Entre imperatores et empereurs
Les regards de Rome sur le détroit de Gibraltar
p. 293-316
Texte intégral
1Perçue dans la tradition héritée des Grecs comme l’extrémité du monde habité, lieu de deux épisodes des exploits d’Héraclès1, regardée également comme une région riche, regard véhiculé aussi bien par la circulation d’anciens mythes comme celui de Tartessos, que par l’expérience carthaginoise qui y fut menée par les Barca à partir de 237 av. J.-C., la région du détroit dont nous traiterons ici (voir carte) entre en partie dans le giron de Rome à partir de la fin de la deuxième guerre punique. En 206 av. J.-C., la bataille d’Ilipa met fin à la domination carthaginoise sur l’Andalousie ; Gadès, principale puissance de la zone, qui a su changer de camp à temps, conclut avec Rome un foedus qui lui garantit le maintien de son autonomie et certains privilèges2, et, en 197 av. J.-C., Rome, qui ne domine encore réellement et non sans mal, qu’une bande couvrant le territoire s’étendant du littoral jusqu’à la vallée du Bétis, envoie pour la première fois un préteur pour diriger les opérations dans la nouvelle provincia d’Hispania Ulterior.
2Comment le pouvoir romain et les hommes qui l’incarnaient se sont-ils représentés cette région éloignée de Rome, qui fut en même temps, juste après la Sicile (en 241 av. J.-C.) et avec l’Hispania Citerior, un des premiers jalons d’une fulgurante expansion autour du bassin méditerranéen ? Comment cette ou ces représentations de la zone du détroit ont-elles évolué au cours du temps, en fonction des profonds changements qui ont affecté le pouvoir, ses acteurs et les conditions de son exercice, particulièrement entre la crise gracchienne (133 av. J.-C.) et la mort d’Auguste (14 apr. J.-C.), époque sur laquelle, pour cette raison, nous concentrerons principalement notre analyse.
3Pour traiter ces questions, nous ne disposons malheureusement de presque aucune donnée directe qui nous fasse part de la façon dont les nobiles qui dirigeaient la République, les imperatores qui s’affrontèrent pour le pouvoir, et l’empereur lui-même ont pensé la région du détroit. Pour essayer de décrypter ces perceptions, nous sommes obligés de recourir à différents types d’ouvrages qui ont chacun leur propre contexte d’élaboration, leurs propres finalités aussi, mais dont les données évènementielles qu’ils livrent permettent d’essayer de reconstruire quelles ont pu être les représentations des gouvernants sur cet espace.
4Parmi ces sources, pour la période envisagée, la part belle revient aux grandes œuvres historiques traditionnelles que sont celles de Tite-Live, Salluste, Velleius Paterculus, Appien et Dion Cassius, et aux biographies. Parmi elles, les vies de César et Auguste de Suétone, et celles de Pompée, Sertorius et César de Plutarque, parce qu’elles cherchent à cerner les motivations des acteurs, présentent un intérêt certain dans le domaine des représentations. De la même façon, élaborés dans l’entourage proche de César, les livres du corpus césarien, le Bellum civile, le Bellum Africanum et le Bellum Hispaniense sont aussi forts utiles pour la période cruciale des guerres civiles en Espagne et dans le nord de l’Afrique. Pour la période augustéenne, nous concentrerons notre regard sur les Res Gestae, seule source émanant directement du pouvoir, et sur l’œuvre de Strabon qui, de par son objectif comme par le public visé, constitue une pièce majeure dans ce dossier.
5De l’ensemble de ces sources et des évènements qu’elles décrivent, qu’il n’est pas possible dans le cadre du présent travail d’analyser de manière exhaustive, il nous semble ressortir quelques pistes de réflexion.
6La première est qu’en termes de représentations
de l’espace du détroit paraissent se distinguer plusieurs
niveaux de temporalité. Ainsi, semblent se dégager des unités de temps
relativement courtes, à l’échelle d’un ou deux siècles, dans
lesquelles, aux yeux du pouvoir, le détroit est apparu selon des
facettes de représentations assez homogènes, très liées au contexte
d’exercice de ce pouvoir, et, d’autre part, un temps plus long, à
l’échelle de la domination romaine, où cette zone, finalement, au-delà
des formes de régime, paraît n’avoir jamais été considérée comme un
espace uniforme, présentant un intérêt égal pour la grandeur de
Rome.
7Sous la République, le contexte est marqué par une expansion continue de Rome au-delà de la péninsule italienne et le développement d’un impérialisme assumé. Dans ce cadre, le jeu des institutions républicaines favorisait une compétition politique au sein du cercle étroit des nobiles qui dirigeaient les affaires de l’État, en tant que sénateurs et/ou magistrats. Cette compétition s’accentua magistralement avec la crise institutionnelle et politique ouverte par l’échec des Gracques et la division des élites dirigeantes entre deux courants antagonistes. Elle donna naissance à la figure des imperatores, qui s’appuyèrent sur une armée dévouée et leurs succès militaires pour tenter de contrôler l’État. Dans cette configuration, la région du détroit paraît avoir été l’objet de plusieurs types de représentations simultanées, mais dont certains se sont davantage affirmés que d’autres au fil du temps.
Sous la République : un espace à pacifier et un enjeu de la compétition politique
8Cette perception de la région du détroit par le pouvoir semble avoir été constante dès le départ des Carthaginois et jusqu’à la pacification définitive de la rive nord par César et celle de la rive sud par Auguste qui, une fois la paix rétablie, confia ce territoire à Juba II en 25 av. J.-C. En effet, s’il est sûr que la création de deux préteurs annuels3 en 197 av. J.-C. signifiait la volonté des dirigeants romains d’ancrer ces nouvelles terres dans les possessions de l’État, à l’égal de la Sicile et de la Sardaigne, les multiples récits de batailles et de combats que rapportent principalement Tite-Live et Appien dans l’Ibérique montrent à l’envie que cet espace fut longtemps considéré comme encore à pacifier sur une large échelle, la pacification d’une zone entraînant l’obligation de sécuriser ses marges et générant à son tour de nouveaux combats et de nouvelles zones d’influences.
9C’est ainsi qu’après avoir maté la révolte généralisée de la Turdétanie (avec les cités de Malacca, Sexi, Carmo)4, qui semble avoir poursuivi l’objectif de bouter les Romains hors de là, ceux-ci furent confrontés dans la vallée du Guadalquivir, mais aussi autour même du détroit proprement dit, aux raids et incursions lusitaniennes. Répondant à des objectifs aussi bien économiques que politiques5, ces troubles touchèrent particulièrement la région avec les chefs Punico (155-153 av. J.-C.) et Viriathe (147-139). Ils obligèrent par la suite les gouverneurs à se montrer vigilants, ainsi qu’en témoigne aussi l’épisode de Sertorius (81 av. J.-C.), appelé par ces populations à prendre leur tête contre Rome6, jusqu’à ce que César, lors de sa préture (61-60 av. J.-C), parvienne finalement à soumettre les peuples situés jusqu’au Tage.
10Espace de confins à pacifier, à maîtriser, la région vit aussi ses frontières reconsidérées par les dirigeants au fur et à mesure de la consolidation de la domination. Si l’objectif était au iie siècle av. J.-C. d’assurer le contrôle de la région comprise entre la côte et le Bétis, au début du ier siècle av. J.-C., les zones encore mal pacifiées s’étaient considérablement dilatées autour de cette région cœur. Tandis que la Béturie, comprise entre le Betis et l’Anas (Guadiana) avait été elle aussi largement pacifiée, trois secteurs étaient encore pensés comme appartenant à des marges à maîtriser. Outre la Lusitanie précédemment mentionnée qui suscita quelques expéditions de reconnaissance dans la foulée de la lutte contre Viriathe, la haute-vallée du Guadalquivir, autour de Castulo, paraît aussi avoir constitué un nœud possible d’opposition ou de résistance, ce dont, après l’épisode qui s’y déroule et qui permit à Sertorius de se faire remarquer pour son audace, la décision finale d’Auguste d’incorporer ce territoire dans la province impériale de Tarraconaise pourrait à sa manière rendre compte7. Enfin, la rive sud du détroit, restée jusque-là à l’écart des préoccupations romaines, entra-t-elle aussi dans cette zone de marge suite à la guerre contre Jugurtha8. De ceci témoigne clairement l’action de Sertorius en 81, qui après avoir cherché peut-être dans un premier temps à sonder les sentiments de Bocchus Ier à son endroit9, entreprit de prendre position dans le conflit de succession autour d’Ascalis et, fort de son succès, de rallier à lui les principales cités de la rive sud, notamment Tanger10.
11Étroitement corrélée à cette dimension fondamentale de la représentation du détroit sous la République qui s’affina néanmoins au cours du temps par la définition, du moins nous semble-t-il, de ce que l’on pourrait appeler une région cœur11, durablement pacifiée dès les dernières décennies du iie siècle, qu’il convenait de protéger, entourée d’espaces plus flous, plus fluctuants, qu’il convenait d’essayer de maîtriser de par la menace qu’ils représentaient ou leur implication dans les intérêts de Rome en Afrique, une autre perception fondamentale apparaît : celle d’un espace regardé comme un enjeu de la compétition politique.
