Naviguer dans les détroits
p. 189-214
Texte intégral
1Lieu de passage entre l’Océan et la Méditerranée, le détroit de Gibraltar marque une limite symbolique autant que maritime entre des zones marquées. Pour autant, en dépit de la valeur symbolique très forte de l’Océan homérique, — placé par la nature comme borne à l’action des hommes et lieu mythique par excellence1, le détroit de Gibraltar (en fait une zone plus vaste que les mythiques colonnes d’Hercule : Calpe à Gibraltar et Abyle, le Djebel Mousa (ǧabal Mūsā) sur la rive africaine —,a vite cédé la place à la « mer extérieure », une mer réelle, fréquentée par des navires et par des commerçants. Les colonnes d’Hercule n’occupent pas dans la tradition antique un rôle de frontière ou de bout du monde renvoyé à Gades (Cadix), et on est surtout frappé de voir à quel point les auteurs anciens n’ont pas attaché au franchissement des Colonnes — il est vrai peu décrit par eux — l’image d’une dangerosité particulière. Tout au plus, Strabon, à la suite de Posidonius, fait-il état de « quelque difficulté » (« πλὴν εἴ τίς ἐστι περὶ τὸν πορθμὸν δυσκολία ») dans la zone du détroit, pour introduire une limite à la facilité de la navigation le long des côtes de Bétique… Lorsque Philostrate2 évoque le voyage d’Apollonios de Tyane à Gadès, il décrit très en détail la topographie du détroit, mais n’évoque à aucun moment un danger de la traversée qu’aurait surmonté le thaumaturge, alors même qu’il est généralement friand de ces détails, pour mieux mettre en scène son inspiration divine. Le voyage heureux est en règle générale utilisé par les auteurs anciens comme une marque de la faveur des dieux. Dans ces conditions, le passage heureux d’un détroit redouté aurait pu fournir une matière de choix à cette topique. Or il n’en a rien été.
2Force est, en effet, de reconnaître que le détroit de Gibraltar est un lieu qui n’a pas joui auprès des Anciens de la mauvaise réputation qu’avait par exemple le cap Malée, qui marque l’entrée nord-orientale du détroit d’Elaphonisos (carte 1) et auquel s’attachait le célèbre proverbe : « Quand tu doubles le cap Malée, dis adieu aux affaires de ta maison3 ». Il n’a pas non plus eu la mauvaise réputation que l’historiographie moderne lui a largement associée. C’est tout juste si Strabon y reconnaît la possibilité de quelques difficultés au niveau du détroit lui-même, au regard de la traversée particulièrement agréable vers Rome et l’Italie4. Rien qui évoque un lieu broyeur de navires : pas ici de roches Cyanées, ni de Charybde, encore moins de Scylla. La facilité du franchissement n’est pas seulement suggérée par l’absence de légende repoussante. Elle est confirmée par le transit par le port de Cadix d’amphores de Tunisie à destination de la Méditerranée occidentale5.
3Il nous est de ce point de vue apparu utile de comparer la situation de la navigation dans les détroits de Méditerranée pour mieux comprendre les problèmes généraux qu’ils posent en termes de pratique de la navigation, d’infrastructures maritimes, de structure du commerce et de géo-politique, et de mieux percevoir la spécificité, les atouts et les faiblesses du détroit de Gibraltar par rapport aux autres détroits.
4La Méditerranée est un espace limité et complexe, densément occupé par des îles, des péninsules ou des caps qui forment en son sein nombre de détroits et de passages obligés. Ceux-ci constituent une trame qui organise et contraint fortement la navigation. Les détroits sont des zones toujours problématiques. Non seulement ils voient se concentrer dans un espace limité un nombre élevé de navires évoluant en sens inverse les uns des autres, alors même que la limitation de l’espace restreint la capacité de manœuvre, mais la nature géographique des détroits en fait des lieux où courants et vents y accélèrent et se combinent de façon variable et changeante avec le relief.
5Ces passages obligés sont également des zones hautement stratégiques qui ont été à l’origine d’une réflexion historiographique posée en termes de « contrôle ». Comment ce contrôle pouvait-il matériellement se mettre en œuvre avec les moyens techniques de l’Antiquité ? Quelle pouvait être son efficacité ?
6Il est évident que chaque détroit a sa spécificité, géomorphologique et climatique. On ne se cachera donc pas les dangers inhérents à une étude générique des détroits. Du moins peut-elle permettre de reformuler les problèmes historiographiques et les questions de méthode qui devraient constituer un préalable à l’étude de tout détroit, et parmi eux de celui qui fait l’objet de cet ouvrage.
Les passages obligés en Méditerranée
7La terminologie française ou anglaise moderne tend à distinguer des « détroits » et des « canaux », sans que la largeur soit à elle seule un élément radicalement discriminant. Deux termes grecs et un terme latin caractérisent les détroits.
8Le terme le plus fréquent en grec est le mot πορθμός : son champ sémantique est celui de la traversée par un navire, notamment celui du bac sur une rivière ; il tire son origine du verbe πείρω, « traverser6 ». Un détroit n’est pas ce qui sépare deux continents, mais ce qui est relié par un bac : le bras d’eau traversé par un bateau. Ce mot caractérise aussi l’ouverture étroite du golfe d’Ambracie à Actium7. Il est appliqué dès Homère aux passages entre les îles, et designe peu à peu, sans autre précision, le détroit par excellence, en d’autres termes le détroit de Messine8. Il peut caractériser indifféremment le détroit de Gibraltar9 ou le bras de mer, qualifié d’étroit, qui sépare l’île de Gades de la terre ferme10.
9L’étroitesse fonde précisément le second terme grec, l’adjectif neutre pluriel substantivé τὰ στενά11, qui évoque le rétrécissement. Il peut signifier la bouche étroite d’un golfe12. Il n’est pas spécifiquement du domaine maritime et peut s’appliquer à un défilé à terre ou à un isthme13. Pour caractériser un détroit, il est associé à Gibraltar14, au Bosphore15 ou aux Dardanelles.
10Le mot latin fretum est le seul qui soit initialement spécifique à un détroit. Il couvre deux champs sémantiques qui ont organisé ses sens dérivés : celui d’agitation de l’eau et celui de chenal (le terme peut in fine désigner également un fossé).
11Ces trois termes recouvrent au fond les principales constituantes de la réalité d’un détroit : un chenal agité, traversé par des navires d’une rive à l’autre, et resserré.
12Les détroits comprennent deux groupes principaux, les détroits extérieurs, qui mettent la Méditerranée en communication avec les mers extérieures (Gibraltar, les Dardanelles et le Bosphore), auxquels on peut ajouter le Bosphore Cimmérien, et les détroits intérieurs qui définissent la trame des passages obligés. Une page suffirait difficilement à en dresser la liste exhaustive. Les principaux sont les bouches de Bonifacio (fretum Gallicum) et le canal de Corse (entre Elbe et le cap Corse), le canal de Sardaigne (entre la Galite et le cap Teulada), le canal de Sicile (entre la Sicile et le cap Bon), le détroit de Messine, le canal d’Otrante, les détroits d’Elaphonisos et de Cythère (au sud du Péloponnèse), le détroit de Kéa (au sud de l’Attique), celui de Kaphiréos (au sud de l’Eubée) et tous les passages entre les îles de la mer Égée, sans oublier le détroit de Kasos (entre la Crète et Carpathos), le détroit de Carpathos (entre cette île et Rhodes) et le Canal de Rhodes (entre le cap Triopion et l’île elle-même) (cartes 1 et 2).
13Ces passages se caractérisent chacun par un certain nombre de propriétés et de contraintes communes — tant naturelles qu’humaines, notamment en périodes géopolitiquement complexes — et par des traits particuliers marquants.
Le détroit de Gibraltar
14À tout seigneur, tout honneur, le détroit de Gibraltar se définit d’abord, à l’échelle des autres détroits de Méditerranée, comme un détroit assez ouvert large de 7 milles nautiques à son point le plus étroit, long de 14 milles jusqu’à Tarifa, et de 24 milles dans sa définition la plus large, jusqu’à l’axe Baelo Claudia-Tanger. Pour Strabon16, suivant sans doute Artémidore, sa longueur était de 120 stades et la largeur de 60 stades au point le plus étroit, au lieu-dit Élelphas. Cette largeur s’établissait selon les auteurs romains entre 5 milles (40 stades) entre Melilla (rio della Valle) et le cap Blanc (promuntorium Album) ou bien un peu moins de 7 milles (56 stades) au point le plus étroit, et à 10 milles au point le plus large17. Les auteurs anciens tendaient donc à en minorer la longueur et la largeur. Si l’on rapporte les deux valeurs données par Strabon aux usages de la périplographie ancienne, elles nous renvoient l’une et l’autre à des distances particulièrement courtes. La valeur de 120 stades correspond peu ou prou à 1/5e de journée diurne de navigation, et celle de 60 stades à 1/10e. Ce sont à peu près les échelles que l’on peut tirer des valeurs exprimées en milles. Cette sous-évaluation, fondée principalement sur l’expérience des temps de parcours, suppose des traversées dans les deux axes particulièrement rapides. Sur la signification de cette rapidité, nous nous exprimerons plus loin.
15C’est un météo-système large généré par la rencontre de masses d’eau de salinité différente dans un contexte de marées. Ce système affecte une zone sensiblement plus large que le détroit stricto sensu et ses effets se font sentir sur près d’une centaine de kilomètres, depuis la baie de Cadix jusqu’à la mer d’Alboran18. Les courants généraux se combinent avec les courants de marées et sont susceptibles d’être variablement influencés par le vent (fig. 1).
