Chapitre premier
La cathédrale, un centre de pouvoir au sortir de la guerre
p. 15-63
Texte intégral
I. — Qui dirige la cathédrale ?
Pouvoir de l’évêque, pouvoir des chanoines
1« Responsable devant Dieu du peuple qui lui a été confié, l’évêque doit le guider dans la voie du salut. Pasteur du troupeau, il jouit sur son territoire d’une autorité à la mesure de sa charge », écrit Jean Gaudemet en guise de premier élément de définition du statut et des fonctions de l’évêque1. En effet, l’évêque constitue la figure principale de la cathédrale et, par extension, du clergé du diocèse. Il en est le responsable et le supérieur hiérarchique. Plus haute incarnation de l’autorité ecclésiastique au niveau local — dans le cas de Barcelone, l’archevêque de Tarragone, métropolitain, étant le dernier échelon qui le sépare de l’autorité directe du pape —, l’évêque est intimement associé à sa cathédrale, de droit, dans la pratique et symboliquement. Comme le résume Jean-Louis Biget, du point de vue de la juridiction ecclésiastique, la cathédrale est l’église « d’où procèdent les autres églises du diocèse et où se regroupent, lors des synodes, les curés et les clercs qui desservent celles-ci2 ». Néanmoins, les contours du pouvoir de l’évêque lui-même et celui de ses auxiliaires à la cathédrale — c’est-à-dire du chapitre de chanoines — demandent une définition non seulement générale, mais aussi recentrée sur chaque cas local considéré, soit, ici, sur le siège épiscopal de Barcelone.
2Associé à son église par un lien que le droit canon assimile à celui des noces, l’évêque dispose d’un pouvoir de juridiction, de nomination et de diffusion des sacrements3. À son pouvoir spirituel s’ajoute son autorité seigneuriale. L’un comme l’autre s’exercent sur des territoires qui souvent se recoupent : le diocèse pour ce qui est de la dimension spirituelle, et, pour ce qui est de la dimension seigneuriale, un temporel le plus souvent ancré dans un espace proche4. À ces composantes institutionnelles du pouvoir épiscopal s’ajoute, également, le prestige social que confère cette haute prélature5. De ce fait, l’évêque est indéniablement un personnage puissant en ses territoires, économiquement et socialement. Mais le cœur et le siège de ceux-ci, à tous égards, se trouvent en ville : il s’agit de la cathédrale.
3Le siège de l’évêché constitue, dans le même temps, un centre administratif et fonctionnel, à la fois du diocèse et de la seigneurie. Néanmoins, une fois cela posé, il apparaît vite que l’ensemble de ces pouvoirs, de ces modalités du rayonnement épiscopal, sont plus simples à définir dans la théorie que dans la pratique6. Ce constat se vérifie tout particulièrement dans les contextes où le chef-lieu du diocèse n’est pas une cité sous seigneurie épiscopale, c’est-à-dire dans la situation que connaît la ville de Barcelone au bas Moyen Âge7.
4Selon les villes, selon les diocèses, l’évêque dispose en effet d’une seigneurie plus ou moins élargie, du point de vue territorial, mais également de celui de l’ampleur de ses droits seigneuriaux. Ainsi l’archevêque de Tarragone est-il coseigneur de sa cité jusqu’au xve siècle8, alors que, à la même époque, l’évêque de Barcelone ne dispose pas de droits banaux sur la ville9. Laissant de côté la définition juridique du pouvoir épiscopal, dans la pratique, l’évêque est également plus ou moins impliqué, au quotidien, dans la vie de la cité10. Il s’avère donc particulièrement délicat, au bas Moyen Âge, de parler de la place qu’il y occupe de façon générique11 — l’historiographie postule même parfois que la tâche est impossible12. Ni la péninsule Ibérique ni la Catalogne ne constituent un apax : pour ce qui est du pouvoir épiscopal, la spécificité de chaque siège d’évêché l’emporte sur les caractéristiques générales de son aire géographique13. Comme pour la plupart des questions relatives aux pouvoirs ecclésiastiques, la Catalogne est demeurée le parent pauvre de la péninsule Ibérique concernant la question épiscopale14. Étudier les liens d’une cathédrale avec sa cité implique donc de commencer par définir la situation de son évêque — mais la cathédrale ne se réduit pas à celui-ci.
5Si l’on écarte les fonctions religieuse et symbolique de l’édifice15, la cathédrale médiévale constitue un centre administratif chargé de la gestion des affaires du diocèse et du temporel rattaché à l’établissement. Certes, dans la théorie, cette complexe collection d’administrations imbriquées les unes dans les autres, de statuts et d’hommes, est placée sous l’autorité de l’évêque : la cathédrale reste avant tout le siège de l’évêché. Mais, sur cette base très générale, chaque cathédrale dispose de sa propre organisation interne, spécifique et distincte des autres. Or, si les pouvoirs de l’évêque ont beaucoup attiré le regard des historiens16, ceux des chanoines sont généralement traités à part, à travers des monographies spécialement centrées sur les caractéristiques du monde canonial. Ce sont pourtant eux qui secondent l’évêque et portent l’administration capitulaire17. Mais leurs relations avec l’évêque, leur degré d’autonomie et leur pouvoir décisionnel sont très variables d’une cathédrale à l’autre18.
