Chronologie et institutions
p. 15-27
Texte intégral
1Avant d’analyser les aspects les plus importants de la production de textes portant sur la politique, il est indispensable d’avoir en mémoire les principales étapes de la période ainsi que les définitions institutionnelles essentielles. Les pages qui suivent doivent permettre au lecteur de mieux saisir le contexte politique dans lequel s’inscrivent les discours et documents appelés à témoigner.
2Pendant les années 1621-1640, quelques grands événements ont durablement marqué l’histoire du Portugal. L’accélération des pertes subies par l’Empire dans l’océan Indien, en Afrique et au Brésil est le fait le plus important1. Le règne de Philippe IV s’ouvre sur la prise d’Ormuz par une flotte anglo-perse (mai 1621). Trois ans plus tard, le 10 mai 1624, Bahia tombe aux mains des Hollandais. Après l’annus mirabilis de 1625, qui vit la reconquête de Bahia, la reddition de Breda et l’échec de l’offensive anglaise contre Cadix, le déclin de l’Empire portugais se confirme. Les troupes hollandaises prennent Olinda en 1630 : l’échec de la monarchie hispanique au Brésil est sanctionné par l’installation durable des Hollandais de Maurice de Nassau au Pernambouc et des Français au Maranhão. Parties à la recherche d’esclaves depuis leur base du Pernambouc, les troupes de Nassau prennent le 20 août 1637 le comptoir de São Jorge da Mina, dans le golfe de Guinée. En 1640, les menaces que faisaient peser sur Malacca les entreprises conjointes du roi d’Achem et de la Compagnie hollandaise des Indes orientales sont sur le point de se convertir en offensive victorieuse. Cette conjoncture souligne une crise économique et démographique sans précédent au Portugal. L’effondrement du commerce colonial affecte de façon décisive les finances royales, car les droits qu’il produit constituent le premier poste des revenus de la Couronne2.
3La chronologie des grands événements du règne peut être esquissée ainsi :
1621 | Dénonciation de l’action du vice-roi, comte de Saliras et marquis d’Alenquer, qui est relevé de ses fonctions. |
1624-1625· | La noblesse portugaise se mobilise pour la reprise de Bahia. |
1628-1629 | Le marquis de Castelo Rodrigo, Manuel de Moura, est chargé d’établir une renda fixa. Soulèvements antifiscaux. |
1631 | Création de la Junta da Fazenda ; arrivée de Diogo Soares à Madrid. |
1635 | Formation du gouvernement de la vice-reine Marguerite de Mantoue. |
1637-1638 | Cycle des révoltes d’Alentejo et d’Algarve3. |
1638 | Convocation à Madrid des principales personnalités portugaises. Suppression du Conseil de Portugal. |
1639-1640 | Mobilisation de la noblesse portugaise pour la défense du Portugal, puis pour la guerre de Catalogne. |
4Durant cette période, le gouvernement fut d’abord assuré par des collèges de gouverneurs portugais, puis par des vice-rois portugais et enfin par une vice-reine de sang royal, Marguerite de Mantoue. La chronologie est la suivante4 :
1617 | Diego de Silva, marquis d’Alenquer, est nommé vice-roi (25 mars). |
1619 | Le marquis d’Alenquer, vice-roi, est nommé capitaine général (23 octobre). |
1621 | Le marquis d’Alenquer, vice-roi, est relevé de ses fonctions. Un collège de trois gouverneurs est nommé : Martim Afonso Mexia, évêque de Coimbra, Diogo de Castro, comte de Basto, et Nuno Alvares de Portugal (23 juillet). |
1623 | Mort de Nuno Alvares de Portugal (12 février) et de l’évêque de Coimbra (30 août). Le comte de Portalegre, Diogo de Silva, est nommé gouverneur, charge qu’il exerce avec le comte de Basto, seul survivant du collège nommé en 1621 (26 septembre). |
1626 | Afonso Furtado de Mendoça, archevêque de Lisbonne, est nommé gouverneur (13 septembre). |
1627 | Le comte de Portalegre quitte le gouvernement (6 avril). |
1630 | Mort de l’archevêque Afonso Furtado de Mendoça (3 juin). |
1631 | Le comte de Basto quitte son poste de gouverneur. |
1631 | Nuno de Mendoça, comte de Valldereis, et António de Ataide, comte de Castro Daire, sont nommés gouverneurs (14 août), |
1632 | Mort de Nuno de Mendoça comte de Valldereis (1er avril). Le comte de Castro Daire reste seul gouverneur. |
1633 | João Manuel, archevêque de Lisbonne, est nommé vice-roi (29 avril). — Il meurt avant d’entrer en charge (4 juin). — Diogo de Castro, comte de Basto, est nommé vice-roi (14 juin). |
1634 | Marguerite de Mantoue est nommée vice-reine et capitaine générale (30 novembre). |
5Alors que Philippe III de Castille n’avait pas hésité à faire vice-rois deux hommes dont la naturalité portugaise était contestée par les sujets portugais (il s’agit de Christovão de Moura, marquis de Castel Rodrigo, et de Diego de Silva, marquis d’Alenquer), Philippe IV ne désigna jamais que des Portugais incontestables ou une personne du sang royal. Ce faisant, il demeurait davantage fidèle à l’esprit du compromis accordé au cours des Cortes de Tomar, en 1581. Cependant, le fait de conférer la vice-royauté unipersonnelle à des personnes n’appartenant pas au sang royal (l’archevêque João Manuel et le comte de Basto) constitue une entorse au principe de la collégialité.
