royaume à l’autre, l’ambassadeur s’attache, dans l’exercice de sa charge, à préserver les biens et les sujets de son maître. Le droit des gens (jus gentium) fait l’objet d’études importantes au cours des XVIe et XVIIe siècles, depuis le dominicain espagnol Francisco de Vitoria (v. 1492 - v. 1546), considéré comme le premier théoricien moderne de ce droit, jusqu’à Grotius (Hugo de Groot), qui fut chargé pendant notre période de diverses missions diplomatiques5. L’élaboration de formes juridiques se trouve directement en prise avec les problèmes du temps. Publié en 1625, le traité du Hollandais, intitulé Droit de guerre et de paix (De jure belli ac pacis), traite des questions relatives à la reprise de la guerre entre les Provinces-Unies et l’Espagne. Datant de la première décennie du siècle, son Mare liberum répond aux problèmes – évoqués par les négociations de la trêve de Douze Ans – que soulève la question de la circulation commerciale et maritime. Ce droit des gens n’apparaît donc pas immuable et désincarné, loin de là : au contraire, il s’insère dans un contexte historique précis. L’écho rencontré par ces deux ouvrages de Grotius auprès des diplomates et praticiens d’un droit international en gestation rend ceux-ci d’autant plus vigilants à l’égard de la situation des gens de leur nation dans le pays où ils résident.
11Cette préoccupation pour les sujets d’un même souverain émerge tardivement. Elle est l’héritage d’une société médiévale guerrière. Elle suppose la recherche de la paix, « don de Dieu » au Moyen Âge, que les théoriciens de la fin du XVIe siècle, Étienne Pasquier ou Jean Bodin, commencent à considérer comme la condition normale et naturelle pour les hommes. S’il est vrai que l’aristocratie valorise la condition militaire, doit-on, simultanément, lui conférer un rôle de vecteur de l’» idéologie de paix6 »? Il est paradoxal de constater que tous nos diplomates sont issus de cette couche sociale. Or, l’un des objectifs que nous assignons de nos jours à ces émissaires réside dans la sauvegarde de la paix. Peut-on estimer que cela vaut aussi pour le XVIIe siècle ? Les développements bellicistes de Feria, Villafranca ou Mirabel semblent indiquer un attachement plus grand aux valeurs d’honneur, de réputation et de vertu (liées au domaine de la guerre) qu’aux valeurs de quiétude et de paix, étrangères le plus souvent à la noblesse.
12La « vague de paix » des années 1600-1620, qui voient paraître les œuvres de Grotius, a pu stimuler les conceptions pacifistes et les pratiques bilatérales, encourager une codification des relations entre puissances et faire intervenir plus souvent le droit des gens. La démultiplication des relations diplomatiques parmi les principaux États souverains contribue à la diffusion de cet intérêt et, concrètement, incite à défendre les régnicoles du prince représenté.
13Ces facteurs de nature « pacifique » sont importants, bien qu’il faille conserver à l’esprit que les sociétés modernes connaissent un développement chaotique où les conflits demeurent quasi permanents, ne faisant qu’alterner dans le temps et dans l’espace.
14Enfin, les problèmes consulaires occupent une large place dans la correspondance diplomatique. Leur contenu renvoie le plus souvent aux affaires commerciales et à leur codification juridique : quel droit appliquer à un commerçant étranger dans les ports français ou espagnols ? Est-il ou non possible d’acheter ou de posséder des biens dans un autre territoire que celui de son souverain ? Peut-on arrêter un étranger et en vertu de quelles normes ? Le cas échéant, que faire des biens confisqués ? Ces questions sont loin d’être secondaires car l’Europe s’ouvre au monde et les échanges, le trafic et les affaires sont en forte croissance. Ces changements matériels obligent de plus en plus souvent les diplomates à aborder les questions consulaires et à défendre les sujets de leur prince auprès du souverain local. De plus, les différends en matière consulaire entre le royaume de France et la Monarchie Catholique dépassent l’ordre des préoccupations simplement commerciales. En effet, ils posent les problèmes de la réciprocité, de la capacité de chacun des deux monarques à étendre son propre réseau à l’étranger et à accepter une confrontation sur le monopole législatif que les princes voudraient s’attribuer, au moins en ce qui concerne la présence étrangère.
15Ces rapports sont des rapports de force, et ils sont de bons indicateurs de l’aptitude des deux couronnes à employer de nouveaux outils pour représenter et étendre leur pouvoir.
I. - Les immunités diplomatiques
16L’immunité protégeant les locaux diplomatiques. – Les immunités personnelles. – Les immunités matérielles.
17Les privilèges généralement accordés aux diplomates de quelque prince souverain que ce soit se rapportent donc aux personnes, aux lieux et aux biens meubles. Parmi ces trois immunités, celle qui entraîne le plus de contestations entre dirigeants espagnols et français est l’inviolabilité des ambassades et des personnes, particulièrement celle de la suite de l’ambassadeur et de ses secrétaires. L’exemption des marchandises est moins sujette à conflits.
L’immunité protégeant les locaux diplomatiques
18Dans la représentation considérée comme une mise en scène des pouvoirs, le logement tient une place importante. Élément de prestige et fonction sociale sont étroitement imbriqués dans l’espace architectural. Malheureusement, aucune des lettres des ambassadeurs espagnols ne fournit de précisions à propos de leurs hôtels à Paris, sur la disposition des lieux, sur l’importance de la décoration, sur les choix qui ont présidé à leur agencement. Néanmoins, cet espace, si nous n’en connaissons pas l’organisation, apparaît comme un lieu sacré, hors de portée et impénétrable. Dès avant le XVIIe siècle, il est clair pour tous que ce lieu est inviolable, inaccessible sans l’autorisation du diplomate. L’exterritorialité garantit le silence des murs de la résidence.
19En Espagne, le Roi Catholique doit faire une mise au point afin d’éviter la multiplication des résidences ayant un statut extraterritorial :
Quelques inconvénients importants sont nés de l’extension par les ambassadeurs résidents en cette Cour du privilège de l’immunité de leurs maisons à des annexes et à d’autres [demeures] qu’ils louent. Pour remédier à cela, j’ai décidé que le droit d’asile ne sera valable pour les fugitifs que lorsqu’ils seront accueillis dans la maison où vit ledit ambassadeur, et que l’on ne devra en aucune manière étendre cette immunité aux annexes ou aux maisons louées, dans lesquelles vous pourrez les rechercher et les prendre7.
20Cette définition des lieux échappant à la juridiction royale pose la question des limites géographiques précises des immunités. L’ambassadeur français à Madrid semble avoir joué avec l’ambiguïté de la détermination de ces espaces lors de l’affaire de l’asile donné à Agostino Fiesco en 1625. À en croire le Conseil d’État espagnol, ce trésorier de la croisade8, d’origine génoise,
a conservé par-devers lui quatre cent mille ducats des finances de V. M. et six cent mille de ses vassaux. Il se trouvait, au su et vu de tous, dans la demeure de l’ambassadeur de France et non seulement il était arrivé à cela par manque de respect de la justice, mais en plus il est sorti se promener dans une voiture avec l’ambassadeur. Un des conseillers les a rencontrés ainsi ensemble. De plus, on a entendu que beaucoup de Génois allaient le visiter [à l’ambassade de France] et allaient y traiter des choses présentes et de l’état des finances royales de V. M.9.
21Dans un moment de tension entre les deux couronnes (à la suite des interventions française en Valteline et franco-savoyarde à Gênes), l’exercice du droit d’asile permet au représentant français de narguer la monarchie hispanique. Dans ce cas précis, le droit d’asile paraît s’étendre au carrosse du diplomate, malgré les dénégations de celui-ci de s’être jamais promené avec Fiesco10. Ces pratiques favorisent les activités souterraines des ambassadeurs et expliquent la surveillance fréquente dont font l’objet les résidences. Ainsi, en 1601, à bout de ressources, Gérard de Raffis, ancien ligueur réfugié à Madrid, accepte de surveiller les alentours de la maison du comte de Barrault, l’ambassadeur d’Henri IV, afin d’y surprendre de possibles traîtres à l’Espagne11.
22Dans le royaume de France, les diplomates se voient accorder des immunités semblables. La plupart du temps, de même qu’en Espagne, l’inviolabilité de la résidence est respectée par les autorités. Les seuls cas de violation de cet espace se produisent à la suite de rixes avec la suite ou les domestiques de l’ambassadeur, et se doublent donc d’une violation de l’immunité personnelle.
23Il existe parfois des dérogations, plus ou moins tolérées par le diplomate, qui permettent à des tiers de pénétrer dans l’enceinte de la résidence. En juillet 1618, Monteleón raconte au Conseil d’État qu’étant absent, des hommes de justice entrèrent dans sa maison sous prétexte de rechercher un délinquant. Naïf – ou, peut-être, ne voulant pas envenimer ses rapports avec les dirigeants français –, il affirme au Conseil d’État que la violation de son domicile n’avait pas été effectuée sur ordre du roi. Après que l’ambassadeur eut fait part au roi et à Luynes de cette pratique pour le moins inhabituelle, ces derniers l’assurèrent d’une prompte et juste punition du responsable. Le premier écuyer vint le trouver un peu plus tard pour lui annoncer qu’on avait démis de son office le responsable de l’intervention dans l’ambassade12.
24Ce type d’infraction à l’immunité diplomatique s’avère extrêmement rare. En 1608, on trouve un exemple de collaboration entre l’ambassadeur et les responsables français pour se saisir d’un personnage ayant trouvé asile dans la résidence diplomatique. Mais avant que les autorités locales ne franchissent la porte de l’ambassade, Cárdenas – car il s’agit de lui – rencontre le Chancelier pour lui rappeler le principe de l’inviolabilité de sa demeure, ce que reconnaît immédiatement le Chancelier. Cárdenas ne remet l’homme aux agents français que pour être agréable au roi de France13. De telles pratiques constituent des cas exceptionnels et, en général, elles répugnent aux diplomates, de peur de créer des précédents. Bien évidemment, la surveillance de l’ambassade n’est pas une pratique exclusivement espagnole. En juin 1624, Richelieu procède de la même manière pour pénétrer les desseins et découvrir les agents de Mirabel14.
25L’attribution de ces résidences dépend en grande partie des coutumes propres à chaque puissance accréditive. Le plus souvent, le diplomate n’est pas logé où il le voudrait. Dans son traité sur les ambassadeurs, Benavente précise15 :
Ceux qui logeraient des ambassadeurs dans des maisons particulières sans en avoir l’ordre, Philippe les punit ; à Venise, il est interdit de louer une maison à un ambassadeur sans autorisation de la République. Le Roi Catholique, mon seigneur, en donne une à tous les ambassadeurs et résidents des princes qui paraissent à la cour, sans qu’ils paient rien pour cela, ce que je n’ai jamais vu faire par un autre prince, à part la République de Gênes, où on en donne une à l’ambassadeur d’Espagne.
26Nous ne connaissons pas les règles qui en France président à l’attribution des logements des diplomates. Les sources restent silencieuses sur ce thème, comme sur les autres aspects pratiques. On sait seulement qu’en 1605, l’ambassade espagnole est installée dans l’hôtel d’Ô, rue Vieille du Temple, d’après les pièces du procès de Mérargues, qui s’y rendit deux fois.
27Il est certain que le « bon roi Henri IV » ne paie pas les frais de logement des diplomates. Plusieurs ambassadeurs espagnols signalent le fait. Züñiga, en mars 1607, rappelle à Madrid qu’il n’a pas été payé depuis longtemps et qu’il a avancé les frais de logement de l’ambassade16. En 1611, on retrouve à la tête des affaires de financement du logement un vieux compagnon d’Henri IV, le Lucquois Sébastien Zamet, déjà bien connu du Conseil d’État espagnol17. Selon Cárdenas, ce financier18, surintendant général de la maison de la reine depuis 160319, reçoit de la régente douze mille écus de solde avec pour charge de loger les étrangers que le roi lui envoie. L’apparat est indispensable à la résidence d’un ambassadeur. La richesse de l’ameublement et de la vaisselle doit correspondre à la situation sociale du diplomate et à la puissance de son souverain, ce qui entraîne très probablement des frais considérables. Il est donc logique que ce budget grève lourdement les ressources de la mission. Dans une lettre au secrétaire d’État Aróstegui, Cárdenas reconnaît devoir à Zamet la somme colossale de quarante-cinq mille deux cent seize ducats, montant qui correspond certainement aux frais de résidence. Bien entendu, l’ambassadeur affirme qu’il se trouve dans l’impossibilité de rembourser et demande de nouveaux secours financiers à Madrid20.
28Si l’entretien de l’ambassade parisienne est une lourde charge pour le résident ordinaire, la question de l’hébergement est beaucoup plus simple pour les ambassadeurs extraordinaires. Traditionnellement, le roi de France prend à sa charge les frais de leur séjour21. Lors de sa mission, qui dure de 1608 à 1609, Pedro de Toledo est hébergé près de la porte Saint-Germain, dans un hôtel appartenant à Marie de Médicis, face à l’hôtel de Gondi22. À partir de 1621, la situation change avec la création de l’hôtel des ambassadeurs extraordinaires23. L’accueil réservé aux ambassadeurs extraordinaires renseigne sur l’importance de la mission et l’humeur des autorités françaises. Ainsi, en 1628, Lorenzo Ramírez de Prado est hébergé par l’ambassadeur ordinaire, Mirabel. Étant d’un grade moins élevé dans la hiérarchie diplomatique que Villafranca ou Feria, il n’a pas droit à un logement fourni par la monarchie française24.
29L’exterritorialité de la résidence habituelle des ambassadeurs ordinaires et extraordinaires est clairement admise et les espaces concernés aisés à délimiter, mais il en va différemment des résidences temporaires. Or, par obligation, les diplomates doivent suivre le roi de France au cours de ses nombreux déplacements. D’Italie à Lyon, de Fontainebleau à La Rochelle, les ambassadeurs s’efforcent d’fait >accompagner le souverain. Ceux de la Monarchie Catholique demandent d’ailleurs souvent au Conseil d’État d’être exemptés de l’obligation d’accompagner le Roi. Le coût de ces voyages les gêne – pensons par exemple à l’entretien de la maison de l’ambassadeur et de son abondant personnel. Ils s’efforcent donc souvent d’échapper à ce devoir et obtiennent parfois l’autorisation de rester à Paris. En mars 1606, Irarraga prévient Philippe III qu’il ne suivra pas Henri IV dans ses déplacements en province entrepris pour s’opposer au duc de Bouillon. Il se justifie en disant qu’à l’exception de l’ambassadeur des Provinces Unies les autres diplomates feront de même, d’autant que la reine reste à Paris pour y représenter l’autorité royale25.
30Aucun document n’évoque le statut des appartements occupés par les diplomates dans les résidences royales. Attribués à titre temporaire, ces logements bénéficient certainement de l’immunité propre aux locaux diplomatiques, mais celle-ci y est logiquement plus fragile qu’à l’intérieur des murs de la mission.
31Les attributions de résidences temporaires auprès du souverain sont souvent l’occasion de vexations. Le refus d’héberger l’ambassadeur Girón dans la résidence royale de Compiègne a déjà été évoqué. Ce qui choque, lors de cet incident, c’est le fait que les responsables français attribuent au représentant espagnol un logement à Crépy, c’est-à-dire à quatre lieues de Louis XIII (environ seize kilomètres)26. Il n’est pas pensable pour un diplomate d’être cantonné à la périphérie du souverain : soit le roi se trouve dans un tout autre lieu, à la campagne ou en villégiature, et un pouvoir intérimaire reste à la portée du représentant (c’est le cas de Mirabel avec Marie de Médicis à Paris en 1628), soit le roi conserve à ses côtés l’ambassadeur espagnol. Ce sont les notions d’éloignement et de cantonnement qui sont jugées inacceptables ici. On rencontre cette problématique de la proximité du pouvoir souverain à plusieurs reprises dans la correspondance diplomatique. En juin 1633, dans le contexte des mauvaises relations entre Benavente et Louis XIII, Philippe IV écrit à son ambassadeur qu’il est anormal qu’il soit logé hors du château de Fontainebleau et qu’accepter cette situation va à l’encontre de la coutume et « contre ce qui se faisait envers vos prédécesseurs dans cette charge27 ». Nous ne connaissons pas les conditions dans lesquelles sont logés temporairement les diplomates dans les résidences royales. D’après une lettre de Fernando Girón au secrétaire Ciriza, il semblerait que l’hébergement soit facturé aux ambassadeurs. À cette occasion, en effet, Girón note que Louis XIII refuse de fournir un appartement aux diplomates étrangers à moins qu’ils ne paient huit cents ducats à l’année. Et Girón de se plaindre à son correspondant de l’insuffisance de ses ressources28.