12Déjà présente à l’époque de Caton12, cette représentation du détroit comme un espace qui, du fait de sa nature mal pacifiée, était propice à s’illustrer par ses exploits militaires et son gouvernement, et favorisait ainsi les ambitions de carrière et la puissance de tel ou tel membre de la nobilitas, paraît elle aussi avoir été constante tout au long de la période républicaine. Cela vaut d’ailleurs pour toute région éloignée de Rome où les nobiles étaient susceptibles de remporter des victoires et de renforcer la puissance du peuple romain.
13On retrouve cette représentation dans la vie de Marius à propos de sa propréture en Espagne ultérieure (114-113 av. J.-C.), durant laquelle il s’attacha à éliminer les bandits de cette province « dont les mœurs étaient encore brutales et sauvages ». Cette action confirma l’estime que ses concitoyens lui portaient et lui permit de faire un « brillant mariage », ce qui décida le consul Caecilius Metellus à l’emmener comme légat dans la guerre contre Jugurtha13. Cette représentation de la région comme tremplin de carrière apparaît aussi dans le parcours de Sertorius. Ainsi, Plutarque nous enseigne qu’après avoir fait ses premières armes sous Marius contre les Cimbres et les Teutons, et s’être déjà signalé par « des traits d’intelligence et d’audace qui lui acquirent une grande renommée et la confiance du général14 », Sertorius fut envoyé comme tribun militaire en Espagne, dans cette région de l’arrière-pays du détroit boisée et difficile d’accès autour de Castulo. Là, il se distingua par le massacre de Celtibères révoltés grâce à la ruse, ce qui lui valut d’être « dès lors […] réputé en Espagne » et d’être élu sans coup férir à la questure aussitôt revenu à Rome15.
14De la même façon, c’est la pacification de cet espace de marge que constituait la Lusitanie jusqu’au Tage, doublée d’une avancée jusqu’à cette fin du monde que représentaient la Callaecie et la mer Extérieure à partir de sa provincia d’Hispania Ulterior, qui permit à César de prétendre dès son retour au triomphe et au consulat après sa propréture de 61-60 av. J.-C.16.
15Cette perception de l’espace du détroit et de ses marges comme un espace où s’illustrer et s’enrichir17 revêtit cependant avec le temps un caractère de plus en plus crucial, au fur et à mesure que s’accentuaient les tensions politiques. En même temps, elle s’assortit de plusieurs autres aspects : une valeur de refuge liée à l’éloignement du centre comme à l’existence de marges, une valeur de point d’appui politique par la mise en place de relations clientélaires dans les territoires déjà pacifiés. Celles-ci, en effet, constituaient dans le cadre de la déliquescence des institutions républicaines et de la compétition accrue entre les partis et les imperatores qui se réclamaient d’eux, des éléments non négligeables de puissance et de soutien.
16Cette complexification de la manière dont a pu être pensée et regardée la région du détroit par les principaux protagonistes de ces luttes civiles dans le siècle qui sépare la crise gracchienne (133-121 av. J.-C.) et ses suites18 de la bataille d’Actium (31 av. J.-C.), qui marque la fin des guerres civiles et la mise en place d’un pouvoir personnel, peut s’expliquer d’une certaine façon par l’évolution même de cet espace. En effet, en même temps que les « nouvelles marges »19 restaient des espaces à maîtriser ou à contrôler d’une manière ou d’une autre, l’espace-cœur du détroit, c’est-à-dire la zone côtière avec les points d’ancrage de Carteia et de Gades et la vallée du Baetis jusqu’à Cordoue, était en voie de romanisation rapide. De nombreux soldats italiens choisirent de s’y établir, des immigrants arrivèrent en plus grand nombre, notamment pour exploiter les mines, et les notables indigènes se convertirent progressivement au mode de vie romain20. Ces caractéristiques expliquent que, dans un contexte de fortes tensions politiques et de recherche de soutiens, les aristocrates et imperatores romains en compétition pour le pouvoir ou en conflit avec celui-ci dans les dernières décennies de la République aient pu voir dans cet espace un lieu propice à l’établissement de clientèles aptes à les soutenir.
17Ces différentes valeurs (valeur de prestige, de refuge, de point d’appui clientélaire, d’espace d’affrontement contre le parti adverse) qu’a pu représenter, pour les élites romaines de la fin de la République, l’espace du détroit sont bien illustrées par l’expérience de Sertorius. En effet, dans le contexte de la guerre civile qui opposa les partisans de Marius et Cinna à ceux de Sylla, Sertorius, qui appartenait au premier camp, n’ayant pu empêcher la défection de Scipion,
désespéra tout à fait de la Ville et partit pour l’Espagne : il pensait que, s’il arrivait là-bas à temps pour y établir son autorité, il ferait de ce pays un asile pour ses amis vaincus à Rome21.
18Cette ambition, d’autant plus intéressante à souligner, que Sertorius était parti en tant que propréteur et donc porteur d’une mission officielle, qu’il s’apprêtait ainsi à détourner en misant sur l’éloignement, se concrétisa d’abord, du fait de la riposte de Sylla qui envoya contre lui C. Annius Luscus, par un repli sur la zone du détroit qui dut lui apparaître comme un lieu de refuge plus sûr du fait de la possibilité de jouer sur les deux rives. Sertorius, en effet, incapable de résister à C. Annius, s’embarqua avec 3 000 hommes à Carthagène et mit le cap en Lybie chez les Maurétaniens. Obligé de se rembarquer suite à un incident avec les Barbares, il se dirigea ensuite, via un détour par les Baléares,
vers la partie de l’Espagne qui est au-delà, un peu plus loin que l’embouchure du Bétis, qui se jette dans l’océan Atlantique22.
19C’est de ce refuge, qu’il prit la décision de retourner en Lybie, afin « d’aller se joindre aux ennemis d’Ascalis23 ». Le récit que nous transmet Plutarque de cette intervention dans les troubles successoraux du royaume maure montre bien que cet espace, encore relativement marginal, mais néanmoins déjà entré dans la sphère d’influence romaine, représentait pour Sertorius un triple enjeu fort signifiant :
- Une valeur de refuge/espérance, un moyen de dynamiser ses troupes, de maintenir leur cohésion :
Il résolut d’aller se joindre aux ennemis d’Ascalis, afin de fournir à ses compagnons un renouveau d’espérances et l’occasion d’autres exploits, pour les empêcher de se disperser faute de subsistances24.
- Une valeur de prestige et un espace d’affrontement qui permet de marquer des points face à Sylla : Sertorius réalise un double coup d’éclat contre l’usurpateur Ascalis d’abord25, mais aussi contre l’envoyé du camp adverse qui avait pris le parti d’Ascalis :
Sylla ayant envoyé Paccianus au secours d’Ascalis avec une armée, Sertorius lui livra bataille, le fit périr, s’attacha ses troupes qu’il avait vaincues, et prit d’assaut Tingis, où Ascalis s’était réfugié avec ses frères.
- Une valeur de point d’appui clientélaire exprimée à deux reprises :
Les Maurétaniens le virent arriver avec plaisir […] Sertorius, devenu maître du pays, ne fit aucun tort à ceux qui vinrent le supplier et se remettre à sa discrétion ; au contraire, il leur rendit leurs biens, leurs villes et leur gouvernement, qu’ils lui avaient cédé de leur plein gré26.
20De ce point de vue, il est fort intéressant de remarquer que l’espace sud du détroit constitue aussi d’une certaine façon un terrain d’expérience dans la manière de gérer ses conquêtes et d’établir son autorité. Sertorius, ici contrairement à beaucoup de ses prédécesseurs républicains, ne pille pas, ne réprime pas, mais cherche plutôt l’adhésion des populations, plus particulièrement des cités, en pratiquant une politique de clémence et d’association qui put se traduire notamment par le recrutement de soldats maures qui se joignirent à ses troupes lors de son retour en Espagne27.
21Ces différentes facettes de la représentation de l’espace du détroit ont revêtu encore davantage d’acuité pendant la période suivante, particulièrement dans la guerre qui opposa le camp de César à celui de Pompée (49-45), et plus secondairement dans la période du second triumvirat (43-31 av. J.-C.). Il est hors de notre propos de revenir ici sur tous ces évènements, qui ont déjà fait l’objet de nombreuses études28, mais on peut tenter de synthétiser dans un tableau les principales actions qui illustrent ces diverses dimensions.
