La correspondance de guerre de Brian fitz comte (1142)
p. 217-242
Texte intégral
1Tout au long du Moyen Âge, échanger des lettres à la guerre est banal. La stratégie militaire la plus élémentaire en use pour que les corps d’une même armée coordonnent leurs mouvements. La diplomatie l’exige pour se donner des alliés. À l’inverse, utiliser de fausses lettres fait partie d’un stratagème pour vaincre l’ennemi. En 1096, par exemple, l’Anglo-Normand Gérald de Windsor, dont le château de Pembroke (Dyfed) est assiégé par les Gallois, fait tomber entre leurs mains une missive portant son sceau, qui communique à son seigneur Arnoul de Montgomery de ne pas lui envoyer des renforts ni de l’approvisionner, car il peut tenir largement pendant quatre mois : découragés à sa lecture, les assaillants lèvent le siège, alors qu’en réalité la faible garnison du château avait épuisé sa nourriture1. La correspondance entre deux ennemis peut être moins biaisée ou mensongère. Directe et rugueuse, elle entretient leur haine en vue des combats ou, au contraire, cantonne leur violence au simple échange verbal par courriers interposés. Cet exutoire à la colère évite parfois l’affrontement armé. Il prépare des négociations qui aboutiront à l’issue pacifique du conflit.
2Les deux lettres éditées et traduites ici ont été échangées entre deux adversaires. Autour de 1142, en pleine guerre de succession à la couronne anglaise, Henri de Blois (1098-1171), évêque de Winchester et légat pontifical, frère du roi Étienne, reproche à Brian fitz comte († 1150/1151), un fidèle de l’impératrice Mathilde, d’attaquer ses terres et les marchands qui se rendent à sa foire. Il le menace de le placer parmi les infideles Anglie, autrement dit de l’excommunier. Seule une dizaine de lignes de cette lettre, dont la fin semble tronquée, sont conservées à ce jour.
3Dans sa longue réponse, Brian fitz comte justifie son action par sa loyauté indéfectible envers la fille d’Henri Ier (1100-1135), le roi défunt auquel il doit tout. Il fonde, entre autres, la légitimité de son action sur le fait que c’est précisément son correspondant Henri de Blois lui-même qui lui a naguère demandé de suivre l’impératrice. La lettre entame aussitôt une longue digression historique, rappelant la première croisade et « nos illustres ancêtres », « nobles et hommes diligents », qui ont obéi au pape pour tout quitter et libérer Jérusalem. Lui aussi ne fait que suivre un commandement de l’Église en soutenant Mathilde. Il a été injustement dépossédé de ses terres. C’est pourquoi il prend le bien d’autrui pour nourrir ses hommes et poursuivre son combat. Pour preuve de l’ordre qu’il a reçu de son correspondant de soutenir l’impératrice, Brian dresse la liste de cinquante-deux prélats et aristocrates qui pourraient en témoigner. Si l’évêque le lui avait demandé, il aurait pris sous sa protection les biens de ceux qui se rendent à sa foire de Winchester. Il essaie, en effet, de toujours lui obéir. Il lui demande de s’apitoyer sur les souffrances des pauvres à cause de la guerre. Brian déclare enfin sa dette de gratitude envers Henri Ier, auquel il doit le métier des armes et son patrimoine. Il se dit prêt au duel ou au procès pour prouver son droit.
4Copiées, à l’époque moderne, par l’érudit Roger Dodsworth (1585-1654)2, les deux lettres sont d’une richesse évidente. La seconde, la plus longue, donne notamment la parole à un seigneur laïc qui justifie son engagement dans la guerre civile. Elle fourmille de renseignements sur un conflit, certes bien couvert par l’historiographie latine de la période. À ce titre, elle est souvent citée par les spécialistes. Elle a fait l’objet d’une édition dans les normes par Henry W. C. Davis en 1910, et surtout, en 1999, d’un commentaire remarquable, accompagné d’une traduction anglaise, de la part d’Edmund King, l’un des meilleurs spécialistes actuels du règne d’Étienne de Blois. D’une érudition à toute épreuve, son article retrace le contexte politique de la lettre et la prosopographie des cinquante-deux acteurs du conflit dont Brian fitz comte dresse la liste. Incapable de surclasser une telle étude, l’auteur de ces lignes se propose simplement de mettre à la portée des lecteurs francophones ce document dont l’intérêt pour le genre épistolaire en temps de guerre saute aux yeux. Il approfondira un peu plus que ses prédécesseurs l’histoire culturelle du xiie siècle, où la renaissance des lettres latines se concrétise dans la qualité rhétorique de la correspondance.
Un contexte belliqueux
5En décembre 1135, l’impératrice Mathilde, épouse de Geoffroi le Bel (1129-1151), comte d’Anjou, aurait dû succéder à son père Henri Ier qui l’avait choisie pour héritière et que ses barons avaient acceptée sous serment. Son cousin germain Étienne de Blois réussit cependant à traverser la Manche, à obtenir l’appui de l’aristocratie et de l’épiscopat et à se faire couronner à Westminster. En 1138, Robert de Gloucester, fils illégitime d’Henri Ier et d’une dame du nord de l’Oxfordshire3, se révolte contre lui et pousse sa demi-sœur Mathilde à se rendre en Angleterre pour réclamer son héritage. Brian fitz comte et Miles de Gloucester († 1143) passent alors dans son camp. Ce sont des « hommes nouveaux » qui doivent tout à la générosité d’Henri Ier, dont ils ont fréquenté assidûment la cour, alors qu’Étienne de Blois préfère se passer de leurs services4. Leurs possessions s’étendent dans le sud-ouest de l’Angleterre et au sud du pays de Galles, qui deviennent l’épicentre de la résistance au roi5. Jusqu’alors la guerre de succession ne touchait que la Normandie, ravagée par les troupes angevines de Geoffroi le Bel. Elle s’étend désormais sur l’île, où Étienne de Blois est battu et capturé à la bataille de Lincoln, le 2 février 1141.
6Mathilde ne réussit pas à tirer profit de sa victoire. Dans un premier temps, l’évêque Henri de Blois lui cède certes Winchester et le trésor royal ; il convoque un concile dans sa ville pour attirer le haut clergé à sa cause et il lui obtient le serment des grands du royaume, dont les noms sont égrenés par la lettre de Brian. Mathilde se rend ensuite à Westminster, où d’autres hauts personnages cités dans cette liste lui jurent encore fidélité. Mais les habitants de Londres se révoltent contre ses prétentions fiscales. Elle doit s’enfuir vers Oxford pour ne jamais être couronnée. Thibaud de Tierceville (1139-1161), archevêque de Cantorbéry, qui aurait dû procéder à la cérémonie, a tergiversé, comme le prouve la remarque assassine sur son compte de Brian : « Thibaud, qu’on appelle archevêque de Cantorbéry6 ». En septembre 1141, Mathilde attaque Winchester, dont l’évêque Henri vient de changer encore de camp, cette fois-ci au profit de son frère. Les partisans du roi accourent toutefois et provoquent sa déroute. En protégeant sa fuite, son demi-frère Robert de Gloucester est, à son tour, pris à Stockbridge ; il est échangé aussitôt par Étienne de Blois. Les combats se poursuivent en 1142, où l’impératrice doit fuir Oxford, qui se rend au roi, et où Robert, récemment libéré, part sur le continent pour obtenir des troupes de Geoffroi le Bel, occupé à conquérir la Normandie. C’est au cours de ces mois que Brian fitz comte a dû dicter sa lettre à Henri de Blois. Son ton traduit, en effet, l’état d’esprit des partisans de Mathilde qui sombrent dans le découragement de la défaite après l’euphorie du succès7. Elle ne peut, en tout cas, avoir été écrite qu’après l’été 1141, où Henri revient vers son frère, voire le 1er septembre, fête de la Saint-Gilles où se tient la foire de Winchester, et qu’avant la fin de sa légation pontificale, à la mort du pape Innocent II, le 24 septembre 11438.
Les revirements du légat Henri de Blois
7Henri de Blois est un personnage clé de la guerre de succession. Son pouvoir en tant que frère du roi se double du rôle accru de l’épiscopat dans la vie politique, alors que les troubles sapent les fondements de l’institution monarchique et de son administration. Au cœur du conflit, c’est en arbitre des deux partis qu’il s’est souvent érigé. Il n’est, dès lors, pas étonnant de lire l’inscription d’une petite plaque émaillée, aujourd’hui conservée au British Museum, qui le figure en bienfaiteur d’une église : « Que l’ange prenne au ciel le donateur après ses dons, mais qu’il ne se presse pas, qu’il ne suscite pas le deuil en Angleterre, car c’est par lui que viennent la paix ou la guerre, l’agitation ou le repos9 ». L’évêque de Winchester, pense-t-on alors, fait la pluie et le beau temps sur l’île.
8Dernier des fils d’Étienne II († 1102), comte de Blois, et d’Adèle, fille de Guillaume le Conquérant, Henri est offert, dans son enfance, en tant qu’oblat à Cluny, monastère auquel il ne cesse, sa vie durant, de retourner, parfois pour de longues périodes. En 1126, l’influence de son oncle maternel Henri Ier lui vaut l’abbatiat de Glastonbury, puis en 1129 l’évêché de Winchester. En septembre 1131, à l’assemblée de Northampton, il jure, à la demande du roi, la succession de sa cousine germaine Mathilde au trône. Cinq ans plus tard, le 22 décembre 1136, à Westminster, il n’en célèbre pas moins, avec les autres évêques d’Angleterre, le couronnement de son frère Étienne. L’année suivante, le nouveau roi lui confie la garde d’Exeter. En 1138, la succession à l’archevêché de Cantorbéry lui échappe au profit de Thibaud de Tierceville, mais il devient l’année suivante légat pontifical pour l’Angleterre. Assumant pleinement sa nouvelle charge, il convoque, l’été 1139, un concile contre son propre frère, le nouveau roi, pour ses attaques répétées contre les évêques et les libertés ecclésiastiques. L’année suivante, Mathilde débarque en Angleterre, et il lui sert d’intermédiaire dans ses négociations avec Étienne10. Sa volonté de trouver une solution pacifique au conflit est alors patente.
9Après la bataille de Lincoln, Henri de Blois obtient de l’impératrice de respecter les droits de l’Église et la fait nommer « dame des Anglais » au détriment de son frère emprisonné11. L’échec de Mathilde à Londres et sa déroute de Winchester le poussent toutefois à abandonner son camp. Avec l’évêque Thibaud de Cantorbéry, il arbitre ensuite l’échange des deux prisonniers, son frère Étienne et Robert de Gloucester. Son sens de la diplomatie est également précieux pour parvenir, en 1153, au traité de Wallingford ou Winchester, aux termes duquel Étienne choisit pour son héritier le futur Henri II (1154-1189), fils de Geoffroi le Bel et de l’impératrice Mathilde, mettant fin à la guerre civile12. Il sert désormais le nouveau monarque, tout en prenant ses distances avec lui pendant l’affaire Becket : au concile de Northampton, il défend Thomas contre les autres évêques et, peut-être sous prétexte de son grand âge, il ne se rend pas au sacre d’Henri le Jeune13. Il meurt en 1171.