32Globalement, la correspondance espagnole fournit bien plus de renseignements sur les conditions matérielles et les problèmes de logement pour la mission diplomatique française en Espagne que pour l’ambassade espagnole à Paris. On y trouve consignées les plaintes et pétitions de l’ambassadeur français et de ses secrétaires. Lorsque Du Fargis, envoyé par Louis XIII, arrive à Madrid pour annoncer à Philippe III le mariage de Marie-Christine de France avec le duc de Savoie, on apprend que le secrétaire de l’ambassade de France réclame de bonnes conditions d’accueil. Le Conseil d’État lui accorde une maison avec
des tentures, des lits comme d’habitude, et les jours où ce chevalier sera ici, on lui enverra des viandes à sa maison pour son repas et comme cadeaux, de manière qu’on ne lui témoignera pas la sécheresse que mérite le motif de sa venue29.
33Par cet accueil entouré de démonstrations ostentatoires, les responsables de la monarchie espagnole entendent répondre à l’affront d’un mariage contraire à l’alliance franco-espagnole. On prépare un logement avec des tentures, nécessaires pendant l’hiver madrilène, et l’on fait étalage de prodigalité.
34En Espagne, c’est le monarque qui fixe les règles concernant les conditions régulières de logement des diplomates. L’ambassadeur doit passer par les aposentadores, « logeurs » officiels de la cour du roi d’Espagne. Une note du « conseil et junte des finances » signale :
V. M. a ordonné que l’on paie les loyers aux propriétaires des maisons dans lesquelles les ambassadeurs résidèrent, et cela jusqu’en 1608, ainsi que le recommande un rapport des aposentadores30.
35Est-ce à dire que le roi d’Espagne défraye les ambassadeurs quant au logement ? Le remplacement de Du Fargis par Barrault en 1629 le laisse entendre quand il est affirmé que le nouvel ambassadeur a reçu huit mille réaux (environ sept cents écus) afin de pouvoir trouver une maison31. Une requête de l’ambassadeur de France à Madrid montre que cette solution, si économique soit-elle pour le Roi Très-Chrétien, n’est pas obligatoirement la plus simple. En 1621, écrivant au secrétaire Ciriza, le représentant français se plaint de ce que les aposentadores lui ont assigné un logement qui ne correspondait pas à sa qualité. Il menace de chercher lui-même à louer une maison si on ne lui donne pas une meilleure résidence. Enfin, il précise que, dans ces conditions, une telle démarche créerait un précédent32.
36Ce problème de la dignité de la résidence à accorder à un ambassadeur se transforme en question d’État lorsque les désaccords deviennent irréductibles. L’ambassadeur La Rochepot vise en premier lieu à obtenir la maison que vient de quitter le comte de Castro33, mais la propriétaire, doña Vitoria Grimaldo, refuse de louer sa demeure aux Français, craignant leurs débordements34. Un compromis est recherché et, à la fin janvier 1621, les aposentadores attribuent à l’ambassadeur la maison de Luis Felipe de Guevara. Or cet Espagnol proteste auprès du souverain. Il est en effet exempté de l’obligation de mettre sa demeure à la disposition du roi d’Espagne. Profitant de l’absence de La Rochepot, occupé par une audience à la Cour, Guevara obtient d’un alcalde de Casa y Corte35, secondé d’officiers de justice chargés du maintien de l’ordre (alguaciles) et d’un greffier, la pose de scellés sur les portes de la maison au moment même où les effets de l’ambassadeur arrivent dans la nouvelle résidence. Il s’ensuit un pugilat entre la suite du diplomate, prompte à mettre la main à l’épée, et les Espagnols, parmi lesquels on dénombre des blessés. L’incident aurait pu s’arrêter là, mais, par solidarité diplomatique ou par alliance « naturelle »,
La famille de l’ambassadeur de France demanda de l’aide à l’ambassade de Venise, qui se situe dans la même rue. Ensemble, ils attaquèrent la maison et montèrent aux balcons, et avec des couteaux, jetèrent hors de la demeure les deux alguaciles, le greffier et un portier...
37De retour dans la résidence, tenue par les siens et ses alliés vénitiens, l’ambassadeur se voit demander par les autorités la remise des coupables de cette algarade. Selon cette relation de l’incident envoyée à Mirabel,
Il répondit plusieurs fois, promettant que lui et ses gens étaient déterminés à mourir avant de consentir qu’on anéantisse sa prééminence et, avec cette résolution, il descendit [...]. Voyant que plus de quatre mille personnes s’étaient assemblées, l’alcalde se résolut à suspendre l’exécution de l’ordre et ordonna au secrétaire de l’ambassadeur et à ses gens qu’ils gardent la maison sur ordre du Conseil jusqu’à ce que celui-ci prenne une décision. Il les assura qu’il allait débarrasser la rue et les protéger des gens assemblés36.
38Quelques jours plus tard, lors d’une rencontre plus pacifique entre La Rochepot et Zúñiga37, l’ambassadeur reconnaît que ses gens ont quelque peu dépassé la mesure, un agent espagnol ayant succombé à ses blessures. Il accepte de remettre ses serviteurs à la justice, à condition d’obtenir raison contre les alguaciles38. Un nouveau logement lui est attribué, puis un autre encore, car le précédent ne convenait toujours pas au diplomate. Afin de témoigner sa réprobation au représentant français, le roi lui refuse par deux fois audience, mais la lui accorde à la troisième39. Fin mars, l’incident est enfin clos, les gens de La Rochepot sont libérés au bout de quelques jours de détention et les exécutants espagnols sont désavoués par leur roi pour ne pas avoir pris en compte l’immunité protégeant la demeure40. L’ambassadeur peut enfin vivre avec ses gens dans une résidence qui lui paraisse digne de son rang et de son souverain. Les relations se normalisent41, malgré quelques chicanes financières à propos de la prise en charge des frais de résidence42.
39De cet épisode, qui montre l’importance accordée à la résidence diplomatique, ressortent cinq points dignes d’intérêt. D’abord, la situation géographique de l’ambassade est essentielle. Nous n’avons pas trouvé de gravure de ces maisons, mais la lecture des pages de Norbert Elias consacrées aux demeures princières43 permet de comprendre les correspondances mentales entre les notions de pouvoir, d’influence, de dignité et la place concrète du logement, sa situation, son agencement, son accès, etc., toutes choses qui ne peuvent laisser indifférent le représentant du Roi Très-Chrétien à Madrid et exigent de sa part attention et soin. D’autre part, la soudaineté et la violence de l’algarade soulignent la fragilité des rapports bilatéraux. Certes, ces relations s’insèrent dans un contexte plus large que celui de la simple résidence d’un diplomate, mais celui-ci, sa famille et ses serviteurs se conçoivent comme un des éléments manifestant leur propre prestige ainsi que l’honneur de leur souverain. En troisième lieu, la solidarité entre les gens de l’ambassade de Venise et ceux de La Rochepot affrontant ensemble les alguaciles espagnols peut-elle s’interpréter comme l’affirmation de valeurs propres au corps diplomatique ou bien doit-on simplement en rechercher la cause dans l’union traditionnelle, face à l’Espagne, entre la Sérénissime et le roi de France ? Par ailleurs, le rassemblement du peuple, rapide et nombreux, contre les serviteurs des deux ambassades, laisse entrevoir la coexistence d’un double sentiment : d’un côté, une xénophobie largement partagée à l’encontre des gavachos, de l’autre, une hostilité envers des privilégiés dont on sait qu’ils peuvent trafiquer sur les marchandises non taxées de la Dépense, comme nous le verrons44. Enfin, les chicanes financières du Conseil d’État laissent planer une ambiguïté sur la prise en charge des frais de résidence des diplomates et illustrent les difficultés que rencontre le pouvoir, quand il prétend contrôler l’attribution de leur demeure.
40En dépit de ces quelques accrocs, souverains et diplomates de France et d’Espagne respectent l’exterritorialité de l’ambassade, car cet avantage est bien trop utile pour le maintien de bonnes relations et surtout pour la gestion des relations internationales.
41L’ambassade constitue le cœur du prince à l’étranger. Son statut particulier, fragment de ses possessions au centre des territoires d’un autre souverain, aboutit à nouer des relations symboliques liées à l’espace géographique de la résidence. Cárdenas souligne l’importance des visites et celle des émissaires qui arrivent à l’ambassade. Il signale notamment celle qu’il a reçue le 15 mai, soit le lendemain de l’assassinat d’Henri IV :
Samedi à deux heures de l’après-midi, la Reine envoya quelqu’un me visiter et me faire savoir comme son fils avait été reçu au Parlement, et comment elle avait été nommée régente45.
42Par cet acte, Marie de Médicis manifeste l’intérêt qu’elle porte au représentant du Roi Catholique. Elle ne se déplace pas personnellement, mais, déléguant des émissaires auprès de l’ambassadeur, elle accomplit la première cette démarche d’estime. Cárdenas l’apprécie comme telle. Nous avons vu que, le jour même de l’assassinat, la reine a démontré son attachement à l’inviolabilité de la résidence, ordonnant que des gardes la protègent d’éventuels attroupements populaires46 : il s’agit là d’une obligation envers la puissance étrangère représentée. Cependant, depuis Venise, Bedmar envoie une tout autre interprétation de cette protection française de l’ambassade espagnole à Paris :
Les avis de France que j’ai notés dans la lettre du 5 pour V. M. relatent que les gardes qu’ils placèrent dans la maison de don Íñigo de Cárdenas, sous couleur de la protéger contre toute sorte de mouvement populaire, le furent [en réalité] pour l’arrêter si des indices le montraient coupable dans le procès qu’ils étaient en train de faire sur la mort du Roi, encore que, jusqu’à présent, le coupable n’ait pas indiqué de complices47.
43Entre cette analyse par Bedmar de l’ordre de la régente et celle de Cárdenas, il reste le fait majeur que, pour un souverain, aider un diplomate à sauvegarder sa résidence, c’est aussi une manière de contrôler cette maison étrangère.
44À plusieurs reprises, nous retrouvons l’idée de la résidence conçue comme lieu de négociations informelles ou officielles. Au moment des pourparlers sur les contrats de mariage, Villeroy, malgré son grand âge, se rend à la résidence espagnole pour discuter les différents articles48. De telles visites à l’ambassade se reproduisent fréquemment lorsque les autorités veulent insister sur l’importance qu’elles reconnaissent au représentant.
45La mission possède aussi une fonction d’accueil et de coordination beaucoup plus prosaïque : celle de recevoir des espions et des informateurs. L’immunité explique peut-être certaines imprudences, car la résidence est souvent surveillée par les Français. À plusieurs reprises, des diplomates s’entretiennent avec des agents à l’intérieur même de l’ambassade, comme Tassis avec le nommé La Four49, bien que cet homme soit déjà connu des services français50. Zúñiga fait de même et reçoit plusieurs fois dans sa demeure le Provençal Louis de Mérargues51. L’arrestation de celui-ci est-elle liée à cette fréquentation trop visible ?
46À mi-chemin entre symbole de prestige et lieu nocturne de rencontre, la demeure sert aussi à accueillir de grands aristocrates. Il peut s’agir pour eux d’un honneur, parce que leur puissance est ainsi reconnue par le représentant du souverain le plus influent d’Europe. Ils peuvent aussi trouver à l’ambassade un réconfort, lorsque la situation politique en France leur est contraire et qu’ils doivent chercher des soutiens et des secours auprès de l’Espagne. Parfois, les grands offrent leurs services et, dans ce but, se rendent dans la demeure du diplomate52.
47Les efforts permanents des gouvernements pour placer des indicateurs à l’intérieur des ambassades soulignent eux aussi l’importance des locaux diplomatiques. Toutes les parties s’y essaient. Dans les années 1625, Richelieu parvient à introduire un agent à sa solde dans la résidence de Mirabel53. De leur côté, les ambassadeurs espagnols obtiennent la collaboration d’un certain M. de Freixas, un agent du duc de Savoie à Paris54.
Les immunités personnelles
48Le droit diplomatique attribue au représentant étranger en poste, à son personnel et à sa famille un statut particulier les mettant à l’abri de la juridiction commune applicable aux régnicoles de la puissance d’accueil. L’impunité des agents est liée à leur caractère sacré. Ils sont inviolables et ne relèvent pas du droit commun, de même que leur demeure échappe à la réglementation générale.
49Au cours de la période étudiée, nous n’avons relevé aucun cas d’arrestation d’un diplomate par la justice de l’une ou l’autre puissance. Nous avons seulement retrouvé une tentative de mise en accusation de l’ambassadeur d’Espagne, Tassis, de la part du procureur général au parlement de Paris, La Guesle, au moment du procès du maréchal de Biron :
Les ambassadeurs sont par le droit des gens tenus pour sacro-saincts et inviolables, de sorte que le prince vers lequel ils sont envoyés ne leur peut mesfaire ny mesdire sans violer ce droit que la raison naturelle a enseigné à tous les hommes ; aussy, si de l’autre part, l’ambassadeur s’oublie d’offenser le prince vers lequel il est député, il faute contre le mesme droit, l’appellerons nous violateur. Certes, il enfreint toutes sortes de droits et le divin par lequel l’infidélité est réprouvée à celuy qui est commun à toutes les nations du monde et le civil propre à sa patrie laquelle il trahit, et trompe la confiance que le prince souverain qui la représente avait en luy55.
50Cette conception limitée de l’inviolabilité de l’ambassadeur n’est pas retenue par les puissances souveraines. L’attaque du procureur général cherche surtout à mettre en difficulté le représentant du Roi Catholique et à démontrer sa collusion avec les rebelles français, afin de circonscrire les « espagnolisés » et de raffermir la cohésion d’une monarchie encore fragile.
51En revanche, les incidents provoqués non par le chef de la mission mais par sa suite sont bien plus nombreux. Les abus relativement fréquents qu’on observe de la part du personnel et des serviteurs du diplomate sont-ils dus à leur statut juridique particulier ou bien à leur origine sociale et à leur formation culturelle ? Nous avons vu avec quelle rapidité et quelle violence l’entourage du comte de La Rochepot défendait l’inviolabilité de l’ambassade française. Cet incident a provoqué la violation de l’immunité de l’ambassade, ce que reconnut le Conseil d’État, et en même temps la violation de l’immunité personnelle, par suite des abus commis par les proches de La Rochepot – ce que l’ambassadeur admit face aux autorités, car par la suite il accepta l’arrestation des contrevenants à l’ordre.
52Ayant rassemblé dans un fichier intitulé « Immunités » les atteintes aux prérogatives diplomatiques, nous avons rencontré sept incidents portant sur les remises en cause de l’inviolabilité des personnels de l’ambassade de France à Madrid, contre trois en ce qui concerne les gens de l’ambassadeur espagnol à Paris.
53Les trois incidents parisiens sont liés aux connivences et discussions des secrétaires de l’ambassade espagnole avec des espions. En 1604, comme nous l’avons vu56, un valet espagnol de Zúñiga est emprisonné pour avoir accompagné et aidé Nicolas L’Hoste dans sa fuite. Il est libéré peu après, en vertu des privilèges dont il bénéficie57. En décembre 1605, le secrétaire Jacques Bruneau, surpris en compagnie de Mérargues, est conduit en prison. Il faut l’insistance de Zúñiga pour obtenir le respect des franchises diplomatiques. Enfin, à la veille de la déclaration de guerre entre les deux pays, c’est au tour du secrétaire Juan de Menenses d’être appréhendé sous l’accusation d’espionnage58.
54Nous n’avons pas trouvé d’autres infractions en France. Cependant, le manuel de diplomatie de Benavente relate la manière dont un de ses pages fut retenu à Paris pour s’être trouvé mêlé à une altercation survenue entre des comédiens espagnols. Dans ce cas précis, les formes liées aux immunités diplomatiques furent respectées, l’introducteur des ambassadeurs étant venu en personne ramener le page à la demeure de Benavente59.
55Du côté espagnol, les atteintes aux prérogatives du personnel de l’ambassadeur de France sont plus nombreuses. Est-ce à dire que le droit se trouve moins bien respecté dans la Péninsule que dans le royaume du Roi Très-Chrétien ? Les descriptions de ces incidents fournies par les sources espagnoles assurent le contraire. Selon ces sources, s’il y a en effet des incidents, la faute en incombe presque toujours à la virulence et à l’agressivité des Français.