Autorisation no 39/2019.16Ces courants généraux, organisés par la marée, génèrent un système d’une grande régularité ; ils ont une puissance décroissante de la côte au centre du chenal et leur sens, déterminé par la pleine mer, s’inverse avec la marée, la renverse commençant à la côte, si bien que l’on peut avoir deux courants opposés, à la côte et au centre du chenal.
17Dans des conditions de coefficient normales, à l’étale de pleine mer, le centre du chenal à l’ouest des colonnes d’Hercule est caractérisé par un courant nul. Le courant à la côte porte à l’est sur les deux rives. Il est en moyenne de 3 nœuds sur la rive européenne et de près de 0,5 nœud inférieur sur la rive africaine, mais peut atteindre 7 nœuds lors des forts coefficients. Dans les deux heures qui suivent la pleine mer, ce courant s’affaiblit régulièrement jusqu’à devenir nul le long de la côte africaine. Trois heures après l’étale de pleine mer, cette zone de courant nul affecte la côte européenne. Les deux heures suivantes se caractérisent par deux courants opposés : un courant décroissant portant à l’est au centre du chenal, et un courant croissant portant à l’ouest sur les deux rives, un peu plus puissant le long de la rive africaine. À l’étale de basse mer, on trouve à nouveau une zone de courant nul à l’est des colonnes et de courants portant à l’ouest le long des côtes. Une heure plus tard le courant portant à l’ouest se généralise, plus faible au centre que le long des côtes, et décroît régulièrement ; la renverse commence par les côtes africaines trois heures avant l’étale de pleine mer, puis par les côtes européennes une heure plus tard (fig. 1).
18En résumé, dans cette mécanique bien réglée, ce n’est que trois heures avant les étales de pleine et de basse mer que l’on est en présence de courants uniformément orientés. En utilisant astucieusement les courants on peut être assuré de ne pas avoir à lutter contre eux pendant environ 10 heures. Avec leur aide conjuguée à celle d’un vent favorable, il est possible de franchir le détroit d’une mer à l’autre dans la journée. C’est ce que confirment les évaluations des auteurs anciens, qui placent 750 à 800 stades entre Cadix et le rocher de Gibraltar (Calpé)19, 700 stades étant la valeur standard de la journée diurne de navigation et 800 stades (100 milles romains) une valeur romaine de la journée de navigation. On a vu plus haut que les mesures du détroit dans son acception la plus restrictive ont toutes été sous-estimées, signes d’une vitesse supérieure à la moyenne qu’explique l’utilisation intelligente du courant.
19Encore faut-il pour cela bénéficier d’un vent favorable. Les vents sont normalement orientés dans l’axe du détroit ; ils soufflent à peu près également d’est et d’ouest tous les mois de l’année, et ne soufflent pas normalement plus de deux ou trois jours dans la même direction. Ils sont souvent supérieurs à 4 Beaufort et peuvent renforcer de façon conséquente la puissance des courants. Un bon franchissement du détroit suppose donc la bonne combinaison des vents et des courants, ce qui peut imposer une certaine attente à l’une des extrémités des détroits et une excellente expérience des rythmes du détroit, voire, comme c’est aujourd’hui le cas, une signalisation acoustique ou visuelle du rythme des marées.
20L’un des atouts du détroit de Gibraltar est de posséder sur chaque rive plusieurs baies de qualité. Sur la rive européenne, à l’ouest, la baie de Cadix est à une grosse journée de la baie d’Algésiras qui marque la fin du détroit et où Strabon20, suivant Timosthène, évoque la présence d’une agglomération et d’une flotte ibère à une époque ancienne ; entre les deux, la baie fluvio-maritime de Baelo sur la rive européenne formait un point de relâche possible en même temps que le vis-à-vis de Tanger (Tingis), qui, avec Septem Fratres (Ceuta), constituaient sur la rive africaine les mouillages d’attente possibles.
21La traversée d’une rive à l’autre la plus fréquemment évoquée se situait à l’époque romaine entre Baelo Claudia et Tingis21 ; elle supposait une bonne combinaison des vents et des courants. La surévaluation de près de 30 % de la distance entre les deux points suppose une route indirecte.
22F. J. González Ponce22 a naguère souligné l’absence quasi-totale de vision périplographique du détroit de Gibraltar, réduit au rang de simple limite entre l’Afrique et l’Europe chez les auteurs anciens. L’une des raisons de cette situation est sans doute à rechercher dans l’absence d’étapes, c’est-à-dire dans la capacité de le traverser dans l’une ou l’autre des quatre directions cardinales en une journée de navigation à partir de l’un ou l’autre des ports qui en marquaient les limites. Sauf fortune de mer, la traversée du détroit de Gibraltar par un pilote bon connaisseur des lieux n’était sans doute pas le moment apocalyptique qu’a tendu à en faire une historiographie moderne dominée par les visions de terriens.
23Un regard jeté à quelques autres détroits, abondamment fréquentés nous confirmera dans cette vision plutôt débonnaire du détroit au regard de détroits plus méditerranéens, à la réputation justement plus mauvaise auprès des Anciens.
Le détroit de Messine
24Le détroit par excellence des Anciens est le détroit de Messine, nommé simplement « Le Détroit » à la suite d’Ératosthène, et probablement, avant lui, de Timosthène de Rhodes, à qui Ératosthène empruntait sa toponymie maritime23. Le détroit mesure 16 milles de Scilla à Punta di Pellaro, et 5 milles de plus jusqu’au Capo delle Armi, qui marque la fin du régime de vents du détroit, et moins de deux milles à sa partie la plus étroite, entre le cap Pelore et Scilla24 ; son entrée nord-ouest est en outre bordée de hauts-fonds. Pour qui arrive du nord, l’entrée est invisible et suppose un minimum de balisage. La tour-fanal attribuée à Messine est bien connue des monnaies de Sextus Pompée commémorant sa victoire de Messana en association avec l’image de Scylla25. Ce détroit a de surcroît la caractéristique de former un coude marqué, qui constitue une difficulté supplémentaire. Les vitesses atteintes par les navires qui combinent l’effet des vents puissants et des courants peuvent constituer d’authentiques records encore plus spectaculaires pour des navires de l’Antiquité, généralement assez lents, avec un impact sur la manœuvrabilité. Comme dans tous les cas de courants forts, la sensation que le navire échappe au contrôle du pilote est très marquée et inquiétante pour un marin peu accoutumé au phénomène. C’est celle que traduit Strabon lorsqu’il présente les « contre-courants » (παλίρροιαι) du détroit entraînant à terre, « la corde au cou », les navires là où ils ne veulent pas, jusque dans un vaste tourbillon qui les engloutit : Charybde26.
25Sa mauvaise réputation n’a plus à être démontrée : Charybde et Scylla, deux monstres dévoreurs de navires et de marins ont suffi à l’assurer dès l’époque d’Homère. Circé en donne une description détaillée assortie de conseils.
La pointe aiguë de l’un de ces deux écueils touche aux vastes cieux ; elle est environnée d’un nuage sombre qui ne se dissipe jamais, et la sérénité ne brille point à son sommet, ni dans l’été, ni dans l’automne. Nul homme ne pourrait y monter et n’en pourrait descendre, eût-il même vingt bras et vingt pieds, tant cette roche est lisse et semble être soigneusement polie. Au milieu du rocher se trouve une caverne obscure tournée vers le couchant, du côté de l’Érèbe ; c’est là, noble Ulysse, qu’il faut diriger ton vaisseau. Un homme, jeune encore, qui, de son creux navire, lancerait une flèche contre cette grotte, n’en atteindrait pas le fond. Scylla pousse d’affreux rugissements, sa voix est semblable à celle d’un jeune lion ; et personne ne se réjouit à la vue de ce monstre terrible, pas même un dieu ! Scylla possède douze griffes horribles et six cous d’une longueur démesurée ; à chacun d’eux est attachée une tête effrayante où paraît une triple rangée de dents serrées et nombreuses, sur lesquelles siège le noir trépas. Le milieu de son corps est plongé dans la vaste caverne, ce monstre ne fait sortir du gouffre que ses têtes hideuses ; il les promène autour de l’écueil, puis saisit et dévore les dauphins, les chiens de mer et les énormes baleines que nourrit par milliers la bruyante Amphitrite. Aucun marin ne se glorifie d’avoir échappé sain et sauf aux fureurs de ce monstre terrible, car Scylla saisit toujours un homme par chacune de ses têtes et l’enlève de son navire à la proue azurée. Ulysse, l’autre écueil que tu verras est plus bas, très près de l’autre, et à la portée des flèches. À son sommet s’élève un figuier chargé de feuilles ; au-dessous de ce figuier est la formidable Charybde, qui engloutit sans cesse l’onde noire : trois fois par jour et elle la rejette, et trois fois encore elle l’avale en poussant des mugissements effroyables. Qu’il ne t’arrive donc point de passer en ces lieux lorsque Charybde absorbe les eaux de la mer ; car nul ne pourrait t’arracher à la mort, pas même le puissant Neptune. Rapproche-toi de Scylla et dirige ton navire en effleurant l’écueil. Il vaut mieux regretter six compagnons que de les voir périr tous ensemble27.
26Le poète en reprend plus loin la description avec quelques précisions supplémentaires :
Enfin, nous entrons en gémissant dans le détroit. D’un côté se trouve Scylla et de l’autre la redoutable Charybde qui dévore avec fracas l’onde amère. Quand celle-ci vomit les vagues qu’elle vient d’engloutir, la mer murmure en bouillonnant comme l’eau d’un bassin placé sur un ardent foyer et l’écume jaillit dans les airs jusque sur les sommets élevés des deux écueils. Mais lorsque Charybde absorbe l’onde, la mer se creuse avec bruit, les flots se brisent en mugissant autour du rocher et dans le fond de l’abîme, la terre laisse apparaître une arène bleuâtre : mes compagnons sont saisis d’épouvante28.