10Par moments, l’impopularité d’Henri de Blois atteint des sommets. Ses revirements entre les deux camps de la guerre civile le font passer davantage pour un opportuniste que pour un diplomate en quête d’une solution pacifique au conflit. Le chroniqueur Henri (ca 1088-ca 1157), archidiacre de Huntingdon, s’en prend, par exemple, à sa monstrueuse hybridité qui le rend « moitié moine, moitié chevalier14 ». Le thème de l’ambiguïté est également de mise dans une lettre de Bernard de Clairvaux qui en fait le « vieux séducteur de Winchester » : il lui reproche alors ses démarches pour conserver la légation pontificale et pour ériger sa cathédrale en siège métropolitain15. En « diabolisant » Henri16, le Cistercien n’est sans doute pas mécontent de régler, une fois de plus, ses comptes avec un Clunisien. Dans une envolée tonitruante, il en fait notamment un simoniaque, comparable aux avares et hypocrites Ananie et Saphire (Act. 5, 1-11), aux antipodes de la pauvreté prônée par la règle monastique.
11Il est vrai qu’Henri de Blois s’est bien battu, en tant qu’abbé, pour préserver le temporel du monastère de Glastonbury17. Aussi avisée est sa gestion du patrimoine de son évêché. En témoigne l’établissement même, à Winchester, de la foire dont il est question dans sa lettre. En la promouvant, il suit l’exemple de son frère aîné Thibaud IV de Blois (1125-1151), II comte de Champagne, dont les franchises mettent les marchés semestriels ou annuels de Lagny, Provins, Troyes et Bar au cœur des échanges de l’Occident18. La guerre civile met à mal le projet d’Henri : elle réveille l’atavisme péager, voire l’instinct déprédateur, de l’aristocratie seigneuriale.
Brian fitz comte, fidèle d’Henri Ier et de l’impératrice Mathilde
12Dans sa lettre justifiant ses exactions sur les marchands se rendant à Winchester, Brian fitz comte livre bien des éléments de sa biographie, que les historiens connaissent par ailleurs grâce aux chartes et aux chroniques anglaises de la période19. Il est le fils illégitime d’Alain IV Fergant (1084-1113), duc de Bretagne. Ce prince territorial est comte de Cornouaille et de Nantes du chef son père et de Rennes de sa mère ; il s’intitule parfois comes Britanniæ20. Or, faire suivre le nom de baptême d’un enfant naturel ou adultérin de fitz (« fils de »), puis du titre royal, ducal ou comtal de son père, est courant dans l’onomastique anglo-normande de l’époque. Si la mère de Brian est inconnue, elle pourrait bien être d’origine anglaise ou normande. En effet, aucune charte dressée en Bretagne n’a laissé de trace de lui21, et toute son existence se déroule sur l’île ou en Normandie. À moins que l’installation en Angleterre de Brian s’explique par la gratitude du roi Henri Ier envers son père Alain IV qui lui apporte un soutien décisif dans sa victoire de Tinchebray (1106)22. Au retour de la croisade, son frère aîné Robert Courteheuse († 1134) lui réclame la couronne anglaise, mais il est fait prisonnier au cours de cette bataille. Enfin, dans sa jeunesse, Alain IV a épousé en premières noces Constance († 1090), fille de Guillaume le Conquérant, devenant ainsi le beau-frère d’Henri Ier qui est par conséquent l’oncle maternel — certes par alliance, et même de façon illégitime — du propre Brian. Le souvenir de cette relation de parenté, de surcroît avunculaire, a pu prévaloir dans la protection accordée ultérieurement au jeune bâtard.
13Quoi qu’il en soit des motivations d’Henri Ier en prenant en charge Brian fitz comte, sa cour était célèbre pour attirer généreusement les cadets des maisons princières, sans raison apparente, si ce n’est la seule largesse du roi, la réputation qu’il en tirait et les jeunes chevaliers qui venaient grossir sa troupe. Parmi eux, on trouve, par exemple, le fils du duc Guillaume IX d’Aquitaine (1086-1127), Raimond de Poitiers, qui obtiendra, en partie grâce au soutien d’Henri Ier, la principauté normande d’Antioche23. Au sujet de cette hospitalité légendaire, Gautier Map (ca 1140-1208/1210), courtisan de son petit-fils Henri II, écrit :
Le roi Henri Ier s’attachait à sa maisonnée tout jeune de ce côté des Alpes dont il entendait dire qu’il souhaitait obtenir la renommée d’un bon début dans la vie. À celui qui recevait une rente inférieure à cent sous annuels, son messager lui donnait cette même somme. Si le roi lui demandait de venir auprès de lui, il recevait, dès qu’il abandonnait son foyer, un sou par jour24.
14L’histoire de Brian, bâtard ducal risquant le déclassement, ressemble étroitement au cas de figure décrit par Gautier Map. Il est, pour citer David Crouch, « one of Henry’s greater creations25 ». Dès 1114, il est attesté à la cour d’Henri Ier26. Peu après, le roi le marie à Mathilde Crispin, héritière du château de Wallingford (Oxfordshire) et de sa vaste seigneurie. Il lui accorde, avant 1119, Abergavenny, une ville du sud du pays de Galles, qu’il a saisie en commise de la famille Ballon27. À l’époque, les maisons des conquérants normands de la région tombent en déshérence28, et Henri Ier les remplace de façon systématique par des jeunes qui lui doivent tout : outre Brian, Robert de Gloucester reçoit le Glamorgan et Miles de Gloucester, le Brecon. Ce trio solidaire acquiert alors une indéniable puissance au sein de l’aristocratie des marches galloises, qui apportera, avec les troupes des princes autochtones, de l’aide à la fille d’Henri Ier au cours de la guerre civile.
15Depuis 1110, âgée de huit ans, Mathilde est partie rejoindre son fiancé l’empereur romain germanique Henri V (1081-1125), qui la fait couronner à Mayence peu après son arrivée. En 1126, devenue veuve, elle rentre en Angleterre, où son père la fait reconnaître pour son successeur par les barons anglo-normands qui lui jurent fidélité en 1127, 1128 et 113129. En 1127, le roi l’envoie en Normandie pour la marier à Geoffroi le Bel. Or, la Chronique anglo-saxonne, tenue au monastère de Peterborough (Cambridgeshire), donne le nom des deux meneurs de son cortège nuptial : « … avec elle voyageaient son frère Robert, comte de Gloucester, et Brian, fils du comte Alain Fergant30 ». De son côté, Guillaume (ca 1095-ca 1143), moine de Malmesbury, affirme que Brian est seul, avec Robert de Gloucester et l’évêque Jean de Lisieux, dans le secret de ce mariage, dont les tractations sont cachées à l’aristocratie anglo-normande31. Il joue alors un rôle de premier plan à la cour d’Henri Ier, où il apparaît dans une quarantaine de ses chartes : il s’occupe de l’audit financé de l’Échiquier et il assume les charges administratives de connétable de Rouen et de vicomte d’Arques. En 1135, il œuvre, auprès du roi, à renforcer les châteaux du sud de la Normandie, que Geoffroi le Bel réclame en dot de sa femme. Le conflit atavique entre l’Anjou et la Normandie, qu’on croyait dépassé par le mariage de Mathilde, semble resurgir. Il favorise les intérêts d’Étienne de Blois32.
16Le 1er décembre 1135, la mort imprévue d’Henri Ier permet à son neveu de prendre de court sa fille. Étienne de Blois traverse aussitôt la Manche et se fait couronner. Encouragé par son frère l’évêque Henri, il compte sur le soutien des Londoniens et d’une partie de la noblesse anglo-normande et du haut clergé33. Le pape Innocent II le confirme peu après dans sa charge. Enceinte de son troisième fils et trop occupée à s’imposer en Normandie, Mathilde n’a pu réagir à temps34. La rumeur court que le roi a changé à son détriment son testament sur son lit de mort35. Tout comme Robert de Gloucester lui-même, Brian fitz comte suit, dans un premier temps, le mouvement36. Dès le printemps 1136, il est attesté à la cour du roi Étienne, où il demeure pendant deux ans. C’est une tache d’ombre indéniable à sa « dévotion » et à son « désintéressement » envers Mathilde, que quelques médiévistes ont eu tendance à exagérer37. Dans le pire des cas, Brian trahit alors son serment passé à l’impératrice ; dans le meilleur, il fait preuve d’attentisme, voire il fomente chez l’ennemi le retour de sa dame.
17Peut-être la résurgence de l’irrédentisme gallois, qui menace ses seigneuries, pousse-t-elle Brian fitz comte à parier sur l’apparente stabilité qu’apporte l’intronisation d’Étienne de Blois38 ? Profitant de la mort d’Henri Ier, les princes de Galles du Sud descendent des collines, où ils se sont réfugiés depuis la conquête de Guillaume le Bâtard, pour combattre, dans les vallées, les envahisseurs normands. Les frères Morgan et Iorwerth ab Owain prennent ainsi les châteaux d’Usk et Caerleon et occupent une partie du Gwent. Brian fitz comte a dû craindre pour son patrimoine dans la région. En 1188, au cours d’une campagne de prédication de la troisième croisade au pays de Galles, Giraud de Barri raconte qu’une cinquantaine d’années auparavant Brian escorte Richard de Clare († 1136), seigneur normand du Cardigan. Arrivé aux confins de ses domaines d’Abergavenny, il lui déconseille vivement de poursuivre son voyage par la forêt qui s’ouvre devant lui. Richard n’en a cure. Sans armes et précédé par un jongleur et un musicien qui proclament son avènement, il s’engage dans les bois, où il ne tarde à périr dans une embuscade perpétrée par Iorwerth39. Au début du règne d’Étienne de Blois, la prudence de Brian coïncide avec la diplomatie de Robert de Gloucester qui réussit à négocier avec les princes gallois en révolte. Il les attire même avec lui sur le champ de bataille de Lincoln40.