6Pour comprendre aussi bien les dissertations politico-juridiques dont traite notre premier chapitre que les documents d’archives, il est nécessaire de définir les principaux organes de décision du Royaume5. Le roi, en tant que roi du Portugal, gouverne la Couronne en son Conseil de Portugal (Consejo de Portugal). Créé par Philippe II à son départ de Lisbonne en 1583 et siégeant toujours auprès du roi, celui-ci est le tribunal qui donne son avis (consulta) pour toute décision relevant de la justice et de la grâce royale et concernant des sujets portugais. Il doit faire enregistrer tous ses arrêts par les tribunaux portugais. Ce tribunal pallie l’absence physique du roi : il est dissous lorsque le roi, comme ce fut le cas avec Philippe III en 1619, est présent en son Royaume. En règle générale, le roi est représenté par un alter ego, le vice-roi6. Les accords passés lors des Cortes de Tomar prévoyaient que la personne du roi pouvait être incarnée soit par une personne du sang royal, soit par un collège de gouverneurs tous portugais. En théorie, la vice-royauté et le Conseil de Portugal abolissent la distance qui sépare le roi de ses sujets, à une époque où la présence physique du monarque auprès de ses vassaux est donné pour une clef de la félicité politique7 et intervient si fortement dans la construction culturelle du statut de capitale, en l’occurrence celui de Lisbonne8.
7Les nominations de vice-rois ou de gouverneurs intervenues entre 1583 et 1640 semblent obéir à des critères fluctuants. La désignation de personnalités considérées comme plutôt castillanes (Christovão de Moura marquis de Castelo Rodrigo, Diego de Silva marquis d’Alenquer) ou la désignation d’un vice-roi n’appartenant pas à la famille royale (l’archevêque João Manuel, Diogo de Castro, comte de Basto) constituent des entorses aux accords. Elles peuvent fournir des arguments aux dissidents mais ne font réellement scandale que lorsqu’elles s’accompagnent d’infractions commises à d’autres niveaux de l’organisation de la Couronne.
8Le Conseil de Portugal, est lui aussi, sujet à variations, dans sa composition, son règlement et son fonctionnement. Ces évolutions ont été décrites par Santiago de Luxan Meléndez9, La fonction du Conseil consiste à représenter auprès du roi les tribunaux de la Couronne de Portugal pour les affaires relevant de la justice ordinaire et ecclésiastique, de la justice extraordinaire et de la grâce et, enfin, de l’économie du domaine royal portugais. Toute décision du roi concernant son Royaume doit faire l’objet d’une consultation auprès du Conseil avant d’être transmise à la Chancellerie de Lisbonne et aux tribunaux concernés. Toute autre voie de communication politique s’écarte du schéma institutionnel dessiné aux Cortes de Tomar. C’est le cas par exemple de la correspondance qui s’établit entre une junta (tribunal ad hoc) madrilène et le vice-roi sans le contrôle du Consejo, ou de la transmission de dispositions à travers un réseau de magistrats portugais individuellement gagnés à la cause du favori du roi. Le Conseil de Portugal n’est ni un organe muet de transmission obéissant à la volonté du roi et de son favori, ni un théâtre d’opposition systématique : c’est le lieu où se négocient jour après jour l’orientation des décisions concernant le Portugal et, par conséquent, les modalités d’exercice de l’autorité royale par le prince absent. Le système apparent est calqué sur la hiérarchie des dignités : officiellement, ce sont les juristes, prélats et aristocrates revêtus du titre de conseillers qui décident. Le système réel, comme c’est le cas pour d’autres consejos de la polysynodie, repose d’abord sur le travail du secrétariat du Conseil. Le Conseil de Portugal connaît deux éclipses : en 1619, lorsque le roi se rend à Lisbonne pour y ouvrir les travaux des Cortes, et en 1638, lorsque lui sont substituées deux Juntas de Portugal établies l’une à Madrid et l’autre à Lisbonne.