6À Barcelone, à la lumière de la documentation produite par la cathédrale, une séparation des attributions entre l’administration de l’évêque (conservée aux archives diocésaines de Barcelone) et celle de la cathédrale (conservée aux archives capitulaires de cette même ville) semble nette. Les ordinations, les questions touchant à la vie religieuse du diocèse, les arbitrages devant la cour de l’évêque, les visites pastorales, la perception de la dîme… — toutes ces activités sont du ressort de la curie épiscopale. S’y ajoute la gestion de la mense épiscopale19. En revanche, l’administration de la cathédrale en tant que telle, c’est-à-dire des diverses administrations qui la composent (Pia Almoina, sacristie, anniversaires, etc.), et du temporel de la mense capitulaire, mais aussi de la cathédrale en tant que telle20, repose entre les mains des chanoines et la documentation à ce propos est conservée aux archives capitulaires. Ces tâches de gestion et surtout de coordination, ainsi que la prise de décisions portant sur le fonctionnement interne de l’établissement et de nombreux aspects de la gestion du diocèse, relèvent du chapitre.
7Cette distinction entre les deux fonds d’archives s’explique par l’histoire de l’évêché barcelonais et la lente mise en place de son administration. Les premières traces d’un évêque et d’un groupe de clercs l’entourant remontent vraisemblablement à l’an 801, lorsqu’est fondée la Canònica, communauté de dix à douze chanoines réunie autour de l’évêque. Puis, vers 877, l’évêque Frodoi lance la restauration de l’édifice de la cathédrale. L’opération fait suite à la reconquête de Barcelone par les Francs et s’inscrit pleinement dans la chronologie de la création des chapitres ibériques identifiée par María José Lop Otín : si les chapitres primitifs sont apparus dans les premiers siècles d’existence de l’Église, ils se sont, en péninsule Ibérique, consolidés au cours des différentes phases de la Reconquista. La première correspond ainsi au nord de la péninsule Ibérique et se déroule au cours des ixe et xe siècles. La vague de création de ces établissements gagne ensuite le centre de la péninsule (aux xie-xiiie siècles) et, enfin, les derniers territoires, avec l’incorporation des îles Canaries et des terres grenadines (xve siècle)21. La politique d’implantation de l’Église, assortie de donation de terres aux établissements religieux dans ces territoires fraîchement christianisés, lui permet ainsi d’asseoir sa domination sur ces nouveaux espaces. Si la stratégie est prégnante pour les ordres réguliers, l’établissement des cathédrales et l’intégration des nouvelles terres à une division territoriale en diocèses s’inscrivent dans la même logique22.
8À Barcelone, une donation datant de 944 instaure la « maison des chanoines », près de la cathédrale, pour l’usage de ces clercs qui seconderont l’évêque. Le 9 mars 1009, l’évêque Aeci dote substantiellement la Canònica. Commence pour l’établissement une phase de croissance qui sera consolidée, à l’avenir, par de nombreuses donations et fondations pieuses, lesquelles constitueront les bases de son temporel. Le chapitre en tant que tel se dote quant à lui, peu à peu, de privilèges et de droits, jusqu’à être pleinement structuré, entre la fin du xie siècle et le début du xiie siècle23. La constitution du pouvoir spécifiquement canonial dans la cathédrale passe alors par celle d’une seigneurie foncière propre, autonome par rapport à l’évêque, et dont la cathédrale est également le centre névralgique.
9À partir du xie siècle, dans tout l’Occident médiéval, les chanoines abandonnent progressivement la vie en commun24. Ce faisant, ils échappent à la tutelle économique et administrative des évêques : la fin de la vie commune implique la répartition des revenus de la mense capitulaire en prébendes, attribuées spécifiquement aux chanoines et faisant l’objet d’une administration distincte. Les menses épiscopales et capitulaires sont séparées, les chapitres commencent à gérer d’importants patrimoines, urbains et ruraux, provenant en grande partie de donations. À Barcelone, cette transformation passe par l’action du cardinal légat Jean de Sabine qui, en 1229, octroie à l’établissement ses statuts, confirmés ensuite par le pape Grégoire IX25. À partir du xiie siècle et plus particulièrement de deux privilèges papaux d’Alexandre III en 1176, une distinction est clairement marquée entre mense épiscopale et mense capitulaire. L’évêque exige que les documents concernant ses charges d’administration du diocèse soient gardés dans sa résidence (le palais épiscopal). C’est le point de départ de la distinction entre les biens de l’évêque et ceux des chanoines : la mense épiscopale et la mense capitulaire barcelonaises sont constituées. Cette séparation se lit immédiatement dans la formation effective des deux fonds d’archive distincts, sous l’épiscopat de Ponç de Gualba (1302-1334) : les archives diocésaines (Arxiu Diocesà de Barcelona), créées à cette date, centralisent l’information issue de la curie diocésaine et de la mense épiscopale. Les archives capitulaires (Arxiu Capitular de Barcelona) rassemblent les fonds antérieurs et ceux qui concernent la gestion du temporel ou la vie de la cathédrale en tant que telle26.