18Tout change, à l’automne 1139, avec le débarquement de Mathilde au port d’Arundel (Sussex). Elle compte sur le soutien de Robert de Gloucester qui lui ramène son vaste réseau féodal et qui dirige, en son nom, les négociations, puis les opérations militaires. Après lui, Brian fitz comte se précipite à sa rencontre vers l’ouest, sur la route de Bristol, pour lui faire allégeance41. Il subit aussitôt l’attaque de Wallingford par Étienne de Blois. La forteresse est pourtant jugée « inexpugnable » par les Gestes d’Étienne42, rédigés par un partisan du roi, vers 1150, non loin de là, autour de Bristol. Construit sur de solides fondations, doté de murs à toute épreuve, entouré d’un double fossé, le château peut résister à un long siège. Il est généreusement approvisionné, comme le remarquent les Gestes, qui décrivent les pillages de Brian et de Miles de Gloucester qui l’a rejoint dans ses murs « avec tous les ennemis du roi qui accouraient à lui » :
Ils dépeuplèrent les provinces des alentours du comté de Gloucester ; ils volèrent d’immenses troupeaux de bétail jusqu’aux confins les plus éloignés de l’Angleterre ; ils passèrent au feu et à l’épée tous ceux qui étaient connus pour rester fidèles à la foi et à l’hommage qu’ils avaient prêtés au roi43.
19Sa situation accorde à Wallingford un intérêt stratégique de premier plan. À la fois sur la Tamise, où circulent tant d’hommes et de marchandises, mais relativement isolé, il représente un coin avancé dans le centre de l’Angleterre au service du parti de Mathilde, qui recrute surtout parmi les seigneurs des marches galloises. Dans un conflit où les châteaux et leurs sièges déterminent l’issue de la guerre, c’est avec acharnement que Brian, entouré de ses jeunes guerriers44, défend le château, des mois durant. Il ne sera jamais pris45.
20Occupé par la défense de Wallingford, Brian fitz comte n’a probablement pas participé à la bataille de Lincoln. Guillaume de Malmesbury le présente, en mars 1141, un mois après la victoire, en tant que fidéjusseur, avec ses inséparables Robert de Gloucester et Miles de Gloucester, des engagements de l’impératrice Mathilde envers l’évêque Henri de Blois qui la déclare Domina Anglorum46. Il ne la quitte plus, l’accompagnant à Londres, puis dans sa retraite à Oxford. Il s’enfuit aussi avec elle lors de la déroute de Winchester, où Mathilde doit monter son cheval à califourchon, « selon l’usage masculin », pour le mettre au galop47. Les Gestes d’Étienne insistent sur leur attachement mutuel, selon un procédé rhétorique qui met en avant la loyauté féodale et l’amour courtois, deux réalités qui commencent alors à se mêler inextricablement dans l’imaginaire aristocratique :
La comtesse d’Anjou, qui surpassait toujours la mollesse féminine, manifestant un infrangible esprit de fer dans l’adversité et contre tous, s’enfuit vers Devizes avec le seul Brian et une toute petite escorte. Pour cela, elle et Brian devinrent dignes d’un éloge incommensurable. Alors qu’ils s’aimaient auparavant d’une estime mutuelle et indivise, rien ne les séparait plus, ni l’adversité ni le plus grand péril48.
21Après Devizes, en 1142, l’impératrice Mathilde et ses hommes se rendent dans son château d’Oxford, d’où elle doit, une fois de plus, s’enfuir devant la troupe d’Étienne de Blois. Le goût du récit et du romanesque est de mise dans les chroniques, qui s’arrêtent sur le courage et l’exploit physique d’une telle femme. La Chronique anglo-saxonne raconte qu’elle descend d’une haute tour à l’aide d’une corde, puis qu’elle repart à pied vers Wallingford, quelque vingt-cinq kilomètres en aval de la Tamise49. Les Gestes d’Étienne ajoutent que, tandis que le château est aux abois, tenaillé par la faim et encerclé de toutes parts par les hommes du roi, elle parvient à s’échapper par une nuit glaciale et enneigée, avec seulement trois chevaliers, traversant le fleuve alors gelé, sans même avoir à mouiller les pieds50. L’anonyme disserte, au passage, sur la façon dont la Providence déjoue les projets des hommes, le cas échéant le plan d’Étienne, trop sûr de lui, pour capturer l’impératrice.
22La défense du château de Wallingford, où se réfugie provisoirement Mathilde, devient encore une priorité pour ses partisans. C’est dans son donjon, le cloere Brien, qu’est enfermé Guillaume Martel, lieutenant du roi Étienne, pris à la bataille de Wilton, le 1er juillet 114351. Les escarmouches, pillages, sièges, prises par ruse de châteaux et constructions d’autres forteresses se succèdent alors entre les hommes de Brian et ceux de l’évêque de Winchester. Ils provoquent une « dépopulation dramatique52 », dans cette région qui démarque les deux camps adverses. La lettre de Brian évoque également ces dévastations, qui réduisent considérablement ses moyens. La guerre à l’état endémique a dû sévir pour quelques années encore, même si le roi Étienne a été favorisé par la mort de Miles de Gloucester en 1143 et encore plus de Robert de Gloucester en 1147, ainsi que par le retour sur le continent de Mathilde en mars 1148. La fin du conflit n’intervient véritablement qu’avec le traité de novembre 1153, passé, de façon significative, à Wallingford, château de Brian, décédé quelques mois auparavant, puis à Winchester, ville d’Henri de Blois, avant d’être confirmé à Westminster, la cité de la cour royale et du sacre.
23Brian fitz comte meurt en 1150 ou 1151, date d’une charte par laquelle sa femme seule confirme, en son absence autrement inexplicable que par le décès, la possession de deux manoirs, sis à Ogbourne (Wiltshire), à l’abbaye du Bec53. Sa dévotion pour ce monastère n’implique pas nécessairement que Brian y soit devenu moine après le départ de l’impératrice pour le continent54, pas plus qu’à Reading, certes la fondation et le lieu de sépulture d’Henri Ier auquel il restait profondément attaché55. Aucun texte ne permet, en effet, de confirmer sa conversion monastique. Il est vrai, toutefois, que son père Alain IV Fergant avait renoncé, quatre ans avant sa mort, au duché de Bretagne pour devenir moine56, et qu’il a pu suivre son exemple.
24Au cours des années 1138-1153, la guerre de succession au trône d’Angleterre exacerbe bien des passions. Elle ne saurait être abordée comme un conflit, parfaitement cantonné, entre deux camps aux contours clairs. Elle donne plutôt lieu à de multiples guerres entre lignages, qui perpétuent des conflits anciens. L’ampleur de ces guerres « privées » corrobore peut-être l’expression désuète d’anarchie par laquelle l’historiographie positiviste désignait la période. L’échange épistolaire entre Brian fitz comte et l’évêque de Winchester mentionne ainsi le combat que se livrent leurs hommes. De son côté, Robert de Gloucester lutte, sa vie durant, contre Galéran de Meulan (1104-1166), membre de la puissante famille anglo-normande des Beaumont. Dès 1122, Galéran participe à la révolte contre Henri Ier, fomentée par Guillaume Cliton, fils de Robert Courteheuse. Son échec lui vaut d’être enfermé, sous la garde de Brian fitz comte, à Wallingford. À la mort d’Henri Ier, Galéran s’oppose, vindicatif, à ses dernières volontés. Il adhère sans ambages au parti d’Étienne de Blois qui en fait l’un de ses conseillers les plus écoutés au détriment sans doute de Robert de Gloucester. À partir de 1139, il s’engage dans de longs combats contre Robert à Worcester, puis dans le Gloucestershire et le Dorset. En haranguant ses troupes avant la bataille de Lincoln, Robert s’en prend particulièrement à lui, le désignant comme le chef du camp ennemi. Au cours de l’engagement qui suit, Galéran s’enfuit, provoquant la défaite du roi Étienne57.
25À Lincoln, Alain le Noir († 1146), comte de Richmond, est également visé par la harangue de Robert de Gloucester qui l’accuse de tous les maux. Quelques heures plus tard, sa part de responsabilité dans la défaite d’Étienne de Blois devient considérable. Il commande, en effet, l’aile droite de l’armée royale, et il est l’un des premiers à battre en retraite. Il est capturé quelques semaines plus tard58. Originaire du Penthièvre, en Bretagne, il hérite par son père du vaste comté de Richmond dans le nord-ouest du Yorkshire59. Il s’engage aussi dans une guerre lignagère, parallèle à la guerre de succession royale, contre Réginald de Dunstanville († 1175) — autre fils bâtard d’Henri Ier resté fidèle à sa demi-sœur — auquel il dispute, sans succès, le comté anglais de Cornouailles60. Non seulement par son mariage avec Berthe, petite-fille d’Alain IV Fergant et d’Henri Ier, mais aussi par l’une de ses innombrables filles illégitimes, Alain le Noir est le parent par alliance et de Brian fitz comte et de Robert de Gloucester. L’exemple est significatif des liens de parenté qui unissent les belligérants des deux camps. La guerre civile prend trop souvent la tournure d’une vaste déchirure familiale : le propre frère d’Alain le Noir, Geoffroi Boterel, lutte contre lui, contribuant à l’évasion de l’impératrice à Winchester ; son fils Guillaume Boterel commande, en 1151, après la mort de Brian, la garnison du château de Wallingford61. Ces luttes intrafamiliales reproduisent en miniature le combat que se livrent, au sommet, l’impératrice Mathilde et son cousin germain Étienne de Blois.
26Dans toute guerre de succession, la parenté est un élément déterminant. Elle comporte, par définition, des luttes intestines au sein de la même maison. Elle exacerbe les passions alors que chacun croit être dans son droit ou dans l’amour et les dernières volontés du roi défunt. Elle excuse, au contraire, changements de camps et « trahisons » de ceux qui pensent, en toute bonne conscience, œuvrer pour la gloire du lignage et la mémoire des ancêtres. Robert de Gloucester procède, en 1139, à un tel revirement au profit de sa demi-sœur et au détriment de son cousin. Les motivations de Brian fitz comte relèvent exclusivement de la fidélité envers le père de l’impératrice. De nature féodale, fondée sur le serment prêté et sur le fief reçu, une telle loyauté ressemble largement à de l’affection filiale, les relations vassaliques recréant alors une sorte de parenté artificielle. Du reste, la lettre de Brian revient continuellement sur les liens de famille et de fidélité qui justifient son action.
L’empathie au détriment de l’érudition
27La lettre de Brian fitz comte ne répond certainement pas aux règles classiques de la rhétorique. Des trois conseils de Cicéron, que les promoteurs de la Renaissance intellectuelle du xiie siècle tenaient pour le plus admirable des écrivains, elle ne retient que le movere (« émouvoir »), négligeant le docere (« enseigner ») et le delectare (« faire plaisir »). Pour parler comme Aristote, le maître du grand épistolier latin, entre le pathos et le logos, Brian choisit le premier, tablant sur l’empathie de tous ceux qui verront ou entendront sa lettre afin de gagner leur cœur plutôt que leur raison. En effet, sa protestation contre l’injustice qu’il subit dans sa chair, dans ses hommes et dans ses terres n’en est que plus efficace parce que dépourvue d’atticisme. En l’absence de citations savantes (docere) ou de fioritures verbales (delectare), l’économie de ses moyens frappe en comparaison des grandes collections épistolaires de l’époque, constituées notamment par les intellectuels de l’entourage de Thomas Becket ou des évêques qui lui étaient hostiles62, tous formés à l’ars dictaminis.