Les différentes valeurs du détroit pendant les guerres civiles de la fin de la République
épisode concernant | refuge | prestige | espace d’affrontement | point d’appui clientélaire |
Sertoriusa | Est appelé par les Lusitaniens pour se mettre à leur tête. | Ses succès lui valent l’admiration des Barbares. | Lutte dans le détroit de Mellaria et près du Bétis contre les généraux syllaniens Cotta et Fufidius, puis contre Metellus et Pompée. | Organise les Lusitaniens et la plupart des peuples se rallient à lui. |
Pompée | La victoire contre Sertorius et le rétablissement de la paix dans l’ensemble de la Péninsule lui valent le triomphe (70). | En 49 av. J.-C. Afranius et Petreius
en Citérieure, puis Varron en Ultérieure affrontent
César. Varron pour mener la lutte contre César lève 30 cohortes, réquisitionne du blé, exige de Gades et Hispalis la construction de dix navires de combat, dérobe le trésor du temple d’Hercule à titre préventifb. Varron se rend en août 49. |
Vers 80 : En Afrique Pompée « règle
le sort des rois » et restaure un souverain favorable aux
Optimates en Maurétanie Occidentale (Bogud probablement)c. À son arrivée en Espagne contre
Sertorius, Pompée rallie les peuples peu fermement attachés à
Sertorius. La plupart des cités du sud de l’Espagne se rangent
derrière lui (Gadès). En 55, il se voit confier le gouvernement des deux Espagnes qu’il fait assurer par ses légats ainsi que celui de toute la Lybie. |
|
César | Les fils de Pompée Sextus et Cnaeus se réfugient en Bétique après Thapsus (46). Ils trouvent là un terrain très favorable et organisent la résistance aux forces césariennes. | En 61-60 César marche contre
Calaeciens et Lusitaniens. Il explore les confins atlantiques du
nord de l’Espagne. Il est salué du titre d’imperator et prétend au triomphed. En 49, avant de quitter l’Hispanie, il restitue au temple d’Hercule de Gades, les trésors et l’argent pris par Varron. Après Munda, en 45, il célèbre le dernier de ses cinq triomphes sur l’Espagne et ajoute aux libéralités déjà prévues deux collations supplémentairese. |
En 49, la péninsule Ibérique,
gouvernée par les légats de Pompée est stratégique pour César
également du fait du poids des liens de clientèle tissés,
susceptibles de faire pencher la balance dans un camp ou
l’autref. C’est pourquoi César décida de s’y rendre dès 49 avant même de se porter contre Pompéeg. Il s’agissait aussi selon Plutarque de ne laisser « aucun ennemi derrière luih ». Dans l’espace du détroit, les affrontements furent relativement limités en 49, mais prirent un tour très ardu et difficile lors de la lutte contre les fils de Pompéei. |
Lors de sa questure (69-68) César
noue des liens avec les élites gaditaines et notamment L.
Cornelius Balbus. Lors de sa propréture (61-60), il rétablit la paix dans les villes et règle notamment le problème des dettes. Il prend un certain nombre de cités sous sa protection leur accordant des bienfaitsj. Bogud prend finalement le parti de César et intervient à deux reprises en Bétique en faveur des forces césariennesk. Les sympathies pompéiennes ressurgissent très fortement du fait des exactions de Q. Cassius Longinus (48-46). La plupart ces cités soutiennent les fils de Pompée avant Munda. César fonde six colonies et promeut au statut de municipe un certain nombre de cités indigènes. Il se donne les moyens d’un contrôle du territoire et d’une adhésion des notables à sa cause. |
Personnages du IIe triumvirat | L. Cornelius Balbus le jeune, indécis sur le parti à prendre après la mort de César, se réfugie chez Bogud avec la caisse de Gades. Il se rallie finalement à Octavien, au moment de la bataille de Philippes (42). | Bogud, roi de la Maurétanie
occidentale prend le parti d’Antoine. En 38 il revient guerroyer
en Espagne du Sud qui avait été attribuée à Octavien après la
bataille de Philippes. Les habitants de Tingis prennent le parti d’Octavien et se soulèvent contre lui. Bogud ne peut revenir en Maurusie, il rejoint Antoine en Orientl. |
Bocchus II, roi de la Maurétanie
orientale, prend le parti d’Octavien. Lors de la fuite de Bogud,
il s’empare de son royaume et son pouvoir fut confirmé par
Octavien. Octavien pour remercier Tingis de sa contribution lui confère le statut de municipem. C’est la première ingérence directe de Rome dans la gestion de la rive sud. En 33, Bocchus II lègue son royaume à l’État romain. Octavien, avant 27, fonde trois colonies dans la partie occidentale de la Maurétanie et neuf dans la partie orientalen. La rive sud du détroit est désormais pensée comme partie intégrante de l’espace romain. |
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a. Plutarque, Sertorius,
X-XIV. b. César, Guerre civile, II, 18. c. Plutarque, Pompée, XII, 8 ; Callegarin, 2002, pp. 18-20, n. 37. d. Suétone, César, 18 ; Plutarque, César, XII, 1. e. Suétone, César, XXVII-XXVIII ; Plutarque, César, LVI, 7-9, qui déplore que l’on triomphe ainsi des malheurs de la patrie. f. Sur l’extension de la clientèle pompéienne en Ultérieure, voir Salluste, La conjuration de Catilina, XIX, 5 ; César, Guerre civile, II, 18, 7 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XLV, 10, 1. g. César, Guerre civile, I, 29, 3 : « Pendant ce temps, l’ancienne armée pompéienne, ainsi que les Espagnes, dont l’une était liée à Pompée par les immenses services qu’il lui avait rendus, risquaient d’être confirmées dans leurs sentiments ». h. Plutarque, César, XXXVI, 1. i. Voir Pseudo-César, Guerre d’Espagne dans son ensemble. j. Pseudo-César, Guerre d’Espagne, XLII, 1-3. k. En 48, Bogud intervient pour prêter main-forte au lieutenant de César, Q. Cassius Longinus, en butte à l’opposition croissante des oligarchies municipales et au réveil des sympathies pompéiennes dans la région (César, Guerre d’Alexandrie, XLVIII-LXV). Il revint ensuite lors de la bataille de Munda en 45 où plusieurs autres sources le mentionnent du côté des partisans de César (Velleius Paterculus, Histoire romaine, II, 54 ; Tite-Live, Histoire romaine, XXIV, 42, 1 ; Dion Cassius, Histoire romaine, XLIII, 38). l. Sur ces évènements, voir Dion Cassius, Histoire romaine, XLVIII, 45, 1-2. m. Ibid., XLVIII, 45, 2 et XLIII, 45, 8. n. Dans la partie occidentale qui nous intéresse, il s’agit de Zilil, Banasa et Babba Campestris. |
22On remarquera que dans deux cas, celui de Sertorius et celui de César, l’espace du détroit a aussi été envisagé comme un espace porteur d’une symbolique forte, sans nul doute bien connue des élites romaines, associée à l’idée de richesse, de puissance ou de gloire que pouvait procurer la découverte ou la conquête de mondes extrêmes, qu’ils ont exploitée afin d’associer à leur image une dimension mythique de héros civilisateurs29.
23Ainsi Sertorius associa le siège de Tanger, une des principales cités de l’Extrême-Occident, à la réactivation du mythe d’Antée, de la mort duquel aurait procédé la fondation de la cité. Offrant un sacrifice sur sa tombe après avoir douté de sa taille extraordinaire, ce qui accrût « le prestige et la renommée du géant30 », il se pose ainsi en admirateur actif de ce personnage qui a longtemps contrôlé le détroit par son attitude impitoyable envers les voyageurs et en même temps, il ne pouvait que s’attirer les sympathies des habitants de Tanger, nécessaires à son entreprise lybique.
24De la même façon, P. Moret et J.-M. Pailler ont bien montré comment l’épisode de la biche apprivoisée, offerte par un Lusitanien homme du peuple, dont Sertorius se sert ensuite pour manipuler et rendre dociles ses troupes31, n’est de fait qu’un élément « d’une entreprise mûrement élaborée d’appropriation des attributs d’Habis, le fondateur légendaire de la royauté tartessienne » qui, après avoir eu la tentation d’une vie sauvage32, devint le fondateur d’une dynastie qui enseigna aux hommes l’agriculture avant de leur donner des lois. Ainsi, à un moment où il recherchait l’adhésion des élites de la région, on peut peut-être supposer que son entourage hispano-romain fut conduit à puiser dans ce mythe afin d’enraciner dans une tradition locale la légitimité de l’imperium de Sertorius en lui donnant les attributs d’une antique et glorieuse monarchie indigène.
25De la même façon, un peu plus tard, César, en se rendant à Gadès, lors de sa questure selon Suétone33, en jouant sur la subtile association entre Héraklès et Alexandre en ce lieu, aurait ainsi découvert sa vocation à être le maître du monde.
26L’action se situe à proximité du temple d’Heraklès-Melquart gaditain regardé par les Anciens comme le symbole de l’extrémité du monde connu où le héros grec avait clos son périple occidental en s’emparant du troupeau de Géryon. Ce temple était par ailleurs connu pour ses richesses proverbiales qui ont plus tard suscité bien des convoitises. César se rend sur ce lieu mythique et remarque une statue d’Alexandre, qui constituait alors pour les imperatores romains un des modèles les plus achevés de conquérant pour avoir soumis ce que l’on pensait être l’extrémité orientale du monde34. Il met en perspective le trouble qu’il ressent alors (« il se mit à gémir » ; il est écœuré de n’avoir encore rien fait de mémorable à l’âge où Alexandre dominait toute la Terre) avec un songe curieux fait la nuit précédente (« il avait rêvé qu’il violait sa mère ») interprété par les devins comme lui présageant l’empire du monde. Ainsi, cet épisode situe César dans la chaîne de filiation liant déjà ces deux héros Grecs35, et, en même temps par le lieu où il se déroule, lui donne la vocation d’accomplir une œuvre symétrique à celle d’Alexandre, celle de découvrir et de soumettre les confins occidentaux du monde habité, dont on savait bien à l’époque de César qu’ils se prolongeaient au-delà des colonnes d’Hercule vers un monde atlantique et nordique aux contours encore flous. Chez Plutarque, ce qui est intéressant, c’est qu’il relie, dans l’ordonnancement de son récit, le désespoir provoqué chez César par l’œuvre d’Alexandre36 au fait que, dès qu’il arriva en Espagne pour la première fois pourvu d’un imperium : « il déploya aussitôt une intense activité » qui le mena jusqu’aux confins atlantiques de la Lusitanie et lui permit de soumettre « les peuples qui n’obéissaient pas encore aux Romains37 ». De fait, on peut dire que l’épisode du temple d’Héraklès gaditain, de par la double force symbolique dont il était porteur (maîtrise des confins de l’Occident, domination du monde), quelle que soit la date où il ait eu lieu, a joué dans la carrière de César le rôle d’un catalyseur, l’invitant à se poser comme une alternative au nouvel Alexandre que semblait être Pompée de par les lointaines expéditions dans lesquelles l’entraîna la guerre contre Mithridate. Certes, ce n’est pas dans la région du détroit que se firent les grandes réalisations de César par lesquelles il impressionna le Sénat, mais c’est dans les mythes attachés à cet espace qu’il puisa d’une certaine façon son inspiration et son élan38.