27Charybde, qui aspire la mer et la recrache plusieurs fois par jour, est une image de la marée, qui est l’un des traits caractéristiques du détroit de Messine et du tourbillon généré par le contre-courant que crée le coude du détroit. Comme à Gibraltar, le courant principal s’inverse avec la marée toutes les six heures (fig. 2). Ce fait était bien connu de Strabon29. Scylla est la falaise qui marque au nord-est l’entrée du détroit. Le courant généré peut atteindre et dépasser 7 nœuds, mais ses valeurs moyennes excèdent rarement 5 nœuds, ce qui n’est assurément pas négligeable. Elles se situent le plus souvent entre 3 et 4 nœuds. Les contre-courants peuvent générer des remous gênants. Le montante, qui porte au nord est généralement plus faible que le scendente, qui porte au sud. Les navires les plus longs tendent à se mettre en travers du courant.
28Ces courants sont en soi surmontables avec un minimum d’expérience. Ils laissent de marbre un breton coutumier du raz de Sein et sont source de récits apocalyptiques pour plus d’un marin méditerranéen peu habitué à des courants significatifs… Il est tout à fait intéressant que Circé donne déjà le conseil que donnent encore les navigateurs modernes : en venant du nord, suivre de préférence la côte italienne, où le courant est moins violent et moins tumultueux. Ils ne sont surmontables que pour autant que le vent soit favorable ; l’autre caractéristique majeure du détroit est en effet que les orientations des vents dominants, souvent frais (20-30 nœuds), y sont très saisonnières. Le vent est de secteur sud à sud-ouest domine de septembre à fin avril et celui de secteur nord de mai à fin août, de petites fenêtres de vents du sud persistant durant toute la période. Il se réoriente pour suivre le tracé du détroit. Le flux de nord peut s’inverser après le Capo delle Armi. Même avec un voilier moderne, il reste à peu près impossible de remonter contre le vent et le courant conjugués. Avec un navire antique, remonter contre le vent, même avec l’aide du courant, devait être extrêmement difficile dans la brise. Il devenait sans doute alors nécessaire soit d’attendre un vent plus favorable, notamment pour un navire venant du sud, soit de fractionner le passage en plusieurs traversées. C’est la solution visiblement choisie par le commandant du navire de Paul, qui fait relâche à Reggio en attendant un vent favorable de sud, qui se lève le lendemain et permet la traversée rapide du détroit30. Le navire venant de quitter son hivernage, on est dans un système de vents du sud dominant. Le voyage de Paul illustre probablement des flux maritimes saisonniers, privilégiant les routes nord-sud en saison estivale et les routes sud-nord à l’intersaison et en hiver. Pour autant, le détroit pouvait être franchi en toute saison au prix d’un fractionnement du parcours et de l’attente de conditions favorables dans les ports du détroit. Ce fractionnement explique sans doute l’engagement de Caligula dans la création de ports de qualité sur les deux rives du détroit pour offrir la sécurité aux navires remontant d’Alexandrie31.
« Les Détroits » : les Dardanelles et le Bosphore
29Ces deux détroits forment le principal rétrécissement de la Méditerranée. Ils ont fini par être désignés en français moderne comme les « Les Détroits » par excellence (carte 3).
30Les Dardanelles forment un canal étroit long de 35 milles nautiques, formant deux coudes marqués à hauteur de Çanakkale. Mela en estime la plus petite largeur à moins d’un mille32, Pline à 7 stades, suivant Hérodote qui est sans doute la source lointaine de Mela33. Le canal entre Abydos et Sestos a de fait reçu très tôt des Grecs le nom d’Heptastadion.
31Les Dardanelles sont soumises à un courant général permanent de 1 à 3 nœuds environ qui coule de la Propontide (actuelle mer de Marmara) vers la mer Égée et accélère régulièrement à partir de Callipoli. Ce courant principal génère par ailleurs quantité de contre-courants qui affectent essentiellement la rive asiatique et permettent la remontée en utilisant leur aide pour qui sait les reconnaître.
32Le vent, canalisé par le chenal, est de nord-est dominant toute l’année, avec une stabilité croissante durant les mois d’été ; ce vent est frais en moyenne un jour sur quatre quelle que soit la saison. Il accroît alors très sensiblement la puissance du courant de surface. La proportion de vents de sud-est augmente avec la proximité de l’hiver, surtout d’octobre à mars.
33L’action conjuguée des vents et des courants impose, comme dans les autres détroits, la recherche des conditions optimales et une connaissance particulière des forces et faiblesses du flux lors de la traversée d’une mer à l’autre. La traversée d’une rive à l’autre ne peut par ailleurs s’effectuer en ligne droite. Alors que la largeur des Dardanelles entre Abydos et Sestos n’excède pas sept stades, la distance effective de la traversée de port à port s’élevait à trente stades34.
34Strabon nous décrit ainsi la traversée des Dardanelles entre Abydos et Sestos :
Sestos se trouve plus près de la Propontide, et en amont dans le sens du courant qui s’en écoule ; c’est pourquoi, de Sestos, la traversée s’effectue plus facilement si l’on suit la côte pendant une courte distance jusqu’à la tour de Héron, puis, d’en écarter les navires, pour traverser avec l’aide du courant. Quand en revanche on traverse depuis Abydos, on doit suivre la côte dans la direction opposée sur environ huit stades jusqu’à une tour située en face de Sestos, et traverser obliquement à partir de là pour éviter d’avoir à affronter directement la force du courant35.
35Ce sont donc des itinéraires complexes, matérialisés par une infrastructure de balises et d’amers, qui étaient mis en œuvre y compris pour la traversée sur de courtes distances.
36Le Bosphore pose des problèmes analogues. Long de 16 milles nautiques, large de 740 m seulement à son point le plus étroit, il est soumis au même régime de vents et de courants. Tous les auteurs depuis Hérodote36 s’accordent sur une longueur de 120 stades, qui est très courte. Cette étroitesse a été largement soulignée par Strabon37. Comme les Dardanelles, il n’est pas rectiligne. À l’endroit le plus resserré, où s’accumulent les forteresses, le courant y a pris des noms révélateurs : « Grand torrent » des Grecs ou « Courant du diable » des Turcs38. Comme dans les Dardanelles, le courant accélère régulièrement du nord au sud, dans les parties resserrées et le long de la rive extérieure des courbes dans le sens du courant ; les irrégularités de la côte génèrent des contre-courants et tourbillons similaires à ceux des Dardannelles. Les brouillards y sont en outre fréquents en hiver. La remontée vers le nord s’y fait le plus souvent contre vents et courants.
37Son débouché sur le Pont-Euxin (actuelle mer Noire) était marqué par deux sanctuaires : le hiéron des Byzantins et le temple de Zeus Ourios39, qui signalaient aussi deux dangers : les roches Cyanées, situées une sur chaque rive. Mais il y a aussi beaucoup de bons mouillages dans le Bosphore (carte 2).
38Polybe donne l’une des descriptions les plus détaillées des conditions de navigation dans ce détroit. Alors que ces conditions pourraient sembler repoussantes, par la force de l’habitude et d’une pratique maîtrisée elles sont par lui considérées comme des avantages, plus marqués pour Byzance que pour Chalcédoine. Là encore, l’historien décrit les itinéraires complexes rendus nécessaires par le courant pour traverser de rive à rive :
Nous avons dit que le détroit qui joint le Pont avec la Propontide est long de cent vingt stades, depuis Hiéron, du côté du Pont, jusqu’à l’endroit où est Byzance, au côté opposé. Dans l’intervalle entre ces deux points, se trouve l’Hermaïon qui est situé sur la rive européenne le long de l’embouchure à un emplacement où elle forme une sorte de cap en s’avançant, et il est éloigné de l’Asie d’environ cinq stades. C’est l’endroit le plus resserré du détroit, et où l’on dit que Darius dans son expédition contre les Scythes, fit jeter un pont. Depuis le Pont sur tout le reste de la longueur du chenal la vitesse du courant qui s’écoule du Pont est assez constante, du fait de l’homogénéité de la topographie des deux rives à l’embouchure ; mais, arrivant à l’Hermaïon, et y étant resserrée par le promontoire, elle s’y brise et se jette ensuite du côté de l’Asie, d’où elle retourne du côté de l’Europe aux promontoires qui sont vers les Hestiaï. De là, changeant encore son cours, elle coule vers l’Asie au promontoire appelé le Bœuf, où l’on rapporte que Io s’arrêta pour la première fois après avoir passé le détroit. Enfin, de ce promontoire du Bœuf, l’eau prend son cours vers Byzance, où se partageant, la plus petite partie va former le golfe appelé la Corne, et la plus grande vient de l’autre côté, où est Chalcédoine. Mais cette partie n’a plus à beaucoup près la même force, car, après avoir été jetée et rejetée tant de fois, et trouvant là de quoi s’étendre, elle s’affaiblit enfin, et, n’étant plus repoussée par ses bords qu’à angle obtus, elle quitte Chalcédoine et suit le détroit.