28L’idée que, dans l’écriture de Brian fitz comte, « l’amour » est supérieur à « l’art » apparaît dans la lettre que lui adresse, fin 1143 ou début 1144, Gilbert Foliot († 1187), alors abbé de Saint-Pierre de Gloucester et futur évêque de Londres. Demeurant dans la principauté de Robert de Gloucester, c’est un partisan déclaré de Mathilde à qui « le droit divin, naturel et civil », écrit-il dans cette missive, accorde le trône en dépit de la « faiblesse de son sexe », l’imbecillitas sexus chère aux légistes romains. Après une salutation des plus enjouées à « son seigneur et ami très cher Brian fitz comte », l’exorde loue son « livre » où la passion supplée à l’érudition :
La stupeur a saisi certains parce que, même si tu n’as pas appris les lettres, tu as publié néanmoins un livre. Sache en vérité que pour moi cela ne relève pas du miracle, car j’ai su que la véhémence de l’amour a dicté en toi et par toi ce que te niait l’activité de l’art. L’amour, en effet, n’accepte pas d’être consolé dans l’impossibilité, mais il trouve toujours un remède à la difficulté. S’il existe, il accomplit toujours de grandes œuvres ; s’il n’existe pas, on renonce à agir. C’est pourquoi, même si tu n’as pas appris les lettres, tu t’es néanmoins jeté dans le champ des lettres de façon nullement médiocre. […] Loin de dégénérer, ton amour pour la famille royale se propage vers sa fille unique, héritière de son règne, dont tu soutiens et défends la cause, non seulement par les armes, comme nous l’avons entendu et même vu, mais par la beauté et la vérité de ton éloquence. Que tout ce que renferme ton bref exposé attache à son parti ceux qui jusqu’à présent ignoraient la vérité, que cela renforce, s’ils sont ses amis, ceux qui la connaissaient depuis longtemps et que cela frappe et refoule ses ennemis63.
29Il y a de fortes chances que le « livre publié » (librum edidisti) ou « dicté » (in te et per te dictasse) par Brian fitz comte, qualifié aussi de « bref exposé » (breve argumentum), soit précisément sa lettre à Henri de Blois. Les idées qu’en reprend la missive de Gilbert Foliot coïncident avec elle, tout comme son jugement sur sa forme, certes « nullement médiocre », mais l’œuvre d’un chevalier qui n’a pas appris les lettres (litteras non didisceris). De leur côté aussi, les commentateurs modernes de la lettre de Brian ont remarqué que la qualité de sa langue laisse à désirer. « Elle n’est pas irréprochable sur le plan de sa latinité », écrit, en 1910, Henry W. C. Davis, qui reconnaît cependant à son auteur « une certaine science et une intelligence aiguë »64. Ce jugement coïncide avec celui de David Crouch en 2000 : « Un intellect peu épuré, mais énergique, capable de s’exprimer par lui-même de façon claire, sinon élégante ». Au passage, cet excellent médiéviste avance qu’il ne savait pas lire65. Peut-être interprète-t-il de façon trop rigoureuse la phrase litteras non didisceris, qui peut aussi bien vouloir dire que la culture classique de Brian ou sa maîtrise du latin sont imparfaites ? C’est pourquoi il l’exclut de la liste des chevaliers qui, comme Robert de Gloucester ou les jumeaux Robert de Leicester et Galéran de Meulan, brillaient pour leur érudition à la cour d’Henri Ier, surnommé « Beauclerc » ou détenteur de culture latine. David Crouch a sans doute raison au vu du généreux patronage littéraire de Robert ou de la participation des deux frères Beaumont dans des débats en latin avec des ecclésiastiques, bien attestés par les sources66. S’il ne tient pas la comparaison avec eux, Brian ne saurait pourtant être ravalé au rang des Béotiens.
30L’affirmation condescendante de Gilbert Foliot sur les pauvres lettres de son ami est trompeuse. Elle émane, d’une part, d’un moine s’efforçant, plutôt mal que bien, de manifester, pour la forme, une bienveillante indulgence envers un guerrier dont il sait que la culture ne saurait être comparable à la sienne. Elle vise, d’autre part, à faire ressortir la « véhémence de son amour » pour leur cause commune, la passion palliant, dans son cas, un « art » défaillant. D’ailleurs, l’irrespect des règles rhétoriques par la lettre de Brian fitz comte ne fait pas de lui un analphabète, voire même pas un illitteratus ne lisant, ni n’entendant le latin. Il se peut, en effet, qu’au moment de la dicter son « intelligence aiguë » ou son « intellect énergique » ait, de façon délibérée, choisi un registre bien plus modeste que celui d’une haute et « irréprochable latinité » pour rendre plus efficace le message qu’elle devait véhiculer. En l’occurrence, la simplicité de la langue semble recherchée. Est-elle le fait de Brian ou du clerc qui l’a couchée par écrit ? Le plus probable est que Brian l’ait dictée en français et que son secrétaire l’ait traduite dans un latin dont la pauvreté rhétorique se fait à bon escient l’écho de l’expression dépouillée et directe de son auteur.
31Il était peu probable que la missive convainque son destinataire, contre lequel Brian fitz comte menait la guerre, pillant ses terres et, le cas échéant, les marchandises de sa foire. Le légat pontifical pour l’Angleterre était, encore plus que lui, trop sûr de son droit. Il entendait camper sur sa position. Le mépris du cadre épistolaire traditionnel, que la lettre de Brian affiche ouvertement, relève de la provocation ; il respire du dédain envers Henri de Blois. Dès sa première ligne, la salutation échappe aux normes épistolaires les plus élémentaires qui exigent qu’on flatte le destinataire par des épithètes laudatives et par la qualité des titres déclinés. Or, elle ne mentionne Henri qu’en tant que « neveu du roi Henri », dont il est rappelé plus bas qu’il est le père de Mathilde et qu’il a été le protecteur de Brian ; qu’elle passe sous silence, contre toute attente, le titre épiscopal de Winchester ou la légation pontificale relève de l’insulte. L’agressivité de cette salutation au rabais donne, dès le début, le ton de la lettre. Si son but était, un tant soit peu, de persuader son destinataire, la pétition finale est aussi catastrophique : « Ayez pitié des pauvres et de leur malheur. L’Église est à peine un refuge pour eux et elle mourra vite en eux si la paix tarde à venir67 ». Simple laïc, Brian s’arroge de rappeler ses devoirs envers les indigents de son diocèse à un évêque, de surcroît légat pontifical qui le menace d’excommunication. Sachant qu’il ne peut infléchir la politique de son ennemi, il lui adresse une lettre dont il est peut-être le destinataire déclaré sur parchemin, mais pas le public réel.
32Toujours pour marquer des distances envers son destinataire, la lettre de Brian fitz comte adopte un registre profane, et nullement clérical, dans son rejet explicite de l’argument biblique. Or, comme l’a récemment prouvé le beau livre de Julie Barrau, l’Écriture est utilisée à bon escient, en Angleterre, au xiie siècle, dans les échanges épistolaires des évêques et des prêtres qui s’en servent pour faire avancer leurs projets théologiques, ecclésiologiques et canoniques, mais aussi politiques. Dans la missive de l’abbé Gilbert Foliot à Brian fitz comte, le cas des filles de Salphaat, puisé dans le chapitre xxvii des Nombres, est longuement développé pour démontrer qu’en tant que femme Mathilde peut bel et bien succéder à son père le roi Henri Ier68. Tout au contraire, la lettre de son destinataire à Henri de Blois rejette explicitement les deux arguments que ce dernier a pris dans la Genèse. Il le renvoie à sa réponse précédente, aujourd’hui perdue, sur le péché de désobéissance d’Adam, et il s’arrête plus longuement sur l’épisode de l’épouse de Loth pétrifiée en statue de sel, pour avoir tourné son regard vers la destruction de Sodome et de Gomorrhe. Non sans ironie, Brian lui fait remarquer qu’il n’a vu ni connu ces personnages bibliques, ni a fortiori leur ville, sous-entendu le lieu par excellence des relations sexuelles contre-nature, qu’il ne saurait fréquenter. S’il a jamais « regardé en arrière », c’est pour se souvenir de l’ordre que le même légat lui a intimé de suivre l’impératrice Mathilde. En définitive, les références « cléricales », au sens savant et sacerdotal, de Brian semblent minimes, sinon inexistantes. Elles sont même explicitement rejetées au service d’un discours de type profane qui prône certes de suivre les préceptes de l’Église, mais en trouvant ses arguments ailleurs que dans la révélation divine dont les évêques et les exégètes des écoles cathédrales se veulent alors les interprètes exclusifs.
33Si Brian fitz comte tenait à ce que sa lettre se plie au genre épistolaire classique, que son style latin suive les canons esthétiques à la mode et que la Bible lui fournisse des citations en abondance, rien ne l’empêchait d’en donner le canevas à un clerc de son entourage, qui la rédigerait à sa place selon les attentes du milieu ecclésiastique. C’est pourquoi elle n’a pu être écrite pour Henri de Winchester exclusivement. L’« auditoire » (mot à prendre au sens propre à la place de « lectorat ») qu’elle vise paraît composé des chevaliers du parti de l’impératrice Mathilde, auxquels elle doit être lue à haute voix, et probablement traduite simultanément en français anglo-normand. Son dépouillement rhétorique facilitera ce passage oral depuis la langue écrite des intellectuels jusqu’à la langue parlée de tous. Les nobles laïcs acquis à sa cause sont bien plus susceptibles que le frère du roi d’adhérer au contenu de la lettre, indépendamment de sa forme latine qui les concerne peu. Il s’agit, en somme, d’une lettre ouverte, destinée à être largement diffusée par la voix, comme le sont, à l’époque, la plupart de celles qui participent à une polémique. Elle se termine, du reste, par un appel à « tous les fidèles de la sainte Église », ses lecteurs potentiels. C’est probablement elle que cite Gilbert Foliot qui en a pris connaissance comme bien des partisans de l’impératrice. Elle sert, en définitive, à faire de la propagande.
34Un exemple parmi tant d’autres prouve qu’un style épistolaire, en apparence négligé, peut être l’effet d’un calcul conscient pour s’attacher un auditoire laïc, indifférent ou agacé par le latin qui isole si souvent les clercs du reste de la société. Quand il reçoit à la salle du banquet de son palais épiscopal, Thomas Becket prend bien soin de séparer les prêtres de « ceux qui n’appartiennent pas », selon son hagiographe Herbert of Bosham († ca 1189), l’un des exégètes le plus brillants des écoles de Paris, « à notre office », à savoir les « chevaliers, même célèbres et puissants […], qui pourraient être dérangés par la lecture, incompréhensible pour eux, qu’on fait tous les jours à la table de l’archevêque »69. C’est donc alors à des tables distinctes que chaque groupe prend son repas, les chevaliers pour deviser allégrement de sujets anodins en langue vulgaire, les clercs pour écouter religieusement un texte latin. Il faut éviter le mélange de genres, à savoir des duo genera christianorum, clercs et laïcs, dont la distinction abrupte structure le Décret de Gratien (ca 1140), et avec lui tout le droit canonique depuis la réforme grégorienne.