10Dans la pratique, néanmoins, la fin du xve siècle connaît une distinction bien moins nette entre attributions de l’évêque et attributions du chapitre. Le premier, en effet, n’est guère présent à Barcelone. Il fait partie officiellement du chapitre en tant que détenteur de la quarantième prébende, mais demeure, comme nous le verrons plus loin, très peu présent dans la documentation de la pratique concernant la gestion quotidienne de l’établissement. Pour comprendre quels sont les acteurs de la cathédrale — c’est-à-dire quelles instances, entre la sphère de pouvoir de l’évêque et celle des chanoines, prennent les décisions affectant l’établissement, le diocèse et la seigneurie afférents —, il convient donc de porter une attention très particulière aux émetteurs de la documentation archivistique. La délimitation des fonds observés recoupe alors grandement la description des fonctions de l’une et l’autre des instances de l’institution : l’évêque, d’une part, et le chapitre, de l’autre. Le premier étant très absent — physiquement, mais également d’un point de vue décisionnel —, le collège des chanoines se dessine assez vite, à Barcelone, comme le principal acteur de la vie de la cathédrale. À en croire le type de documentation émis par les membres du chapitre, ce dernier administre le temporel, gère l’appareil administratif de la cathédrale et sa liturgie, prend en charge les relations avec le clergé du diocèse, s’occupe de la charité (à travers l’administration de la Pia Almoina, que nous évoquerons plus loin) et prend position publiquement au nom de la cathédrale.
11Nous sommes donc bien loin, à Barcelone, de ce qu’Alain Marchandisse a pu observer dans le cas de l’évêché de Liège au bas Moyen Âge, lorsqu’il relève qu’« il [lui] a semblé que le pouvoir épiscopal liégeois répondait parfaitement aux critères qui définissent la monocratie, pratiquement le seul régime politique qu’ait connu l’époque médiévale. Un pouvoir appartenant à un organe unique, sans la moindre division, un organe constitué non d’un groupe mais d’une seule personne, cette dernière représentant le gouvernant, celui qui, dans la solitude de sa conscience, prend toutes les décisions27 ». Liège, ville d’Empire, est bien différente de Barcelone. La comparaison n’en révèle pas moins à quel point les pouvoirs de l’évêque, dans la pratique, dépendent largement du contexte de l’évêché envisagé. Pouvoir dominant de l’évêque ou force du chapitre cathédral semblent les deux configurations possibles et incompatibles pour observer les pouvoirs d’un évêché28. L’un et l’autre ne sont pas de même nature et ne s’exercent pas de la même façon. L’évêque, lorsqu’il est puissant, s’illustre comme un pouvoir seigneurial et, parfois (comme à Liège), comme un acteur politique important, entouré d’une symbolique de pouvoir29. Le chapitre cathédral, lui, se pose en administrateur d’un riche temporel, en gestionnaire d’un établissement fortuné mais qui ne peut se substituer à l’éclatant pouvoir personnel de l’évêque. C’est la configuration qui se retrouve à Barcelone à la fin du xve siècle.
L’évêque absent
a) Une faible implication dans la cathédrale
12Entre la guerre civile catalane (1462-1472) et la décennie 1490, quatre prélats se succèdent sur le siège de Barcelone (tableau 130).
Tableau 1. — Liste des évêques barcelonais (1465-1512)
Nom | Siège épiscopal précédent | Épiscopat à Barcelone | Siège épiscopal suivant |
Joan Ximenis Cerdà | - | 1465-1472 | - |
Roderic de Borja (ou Borgia) i Escrivàa | Urgell (1467-1472) | 1472-1478 | - |
Gonzalo Fernández de Heredia | - | 1478-1490 | Tarragone (1490-1511) |
Pere García | Alès (1484-1490) | 1490-1505 | - |
Enric de Cardona Enríquez | - | 1505-1512 | - |
a. Roderic de Borja (ou Borgia) i Escrivà Borja (ou Borgia) i Escrivà, Roderic de est le neveu de Rodrigo Borgia, futur pape Alexandre VIAlexandre VI, pape . |
13Pourtant, l’évêque brille par son absence. Absent des opérations de gestion du temporel de la cathédrale — donc de la documentation des archives capitulaires —, il l’est aussi, plus curieusement, des documents concernant la gestion quotidienne de l’évêché, conservés aux archives diocésaines. Ce cas de figure est particulièrement visible dans les Registra comunium, qui traitent des affaires courantes de l’évêque dans toutes sortes de domaines. La plupart des opérations y sont menées en son nom par son vicaire, introduit par la formule « vicarius in spiritualibus et temporalibus generalis Reverendi in Christo patris et domini domini Roderigo dei gracia Barchinone Episcopi in remotis agens », et ce, qu’il s’agisse de régler un litige, d’ordonner un paiement ou de prendre acte d’une nouvelle bulle pontificale31.