27On notera aussi que ces évènements ont déterminé une évolution majeure de la représentation que se faisait Rome de la rive méridionale du détroit. Regardée comme une marge atlantique éloignée encore au début du ier siècle, avec laquelle les rapports étaient relativement ténus, elle est désormais pensée, dès l’époque de César et du fait de l’implication croissante des souverains dans les conflits du IIe triumvirat, comme une partie intégrante de l’espace romain, au même titre que la rive nord, et ce, au-delà de la décision d’Auguste de confier cet espace à la gestion de Juba II à compter de 25 av. J.-C. On pourrait même presque avancer, à la lumière
- de la densité des fondations coloniales établies de part et d’autre du détroit entre 48 et 27,
- des transferts de population auxquelles elles ont pu donner lieu,
- du rattachement administratif des colonies méridionales à la province de Bétique,
- du patronage exercé par Juba II sur deux des plus importantes cités de la région, Gades et Carthago Nova39,
- de l’organisation des voies de communication propre à favoriser une intense circulation de personnes et de marchandises entre les deux rives et dans les arrière-pays respectifs,
que, du moins pendant la période du « protectorat », entre 33 et 25 av. J.-C., la rive méridionale ait pu être considérée comme constituant, avec la rive nord, un ambitus de même nature, dont il convenait, tout en organisant la prise en main du territoire par Rome (colonisation, infrastructures routières), de renforcer, sur le plan humain autant qu’institutionnel, les liens séculaires unissant les deux rives et longtemps portés par les communautés phénico-puniques.
28Ainsi, simultanément espace à pacifier, à élargir, enjeu de la compétition politique entre nobiles, lieu de rivalités pour la constitution de clientèles et d’affrontement majeur dans le cadre des guerres civiles, la région du détroit est apparue aussi à la fin de la République comme un endroit où puiser des symboles forts dans lesquels rebelles ou imperatores ont pu trouver matière à légitimer leurs actions. En même temps, il semble qu’elle apparaisse de plus en plus, dès la fin du IIe triumvirat, comme une zone à intégrer, dont l’utilité pour la grandeur de Rome ne se place plus tellement sur le plan militaire ou stratégique, mais plutôt sur le plan des ressources humaines et économiques, changement de perspective dont témoigne bien l’œuvre de Strabon.
29En effet, dans les Res Gestae, bilan politique dressé par Auguste au terme de sa vie, la région du détroit ne fait l’objet d’aucune mention particulière. Auguste se contente de rappeler à son propos, l’englobant dans l’entité d’Hispanie, qu’elle lui avait prêté serment de fidélité avant son affrontement avec Antoine, avec la Citérieure, l’Italie et la Narbonnaise. Ceci manifeste qu’aux yeux du nouveau pouvoir elle était dès lors perçue comme partie intégrante d’une zone pacifiée, acquise et fidèle à la cause d’Octavien ; cela montre aussi, comme l’envers du décor, sa perte d’intérêt en termes d’espace pourvoyeur de gloire militaire, les confins à pacifier ayant alors subi un notable glissement vers les aires germaniques et celtiques40.
30Au contraire, dans sa Géographie, Strabon accorde à cette région une place notable qui dénote un changement dans la façon d’appréhender l’espace romain en général et le détroit en particulier. En effet, dans le contexte d’un territoire impérial méditerranéen dès lors politiquement unifié ; d’un empire en proie à un vaste effort de rationalisation de l’exploitation de ses ressources incarné par la mise en place des recensements, cherchant également à avoir une meilleure connaissance de lui-même41 et de ses marges, la démarche de Strabon paraît avoir été double42.
31Dans l’optique de se rendre, comme il le dit à plusieurs reprises43, utile aux citoyens, aux gouvernants, aux gens haut placés, il a d’une part cherché à rendre compte de la situation des trois grandes parties du monde habité (l’Europe, l’Asie et la Libye44) dans l’échelle qui conduit de la barbarie à la civilisation, l’une et l’autre étant définies par un certain nombre de critères45, et il inscrit sa progression dans une démarche d’évaluation de ce qui porte à la civilisation (des conditions naturelles favorables, une certaine dose de génie humain, des régimes politiques organisés, la paix, l’agriculture) en opposition avec ce qui porte à la barbarie (des conditions défavorables au peuplement, la guerre, des modes de vie sauvages), ce qui l’a d’emblée conduit à poser l’existence d’un certain antagonisme entre les deux rives du détroit.
32Mais, d’autre part, pour se rendre utile aux dirigeants, Strabon a participé lui-même à ce vaste mouvement « d’inventaire du monde46 » caractéristique de la période augustéenne, en insistant sur les coutumes des peuples, les ressources et productions que chaque contrée pouvait apporter à l’Empire et à Rome. Il nous faut donc lire sous l’angle de l’utilité politique une grande partie des descriptions, ce qui constitue d’ailleurs une des originalités de Strabon par rapport à ses prédécesseurs, mais témoigne aussi de la nouveauté des temps47.
33Dans le cadre de notre propos, il peut donc sembler pertinent de se livrer à une lecture attentive du géographe afin d’envisager plus précisément, à travers l’image érudite qu’il a construite (il n’est jamais allé lui-même dans ces confins), quelles pensées, quelles images, les dirigeants et cadres de l’époque julio-claudienne ont pu développer sur ces contrées.
34Des chapitres du livre III concernant l’Ibérie du Sud et du dernier tiers du livre XVII consacré à la Lybie proprement dite, qui permettent de brosser un tableau plus ou moins actualisé au tournant de notre ère, ressort avant tout l’image d’un espace inégal aussi bien en termes d’utilité pour le gouvernement qu’en termes de situation sur l’échelle de la civilisation.
Au début de l’Empire : un espace riche et maîtrisé, inégalement civilisé
35Au-delà de cette première constatation, l’analyse des descriptions de Strabon permet de mettre en exergue quelques points centraux à partir desquels on pourra essayer de reconstruire l’image du détroit qu’il a voulu laisser à ses lecteurs.
Un espace littoral structuré par les Phéniciens et des ressources maritimes considérables
36Sur le plan humain, la présence phénicienne est présentée comme un élément d’unité. En effet, ce sont les Phéniciens qui ont révélé l’existence de ces contrées et Strabon, défendant l’idée qu’Homère connaissait déjà ces régions, affirme que
[les peuples habitant ces régions] tombèrent si complètement au pouvoir des Phéniciens que la plupart des villes de Turdétanie et des régions voisines sont aujourd’hui habitées par ces derniers48.
37Il note également :
[Les Phéniciens] se sont emparés de la meilleure partie de l’Ibérie et de la Libye jusqu’à ce que les Romains ruinent leur hégémonie49.
38Par ailleurs ce sont eux qui ont fondé Gadès, « la plus célèbre de toutes les îles quoique située à l’extrémité de la Terre50 », et Lixus sur la côte de Maurousie, dont la situation est telle que les deux cités jumelles et les colonnes d’Hercules forment un triangle isocèle parfait de huit cents stades de côté, précision numérique qui lie étroitement les deux villes phéniciennes dans la représentation des confins occidentaux de l’oekoumène51. Ils sont à l’origine de bien d’autres cités qui font que le littoral a été doté très tôt d’une trame urbaine, le rattachant d’emblée à l’ordre de la civilisation :
- Sur la rive sud, Tanger n’est pas nommée explicitement, mais Strabon nous apprend qu’elle est parfois confondue avec Lixus et que les deux cités se disputaient la présence du tombeau d’Antée52. Il y avait peut-être d’autres comptoirs au sud de Lixus qui n’ont pas survécu.
- Sur la rive nord, Malacca est « d’apparence phénicienne, et située à même distance du Mont Calpé que Gadeira53 ». De la même façon, les origines phénico-puniques d’Abdera et Sexi sont explicitement mentionnées54.
39À l’époque de Strabon, ces cités étaient toujours actives et entretenaient des liens vivants avec celles de la côte opposée. Sans parler de Gadès, dont « les habitants vivent la plupart sur la mer », avec une sorte de répartition socio-économique des activités puisque les riches arment de gros navires, tandis que les pauvres « frètent de petits bateaux appelés chevaux à cause des figures sculptées à la proue ; ils s’en servent pour aller pêcher jusque vers le Lixos en Maurousie55 », les autres cités en s’appuyant sur les extraordinaires ressources des eaux du détroit, ont développé une importante activité de salaisons de poissons.
40Strabon décrit56 en effet comment, du fait des marées exceptionnelles qui affectent le détroit, ses eaux, particulièrement celles de l’océan Atlantique, sont particulièrement riches en coquillages et huîtres, en cétacés, congres et murènes, poulpes et calamars énormes, thons « gros et gras » dont la transformation en sauces et conserves a fait la célébrité de plusieurs cités côtières. Ainsi Menlaria, Baelo, Malacca, Sexi sont mentionnées pour leurs établissements de salaisons. Curieusement cependant, dans le livre XVII, on n’en trouve aucune mention alors que cette activité a été bien mise en évidence aujourd’hui, notamment à Cotta et à Lixus.