35Par la forme de sa missive, Brian fitz comte assume le lieu commun qui distingue de façon stéréotypée les guerriers analphabètes des prêtres latinistes. Ce clivage lui sert à désigner, et même à dénigrer son ennemi, un prélat cultivé. Dans les faits, une telle dialectique entre la culture savante et la culture populaire n’est pas opératoire pour la noblesse anglo-normande du xiie siècle. Il existe de plus en plus d’exceptions à la règle de l’illettrisme des chevaliers, comme le prouve le patronage littéraire de Robert de Gloucester lui-même. À l’époque, l’alphabétisation de l’aristocratie laïque fait des progrès considérables. Elle bat en brèche la dichotomie entre le clergé savant et la chevalerie inculte70, stéréotype dont se sert pourtant de façon subtile Brian pour bien marquer ses distances envers l’évêque de Winchester. La forme volontairement négligée de sa missive sert autant son combat que son contenu.
36La ligne d’argumentation de Brian fitz comte se fonde sur la fidélité aux liens intangibles de parenté et de féodalité. Elle met en avant toute sa dette envers le roi Henri Ier et la gratitude qui doit en résulter dans une société aristocratique de prestation totale où le don et le contre-don règlent tout rapport humain : « Le roi Henri me donna de la terre », se souvient-il avec une gratitude quasi filiale. Il est, par conséquent, de son devoir de la récupérer des hommes d’Henri de Blois qui l’ont envahie. En conclusion de sa lettre, il veut « que tous les fidèles de la sainte Église sachent que le roi Henri l’éleva et lui donna les armes du courage et une seigneurie ». La lettre de Gilbert Foliot, dont il est le destinataire, lui emprunte la même idée :
Que la digne mémoire du divin roi Henri prenne avec honneur place dans ton esprit. Privé de ce père, le peuple déplore d’autant plus ses bons jours et l’âge doré de jadis que les vices présents les lui remémorent d’un fréquent et triste souvenir. Il n’échappe pas à ta mémoire qu’il te promut dans ton enfance, qu’il t’éduqua dans ta jeunesse et qu’il t’éleva par le baudrier de la chevalerie, par des dons et par des seigneuries71.
37Brian fitz comte doit tout au roi défunt. Dès lors, il est naturel qu’il se batte, de toutes ses forces, pour que ses dernières volontés en faveur de sa fille, son héritière légitime, soient appliquées. L’évêque Henri de Blois devrait d’autant plus l’imiter qu’il est « neveu du roi Henri », lien de parenté qu’il lui rappelle jusqu’à cinq reprises, à commencer par la première ligne, celle de la salutation, et à terminer par la dernière, celle de la conclusion. Brian parvient même à évoquer cette relation dans sa liste de cinquante-deux témoins où figure Réginald de Dunstanville, comte de Cornouailles, « fils de votre oncle maternel ». Dans la société aristocratique du xiie siècle, le terme avunculus, par opposition à patruus (« oncle paternel »), marque le lien extrêmement fort qui existe entre le jeune chevalier et le frère de sa mère, souvent plus fortuné et puissant que son père. C’est dans son château qu’il apprend parfois le métier des armes, et c’est sa fille, sa cousine germaine croisée, qu’il peut éventuellement épouser pour que le patrimoine ancestral reste dans la famille. La désobéissance d’Henri de Blois à son oncle maternel est d’autant plus grave. Son homonymie avec lui traduit peut-être un parrainage sur les fonts baptismaux, sinon un lien volontairement réaffirmé par ses parents à sa naissance.
38La fidélité féodale semble à Brian fitz comte aussi sacrée, si ce n’est plus, que l’avunculat. Elle relève, en effet, d’un choix libre et d’un serment prêté devant Dieu et devant les hommes, contrairement à la filiation que la nature vous impose indépendamment de votre volonté. Loyal à Henri Ier, Brian continue « d’obéir et de prêter le service militaire (auxiliavi) » à sa dame (domina) Mathilde. Il s’engage d’autant plus dans le combat en sa faveur que le légat lui-même, destinataire de sa lettre, lui a ordonné de la suivre, publiquement, devant au moins cinquante-deux témoins dont il dresse la liste : « Sachez que ni moi ni mes hommes n’agissons ainsi pour de l’argent, pour un fief ou pour une terre qui nous auraient été promis ou donnés, mais, en toute légalité, pour vous obéir72 ». Au passage, Brian proteste de sa loyauté, cette fois-ci plus religieuse que féodale, envers l’Église, tout en prenant à témoin tous les baptisés, devenus sous sa dictée, selon un vocabulaire qui reste largement celui de la vassalité, les fideles sancte Ecclesie.
39Brian fitz comte ne voudrait surtout pas se retrouver, à la suite d’une condamnation du légat, parmi les infideles Anglie, expression qu’il utilise à la place des plus ecclésiastiques dérivés d’excommunicatio ou d’anathema. Décidément, son vocabulaire n’est pas clérical, mais féodo-vassalique. Sa crainte d’être banni de l’Église est fondée, alors que l’épiscopat anglais utilise largement l’excommunication et la mise en interdit en punition des exactions de la guerre civile. La même année 1143, par exemple, Alfred, prêtre de Beverley (Yorkshire), dit commencer à rédiger un livre d’histoire pour occuper les loisirs que lui impose la fermeture de son église pour anathème73. La vie religieuse et l’accès des laïcs aux sacrements pâtissent de la guerre civile.
40Nullement théologique ou exégétique, la culture de Brian fitz comte est historique et juridique. Sa mémoire semble solide, qu’elle soit écrite, ou plus vraisemblablement mentale74 : elle lui permet de retrouver les noms de ses cinquante-deux éventuels garants. Elle conserve également de façon assez précise le souvenir de la première croisade, qui s’est déroulée pendant son enfance, une quarantaine d’années auparavant. Au moment où il rédige sa lettre, les rumeurs bruissent sur les difficultés du comté d’Édesse qui provoqueront, avec sa chute en décembre 1144, la deuxième croisade. Les chevaliers rêvent d’aventures outre-mer, et ils ont dû être sensibles au morceau d’histoire récente que leur sert Brian. Sous sa dictée, l’expédition devient un exemplum ou anecdote édifiante sur les fruits de l’obéissance au pape, exemple qu’il essaie de suivre vis-à-vis de son représentant, le légat. Brian s’arrête ainsi sur la grande assemblée où Urbain II poussa de nombreux chevaliers vers Jérusalem pour se battre contre « les étrangers qui malmenaient à ses portes les pèlerins chrétiens qui y voyageaient en secret, les dépouillant de leurs biens et les tuant75 ».
41Brian fitz comte choisit l’assemblée de mars 1096 à Tours à la place du bien plus célèbre concile de Clermont de novembre 1095, où s’étaient pourtant rendus plusieurs évêques normands, ainsi que Benoît de Cornouaille († 1115), évêque de Nantes et oncle du duc Alain IV Fergant76. Il est significatif que le moine anglo-normand Orderic Vital († 1142), qui appartient à la même génération que Brian, mentionne « le concile de Tours qui confirma les sujets traités à Clermont77 ». Ces deux villes sont les seules qu’il retient, avec Cluny et Angers, du long périple d’Urbain II en France. Peut-être les nobles anglo-normands et bretons, absents de Clermont, furent-ils nombreux à prendre la croix dans la cité ligérienne, siège de l’archevêché dont relevaient les diocèses de Bretagne ?
42Le nom d’Alain IV Fergant est absent de la liste des neuf comtes qui se sont croisés en 1096. Il y participa pourtant, dans le contingent des chevaliers du nord-ouest de la France mené par Robert Courteheuse78, qui est, quant à lui, bel et bien cité. Le silence de Brian sur son propre père peut s’expliquer, d’une part, par la honte qui découle de sa naissance illégitime, mais la situation était devenue banale à la cour d’Henri Ier, son héros et son mentor, qui avait engendré une vingtaine de bâtards. D’autre part, le rôle d’Alain IV à la croisade semble effacé : les chroniqueurs se limitent à peine à mentionner son nom parmi d’autres guerriers dont ils louent avec plus de détails les faits d’armes79. Brian prend soin, en revanche, de placer Étienne II († 1102), comte de Blois, à la tête de sa liste, tout en rappelant à l’évêque de Winchester qu’il est son père. L’héroïsme et la générosité des croisés pour obéir à l’Église servent de comparaison à Brian qui dit agir de même dans la guerre qu’il mène en Angleterre. En revanche, Guillaume de Moyon, affirme-t-il, ne supporte pas la comparaison avec eux. Cette allusion perfide se comprend difficilement, car Mathilde fait confiance à Guillaume, qu’elle vient de nommer comte de Somerset au cours du siège de Winchester80. Brian se réfère-t-il à une trahison, non attestée, que Guillaume aurait commise quelques mois plus tard ? Laisse-t-il plutôt libre cours à sa jalousie dans la lutte d’influences entre proches de l’impératrice ?
43Un dernier aspect de la culture de Brian fitz comte mérite qu’on s’arrête. Il maîtrise les procédures du droit féodal. Il dit, en effet, être prêt à répondre de sa fidélité envers l’impératrice Mathilde à la suite de l’ordre du légat devant un plaid (placitum), en l’occurrence une assemblée nobiliaire cherchant à concilier des ennemis, ou une cour de justice (justicia) : il y prendra pour témoins les cinquante-deux hauts personnages qu’il a soigneusement énumérés. Aussi précise semble son allusion au délit de contumace : « J’ai entendu, à la cour [curia, au sens judiciaire] du roi Henri, votre oncle maternel, que, si quelqu’un portait une plainte [calumniabatur] et que l’accusé [accusatus] ne répondait pas, celui-ci commettait un forfait [erat forisfactus] ». Brian termine sa lettre en affirmant qu’il est prêt à défendre son droit en « duel [bellum] ou jugement [judicium], par un clerc [clericus, peut-être l’avocat qui le représentera devant un tribunal ecclésiastique] ou par un laïc [vraisemblablement son champion au duel] »81. Dans son débat avec l’évêque de Winchester, la mention du duel légal n’est peut-être pas sans arrière-pensées. Même s’ils ne le condamnent pas encore explicitement, les canonistes et moralistes de l’époque, comme Yves de Chartres († 1116) ou Pierre le Chantre († 1197), prennent des distances à son égard, l’interdisant aux tribunaux épiscopaux, que le sang versé ne saurait souiller, pour le réserver aux seuls tribunaux civils82. En définitive, Brian se pare du droit féodal et de ses procédures judiciaires pour montrer le bien-fondé de ses engagements.