56En 1601 déjà, la cour espagnole a connu une dispute semblable à celle qui, en 1621, impliquait les gens de l’ambassadeur Du Fargis. L’affaire a été relatée par de nombreux auteurs60. Le premier ambassadeur ordinaire à Madrid nommé par Henri IV est Antoine de Silly, comte de La Rochepot et beau-père de Du Fargis (auquel il léguera son titre comtal). Il doit assumer la gestion d’un incident assez grave. À Valladolid, le 17 juillet 1601, à la suite d’une rixe, quatre Espagnols sont tués par des gens de l’ambassade qui, leur forfait commis, se réfugient dans la mission. Celle-ci est rapidement encerclée par le peuple, mais les gens d’armes font évacuer les alentours. Le lendemain, sur décision des dirigeants espagnols, les représentants de l’autorité pénètrent de force dans l’ambassade de France pour se saisir des délinquants, arrêtant seize membres de la représentation. Lerma justifie devant l’ambassadeur cette violation des immunités de la demeure et des personnes. Furieux, l’ambassadeur demande audience au roi afin d’obtenir un passeport et de se retirer d’Espagne. Dans le contexte tendu de la fin de la guerre franco-savoyarde, la correspondance des diplomates espagnols avec leur souverain montre des dirigeants cherchant à calmer les ardeurs du représentant français. De son côté, Henri IV écrit à La Rochepot pour le modérer tout en réprouvant les violations subies par l’ambassade61. Malgré cela, les deux parties refusent de céder : La Rochepot rentre en France, mais sans ses gens. Le roi d’Espagne ne les libère qu’après le départ du diplomate, en passant par l’intermédiaire du pape. Cette affaire de violation de la justice locale et des immunités diplomatiques s’inscrit dans le contexte d’une opposition farouche entre les deux couronnes, soit entre la guerre de Savoie et la découverte de la conspiration de Biron : l’animosité n’est pas encore retombée et l’action diplomatique reflète ces tensions.
57Les autres incidents sont apparemment de moindre ampleur : il ne s’agit en effet que d’atteintes à l’immunité personnelle. En 1610, on arrête un homme de l’ambassade de France qui était en correspondance avec les morisques62, mais Calderón précise que cette arrestation n’est pas le résultat d’un ordre royal. En 1612, un membre de la suite du duc de Mayenne assassine un habitant du village de Barajas63, meurtre immédiatement condamné par les deux parties. En 1614, le portier de l’ambassade de France est violemment agressé64. Deux ans plus tard, l’ambassadeur proteste contre les mauvais traitements subis par ses gens à l’entrée de la ville, à la porte d’Alcalá65. Enfin, en 1623, un responsable espagnol de l’ordre est tué par des membres de la suite française66. Tous ces incidents font au plus l’objet de protestations de la part du représentant français, mais n’aboutissent jamais à la rupture ou au départ du diplomate, à la différence de la querelle de 1601.
58Il faut attendre la veille de la guerre pour voir réapparaître à Madrid des violences – qui cette fois ne proviennent pas des Français67. Pourtant, l’ambassadeur français de l’époque n’a pas la même virulence que son prédécesseur et se borne à refuser de rejoindre le souverain espagnol à la chapelle royale tant que son serviteur emprisonné ne sera pas libéré. Enfin, en juin 1635, un mois après la déclaration de guerre proclamée par un héraut français devant les portes de Bruxelles, le secrétaire de l’ambassade de France à Madrid est incarcéré pendant deux jours. Seules les instances de Mazarin et du corps diplomatique permettent d’obtenir sa libération68.
59Un bilan de ces violations des immunités personnelles laisse apparaître une solide culture du droit des gens, en France aussi bien qu’en Espagne. En dépit des sentiments hispanophobes ou francophobes qui sont les leurs, les deux parties sont fondamentalement d’accord pour respecter mutuellement leurs représentants. Même en 1601 – alors que La Rochepot est le premier diplomate français envoyé en Espagne après plus de dix ans sans représentation bilatérale et dans un contexte défavorable (guerre franco-savoyarde) –, les deux puissances réussissent à dépasser ces frictions. Les souverains ne désavouent pas publiquement les contrevenants à ces immunités, mais les correspondances internes montrent qu’ils réprouvent les attitudes condamnables de leurs agents. L’intervention du corps diplomatique – c’est-à-dire de l’ensemble des représentants des divers princes auprès d’un souverain – lors la dernière infraction, en 1635, montre bien que ce consensus atteste l’implantation d’une culture juridique commune aux principaux États modernes dans le domaine des relations internationales.
60Charles Weiss cite un exemple particulièrement significatif de ce respect du droit diplomatique :
L’ambassadeur français à Madrid n’hésita pas à recevoir de fortes sommes, que les Maures lui confièrent contre des lettres de change payables en France ; et pour introduire plus sûrement cet argent dans le Royaume, il fit partir son intendant avec l’ordre de se rendre immédiatement à Paris. Le secret de cette opération ne fut pas gardé. On arrêta l’intendant à trente lieues de Madrid. Toutefois, le duc de Lerma n’osa pas violer le privilège attaché à l’ambassadeur français, et la malle qui renfermait les trésors fut rendue sans avoir été ouverte69.
61Ici, l’ingérence du diplomate français est clairement reconnue, mais le respect du droit prime l’infraction que constitue la collusion entre l’ambassade de France et les morisques.
62Entre la violation de l’immunité personnelle et son respect intégral, il est possible de trouver des moyens afin de gêner l’adversaire, de contrevenir « légalement» à l’action diplomatique. Parmi ces procédés, le refus ou le retardement de la délivrance d’un passeport à un agent diplomatique – secrétaire, émissaire ou courrier—, alors que ce document est obligatoire pour circuler librement, permet de freiner l’activité politique du partenaire. Bien que cette possibilité soit assez facile à employer, la correspondance étudiée ne signale que trois cas importants, se déroulant non en France, mais en Espagne. Parmi ceux-ci, en 1619, un secrétaire de l’ambassade de France est réprimandé par le Consejo de Estado pour s’être rendu en Espagne et avoir rejoint la cour de Philippe III à Lisbonne, alors que cette ville avait été interdite aux diplomates étrangers70. En 1620, on assiste à la situation inverse, puisque c’est le Conseil qui refuse au secrétaire d’ambassade un passeport pour quitter l’Espagne, alors que l’on attend un nouvel ambassadeur français71.
63Ces passeports ne sont pas seulement une simple autorisation royale de passage. Ils permettent de franchir sans encombre ni contrôle les douanes entre les royaumes de France, d’Aragon et de Castille (les douanes entre ces deux derniers sont situées aux cols des montagnes, les « ports secs »). Ainsi, en avril 1618, un ordre de Philippe III au vice-chancelier d’Aragon lui demande d’établir un passeport pour la marquise de Sennecey, épouse de l’ambassadeur de France, afin qu’elle puisse passer sans difficulté la douane avec ses
finances, sa garde-robe et ses bagages, et qu’il en soit de même pour ses serviteurs et ses gens sans leur faire payer aucun droit, ni leur faire subir de gêne ou de vexation72.
64En effet, l’immunité des personnes se confond souvent avec l’immunité des biens matériels (ou « immunités réelles »). Comment correspondre correctement avec son souverain si le chiffre que l’on transporte dans une malle peut être saisi et étudié lors du passage à la douane ?
Les immunités matérielles
65Ce dernier type d’exemption correspond à plusieurs aspects de la mission. À l’entrée ou à la sortie des possessions espagnoles ou françaises (et pour les multiples douanes intérieures dans le royaume de France), le diplomate et sa suite possèdent un passeport établi par un secrétaire d’État afin de pouvoir traverser les frontières sans obstruction, selon la coutume établie dans les relations internationales. L’épouse du marquis de Sennecey, on vient de le voir, peut ainsi franchir les frontières librement, comme la plupart des membres de la famille et du personnel de l’ambassade de France. Les lettres des diplomates espagnols et du Conseil d’État ne font état que d’un seul cas d’atteinte à ces immunités protégeant les diplomates français, leur famille et leurs gens. Envoyé par Louis XIII en 1653 pour protester contre les soutiens espagnols à Gaston d’Orléans et Charles IV de Lorraine, Guillaume Bautru, comte de Serrant, reçoit le plus mauvais accueil possible. À la douane de Vitoria, au Pays Basque, ses bagages sont contrôlés et inspectés ; quelques-uns de ses effets personnels disparaissent alors de ses malles. L’ambassadeur ordinaire, Barrault, puis le roi de France protestent vivement. Le Conseil d’État justifie cette perquisition par le fait que le représentant ne possédait pas de passeport. En réalité, cette vexation s’inscrit dans le cadre de la dégradation des rapports franco-espagnols. À l’en croire, Bautru avait depuis longtemps demandé ce document, mais les dirigeants espagnols ne cessaient d’en retarder la délivrance, afin de gêner l’émissaire royal. Excédé, l’envoyé de Louis XIII décida alors de quitter le pays sans ce passeport. La douane pouvait donc légitimement inspecter ses bagages73. Cette décision espagnole reste exceptionnelle et ne se reproduit pas jusqu’à la déclaration de guerre de 1635.
66Du côté français, nous n’avons pas trouvé de doléances de diplomates espagnols concernant ce type d’agissements. Généralement, le passeport suffit pour ne pas être inquiété. Au moment de la conclusion des mariages, Cárdenas va jusqu’à insister auprès de Philippe III pour que l’on agisse le plus courtoisement possible avec le duc de Mayenne. Pour accueillir comme il convient cet ambassadeur extraordinaire du roi de France et de la régente, il précise dans sa lettre au Conseil d’État qu’il faut éviter que l’Inquisition espagnole importune la suite du Duc, car tous les gens de l’envoyé sont de bons catholiques74. Dans cette missive, on retrouve sous-entendue la crainte espagnole du prosélytisme hérétique, de la pénétration de livres interdits par le biais de la libre entrée d’objets dans les bagages des ambassadeurs.
67Il y a donc très peu d’entraves à la libre circulation des diplomates. Les gouvernants espagnols auraient pu chercher de possibles prétextes pour s’emparer des documents secrets des ambassadeurs français : attaques simulées d’une suite par des bandoleros, accidents provoqués, etc., mais ces pratiques n’ont pas cours dans le premier tiers du XVIIe siècle entre les royaumes français et espagnols (même si notre imagination s’en trouve déçue). La plupart du temps, on évite même de contrarier les diplomates français : on tente plutôt de les gagner à la cause espagnole, de les favoriser.
68La Dépense, vaste magasin de ravitaillement situé dans la capitale, approvisionne les ambassades en produits non taxés. Ce privilège crée des jalousies et favorise les trafics louches. Deux longs documents des alcaldes de corte insistent sur les pratiques douteuses du corps diplomatique autour de cette institution :
Nous, les alcaldes de Casa y Corte de V. M., disons que les ambassadeurs qui résident dans cette Cour et les quelques agents qui usent de ce titre et prétendent jouir des mêmes privilèges en ce qui concerne les provisions ordinaires qu’on leur donne pour subvenir à leur maison [...] ont des économes qui achètent des vivres de toutes sortes dans cette Cour et en dehors. Ensuite, ils s’en vont les revendre à des prix très excessifs [par rapport à leur prix d’achat], spéculant au grand dommage des revenus royaux et des courtisans nécessiteux. Pour son service, V. M. ordonnera de trouver un remède à cela et, ayant discuté en Conseil d’État et vu notre avis, il est prévu que personne ne puisse revendre ces produits dans sa propre dépense sous peine d’amende de quatre cents ducats pour la première infraction et d’autres peines ; et qu’aucun économe ne les revende sous peine de cent coups de fouet et six ans d’exil, trente mille maravédis et la perte des victuailles. L’expérience a montré le mal qui naît des libertés des ambassadeurs si on n’interdit pas l’achat dans les dépenses.. On ajoute à cette décision que personne ne doit y rien acheter, sous peine de quatre ducats [d’amende] et sous peine de dix ducats [d’amende] pour celui qui ordonne ces achats. On ne répète pas ici la dérision de la Cour publiée le 15 mars 1613, qui fut une honte publique, [prévoyant] dix mille maravédis [d’amende] contre ceux qui vont acheter dans les dépenses, car la peine est si dure qu’elle n’a jamais été appliquée et fut la cause de l’échec de cette réforme [...]. Rien que pour le mois de juillet passé, on a fait tant de contrôles serrés qu’il y a eu vingt-sept procès-verbaux contre l’économe du nonce de Sa Sainteté, dix-sept contre celui de Mantoue, dix-sept autres contre l’agent de Lucques, six contre celui de Venise et autant contre celui de Savoie, cinq contre celui de France, quatre contre celui d’Angleterre et quatre autres contre celui de Gênes. On a ordonné aux alguaciles que, pour éviter ces rencontres, on ne fasse pas ces procès-verbaux à la porte des ambassadeurs [...]. Aujourd’hui, on a arrêté Alonso Hernández, adjoint de l’économe dudit nonce, car on l’a trouvé en train de retirer de la Dépense un panier plein de lapins qu’il a amenés à la pesée et qu’il a vendus75...
69Par son aspect trivial, ce texte de septembre 1620 souligne l’importance de l’élément économique pour ceux qui vivent à la Cour. Le quotidien des diplomates reste étroitement lié aux contingences matérielles, et les avantages afférents à la situation privilégiée du corps diplomatique sont largement exploités par toutes les ambassades. Le représentant français n’est apparemment pas le premier à profiter de ces prérogatives. D’après le document des alcaldes de corte, la hiérarchie diplomatique est sauve, car c’est le nonce qui tire le plus de profits (illicites) de ce trafic sur les denrées alimentaires. Le 9 septembre 1620, le Conseil renouvelle l’interdiction des dépenses à l’intérieur des ambassades76. Cette décision fait suite à une plainte du nonce contre les gens d’armes ayant selon lui manqué de respect au personnel de sa maison, l’offense espagnole ayant consisté à confisquer des truites et des pigeonneaux qu’avait achetés son économe77...
70Les petits avantages consentis aux personnels des ambassades nous paraissent négligeables. Cependant, ils font partie des éléments distinctifs du statut diplomatique, au même titre que le protocole ou le cérémonial78. L’attachement aux privilèges communs entraîne l’apparition d’un état d’esprit homogène d’un groupe. Le corps diplomatique existe par ces détails qui le distinguent des autres catégories.
71En 1627, ce n’est plus le Conseil d’État qui aborde ce thème du trafic sur les denrées, mais le souverain lui-même, Philippe IV. Cette fois, les personnes mises en cause sont les ambassadeurs de France et de l’Empire. Le sujet reste délicat et le souverain leur écrit :
Sans faillir aux immunités de vos maisons (auxquelles on tient avec tant de soin), il faut éviter que d’autres personnes n’y entrent pour aller y acheter des produits79.
72Ce rappel, adressé uniquement aux deux diplomates cités, souligne l’importance du trafic auquel ces deux ambassades se livrent sur les denrées exonérées. Selon Ascencio Gutiérrez,
La dépense particulière [de l’ambassade de France] s’était transformée en véritable épicerie où les Madrilènes pouvaient se pourvoir, à meilleur marché, de marchandises n’ayant payé aucun droit d’entrée [...]. La dépense de l’ambassade avait la réputation d’être un des hauts lieux de la débauche madrilène.
73Cette coutume de l’exemption des droits se prolonge durant toute notre période et ne prend fin qu’en 165380. Le principe de réciprocité dans les relations diplomatiques ne semble pas s’appliquer dans ce domaine des immunités matérielles. En France, les représentants du Roi Catholique ne font jamais aucune allusion à de telles franchises.
II. - Les querelles de protocole et de préséance
74À tout moment de leur mission, les diplomates sont particulièrement attentifs au traitement qui leur est accordé. Depuis le franchissement de la frontière en passant par leur entrée et leur première audience, jusqu’à leur départ lors de la dernière réception, les présents d’usage qui s’ensuivent et les vœux transmis, les ambassadeurs espagnols décrivent dans les moindres détails au Conseil d’État les attitudes et comportements qui peuvent rehausser ou au contraire rabaisser l’image de la Monarchie Catholique. Les procédures liées au protocole et au cérémonial sont donc essentielles dans la vie diplomatique.