C’est ce qui donne à Byzance un fort grand avantage sur Chalcédoine pour la situation, quoiqu’à juger de ces deux villes par les yeux elles paraissent également bien situées. On ne peut aborder qu’avec peine à Chalcédoine, et le courant vous emporte à Byzance, quelque chose que vous fassiez pour vous en défendre. Pour preuve de cela, c’est que quand on veut passer de Chalcédoine à Byzance, on ne peut traverser le détroit en droite ligne, mais on remonte jusqu’au Bœuf et à Chrysopolis même, ville dont les Athéniens s’emparèrent autrefois par les conseils d’Alcibiade, et où ils levèrent les premiers un impôt sur ceux qui passaient dans le Pont. De là on n’a qu’à s’abandonner au cours de l’eau, et on est nécessairement porté à Byzance. La même chose arrive soit qu’on navigue au-dessus ou au-dessous de cette ville. Qu’un vaisseau poussé par un vent du midi y vienne par l’Hellespont, la route est facile en côtoyant l’Europe. Qu’un vent du nord, au contraire, en pousse un autre du Pont dans l’Hellespont, en longeant encore la côte de l’Europe, il cinglera droit et sans danger de Byzance dans le détroit de la Propontide, où sont Abydos et Sestos. C’est tout le contraire par rapport à Chalcédoine, parce que la côte est irrégulière, et que d’ailleurs l’île de Cyzique avance beaucoup dans la mer. Pour y venir de l’Hellespont, on est obligé de longer la côte de l’Europe, et, quand on est proche de Byzance, de se détourner pour prendre la route de Chalcédoine, ce qui n’est pas facile. Nous en avons dit la raison. De même, en sortant de son port, il est absolument impossible de cingler droit vers la Thrace, car, outre le cours de l’eau qu’il faudrait forcer, on aurait encore à surmonter, ou le vent du midi qui pousse vers le Pont, ou le vent du nord qui en fait sortir, et, soit qu’on vienne de Byzance à Chalcédoine ou qu’on aille de Chalcédoine en Thrace, on ne peut pas éviter l’un ou l’autre de ces vents40.
39L’évaluation de la longueur du détroit, 120 stades, pour une longueur réelle d’un peu plus de 13 milles nautiques aux deux sanctuaires qui marquaient l’entrée traditionnelle du Bosphore de Thrace, est ici à peu près exacte. Là encore, la connaissance du milieu et la routine qui en découle l’emportent sur l’image pessimiste que l’on pourrait avoir de ce détroit.
Difficultés et solutions
40En dépit de spécificités marquées, les détroits posent donc des problèmes extrêmement récurrents et inhérents aux contraintes naturelles, qui appelaient un éventail de solutions non moins récurrentes. Ces problèmes sont bien connus. Ils concernent les vents, sans l’aide desquels on ne peut réellement envisager de traverser le détroit, les courants, qu’il faut utiliser à son profit et connaître, ainsi que les contextes politiques et militaires susceptibles d’en rendre le passage problématique ou coûteux.
41Par bien des aspects, la navigation dans les détroits s’apparente à la navigation fluviale, et, plus encore, à la navigation dans les estuaires : comme elle, elle est fortement canalisée par des rives rarement rectilignes et fortement différenciées qui organisent et renforcent les vents ; comme elle, elle est très marquée par des systèmes de courants puissants et parfois complexes qui instaurent le plus souvent une asymétrie radicale de l’espace en fonction du sens du déplacement.
42Les solutions sont toutes de nature humaine. Parmi ces solutions a théoriquement toujours figuré la possibilité d’éviter le parcours longitudinal d’un détroit au prix d’un contournement ou d’une rupture de charge. Strabon évoque le premier cas lorsqu’il dit que nombreux étaient ceux qui évitaient le détroit de Messine. Cela était possible en empruntant le canal de Sicile, une voie assez longue et malcommode. Et Strabon renvoie cette affirmation à l’âge homérique. Dans le sens nord-sud, cette solution pouvait être attractive ; elle l’était beaucoup moins en sens inverse. Pour autant que l’on puisse en juger, les navires d’Alexandrie utilisaient tous le détroit de Messine. Il ne semble pas que la solution de la rupture de charge, bien attestée lorsqu’il s’agit de passagers, ait été normalement pratiquée s’agissant des marchandises, mais cette question devrait être l’objet d’une réflexion systématique croisant l’ensemble des données archéologiques. Le surcoût généré par le transport terrestre autant que par les opérations de chargement/déchargement devait être rapidement prohibitif, sauf dans quelques cas bien connus où les voies d’eau fluviales offraient une alternative économiquement plaidable. C’était la plupart du temps le cas en Gaule et, peut-être dans une moindre mesure, en Espagne où le port de Iuliobriga, probablement dans la baie de Santander, était relié au bassin-versant de l’Èbre, ainsi que le souligne Pline l’Ancien41. Dans les deux cas, c’est moins la traversée du détroit que la navigation le long des côtes exposées entre les caps Saint-Vincent et Finisterre qui pourrait avoir rebuté les marins. La réévaluation en cours de la navigation atlantique, entre Cadix et les Bouches du Rhin, avec des relais en Cantabrie et en Angleterre incite néanmoins à considérer que l’alternative fluviomaritime a été moins systématique que l’on a pu un temps le penser.
43La nécessité de vents et courants favorables impose tout d’abord d’identifier, aux extrémités des détroits, des zones propres au stationnement de navires potentiellement nombreux afin de leur permettre d’attendre, dans des conditions de sécurité acceptables, le moment propice pour s’engager dans le détroit. Lorsque la longueur du détroit l’impose, l’existence de points de relâche intermédiaires est une autre nécessité. Tous les détroits canalisent les vents, avec pour effet d’en modifier l’orientation plus ou moins dans l’axe du détroit en même temps qu’ils en accroissent la puissance. Ils sont donc généralement caractérisés par des vents sensiblement plus violents qui peuvent devenir très changeants à proximité de la côte, lors des changements d’orientation du détroit, et notamment en sortie de détroit. La plupart du temps, il existe un vent dominant. Dans les Dardanelles et à Messine il est de nord-est, dans les bouches de Bonifacio il est de nord-ouest. L’attente peut donc être longue pour qui veut naviguer contre le vent dominant. Lorsque les détroits étaient longs, des étapes pouvaient être nécessaires dans le détroit lui-même.
44Quoique relativement éloignée, Samos fait ainsi figure de point de relâche possible en cas de vents contraires à l’entrée des Dardanelles42. Mytilène, Samothrace, Thasos devaient constituer des points naturels de relâche et d’attente. L’aménagement d’un réseau de ports artificiels dans le détroit de Messine par Caligula est ainsi présenté sur un mode sensiblement différent de celui qui s’attache ordinairement à la construction de ports par un empereur. En dépit de l’hostilité des sources à l’égard de cet empereur, alors que la construction de ports est normalement considérée comme une libéralité impériale à l’égard d’une cité, l’aménagement des ports du détroit de Messine est présenté comme une contribution effectivement utile aux marins43.
45La complexité des détroits y fractionne la navigation. Le détroit de Gibraltar est de ce point de vue assez favorisé : les vents y sont normalement stables pendant la journée, mais alternent assez souvent pour que l’on puisse trouver le vent favorable sans attendre plus de quelques jours. Nous avons vu par ailleurs que les navires pouvaient être largement sortis du détroit dans la journée entre Cadix et Carteia, dans la baie d’Algésiras, ou en sens inverse. Côté sud, Septem Fratres et Tingis fournissaient deux bons abris. La largeur du détroit le met globalement à l’abri des réorientations soudaines du vent dues aux reliefs.
46Marées et courants sont des éléments relativement déroutants pour un marin de Méditerranée peu accoutumé à ces phénomènes. Le passage du détroit de Messine ou la navigation dans les chenaux des Kerkennah44 peuvent représenter une expérience initiatique majeure pour un Méditerranéen ordinaire. Un Breton rompu au raz de Sein trouvera leur mauvaise réputation usurpée… Quant au marin natif des lieux, il sera simplement dans son élément, et non seulement il n’y trouvera pas de difficulté, mais il s’y engagera avec l’avantage que confère la connaissance des temps et des lieux propres aux phénomènes.
47L’existence des courants et des contre-courants, ainsi que de leurs caractéristiques, étaient bien connues pour chaque détroit, même si les raisons du phénomène et de ses variables restaient inexpliquées45. Les courants ne sont pas seulement des adversaires. Les contre-courants offrent des opportunités très intéressantes à condition de savoir les reconnaître. La maîtrise des courants implique une parfaite connaissance non seulement des lieux, mais aussi du milieu, en particulier des signes avant-coureurs et des rythmes de marée. C’est traditionnellement l’affaire du pilote. Quintilien, dans un passage consacré à la transmission des savoirs par l’orateur, le compare au vieux pilote, qui
enseignera les rivages et les ports, les signes annonciateurs de la tempête, ce que la raison impose lorsque les vents sont favorables ou lorsqu’ils sont contraires, mu non seulement par un devoir d’humanité commun à tous les hommes, mais aussi par une forme d’amour de son travail46.
48Nous ignorons tout de l’existence de pilotes locaux qui auraient embarqué sur des navires pour leur permettre de franchir une difficulté locale. Aucun texte n’en fait état, ce qui peut être un simple accident documentaire. Toutefois, le pilote représentant l’autorité technique du bord, on est en droit de penser que celui-ci était assez jaloux de ses prérogatives, d’autant que sa connaissance des lieux, fondée sur la répétition de l’expérience, était aussi le fondement de son autorité à bord. La spécialisation de certains nauclères dans ces routes difficiles est en revanche un fait établi. On connait par exemple un nauclère lycien établi à Chalcédoine, dont il avait reçu la citoyenneté, qui se dit spécialisé dans la pratique des routes entre Méditerranée et mer Noire47. La tâche des pilotes et des nauclères, même fins connaisseurs des lieux, pouvait être grandement facilitée par la mise en place d’amers, voire d’un véritable système de balisage.