14Davantage que la simple marque d’une distance hiérarchique entre les chanoines et un supérieur qui délèguerait au maximum ses tâches, cette absence dans la gestion quotidienne s’explique plutôt par l’habitude, pour les évêques barcelonais de la seconde moitié du xve siècle, de ne pas vivre dans leur évêché. Roderic de Borja (ou Borgia) i Escrivà réside à la cour romaine32. Les évêques Gonzalo Fernández de Heredia (1478-1490) et Pere García (1490-1505) ne sont pas établis à Barcelone durant une grande part de leur épiscopat33, à tel point que les conseillers de la ville eux-mêmes contactent à plusieurs reprises roi et évêque pour les persuader de faire en sorte que l’évêque s’installe dans son diocèse. Une lettre des conseillers en date du 29 juin 1479 va jusqu’à demander instamment à Gonzalo Fernández de Heredia de revenir dans la région afin d’assurer le salut des âmes dont il est responsable, le roi et le chapitre ayant, d’après eux, déjà soulevé le problème34.
15La question de la résidence de l’évêque se pose de nouveau lorsque Pere García monte sur le siège épiscopal, en 1490. Malgré une volonté affichée de résider sur place et bien que le roi y soit favorable, le nouvel évêque tarde plusieurs années à faire son entrée à Barcelone. La raison en est, du moins officiellement, l’existence d’une pension imposée à l’évêque dans l’évêché. Le prélat refuse de s’y plier, au prétexte qu’il n’en a pas les moyens s’il souhaite préserver un train de vie propre à sa condition. C’est ce qui ressort d’une lettre du 20 novembre 1490, adressée au roi : les conseillers de la ville de Barcelone se réjouissent de le savoir favorable à ce que l’évêque — en l’occurrence, Pere García — établisse sa résidence sur place, car « il y a longtemps qu’aucun évêque n’a résidé dans cet évêché et il est manifeste que, pour le service de Dieu et pour le salut des âmes, sa présence est nécessaire35 ». Dans cette même lettre, les conseillers expliquent avoir insisté en ce sens auprès du procurateur de l’évêque et demandent au roi de remédier aux deux facteurs expliquant la non-résidence du prélat : d’une part, un territoire a été séparé de l’évêché à cause d’une diminution de ses rentes et, d’autre part, une pension est imposée au siège épiscopal, que l’évêque ne pourra pas payer s’il vient et souhaite conserver son train de vie.
16L’affaire se poursuit. Le 15 janvier 1491, les conseillers évoquent une lettre de Pere García reçue par leurs prédécesseurs, les informant qu’il a été promu évêque de Barcelone (le document n’a pas été conservé). Ils retiennent de sa lettre sa volonté de résider dans son diocèse et le supplient d’agir en ce sens, pour le plus grand bien du service de Dieu36 et le redressement (« redreç ») de la ville37. Le même thème transparaît dans une lettre du 25 janvier 1493, adressée de nouveau à l’évêque, qui n’a toujours pas fait son entrée à Barcelone, trois ans après son investiture. Les conseillers insistent pour qu’il vienne en ville et affirment avoir supplié et le roi et le pape d’y veiller. Pour appuyer leur requête, ils demandent au souverain pontife de supprimer la taxe supplémentaire pesant sur le diocèse qui provoquait tant de réticences chez Pere García. L’évêque arrive finalement à Barcelone le 7 juin 1493, trois ans après sa désignation, mettant fin à la tradition de non-résidence des évêques barcelonais qui durait depuis presque un demi-siècle38.
17À partir de cette date, la situation change et l’évêque manifeste davantage sa présence. Francesc Tarafa, archiviste du chapitre cathédral à l’époque moderne, établit, plusieurs décennies après les faits, une chronique du chapitre. Il ne consacre que quelques pages à la seconde moitié du xve siècle et y mentionne uniquement la période 1492-1496. Pour ces années, il s’appuie sur « certains vieux livres de la cathédrale » qui n’ont vraisemblablement pas subsisté jusqu’à aujourd’hui (on n’en trouve aucune trace aux archives capitulaires). Il y fait état d’une série de processions religieuses conduites par le chapitre entre 1492 et 149639. Pere García est désormais présent en personne. Évêque réformateur40, auteur du Missel barcelonais, il se met à intervenir dans la gestion quotidienne de la cathédrale41. Le 19 août 1495, le Liber vulgariter de la Crehueta fait référence au retour de l’évêque qui se trouvait à la cour du roi et qui a demandé au chapitre de délibérer sur un point de discipline interne. À la suite de cette injonction, un certain Francesc Comelles, procurateur fiscal de la curie épiscopale, est accueilli au chapitre et ordonne de statuer sur l’usage des cloches de la cathédrale. Le prélat réaffirme donc bien son rôle de supérieur hiérarchique, en intervenant directement dans la vie du chapitre et son processus de prise de décisions. Il effectue un certain nombre de visites pastorales dans le diocèse entre 1497 et 1504 et fait une donation de livres à la sacristie de la cathédrale en 1502, autres marques de sa présence42. Il meurt même à Barcelone, en 1505, dans son palais épiscopal. En somme, la déconnexion entre le chapitre et son évêque s’étend, en fin de compte, entre 1458 et les premières années de la décennie 1490.