41Par ailleurs, Strabon témoigne de ce que ces cités côtières du détroit entretenaient des liens entre elles. Ainsi les pêcheurs gaditans s’en allaient pêcher jusqu’aux abords du Lixos ; de même Baelo est
le port d’où l’on s’embarque généralement pour traverser le Détroit à destination de Tingis en Maurousie, c’est également une place de commerce57.
42Enfin, Malacca sert de marché aux Numides de la côte opposée58. Ces contacts, ces liens tissés entre les cités phénico-puniques du détroit servent les échanges aussi bien qu’à résoudre des difficultés passagères59. Dans ce contexte, on peut se demander si l’épisode du transfert des habitants de Zelis60 de l’autre côté du détroit, dûment encadrés par des habitants de Tanger et des colons romains pour fonder la nouvelle cité de Iulia Ioza, et qui se situe juste après la description de Baelo comme principal port de liaison entre les deux rives, ne peut se lire aussi comme un signe, sous la plume de Strabon, de l’importance de ces liens qui unissent encore au début de l’Empire les établissements punicisés des deux côtés du détroit et du caractère structurant qu’ils constituent pour cette zone. En effet, dans son récit, Strabon procède souvent par associations d’idées (ici le rôle de Baelo dans les liaisons et le transfert des populations) et, par ailleurs, il faut noter la place importante de cette digression dans sa description des cités du littoral nord du détroit.
43Mais, si aux yeux du géographe grec la zone littorale apparaît donc comme un élément de cohérence de la région, tant par la nature de ses richesses que par le passé des cités qui y sont implantées, les activités qu’elles ont développées et les liens aussi bien culturels qu’économiques qui les unissent, toutes choses qui rattachent cette zone au monde civilisé, et en font un espace utile, la description qu’il donne des arrière-pays est beaucoup plus contrastée.
Des arrière-pays aux ressources abondantes, mais inégalement exploitées
44Si l’on examine en premier lieu les conditions naturelles et les ressources offertes par deux des arrière-pays qui jouxtent le détroit, sur lesquelles Strabon insiste particulièrement parce qu’elles expliquent en partie le comportement des habitants, il apparaît que le nord et le sud jouissent plutôt de bonnes conditions.
45Ainsi, combattant les assertions de Posidonius à propos d’une irrégularité de la course du soleil61, il affirme que contrairement à ce que dit ce dernier, « les confins de l’Ibérie et de la Maurousie jouissent de conditions favorables » puisqu’ils bénéficient d’une atmosphère tempérée et sont pourvus de très nombreux cours d’eau. Ces conditions s’expriment en outre pour la Turdétanie par la présence de deux grands fleuves, l’Anas (Guadiana) qui en constitue la limite nord, le Betis (Guadalquivir) au centre, et d’étiers dans la lagune, dont la navigabilité liée aux marées est un point d’appui considérable pour l’activité humaine et les échanges62. Elles se trouvent encore renforcées par la présence d’une grande plaine le long du Betis 63, de bois servant à la construction navale, de mines de sel et de rivières d’eau salées, de bétail de toute espèce et de gibier, et surtout par l’abondance des mines dans les chaînes de montagnes qui courent parallèlement au lit du fleuve64.
46Mais si la présence de ces nombreuses mines confère aux yeux de Strabon un avantage indéniable à l’arrière-pays nord, tant « il est rare en effet qu’un pays tire sa prospérité simultanément de ces deux sortes de ressources (les mines et la fertilité du sol)65 », la partie sud n’apparaît pas pour autant en reste.
47Dans le passage du chapitre xvii où il expose ce sur quoi tout le monde est d’accord à propos de la Maurousie, il insiste sur le fait que
la Maurousie, excepté une petite zone désertique, est un pays fertile, bien pourvu en cours d’eau comme en lacs. Elle est dotée d’arbres extraordinairement grands et nombreux et produit de tout [notamment] c’est elle qui fournit aux Romains les tables les plus joliment madrées (en bois de thuya)66.
48Non sans une certaine exagération, il poursuit sa description en notant que vivraient dans certains fleuves des lamproies particulièrement grandes, longues de sept coudées, et que pousseraient dans cette région des pieds de vigne, « si gros que deux hommes pouvaient difficilement les enlacer », ainsi que des plantes et quelques légumes géants67. À la luxuriance de cette végétation répondent, dans la suite du paragraphe, l’abondance d’animaux sauvages, serpents, antilopes, gazelles, éléphants, « genettes semblables à des chats » et une grande quantité de singes, qui, dans le contexte du développement du goût des chasses, ne pouvaient manquer d’intéresser les Romains68.
49Dans l’ordre des conditions et des ressources naturelles, si l’avantage revient à la rive nord du détroit du fait de ses mines, on a donc dans l’ensemble l’image de deux arrière-pays dotés l’un et l’autre de potentialités non négligeables.
50De fait, ce qui fait la différence se situe dans l’ordre de la mise en valeur et donc de la civilisation.
51En effet, tout au long de sa description de la Turdétanie, Strabon, visiblement admiratif, insiste sur le soin apporté par les habitants, Turdétans et Romains installés depuis plus ou moins longtemps, à la mise en valeur de leur pays. Ce souci s’exprime essentiellement par :
- la construction de canaux pour naviguer plus facilement dans les étiers ;
- l’utilisation du bois pour construire différents types d’embarcations adaptées aux conditions de navigabilité des fleuves ;
- le soin mis dans la culture des campagnes et des petits îlots du Bétis, le long duquel vit une population considérable ;
- l’exploitation soigneuse des terres boisées et des différentes sortes de plantations (blé, vignes, oliviers) ;
- l’élevage de moutons qui produisent de très belles laines ;
- les différentes techniques mises en œuvre pour extraire les métaux69.
52Il dessine ainsi l’image d’une contrée particulièrement industrieuse qui, grâce à Gadès qui arme de grands vaisseaux de commerce et s’est dotée d’un nouveau port70, exporte de tout vers Rome et l’Italie, profitant de bonnes conditions de navigation « mis à part quelques difficultés aux abords du détroit et pour la traversée en pleine eau de notre mer71 ».
53Or face à cette industrie, à ce soin extrême mis par les habitants de la rive nord à tirer parti de leurs ressources, que nous dit seulement, de façon laconique, Strabon à propos des Maurousiens72 ? : « Bien qu’ils habitent en général un pays si bien doté, la plupart des Maurousiens mènent pourtant une vie nomade, même de nos jours », ajoute-t-il, comme si cela était proprement stupéfiant, avant d’annoncer un peu plus loin qu’en cela d’ailleurs ils ne sont guère différents de leurs voisins immédiats73, mais aussi des Pharousiens et des Nigrites qui habitent près des Éthiopiens occidentaux, « pays peu peuplé qui ressortit presque déjà à la zone torride ».
54Finalement, et c’est le troisième point qui ressort de ce tableau du détroit peint par un homme se voulant être utile aux gouvernants, la principale opposition entre les deux rives réside dans les modes de vie et l’organisation des sociétés, largement responsables du fait que les uns sont parvenus à tirer le meilleur parti de leur contrée alors que les autres laissent leur potentiel inexploité.
Une opposition radicale dans les modes de vie et l’organisation des sociétés
55Cette opposition entre les deux rives est d’abord mise en évidence par l’exposé des coutumes et des modes de vie. Dans l’introduction à la description régionale de la Turdétanie, Strabon défend l’opinion qu’il n’y a plus, à son époque (aujourd’hui), de différence entre les Turdétans et les Turdules, mais surtout il met en avant la richesse culturelle et la capacité d’organisation étatique des Turdétans :
Les Turdétans sont réputés plus savants que les Ibères, ils connaissent l’écriture et possèdent encore, témoin de leur antique passé, des chroniques historiques, des poèmes et des lois en vers qu’ils disent vieux de six mille ans74.
56Pour lui, dans sa partie ethnographique conclusive, il ne fait pas de doute que cet « avantage de mœurs civilisées et de sens politique » qu’ils ont, en raison de leur voisinage transmis aux Celtici, les a conduits à apprécier et à faire leurs « le genre de vie des Romains », qui apparaît comme l’achèvement de ce qui conduit à la civilisation. En effet, nous dit-il,
en dépit de leurs traditions, les Turdétans, surtout ceux du Bétis, se sont entièrement convertis au genre de vie des Romains et ne se souviennent même pas de leur propre langue.
57Par ailleurs,
ils ont pour la plupart reçu le nomen latinum et accueilli chez eux des colonies romaines, si bien qu’il ne s’en faut pas de beaucoup qu’ils soient tous Romains75.