49Ainsi que nous l’avons vu plus haut avec le cas des Dardanelles, la complexité des courants latéraux rend particulièrement complexes les traversées de rive à rive qui ne peuvent être pratiquées en ligne droite, mais imposent de se dérouter par rapport à la route orthodromique afin de ne pas se retrouver en situation d’être déporté par les courants au-delà de la destination escomptée et de ne plus pouvoir remonter contre eux jusqu’à cette destination. Alors que la largeur du détroit était estimée à 7 stades à cet endroit48, la distance réelle entre les deux ports était estimée à 30 stades. De fait, les points de traversée ne correspondent pas toujours aux points les plus étroits des détroits. La traversée de Callipolis à Lampsaque a généralement été préférée à celle, pourtant plus courte, d’Abydos à Sestos49. La traversée des détroits d’une rive à l’autre ne peut se réduire à une ligne droite, mais doit jouer avec les courants et contre-courants. Il était donc essentiel de baliser les chenaux d’amers qui indiquaient les cibles visuelles successives sur lesquelles régler le cap.
50La suite du passage de Strabon relatif à Abydos et Sestos que nous avons cité plus haut détaille les aménagements qui permettaient à ceux qui naviguaient entre Abydos et Sestos de déjouer les pièges du courant en identifiant l’itinéraire entre les deux points, lequel variait avec le sens du trajet :
Sestos est située plus près de la Propontide et en amont (d’Abydos) dans le sens du courant qui s’en écoule ; c’est pourquoi la traversée depuis Sestos est plus aisée si l’on dévie un peu sa route en direction de la tour de Héron, et de là d’éloigner les navires de la côte avec l’aide du courant. Quand en revanche on traverse depuis Abydos, on doit suivre la côte dans la direction opposée sur environ 8 stades jusqu’à une tour située en face de Sestos, et traverser obliquement à partir de là pour éviter d’avoir à affronter directement la force du courant50.
51L’édification de tours est une des aides à la navigation les plus essentielles dans tous les lieux où la visibilité des côtes est faible et dans ceux où il est nécessaire de faire route en se fondant sur des repères précis. Les estuaires, les détroits et certaines entrées de ports entrent dans la seconde catégorie.
52Une tour circulaire où l’on reconnaît souvent le phare de Messine apparaît sur une émission de deniers de Sextus Pompée51. M. Reddé52 a justement reconnu dans ces tours rondes des types d’édifices distincts de phares stricto sensu, qui, dans l’iconographie, sont normalement des constructions à degrés surmontées d’une flamme. Quoique le phare érigé par Néron pour marquer l’entrée du port de Patara soit une de ces constructions circulaires, la présence sur les deniers de fenêtres sous la toiture en coupole incite à y voir une tour-amer susceptible d’être utilisée pour la communication avec les navires. Il pourrait alors s’agir d’un élément de l’aménagement du détroit. On peut imaginer des dispositifs similaires dans le détroit de Gibraltar, qui ne manquait pas au demeurant de signalisation maritime. Les abords du détroit étaient en effet marqués par au moins deux phares : le phare de Gadès53 et la tour de Caepio à l’embouchure du Guadalquivir54.
53L’observation et la communication avec les navires peuvent avoir contribué à l’organisation du trafic. Soumis à des courants puissants et variables d’une rive à l’autre, les détroits nécessitent en soi du doigté de la part des pilotes. Cela serait peu de chose si le trafic n’était ce qu’il est dans les détroits. Ces espaces resserrés concentrent en effet un trafic dense. Même lorsqu’il s’effectue seulement dans le sens montant ou dans le sens descendant, à la file, il a toujours été très difficile à des navires évoluant à la voile de naviguer en convoi en se réglant sur la vitesse du navire précédent. Dans le cas des détroits, nous devons imaginer deux rails sécants à angle droit tous soumis aux effets du courant, qui rend les navires moins manœuvrants. Dans une configuration extrême, il nous faut imaginer deux rails, montant et descendant, coupant plus ou moins à angle droit deux autres rails de rive à rive. C’est un système d’une grande complexité qui appelait évidemment un peu d’ordre et de règles… et sans doute un peu de police.
54Plus encore que dans les autres cas de figures de la navigation, la traversée des détroits illustre l’adage selon lequel, en mer, la ligne droite est rarement le plus court chemin entre deux points, surtout à la voile. Il convient alors de bien prendre conscience du niveau intime de connaissance des lieux, d’équipement de signalisation et de diffusion éventuelle des informations essentielles, notamment en matière d’horaires des marées.
55Enfin, plus sans doute qu’en d’autres lieux, et d’une façon variable d’un détroit à l’autre, des types de navires particuliers pouvaient s’avérer plus performants que d’autres dans ces espaces complexes. Dans les détroits les plus resserrés ou dans ceux où les vents étaient majoritairement contraires dans un des sens de navigation, comme c’est en particulier le cas des Dardanelles, on pouvait être amené à privilégier les galères de commerce, capables d’aller plus vite que le courant, dans la limite où le vent ne s’y oppose pas résolument. Il est remarquable que ce genre de navire soit considéré comme le type dominant à Athènes à la fin du ve siècle pour l’auteur anonyme (pseudo-Xénophon) de la Constitution des Athéniens et qu’il soit celui du navire mentionné dans le Contre Lacritos du pseudo-Démosthène au ive siècle dans un programme de navigation entre Athènes et Olbia du Pont. Les navires à propulsion mixte paraissent avoir été dominants dans l’univers maritime Méditerranéen jusqu’au début du ier siècle av. J.-C. Les akatoï mentionnés au iie siècle apr. J.-C. dans le papyrus Bingen 77 étaient des navires à propulsion mixte non pontés. Ils constituent à la mi-août l’immense majorité des unités arrivant dans un port non identifié du delta du Nil. L’un d’entre eux arrive du Pont-Euxin où il avait son port d’attache, selon l’interprétation de l’éditeur du document55.
56Il serait néanmoins risqué d’imaginer que franchir les détroits passait nécessairement par l’usage d’un type de navire particulier. Un détroit n’est qu’une étape sur un parcours entre des lieux éloignés et c’est la synthèse d’un programme de navigation qui justifie le choix d’un modèle de navire plutôt que d’un autre. Le recours à des navires spécifiques au coût d’exploitation plus élevé eu égard à un équipage plus nombreux, impose soit une ou des ruptures de charge soit un surcoût assumé. Les traversées d’une rive à l’autre paraissent s’être appuyées sur des types de navires spécifiques, auxquels les détroits ont donné leur nom (porthmieïon / porthmieïa). Mais cette spécificité tient avant tout à un modèle économique, à la brièveté du trajet et à une spécialisation dans le transport des passagers. Assimilables à des bacs, ils tiraient leur originalité de modèles de profitabilité, plus que d’une adaptation à des déterminismes naturels.
Contrôler les détroits
57Notre projet, était de contribuer à mieux apprécier, par comparaison avec d’autres détroits, la spécificité du détroit de Gibraltar et de mieux évaluer ainsi le niveau de difficulté qu’il pouvait représenter pour les navigateurs issus du bassin méditerranéen. Force est de reconnaître qu’aux yeux mêmes des Anciens, il ne constituait nullement le verrou que l’historiographie a tenté d’en faire. Le détroit de Messine ou le cap Ténare présentaient à leurs yeux des obstacles autrement plus difficiles à surmonter. Plus large que les autres, globalement rectiligne, pourvu de bons abris aux extrémités et soumis à des régimes de vents alternativement favorables dans les deux sens, le détroit de Gibraltar présente une physionomie plus débonnaire que celui que lui a construit l’historiographie. Comme tout espace maritime, il impose des contraintes spécifiques qui appellent des comportements adaptés et une préparation sans lesquels la sanction est immédiate pour le navire et pour ses passagers. Une comparaison avec le niveau d’aménagement des autres détroits devrait inciter à prêter une attention marquée à l’infrastructure maritime de ce détroit particulier. Enfin, il serait sans doute opportun de reconsidérer les modalités propres à permettre de « fermer » ou « contrôler » un détroit. À moins d’en tenir tous les ports, de l’entrée à la sortie, sur les deux rives, c’est une entreprise délicate, rarement réalisée même dans des détroits assez resserrés. La mention de la flotte de guerre des Ibères à Calpè est là pour nous rappeler le caractère complexe d’une mainmise qui mériterait également d’être l’objet d’une réflexion de fond sur ces aspects stratégiques. La colonisation samienne montre par exemple un intérêt particulier pour les emplacements proches des détroits. À défaut d’en permettre le contrôle, ils offraient aux navires amis les bases nécessaires pour un franchissement plus commode, l’occasion probable de s’imposer comme lieu d’étape et de possible rupture de charge et de percevoir ainsi les taxes afférentes à l’importation et à l’exportation. La loi douanière d’Asie rappelle la taxe prélevée sur tous les navires en provenance ou à destination de la mer Noire. Procope se scandalise de l’installation par Justinien d’un péage sur le détroit considéré comme un abus de pouvoir et un obstacle à la navigation.
58Le contrôle des détroits est un thème récurrent de l’historiographie. À l’instar d’un fleuve, il est essentiel d’en tenir les deux rives. Les entreprises menées contre Abydos et Sestos illustrent assez cette situation, comme le fait que les deux cités aient été, un temps, placées par Rome sous l’autorité d’un même gouverneur56. La prise de Sestos par les Athéniens en 47957 leur garantissait la route du blé, mais pas celle d’Abydos ; en fait il s’agit plutôt de disposer d’une escale à un endroit critique dans le coude du détroit. En 389, Abydos est une base navale lacédémonienne58. Lampsaque a également été dans le giron d’Athènes dès 479, puis fut très tôt l’alliée de Rome contre Antiochos59. Tenir les deux rives était un enjeu difficile. Mais même tenir les deux rives ne suffit pas à contrôler un détroit.