18À partir de 1493, l’épiscopat de Pere García permet alors de mettre en lumière, en creux, les signes de l’absence de l’évêque dans les décennies précédentes. Le chapitre, livré à lui-même, se posait jusque-là comme le seul véritable gestionnaire de la cathédrale et de ses biens. Il semble s’en porter très bien. Nulle trace des transactions engagées par les conseillers pour faire revenir l’évêque ne filtre dans les actes capitulaires. À aucun moment il n’est fait mention d’une absence inhabituelle du prélat ni des problèmes induits par cet éloignement. Après l’épiscopat de Pere García, l’absence de l’évêque redevient d’ailleurs la norme43. Le chapitre semble tenir cet état de fait pour acquis et, à dire vrai, ne s’en préoccupe guère. Rien d’étonnant, en fait, car la situation est loin d’être une nouveauté.
b) Les situations de sede vacante
19Si l’on remonte aux années de guerre civile catalane (1462-1472), les sources évoquent une situation de sede vacante — de siège vacant — à la cathédrale. L’expression désigne un laps de temps durant lequel non seulement l’évêque est absent physiquement, mais le siège épiscopal n’est pas du tout pourvu. À l’échelle de l’Occident médiéval, il est commun que les chanoines profitent d’une période de vacance du siège épiscopal — en général, due à une latence entre la mort du prélat et la nomination ou l’acceptation par le pape de son successeur — pour réaffirmer temporairement leur contrôle sur l’établissement44. Néanmoins, la situation que connaît le siège de Barcelone dans les années 1460 s’illustre par une certaine originalité. D’une part, le prélat est refusé par les chanoines eux-mêmes pour des raisons intimement liées au contexte politique. De l’autre, les conséquences de l’absence d’un supérieur hiérarchique sont tellement minimes sur la vie de l’établissement qu’elles permettent de prendre acte de la faible implication des évêques barcelonais du temps dans leur église.
20Dans un article portant sur la cathédrale barcelonaise pendant la guerre civile, María Jesús Torres i Ferrer attribue la mention « sede vacante » à un conflit entre l’évêque et le chapitre cathédral, lequel ferait bande à part pour des raisons proprement politiques. L’auteur soutient l’hypothèse d’une rupture totale entre le chapitre et son évêque. Selon elle, entre 1458 et 1472, l’évêque Joan Ximenis Cerdà n’est tout bonnement pas reconnu par le chapitre45. « Sede vacante » apparaît en effet tant dans les actes capitulaires que dans la documentation de la curie diocésaine et María Jesús Torres i Ferrer donne beaucoup de poids à ce constat. Elle lit dans la participation de l’évêque barcelonais aux Corts de 1460-1461, qui se positionnent contre la monarchie, le signe de son appartenance au camp antiroyaliste dans le cadre de la guerre civile. S’y ajoutent son implication dans l’ambassade de 1461, partie réclamer la libération du prince de Viane, et sa signature d’une lettre adressée à la ville de Barcelone dans ce même but46. Ces données permettent à l’historienne d’opposer la prise de position antiroyaliste de l’évêque à la volonté du chapitre de demeurer neutre dans le conflit. Ainsi cette discordance politique mènerait-elle les chanoines à ne pas reconnaître l’évêque, officiellement nommé mais trop impliqué à leur goût dans le camp antiroyaliste, d’où l’apparition de l’indication « sede vacante ».
21La prise de position de l’évêque semble effectivement très probable au vu des éléments cités ci-dessus, analysés également par Santiago Sobrequés i Vidal et Jaume Sobrequés i Callicó47. Toutefois, le lien avec la mention « sede vacante » demande à être nuancé. Comment le chapitre aurait-il pu prendre position politiquement ? Aucun dignitaire n’a le poids de l’évêque pour porter la voix du chapitre aux Corts ou au sein d’ambassades : c’est l’évêque qui y représente de droit son église48. Le chapitre n’a pas d’existence politique propre dans le cadre du conflit, qui oppose les institutions catalanes — Diputació del General et le Conseil du principat — au roi Jean II49. Rien n’indique une volonté spécifique de neutralité dans la rhétorique des actes capitulaires. Le chapitre n’a simplement pas à prendre position. Aucune rupture nette ne transparaît entre l’évêque et son chapitre : ainsi les comptes rendus des réunions du chapitre en 1462 font-ils état d’une réunion, en 1463, tenue en présence de l’évêque, qui préside alors la session50.
22Pourtant, les chanoines se déclarent en situation de siège épiscopal vacant, alors même que Joan Ximenis Cerdà est officiellement évêque. Mais est-ce réellement une opposition politique ? Vers 1464-1466, les chanoines s’adressent en fait au pape Pie II pour présenter la candidature de Cosme de Montserrat, déjà évêque de Vic. Devant la nomination de Joan Ximenis Cerdà, ils refusent de se plier à cette décision et le chapitre se met à régir lui-même l’Église du diocèse jusqu’en 1472, lorsque l’évêque suivant, Roderic de Borja (ou Borgia) i Escrivà, accède à l’épiscopat barcelonais. Joan Ximenis Cerdà ne prend jamais possession de son évêché et, entre 1468 et décembre 1472, aucun évêque n’est donc reconnu par le chapitre, qui mentionne le fameux « sede vacante » dans ses actes51. Cependant n’est-ce pas là l’un de ces fréquents conflits entre chanoines et évêques ? Selon le droit canon, l’élection de l’évêque ab clero et populo est censée laisser la désignation du prélat entre les mains de son chapitre, mais, au bas Moyen Âge, cette prérogative a généralement été perdue de longue date par les chanoines52. De nombreux cas de conflits entre chapitres et évêques surviennent53. Devant leur échec à faire imposer leur candidat, les chanoines barcelonais auraient décidé de ne pas accepter le candidat imposé. L’implication politique d’un tel acte n’est pas certaine. Au vu du silence des sources capitulaires sur ce conflit, il convient de rester prudent dans la lecture du rejet de l’évêque. Plus qu’une opposition politique, il est probable qu’il s’agisse d’une prise d’indépendance du chapitre, qui gère de toute façon la cathédrale d’une façon très déconnectée de l’évêque.