58À ces Turdétans, on peut, selon lui, en vertu du principe de contamination des mœurs qui lui est cher et peut, selon les cas, constituer un principe vertueux ou, au contraire, un frein à la civilisation, rattacher les Bastétans, les Carpétans et les Orétans et la plupart des populations limitrophes76. Mais, à l’opposé se situent les habitants de la rive sud, les Maurousiens77. Strabon, suivant ses prédécesseurs comme Artémidore, ne leur dénie pas cependant une certaine élégance : « ils aiment à se parer », ajoute-t-il. « Ils se tressent les cheveux, soignent leur barbe, portent des objets en or, se nettoient les dents et portent les ongles courts ». Malgré tout, outre que le nomadisme qu’ils n’ont pas abandonné les empêche explicitement, par incompatibilité radicale de mode de vie, de mettre en valeur leur pays fertile, ils sont encore marqués par leurs traditions guerrières prégnantes78. Ceci, dans l’esprit du géographe, les renvoie automatiquement du côté de la barbarie que de la civilisation. Deux causes principales expliquent cet état de fait, en vertu du principe de « contamination », mais aussi de la croyance en une forme de déterminisme géographique. En effet, pour Strabon, cette situation est due à la proximité de peuples voisins aux mœurs semblables, Lybiens, Pharousiens, Nigrites, et Éthiopiens occidentaux qui vivent, pour ces derniers, à la limite du monde habité et de la zone torride. Ainsi, vivant non loin d’un monde stérile du fait de la chaleur et environnés de populations aux coutumes barbares, il serait très difficile aux Maurousiens, en dépit de leur élégance, de sortir réellement de leur condition pour adhérer pleinement à la civilisation.
59Au-delà des modes de vie et des traditions, cette opposition s’exprime aussi, et c’est bien logique du point de vue d’un Grec, par l’inégale importance du fait urbain, des poleis, fondement de toute société organisée et civilisée.
60En Turdétanie, affirme-t-il,
les villes […] sont extrêmement nombreuses, puisqu’on en compte, dit-on, environ deux cent. En raison de leurs relations commerciales, les plus célèbres d’entre elles sont celles qui ont été bâties au bord des fleuves, des étiers et de la mer79.
61De surcroît, elles sont structurées en un réseau urbain hiérarchisé qui fait la part belle à l’héritage phénicien, judicieusement complété par les colonies et les cités promues par les Romains, qui parachèvent en quelque sorte l’organisation antérieure. Ainsi, il poursuit :
Deux de ces villes ont vu croître bien au-dessus des autres leur puissance et leur gloire : Corduba, fondation de Marcellus, et la cité des Gaditans, la seconde grâce à ses entreprises maritimes et à son attachement à l’alliance romaine, la première à cause de l’excellence et de l’étendue de son territoire, à cause aussi du Bétis, qui a contribué pour une grande part à son développement. Il faut ajouter que Corduba a eu pour premiers habitants des Romains et des indigènes soigneusement choisis80.
62Suit ensuite la liste des autres cités les plus importantes dans laquelle on remarque que toutes portent la marque des Romains, soit qu’elles soient colonies soit qu’elles aient reçu une promotion à l’époque césaro-augustéenne. Viennent ainsi après Corduba et Gades, Hispalis, puis, Italica et Ilipa, puis Astigi, Carmo et Obulco, puis, Munda, Ategua, Urso, Tucci, Ulia et Aegua, toutes peu éloignées de Cordoue, et enfin Asta dans les étiers81.
63En Maurousie, au contraire, les établissements qualifiés de poleis, sont peu nombreux. Trois villes seulement sont citées de manière explicite, toutes sur la côte. Il s’agit de Lixos, Zelis et Tinx (Tanger). Pour le reste, leur existence est exprimée de façon floue, comme si elle n’était pas bien assurée. Ainsi,
après le Mont Abila, dès que l’on entre dans la Mer Intérieure, on longe des villes [mais on ne sait lesquelles] et des fleuves en grand nombre jusqu’au Molokath82.
64Finalement, en dehors du littoral phénico-punique, l’absence de villes, notamment à l’intérieur, apparaît comme un frein au cercle vertueux qui pourrait conduire ces populations élégantes à tirer parti de leurs ressources, à faire pièce aussi à ce modèle de nomadisme qui prévaut dans ces confins du monde habité et de la « zone torride ».
65Pour conclure, si l’on veut tenter de synthétiser l’image que Strabon renvoie à ses lecteurs de la région du détroit selon cette double grille de lecture de l’évaluation sur l’échelle barbarie/civilisation et de l’utilité aux gouvernants de la fin de l’époque augustéenne, on pourrait analyser ainsi l’organisation de la zone.
66Pour Strabon, il ne fait nul doute que le cœur du détroit c’est Gadès. Cité au passé prestigieux, ancienne alliée des Romains, maintenant cité de citoyens, d’une opulence considérable, qui compte autant de chevaliers romains que Padoue83, Gadès, non seulement garde contact avec les cités de l’autre rive, mais anime toute la région en « armant de gros vaisseaux » qui mettent le cap sur Rome et assurent la redistribution des produits de l’arrière-pays nord et sud. Gadès c’est le pivot des relations et des échanges de toutes sortes entre le détroit et Rome, tellement romaine, et tellement utile, qu’elle a donné à l’urbs l’un de ses grands hommes de l’époque d’Auguste, en la personne de « Balbus Gaditanus, celui qui eut l’honneur du triomphe » et qui fonda pour faire face au développement de la ville une « ville neuve » et un nouveau port sur le continent84.
67En articulation étroite avec Gadès, la vallée du Bétis, dominée par Cordoue, si urbanisée, si soigneusement mise en valeur, si convertie au genre de vie des Romains, constitue également un axe majeur en termes d’intérêt pour les gouvernants.
68Au-delà, se dessinent des marges actives (la chaîne des montagnes minières, la côte des cités phénico-puniques espagnoles et marocaines avec leurs salaisons et leurs ports) qui témoignent d’un bon degré d’intégration des populations dans le registre de la civilisation et d’un intérêt plus que certain pour les échanges et les besoins de Rome.
69Enfin, sur la rive sud, cette frange active des cités côtières se prolonge par une marge au riche potentiel agricole, mais qui reste dominée par des traits renvoyant davantage à la barbarie (nomadisme, goût des parures, aspect guerrier, absence de villes donc de lois) qui nuisent à sa mise en valeur, et ce, par défaut de traditions, d’exemples vertueux sur lesquels s’appuyer ou bien encore du fait de sa relative proximité d’avec les confins du monde habité.
70Ainsi, avec l’unification du monde romain sous Auguste, dans le contexte de la mise en place du Principat, le regard de Rome sur l’espace du détroit paraît avoir profondément changé. D’un espace considéré comme crucial à plusieurs points de vue dans la compétition politique à la fin de la République, il est devenu aux yeux des gouvernants, si l’on se fie au prisme du témoignage de Strabon, un espace pacifié, qui n’apporta plus grand-chose à la gloire militaire qui continua toujours de légitimer le pouvoir impérial, mais qui devint essentiel à la prospérité de Rome par le dynamisme des cités côtières phénico-puniques, des colonies romaines, par l’abondance de ses ressources et la vitalité de ses exportations. « Nain politique, mais géant économique » qui participait de façon vitale à l’approvisionnement des armées d’Occident et de la capitale elle-même, l’espace du détroit n’en fut pas pour autant envisagé par le pouvoir de manière uniforme, et le témoignage de Strabon, même s’il aurait mérité, de l’avis des spécialistes, d’être vivifié par son expérience personnelle, notamment pour ce qui concerne la rive sud85, donne à voir un espace marqué par une forte inégalité de traitement, comme d’appréciation. Reflet pour partie de l’opinion de l’auteur, cette dernière n’en renvoie pas moins sans doute à celle des dirigeants de l’empire à ses débuts. On peut d’ailleurs se demander si cette appréciation des choses n’a pu inspirer d’une certaine façon l’organisation du monde habité qui résulta des réformes augustéennes, telle que le géographe nous la brosse dans sa conclusion : celle-ci s’est traduite par un remodelage de l’administration provinciale tenant compte à la fois du degré de civilisation des populations et d’un souci de meilleure gestion86. En effet, après avoir rappelé que les Romains possèdent la meilleure part du monde habité, Strabon met en exergue la distinction entre ce qui est gouverné par des rois qui « ne relèvent et n’ont toujours relevé que de lui [Auguste] », principalement de petits royaumes ou principautés aux limites des grandes provinces consulaires, dont fait partie le royaume maure de Juba puis de Ptolémée, et ce qui est sous administration directe, « provinces de César » et « provinces du peuple » définies comme « les régions en paix que l’on peut gouverner facilement sans recourir aux armes » et auxquelles appartient l’Ultérieure, soit la rive nord de l’espace du détroit. Cette distinction qui implique l’existence d’une hiérarchie implicite aux yeux du nouveau pouvoir entre les différents territoires qui le composent pose d’emblée son appréciation sur l’espace du détroit : c’est un espace clivé entre une rive nord pacifiée et prospère et une rive sud qui relève encore peu ou prou du domaine des marges. Et si finalement il revint à Claude, en 42, d’achever l’évolution vers l’intégration de la rive sud par l’annexion du royaume de Ptolémée, le statut de la nouvelle province de Maurétanie Tingitane, qui devint une province procuratorienne87, confiée à un chevalier, et non à un sénateur, confirme à la fois le caractère de marge encore à pacifier, à surveiller, et le rang secondaire qu’elle occupait dans les priorités stratégiques du moment.
Notes de bas de page
1 Celui des bœufs de Géryon sur la rive nord, celui du combat contre Antée et des pommes du jardin des Hespérides sur la rive sud.
2 Sur ce traité et les débats qu’il a suscité, voir Callegarin, inédite, pp. 378-383.
3 Tite-Live, Histoire romaine, XXXII, 27, 6.
4 Ibid., XXXIII, 21, 6. Il est à remarquer que la plupart des cités révoltées étaient d’anciens foyers phénico-puniques auxquels s’adjoignirent quelques roitelets ibères.