75Le protocole peut être défini comme l’ensemble des règles et des usages officiels observés dans une cour quant aux relations avec les autres souverains et leurs représentants durant les cérémonies et les actes officiels. Il englobe tous les rapports publics entretenus entre deux puissances souveraines. Il peut y avoir des infractions parfaitement tolérées, et même bien acceptées, à ces règles. Lorsque l’ambassadeur reçoit la visite d’un secrétaire d’État afin d’être sondé sur certaines affaires, ou quand il se rend à la demeure d’un dirigeant, ces actions ne possèdent pas toujours de caractère public et sont parfois des marques d’estime. Prenant par le bras un ambassadeur extraordinaire pour lui faire visiter le parc de Fontainebleau, Henri IV connaissait la valeur peu protocolaire d’un tel geste et la portée bénéfique d’une telle pratique.
76Le cérémonial, proche de la notion d’étiquette81, est l’inscription formelle, dans l’espace et dans le temps, des ordres et règlements de la Cour, conçue comme un moyen de gouvernement tant à l’égard des divers groupes courtisans qu’à celui des relations entre puissances souveraines internationales.
77Tant dans le protocole que dans le cérémonial, les rapports de force entre les puissances sont perceptibles à travers la place réservée à chaque délégation, à chaque groupe. Toute la société d’Ancien Régime est attentive à cette représentation dont elle est elle-même l’objet... La préséance est conçue comme le privilège, transformé en droit par la coutume, de prendre place au-dessus de quelqu’un ou d’un groupe dans la hiérarchie protocolaire. Les corps de métier, les nobles, les magistrats, tous les organismes sociaux sont sensibles à cette mise en scène ; ils recherchent la distinction et tentent de faire reconnaître et prévaloir leur dignité82.
78Dans les relations internationales, la mise en scène de la société par elle-même se double de la perception que l’autre, c’est-à-dire la puissance d’accueil, possède et retransmet du souverain représenté. Par des soins plus ou moins attentifs, des égards particuliers ou bien communs, on donne à voir à tous l’état des relations avec les diplomates et le prince qu’ils représentent. Dans ces conditions, il n’est guère étonnant que les ambassadeurs espagnols multiplient descriptions et analyses de ces règles et de leurs diverses adaptations ; ils en font part de nombreuses fois au Conseil d’État.
79Dans le fichier « Immunités » que nous avons constitué, les principaux avis sur ces questions de protocole, de préséance ou de cérémonial représentent soixante-neuf occurrences. Bien entendu, il a été impossible de relever toutes les audiences accordées aux diplomates par le Roi Très-Chrétien, ni même de consigner les formes particulières de chaque entrevue. Lorsque ces thèmes ont donné lieu à des polémiques ou à des félicitations du Conseil d’État, nous les avons sélectionnés.
80L’inégale répartition chronologique des informations (voir le graphique 8 ci-dessus) correspond à l’existence de moments forts où les thèmes de la préséance, du protocole et du cérémonial retiennent particulièrement l’attention des diplomates. En 1600, le serment de Philippe III de respecter la paix de Vervins pose un certain nombre de questions d’organisation concrète et formelle. Il en va de même en 1610, avec les trois grands événements que sont le couronnement de Marie de Médicis, le lit de justice et, quelques jours plus tard, les funérailles d’Henri IV83. En 1612, l’échange d’ambassades et les festivités à l’occasion de la ratification des mariages font également l’objet de plusieurs remarques de ce type. Les années 1619-1620 sont bien représentées dans notre corpus à cause des conséquences protocolaires de la question de la place à donner aux épouses des diplomates (questions du carreau et du tabouret). Quelques données relatives à la visite du marquis de Rambouillet et à l’accueil du comte de Louvigny en 1627 expliquent l’existence de renseignements de ce type. Enfin, à partir de 1631, les vexations de Richelieu multiplient les querelles protocolaires entre les représentants du roi d’Espagne et les autorités françaises, et cela jusqu’à la rupture de 1635.
81Le but premier de toute démarche relative au protocole et au cérémonial consiste à obtenir la préséance. Tous les diplomates s’efforcent d’acquérir le premier rang parmi les représentants étrangers. L’ordo regum de 150484 fixe la hiérarchie diplomatique au cours des cérémonies officielles. Si l’envoyé de l’Empereur (et donc du roi des Romains) a la prééminence sur les autres diplomates, le second est l’ambassadeur du roi de France, suivi par celui du roi d’Espagne.
82Faire reconnaître cette classification constitue un combat pour les puissances qu’elle avantage. À l’inverse, les souverains mal placés dans cet ordre contestent les positions établies. En France et en Espagne85, la contestation ne peut ainsi provenir que de puissances tierces et particulièrement du représentant du roi d’Angleterre, celui-ci étant classé septième dans l’ordo. Les Cours étant souveraines, elles peuvent s’accorder pour s’octroyer des prééminences réciproques. Ceci est un des objets de la lutte des représentants espagnols à Paris. Lors de son départ, Zúñiga a décrit, dans une lettre déjà citée86, comment il avait réussi à évincer l’ambassadeur de Jacques Ier au cours d’une audience demandée au roi de France pour obtenir son congé. L’habileté diplomatique fut dans ce cas nécessaire pour s’imposer sans indisposer le souverain par une grossièreté déplacée.
83En 1610, avant même le couronnement de Marie de Médicis, Cárdenas est prévenu dès le 7 mai de l’organisation de la cérémonie :
De la part du Roi [Henri IV est assassiné le 14 mai], l’introducteur des ambassadeurs, qui est un des principaux chevaliers de la Cour, est venu m’inviter pour que je vienne au couronnement de la Reine, me disant qu’il aura lieu le mardi suivant. Je répondis que cela convenait. J’ai entendu qu’on donne le même endroit habituel aux ambassadeurs, et en cela, il n’y a pas de nouveauté. Trois archevêques sont désignés pour aller avec le nonce, moi-même et l’ambassadeur de Venise. Ils m’ont dit que le résident des îles de Hollande s’y rendra à l’entrée que doit faire la Reine à Paris, et qu’ils lui donnent pour cela un chevalier. L’homme qui sert ici l’Archiduc [l’agent des Archiducs à Paris] a été invité mais il n’ira pas, car ils ont donné une meilleure place aux Vénitiens, et celui qui sert les Îles [l’agent des Provinces-Unies], m’a-t-on affirmé, a laissé entendre qu’il ne donnera pas sa place à l’autre envoyé. N’ayant pas d’ordre de V. M. pour agir sur ce problème, et ayant entendu que personne n’a protesté par ailleurs, je n’en parlerai pas, ni ne ferai de démonstration quant à ce qu’ils font avec le représentant des Îles87.
84L’ordonnancement des cérémonies est un sujet sensible, car il reflète la situation politique européenne. Dans cette lettre, Cárdenas est particulièrement sensible aux places réservées aux ennemis de la couronne espagnole, c’est-à-dire Venise et les Provinces-Unies. L’ambassadeur attire l’attention du Conseil d’État sur le fait que le représentant de l’Archiduc semble relégué à une place inférieure en comparaison du traitement réservé au représentant hollandais, mais l’ambassadeur espagnol n’agit pas de sa propre initiative pour défendre les prérogatives flamandes.
85En réalité, cette cérémonie n’eut pas lieu le mardi 11 mai, mais le jeudi 13, veille de l’assassinat du Roi. D’après la relation des préparatifs faite par Cárdenas, on voit qu’il existe une animosité certaine, que tous connaissent, entre les diplomates. Henri IV a même ordonné à l’introducteur des ambassadeurs d’éviter tout incident, c’est pourquoi on a limité à quatre le nombre des personnes entourant les ambassadeurs dans leur carrosse. Pourtant, le lieu est idéal pour affirmer la gloire de son roi et soutenir sa réputation aux yeux du monde assemblé. L’ambassadeur signale l’incident survenu avec le représentant vénitien.
86L’agent de la Sérénissime passa en carrosse devant lui sans ôter son chapeau et, bien que Cárdenas ait été prévenu par les autorités d’éviter tout esclandre avec ce diplomate, lorsque le Vénitien l’accosta, il lui promit alors le bâton. L’ambassadeur de la République
enfonça son chapeau et vint me menacer de me donner un coup de poing. Je m’avançai alors et lui donnai deux ou trois taloches, du mieux que je pus ; mon secrétaire arriva et lui en donna quelques-unes bien senties, à ce qu’on put voir sur sa figure par la suite. Il était devenu bien craintif. Je mis la main à la dague pour lui donner quelques coups, mais on m’arrêta, pour m’empêcher de blesser quelqu’un qui n’en avait pas. Il fit ce qu’il put pour sortir de ces mains et s’enfuit par l’escalier en haut de la maison. Pendant ce temps, ceux qui l’accompagnaient avaient mis la main sur mes gens, lesquels se défendirent. Un de ses neveux m’attaqua et, si on ne m’avait averti, il m’aurait atteint par-derrière mais, me retournant, je mis la main sur lui et je le fis se retirer, ce qui n’était pas difficile. À ce moment, je dis à ceux qui étaient avec lui [les gens de Venise] de venir à moi car ils étaient en train de se battre au poignard avec mes gens, qui faisaient leur devoir. Moi, je revins à eux, les arrêtant avec l’épée à la main alors que les gens de cette demeure sortaient aussi pour nous venir en aide, sur quoi ils [les gens de Venise] se retirèrent. Je pris ma suite dans mon carrosse [...]. Aucun des leurs n’avait été blessé et je ne voulais pas donner lieu à ce que quelqu’un des miens le fut. Je coinçais son secrétaire [celui de l’ambassadeur de Venise], le tenant bien serré dans un coin. Je me mis devant lui pour qu’il puisse partir. Ainsi fit-il, ajoutant une révérence de son épée. Ceux qui avaient des armes n’ont pas manqué à la courtoisie de leur maître, qui en avait manqué avec les mots. Et avec les mains, on fit ce qu’on put sans les armes. Ils en furent si marqués que les contusions furent apparentes quelques jours. Ayant fait ce que j’avais pu pour éviter cela, je n’ai su comment faire moins. [...] J’ai appris depuis que le roi de France m’avait donné plus que raison et qu’il me louait de ne pas avoir usé d’armes. En plus, on dit qu’ensuite, après avoir fui, le Vénitien serait sorti de la maison avec une pelle à feu ou un outil à rôtir, et que moi je lui aurais dit : « Où allez-vous, coquin de Pantalon88 ? Voulez-vous que je termine de vous accommoder ? », et qu’il aurait tourné les talons pour s’enfuir, ce dont je ne me souviens pas, mais on dit que cela se passa ainsi89...
87Ce récit haut en couleur de la victoire remportée les armes à la main par l’ambassadeur espagnol montre un univers diplomatique bien ancré dans les valeurs de la première moitié du XVIIe siècle (et du XVIe siècle). La courtoisie n’empêche pas, loin de là, l’emploi des poings. L’insulte se mêle à la violence physique. Et le courage relève l’action du diplomate, du moins à ses yeux – et, à l’en croire, à ceux du roi de France.
88Ce souci d’obtenir la préséance à tout prix et d’imposer le rang de son souverain conduit parfois à violer le cérémonial ordonné et à enfreindre les souhaits des autorités du pays hôte.
89Le couronnement lui-même est l’objet d’une autre relation de l’ambassadeur, longue de six pages et datée du même jour90.
90Marie de Médicis, reine couronnée et veuve depuis un peu plus d’un mois, craint que les mêmes querelles se reproduisent lors des funérailles d’Henri IV. Elle charge le duc d’Épernon de prévenir Cárdenas qu’il peut s’abstenir de participer à cette cérémonie si de semblables incidents devaient se reproduire91. La qualité de l’émissaire choisi par la régente constitue en soi une preuve de la réussite de la mission de l’ambassadeur. Le Duc est alors le bras droit de la reine mère, c’est lui qui lui a conseillé de tenir le lit de justice qui la déclare régente devant le Parlement92. Malgré l’avertissement de Marie de Médicis, le diplomate continue sa politique d’affirmation et d’extériorisation de la présence espagnole. S’il s’abstient de participer à une rixe, il n’observe pas les coutumes françaises lors des funérailles93, refusant de se couvrir la tête « parce que c’est une chose si contraire à ce qui se fait à la cour de V. M.94 » et, s’il accepte de se vêtir d’habits de deuil, il a modifié son vêtement, à l’encontre de l’usage, l’allongeant pour se distinguer des princes et des autres ambassadeurs95.
91Pour Cárdenas, il s’agit d’une compétition des honneurs et d’une affirmation permanente de la distinction au cours des événements protocolaires et du cérémonial, afin de faire reconnaître la primauté de son souverain96. Philippe III ne juge pas pour autant convenable cette agressivité dans la course aux dignités. Dans une de ses instructions à Cárdenas, il réprouve certaines des pratiques de son agent à Paris97. De tels usages n’ont pourtant pas nui au diplomate, qui obtient de fait la prééminence sur les autres ambassadeurs.
92En septembre 1610, la venue de Feria, l’ambassadeur extraordinaire du Roi Catholique, illustre cette situation privilégiée des envoyés espagnols. Comme nous l’avons déjà souligné, l’envoyé se félicite
qu’il y ait eu une nouveauté avec moi qui, pour ne pas être normale et n’avoir été faite avec aucune autre personne, est de première importance, à savoir que les princes de sang et ceux de la maison de Lorraine qui résident ici sont venus me visiter. Les premiers à le faire furent le comte de Soissons et le duc de Mayenne, accompagné de son fils le duc d’Aiguillon98.
93Par les prévenances dont on entoure Feria, on pressent les modifications des relations entre les deux couronnes.
94C’est dans ce climat favorable que se déroulent les cérémonies et festivités suivant l’annonce des mariages franco-espagnols (26 janvier 1612). Cárdenas évoque malicieusement les problèmes de préséance et de cérémonial lors du carrousel ayant lieu du 5 au 8 avril 1612, à l’occasion duquel lui est réservée la première place du corps diplomatique. Ainsi, le représentant de Florence voulait se trouver dans la même salle que l’ambassadeur espagnol, puis se rendre dans la tribune de la régente, mais le Conseil d’État français lui refuse ce privilège99. Bien plus, Cárdenas raconte sa rencontre avec le nonce, scandalisé de ne pas se trouver à la tête du protocole :
La passion de ce nonce est si grande en cette affaire qu’il vint en ma demeure pour me demander de ne pas m’y rendre [à ces festivités], car lui n’y participerait pas. Je lui répondis qu’il avait tort d’agir ainsi, que si j’étais l’ambassadeur du Turc ou du roi d’Angleterre, sa prétention serait légitime mais étant ambassadeur d’un si grand et si puissant Roi, qui était celui qui estimait et respectait le plus Sa Sainteté et ses ministres, non seulement nous donnions la préséance aux nonces et aux gens de Sa Sainteté, mais aussi nous les servions tant que nous le pouvions [...]. De plus grande considération [est] le fait que l’ambassadeur d’Angleterre ne veut pas reconnaître de prééminence au pape ni à personne, excepté celle de l’Empire100...
95Ces disputes ne sont donc pas de simples jeux, mais bien le moyen pour chacun d’imposer la puissance de son souverain ; elles constituent la seule mesure réelle de cette force qui se manifeste au cours des représentations publiques et lors de tels événements.