9Les juridictions portugaises héritées de la polysynodie du XVIe siècle demeurent toutes en place. Par bien des aspects, l’organigramme des tribunaux, tel qu’il fonctionnait à la veille de la disparition du roi Sébastien, rappelle le système castillan. Quelques définitions schématiques s’imposent.
10Le Desembargo do Paço. — Le recueil des Ordenações Filipinas définit ses fonctions, après le règlement approuvé par Philippe II le 27 juillet 1582. Ce tribunal a pour première fonction de contrôler le recrutement des magistrats et de les surveiller dans l’exercice de leur charge. C’est l’organe de la justice distributive. Il fait passer la leitura de bachareis, examen d’accès à toute magistrature royale. Son contrôle s’étend à l’ensemble des professions juridiques : juges ordinaires, notaires, avocats. Le Desembargo do Paço doit également trancher les conflits entre les autres tribunaux du roi. C’est pourquoi cette institution est située au sommet de la hiérarchie des organes de la Couronne, de la même façon que la charge de desembargador do Paço représente le sommet du cursus honorum des magistrats. Ce tribunal accorde dispenses, actes de légitimation et autres pièces relevant de la justice et de la grâce royales. Dans l’équilibre des autorités, le Desernbargo do Paço est donc le lieu d’expression spécifique de la pensée et de la culture des juristes. Ses avis sont déterminants pour vérifier la conformité au droit des décisions du roi.
11La Mesa da Consciência e Ordens. — Il s’agit d’un tribunal spécialisé dans le traitement des affaires touchant l’Église, les ordres militaires et les universités. C’est l’instance de gestion du patronage royal et d’exercice de la juridiction royale sur les chevaliers des ordres militaires, incorporés en 1551 à la couronne de Portugal (ordre du Christ, ordre d’Avis, ordre de Saint-Jacques). Il connaît de toutes les causes concernant le contentieux financier des couvents et contrôle la distribution des chapellenies et donations pieuses.
12Le Saint-Office de l’Inquisition portugaise. — Il demeure indépendant de la Mesa da Consciência. Ses trois grands tribunaux sont Lisbonne, Coimbra et Évora.
13La Casa da Supplicação (ou Relação de Lisboa) et la Casa do Civel (ou Relação da Casa de Porto). — Ce sont les deux tribunaux royaux d’appel pour les causes civiles comme pour les causes criminelles. La répartition territoriale réclamée depuis les Cortes d’Évora en 1535 est réalisée par Philippe II le 27 juillet 1582. À partir de cette date, la Casa do Civel, située à Lisbonne, se déplace à Porto et prend le titre officiel de Relação da Casa do Porto. Son ressort est ainsi défini : Entre-Douro-e-Minho, Trás-os-Montes (moins Castelobranco), comarques de Coimbra et d’Esgueira. La Casa da Supplicação de Lisbonne exerce sa juridiction sur le reste de la Couronne ainsi que sur les îles (Madère, Açores) et même sur Poutre-mer. Les Relações portugaises peuvent être amenées à formuler des avis (asentos) concernant les ordonnances royales et les lois nouvelles. Il existe également une Relaçào à Goa pour l’océan Indien et à San Salvador de Bahia pourle Brésil.
14Le Conselho da Fazenda. — C’est à Philippe II que l’on doit l’organisation des traditionnelles veedorias da Fazenda (« inspections des finances ») en un Conseil des finances, dont le règlement fut promulgué le 20 novembre 1591. Les membres du Conselho da Fazenda exercent un contrôle sur les officiers de finance, administrent les biens particuliers du roi et ratifient les contrats et les aliénations portant sur les revenus de la Couronne. Ils tranchent en appel dans les litiges opposant trésoriers du domaine et donataires des biens de la Couronne. Des sections spécialisées du Conseil exercent leur juridiction sur les douanes et les arsenaux, le tribunal des comptes et l’administration du commerce monopolistique avec l’outre-mer (Casa da India).