5 Voir Chic García, 1980, qui pense que les Lusitaniens disposaient de soutiens parmi certaines cités ibères.
6 Plutarque, Sertorius, X, 1 : « À ce moment, […] les Lusitaniens lui envoyèrent une ambassade pour le prier de se mettre à leur tête ; dans la crainte qu’ils avaient des Romains, ils avaient absolument besoin d’un chef qui eût beaucoup de prestige et d’expérience ».
7 Ibid., 2, 5 et Strabon, III, 4, 20.
8 Salluste, Guerre de Jugurtha, XIX, 7, rapporte qu’à
la fin du iie siècle, les Maures, sous
l’autorité du roi Bocchus, ignoraient tout du peuple romain, mais
dans la suite du récit, on apprend que la Maurétanie servit
de refuge à quelques-uns (ibid., LII, 7), après la bataille de Zama
en 109 av. J.-C., puis qu’après bien des hésitations, Bocchus, qui
préféra sans doute finalement se débarrasser d’un voisin encombrant,
finit par livrer Jugurtha aux Romains (ibid., CIX, 3). En reconnaissance, ces
derniers lui octroyèrent le titre d’ami et allié du peuple romain et
lui permirent d’étendre son royaume vers l’ouest, jusqu’à la
frontière de royaume numide de Hiarbas (ibid., CXI, 1).
9 Selon l’interprétation donnée par Callegarin, 2002, pp. 12-14, de la première tentative de débarquement de Sertorius en Lybie, mentionnée par Plutarque, Sertorius, VII, 4-5.
10 Ibid., IX. De cette représentation témoigne également l’action de Pompée qui, au service de Sylla, très rapidement après le départ de Sertorius « put soumettre la Lybie et régler le sort des rois » (Plutarque, Pompée, XII). Voir Majdoub, 1992.
11 Cette région cœur comprenait la zone littorale et son arrière-pays jusqu’au Baetis. Elle était encadrée par trois établissements romains précocemment fondés qui en assuraient la maîtrise : Italica, Carteia, sur la côte, et Corduba, qui commandait l’accès à l’une des principales régions minières exploitée au début du ier siècle av. J.-C.
12 Plutarque, Caton, X-XI, donne ici tous les éléments de ce que pouvait représenter un espace à pacifier pour un aristocrate romain, à savoir la gloire, l’enrichissement, les honneurs : « [Caton] remporta une victoire complète [sur les Celtibères] et continua sa campagne avec de brillants succès. Polybe dit que, sur son ordre, les remparts des villes situées en deçà du fleuve Baetis furent détruits en un seul jour ; or, ces villes étaient très nombreuses et peuplées d’hommes belliqueux. Caton lui-même dit qu’il prit en Espagne plus de villes qu’il n’y passa de jours, et ce n’est pas une vantardise si vraiment ces villes étaient effectivement au nombre de quatre cents. Les soldats avaient fait un large butin pendant la campagne […]. Pour lui-même, il dit qu’il ne lui revint rien du butin, sauf ce qu’il avait bu et mangé », mais cette sobriété était loin d’être partagée par tous les généraux-magistrats de la République pour lesquels le butin représentait un élément d’enrichissement et donc de puissance parfois considérable (voir Tarpin, 2013, pp. 74-76). Enfin, « Tandis qu’il séjournait encore en Espagne, le grand Scipion, qui était son ennemi et voulait faire obstacle à ses succès et prendre en main les affaires d’Espagne, parvint à se faire nommer son successeur en cette province [il s’agit de la Citérieure, qui avait servi de base à l’expédition de Caton dans la région du Détroit]. […] Caton ayant obtenu le triomphe [pour ses succès en Espagne], ne se comporta point comme la plupart de ceux qui combattent, non pour la vertu, mais pour la gloire, et qui, une fois qu’ils sont parvenus aux honneurs suprêmes et ont obtenu le consulat et des triomphes, s’arrangent dès lors une vie de plaisir […]. Lui au contraire, ne relâcha et ne perdit rien de son zèle pour la vertu, mais, tout comme ceux qui abordent la politique pour la première fois et qui ont soif d’honneur et de gloire, il fit l’effort comme s’il débutait de nouveau ».
13 Id., Marius, VI, 2-4 et 7 VII, 1. Marius « s’allia à l’illustre maison des Césars en épousant Julie, tante du César qui devint par la suite le plus grand des Romains ».
14 Id., Sertorius, III, 4.
15 Ibid., III, 5-10 et IV, 1.
16 Id., César, XI-XII ; Suétone, César, XVIII.
17 Présente aussi, par exemple chez César, d’après Plutarque, César, XII, 4 : « Il s’était acquis ainsi l’estime générale quand il quitta sa province, non sans s’être enrichi lui-même grâce à ses expéditions et en avoir fait profiter ses soldats, qui le saluèrent du titre d’imperator ».
18 Formation de deux « partis » antagonistes, les Populares et les Optimates ; guerre civile entre partisans de Marius/Cinna et Sylla, prise du pouvoir par Sylla et proscriptions (82-78) ; rébellion de Sertorius en Espagne (81-72) ; ascension de Pompée dans les années 70 hors de la légalité du cursus honorum et son emprise sur la vie politique romaine ; rivalité croissante avec César dans les années 50 ; guerre civile entre César et Pompée (49-45) qui apparaît finalement comme la figure de proue des Optimates ; guerres civiles menées par les triumvirs (Marc-Antoine, Octavien et Lépide) contre les césaricides, puis contre Sextus Pompée, puis affrontement final entre Octavien et Antoine à Actium.
19 La Lusitanie entre Guadiana et Tage, le royaume maure de la rive méridionale, qui a pu s’étendre plus ou moins loin vers l’est en fonction des alliances fluctuantes des souverains avec l’un ou l’autre parti en présence.
20 Pour une synthèse sur ces différents éléments et les débats qui s’y rattachent, voir Des Boscs, 2005, pp. 24-35.
21 Plutarque, Sertorius, VI, 3. Ce départ eut lieu à la fin de l’année 83.
22 Ibid., VII-VIII. Callegarin, 2002, p. 25, pense que Sertorius et ses troupes se seraient alors établis dans la région de Huelva, la majorité des cités sud-hispanique semblant alors avoir pris le parti de Sylla dans ce conflit.
23 Plutarque, Sertorius, IX, 3. Bocchus Ier a dû mourir aux alentours de 81 av. J.-C., peut-être au moment de la première traversée de Sertorius. Toujours est-il que sa mort suscita des conflits successoraux entre plusieurs prétendants. Bogud, Hiarbas et Ascalis apparaissent comme les principaux protagonistes de ces conflits auxquels s’est superposée la lutte entre les différentes factions romaines. Sur ce sujet, voir Callegarin, 2002, pp. 15-20.
24 Plutarque, Sertorius, IX, 3.
25 Ibid., IX, 4 : « Il se mit à l’œuvre, défit Ascalis et l’assiégea ».
26 Ibid., IX, 4 et IX, 11.
27 Ibid., XII, 2 et Callegarin, 2002, pp. 21 et n. 51 qui évoque que Sertorius ait pu s’inspirer de la stratégie de brassage menée en son temps par Hamilcar Barca.
28 À titre non exhaustif, nous citerons ici quelques-unes d’entre elles : Roldán Hervas, 1978, p. 124 et 1988 ; González Roman, 1978, pp. 138-140 ; Tsirkin, 1981 ; Amela Valverde, 1989.
29 Ce recours aux mythes, parfois aux rites, locaux ou romains, susceptibles de soutenir l’action du héros devant des publics divers (populations locales, notables, « partis » romains, etc.) se retrouve chez tous les imperatores de la première moitié du ier siècle, mais c’est chez Sertorius et César que, dans le cadre d’une recherche de clientèle locale, d’une justification de leurs actions présentes ou à venir, les mythes associés à l’espace du détroit ont été exploités.
30 Plutarque, Sertorius, IX, 6. Le géant Antée était le fils de Poséidon et de la Terre (Gaïa). Le Maroc (Lybie) était son territoire. Il obligeait tous les voyageurs à lutter contre lui et après les avoir tués, il ornait de leurs dépouilles le temple de son père. Héraklès, à la recherche des pommes d’or du jardin des Hespérides, situé également dans cette région, dut l’affronter et réussit à l’étouffer. Voir, sur cet épisode également, Pailler, 2000.
31 Plutarque, Sertorius, XI-XII, 1 ; Moret, Pailler, 2002.
32 Tentation rappelée dans la vie de Sertorius par son goût de la chasse et son désir d’aller vivre dans les îles Fortunées (Les Canaries ? Madère ?) présentées comme un paradis terrestre sans guerre ni conflits (Plutarque, Sertorius, VIII-IX, 1 et Moret, Pailler, 2002, p. 122).
33 Suétone, César, VII, situe l’anecdote lors de la questure de César en Ultérieure en 69-68 av. J.-C. Plutarque, César, XI-XII, rapporte un fait similaire qu’il place lors de la propréture en 61-60 av. J.-C.
34 Voir, par exemple, la conclusion de Plutarque, Pompée, XLVII, 1-2, à sa description du triomphe de Pompée sur l’Orient et les pirates en 62 : « Au dire de ceux qui le comparent à Alexandre et veulent en tout le rapprocher de lui, Pompée avait alors moins de trente-quatre ans ; mais en réalité, il s’avançait vers la quarantaine. Combien il aurait gagné à finir sa vie alors qu’il avait la Fortune d’Alexandre ! ».