96Le protocole constitue une image synthétisée et codée des valeurs hiérarchiques de la société et reflète la structure des relations internationales. Pendant plus de cinq années, Français et Espagnols se disputent à propos de ce qui pourrait sembler une vétille : doit-on ou non donner un carreau101 à la femme de l’ambassadeur de France lorsqu’elle paraît au palais royal espagnol et, par conséquent, accepter de donner un tabouret à l’épouse du représentant du Roi Catholique à Paris ? Cette question occupe la correspondance de Cárdenas, le Conseil d’État discute de ce problème et le Roi dépêche des instructions à son représentant à Paris pour résoudre ce conflit protocolaire... L’affaire débute en décembre 1615. Une lettre du Conseil d’État avertit Monteleón des « prétentions de l’ambassadeur de France d’obtenir pour sa femme un carreau lors des audiences au palais ». Or, le carreau est réservé aux épouses des grands d’Espagne ; accepter la demande française imposerait donc d’accorder la même faveur aux diplomates de tous les autres pays102. Dans la logique du pouvoir, l’extension d’un privilège se heurte à l’opposition de ceux qui bénéficient déjà du privilège en question. Le duc de Lerma et les dirigeants de sa faction ne veulent surtout pas mécontenter les grands sur un point si sensible pour leur rang. On ordonne donc à Monteleón de mettre à profit l’appui de Villeroy et de la marquise d’Ancre pour éluder la demande française103. Mais, en 1620, c’est Anne d’Autriche qui relance la polémique. En effet, par l’intermédiaire de Mirabel, elle transmet son souhait que Madrid accorde un carreau à l’épouse de l’ambassadeur français, car, en échange, les Français donneraient un tabouret à la marquise de Mirabel (mais en France, comme on l’a vu, ce privilège vaut uniquement pour les audiences de la reine ou les occasions où celle-ci est présente). Mirabel lui-même note l’irréalisme de la souveraine et reprend les mêmes arguments pour refuser ces changements. Le Conseil d’État remarque que « la prétention française n’est pas juste, ni celle de la marquise de Mirabel », car chacune des cours possède ses propres traditions, qu’il faut respecter104. Pour l’Espagne, le souci de l’étiquette prime sur la recherche des prééminences :
De chaque côté, on observe l’usage établi ; donc celui de là-bas étant et ayant toujours été de donner un tabouret aux femmes des ambassadeurs, vous ne devez pas consentir autre chose. Si ici, la coutume était de donner un carreau, on le donnerait. Ainsi ici, dans la chapelle, on donne une estrade aux diplomates car c’est la coutume, mais là-bas, ils ne mettent qu’un banc [rehaussé] pour ces représentants. Pour cette même raison de coutume, on attribue ici une maison aux ambassadeurs, et non point là-bas. Dans cette cour, ils en usent autrement qu’ici, et on n’en discute pas, chacun se gouvernant en accord avec son style propre105.
97Cette polémique sur le protocole dépasse les seules questions de préséance. Certes, celles-ci ne sont pas négligeables, les Français veulent obtenir à Madrid un avantage qui les distingue aux yeux de toutes les autres nations car même l’épouse de l’ambassadeur de l’Empire n’a pas le droit à cette faveur du carreau.
98Cette querelle protocolaire soulève le problème des fondements du droit international : comment accorder des royaumes et principautés aux lois et coutumes distinctes ? Par sa structure juridique, l’Ancien Régime accueille favorablement les différences profondes entre les diverses juridictions, il accepte et apprécie les inégalités de statut et de considération. La notion de privilège est au cœur même de toute politique. La monarchie espagnole, patchwork de possessions hétérogènes, y est peut-être plus sensible que la monarchie française, mais la France du XVIIe siècle, de même que l’Espagne, est incapable de se penser en dehors de la tradition et de la variété des structures. Or l’une des bases de la diplomatie, particulièrement en ce qui concerne les immunités et les questions protocolaires, est le principe de la réciprocité entre puissances souveraines. Comment accepter d’attribuer certains avantages au représentant de son partenaire lorsque ce dernier vous les refuse ? On observe donc une tendance, inhérente au droit diplomatique, à l’homogénéisation des règles à l’échelle européenne. Son but est en partie de dépasser les usages locaux, socle des sociétés de l’époque moderne.
99Cette contradiction entre le droit des relations internationales et l’état des sociétés ne sera pas résolue au XVIIe siècle. Les premières conventions mettant d’accord les États souverains sur les formes de la représentation diplomatique n’apparaîtront pas avant le congrès de Vienne, en 1815106.
100À partir de 1615, l’ambassadeur espagnol en France jouit d’un statut très particulier, exerçant simultanément les fonctions de représentant du Roi Catholique et de majordome de la reine Anne d’Autriche, comme le stipulent les accords des mariages. Le cercle de ses relations s’élargit, et c’est à lui d’assurer la liaison avec l’entourage de la reine. Partant de ces considérations, le secrétaire d’État Ciriza admoneste le confesseur de la reine de France, un Espagnol, car un religieux de la camarilla de la Reine s’est mis en contact avec un docteur français, alors que, selon les conventions, il aurait dû se mettre en rapport directement avec Monteleón107. Lors de l’ambassade de Mirabel, l’accès du diplomate aux appartements de la reine se réduit-il autant que ses plaintes le laissent croire ? La conception drastique de l’ambassade que développent Richelieu et Louis XIII empêcherait-elle l’application de ces contacts ? Lorsqu’en 1629 Anne d’Autriche demande à Madrid de ne pas muter Mirabel, cette demande concerne-t-elle seulement sa fonction de majordome ou bien aussi celle de diplomate108 ? En février 1631, alors qu’il est déjà largement discrédité à la cour de France, Mirabel observe :
Mes entrées dans l’appartement de la Reine-Infante ont été les mêmes que celles accordées à mes prédécesseurs, mais avec beaucoup plus de limitations que le duc de Monteleón car celui-ci usait de cette prérogative comme premier majordome et moi seulement comme ambassadeur et serviteur de V. M.109.
101En fait, les bonnes relations franco-espagnoles ne se sont traduites dans les grands événements de la Cour que pendant quelques années, à l’époque de Cárdenas et au début de la mission de Monteleón.
102Les diplomates témoignent d’une grande réceptivité aux marques de faveur extraordinaire qui se produisent lors d’événements singuliers. Le déroulement de l’ambassade ne comprend pas toujours de telles circonstances ; l’observation des moindres détails reste donc une des grandes tâches de l’ambassadeur. Baromètres des relations bilatérales, la sollicitude et le respect des formes établies contribuent à l’élaboration de la politique étrangère.
103La précision des descriptions de l’entrée des diplomates, par exemple celles de Tassis ou de Benavente, témoigne de l’attention portée au maintien de l’honneur et de la dignité110. Il y a souvent des surenchères de chicanes dans cette course aux honneurs à laquelle participe toute la noblesse d’Europe. En 1627, avant de faire son entrée dans Madrid, le marquis de Rambouillet, ambassadeur extraordinaire de Louis XIII, exige comme condition préalable qu’un grand d’Espagne vienne à sa rencontre. Or pour le Conseil d’État, la tradition continue de faire jurisprudence. Admettre cette demande, « c’est abandonner l’exemple de Bassompierre et des autres, c’est abandonner les coutumes d’Espagne111.» Poursuivant ses réflexions, le Conseil insiste encore une fois sur la différence des lois françaises et espagnoles et sur l’obligation de respecter les coutumes des deux pays112. Et de nouveau, il apparaît impossible d’uniformiser les coutumes pour créer des relations bilatérales sur un fondement d’égalité. Réclamations, souhaits ou récriminations quant à leur accueil : tous les diplomates sont vigilants à la moindre entorse à l’étiquette qui pourrait ruiner ou améliorer la position de leur prince.
104À partir de 1632, la situation se complique pour Madrid à cause de l’accueil fait aux émissaires de Marie de Médicis et de Gaston d’Orléans ; le Conseil d’État s’interroge sur le protocole à employer à leur égard. Au cours de la mission de Du Fargis, envoyé de Monsieur après avoir été celui de Louis XIII, les responsables espagnols constatent l’impossibilité de le recevoir accompagné de l’introducteur des ambassadeurs, car ce serait le placer au même niveau que le représentant du roi de France. Cette décision est délicate car Monsieur reste l’héritier du trône de France et, s’il n’est pas encore prince souverain, il a de grandes chances de le devenir. Madrid trouve une solution pragmatique pour faire bon accueil à l’envoyé sans contrarier le roi de France : on octroie trois mille ducats par an à l’émissaire du duc d’Orléans, traitement inconnu jusqu’alors dans le monde diplomatique. Dans le même temps, cette décision montre la faveur dans laquelle on tient Monsieur113.
105L’entrée, l’accueil et la première audience constituent des moments privilégiés de l’exercice du protocole. Faire patienter plusieurs jours un ambassadeur est une tactique politique qui utilise les ressources du protocole. Les entretiens avec le roi de France se déroulent formellement de la même manière jusqu’en 1635 : avec une introduction dans la salle de réception par l’introducteur des ambassadeurs, l’attente dans un lieu spécialement destiné aux diplomates, procédure décrite par une relation qu’en fit Zúñiga aux dirigeants espagnols.
106Ce qui caractérise l’audience, c’est autant le ton du roi que le contenu. Dans ces occasions, le roi adopte des formes protocolaires malgré l’existence de profonds différends. En 1601, au plus fort de la crise provoquée par l’emprisonnement des domestiques de La Rochepot, ambassadeur de France à Madrid, Tassis essuie de violents reproches de Villeroy, mais Henri IV, qui le reçoit après le secrétaire d’État, lui prodigue des paroles apaisantes où les relations bilatérales ne semblent plus du tout remises en cause par l’incident114. En janvier 1610, les formes de l’audience contredisent une nouvelle fois le fond des relations entre les deux pays. Henri IV prépare ses armées, les alliances avec la Savoie et les princes allemands sont sur le point d’être conclues, mais le souverain reçoit aimablement Cárdenas pour lui annoncer que se prépare « un grand feu en Allemagne115 ».
107Plusieurs pratiques de l’audience sont ainsi possibles : marquer le mécontentement par un entretien au contenu virulent ou, à l’inverse, proférer des paroles conciliantes alors que le contexte est à la rupture. La mise en accord du contenu de l’audience et de sa forme protocolaire est peu employée par Henri IV et les « barbons », sinon par le report – qui peut être fréquent – de l’audience accordée à l’ambassadeur, ce qui permet de découvrir entre-temps les instructions que celui-ci a reçues. Avec l’arrivée au pouvoir de Richelieu et la détérioration consécutive des relations bilatérales, le protocole lui-même devient un enjeu de pouvoir et un outil pour réduire le « partenaire ». Nous avons vu Mirabel se plaindre de n’avoir obtenu du Cardinal et du Roi qu’une audience particulière, et non celle, plus réglementaire, destinée à un ambassadeur116. Cela ne signifie pas que le premier ministre français ne sache pas se mettre en colère pendant un entretien. Mirabel en fait l’expérience en 1632, et son secrétaire relate l’orage essuyé par l’ambassadeur pour avoir facilité la fuite de Mme Du Fargis en Lorraine117.
108Le jeu des protocoles, s’il a favorisé Cárdenas pendant son ambassade, se retourne contre le représentant du Roi Catholique à partir des années 1630. En 1634, Benavente
rend compte de la forme dont il parla avec le cardinal de Richelieu des procédés peu courtois que l’introducteur des ambassadeurs avait avec don Cristóbal, donnant à entendre au Cardinal que cela ne pouvait se produire sans un ordre supérieur et que si cette attitude avait pour but de l’écarter encore plus de la communication avec la Reine-Infante Très-Chrétienne, il pouvait lui dire le moyen d’y arriver. Ce à quoi le Cardinal répondit qu’il ne se mêlait pas des choses de la maison du Roi, mais qu’il saurait son désir et qu’il l’aviserait118.
109La même agressivité, contraire à la bienséance, se retrouve en Espagne chez l’ambassadeur français, le comte de Barrault, qui en 1634 se refuse pendant plusieurs jours à rencontrer le secrétaire d’État espagnol Rozas et à assister à la messe de la chapelle royale, bien que le nonce et l’agent de Venise, proposant leur médiation, aient tenté de parvenir à un compromis. À la suite de cet incident, l’inquisiteur général s’inquiète en Conseil d’État de la distorsion entre la situation en France et en Espagne, mais le marquis de Mirabel, devenu conseiller d’État, propose de laisser à l’introducteur des ambassadeurs le soin de régler ces problèmes119.
110Les disputes et querelles portant sur ces thèmes et les prétentions à la préséance s’expliquent aussi par l’incapacité de ces sociétés d’Ancien Régime à s’accorder sur un droit diplomatique commun qui puisse dépasser les singularités et les particularismes coutumiers. Enfin, ces problèmes de forme sous-tendent un élément plus facilement identifiable : celui de l’état des relations bilatérales. Il est rare que des controverses n’apparaissent pas à propos du protocole dans les périodes où les rapports entre les deux couronnes s’aigrissent.
III. - La protection des nationaux et les affaires consulaires
111La protection des nationaux. – Les affaires consulaires et la question de la nomination des consuls.
112Les consuls sont des agents officiels qu’un État établit dans un lieu étranger. Ils remplissent certaines fonctions administratives et défendent les droits et intérêts commerciaux des nationaux. Ils se trouvent donc là où les enjeux sont importants120. La liaison entre la protection de ces nationaux et les affaires consulaires serait redondante si, à l’époque moderne, il avait existé un tissu de consuls de part et d’autre, avec des règles de fonctionnement clairement délimitées et reconnues par les deux États souverains. Or il n’en est rien. À cette époque, l’Espagne n’est pas un pays, et utiliser le terme de « nationaux » demeure singulièrement ambigu pour cette mosaïque de peuples dirigée par un même souverain. Par ailleurs, la notion d’État en ce début du XVIIe siècle, ne recouvre pas le contenu que nous lui donnons aujourd’hui. Les « intérêts » commerciaux ou culturels sont bien moins identifiés que de nos jours, car la définition d’une communauté ne se fonde que sur le souverain, souvent bien lointain pour les sujets. Enfin, les consulats proviennent des héritages médiévaux. Les manières d’exercer cette charge portent l’empreinte de ce passé. Nous verrons d’abord comment s’articulent diplomatie et défense des régnicoles d’un même souverain, comment, de 1598 à 1635, se fondent certaines règles d’où émergent des tentatives pour délimiter les affaires consulaires, c’est-à-dire de nouvelles conceptions des « intérêts » d’un souverain et de ses régnicoles hors de ses possessions.
La protection des nationaux
113La correspondance des diplomates espagnols à Paris abonde en allusions à des interventions auprès du Roi Très-Chrétien, ou de sa part, concernant la protection des régnicoles. Dans notre fichier « Immunités », nous avons tenté de prendre en compte les occurrences relatives à ce thème. Elles sont si nombreuses que nous avons décidé d’exclure les problèmes des embargos de 1603,1625 et 1635, car plusieurs dossiers comportent plus d’une centaine de références, et la tâche aurait été hors de notre portée. De la même manière, nous avons exclu les problèmes frontaliers, qu’il s’agisse des Aldudes et de Baïgorry ou des disputes, rapts, emprisonnements survenant entre les gens d’Hendaye et ceux de Fontarabie, trop fréquents pour être traités ici. À titre indicatif, nous avons retenu 65 occurrences qui nous paraissent révélatrices de l’activité des diplomates espagnols liée à la défense des régnicoles. Les deux tiers de ces occurrences (soit 48) concernent des Français se trouvant en situation difficile en Espagne, alors qu’un tiers seulement a trait aux problèmes rencontrés par des Espagnols en France. Une chronologie de ces interventions diplomatiques n’aurait pas de sens, puisque nous avons choisi d’exclure certaines affaires.
114L’ambassadeur espagnol à Paris reçoit donc un nombre relativement élevé de protestations émanant des secrétaires d’État ou du roi de France sur les conditions de vie ou d’accueil que rencontrent les Français en Espagne, d’autant que ceux-ci forment une très grande partie de l’immigration péninsulaire. Pourtant, il ne semble pas que cette dernière catégorie soit prise en compte dans les problèmes de protection. En effet, la plupart des cas concernent des affaires maritimes liées soit au commerce, soit à la course : Bretons exportant en Espagne, corsaires rochelais, auteurs de trafics interlopes aux portes de Sanlúcar de Barrameda, propriétaires de navires saisis par un vice-roi trop zélé ou par une Inquisition tatillonne. Les contentieux financiers et commerciaux passent aussi par l’ambassade d’Espagne en France.
115À peine arrivé à Paris, Tassis est averti de l’existence de réclamations de marins malouins et de commerçants bretons à propos de la non-restitution de certains biens après la conclusion de la paix de 1598121. Son rôle consiste à transmettre ces revendications, à s’informer auprès de Madrid des explications à fournir et à communiquer ensuite celles-ci aux autorités françaises. Par exemple, le 4 juillet 1601, une dépêche de Philippe III annonce à l’ambassadeur espagnol que la liberté a été rendue à des navires français retenus en Espagne122. Cependant, la plupart du temps, malgré l’évocation devant l’ambassadeur et l’étude de ces affaires par le Conseil d’État à Madrid, la justice conserve toute sa lenteur. Un mémoire est ainsi remis par le roi de France à Monteleón en 1618 pour obtenir réparation des confiscations de biens faites à des Bretons en l’année 1597123. Lorsque le sujet ne paraît pas trop polémique, un ordre royal peut suffire à régler officiellement le litige. Mais en réalité, l’issue demeure bien incertaine car il est très difficile de faire respecter les décisions du Conseil d’État par les différentes autorités locales, portuaires ou inquisitoriales.