59Même une flotte ne peut y parvenir si elle est statique. L’embuscade tendue par les Lacédémoniens à la flotte céréalière d’Alexandrie à hauteur du cap Triopion à l’automne 41260, dans un des passages les plus resserrés de la Méditerranée, le canal de Rhodes, qui ne mesure pas plus de 9 milles nautiques de large, était une opération qui en théorie ne pouvait pas échouer. Elle échoua néanmoins et nous montre comment un navire à voile peut l’emporter en utilisant des conditions défavorables aux fragiles trières…
60Pour tenir un détroit, la solution consiste non seulement à en tenir les deux rives, mais aussi à en tenir les ports de relâche aux extrémités. Gades, Tingis, Septem Fratres, et Calpè, où Strabon mentionne un port de guerre des Ibères61, s’inscrivent dans cette logique. La difficulté d’une même puissance étatique à tenir les deux extrémités d’un même détroit a souvent conduit dans l’histoire à des situations de compromis. Turris Libisonis (à la base d’un isthme), Olbia et le « port Syracusain » flanquent les bouches de Bonifacio.
61Les blocus ne sont en outre de l’intérêt de personne. Même acculée à des situations extrêmes, Byzance a toujours été très attentive à ne pas tuer la poule aux œufs d’or du commerce maritime et achetait les denrées de navires arraisonnés au prix du marché.
62Au bout du compte, Aelius Aristide résumait assez bien la banalité et l’ouverture absolue des détroits à la période impériale lorsqu’il écrivait :
Chacun, aujourd’hui, n’est-il pas maître d’aller partout où il lui plaît ? Tous les ports ne sont-ils pas pleins de mouvement ? Les montagnes n’offrent-elles pas aux voyageurs la même sécurité que les villes à leurs habitants ? Toutes les campagnes ne sont-elles pas remplies de délices ? La crainte ne s’est-elle pas évanouie partout ? Reste-t-il quelque part une voie fluviale dont le passage se trouve interdit, un détroit maritime fermé ?62.
63On comprend mieux l’ire de Procope à l’égard du péage de Justinien, dans un contexte où les détroits étaient partie intégrante de l’espace de libre circulation qui constitue dès Strabon la base du progrès.
Annexe
Procope, Histoire secrète de Justinien, I, 25 (trad. de Isambert, pp. 163-164)
1. Je vais parler des maux qu’il a faits aux négociants, aux navigateurs, aux artisans, aux forains et par eux à toutes les autres professions.
2. Il y a deux détroits de chaque côté de Byzance : l’un, celui de l’Hellespont, entre Sestos et Abydos, et l’autre, à l’entrée du Pont- Euxin, où se trouve le lieu que l’on nomme Hiéron.
3. Sur le détroit de l’Hellespont, il n’y avait aucun poste de douane au profit du trésor public. L’empereur avait seulement envoyé un commandant à Abydos, afin d’empêcher qu’aucun navire chargé d’armes passât sans le congé impérial pour se rendre à Byzance, et qu’aucun n’en sortit sans être porteur de licence, et sans faire les signaux à ceux auxquels cet honneur est décerné. Car il n’est pas permis de lever l’ancre, à Byzance, sans s’être concerté avec les préposés du dignitaire investi du titre de Magister. L’agent de ce service prélevait sur les maîtres des navires un droit qui n’était une charge pour personne.
4. Le commissaire placé sur l’autre détroit, recevait son salaire régulièrement de l’empereur, et remplissait le même office d’inspection que j’ai déjà exposé, pour empêcher que les navires à la destination des (ports du) Pont-Euxin y portassent des armes aux Barbares ; car cette exportation était expressément défendue. Néanmoins, il était interdit à cet officier de rien percevoir sur ces navigateurs.
5. Mais du jour où Justinien occupa le trône, il établit une douane publique sur l’un et l’autre détroit, et y plaça à perpétuelle demeure deux chefs de douaniers, auxquels il accorda un traitement proportionnel au produit total qu’ils pourraient en retirer, et aux richesses qui en reviendraient à l’empereur lui-même.
6. Ceux-ci n’eurent pas d’autre soin que de capter sa bienveillance, et exercèrent, sur les navigateurs de toute classe, de telles avanies, qu’ils se faisaient livrer le plus précieux de leurs cargaisons.
7. Voilà ce qu’il ordonna au sujet des deux détroits.
[1] Τοὺς μὲν στρατευομένους οὕτως ὁ τύραννος ὅδε διεχρήσατο. ἅπερ δὲ αὐτῷ ἐς ἐμπόρους τε καὶ ναύτας καὶ βαναύσους καὶ ἀγοραίους ἀνθρώπους, δἰ αὐτῶν τε καὶ ἐς τοὺς ἄλλους ἅπαντας εἴργασται,
[2] φράσων ἔρχομαι. πορθμὼ δύο ἑκατέρωθεν Βυζαντίου ἐστὸν, ἅτερος μὲν ἐφ̓ Ἑλλησπόντου ἀμφὶ Σηστόν τε καὶ Ἄβυδον, ὁ δὲ δὴ ἕτερος ἐπὶ τοῦ στόματος τοῦ [p. 153] Εὐξείνου καλουμένου Πόντου, οὗ τὸ Ἱερὸν ὀνομάζεται.
[3] ἐν μὲν οὖν τῷ Ἑλλησπόντου πορθμῷ τελωνεῖον μὲν ἐν δημοσίῳ ὡς ἥκιστα ἦν, ἄρχων δέ τις ἐκ βασιλέως στελλόμενος ἐν Ἀβύδῳ καθῆστο, διερευνώμενος μὲν, ἢν ναῦς ὅπλα φέρουσα ἐς Βυζάντιον οὐ βασιλέως ἴοι γνώμῃ, καὶ ἤν τις ἐκ Βυζαντίου ἀνάγοιτο οὐ φερόμενος γράμματα τῶν ἀνδρῶν καὶ σημεῖα οἷς ἐπίκειται ἡ τιμὴ αὕτη ῾οὐ γὰρ θέμις τινὰ ἐκ Βυζαντίου ἀνάγεσθαι οὐκ ἀφειμένον πρὸς τῶν ἀνδρῶν, οἳ τῇ τοῦ μαγίστρου καλουμένου ἀρχῇ ὑπουργοῦσἰ πραττόμενος δὲ τοὺς τῶν πλοίων κυρίους τέλος δὲ οὐδενὶ αἴσθησιν παρεχόμενον ἀλλ̓ ὥσπερ τινὰ μισθὸν ὁ ταύτην δὴ τὴν ἀρχὴν ἔχων τοῦ ἔργου τούτου λαμβάνειν ἠξίου·
[4] ὁ μέντοι ἐπὶ πορθμοῦ τοῦ ἑτέρου στελλόμενος τὸν μισθὸν ἀεὶ πρὸς βασιλέως κεκομισμένος ἦν καὶ διερευνώμενος ἐς τὸ ἀκριβὲς ταῦτά τε, ἅπερ μοι εἴρηται, καὶ ἤν τι ἐς τοὺς βαρβάρους κομίζοιτο, οἳ παρὰ τὸν Εὔξεινον ἵδρυνται Πόντον, ὧνπερ οὐ θέμις ἐκ Ῥωμαίων τῆς γῆς ἐς τοὺς πολεμίους κομίζεσθαι. οὐδὲν μέντοι ἐξῆν τῷ ἀνδρὶ τούτῳ πρὸς τῶν τῇδε ναυτιλλομένων προσίεσθαι.
[5] ἐξ οὗ δὲ Ἰουστινιανὸς τὴν βασιλείαν παρέλαβε, τελωνεῖόν τε δημόσιον κατεστήσατο [p. 154] ἐν πορθμῷ ἑκατέρῳ καὶ μισθοφόρους ἄρχοντας δύο ἐς ἀεὶ πέμπων μίσθωσιν μὲν αὐτοῖς παρείχετο τὴν ξυγκειμένην, ἐπήγγελλε δὲ χρήματά οἱ ὅτι πλεῖστα ἐνθένδε ἀποφέρειν δυνάμει τῇ πάσῃ.
[6] οἱ δὲ ἄλλο οὐδὲν ἢ εὔνοιάν οἱ τὴν ἐς αὐτὸν ἐνδείκνυσθαι ἐν σπουδῇ ἔχοντες ἁπαξάπαντα πρὸς τῶν πλεόντων τὰ τῶν φορτίων τιμήματα ληϊζόμενοι ἀπηλλάσσοντο.
[7] Ἐν μὲν οὖν πορθμῷ ἑκατέρῳ ταῦτα ἐποίει.
Notes de bas de page
1 L’Océan reste le lieu de monstres générateurs de terreur (Aviénus, Ora maritima, vv. 410-411) ; Pline, IX, 9, nous apprend ainsi qu’une ambassade d’Olisipo (Lisbonne), venue trouver Tibère avait révélé l’existence, près de cette ville, d’une caverne où vivait un triton qui dansait en s’accompagnant de la conque… et que dans la même région vivaient des Néréïdes. Les créatures de la grotte de Tibère à Sperlonga sortaient en quelque sorte de la pierre pour prendre vie dans l’Océan. Et l’encyclopédiste d’ajouter, au cas où l’on pourrait douter d’un tel récit, que la correspondance d’un légat à Auguste faisait état de Néréïdes échouées sur le littoral des Gaules… Plus loin (IX, 10), il précisait la localisation de cette découverte : sur la côte des Santons, près d’une île. Il y ajoute qu’avec les cadavres de Néréïdes se trouvaient ceux d’éléphants. Le même (IX, 10) rapporte en outre que des membres de l’ordre équestre, dont la dignité exclut naturellement qu’ils aient menti, disaient avoir vu, dans l’Océan gaditain, un monstre marin à corps d’homme, qui montait à bord des vaisseaux la nuit et pesait si lourd qu’il faisait couler les navires. Enfin, l’Oceanus Gallicus est le lieu où vit le physeter, un monstre qui s’élève comme une colonne plus haut que les voiles et occasionne un déluge (IX, 8).