15Le Conselho das Indias. — Il s’agit d’une création des Habsbourg du Portugal. Ce Conseil, dont le règlement fut promulgué le 26 juillet 1604, exerce sa juridiction sur les conquêtes d’outre-mer excepté les îles et les présides du Maroc. Mais de nombreux conflits de compétence, notamment avec le Conselho da Fazenda, empêchent cette institution de bien fonctionner. Elle s’éteint le 21 mai 1614, avant même l’avènement de Philippe IV.
16Le Conselho de Estado de Lisbonne. — Il s’agit, comme en Castille, du Conseil privé du roi, chargé de débattre des grandes questions touchant à la Couronne, surtout en matière de politique extérieure. Choisis par le roi dans l’élite naturelle du Royaume, prélats et magnats, éventuellement juristes de renom, les conseillers peuvent adresser leurs remarques au roi lorsqu’il les consulte par l’intermédiaire du vice-roi. Sous le régime vice-royal, le Conselho de Estado de Lisbonne opère comme le grand conseil assesseur du représentant du roi. C’est pourquoi la fonction de secrétaire d’État (secretario de Estado), c’est-à-dire de secrétaire du Conselho de Estado, est un poste clef dans la transmission des décisions de portée générale et des informations envoyées à la Cour.
17Le Consejo de Estado de Madrid. — Chargé de se prononcer sur les grandes décisions concernant l’organisation et la défense de l’ensemble de la monarchie hispanique, il eut fréquemment à se mêler d’affaires portugaises, non sans convoquer à cet effet telle ou telle personnalité portugaise.
18De même, le Consejo de Guerra castillan exerçait sa juridiction sur les troupes stationnées dans les présides castillans établis sur le littoral portugais. Le capitaine général — qui parfois n’était autre que le vice-roi lui-même (ce fut le cas pour l’archiduc Albert, le marquis d’Alenquer et Marguerite de Mantoue) —, autorité militaire supérieure pour la juridiction des contingents non portugais, dépendait du Consejo de Guerra castillan et de ses juntas (Junta de Armadas, Junta del Mar Océano). L’existence des présides, leur persistance au-delà de la période de conquête et de pacification des années 1581-1583, est la plus visible des infractions aux conditions arrêtées à Tomar. Mais elle constitue aussi la garantie de la participation financière de la couronne de Castille à la défense du Portugal. Des entreprises communes heureuses, comme l’expédition conjointe qui reprit Bahia en 1625, ou malheureuses, comme l’Invincible Armada ou la flotte des Dunes, sont le résultat de cette situation, héritée des conditions dans lesquelles la couronne portugaise fut captée par la monarchie hispanique.
19Le maintien de toutes les institutions juridictionnelles portugaises au sein de la monarchie hispanique et leur renforcement même par l’ajout d’un Conseil de Portugal, siégeant auprès du roi et garant de l’organisation juridictionnelle de la Couronne, sont des clauses fondamentales du compromis de Tomar. L’obligation faite au roi du Portugal de n’accorder de charges et de magistratures qu’à des sujets portugais complète le dispositif. Ce qu’António Manuel Hespanha désigne comme la constitution des pouvoirs garantit une autonomie — prenons ce terme dans son sens étymologique — totale de la Couronne dans l’architecture de la Monarchie. Récemment, plusieurs historiens portugais n’ont pas hésité à affirmer que le Portugal demeurait sous les Habsbourg un royaume indépendant10. Le maintien du système polysynodal perpétue le gouvernement des juges puisque, pour l’essentiel, les avis (consultas) des Conseils sont l’œuvre de juristes soucieux de reproduire les manières de faire propres à leurs corps : derrière l’exclusivisme national s’exprime la spécificité de la gestion traditionnelle des affaires.