35 Puisque, d’après Quinte-Curce, Histoire d’Alexandre le Grand, X, 1, 17, Alexandre croyait descendre de Melquart et avait voulu lui offrir un sacrifice au sanctuaire de Tyr avant d’entreprendre la conquête de la cité.
36 Plutarque, César, XI-XII : « il se mit à pleurer et dit à ses amis : “Ne vous semble-t-il pas […] qu’il est digne d’affliction de penser qu’à l’âge où je suis Alexandre avait déjà un si vaste empire, et que moi, je n’ai encore rien fait de grand ?” ».
37 Ibid.
38 Voir aussi sur cet aspect, Callegarin, inédite, pp. 458-459.
39 Juba II fut en effet IIvir quinquennalis et patronus de Gades et Carthago Nova. Voir sur tous ces aspects, Callegarin, inédite, pp. 481-488.
40 Voir également Suétone, Auguste, 20-21.
41 Symbolisée par la carte d’Agrippa à Rome, mais aussi par les expéditions de reconnaissance menées par exemple par Cornelius Gallus aux confins de l’Égypte ou L. Cornelius Balbus au sud de l’Afrique proconsulaire (voir Nicolet, 1988, pp. 126-129 et 140-160).
42 En s’appuyant sur l’héritage de la géographie grecque d’Ératosthène, à Artémidore et Posidonius, en passant par Asclépiade de Myrléa, sur la tradition des Périples qui l’amène à toujours commencer ses descriptions par les littoraux, sur l’enquête ethnographique inspirée d’Hérodote, Strabon géographe grec originaire d’Amasée, composa une géographie en complément de ses commentaires historiques, aux alentours des années 17-19 apr. J-C., qu’il remania sans doute par endroits peu avant sa mort en 24 apr. J.-C. Sur l’héritage de la tradition géographique grecque chez Strabon, voir, notamment, Trotta, 1999, pp. 85-98 et Cruz Andreotti, 2007b, qui remarque que cette œuvre, qui tient à la fois de la synthèse des connaissances et de l’encyclopédie des savoirs, s’est accompagnée d’une redéfinition de la carte de la péninsule Ibérique. Chez Strabon, les colonnes d’Hercule constituent les points remarquables à l’extrémité du monde habité. Elles sont le point de départ de la description de ce dernier, qui s’organise en faisant du détroit un point de rupture plutôt qu’une zone unitaire et cohérente comme le montrent certains passages (Strabon, II, 5, 25 et II, 5, 33) où il justifie par exemple son choix de commencer sa description par l’Europe parce qu’« elle est la mieux douée en hommes et en régimes politiques de valeur ».
43 Id., Prolégomène, I, 1, 23 ; I, 1, 16 et 18.
44 C’est le mode de répartition du monde habité le plus traditionnel dans la géographie grecque.
45 Voir Thollard, 1987, pp. 9-26.
46 Selon le titre du livre de Nicolet, 1988. Sur l’intérêt particulier dont fait montre Strabon pour la vie sociale, l’économie et les problèmes de gouvernement, qui va de pair avec l’émergence d’un monde nouveau, « préoccupé de l’organisation durable d’un empire vaste et composite », voir Aujac, 1966, pp. 13 et 309.
47 Gabba, 1982, pp. 59-61, avait déjà souligné le caractère éminemment politique et utilitaire de l’ensemble de l’œuvre, ainsi que l’originalité de son objet (décrire l’ensemble du monde habité, à savoir le monde romain) qui coïncide avec l’unification du monde par Auguste.
48 Strabon, III, 2, 13.
49 Ibid., III, 2, 14.
50 Ibid., III, 5, 3.
51 Ibid., XVII, 3, 2 ; Desanges, 1992, p. 12.
52 Strabon, XVII, 3, 8, considérait comme une fable les dires de Tanusius, historien romain, qui décrit près de Lixos le tombeau d’Antée, alors que d’autres traditions, comme celles rapportées par Plutarque, Sertorius, 9, 4-5, le situe à Tanger.
53 Strabon, III, 2, 7.
54 Ibid., III, 4, 2.
55 Ibid., II, 3, 4.
56 Ibid., III, 2, 7.
57 Ibid., III, 1, 7.
58 Ibid., III, 4, 2.
59 Comme l’illustre par exemple l’anecdote de l’invasion de lapins de garenne qui détruisaient les cultures de la rive nord, contre laquelle on lutta en faisant venir des chats sauvages depuis l’autre côté du détroit (ibid., III, 2, 6).
60 Cet épisode se situe au début de l’époque augustéenne, au moment d’installer à cet endroit une colonie de vétérans (Zilil).
61 Strabon, XVII, 3, 10.
62 Sur ces différents points, voir ibid., III, 2, 3 ; III, 1, 9 ; et III, 2, 4 respectivement.
63 Ibid., III, 2, 2 : « à main droite quand on remonte le fleuve, s’étend une vaste plaine élevée, fertile, plantée de grands arbres et riche en pâturages ».
64 Sur l’importance de la construction navale et sur les mines de sel propices au développement des salaisons voir ibid., III, 2, 6 ; et sur les mines, ibid., III, 2, 2. Strabon précise que l’on trouvait ainsi de l’argent autour d’Ilipa, de Sisapo, de Castulo, du bronze et de l’or autour de Cotinua et qu’il y avait aussi des mines dans les montagnes qui dominent l’Anas (ibid., III, 2, 6).
65 Ibid., III, 2, 8.
66 Ibid., XVII, 3, 4.
67 Strabon mentionne la hauteur anormale des arums et des serpentaires, ainsi que des fenouils et chardons (cardones).
68 Ces caractéristiques se retrouvent d’ailleurs sur la côte méditerranéenne (ibid., XVII, 3, 6), avec l’introduction cependant d’une nuance plus péjorative, le mont Abila étant décrit comme « infesté d’animaux sauvages ».
69 Sur ces différents aspects, voir ibid., III, 2, 3 ; III, 2, 6 ; et III, 2, 8 respectivement.
70 Ibid., III, 5, 3-5.
71 Ibid., III, 2, 5.
72 Ibid., XVII, 3, 7.
73 Il s’agit de l’ensemble de ceux que Strabon qualifie de Lybiens. Pour le géographe, qui reprend des dénominations antérieures, ceux-ci se divisent en plusieurs sous-groupes : les Masaesyles, les Massyles et les Gétules.
74 Ibid., III, 1, 6.
75 Ibid., III, 2, 15. Ici Strabon se réfère à l’œuvre de colonisation et de municipalisation accomplie par César entre 48 et 44 av. J.-C.
76 Les Bastétans sont localisés le long de la bande côtière entre le mont Calpe et Gadeira. Les Carpétans et les Orétans sont situés au-delà de l’Anas (Guadiana).
77 Ibid., 17, 3, 7.
78 Dans la suite du paragraphe XVII, 3, 7, Strabon mentionne qu’ils combattent comme cavaliers avec des javelines, montent à cru et sont habiles dans l’utilisation du coutelas.
79 Ibid., III, 2, 1.
80 Ibid.
81 Sur les statuts de ces cités et l’époque de leur promotion, voir Galsterer, 1971, et une synthèse dans Des Boscs, 2005, pp. 37-48.
82 Strabon, XVII, 3, 6.
83 Ibid., III, 5, 3.
84 Ibid., sur Balbus le Jeune et sa carrière, voir Des Boscs, 2005, pp. 439-442, no 2.
85 Desanges, 1986, p. 309 et 2001. En effet, si sur bien des points, découvertes épigraphiques et archéologiques, confrontation à d’autres témoignages littéraires confirment l’analyse de la rive nord, ces mêmes données, de même que la numismatique, conduisent à poser le problème de la valeur historique du témoignage de Strabon pour la rive sud. On ne peut en effet qu’être frappé par certaines lacunes étonnantes. Par exemple, quid des établissements de salaisons pourtant bien attestés, quid des colonies augustéennes de Zelis (à peine évoquée à propos de Iulia Ioza), Babba et Banasa, quid du développement de Volubilis sous l’impulsion de Juba II, tous faits dont il aurait pu avoir écho et qui lui auraient permis de nuancer quelque peu l’image de « terre vierge » qu’il en donne. Strabon a-t-il manqué d’informations ? A-t-il manqué de temps dans les derniers remaniements de son œuvre qui suivent de près la mort de Juba en 23 apr. J.-C. ? Est-il resté de ce fait, et malgré son ambition de dresser un état des lieux utile, prisonnier de schémas bien ancrés mais dépassés ? La question reste ouverte, mais il est sûr que, pour nous, se représenter la rive sud au tournant de notre ère nécessite de recourir à d’autres sources qu’au livre XVII de sa Géographie.
86 Strabon, XVII, 24-25.
87 En tant que province procuratorienne, la Maurétanie Tingitane appartint dès lors au domaine des « provinces de César » que Strabon définit ainsi : « […] c’est à lui que reviennent toutes les zones qui requièrent l’usage d’une protection militaire — c’est-à-dire les territoires des barbares et les régions voisines de peuples encore insoumis, ou bien les zones arides et difficiles à cultiver, dépourvues de tout sauf de défenses naturelles qui incitent à la rébellion et à la désobéissance » (ibid., XVII, 25).
Auteur
Université de Pau et des Pays de l’Adour
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