Épilogue. Les deux morts de Diogo Soares
p. 241-244
Texte intégral
1Nous le savons, Miguel de Vasconcelos fut la victime sacrificielle du soulèvement de 1640. Avec son assassinat, c’est toute l’œuvre des secrétaires d’État qui devait être mise au pilori dans le Lisbonne de la Restauração, mais aussi dans le Madrid crépusculaire des années qui précédèrent la disgrâce d’Olivares. La procédure des charges engagée avant le 1er décembre et tranchée en faveur de Diogo Soares est rouverte en 1643 en dépit des protestations du secrétaire, qui invoquait l’autorité de la chose jugée. Mais la nécessité d’abattre Diogo Soares répondait à plusieurs circonstances impérieuses. Le système élaboré avant 1640 reste en place à Madrid, ce qui signifie que Soares, Leitão et Pereira Pinto continuent à jouer un rôle central dans le processus des décisions prises à propos du Portugal rebelle. Une des fonctions essentielles du nouveau Conseil de Portugal consistait à financer le séjour à Madrid des personnalités portugaises qui se trouvaient alors dans la capitale ou qui prenaient ouvertement parti pour la dynastie des Habsbourg. Or, comme l’a montré Fernando Bouza Alvarez1, nombreux sont les aristocrates portugais hostiles à la Restauraçào qui avaient été des adversaires d’Olivares (Castelo Rodrigo) ou des secrétaires d’État (les Mascarenhas) et que Soares classait dans la catégorie des « populares ». La fidélité de ces hommes envers le Roi Catholique ne refermait nullement le front des hostilités ouvert au cours des années 1630 contre le Comte-Duc. La tension était même aggravée par le fait que les pensions mensuelles versées aux aristocrates fidèles placés dans l’impossibilité de percevoir les rentes de leurs terres portugaises étaient administrées par les hommes de confiance d’Olivares2.
2À côté de ce premier front, un second devait s’ouvrir. Les responsables castillans de la politique portugaise, à commencer par le marquis de la Puebla, souscrivaient pleinement à l’interprétation de la Restauração comme mouvement de réaction à la méchanceté des ministres d’Olivares, à savoir Soares et Vasconcelos. En 1644, les adversaires de Soares racontaient dans tout Saragosse qu’un bobard annonçant la mort de ce dernier aurait plongé Jean IV dans les affres de l’angoisse, car le roi portugais aurait prétendument redouté qu’à l’annonce de la disparition du secrétaire d’État détesté, le mouvement de restauration ne s’essoufflât. On raconta même que Jean IV fit interdire la publication des lettres de Diogo Soares trouvées dans les bureaux de Miguel de Vasconcelos, car leur diffusion aurait nécessairement entraîné la disgrâce du secrétaire à Madrid et donc privé la Restauraçao de son principal repoussoir.
3Après la reprise de la visite en 1643, un des adversaires les plus acharnés de Soares et d’Olivares, Jerónimo de Mascarenhas, recommanda à Diego de Riaño y Gamboa, qui était chargé de la mener, de lire les livres de l’inquisiteur Adam de la Parra et du père Seyner3. Dans le premier, l’accusation de complaisance à l’égard du judaïsme luso-castillan, lancée contre la politique d’Olivares, est implacablement développée ; quant au livre du second, nous l’avons vu, il fait porter tout le poids de ses critiques contre le clan des Soares-Vasconcelos. Le déroulement de la procédure engagée après la Restauraçao se ressent fortement de l’activité déployée par Jerónimo de Mascarenhas. C’est ainsi que Diogo Soares est doublement accusé de haute trahison : il aurait délibérément menti au ComteDuc en lui faisant croire que toute la noblesse portugaise était disposée à recruter des troupes sur ses terres pour participer à la guerre sur le front catalan, et il aurait de plus saboté la préparation de la flotte commandée par le comte de la Torre, Fernando de Mascarenhas, pour porter secours à Jorge de Mascarenhas, alors vice-roi du Brésil. À l’évidence, les Mascarenhas essayaient ainsi de laver la tache de leurs échecs militaires des années 1639-1640.
4La procédure rouverte contre Diogo Soares ne semble pas avoir été conclue avant sa mort biologique, en 1649. Elle entraînait, même sans que fût prononcée une sentence, la mort politique de ce haut personnage. En effet, soumis à une visita, le secrétaire d’État se trouva suspendu de ses charges au Conseil de Portugal et au Conseil des finances de Madrid jusqu’à sa disparition. Diogo Soares, dans la contre-offensive qu’il organise — en vain — pour faire reculer ses adversaires, décrivait admirablement ce processus de perte d’influence politique qu’il ne parvenait pas à enrayer :
On veut assurer ses affaires en choisissant le parti où se trouve la bonne fortune et fuir les lieux menacés des éclairs, et le mal d’être poursuivi en justice est contagieux [...]. C’est ainsi que plus personne ne connaît ma demeure, personne ne s’y rend, et nombreux sont ceux qui, me voyant dans la rue, pour ne pas avoir à me parler détournent leur visage ou changent de direction4.