116D’autres Français en Espagne éprouvent plus de difficultés à obtenir une décision favorable du Conseil d’État, particulièrement lorsqu’ils sont retenus ou que leurs marchandises ont été confisquées. Le trafic avec les Indes relève de ce type d’activité, étant condamné dans la Péninsule, mais accepté au-delà de la ligne équinoxiale par le roi de France. Les références à l’arrestation et à l’emprisonnement de marins et à la saisie de leurs navires abondent dans la correspondance diplomatique. Les multiples interventions du roi de France (ou de la régente) en faveur de La Ravardière montrent la vigilance des Espagnols quand il s’agit de conserver leur monopole. En réalité, les demandes françaises ne concernent pas seulement le chef d’expédition, mais aussi ses hommes. Le capitaine Mathieu Mallart124, compagnon de La Ravardière, fait ainsi l’objet d’une proposition d’échange. En 1615, alors que ce personnage est emprisonné au Portugal, Philippe III écrit à Cárdenas qu’il a demandé au vice-roi du Portugal de le libérer. À Paris, de son côté, l’ambassadeur espagnol doit arracher aux autorités l’élargissement d’un certain Gregorio Fragosso de Albuquerque125.
117Dans d’autres domaines de la couronne espagnole, des Français sont inquiétés. Sur la côte majorquine, un nommé Hernando de Santiago dénonce aux autorités espagnoles le capitaine d’un navire français qui aurait voulu vendre des esclaves aux Maures. Le but avoué est d’accaparer les marchandises transportées. Une fois le navire séquestré, on applique la question au capitaine du bateau. Le jugement décide de sa libération mais, épuisé par les tourments qui lui ont été infligés, il meurt peu après dans sa prison. Pendant près de deux ans, à la demande d’un certain Pierre Carrelet (certainement le propriétaire du vaisseau), les dirigeants français réclament la restitution du navire. Pendant l’été 1611, Jeannin se déplace spécialement à l’ambassade pour obtenir gain de cause. En fin de compte, un nouvel acte d’accusation désigne le « vrai » coupable : le consul français de Majorque, Renard Grenier. Celui-ci aurait conservé des vêtements des morisques lors de leur expulsion. Il faut l’intervention de l’ambassadeur extraordinaire français pour faire évoquer cette affaire devant les instances espagnoles126.
118Le commerce français entre l’Espagne et les pays barbaresques, pourtant autorisé par les conventions de 1598, sert de prétexte à des arrestations ou à des confiscations. En 1621, l’ambassade française à Madrid transmet un mémoire concernant un gentilhomme français, Guillaume d’Altariva (d’Hauterive ?), qui commerce avec le Maghreb. Pour avoir acheté à Alger divers produits, dont du vin, qu’il vendait à Barcelone, il est arrêté et son navire saisi, ce qui provoque une nouvelle protestation française127.
119À ces différends commerciaux, les actions de l’Inquisition castillane ajoutent d’autres griefs transmis au représentant du Roi Catholique. En 1602, Philippe III prévient Tassis qu’un navire français, auparavant saisi à Majorque sur ordre de l’Inquisition, va être restitué, car les motifs d’arrestation étaient mineurs128. En janvier de la même année, ce même diplomate avertit Madrid qu’un ami du connétable de France vient juste de revenir de cette île, après y avoir été emprisonné sous l’accusation d’être « mauvais catholique »129. Si Majorque apparaît à plusieurs reprises dans la correspondance diplomatique à propos des tracas causés par l’Inquisition à des Français, la situation paraît encore plus difficile à la frontière proche du Béarn. Tous les habitants de ce « foyer hérétique » sont systématiquement suspectés par le Saint-Office d’être hérétiques. Une note d’un seigneur catholique originaire de ces régions se plaint de cette situation auprès des autorités espagnoles130, d’autant plus que les accords de commerce tolèrent les protestants étrangers en Espagne pourvu qu’ils ne tentent pas de faire de prosélytisme. Dans quelle mesure ces actions de l’Inquisition, qui diminuent d’ailleurs à l’égard des étrangers au cours du premier tiers du XVIIe siècle, relèvent-elles réellement de mobiles religieux ? Dans le dernier exemple, c’est un seigneur catholique qui se plaint. En 1621, il s’agit, selon l’ambassadeur de France à Madrid, de cinq commerçants français détenus par le Saint-Office, dont les marchandises, entre-temps confisquées, valent la somme très importante de soixante à soixante-dix mille écus131.
120Les autorités espagnoles profitent aussi de la présence française pour renforcer leur poids politico-militaire en temps de crise. Selon Le Mercure françois :
Vous aurez maintenant appris la perte qu’a faicte ceste Couronne d’Espagne du pays du Brésil, duquel l’importance se recognoist de plus en plus : on poursuit les apprests nécessaires pour le recouvrement : six ou sept cents hommes, qui est tout ce qu’on a peu lever à Madrid en plus de deux mois, sont allez ioindre les troupes destinées à cette expédition ; Ils ont arresté en Andalousie cinq vaisseaux François de la ville de Sainct Malo pour s’en servir, & veulent contraindre les Mariniers qui sont prez de quatre cents, ioincts queslques autres François de rencontre, à faire le voyage. La plainte a esté envoyée à l’ambassadeur de France qui poursuit la main levée au moins pour les personnes, estant contre tout exemple d’employer par force les subjects d’un autre Prince en ses interests particuliers132.
121Manquant d’hommes et de navires, la Monarchie « emprunte » donc des sujets français (et ceux d’autres nations) pour reprendre Bahia occupée par les Hollandais depuis mai 1624. Si ces réquisitions touchent particulièrement des sujets du roi de France, on ne peut pourtant pas les considérer comme des attaques contre leur souverain. En effet, pour financer ses dépenses, la couronne espagnole n’hésite pas à confisquer également les convois chargés d’argent américain appartenant à ses régnicoles. Elle ne fait qu’agir de même avec les sujets français se trouvant en Espagne.
122Du côté espagnol, les vingt-trois occurrences sélectionnées133 concernent uniquement la défense des sujets des royaumes castillan, aragonais et portugais. Nous n’avons pas trouvé d’allusion à des problèmes touchant des Napolitains, des Lombards, ou des Francs-Comtois. Les seuls régnicoles défendus sont originaires de la péninsule Ibérique. Y a-t-il d’autres cas de litiges judiciaires ? Ceux-ci sont-ils traités depuis les centres milanais, napolitain ou palermitain ? Ou bien le Roi Catholique et ses diplomates à Paris ne considèrent-ils comme sujets que les Espagnols et les Portugais ? Aucune indication ne permet de fournir une réponse.
123Parmi les réclamations présentées par l’ambassade espagnole en France, certaines traitent de la récupération de navires naufragés sur les côtes françaises en 1607 et en 1627134. La question frontalière retient aussi largement l’attention des représentants du Roi Catholique. En 1602, le monastère de Roncevaux se considère financièrement lésé par le roi de France, qui lui a confisqué des rentes135. Des Biscayens sont abusivement enrôlés sur les galères françaises136 ; Mirabel obtient leur libération en 1626.
124En revanche, l’ambassadeur espagnol intervient plus rarement que son collègue français pour défendre les intérêts économiques des sujets de son souverain se trouvant dans son pays de résidence. On ne trouve ce type de lettres qu’à propos de la communauté ibérique de Rouen, dont la composition est surtout d’origine juive portugaise (marrane). En octobre 1628, Mirabel s’inquiète de l’embargo français sur les finances de ces sujets du Roi Catholique, notant qu’il s’agit « de la plus grande et nouvelle violence et rigueur que jamais on n’ait vue137 ». Nous ignorons tout de la façon dont il a suivi cette affaire. En 1633, les financiers portugais établis à Rouen sont de nouveau le centre d’intérêt de Madrid. Des marranes de cette ville auraient accusé un des leurs devant l’Inquisition de Galice... Un secrétaire du Saint-Office, Juan Bautista de Villadigo, se rend donc dans cette ville pour démêler la véracité de cette affaire138. Dans le même domaine, en 1622, l’affaire de l’enlèvement de plusieurs personnes revenant de Rome soulève l’indignation espagnole. Leur ravisseur est un huguenot du Languedoc, le marquis de Saint-Blancard139. Madrid mobilise les différentes instances pour obtenir la libération des otages : Montmorency et Châtillon doivent notamment être contactés pour faire pression sur le Marquis. En janvier, la correspondance note qu’une rançon de douze mille ducats est demandée, mais quelques mois plus tard Saint-Blancard offre de libérer ses prisonniers espagnols en échange de prisonniers détenus par l’Inquisition à Valence. Si cette condition n’est pas acceptée, il menace de vendre les détenus aux Turcs140...
125Ces violences commises de part et d’autre paraissent inhérentes à la structure politique et sociale des sociétés. Du côté espagnol, on retrouve la même brutalité quand, en 1616, un gentilhomme provençal, M. de Vaubourget, malade, est forcé d’accoster à Carthagène. Sa mort permet au marquis de Santa Cruz, futur gouverneur de Milan, de piller le navire et d’arrêter tous les Français qui sont à bord, qu’ils soient gentilshommes ou matelots. Le seul problème réside dans l’importance du patron du défunt, car Vaubourget était attaché au premier écuyer de la reine mère. L’importance de ce dernier personnage explique que Louis XIII intervienne personnellement auprès de son beau-frère à propos de cette affaire141.
126Les multiples escarmouches entre Français et Espagnols ont des origines parfois spontanées – dues aux ambitions locales ou personnelles –, mais parfois aussi préparées par les pouvoirs. Les embargos illustrent le second cas. Ainsi que le note Henri Hauser142, à partir de 1630, les tensions s’avivent, les deux couronnes ne désirant plus prolonger des relations commerciales et politiques sereines. Les deux monarchies, affrontant de graves difficultés financières, cherchent par tous les moyens de nouvelles ressources, et les étrangers en sont une.
127Comment interpréter cette défense des régnicoles par la diplomatie ? Toutes les instructions officielles adressées aux ambassadeurs espagnols comportent un article traitant de cette mission, sans distinction d’origine (Italie, Flandres, Espagne, etc.). Il ne s’agit pas là d’un attachement propre aux situations personnelles dramatiques, mais de la volonté des monarques d’étendre leur pouvoir au-delà de leur propre territoire. Ce n’est pas la violation en Espagne des droits d’un sujet du roi de France qui inquiète l’ambassadeur français à Madrid, mais le fait que cette violation constitue en elle-même un défi à l’autorité du monarque français et, inversement, qu’il peut profiter de ce cas pour démontrer la force et l’influence du roi son maître. La question de la nomination des consuls illustre cette perspective.
Les affaires consulaires et la question de la nomination des consuls
128Les polémiques franco-espagnoles sur les affaires consulaires possèdent la particularité d’être limitées dans le temps. À la différence des problèmes de piraterie, de colonies ou de courriers, elles sont presque exclusivement circonscrites aux années 1614-1622, c’est-à-dire à une période où les relations entre les deux couronnes sont correctes. Il se peut que les autres périodes, entachées de conflits périphériques et de désaccords profonds sur diverses questions – duchés de Clèves et de Juliers, guerre de Mantoue, etc. –, excluent les problèmes consulaires des préoccupations espagnoles.
129À partir des archives de Simancas et des séries du Conseil d’État, en 1934, Albert Girard a étudié les disputes survenues entre les deux monarchies à propos de l’établissement des consuls en Espagne143. Ce travail complet pèche cependant par sa problématique, réduite à ces simples controverses. En nous basant sur cette étude et sur les sources rencontrées, nous tenterons de replacer la question consulaire dans le cadre des rapports bilatéraux et des conceptions de la diplomatie de la monarchie espagnole.
130Hérités du Moyen Âge et de la tradition de représentation des cités commerçantes, les consuls deviennent au cours du XVIe siècle des représentants de « nations », élus par leurs confrères, parfois nommés par les autorités locales du royaume où ils résident ou bien encore investis par leur souverain, dont ils représentent les intérêts. Au début du XVIIe siècle, la reprise des relations bilatérales près le traité de Vervins pose de nouveau la question du contrôle et du mode de nomination des consuls. Les six grandes zones d’implantation des consulats français – Lisbonne, la Cerdagne, Barcelone, Séville, Majorque et Carthagène – font l’objet de vives discussions au Conseil d’État. Ces discussions mettent en jeu les relations avec la puissance française dans la péninsule Ibérique144.
131La plus importante de ces discussions concerne la nomination d’un consul à Lisbonne. En 1616, le consul français en place, Luís de Meneses, nommé sous Henri IV, est en effet remplacé sur décision française par Jean Sampé. L’ambassadeur français à Madrid, Sennecey, demande la ratification de cette nomination par le roi d’Espagne145. Cette requête ouvre le débat sur l’instance de décision en matière consulaire. Les Espagnols souhaitent pouvoir proposer des candidats à cette fonction et, par ce moyen, se ménager la possibilité de refuser certains noms proposés par la France. Mais la période n’est pas favorable et Madrid accepte la nomination de Sampé, contre l’avis du vice-roi du Portugal. Dans ses avis des 5 et 20 mai 1617, le Conseil d’État résume la gestion de cette affaire par Monteleón :
Ce qu’il [l’ambassadeur] a pu découvrir de Jean de Sampé, qui prétend être consul des Français à Lisbonne, c’est qu’il est natif de Gascogne, qu’il acheta un navire, qu’il voulait posséder et que M. de Villeroy lui vendit. Celui-ci a la provision à vie, par la grâce de ces rois, de tous les consulats hors de ce royaume [de France]146, desquels il peut prendre de l’argent, et il [Monteleón] croit que ledit Villeroy regrette les difficultés ou les retards qu’on apporte en Espagne au cas dudit Jean de Sampé. [...] Villeroy est en ce moment en grande fortune et peut beaucoup dans les matières d’État, peut-être conviendrait-il qu’on le contente en cela147...
132Ainsi, pour favoriser Villeroy, le Conseil d’État accède aux demandes françaises. Le moment est propice pour remettre en selle Monteleón et le faire revenir dans les bonnes grâces du secrétaire d’État, alors que le diplomate avait soutenu le gouvernement des Concini et particulièrement l’évêque de Luçon, qui avait brièvement remplacé le vieil homme. Le gouvernement espagnol décide aussi de tirer profit de cette concession au roi de France en étudiant les possibilités de faire nommer des consuls d’Espagne dans les terres du Roi Très-Chrétien148.
133Selon les sources espagnoles, la Cerdagne est un domaine autrement délicat. La nomination d’un consul français dans cette région, qui dépend du Royaume d’Aragon et donc du Conseil du même nom, dépend d’instances beaucoup plus nombreuses. Le vice-chancelier d’Aragon, le Conseil d’État et le Conseil d’Aragon donnent leur point de vue, soulignant qu’il existe déjà un consul pour la nation française nommé par le roi d’Espagne (un certain Gerónimo Fillol) et qu’il n’y a pas lieu d’accepter l’ingérence du roi de France149. La réaction française arrive un an plus tard, en mai 1615. Fermement, le vieux « barbon » Villeroy assure à l’ambassadeur que « si on n’admet pas le consul français, ceux-ci [les Français] n’en admettront aucun espagnol en France. » Or Villeroy sait certainement qu’il n’y a aucun consul espagnol sur le territoire du Roi Très-Chrétien ! Les conseillers espagnols sont peut-être moins bien informés : le duc del Infantado demande, lors d’une session du Conseil d’État, que Cárdenas expose la situation des consulats espagnols en France150. La résistance espagnole paraît logique : céder serait remettre en cause une décision royale au profit des Français. D’autre part, la région est sensible, la Cerdagne étant à la frontière méditerranéenne avec la France et on y craint des infiltrations ou des activités d’espionnage151.
134De telles considérations interviennent aussi dans la dispute sur la désignation du consul français à Barcelone. S’il est vrai qu’en 1579 le roi de France y nommait consul l’un de ses sujets, le duc d’Albuquerque, ancien vice-roi de Catalogne, souligne, lors d’une réunion du Conseil d’État de septembre 1622, qu’il faut cette fois-ci repousser les prétentions du souverain français – Louis XIII, en l’occurrence – à imposer son candidat. En effet, d’après Albuquerque, les deux derniers consuls pour la nation française dans la Cité Comtale ont été des vassaux espagnols152. Cependant, le Conseil d’Aragon s’engage dans la polémique et prend position contre le vice-roi et les avis du Conseil d’État. Il faut, selon les Aragonais, accepter la demande française car le précédent consul, un nommé Damián Barrera, avait usurpé le poste153. Ces remarques gênent le Conseil d’État, car une ratification pure et simple de la proposition française paraît trop désavantageuse au Roi Catholique154.