44En 1142, les partisans de l’impératrice Mathilde connaissent de mauvais jours sur l’île, qui rendent précaire la situation de Brian fitz comte à Wallingford. Il n’en va pas de même sur le continent, où Geoffroi d’Anjou reprend du terrain. En janvier 1144, il conquiert Rouen et il parvient à maîtriser l’essentiel du duché. En 1153, le traité passé, à Wallingford et Winchester, sur les seigneuries mêmes de nos correspondants, met fin à la guerre civile. L’année suivante, Henri II, fils de Geoffroi et de l’impératrice Mathilde, est couronné à Westminster. L’Angleterre revient, après presque vingt ans de guerre, aux Angevins. La reconnaissance du nouveau roi envers les habitants de Wallingford le pousse alors à leur accorder des privilèges identiques à ceux dont jouissait Winchester83. Après l’Angleterre, il réussit à étendre son pouvoir sur la Bretagne, en mariant son héritière Constance († 1201) — dont l’aïeul est Alain IV Fergant et le grand-père Alain le Noir, comte de Richmond — à son fils Geoffroi († 1186).
45Chrétien de Troyes écrit peut-être à la cour d’Henri II, entre 1170 et 1176, son roman Érec et Énide qu’il clôt par le couronnement des protagonistes à Nantes84, alors capitale de la Bretagne. Il dit que son « cœur se sent attiré » vers les populations qui accourent à la cérémonie, « Normands, Bretons, Écossais, Irlandais, riches barons d’Angleterre et de Cornouailles, et chevaliers du pays de Galles jusqu’en Anjou, le Maine et le Poitou », énumération qui coïncide largement avec les principautés de l’empire Plantagenêt que gouverne alors Henri II. Or, il met en scène un personnage extrêmement positif, Brian des Îles, qui offre, pour le sacre d’Érec et d’Énide, deux trônes d’ivoire et or fin gravés de deux léopards, emblème héraldique des Angevins. Un peu plus tard, dans Cligès (1176-1180), Chrétien situe entre Wallingford et Oxford un tournoi où s’illustre le protagoniste85. Il flatte doublement la mémoire d’un des plus fidèles partisans de l’impératrice Mathilde et de l’héroïque défense de son château.
46Le passage des années ternira irrémédiablement la réputation du personnage littéraire. Au cours des années 1200-1210, le souvenir de Brian fitz comte n’est plus, et le personnage fictif qu’il a inspiré jadis peut se dégrader moralement. Le Haut livre du Graal donne alors le nom de Brian des Îles à l’ennemi hargneux d’Arthur, qui devient son sénéchal pour le trahir aussitôt86. Toujours au début du xiiie siècle, le Chevalier aux deux épées en fait le lâche rival de Gauvain, préféré de la dame qu’il courtise sans possibilité de succès ; un jour où Brian des Îles trouve son ennemi se reposant désarmé sur un pré, il l’attaque par traîtrise et il le laisse pour mort. Un Brian de la Gâtine, aussi sournois que son précédent homonyme, apparaît dans la seconde partie du roman, où il est tué en combat singulier par le héros Mériadeuc87. Le magnanime et généreux Brian des Îles, créé par Chrétien de Troyes, est devenu un sénéchal déloyal, hypocrite et corrompu ou un piètre amant. Il est certain que le vrai Brian fitz comte était mort, un demi-siècle auparavant, sans descendance. En l’absence de succession lignagère, plus personne n’entretenait la mémoire de cet enfant naturel d’un duc breton, qui avait mené sa carrière en Angleterre. Grâce à une copie des années 1630, nous conservons cependant sa lettre, qui nous transmet encore l’écho amorti de sa voix, de ses engagements et de ses valeurs.
Annexe
Annexe — Échange épistolaire entre Henri de Blois, évêque de Winchester, et Brian fitz comte
Texte latin
B. Copie de Roger Dodsworth (1585-1654), vraisemblablement effectuée dans un fonds du Yorkshire, région habituelle de ses transcriptions, bibliothèque bodléienne d’Oxford, ms. Dodsworth 88 (S.C. 5029), fo 76.
C. Copie largement interpolée de Richard de Bury (1281-1345), évêque de Durham, Liber Epistolaris, collection Brogyntyn de la National Library of Wales à Aberystwyth.
a. Henry W. C. Davis, « Henry of Blois and Brian Fitz-Count », The English Historical Review, 25, 1910, pp. 297-303, d’après B., édition reprise ci-dessous avec de légères modifications indiquées en note.
b. Noël Denholm-Young, The Liber Epistolaris of Richard de Bury, Oxford, 1950, pp. 242-248, no 389, d’après C.
Trad. angl. : Edmund King, « The Memory of Brian fitz Count », Haskins Society Journal, 13, 1999, pp. 75-98.
Carta Henrici, episcopi Wintonie
Henricus, Dei gratia Wintonie episcopus et sedis apostolice legatus, Brientio filio comitis.
Memorem esse uxoris Loth que respiciens in statuam salis conversa est [Gen 19, 26]. Dum semper ad ea que retro sunt respicitis, offendiculum quod pre oculis habetis minus cavetis, eoque cicius corruere potestis. Cum in literis quas novissime vobis direxi firmam pacem omnibus ad feriam meam venientibus a vobis et vestris dari quesierim, nec in litteris a vobis mihi directis illa negaretur, res autem mee interim a vestris capte sint et terre et homines et camini mei inquietati. Videtur mihi de vobis et vestris minus confidendum esse, et vos, quod tamen mihi confiteri grave est nec cordi meo sedet, nisi correxeritis, inter infideles Anglie connumerabo quem usque modo semper de eorum genere esse nes[civ]i. Si quo […]e dicte […] at fideli de hiis que […] rescribam. Sin autem aliter u[…]l.
Carta Brientii filii comitis
Henrico, nepoti Henrici regis, Brientius filius comitis, salutem.
Miror multum, et admirandum est, et de hoc unde vos alloquor, videlicet de hiis que vidi et audivi et in meo tempore fuere postquam etatem habui. Mentionem facitis de primo homine qui peccavit eo quod obedientiam non tenuit. De hoc respondi vobisa. Modo iterum de Loth et uxore sua mecum agitis. Quos nunquam vidi neque novi nec civitatem eorum nec in uno tempore fuimus. Audivi tamen dicere quod angelus precepit eis egredi civitatem qua manserant ne respicerent, et quia mulier respexit in statuam salis mutata fuit [Gen 19, 26]. Michi autem nunquam preceptum fuit quod non respiceremb. Debeoque bene respicere ad precepta sancte Ecclesie ut, recordando ea que michi sunt precepta, evitem contraria. Nam et vosmet, qui estis prelatus sancte Ecclesie, precepistis mihi filie regis Henrici, avunculi vestri, adherere et eam auxiliari rectum suum acquirere, quod vi aufertur ei, et hoc quod modo habet retinere.
Nec solum ad preceptum vestrum respicio sed antecessorum nostrorum illustrium dignos actus ad exemplum etiam mihi sumo. Cum enim papa Urbanus venisset Turonum cum clero citroalpino concilio et precepto Dei populum affatus est de civitate Jerusalem, quam allophili possidebant, ad cujus januas christianos peregrinos latenter advenientes verberabant, dispoliabant, occidebant. Ad quod deliberandum quicumque movissent, et ex quo movissent, veniam et absolucionem omnium criminum suorum, sicut pape licet, eis spondebat. Multi igitur nobiles et strenui viri edicto apostolico commoti sunt, castraque sua et civitates et uxores et liberos et magnos honores peregrinatione commutaveruntc. Sicut Stephanus comes, pater vester, comes Robertus Normannie, comes Sancti Egidii Remmundus, Boamundus, Robertus comes Flandrie, comes Eustachius Boleniensis, dux Godefridus, et plures alii optimi milites et divites. Et sciatis quod isti comites non fuerunt similes comiti de Moyon. Dum enim ad tales et tantos viros respicio, qui preceptum pape fecerunt, qui sua tot et tanta reliquerunt, qui etiam Jerosolimam armis et assultu sicut boni milites conquisierunt, regemque bonum et legalem, nomine Godefridum, ibidem statuerunt, dumque ad preceptum vestrum respicio filiam Henrici regis ad posse meum auxiliando, non illic timeo offendiculum ubi me sustinet sancte Ecclesie mandatum.
Rex Henricus dedit mihi terram. Sed ipsa mihi et hominibus meis sic aufertur pro vestro precepto, quod facio, quod in hoc extremo angusto non colligo unam acram bladi de terra quam dedit mihi. Et ideo non est mirum si capio ex alieno ad vitam meam et meorum hominum sustentandam. Et ad hoc agendum, quod mihi precepistis, nec de alieno quicquam cepissem si mea mihi relinquerentur. Sciatis quod nec ego nec homines hoc facimus pro pecunia vel feudo vel terra promissis nobis vel datis, sed tantum pro vestro precepto meaque legalitate et meorum hominum.
Et de hoc precepto quod dico vos precepisse mihi traho testem : Teodbaldum quem vocant archiepiscopum Cantuarie, Bernardum episcopum Sancti David, Robertum episcopum Herefordie, Simonem episcopum Wigornie, episcopum Batoniensem (nescio nomen suum), Robertum episcopum Exonie, Saifridum episcopum Cicestrie, Rogerum episcopum Cestrie, Adelolfum episcopum Calleonensem, Alexandrum episcopum Lincolnie, Nigellum episcopum Heliensem, Everardum episcopum Norwicensem, Robertum episcopum Londonensem, Hyllarium decanum de Christeschire, David regem Scottie, Robertum comitem Glœcestrie, Milonem Glœcestrie, Radulfum Paganellum, comitem Randulfum Cestrie, Willielmum Peverel de Notingham, Willielmum de Rusmare, comitem Hugonem Northfolc, Albricum de Ver, Henricum de Essexa, Rogerum de Valumnes, Gillebertum filium Gilleberti, Gaufridum de Mandavilla, Osbertum Octo Denarios et omnes Londonienses, Wilielmum de Pontearchie et omnes Wintonienses, Robertum de Lincoln, Robertum de Arundel, Baldewinum de Riedvers, Rogerum de Nunan, Reginaldum filium avunculi vestri, Willelmum de Moyon, Willelmum de Curceio, Walterum de Chandos, Walterum de Pincheneia, Heliam Giffardum, Baderun, Gillebertum de Laceio, Robertum de Evias, Willelmum de Belcampo, Milonem de Belcampo, Johannem de Bidun, Robertum de Albeni, Willelmum Peverellum de Doura, Willelmum de Sai, Willelmum filium Ricardid, Rogerum de Warewic, Gaufridum de Clintone, Willelmum filium Alani.