2 Philostrate, Vie d’Apollonios de Tyane, IV, 47-5, 2.
3 Strabon, VIII, 6, 20 : « ἤν δ´ ὤσπερ ὃ πορθμὸς οὕκ εὔπλους ὁ κατὰ Σικελίαν τὸ παλαίον, οὔτω καὶ τὰ πελάγη, καὶ μάλιστα τὰ ὕπερ Μάλέων διὰ τὰς ἀντιπνοίας ἄφ´ οὗ καὶ παροιμιάζονται· Μαλέας δὲ κάμψας ἐπιλάθου τῶν οἴκαδε » (« Dans les temps anciens, de même que le détroit qui borde la Sicile n’était pas aisé à naviguer, de même les mers en général ne l’étaient pas. C’était tout spécialement le cas des mers au large du cap Malée du fait des vents contraires. D’où le proverbe : “Quand tu doubles le cap Malée, oublie tes affaires domestiques” ». Le cap Malée termine la péninsule d’Épidaure Limira, à l’extrémité méridionale du Péloponnèse.
4 Strabon, III, 2, 5 : « ἅπασα δ᾽ ἡ ἐμπορία πρὸς τὴν Ἰταλίαν ἐστὶ καὶ τὴν Ῥώμην, ἔχουσα τὸν πλοῦν τόν τε μέχρι τῶν στηλῶν ἀγαθὸν (πλὴν εἴ τίς ἐστι περὶ τὸν πορθμὸν δυσκολία) καὶ τὸν πελάγιον τὸν ἐν τῇ καθ᾽ ἡμᾶς θαλάττῃ » (« Tout le commerce maritime se fait vers l’Italie et vers Rome, la navigation étant bonne jusqu’aux colonnes, sauf quelques difficultés aux abords du détroit et pour la traversée en pleine eau de notre mer »).
5 Bonifay, Tchernia, 2012.
6 Chantraine, 2009, s. v. « πείρω », p. 871.
7 Dion Cassius, Histoire romaine, L, 12, 7.
8 Strabon, I, 2, 9 ; I, 2, 15 ; II, 1, 11 ; II, 1, 40 ; II, 4, 2 ; II, 4, 3 ; II, 5, 8, etc. (mais en II, 1, 1 et II, 5, 15, il le désigne comme le « détroit de Sicile »).
9 Ibid., III, 2, 5.
10 Ibid., III, 1, 8 : « εἶτα Γάδειρα, πορθμῷ στενῷ διειργομένη νῆσος ἀπὸ τῆς Τουρδητανίας, διέχουσα τῆς Κάλπης περὶ ἑπτακοσίους καὶ πεντήκοντα σταδίους· οἱ δὲ ὀκτακοσίους φασίν » (« Ensuite se trouve Gadeira, île séparée de la Turdétanie par un mince détroit et distante de Calpé de 750 stades environ, 800 selon certains »).
11 Pomponius Mela, Chorographie, I, 6 ; I, 7 et Pline, IV, 76 le traduisent en latin angustiae ou angustum.
12 Ainsi chez Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II, 86, 5.
13 Strabon, I, 1, 17 et XIV, 5, 22.
14 Ibid., I, 3, 7 : « διὰ τῶν κατὰ στήλας στενῶν ».
15 Ibid., XII, 4, 8 : « ὃς τὰ κατὰ [p. 795] Χαλκηδόνα καὶ Βυζάντιον στενά, ἃ νῦν Θρᾴκιος Βόσπορος καλεῖται, πρότερόν φησι Μύσιον Βόσπορον προσαγορεύεσθα » (« Le détroit de Chalcédoine et de Byzance, qu’on appelle aujourd’hui le Bosphore de Thrace, avait d’abord été nommé Bosphore mysien »).
16 Ibid., XVII, 3, 6.
17 Pline, III, 2 : « Origo occasu solis et Gaditano freto, qua inrumpens oceanus Atlanticus in maria interiora diffunditur. Hinc intranti dextera Africa est, laeva Europa, inter has Asia. termini amnes Tanais et Nilus. XV ppp. in longitudinem quas diximus fauces oceani patent, V in latitudinem, a vico Mellaria Hispaniae ad promunturium Africae Album, auctore Turranio Gracile iuxta genito. T. Livius ac Nepos Cornelius latitudinis tradiderunt minus VII ppp., ubi vero plurumum, X » (« Le point de départ est à l’ouest et au détroit de Gadès, par où l’océan Atlantique, faisant irruption, se répand dans les mers intérieures. De là, en entrant, on a à droite l’Afrique, à gauche l’Europe, entre les deux l’Asie. Les limites sont les fleuves Tanaïs et Nil. Ce bras de l’Océan dont nous avons parlé s’ouvre sur 15 milles de longueur et 5 de largeur, du village de Mellaria, en Hispanie, au promontoire Blanc, en Afrique, selon Turranius Gracillis qui naquit non loin de là. Tite-Live et Cornélius Népos ont rapporté une largeur de moins de 7 milles, au point le plus large de 10 milles »).
18 Voir le « Modèle hydrodynamique incluant le forçage atmosphérique – affichage des courants de surface », [disponible en ligne].
19 Strabon, III, 1, 8. La valeur de 750 stades est empruntée à Artémidore.
20 Ibid., I, 3, 11.
21 Ibid., III, 1, 8, qui se fonde sur des sources augustéennes et donne la désignation nouvelle de la ville. Voir Pline, V, 2 : « nunc est Tingi quondam ab Antaeo conditum, postea a Claudio Caesare, cum coloniam faceret, appellatum Traducta lulia. abest a Baelone oppido Baeticae proximo traiectu XXX » (« Aujourd’hui, il y a Tingis, autrefois fondée par Antée, qui fut ensuite appelée par Claude César, lorsqu’il en faisait une colonie, Traducta Iulia. Elle est à 30 milles de la ville de Baelo en Bétique par le trajet le plus court »).
22 González Ponce, 2008a.
23 Marcien d’Héraclée, Périple.
24 Pline, III, 86 donne comme mesure 15 et 1,5 milles romains : « mox interfuso mari avulsa XV in longitudinem freto, in latitudinem autem MD ppp. iuxta Columnam Regiam ». La première de ces mesures équivaut à 120 stades et provient d’une source grecque. Elle résulte d’une appréciation subjective qui tend à raccourcir la longueur du détroit, ce qui est normal dans le cas d’une traversée rapide.
25 Sydenham, 1975, p. 211, nos 1348 et 1349 ; Crawford, 1974, 511/4d.
26 Strabon, VI, 2, 3 : « δείκνυται δὲ καὶ ἡ Χάρυβδις μικρὸν πρὸ τῆς πόλεως ἐν τῷ πόρῳ, βάθος ἐξαίσιον, εἰς ὃ αἱ παλίρροιαι τοῦ πορθμοῦ κατάγουσι φυσικῶς τὰ σκάφη τραχηλιζόμενα μετὰ συστροφῆς καὶ δίνης μεγάλης· καταποθέντων δὲ καὶ διαλυθέντων τὰ ναυάγια παρασύρεται πρὸς ᾐόνα τῆς Ταυρομενίας » (« Un peu au-dessus de la ville, à l’intérieur du passage se trouve Charybde, gouffre extraordinaire, dans les tourbillons duquel sont entraînées et viennent se perdre inévitablement les embarcations qui se sont laissé surprendre par les courants contraires du détroit. Les débris de tous ces naufrages sont ensuite portés vers la plage de Tauroménium »).
27 Homère, Odyssée, XII, 75-110.
28 Ibid., XII, 234-243 (trad. d’Eugène Bareste pour les deux passages de l’Odyssée).
29 Strabon, I, 3, 11.
30 Actes des Apôtres, 28, 13.
31 Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XIX, 205 : « ἔργον δὲ μέγα ἢ βασίλειον οὐδὲν αὐτῷ πεπραγμένον εἴποι ἄν τις ἢ ἐπ᾽ ὠφελείᾳ τῶν συνόντων καὶ αὖθις ἀνθρώπων ἐσομένων, πλήν γε τοῦ περὶ Ῥήγιον καὶ Σικελίαν ἐπινοηθέντος ἐν ὑποδοχῇ τῶν ἀπ᾽ Αἰγύπτου σιτηγῶν πλοίων· [206] τοῦτο δὲ ὁμολογουμένως μέγιστόν τε καὶ ὠφελιμώτατον τοῖς πλέουσιν· οὐ μὴν ἐπὶ τέλος γε ἀφίκετο, ἀλλ᾽ ἡμίεργον ὑπὸ τοῦ ἀμβλυτέρως αὐτῷ ἐπιπονεῖν κατελείφθη » (« On ne pourrait citer aucune œuvre grande ou digne d’un roi qu’il ait réalisée pour le bien de ses contemporains ou de la postérité, sauf les travaux faits près de Rhégium et de la Sicile pour recevoir les navires de blé qui venait d’Égypte, œuvre considérable, de l’avis de tous, et très favorable à la navigation. Mais il ne la mena pas à bon terme et la laissa à moitié inachevée pour s’y être pris trop mollement »).