135En 1620, c’est le consulat de Séville qui fait l’objet de l’attention des dirigeants français et espagnols. Le secrétaire de l’ambassade de France à Madrid demande aux responsables espagnols d’entériner la nomination par les autorités françaises d’un nouveau consul, à la suite du décès du précédent155. Il semble que Philippe IV se soit contenté de prévenir les autorités locales du choix français156.
136À Majorque, le rôle du représentant français est différent en raison de la nature insulaire des activités qui s’y déroulent. En 1612, on l’a vu, le consul français Grenier est emprisonné pour avoir trafiqué lors du transport des morisques vers l’Afrique, au moment de leur expulsion. À la demande du roi de France, les mariages franco-espagnols venant d’être décidés, les autorités acceptent de le libérer157. La place de consul attend un nouveau titulaire, mais les Espagnols ne font aucune difficulté et accordent d’emblée à Marie de Médicis la possibilité de nommer un Français, même si le Conseil d’État précise à Cárdenas :
Encore que la nomination du consul du roi de France soit juste, [et] que la personne nommée soit à notre satisfaction, on pourra écrire à don Íñigo de Cárdenas qu’il fasse en sorte que ce soient des personnes de beaucoup de confiance158.
137À Carthagène, le consul de la nation française est un Malouin nommé Julien Launay-Longaban, qui est en rapport avec les diplomates espagnols à Paris depuis l’année 1585 au moins159. Selon A. Girard, sa mort, en 1620, ouvre une vive concurrence entre les quatre candidats à sa succession : deux regidores espagnols, un candidat du Conseil de Guerre, du nom de Grout, et un Français qui affirme détenir une nomination officielle du roi de France et se nomme... Cortejo (sic). A. Girard affirme qu’en 1625 le Conseil d’État accepte la nomination d’un certain Maldonado (dont nous n’avons pas trouvé trace), mais on relève dans les documents de Simancas qu’en 1626 Grout demande sa confirmation comme consul160.
138Lisbonne, la Cerdagne, Barcelone, Séville, Majorque et Carthagène : ces six lieux sont les principaux endroits où naissent des polémiques à propos des consulats. Celles-ci mettent en lumière deux types de problèmes qui se posent à la monarchie espagnole. D’une part, son organisation administrative et ses compétences en matière de nomination sont remises en cause par les prétentions françaises. D’autre part, ces problèmes révèlent les faiblesses de la cour de Madrid face à la politique de Marie de Médicis et de Louis XIII.
139Lors de la querelle sur la nomination du consul français de Lisbonne, le Conseil d’État affirme que la désignation de Sampé à ce poste ne revient pas au roi de France mais au souverain portugais, à savoir Philippe III d’Espagne161. En mars 1619, un mémoire de la chancellerie sur ce problème de la désignation des offices de consul affirme :
Le roi de France ne peut écarter en Espagne les consuls à cause d’excès qu’ils peuvent commettre, et quand il y a des plaintes des marchands, et qu’on doit placer quelque consul, il convint d’évoquer l’affaire devant les tribunaux espagnols de S. M. et non pas en France. Dans le cas où un consul viendrait à être privé de son office, le roi de France pourra en nommer un autre et demander à S. M. de le confirmer162.
140La doctrine administrative semble nette dans cette définition des règles de procédure : le roi de France nomme, le roi d’Espagne ratifie ; la justice péninsulaire tranche les litiges et le consul dépend des lois locales. En réalité, la situation est plus compliquée. Nous avons vu intervenir les Conseils de Guerre, d’Aragon, de Portugal, les vice-rois et, bien entendu, le Conseil d’État. De plus, A. Girard affirme qu’à Málaga le Conseil de Castille nomme le consul des nations étrangères et que cette charge est considérée comme relevant du roi d’Espagne163. En somme, il ne semble pas y avoir de procédure officielle, malgré les affirmations de certains membres des Conseils. Pragmatique, le Conseil d’État décide en fonction de l’état des relations bilatérales, de la situation géographique des consulats et des rapports de force entre les instances administratives de la Monarchie.
141Cet empirisme est patent : Madrid ne dispose d’aucun plan d’ensemble, ne suit aucune règle permanente à propos des questions consulaires. Face aux instances du roi de France pour faire accepter certaines nominations, le Conseil d’État réclame à son ambassadeur à Paris un état complet des fonctions consulaires espagnoles en France, ne possédant lui-même aucune indication sur leur existence ou leur éventuelle absence. Le plus étonnant est encore la réponse de Cárdenas :
On a demandé à don Íñigo de Cárdenas s’il y avait des consuls espagnols en France. Il affirme qu’il y en eut dans le passé, mais qu’actuellement, il n’y en a plus depuis les paix de Vervins. Il estime intéressant qu’il y en ait, particulièrement à Marseille en raison du trafic avec le Levant, l’Italie et l’Afrique. Il ajoute qu’il conviendrait d’en nommer à Rouen, au Havre de Grâce et à La Rochelle – à cause du trafic avec l’Espagne et les Indes –, où le consul découvrirait les trafics secrets de fausse monnaie et de livres hérétiques qu’ils ont l’habitude d’envoyer de là vers l’Espagne. Il prévient que ces consuls devront être de préférence des Espagnols (en aucun cas des Portugais, car ceux-ci en France sont tous juifs) et, si on ne trouve pas d’Espagnols, on pourrait alors nommer des Flamands catholiques des provinces restées dans l’obéissance ou, faute de quelqu’un de ces régions, des Italiens vassaux de V. M. Non seulement ces consuls serviraient dans leur office mais aussi, par leur intermédiaire, les ambassadeurs pourraient être avisés de beaucoup de choses164.
142Ainsi, les responsables apprennent que la monarchie espagnole est dépourvue de réseau consulaire en France. Cette insuffisance est révélée non par un manque d’efficacité commerciale ou de protection des nationaux, mais par la comparaison avec la politique internationale française : l’implantation d’un tel réseau se justifie uniquement par son utilité du point de vue du renseignement. Pour Cárdenas, la fonction consulaire se réduit à un rôle d’indicateur de la Couronne, et son but n’est pas de sauvegarder les intérêts des négociants espagnols car, à lire le diplomate, on a l’impression que ceux-ci sont absents de France. Le thème de la faiblesse de la bourgeoisie castillane est bien connu165 et l’absence de politique consulaire espagnole en France en fournit une excellente illustration.
143Un autre élément de la lettre de Cárdenas confirme la fermeture politique de la Monarchie. On refuse d’employer les Portugais au service du Roi Catholique et on rechigne à se servir des régnicoles non péninsulaires. Sont-ils des sujets de « seconde catégorie », auxquels on ne fait appel qu’en cas de défaillance espagnole ? Celle-ci est patente à la lecture des lettres de Monteleón :
Il dit qu’il n’a aucune nouvelle de la présence dans ce royaume d’Espagnols (à l’exclusion des Portugais) qui puissent servir de consuls, ni même d’autres nations vassales166.
144Pour le port de Marseille, que Cárdenas considère comme une place importante du commerce méditerranéen, le Conseil et les diplomates ne trouvent aucun régnicole susceptible d’exercer les fonctions de consul. En revanche, dans une requête au Conseil d’État, un Français nommé Antoine Cestier, chevalier du Saint-Sépulcre, présente sa candidature au consulat espagnol de la cité phocéenne. Le Conseil souligne qu’il serait pratique de posséder un tel agent, « aficionado » de la couronne espagnole et bien connu à la cour de Madrid : il pourrait rendre compte aux généraux espagnols des galères qui croisent devant Marseille167... Ici encore, l’inspiration relève de préoccupations politico-militaires et non économiques. On ne voit dans cette proposition que les avantages en matière de renseignement. Dans ces conditions, l’infériorité espagnole ne fait pas de doute.
145Si les consuls français sont eux aussi considérés comme des informateurs par le gouvernement du Roi Très-Chrétien, leur nomination ne se décide pas en fonction de ce critère et l’essentiel de leur activité ne relève pas du renseignement. Ils s’occupent des procès mettant aux prises leurs « compatriotes » avec la justice locale, travaillent en collaboration avec les autorités à propos des activités commerciales et, en dernier lieu, ils peuvent servir d’indicateurs à la monarchie française. L’activité du consul français de Saint-Sébastien montre ces aspects variés des missions consulaires françaises, qui n’excluent pas l’information168.
146À la lecture des noms des différents consuls français, on est en droit de supposer l’existence de doubles jeux menés au profit de l’Espagne. Julien Launay-Longaban, consul à Carthagène, entretient des relations avec nombre de ligueurs exilés dans la Péninsule, dont Raffis. Il a traité avec les diplomates espagnols dans les dernières années du XVIe siècle. Quant au nommé Juan Blas y Ademat, consul à Barcelone169, il pourrait bien s’agir de cet ami de L’Hoste, Juan Blas (Jean Blas si on adopte l’orthographe française), qui en 1598 s’est réfugié à Madrid.
147Deux aspects saillants de cette diplomatie espagnole apparaissent donc. D’une part, la difficulté d’appréhender la Monarchie dans toute son ampleur, à prendre en considération l’ensemble des possessions du Roi Catholique comme constitutives de la Couronne, conduit à adopter, au prix d’une certaine restriction, un point de vue purement ibérique. D’autre part, un certain retard dans la formation d’un réseau consulaire et dans la protection des nationaux – résultant tout autant de la structure économique et sociale de la péninsule Ibérique que de la volonté politique – apparaît nettement au vu de la faiblesse des avis sur la sauvegarde des Espagnols en France et de l’absence de consuls d’Espagne dans le royaume du Très-Chrétien. Le royaume – ou plutôt les royaumes du Roi Catholique – paraissent déjà trop vastes pour pouvoir être organisés depuis Madrid.
148Malgré une administration efficace (conservation des archives diplomatiques, permanence de certaines catégories de personnels d’ambassade), la Monarchie Catholique ne parvient pas à intégrer certains éléments de la politique extérieure. Ces lacunes constituent autant d’indices permettant de comprendre les choix opérés par la Couronne en matière de politique étrangère. Axée sur la quête du renseignement, la diplomatie espagnole concentre ses efforts et ses moyens sur les missions à l’étranger.
Notes de bas de page
1 Alfred Vacant (dir.), Dictionnaire de théologie catholique, Paris, Letouzey et Ané, 1927, t. VII(1), article « Immunité », p. 1278.
2 P. Cahier, Le droit diplomatique contemporain, p. 5, définit le droit diplomatique comme « l’ensemble des normes juridiques destinées à régler les rapports qui se forment entre les différents organes des sujets de droit international chargés de manière permanente ou temporaire des relations extérieures de ces sujets. »
3 Encyclopaedia Universalis, Paris, t. VII (1993), p. 1708. Définition identique dans Paul Robert, Dictionnaire de la langue française, Paris, t. II (1955).
4 N. Elias, La société de cour, p. 97.
5 Voir son arrivée à Paris comme représentant de la Suède de Oxenstierna sous la minorité de la reine Christine (AGS, K, 1423, f° 57, résumé de la relation de Benavente en février 1634).
6 Selon l’expression d’A. Jouanna, « Idéologies de guerre et idéologies de paix dans la seconde moitié du XVIe siècle ».
7 AGS, E, 1491, ordre du roi au secrétaire d’Italie, le 21 juin 1612,
8 La croisade (cruzada) était un impôt ecclésiastique que depuis 1122 une bulle papale autorisait la Monarchie à percevoir, et automatiquement renouvelé depuis les Rois Catholiques ; elle était en principe destinée à financer la lutte contre la menace musulmane.
9 AGS, K, 1433, Conseil d’État du 28 septembre 1623. Ce document rappelle que Fiesco fut trésorier de la cruzada et qu’il fit « la plus grande et générale faillite au préjudice de V. M. que l’on a jamais vue ». Voir aussi AGS, K, 1480, f° 55, Mirabel au Roi le 26 novembre 1625 ; AGS, K, 1437, f° 185, le roi à Mirabel le 7 novembre 1623.
10 AGS, K, 1433, f° 66, Conseil d’État du 18 septembre 1625.
11 AGS, K, 1426, f° 106, année 1603.
12 AGS, K, 1438, f° 1, Monteleón au roi le 31 juillet 1618.
13 AGS, K, 1461, le 22 février 1608, lettre d’Irarraga au roi.
14 J.-P. Amalric, « L’œil et la main de l’Espagne dans les affaires françaises », p. 28.
15 C.de Benavente y Benavides, Advertencias para reyes, príncipes y embajadores, pp. 98-99.
16 AGS, E, 625, f° 83, le 26 mars 1607.
17 Plusieurs liasses de la série K de Simancas mentionnent Zamet à différents propos, lors du règlement financier de l’occupation espagnole du Blavet, puis lors du transport des troupes du Roi Catholique. De plus, il est ami de l’espion Martín del Espíritu Santo, auquel nous avons déjà fait allusion.
18 F. Bayard, Le monde des financiers au XVIIe siècle, pp. 304, 335 et 338 ; J.-F. Dubost, Les Italiens en France aux XVIe et XVIIe siècles, pp. 662-663.
19 M. Carmona, Marie de Médicis, p. 58.
20 AGS, K, 1464, f°40, Cárdenas à Aróstegui le 6 février 1611.
21 C. de Benavente y Benavides, Advertencias para reyes, príncipes y embajadores, p. 99.
22 AGS, K, 1461, le 20 novembre 1608 et pièce 21.
23 R. de Courcel, « L’Hôtel des ambassadeurs extraordinaires ».
24 AGS, K, 1481, ffos 37-59, Ramírez de Prado au roi le 7 avril 1628.
25 AGS, K, 1460, Irarraga au roi le 18 mars 1606.
26 AGS, K, 1593, Conseil d’État du 27 novembre 1619.
27 AGS, K, 1425, f° 29, le roi à Benavente le 12 juin 1633.
28 AGS, K, 1593, Girón à Ciriza le 12 avril 1620.
29 AGS, K, 1593, Conseil d’État du 11 décembre 1618.
30 AGS, Consejos y Juntas de Hacienda, 510-18-22.
31 AGS, K, 1446, f° 65, Navaz le 20 juin 1629.
32 AGS, K, 1478, f° 49, l’ambassadeur de France à Madrid en mars 1621 au secrétaire d’État Ciriza.
33 Personnage de premier plan, Francisco Ruiz de Castro assure de 1601 à 1603 l’intérim de la vice-royauté de Naples après la mort de son père. Futur comte de Lemos, il entre dans les ordres en 1629 et se fait bénédictin, abandonnant ses titres et biens à son fils.
34 AGS, K, 1477, f° 32, Rafael de Cornero à Juan de Ciriza le 17 février 1620.
35 Officier de la maison du roi.
36 AGS, K, 1456, f° 2, « Relation de ce qui est arrivé dans la maison donnée pour résidence à l’ambassadeur de France » (relation envoyée à Mirabel).
37 Devenu conseiller d’État de Philippe IV.
38 AGS, K, 1456, f° 8, le roi à Mirabel le 9 février 1621.
39 AGS, K, 1456, f° 11, Ciriza à Mirabel le 14 février 1621.
40 AGS, K, 1438, f° 10, consulta du Conseil royal de justice du 30 janvier 1621.
41 AGS, K, 1456, f° 26, Ciriza à Mirabel le 8 mars 1621.
42 AGS, K, 1433, ffos 59-60, Conseil d’État du 3 août 1621.
43 N. Elias, La société de cour, pp. 17-45.
44 Voir au présent chapitre, infra pp. 229-231.
45 AGS, K, 1462, f°143, Cárdenas au roi.
46 AGS, K, 1595, f° 22, Conseil d’État du 26 mai 1610.
47 AGS, E, 1354, f° 139, le 10 juin 1610, La Cueva au roi.
48 AGS, K, 1609, Conseil d’État du 3 mai 1612 sur les lettres de Cárdenas des 11, 12 et 13 avril.
49 AGS, K, 1605, Tassis au roi le 7 août 1602.
50 AGS, K, 1426, f° 36, Conseil d’État du 23 août 1602.
51 AGS, K, 1426, lettre de Zúñiga le 8 décembre 1605.
52 AGS, K, 1612, Monteleón au roi le 11 avril 1616, sur les offres de Guise à propos de la guerre contre Chartes-Emmanuel de Savoie.