5La Junta de Portugal, dont il est alors exclu et où siège en revanche son ennemi juré Cid de Almeida, recommande même qu’il soit exilé de la Cour afin d’éviter qu’il n’intimide les personnes appelées à témoigner contre lui. Le greffier de la procédure intentée contre lui communique à ses adversaires les papiers saisis à son secrétariat. C’est le point essentiel car, n’étant plus maître de ses archives, le secrétaire d’État perd l’essentiel de son influence. En outre, grâce à ces papiers on fait grande publicité des offices, charges, honneurs et anoblissements vendus par Diogo Soares. Aussitôt les acheteurs voient leurs titres se dévaluer :
La rumeur circulait entre tous les Portugais ; elle en fit rougir plus d’un et fit tiédir leur amour pour leur prince car ils se trouvaient alors non seulement dépouillés des sommes qu’ils avaient versées au Roi, mais aussi des honneurs qu’ils avaient reçus [en échange]5.
6Diogo Soares voit donc, impuissant, sa clientèle se déliter.
7Les coups les plus durs portés contre le secrétaire d’État vinrent cependant de la clique des Castillans de Lisbonne, soucieux de se dédouaner de toute responsabilité dans le naufrage de 1640 : le marquis de la Puebla en tête, mais aussi Pedro de la Mota Sarmiento, le majordome de Marguerite6, la princesse elle-même et Mansueto Meroti, son confesseur italien. Pedro de la Mota Sarmiento diffuse à la Cour un récit bien particulier du 1er décembre. D’après le majordome de la vice-reine, la plupart des nobles qui avaient participé à l’assassinat de Miguel de Vasconcelos auraient pu être retournés en faveur du loyalisme dans la nuit du 1er au 2 décembre 1640 si Marguerite avait pu leur donner l’assurance que Diogo Soares serait immédiatement destitué. La vice-reine se serait même engagée à supplier le roi de ne pas exercer de représailles sur les assassins, pour autant qu’ils eussent manifesté leur attachement à Philippe IV. Cela revenait à limiter le mouvement de 1640 à une révolte de palais dirigée contre un tandem ministériel honni. S’agit-il là d’une interprétation des événements ou d’un simple argument dans la rhétorique d’accusation contre Diogo Soares ? Il est impossible de trancher. En tout cas, la diffusion de cette histoire « à chaud » des événements de 1640 faisait du secrétaire d’État, à demi déchu, le parfait bouc émissaire de tous les échecs, celui des Portugais de la cour de Madrid comme celui des Castillans de Lisbonne. Trop d’intérêts étaient alors coalisés pour que le secrétaire d’État l’emportât sur ses adversaires. S’il ne fut pas condamné, la procédure ne fut jamais close, en sorte qu’il lui fut impossible de reprendre pied dans la polysynodie madrilène. Diogo Soares devait disparaître, en 1649, sans avoir retrouvé la moindre influence à la Cour. Il fut ainsi le seul olivariste historique que le Comte-Duc entraîna définitivement dans sa chute.
Notes de bas de page
1 Fernando Bouza Álvarez, « Entre dos reinos, una patria. Fidalgos Portugueses en la monarquía hispánica después de 1640 », Estudis. Revista de Historia Moderna, 20, 1994, pp. 83-103.
2 La liasse 819 de la section CJH de Simancas donne le détail d’une première série de paiements aux Portugais fidèles, datée de novembre 1641.
3 Le livre du père Seyner se trouve effectivement dans la bibliothèque de don Diego de Riaño y Gamboa, chez le comte de Bornos.
4 BNM, ms. 2363, fos 180-217, Mémoire de Diogo Soares, § 25.
5 BNM, ms. 2363, fos 180-217, Mémoire de Diogo Soares, § 117.
6 BNM, Porcones, 303/13, Alegación en derecho contra don Pedro de la Mota Sarmiento ; ACΒ, Visita de Diogo Soares, vol. II, Alegación de don Pedro de la Mota Sarmiento ; ΒL Add., 28075, fos 106-131, Respuerta a los papeles que hiço do Pedro de la Mota Sarmiento con pretexto de defenderse del delicto que se le impuso de Magestad ofendida.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les archevêques de Mayence et la présence espagnole dans le Saint-Empire
(xvie-xviie siècle)
Étienne Bourdeu
2016
Hibera in terra miles
Les armées romaines et la conquête de l'Hispanie sous la république (218-45 av. J.-C.)
François Cadiou
2008
Au nom du roi
Pratique diplomatique et pouvoir durant le règne de Jacques II d'Aragon (1291-1327)
Stéphane Péquignot
2009
Le spectre du jacobinisme
L'expérience constitutionnelle française et le premier libéralisme espagnol
Jean-Baptiste Busaall
2012
Imperator Hispaniae
Les idéologies impériales dans le royaume de León (ixe-xiie siècles)
Hélène Sirantoine
2013
Société minière et monde métis
Le centre-nord de la Nouvelle Espagne au xviiie siècle
Soizic Croguennec
2015