23Cette déconnexion s’explique peut-être davantage par la différence d’envergure entre les personnages exerçant l’épiscopat et les membres des chapitres, que par leurs divergences idéologiques, et ce pour deux raisons. Les évêques barcelonais mènent souvent une carrière internationale qu’ils ont bâtie sur plusieurs évêchés (tableau 1). D’origine souvent noble54, ils appartiennent à des familles puissantes par-delà les frontières régionales. Par exemple, l’évêque barcelonais Roderic de Borja (ou Borgia) i Escrivà est membre de l’éminente famille des Borgia55. Pere García, pour sa part, a exercé des fonctions de chapelain à Rome auprès d’Alexandre VI, pape Borgia, dont il est un proche56. Contrôler les élections épiscopales est un véritable enjeu pour la papauté et la monarchie.
24Les chanoines, en revanche, bien que pouvant mener une carrière personnelle prestigieuse, ont généralement des origines plus locales ou, du moins, s’impliquent dans des enjeux de pouvoir de plus faible ampleur, notamment à l’échelle de la ville. La nomination de l’évêque est un enjeu plus vaste, suprarégional. L’extraction des chanoines est beaucoup plus locale et les appuis du chapitre relèvent souvent de l’oligarchie barcelonaise. Chanoines et évêques ne sont donc pas liés entre eux par des réseaux d’amitié, de clientélisme, ni même par des intérêts communs.
25Qui plus est, à cette époque de sede vacante, l’oligarchie est divisée par la guerre civile. Une même famille peut se trouver partagée entre le camp royaliste et le camp antiroyaliste et l’Église elle-même n’affiche pas de prise de position unanime57. Le chapitre ne doit pas échapper à ses dissensions. Certains de ses membres prennent position activement dans l’un des camps. C’est le cas du chanoine Nicolau Pujades, syndic de la Diputació del General, laquelle est favorable au prince de Viane (donc au camp antiroyaliste)58. Mais cet engagement, relatif, en tant qu’individu n’est pas un engagement en tant que membre du chapitre. Le chapitre en lui-même n’affiche aucune couleur et on peut douter qu’un camp ou l’autre ait fait l’unanimité en son sein. Un compte rendu du Liber vulgariter de la Crehueta laisse d’ailleurs deviner l’existence de dissensions internes : il y est décrété que si le contenu des discussions menées lors des réunions du chapitre venait à être ébruité, le chanoine responsable devrait être chassé de la cathédrale et privé de ses bénéfices ecclésiastiques barcelonais. La raison en est que, par ces temps de guerre, les plus grandes discordes sont redoutées entre les cours et les personnes, entre les laïcs et les hommes d’Église, et que les conséquences seraient néfastes pour les libertés ecclésiastiques59.
26L’ensemble de ces arguments permet de douter d’un positionnement officiel du chapitre, particulièrement assez ferme et unanime pour rejeter un évêque. Ce qui guide avant tout ses décisions, c’est la préoccupation pour ses intérêts propres : ses libertés ecclésiastiques, sa juridiction et son temporel. Le chapitre n’a pas de raison de prendre position, puisqu’il n’a pas de pouvoir politique. Ses intérêts sont purement locaux : préserver ses droits et son temporel. Déclarer le siège épiscopal vacant dans les années 1460 est donc surtout la marque d’une profonde déconnexion entre le chapitre et l’évêque pour la gestion de la cathédrale et du diocèse, et de la très grande autonomie des chanoines dans ces tâches. Preuve en est qu’après la guerre, les relations avec les évêques suivants restent inchangées : même si la mention « sede vacante » disparaît, il faut attendre l’épiscopat de Pere García dans les années 1490 pour que l’évêque joue réellement un rôle dans la gestion de la cathédrale et de l’Église locale. Et ce, sans qu’il y ait de raison de soupçonner une quelconque opposition politique entre lui et le chapitre.
27Ainsi la mention « sede vacante » disparaît-elle entre 1472 et 1473 (lors de l’élection de Roderic de Borja [ou Borgia] i Escrivà à l’épiscopat). Pour les affaires du diocèse (fonds des archives diocésaines), la mention d’un vicaire représentant l’évêque (et non plus le chapitre) est réintroduite dans les Registra comunium dès 147360. Pour ce qui est des affaires internes au chapitre (fonds des archives capitulaires), si le Liber Camissae indique encore que le chapitre s’est réuni sous la présidence de Joan Comessede vacante à la date du 22 avril 147261, il cite nominalement l’évêque Roderic de Borja (ou Borgia) i Escrivà dès le 8 février 147462. Il en va de même dans le Liber vulgariter de la Crehueta : à cinq reprises entre 1474 et 1493, l’évêque est explicitement mentionné. Durant cette période, il n’est jamais présent aux réunions du chapitre, mais il est reconnu63.