20Pourtant, en dehors des mécanismes légitimes d’exercice de l’autorité (la décision royale orientée parles avis juridiquement fondés des magistrats des Conseils), d’autres véhicules et sources d’autorité voient le jour à l’échelle de la Monarchie en général et de la Couronne portugaise en particulier. La création des juntas en marge des Conseils de Madrid est pratiquement contemporaine de la définition du système des Conseils tel qu’il a fonctionné du milieu du XVIe siècle à la fin du XVIIe siècle, Les juntas accélèrent les procédures non parce qu’elles recourent à des techniques de décision différentes de celles des Conseils, mais parce qu’elles allègent le travail de ceux-ci en dessinant des aires de spécialisation. Elles concernent des sujets sensibles ou des situations de crise et elles apparaissent alors comme le lieu idéal de discussion des modalités d’imposition de l’extraordinaire fiscal. Dès le règne de Philippe II, la Couronne portugaise se dote d’une Junta da Faizenda11. Celle-ci renaît du temps d’Olivares, à partir de 163112.
21Le système de la polysynodie est également affecté dans son fonctionnement par l’affirmation du ministériat (valimiento). Le ministériat, dont les premières manifestations remontent au règne de Philippe II, entouré de ses secrétaires d’État, et de Sébastien, avec ses escrivaês da puridade, trouve sa forme classique dans le favori de Philippe III, le duc de Lerma13. Le valido se pose en intermédiaire entre le monarque et ses conseillers juristes, magnats ou prélats, c’est-à-dire entre le roi et le Royaume. Son autorité dépend du bon vouloir du Prince et devient centrale dans le dispositif gouvernemental, dans la mesure où seul le valido, avec le roi, est en situation de présider aux consultations de l’ensemble des Conseils de la Monarchie. Dans une société de cour en formation, l’amitié qui le lie au monarque le place au sommet de la Maison du roi, dont il distribue charges et offices. Sous le règne de Philippe III, le monopole de l’accès direct au roi concentré entre les mains d’un haut personnage et le recours aux juntas deviennent les caractéristiques principales du gouvernement monarchique14. Sur ces deux points, le comte-duc d’Olivares n’innove pas15.
22On a pourtant insisté sur la rupture politique que constitue le ministériat d’Olivares. Le recours à l’extraordinaire fiscal et, surtout, la formulation d’un programme de réforme politique définissent ce régime nouveau, qui s’appuie sur les deux instances héritées des règnes antérieurs, le ministériat et les juntas. On sort de ce qu’António Manuel Hespanha qualifie d’« administration passive de la justice » pour entrer dans l’ère des programmes d’action. Le régime politique instauré par Olivares prétend construire un système de prise de décisions plus cohérent que les précédents. Tandis que des recherches récentes semblent confirmer l’absence d’un programme d’action chez le duc de Lerma, favori de Philippe III16, le cas du comte-duc est bien différent. Olivares exerce le pouvoir avec des objectifs et des méthodes définis par lui seul, et cette caractéristique nouvelle fait la force, mais aussi la principale faiblesse de son ministère : en s’attaquant soit à l’homme (ou à sa coterie), soit à ses projets, soit à ses méthodes, c’est l’ensemble de l’édifice qu’on atteint. Le verrouillage du système — sa rationalité, pour qui y voit une préfiguration du despotisme éclairé — vaut au favori du roi l’accusation d’usurpation. Le favori recourt régulièrement à des juntas, souvent convoquées dans ses appartements au palais, pour atteindre les objectifs de son programme de mise en commun et de réciprocité de l’effort financier et militaire fourni par les différents royaumes de la Monarchie. Bien que située au centre du système, la Cour ne dispose cependant pas d’une faculté pour ainsi dire panoptique lui permettant d’observer les différents corps de la société et de commander à chacun d’eux17. L’omniprésence d’Olivares et des siens auprès des principales juridictions du Royaume ne réduit aucunement la pluralité juridictionnelle de l’ensemble du système.
23Le secrétariat d’État du Portugal, en principe confié à un officier formé à l’écriture des actes officiels plutôt qu’à un magistrat, a pour rôle de relayer les décisions adoptées par le circuit parallèle des juntas créées par le favori. Le secrétariat du Conseil de Portugal à Madrid et celui du Conseil d’État à Lisbonne eurent une importance considérable pendant toute la période, surtout lorsque les deux fonctions furent remplies par les membres d’une même famille, Miguel de Vasconcelos et son beau-frère (puis gendre) Diogo Soares, soit de 1631 à 1640. En somme, le respect de l’architecture institutionnelle héritée de la dynastie des Avis se double d’un système parallèle de communication politique et de circulation des décisions, établi dans une conjoncture de crise. Le resserrement du système autour du favori et de son programme produit des changements institutionnels au Portugal, entraînant notamment la création de juridictions nouvelles et une hypertrophie de l’autorité accordée aux secrétaires. La politique d’Olivares pose donc un problème « constitutionnel »18.