Isti sunt qui audierunt, et cetera. Domine mee […] quod precepit ei obedienciavi et auxiliavi. Ideo debeo enumerari inter fideles Anglie, quia facio preceptum vestrum, testimonio supradictorum, in placito nec ante justiciam. Hoc enim audivi in curia regis Henrici, avunculi vestri, quando aliquis aliquem esse calumpniabatur, qui accusatus erat, si non respondebat, ille erat forisfactus. Ideo quando mihi mandastis de feria vestra observanda, et non respondi vobis, scire potuistis quod nolui eam observare. Et tamen pro honore vestri et utilitate vestre ferie, si mandavissetis mihi quod mei hominese cepissent res vestrorum feriantium et quodf ego dirigi fecissem pro honore vestro et proficuo vestre ferie. De hoc autem quod me hucusque de grege infidelium negavistis multas vobis grates ago, erga quem multum amorem in vera re habere desidero, et obedire per omnia ubi ferre potero. Sciatisque quod non merear amodo, pro posse meo et intelligentia, ut inter infideles enumerari debeam. Miseremini tandem pauperum et calamitatis eorum quibus jam Ecclesia vix est refugium, et que cito in ipsis moritur si pax moratur.
Sciant igitur omnes fideles sancte Ecclesie quod ego Brientius filius comitis, quem bonus rex Henricus nutrivit, et cui arma dedit roborisg et honorem, ea que in hoc scripto assero contra Henricum, nepotem regis Henrici, episcopum Wintonie et apostolice sedis legatum, presto sum probare vel bello vel judicio per unum clericum vel per unum laicum.
Traduction française
Lettre d’Henri, évêque de Winchester
Henri, par la grâce de Dieu, évêque de Winchester et légat du siège apostolique, à Brian fitz comte.
Souvenez-vous de l’épouse de Loth qui pour s’être retournée a été transformée en statue de sel. Puisque vous continuez de regarder vers l’arrière, vous ne faites plus attention à l’obstacle qui se dresse devant vous et vous pouvez vous précipiter encore plus vite vers lui. Dans la lettre que je vous ai dernièrement adressée, je vous priais que vous et vos hommes assuriez une paix stable à tous ceux qui se rendent à ma foire. Cela ne m’a pas été refusé dans la lettre que vous m’avez adressée. Cependant les vôtres se sont emparés de mon bien et ils ont perturbé mes terres, mes hommes et mes chemins. Il me semble que je ne peux avoir la moindre confiance en vous ni en vos hommes. Il me coûte toutefois de vous avouer ce qui résiste à mon cœur. Si vous ne vous corrigez pas, je vous compterai parmi les infidèles d’Angleterre, vous qui jusqu’à présent, je le sais, n’en avez jamais fait partie…
Lettre de Brian fitz comte
À Henri, neveu du roi Henri, Brian fitz comte. Salut.
Je suis très surpris, et il y a de quoi être étonné, de ce pourquoi je vous parle, c’est-à-dire ce que j’ai vu et entendu et qui a eu lieu à mon époque depuis que je suis en âge de raison. Vous mentionnez le premier homme qui pécha par désobéissance. Je vous ai déjà répondu à ce sujet. Cette fois-ci, vous évoquez encore Loth et sa femme, que je n’ai jamais vus, ni connus, ni leur ville non plus, car nous n’avons pas vécu en même temps. J’ai toutefois entendu dire que l’ange leur commanda de sortir de la ville où ils avaient demeuré et de ne pas regarder en arrière. Pour l’avoir fait, sa femme fut transformée en statue de sel. Or, il ne m’a jamais été ordonné de ne pas me retourner. Je dois, en effet, tourner mon regard vers les préceptes de la sainte Église, pour que, en me rappelant ce qu’ils m’imposent, j’évite de faire le contraire. Vous-même, qui êtes prélat de la sainte Église, m’avez enjoint de m’attacher à la fille du roi Henri, votre oncle maternel, et de l’aider à retrouver le droit qui lui a été enlevé de force et à conserver ce qu’elle détient encore.
Non seulement je tourne mon regard vers votre ordre, mais j’adhère aussi aux hauts faits et à l’exemple de nos illustres ancêtres. Quand le pape Urbain se rendit à Tours avec le clergé cisalpin, il parla, en concile et sous l’ordre de Dieu, au peuple sur la cité de Jérusalem, occupée par des étrangers qui malmenaient à ses portes les pèlerins chrétiens qui y voyageaient en secret, les dépouillant de leurs biens et les tuant. À quiconque, d’où qu’il vînt, voudrait s’y rendre pour la libérer, le pape promettait, comme il est de son droit, l’indulgence et l’absolution de tous ses crimes. Suivant cet édit apostolique, beaucoup de nobles et d’hommes diligents se mirent en branle. Ils abandonnèrent leurs châteaux et villes ainsi que leurs femmes et enfants : ils échangèrent de vastes seigneuries pour le pèlerinage. Ainsi, à l’instar du comte Étienne, votre père, le comte Robert de Normandie, le comte Raimond de Saint-Gilles, Bohémond, Robert, comte de Flandre, le comte Eustache de Boulogne, le duc Godefroi et bien d’autres chevaliers parmi les meilleurs et les riches. Sachez que ces comtes ne ressemblaient pas au comte de Moyon. Je tourne mon regard vers des tels et de si nombreux hommes, qui ont mis en pratique le précepte du pape, qui ont abandonné tant de grands biens, qui ont conquis d’assaut Jérusalem par leurs armes en excellents chevaliers et qui y ont établi un roi bon et légitime du nom de Godefroi. Je tourne, de même, mon regard, suivant votre ordre, vers la fille du roi Henri pour l’aider selon mon pouvoir sans craindre d’obstacle puisque je suis porté par un commandement de la sainte Église.
Le roi Henri me donna de la terre. Elle m’est pourtant enlevée, ainsi qu’à mes hommes, sous votre ordre. Si j’agis de la sorte, c’est parce que, dans mon extrême dénouement, je ne garde plus une seule acre des emblavures qu’il m’avait accordées. Il n’y a rien d’étonnant que je prenne à autrui de quoi sustenter ma vie et celle de mes hommes. Je le fais donc pour mettre en pratique ce que vous m’aviez ordonné et je ne prendrais pas le bien d’autrui s’il me restait du mien. Sachez que ni moi ni mes hommes n’agissons ainsi pour de l’argent, pour un fief ou pour une terre qui nous auraient été promis ou donnés, mais, en toute légalité, pour vous obéir.
Pour témoins de l’ordre que vous m’avez intimé, je vous donne Thibaud, qu’on appelle archevêque de Cantorbéry, Bernard, évêque de Saint David’s, Robert, évêque de Hereford, Simon, évêque de Worcester, l’évêque de Bath, dont j’ignore le nom, Robert, évêque d’Exeter, Seffrid, évêque de Chichester, Roger, évêque de Chester, Adelulf, évêque de Carlisle, Alexandre, évêque de Lincoln, Nigel, évêque d’Ely, Évrard, évêque de Norwich, Robert, évêque de Londres, Hilaire, doyen de Christchurch, David, roi d’Écosse, Robert, comte de Gloucester, Miles de Gloucester, Raoul Paynel, le comte Ranulf de Chester, Guillaume Peverel de Nottingham, Guillaume de Roumare, le comte Hugues de Norfolk, Alberic de Vere, Henri d’Essex, Roger de Valognes, Gilbert fitz Gilbert, Geoffroi de Mandeville, Osbert Huitdeniers et tous les Londoniens, Guillaume de Pont de l’Arche et tous les habitants de Winchester, Robert de Lincoln, Robert d’Arundel, Baudouin de Redvers, Roger de Nonant, Réginald, fils de votre oncle maternel, Guillaume de Moyon, Guillaume de Courcy, Gautier de Chandos, Gautier de Pinkeny, Élie Giffard, Baderon, Gilbert de Lacy, Robert d’Ewyas, Guillaume de Beauchamp, Miles de Beauchamp, Jean de Bidun, Robert d’Aubigny, Guillaume Peverel de Dover, Guillaume de Say, Guillaume fitz Richard, Roger de Warwick, Geoffroi de Clinton, Guillaume fitz Alain.
Voici donc ceux qui ont entendu, etc. À ma dame […] ce qu’il a ordonné, je lui ai obéi et rendu service. Je dois être compté parmi les fidèles d’Angleterre, car je mets en pratique votre ordre comme peuvent le témoigner les susdits aussi bien devant un plaid que devant la justice. J’ai entendu, à la cour du roi Henri, votre oncle maternel, que, si quelqu’un portait plainte et que l’accusé ne répondait pas, celui-ci commettait un forfait. Par conséquent, quand vous m’avez commandé de respecter votre foire et que je ne vous ai pas répondu, vous avez pu savoir que je n’entends pas la respecter. Toutefois, si, pour votre temporel et pour l’utilité de votre foire, vous m’aviez commandé que mes hommes prissent les marchandises de ceux qui s’y rendaient, nous les y aurions conduites pour votre honneur et pour le profit de votre foire. Je vous sais néanmoins gré parce que jusqu’à présent vous ne m’avez pas mis dans le troupeau des infidèles. Je désire, en effet, éprouver beaucoup d’amour pour la vérité, et vous obéir partout où je pourrai. Sachez que dorénavant, selon mon pouvoir et mon intelligence, je ne mériterai pas d’être compté parmi les infidèles. Ayez pitié des pauvres et de leur malheur. L’Église est à peine un refuge pour eux et elle mourra vite en eux si la paix tarde à venir.
Que tous les fidèles de la sainte Église sachent que moi Brian fitz comte, que le bon roi Henri éleva et qui lui donna les armes du courage et une seigneurie, suis prêt à prouver en duel ou en jugement, par un clerc ou par un laïc, ce que j’affirme dans cet écrit contre Henri, neveu du roi Henri, évêque de Winchester et légat du siège apostolique.
Notes de bas de page
1 Giraud de Barri, Itinerarium Kambriæ, p. 90, I, 12.
2 Voir le tableau de la tradition de l’édition ci-dessous.
3 Crouch, 1999.
4 Id., 2000, pp. 110-112, 121.
5 Green, 1997, pp. 147-164.
6 Voir annexe.
7 King, 1999, pp. 78, 87-88.
8 « Henry of Blois and Brian Fitz-Count », p. 300.
9 Stratford, 1983 ; Campbell, 2001.
10 Guillaume de Malmesbury, Historia Novella, pp. 60-62, II, 31. Voir Chibnall, 1992, p. 92.
11 Guillaume de Malmesbury, Historia Novella, p. 88, III, 45. Voir Chibnall, 1992, p. 102.
12 King, 2004b ; Id., 2014.
13 Barlow, 1997, pp. 109-112, 206-207 ; Aurell, 2003, p. 269.
14 Henri de Huntingdon, Historia Anglorum, p. 610.
15 Bernard de Clairvaux, Epistolae, t. II, p. 482, ep. 520.
16 Robson, 2004, pp. 252-260.
17 Stacy, 1999.
18 Bur, 1977, pp. 301-303.
19 King, 2004a.
20 Quaghebeur, 2001, pp. 123 et 126.
21 Il n’apparaît jamais dans l’entourage ducal, comme semble le prouver l’absence d’entrée à son nom dans les index des Actes des ducs de Bretagne (944-1148).