28En revanche, la gestion de l’établissement ne se modifie pas entre la période de la guerre civile et celle où l’évêque est de nouveau reconnu : avant les années 1490, ce dernier n’a aucune influence au chapitre. D’ailleurs, en 1505, à la mort de l’évêque Pere García, une nouvelle situation de sede vacante se présente : l’évêque meurt le 8 février et son successeur, Enric de Cardona, n’arrive que le 18 juin. Entre temps, les registres d’administration du diocèse (Registra comunium, Registra gratiarum, Colationes) poursuivent leur office sans la moindre altération, à ceci près que le siège épiscopal est dit sede vacante64.
29La rupture avec l’évêque semble donc a priori moins attribuable à une opposition politique et idéologique, certes alléchante pour l’historien qui s’intéresse au pouvoir du chapitre, qu’à une déconnexion entre le chapitre et son supérieur. La présence ou non d’un évêque en fonction n’a quasiment aucune incidence, ni sur la gestion de la mense épiscopale et des affaires religieuses du diocèse (documents des archives diocésaines), ni, encore moins, sur celle de la cathédrale et les affaires du chapitre de chanoines65. L’évêque, absent, mêlé à des enjeux politiques à plus large échelle, n’a guère qu’une place honorifique dans les affaires de la cathédrale barcelonaise, et ce de longue date. Pour preuve, les comptes rendus des réunions du chapitre ne font aucun état de l’élection d’un nouvel évêque, que ce soit à l’arrivée de Gonzalo Fernández de Heredia en 1478 ou à celle de Pere García en 1490, et ce alors même que le chapitre n’était pas spécialement en conflit ouvert avec eux. Aucune mention n’est faite non plus des lettres des conseillers municipaux appelant de leurs vœux le retour de l’évêque : les chanoines ne manifestent un tel souhait à aucun moment. Aucune correspondance n’a été conservée entre les chanoines et leur supérieur. L’évêque n’est en définitive que l’autorité hiérarchique à laquelle l’on se réfère par protocole, cependant, dans les faits, ce sont les chanoines qui s’occupent de gérer non seulement la cathédrale et le temporel, mais également une partie des attributions de la curie épiscopale.
c) Le statut confus du « vicaire de l’évêque »
30Quelle est alors la place exacte de ce « vicaire de l’évêque » qui apparaît si souvent en fait et place de l’évêque ? Malgré son nom, il ne semble pas s’agir d’un envoyé de l’évêque servant ses intérêts66. Au décès de Pere García en février 1505, les chanoines désignent quatre d’entre eux pour ce rôle afin qu’ils puissent agir pour représenter le chapitre jusqu’à ce que le nouvel évêque soit élu67. La procédure est encore plus nette en 1490, lors de la transition entre l’épiscopat de Gonzalo Fernández de Heredia et celui de Pere García. Le 15 septembre 1490, l’archidiacre Lluís Sirvent, Guillem Lull, Joan Andreu Sorts et Pere Buada, tous chanoines à la cathédrale, sont désignés comme vicaires. Puis, le 8 octobre 1490, le nouvel évêque, Pere García, révoque les précédents vicaires et investit de cette fonction Gabriel Rovira, Martí Joan de Foixà et Pere Ramon Loteres, eux aussi chanoines du chapitre68.
31Avant l’épiscopat de Pere García, malgré sa dénomination, le vicaire de l’évêque ne semble donc pas être imposé aux chanoines, mais bien être un membre du chapitre désigné à ce poste. En revanche, apparaît ponctuellement la figure d’un nonce de l’évêque ou, beaucoup plus rarement, d’un procurateur de l’évêque69. Aucune distinction claire n’est opérée entre ces trois statuts, mais il ne s’agit pas des mêmes personnes : Antoni Brunet est nonce pendant que les vicaires sont Joan Andreu Sorts ou Antoni Agullana. La charge désigne sans doute un envoyé direct, qui serait davantage un « homme de l’évêque » que le vicaire issu du chapitre. Mais il reste difficile de deviner si des rapports de force avec l’évêque sous-tendent cette présence. Celle-ci reste confinée aux tâches d’administration de la curie épiscopale. Le nonce comme le procurateur sont totalement absents de la documentation émise par le chapitre cathédral, où seul est mentionné le vicaire de l’évêque.
32Quelles sont alors les attributions des vicaires ? Qui sont-ils ? María Jesús Torres i Ferrer les définit comme « les administrateurs d’une institution sans chef, ce qui n’empêche pas qu’ils détiennent les pleins pouvoirs, sans que cela soit en aucune façon contradictoire70 ». Nuançons cette affirmation. Le vicaire apparaît dans les registres d’administration ordinaire de la curie épiscopale (Regestra comunium, gratiarum et Regestrum litterarum…), mais également dans les actes capitulaires : à quelques exceptions près, le chanoine qui préside la réunion est qualifié de « canonicus et vicarius », chanoine et vicaire — sous-entendu : vicaire de l’évêque. Les actes capitulaires ne permettent pas de déterminer quelle préséance implique concrètement la présidence des assemblées. Le vicaire n’en demeure pas moins une figure prédominante de la vie du chapitre, omniprésent dans la documentation (actes capitulaires, administration de la curie épiscopale)71.