32 Pomponius Mela, Chorographie, I, 6 : « hoc primum angustum nec amplius decem milibus passuum patens terras aperit atque intrat. Tum longe lateque diffusum abigit uaste cedentia litora, iisdemque ex diverso prope coeuntibus adeo in artum agitur, ut minus mille passibus pateat » (« Elle est d’abord étroite et n’a pas plus de dix milles de large là où elle s’ouvre un passage à travers les terres. Se répandant en suite en longueur et en largeur, elle provoque un vaste retrait des rivages, lesquels à leur tour, par leurs bords opposés qui se touchent presque, la resserrent au point de lui laisser moins d’un mille de large » (trad. d’Alain Silberman légèrement modifiée).
33 Pline, IV, 75 : « Quartus e magnis Europae sinus ab Hellesponto incipiens Maeotis ostio finitur. Sed totius Ponti forma breviter conplectenda est, ut facilius partes noscantur. Vastum mare praeiacens Asiae et ab Europa porrecto Cherronesi litore expulsum angusto meatu inrumpit in terras ? VII stadiorum, ut dictum est, intervallo Europam auferens Asiae. Primas angustias Hellespoutum vocant. Hac Xerxes Persarum rex constrato in navibus ponte duxit exercitum. Porrigitur deinde tenuis Euripus LXXXVI spatio ad Priapura urbem Asiae, qua Magnus Alexander transcendit. inde exspatiatur aequor rursusque in artum coit » (« Le quatrième des grands golfes de l’Europe commence à l’Hellespont, et finit à l’entrée du Méotide. Mais il faut résumer brièvement la forme du Pont-Euxin tout entier, afin d’en faire connaître plus facilement les parties. C’est une vaste mer qui s’étend devant l’Asie et, repoussée de l’Europe par le prolongement des côtes de la Chersonèse, elle entre dans les terres par un étroit passage ne séparant l’Europe de l’Asie que de sept stades, comme on a dit. Ce passage étroit s’appelle d’abord Hellespont ; c’est par là que Xerxès, roi de Perse, ayant jeté un pont de bateaux, fit passer son armée. De ce point s’allonge un mince bras de mer dans un espace de 86 000 pas jusqu’à la ville de Priape, en Asie, où aborda Alexandre le Grand ; à partir de cet endroit, la mer s’élargit et se resserre de nouveau ») ; voir aussi Hérodote, VII, 34 ; Xénophon, Helléniques, IV, 8, 5, estimait pour sa part cette largeur à « pas plus de 8 stades ».
34 Strabon, XIII, 1, 22.
35 Ibid. : « ἔστι δὲ ἡ Σηστὸς ἐνδοτέρω κατὰ τὴν Προποντίδα ὑπερδέξιος τοῦ ῥοῦ τοῦ ἐξ αὐτῆς· διὸ καὶ εὐπετέστερον ἐκ τῆς Σηστοῦ διαίρουσι παραλεξάμενοι μικρὸν ἐπὶ τὸν τῆς Ἡροῦς πύργον, κἀκεῖθεν ἀφιέντες τὰ πλοῖα συμπράττοντος τοῦ ῥοῦ πρὸς τὴν περαίωσιν· τοῖς δ᾽ ἐξ Ἀβύδου περαιουμένοις παραλεκτέον ἐστὶν εἰς τἀναντία ὀκτώ που σταδίους ἐπὶ πύργον τινὰ κατ᾽ ἀντικρὺ τῆς Σηστοῦ, ἔπειτα διαίρειν πλάγιον καὶ μὴ τελέως ἐναντίον ἔχουσι τὸν ῥοῦν ».
36 Hérodote, IV 85.
37 Strabon, VII, 6, 1.
38 Rouch, 1938.
39 Arrien, Périple du Pont-Euxin, 25, 4 dont la fondation, attribuée à Jason (Polybe, IV, 43) se perd dans la nuit des temps.
40 Polybe, IV, 43.
41 Pline, IV, 46.
42 Nonnos de Panopolis, Les Dionysiaques, III, 36-39.
43 Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 19, 205 : « ἔργον δὲ μέγα ἢ βασίλειον οὐδὲν αὐτῷ πεπραγμένον εἴποι ἄν τις ἢ ἐπ᾽ ὠφελείᾳ τῶν συνόντων καὶ αὖθις ἀνθρώπων ἐσομένων, πλήν γε τοῦ περὶ Ῥήγιον καὶ Σικελίαν ἐπινοηθέντος ἐν ὑποδοχῇ τῶν ἀπ᾽ Αἰγύπτου σιτηγῶν πλοίων· [206] τοῦτο δὲ ὁμολογουμένως μέγιστόν τε καὶ ὠφελιμώτατον τοῖς πλέουσιν· οὐ μὴν ἐπὶ τέλος γε ἀφίκετο, ἀλλ᾽ ἡμίεργον ὑπὸ τοῦ ἀμβλυτέρως αὐτῷ ἐπιπονεῖν κατελείφθη » (« On est bien en peine de nommer un seul grand ouvrage ou réalisation royale qu’il aurait léguée à ses contemporains et à leurs descendants, à l’exception peut-être de ce qu’il a fait du côté de Rhegium et de la Sicile pour offrir un abri aux navires céréaliers qui font route depuis l’Égypte. On s’accordera sur la grandeur particulière et l’utilité signalée de l’entreprise pour les marins, à ceci près qu’il ne la mena pas à son terme, et la laissa à demi-achevée, par paresse et manque d’effort »). Voir Arnaud, 2015.
44 Les îles Kerkennah sont situées à une vingtaine de kilomètres au large de l’actuelle Sfax en Tunisie.
45 Strabon, I, 3, 11.
46 Quintilien, Institution oratoire, XII, 11, 5 : « ut vetus gubernator litora et portus et quae tempestatum signa, quid secundis flatibus, quid adversis ratio poscat, docebit, non humanitatis solum communi ductus officio, sed amore quodam operis ».
47 Adak, Atvur, 1997.
48 D’où son nom classique d’Heptastadion (voir par exemple Strabon, XIII, 1, 22). Voir Pline, IV, 49 : « Et Hellespontus VII ut diximus stadiis Europam ab Asia dividens, IIII inter se contrarias urbes habet, in Europa Callipolim et Seston, in Asia Lampsacon et Abydon ». Strabon (XIII, 1, 22) compte 30 stades « de port à port » : « ἡ μὲν οὖν Ἄβυδος καὶ ἡ Σηστὸς διέχουσιν ἀλλήλων τριάκοντά που σταδίους ἐκ λιμένος εἰς λιμένα » (ce passage est repris par Stéphane de Byzance et a été à tort intégré par les éditeurs modernes comme le fragment 55b du livre VII de la Géographie de Strabon).
49 Le site de Sestos se trouve à 4 km du bourg d’Eceabat, près du village de Yalova, au lieu-dit Akbaş Limanı.
50 Ibid. : « ἔστι δὲ ἡ Σηστὸς ἐνδοτέρω κατὰ τὴν Προποντίδα ὑπερδέξιος τοῦ ῥοῦ τοῦ ἐξ αὐτῆς· διὸ καὶ εὐπετέστερον ἐκ τῆς Σηστοῦ διαίρουσι παραλεξάμενοι μικρὸν ἐπὶ τὸν τῆς Ἡροῦς πύργον, κἀκεῖθεν ἀφιέντες τὰ πλοῖα συμπράττοντος τοῦ ῥοῦ πρὸς τὴν περαίωσιν· τοῖς δ᾽ ἐξ Ἀβύδου περαιουμένοις παραλεκτέον ἐστὶν εἰς τἀναντία ὀκτώ που σταδίους ἐπὶ πύργον τινὰ κατ᾽ ἀντικρὺ τῆς Σηστοῦ, ἔπειτα διαίρειν πλάγιον καὶ μὴ τελέως ἐναντίον ἔχουσι τὸν ῥοῦν ».
51 Crawford, 1974, 511/4a-d.
52 Reddé, 1979.
53 Ordóñez, 1993 ; Cobos, Muñoz, Perdigones, 1997.
54 Strabon, III, 1, 9, aujourd’hui, término de Chipiona ; voir Ponsich, 1991, p. 220 no 90 ; Ramos Millán, 1981.
55 P. Bingen 77 (Alexandrie ? IIe siècle apr. J.-C.). Voir Heilporn, 2000.
56 Strabon, XIII, 1, 22 : « Σηστὸς δὲ ἀρίστη τῶν
ἐν Χερρονήσῳ πόλεων· : διὰ δὲ τὴν γειτοσύνην ὑπὸ τῷ αὐτῷ
ἡγεμόνι καὶ αὕτη ἐτέτακτο, οὔπω ταῖς ἠπείροις διοριζόντων τῶν τότε
τὰς ἡγεμονίας ».
57 Aristote, Rhétorique, III, 10, 7.
58 Xénophon, Helléniques, IV, 8, 35.
59 Tite-Live, Histoire romaine, XXXIII, 38 ; XXXV, 42 ; XLIII, 6 ; Polybe, XXI, 10.
60 Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, VIII, 35.
61 Strabon, III, 1, 7.
62 Aelius Aristide, εϊς βασιλέα / Eis Basilea, éd. de Jebb, p. 67 : « πάντες δὲ οἱ πανταχοῦ λιμένες ἐνεργοὶ, οὐ τὰ μὲν ὄρη τὴν αὐτὴν ἔχει τοῖς ὁδεύουσιν ἥνπερ αἱ πόλεις τοῖς οἰκοῦσιν αὐτὰς ἀσφάλειαν, χάρις δὲ πάντα ἐπέχει πεδία, πᾶς δὲ διὰ πάντων λέλυται φόβος ; ποῖοι μὲν γὰρ πόροι ποταμῶν κεκώλυνται διελθεῖν ; τίνες δὲ θαλάττης ἀποκέκλεινται πορθμοί ».
Auteur
Université Lyon 2
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