53 P. Grillon, Les papiers de Richelieu, t. I, pp. 205-206, lettre de Richelieu à la reine mère le 16 août 1625.
54 Voir notre répertoire des espions à ce nom, p. 603.
55 BNF, Fonds français, ms. 8452, discours de M. de Guesle sur la mort du maréchal de Biron, dossier ffos 2-205.
56 Voir chap. IV, p. 175.
57 AGS, K, 1606, lettre de Zúñiga le 26 mai 1604 ; Lettres médites d’Henri IV à Monsieur de Béthune, éd. E, Halphen, voir lettre d’Henri IV à Bellièvre sur la libération du valet de l’ambassadeur d’Espagne qui accompagnait L’Hoste et le respect des immunités diplomatiques.
58 AGS, K, 1417, f° 76, Conseil d’État du 10 juin 1635.
59 C. de Benavente y Benavides, Advertencias para reyes, príncipes y embajadores, p. 341.
60 A. Gutiérrez, La France et les Français dans la littérature espagnole, pp. 38 sqq. ; J. L. Cano de Gardoqui y Sinobas, « El incidente del embajador francés en Valladolid » ; Lettres d’Henri IV au comte de Rochepot, éd. P.-P. Laffleur de Kermaingant, pp. 99 sqq. ; Nicolas Leroux, « Représentation diplomatique et guerre couverte. La mission diplomatique du comte de La Rochepot », dans Claudine Vidal et Frédérique Pilleboue (éd.), La paix de Vervins (1598), Amiens, Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie de l’Aisne, 1998, pp. 185-228. Les dossiers AGS, K, 1604 et 1451 contiennent les lettres envoyées à Tassis et les discussions du Conseil d’État.
61 Lettres d’Henri IV au comte de La Rochepot, éd. P.-P. Laffleur de Kermaingant, pp. 99-100.
62 AGS, K, 1608, f° 42, Rodrigo Calderón à Prada le 8 février 1610 et f° 53, avis du Conseil d’État le 18 février 1610.
63 AGS, K, 1467, f° 78, le duc de Mayenne à l’alcade Aguilera le 16 juillet 1612.
64 AGS, K, 1469,1614 (mai ?) plainte du baron de Vaucelas au roi d’Espagne.
65 AGS, K, 1471, f° 153, juin 1616.
66 AGS, K, 1457, f° 8, le roi à Mirabel le 3 mars 1623.
67 AGS, K, 1423, ffos 21-25-26-29, juillet 1634.
68 AGS, K, 1417, f° 78, le 19 juin 1635 et f° 80, le 30 juin 1635.
69 Ch. Weiss, L’Espagne depuis le règne de Philippe II jusqu’à ravinement des Bourbons, t. I, p. 309 (source : Watson, Pièces justificatives, t. III, p. 173).
70 AGS, K, 1593, sessions du Conseil d’État des 2 juin 1619 et du 4 juillet 1619.
71 AGS, K, 1593, pétition du secrétaire de l’ambassade de France de juin 1620.
72 AGS,K, 1455, f° 32, le roi au vice-chancelier d’Aragon le 2 avril 1618,
73 AGS, K, 1416, ffos 1-2-6, lettres de Louis XIII à Barrault et de Barrault à Olivares ; et Conseil d’État du 10 mars 1633.
74 AGS, K, 1467, f° 2, Cárdenas au roi le 3 juin 1612.
75 AGS, E, 3828, f° 100, le 19 septembre 1920.
76 AGS, E, 3828, f° 94, Conseil d’État du 19 septembre 1620.
77 AGS, E, 3828, f° 99.
78 Protocole et cérémonial : pour une définition de ces deux notions, voir le présent chapitre, infra p. 232.
79 AGS, K, 1458, f° 207, le roi aux ambassadeurs de France et d’Allemagne, 1627.
80 A. Gutiérrez, La France et les Français dans la littérature espagnole, p. 40.
81 Le cérémonial est déjà largement utilisé à la cour de France à partir des Valois : voir les travaux de Jacqueline Boucher et de Nicolas Le Roux sur la cour d’Henri III et l’accroissement du cérémonial. Pour la cour des Habsbourg d’Espagne, voir Maria Antonietta Visceglia, « El ceremonial español en Roma en la época de Felipe II », dans Ernest Belenguer Cebrià (coord.), La monarquía y los reinos (I), t. III de Id. (dir.), Felipe II y el Mediterráneo, pp. 163-195.
82 « La Dignité ne meurt jamais, alors que les individus meurent chaque jour » affirme en 1215, quatre siècles auparavant, un canoniste cité par R. E. Giesey, Cérémonial et puissance souveraine, p. 14.
83 R. E. Giesey, Cérémonial et puissance souveraine, p. 31 : « J’inscris les funérailles d’Henri IV dans le contexte plus large des autres “cérémonials d’État” qui furent accomplis peu avant ou peu après : le lit de justice, l’entrée, le sacre et le couronnement. » Voir pp. 21-32, la synthèse de l’auteur à propos de son livre, Le roi ne meurt jamais. Les obsèques royales dans la France de la Renaissance, Paris, Flammarion, 1987.
84 Chap. III, n. 2,
85 Dans les autres cours européennes, la compétition entre les agents du Roi Catholique et du Roi Très-Chrétien est vive. Léon X(1513-1521) avait argumenté en faveur de la préséance française, sur la base de l’ancienneté de cette couronne et du titre donné à la France de « fille aînée de l’Église », mais elle est la source d’innombrables disputes (en 1556 à Venise, en 1563 à Rome, en 1633 entre le comte d’Avaux et le marquis de la Fuente à Copenhague – à l’occasion du mariage de l’héritier du trône danois, auquel Fuente refusa d’assister—, en 1657 à La Haye, et – le plus retentissant et le dernier de cette longue série – en 1661 lors de l’ambassade Watteville à Londres). Voir M. Torra-Balarí, « La cuestión de la precedencia y una carta del conde de La Roca », et sur l’affaire londonienne, Abraham Van Wicquefort, L’ambassadeur et ses fonctions, La Haye, 1682, t. I, section 24 : de la compétition entre la France et l’Espagne.
86 Chap. III, pp. 148-149.
87 AGS, K, 1462, f° 135, Cárdenas au roi le 7 mai 1610.
88 Ce personnage est la victime traditionnelle d’Arlequin, dans les farces italiennes.
89 AGS, K, 1462, f° 139, le 17 mai 1610, Cárdenas au roi.
90 AGS, K, 1462, f° 145, Cárdenas au roi le 17 mai 1610.
91 AGS, K, 1463, f° 4, Cárdenas au roi le 5 juillet 1610.
92 S. Hanley, Le lit de justice des rots de France, pp. 220-221.
93 R. E. Giesey, Cérémonial et puissance souveraine-, E. H. Kantorowicz, Les deux corps du roi.
94 AGS, K, 1463, f° 8, Cárdenas au roi le 5 juillet 1610.
95 Codoin, t. V, p. 168, Cárdenas au roi le 5 juillet 1610.
96 Lors de la cérémonie du 29 juin 1610, au cours de laquelle le cercueil du roi fut transporté à Notre-Dame, on assista à une répétition de querelles de préséances entre les différents corps de la société française. Il fallut la menace des arquebuses pour faire accepter la préséance de l’évêque de Paris sur les parlementaires (M. Carmona, Marie de Médicis, p. 180).
97 CODOIN, t. V, p. 169, le roi à Cárdenas le 29 juillet 1610.
98 AGS, K, 1463, f° 77, Feria à Prada le 21 septembre 1610.
99 AGS, K, 1466, Cárdenas au roi le 12 avril 1612.
100 AGS, K, 1466, f° 100, Cárdenas au roi le 12 avril 1612,
101 Sur le sens précis du mot carreau, voir le chap. III, n. 172.
102 AGS, K, 1611, Conseil d’État du 24 décembre 1615.
103 AGS, K, 1454, f° 78, le roi à Monteleón, le 12 janvier 1616.
104 AGS, K, 1431, f° 113, Conseil d’État du 26 novembre 1620 sur une lettre de Mirabel du 26 novembre.
105 AGS, K, 1453, f° 190, le roi à Mirabel le 24 novembre 1620.
106 P. Cahier, Le droit diplomatique contemporain, pp. 10-11 : avec ces changements, « le droit diplomatique prend un aspect plus complexe et plus précis. Il devient un véritable droit, c’est-à-dire un ensemble de normes obligatoires pour les États, fondé sur une coutume que les États sentent le devoir de respecter. »
107 AGS, K, 1454, f° 74, Ciriza au confesseur de la reine de France, janvier 1616.
108 AGS, K, 1437, f° 100, lettre d’Anne d’Autriche à Olivares le 2 août 1629.
109 AGS, K, 1421, f° 41, Mirabel au roi le 26 février 1631,
110 AGS, K, 1460, Tassis au roi le 15 mai 1599 ; C. de Benavente y Benavides, Advertencias para reyes, principes y embajadores, pp. 99-100.
111 AGS, K, 1434, f° 25, Conseil d’État du 14 janvier 1627.
112 AGS, K, 1434, f° 26.
113 AGS, K, 1422, ffos 16 et 18, Conseils d’État des 15 et 26 août 1632.
114 AGS, K, 1604, Tassis au roi le 4 août 1601 sur l’entrevue orageuse avec Villeroy et le 7 août sur l’audience royale.
115 AGS, K, 1462, f° 8, Cárdenas au roi le 27 janvier 1610.
116 AGS, K, 1415, f° 93b, Conseil d’État d’août 1632.
117 AGS, K, 1421, f° 6, résumé de trois lettres de Navaz des 14, 23 et 26 mars 1632,
118 AGS, K, 1417, f° 23, précis de la correspondance de Benavente du 3 au 22 mai 1634.
119 AGS, K, 1417, ffos 27-28-34, Conseils d’État de juillet 1634.
120 Paul Fauchille, Traité de droit international public, Paris, A Rousseau, 1922-1926 (4 vol.), t. I, pp. 109-110.
121 AGS, K, 1602, juin et août 1599.
122 AGS, K, 1451, f° 35, le roi à Tassis, le 4 juillet 1601.
123 AGS, K, 1471, f° 172, Monteleón au roi le 9 juillet 1616, avec une note de l’ambassadeur de France à Madrid.
124 Est-ce le même personnage que celui qui, en 1576, dirigea le vaisseau La Salamandre, équipé par Philippe Strozzi ? (voir Ch. de La Roncière, Histoire de la marine française, t. IV, sur les reconnaissances secrètes au Brésil). En 1618, on retrouve un personnage du même nom qui propose à Monteleón de lui fournir un nouvel instrument mathématique : voir AGS, K, 1455, f° 39, le roi à Monteleón le 9 juin 1618.
125 AGS, K, 1454, f° 4, le roi à Cárdenas le 21 juillet 1615 ; AGS, K, 1471, f° 47, le 10 février 1616, Monteleón au roi.
126 AGS, K, 1465, ffos 32-35, années 1611-1612.
127 AGS, K, 1478, f° 166, ordre de Philippe IV au secrétaire d’État Ciriza pour étudier ce dossier en Conseil d’État le 20 décembre 1621.
128 AGS, K, 1451, f° 59, le roi à Tassis, le 14 mars 1602.
129 AGS, K, 1605, Tassis le 18 janvier 1602.
130 AGS, K, 1427, f° 83, Conseil d’État du 9 août 1612 sur un rapport de Jacques de Lago (Varon del Lago), seigneur catholique.
131 AGS, K, 1478, ffos 105-107, mémoire de l’ambassadeur de France au roi d’Espagne (en date du 20 juillet 1621) et divers documents sur cette affaire. Il est vrai que le diplomate a tout intérêt à affirmer l’orthodoxie de ses congénères et à exagérer les sommes confisquées.
132 Le Mercure françois, t. X (1625), p. 495.
133 Dont six concernent surtout des frontaliers appartenant aux deux versants, comme les qui opposent les commerçants d’Hendaye et de Fontarabie : voir par exemple AGS, K, 1431 f° 42, Conseil d’État du 5 mars 1619 sur une lettre de Girón du 25 février.
134 AGS, K, 1452 ; AGS, K, 1460 sur le naufrage de 1607 et AGS, K, 1434,1444 et 1481. Ces dossiers possèdent de nombreux documents sur les négociations de restitution de 1627.
135 AGS, K, 1451, f° 66, le roi à Tassis le 5 juillet 1602.
136 AGS, K, 1437, f° 253, le roi à Mirabel le 2 août 1626 : le roi le félicite de la libération de 16 Biscayens pris dans les galères du roi de France.
137 AGS, K, 1481, ffos 99-101, lettres de Mirabel à Villela les 30 octobre et 9 novembre 1628.
138 AGS, K, 1416, f° 10, note d’Antonio Hurtado de Mendoza le 14 avril 1633.
139 On retrouve ce seigneur huguenot en 1626 lors de l’assemblée protestante en Languedoc, à laquelle il participe comme député du Bas-Languedoc ; voir Claude D EVIC et Joseph Vaissette, Histoire du Languedoc, Toulouse, Privat (15 vol.), t. XII (1889), p. 1734.
140 AGS, K, 1479, ffos 8 et 23, janvier et mars ou avril 1622.
141 AGS, K, 1472, P 82, octobre 1616, note à Monteleón ; et P 29, lettre de Louis XIII à Philippe III.
142 H. Hauser, « Les relations commerciales entre la France et l’Espagne et la politique de Richelieu ».
143 A. Girard, « Notes sur les consuls étrangers en Espagne avant le traité des Pyrénées ».
144 L’étude mentionnée d’Albert Girard ne prend pas en compte les affaires des consulats de Cerdagne et de Majorque. Pour notre part, nous n’avons pas trouvé trace de l’affaire concernant le consulat français de Cadix auquel cet auteur fait allusion.
145 AGS, K, 1475, f° 78, mémoire de M. de Sennecey.
146 Les lettres de l’ambassadeur datent du lendemain de l’assassinat de Concini, et donc du retour au pouvoir de Villeroy.
147 AGS, K, 1613, Conseil d’État des 5 et 20 mai 1617.
148 AGS, K, 1613, le Conseil d’État du 1er juin 1617.
149 AGS, K, 1429, f° 2, Conseil d’État du 22 août 1614.
150 AGS, K, 1429, f° 18, Conseil d’État du 31 mai 1615.
151 AGS, K, 1453, le 15 novembre 1614, le roi à Cárdenas.
152 AG S, K, 1432, f° 5-9, Conseil d’État du 5 septembre 1622,
153 AGS, K, 1438, P 66, consulta du Conseil d’Aragon, s. d. (1622).
154 AGS, K, 1438, P 71, Conseil d’État du 5 septembre 1622 sur la consulta du Conseil d’Aragon.
155 AGS, K, 1477, P 54, le 29 mars 1620, note du secrétaire de l’ambassade de France.
156 AGS, K, 1456, P 83 le roi à son représentant à Séville, 1621 (en juillet, très probablement).
157 AGS, K, 1452,1e 14 février 1612.
158 AGS, K, 1429, f° 1, Conseil d’État du 27 octobre 1612.
159 Voir l’entrée « Launay-Langaban » dans notre répertoire des espions, p. 613.
160 AGS, K, 1440, f° 52, note de Laurent Grout.
161 AGS, K, 1430, f° 65, Conseil d’État du 1er juin 1617.
162 AGS, K, 1476, f° 50, mémento de chancellerie.
163 A. Girard, « Notes sur les consuls étrangers en Espagne avant le traité des Pyrénées », p. 129.
164 AGS, K, 1613, rapport de Cárdenas, mai 1617.
165 F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, p. 68 : « Il n’est pas excessif, à condition de se porter assez avant dans le XVIIe siècle, de parler d’une faillite de la bourgeoisie. » La faillite semble telle qu’il ne paraît y avoir eu aucun négociant espagnol de quelque importance dans les ports français. Ou du moins, si jamais il y en avait, la Monarchie n’a pas compris l’enjeu leur présence.
166 AGS, K, 1613, les 5 et 20 mai 1617.
167 AGS, K, 1479, P 31, le 21 juillet 1622, mémoire d’Antoine Cestier.
168 BNF, Fonds français, ms. 16112, ffos 204-205, lettre du consul français de Saint-Sébastien avertissant des réserves de poudres faites par l’Espagne destinées aux navires de la côte de Biscaye (1603).
169 AGS, K, 1474, f° 93.
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