24La gestion partagée de la défense de la couronne portugaise questionne, elle aussi, la validité des accords de 1581. L’installation des présides sur la côte portugaise, qui eut lieu en 1581 lors de la campagne militaire du duc d’Albe, devait être temporaire. Or, jamais le réseau de citadelles castillanes ne fut démantelé. La juridiction militaire du capitaine général empiète sur celle de certaines institutions portuaires, notamment les tribunaux des douanes. Lorsque des flottes conjointes sont organisées, sous l’autorité de la capitainerie générale pour les effectifs castillans, sous celle du vice-roi et de son Conseil d’État pour les équipages portugais, des situations de confrontation ou de contamination d’autorité apparaissent. On peut donc affirmer qu’en dépit de l’autonomie juridictionnelle dont jouit le Portugal, des juridictions castillanes sont amenées à connaître des affaires portugaises, et cela depuis le début de l’union dynastique.
Annexe
APPENDICE
I. — Les institutions portugaises au temps de l’union dynastique (p. 25).
II. —Généalogie croisée des Habsbourg et des Avis (p. 26).
III. — Généalogie des candidats au trône en 1580 et de Jean IV de Portugal (p. 27).
Sources
Santiago de Luxán Meléndez, La Revolución de 1640 en Portugal, sus fundamentos sociales y sus caracteres nacionales. El Consejo de Portugal (1580-1640), Madrid, Universidad Complutense, 1988.
Fernando Bouza Álvarez, Portugal en la monarquía hispánica (1580-1640). Felipe II, las Cortes de Tomar y la génesis del Portugal católico, Madrid, Universidad Complutense, 1987.
José M. Subtil, « A administração central dacoroa », dansjoaquim Romero Magalhães (coord.), No alvorecer da modernidade, t. III de José Mattoso (dir.), História de Portugal, Lisbonne, Estampa, 1993, pp. 78-90.
— « Governo e administração », dans António Manuel Hespanha (coord.), Ο Antigo Regime (1620-1805), t· IV de J. Mattoso (dir.), História de Portugal, Lisbonne, Estampa, 1993, pp. 157-193.
Notes de bas de page
1 Charles R. Boxer, Ο império marítimo português (1415-1825), [1969], Lisbonne, Edições 70, [992, pp. 115-133 ; Anthony R. Disney, A decadência do império da pimenta. Comércio português na India no início do século XVII, Lisbonne, Edições 70, 1981.
2 António Manuel Hespanha, AS Vésperas do Leviathan (2 vol.), t. I, Lisbonne, 1986, pp. 166-192 (cité Hespanha, AS Vésperas).
3 C’est le mot Alentejo, plus commode d’emploi, qui sera utilisé dans la présente étude, et non pas Entre-Tejo-e-Guadiana (voir carte des provinces p. 489).
4 BL Add., 20949, fos 341 sq.
5 António Manuel Hespanha, História das instituições. Epocas medieval e moderna, Coimbra, Almedina, 1982 ; Id., AS Vésperas, pp. 327-350 ; Id., Poder e instituições no Antigo Regime. Guia de estudo, Lisbonne, Cosmos, 1992, pp. 35-55 ; José Subtil, « Os poderes do centro », dans António Manuel Hespanha (coord.), O Antigo Regime (1620-1807), t. IV de J. Mattoso (dir.), Historia de Portugal, Lisbonne, Estampa, 1993, pp. 157-203.
6 Fernando Bouza Álvarez, « La “soledad” de los reinos y la “semejanza del rey”. Los virreinatos de Príncipes en el Portugal de los Felipes », dans Massimo Ganci et Ruggiero Romano (éd.), Govemare il mondo. L’impero spagnolo dal XV al XIX secolo, Palerme, Società Siciliana per la Storia Patria, 1991, pp. 125-139.