22 « A Contemporary Account of the Battle of Tinchebrai (1909-1910) », p. 730 ; Henri de Huntingdon, Historia Anglorum, p. 454 ; Orderic Vital, The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, t. VI, p. 88.
23 Aurell, 2015, p. 95.
24 Quemcunque iuuenem infra montes Alpium audiebat captantem boni famam principii, ascribebat familie, et cui minus annuatim dabatur, centum per nuncium suum percipiebat solidos, et quandocunque contigisset ab ipso mandari, suscipiebat in aduentu suo singulis diebus a recessu residencie sue singulos solidos (Gautier Map, De Nugis Curialium, p. 470, trad. française de l’auteur).
25 Crouch, 2000, p. 90.
26 An Outline Itinerary of King Henry the First, p. 72, no 335.
27 Keats-Rohan, 1989, p. 315 ; Id., 1992, p. 68.
28 « Never was the turn-over more dramatic or far-reaching in its impact than in the reign of Henry I » (Davies, 2000, p. 84).
29 King, 2000, pp. 288-291.
30 The Anglo-Saxon Chronicle, 1996, p. 256.
31 Guillaume de Malmesbury, Historia Novella, p. 10, I, 4.
32 King, 2004a.
33 Id., 2012, p. 43-48.
34 Chibnall, 1992, p. 67.
35 King, 2000, pp. 292-293.
36 Même opportunisme, puis retour au camp de Mathilde, chez Jean le Maréchal, possessionné aussi dans l’ouest de l’Angleterre (Crouch, 2002, pp. 14-15).
37 « Brian was genuinely devoted to the Empress herself » (Keats-Rohan, 1992, p. 69) ; « Brian fitz Count stands out as a man of strong moral principles […]. His disinterestedness […]. By holding out there for the empress he risked all his lands » (Chibnall, 1992, p. 84). Nous suivons ci-dessus le point de vue opposé de Crouch, 2000, p. 121, n. 1.
38 King, 2004a.
39 Giraud de Barri, Itinerarium Kambriæ, pp. 47-48, I, 4.
40 Crouch, 1985a, pp. 32-34.
41 Guillaume de Malmesbury, Historia Novella, p. 60, II, 31.
42 Gesta Stephani, p. 90.
43 Omnem in circumiacentibus comitatui Glaornie prouinciis depopulationem exegit. Et nunc quidem de remotissimis Anglie finibus innumerabilis multitudinis animalia abducere, nunc quos circa se fide et hominio regi allectos prenoverat, igne et gladio validissime vexare (Gesta Stephani, p. 90, trad. française de l’auteur).
44 Pubem validissimam invictissimumque militiæ robur militiæ intus susceptum (ibid., p. 92).
45 Bradbury, 1996, pp. 74-75 ; Keats-Rohan, 2014.
46 Guillaume de Malmesbury, Historia Novella, p. 88, III, 45.
47 Jean de Worcester, The Chronicle of John of Worcester, t. III, p. 300. Il se peut que la mention de cette monte usu masculino implique, par contraste, l’existence de la monte en amazone déjà en 1141, date probable de l’interpolation à la chronique de Jean de Worcester. À moins que le texte veuille dire que Mathilde est jusqu’alors transportée en chariot ou en litière. Se référant au même épisode, L’histoire de Guillaume le Maréchal (2002-2004, t. I, p. 12, v. 214-222) abonde dans le sens de la première interprétation, puisqu’elle ajoute explicitement que Mathilde, pressée par ses poursuivants, a dû passer d’une monte (« L’empereriz qui chevalcha / comme femme fait en seant ») à l’autre (« Les jambes vos convient desjoindre / Et mettre par en son l’arçum »). Remarquons toutefois que L’histoire n’a été composée que dans les années 1220. Dans sa brillante étude sur l’équitation féminine aux xiie et xiiie siècles (2016), Sophie Coussemacker vient de démontrer que la sambue, ou siège baquet, à la suite de laquelle la monte en amazone peut se diffuser, n’est mentionnée pour la première fois en Occident qu’entre 1181 et 1190 dans le Conte du Graal de Chrétien de Troyes (Chrétien de Troyes, Perceval ou le conte du Graal, p. 777, v. 3712).
48 Sed et ipsa Andegauensis comitissa, femineam semper excedens mollitiem, ferreumque et infractum gerens in aduersis animum, ante omnes, Brieno tantum cum paucis comite, ad Divisas confugit, immensum per hoc, ipsa, et Brienus, nacti preconii titulum, ut sicut sese antea mutuo et indivise dilexerant, ita nec in adversis, plurimo impediente periculo, aliquatenus separarentur (Gesta Stephani, p. 134, trad. française de l’auteur).
49 The Anglo-Saxon Chronicle, p. 267.
50 Gesta Stephani, p. 142.
51 Matthieu Paris, Chronica Majora, t. II, p. 174.
52 Gesta Stephani, p. 210.
53 Keats-Rohan, 1989, p. 315.
54 Ibid., p. 318.
55 Donation à Reading par Henri II : « Pro amore et legali servitio Briencii filii comitis quod domine M[athildi] matri mee imperatrici et mihi fecit » (Regesta Regis Stephani ac Mathildis Imperatricis, p. 260, no 704 [1147 ou 1149]). Voir Chibnall, 1992, p. 149 ; Keats-Rohan, 1992, p. 69, n. 92, se rétractant de son choix précédent du Bec.
56 Des faux de Saint-Sauveur de Redon le disent converti en son sein, mais il se peut qu’il l’ait fait à Sainte-Croix de Quimperlé (Quaghebeur, 2001, p. 275).
57 Crouch, 1985b ; Id., 1986, pp. 23-25, 46-49.
58 Bradbury, 1996, pp. 94-99.
59 Early Yorkshire Charters.
60 Crouch, 2004.
61 Jean de Hexham, Symeonis monachi opera omnia, t. II, p. 310 ; Regesta Regis Stephani ac Mathildis Imperatricis, p. 34, no 88 (1150-1151). Voir Crouch, 2000, pp. 185, 262 ; Everard, 2000, pp. 31, 61, 72.
62 Duggan, 1980, pp. 3-8 et 170.
63 Quosdam pertrahit in stuporem quod cum litteras non didisceris, librum nichilominus edidisti. Verum scias id michi non fuisse miraculo, cum quod artis tibi negabat industria, uehementiam amoris in te et per te dictasse cognouerim. Amor enim non accipit ex impossibilitate solacium, uel ex difficultate remedium. Semper enim operatur magna si est, uel si operari renuit, amor non est. Hinc est quod , cum litteras non didiceris, in campum tamen litterarum non mediocriter inpegisti […]. Ab illo enim degenerans amor tuus propagatur in stirpem regiam unicam eius filiam et regni ipsius heredem, cuius causam non solum armis, sed ut audiuimus et iam uidimus, eloquii uenustate simul et ueritate sustines et defendis. Totum namque brevi complectis argumento, quod hactenus ueritatis ignaros in fauorem sue partis aliciat et iamdiu ueritatis conscios uel confirmet si amici sunt, vel obtudat, ut reliberet inimicos (Gilbert Foliot, The Letters and Charters of Gilbert Foliot, p. 61, ep. 26, trad. française de l’auteur).
64 « Not unimpeachable in the point of Latinity. […] Some learning and acute intelligence » (ibid., p. 299).
65 « A blunt and forceful intellect which was able to express itself clearly, if not elegantly […] Brian […] did not acquire the skills of reading » (ibid., p. 122).
66 Aurell, 2011, pp. 82-86, 107, 131, 157.
67 Voir annexe.
68 Barrau, 2013, pp. 375-377.
69 Alii non nostri officii viri, sed milites, quantumcumque clari et potentes, nisi forte et rarissime, separatim semper et per se discumbebant seorsum. Quibus ex more mensa opipare præclara parabatur, in qua tales discumberent, ne videlicet ipsos non intelligentes molestaret lectio quæ quotidie in mensa pontificis ab initio usque ad finem discubitus personabat (Herbert de Bosham, Vita sancti Thomæ Cantuariensis archiepiscopi et martyris, t. III, p. 226, III, 15).
70 Aurell, 2011, pp. 21-23.
71 Hereat animo tuo diui regis Henrici honore digna memoria, cuius dies bonos et aurea quondam secula, patre gens orbata deplorat, et rubigo presentis etatis frequenti sed tristi recordatione commemorat. Non est tibi elapsum a memoria quod te promouit a puero, quod iuuenum educauit, et donatum militie cingulo donis et honoribus ampliauit (Gilbert Foliot, The Letters and Charters of Gilbert Foliot , p. 61, ep. 26, trad. française de l’auteur).
72 Voir annexe.
73 Alfred de Beverley, Alvredi Beverlacensis Annales sive historia de gestis regum Britanniæ, p. 2.
74 King, 1999, p. 82.
75 Voir annexe.
76 Crozet, 1937, pp. 272-273, 285, 298-299.
77 Orderic Vital, The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, p. 26, IX, 3.
78 David, 1920, pp. 93-94, 221 ; Aird, 2008, p. 165.
79 Albert d’Aix-la-Chapelle, Historia Ierosolimitana, p. 98, II, 23 ; Baudri de Bourgueil, Historia Hierosolomitana, p. 50, n. 9 (dans une variante du seul manuscrit G), mais point de vue contraire de Biddlecombe, « Introduction » à son édition de 2014, pp. xxix-xxx ; Guillaume de Tyr, Chronicon, p. 191, II, 23 (22) ; La chanson d’Antioche, p. 280, L, v. 1187, p. 412, CXXVI, v. 2830, p. 418, CXXX, v. 2897. Voir Riley-Smith, 1998, pp. 86, 128 et 198.
80 Gesta Stephani, p. 128. Voir King, 1999, pp. 95-96.
81 Voir annexe.
82 Martindale, 2001, pp. 129-130.
83 King, 1999, p. 88.
84 Chrétien de Troyes, Érec et Énide, pp. 159-169, v. 6547-6950.
85 Id., Cligès, p. 283, v. 4578.
86 Le haut livre du Graal, chap. ix-xi.
87 Le chevalier as Deus Espées.
a Blanc dans B.
b Quod respicerem, B.
c […]taverunt, B.
d […]ardi, B.
e qui meorum hominum, a.
f quid, a.
g rubris, a.
Auteur
CESCM (UMR 7302) – Université de Poitiers
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