7 António Manuel Hespanha,« La Corte », dans Id., La gracia del derecho. Economía de la cultura en la Edad Modema, Madrid, Centra de Estudios Constitucionales, 1993, pp. 177-202, voir pp. 188-190 ; Id., « Revueltas y revoluciones », dans La gracia del derecho, op. cit., pp. 302-309 ; Diogo Ramada Curto, « Ritos e ceremónias da monarquia em Portugal », dans Francisco Bethencourt et Diogo Ramada Curto (éd.), A Memória da Nação, Lisbonne, Sá da Costa, 1991, pp. 249-278 ; Id., « ACapela Real : um espaço de conflitos (séculos xvi-xviii) », dans Espritualidade e Corte em Portugal (séculos XVI-XVIII), Porto, Universidade de Porto, 1993, pp. 143-154.
8 Fernando Bouza Álvarez, « Lisboa sozinha, quase viúva. A cidade e a mudança da Corte no Portugal dos Filipes », Penélope. Fazer e desfazer a História, 13, 1993, pp. 71-93.
9 Santiago de Luxán Meléndez, La Revolución de 1640 en Portugal sus fundamentos sociales y sus caracteres nacionales. El Consejo de Portugal (1580-1640), Madrid, Universidad Complutense, 1988.
10 António Manuel Hespanha, « As faces de uma “revolução” », Penélope. Fazere desfazer a História, 9-10, 1993, pp. 7-16 ; Joaquim Romero Magalhães, « Filipe II (I de Portugal) », dans Id. (coord.), No alvorecer da modernidade, t. III de José Mattoso (dir.), História de Portugal, Lisbonne, Estampa, 1993, p. 568.
11 Santiago de Luxán Meléndez, « El control de la hacienda portuguesa desde el poder cencentral : la Junta de Hacienda de Portugal (1602-1608) », dans José Ignacio Fortea Pérez et Carmen Cremades Griñán (éd.), Politica y Hacienda en el Antiguo Régimen. II Reunión de la Asociación Española de Historia Moderna, t. I, Murcie, Universidad de Murcia, 1992, pp. 377-388.
12 António de Oliveira, « Ο atentado contra Miguel de Vasconcelos em 1634 », Ο Institute, CXL-CXLI, 1980-1981, pp. 9-41.
13 Francisco Tomás y Valiente, Los validas en la monarquía española del siglo xvii. Estudio institucional, Madrid, Siglo XXI, 1982 ; Antonio Feros Carrasco, « Lerma y Olivares : la práctica del valimiento en la primera mitad del seiscientos », dans John H. Elliott et Ángel García Sanz (éd.), La España del conde-duque de Olivares, Valladolid, Universidad de Valladolid, 1991, pp. 195-224 ; Antonio Feros Carrasco, The King’s Favorite. The Duke of Lerma. Power, Wealth and Court Culture in the Reign of Philip III of Spain (1598-1621), Baltimore, The Johns Hopkins University, 1994 (polycopié).
14 Id., Gobierno de Cortey Patronazgo Real en el reinado de Felipe III (1598-1618), Madrid, Universidad Autónoma de Madrid, 1986 (polycopié) ; Santiago de Luxán Meléndez, « La junta del padre confesor en materias de Portugal (1621-1631). Contribución al estudio del sistema de juntas en el Antiguo Régimen », Revista Islenha, 7, juillet-décembre 1990, pp. 66-72 ; Francesco Benigno, L’ombra del rè. Ministri e lotta politico nella Spagna del Seicento, Venise, Saggi Marsilio, 1992, pp. 6-12.
15 John H. Elliott, El conde-duque de Olivares y la herencia de Felipe II, Valladolid, Universidad de Valladolid, 1977 ; Benjamín González Alonso, « El conde-duque de Olivares y la administración de su tiempo », Anuario de Historia del Derecho Español, 59, 1989, pp. 5-48.
16 Bernardo García García, Paz, desempeño y reputación en la política exterior del duque de Lerma (1598-1618), Madrid, Universidad Complutense, 1994 (polycopié).
17 Jean-Frédéric Schaub, « L’État quotidien : entre arbitrisme et révolte, la gabelle au temps du comte-duc d’Olivares », dans Jean-Frédéric Schaub (éd.), Recherche sur l’État dans le monde ibérique (XVe-XXe siècle), Paris, Presses de l’École Normale Supérieure, 1993, pp. 21-50.
18 António Manuel Hespanha, « Ο governo dos Austrias e a “modernização” da consrituiçâo politica portuguesa », Penélope. Fazere desfazera historia, 2, 1989, pp. 48-74.
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