33Le vicariat se distingue des dignités ou offices du chapitre. Aucune fonction clairement définie, au sein de l’organigramme administratif de l’établissement, et aucune rente ne lui reviennent spécifiquement. Il n’existe pas un unique vicaire pour une même période ; il ne s’agit pas d’un mandat pour une durée déterminée. Néanmoins, certaines personnalités reviennent fréquemment, ce qui permet d’identifier les acteurs de première importance au sein du chapitre (Antoni Agullana et Joan Andreu Sorts, notamment).
34En somme, si l’évêque est absent, ses vicaires ne sont pas des émissaires travaillant en son nom. Le chapitre se désolidarise de l’évêque dans ses processus de décision. Plus qu’un acteur unique et structuré, le chapitre est plutôt un groupe indistinct d’où émergent certaines personnalités, tandis qu’un grand nombre de ses membres ne s’impliquent quasiment pas dans la gestion de la cathédrale ou de l’évêché. Sur les 135 individus recensés comme chanoines à Barcelone pour la seconde moitié du xve siècle, seuls quatorze sont présents à plus de cinq assemblées capitulaires. Ressort alors un petit nombre d’individus qui, au sein de l’institution, forment le véritable groupe décisionnel, mais qui aussi, de ce fait, sont ceux qui traitent avec la municipalité ou d’autres interlocuteurs de la cathédrale — ceux qui, en somme, constituent le véritable noyau de l’établissement, ses véritables acteurs72. Le processus décisionnel est alors flou et sa marge d’action institutionnelle demeure limitée.
II. — Une prise de décision disputée
Décider au chapitre
35Les actes capitulaires — c’est-à-dire aux trois registres dévolus aux comptes rendus des assemblées du chapitre : le Liber Camissae, le Liber vulgariter de la Crehueta et le Llibre de la Sivella — témoignent d’une pratique décisionnaire relativement fermée et centrée sur le pouvoir canonial, à l’exclusion de l’évêque. Le vicaire de l’évêque préside généralement l’assemblée. Le détail des délibérations ne nous est pas connu : les actes capitulaires de Barcelone sont particulièrement peu détaillés, comparés à d’autres comptes rendus d’assemblées ecclésiastiques (graph. 1)73.
36Le chapitre ne se réunit pas régulièrement. En cela, il diffère grandement des autres établissements pour lesquels la question a été étudiée : à Rouen, pour ne prendre qu’un exemple, le chapitre se réunit tous les jours jusqu’en 1428, date à partir de laquelle les assemblées se tiennent trois fois par semaine74. La totalité des réunions n’est d’ailleurs probablement pas mise par écrit. Plus structurés dans les années 1490, et plus fréquents et précis dans les années 1500, les compte rendus sont jusque-là le plus souvent succincts ou inexistants.
37L’époque de la guerre civile se caractérise par un rejet de l’évêque, lequel prend position en politique tandis que le chapitre demeure neutre. Durant ce laps de temps, le chapitre démontre donc une certaine force au sein de la hiérarchie ecclésiastique locale — assez pour rejeter l’évêque —, mais se maintient à l’écart, autant que faire se peut, des vicissitudes que connaît la vie laïque. Après la guerre civile, la Catalogne et sa capitale en particulier connaissent une phase de reconstruction, sous la volonté des conseillers de Barcelone ainsi que du souverain, Ferdinand II75. Durant cette période, c’est-à-dire entre 1472 et le début des années 1490, le chapitre est particulièrement peu actif. Peut-être l’absence de l’évêque explique-t-elle ce faible dynamisme ; peut-être, aussi, la période troublée a-t-elle des répercussions sur les structures de la cathédrale et sur les individus qui la gèrent. La pression fiscale s’était faite forte pendant la guerre civile, l’endettement et le dépeuplement sont notables, le commerce est mis en difficulté et plusieurs épidémies éclatent au cours de la seconde moitié du xve siècle76. Néanmoins, à l’extrême fin du siècle, alors que le roi Ferdinand s’implique fermement dans la remise à flot de la Catalogne77, une figure épiscopale puissante réapparaît en la personne de Pere García et le chapitre redevient actif en multipliant de nouveau les réunions. Or, comme nous le verrons plus loin, Pere Garcia, prélat réformateur, est activement soutenu par le roi. Sans doute, alors, peut-on voir cette nomination comme une marque supplémentaire de reprise en main du territoire par Ferdinand et d’affirmation de la centralisation du pouvoir monarchique.
38Le nombre d’entrées dans ces registres diminue au cours du temps. Si l’on compte vingt-cinq réunions rien que pour les cinq premières années qui nous occupent — entre 1472 et 1477 —, il n’y en a plus que six pour les cinq dernières — entre 1486 et 1491. Les comptes rendus du Liber vulgariter de la Crehueta pour les années 1480 ne font plus état que de questions d’administration interne et sont de plus en plus espacés. Après la guerre civile de 1462-1472, le chapitre semble donc de moins en moins actif, avant de connaître une reprise en main sous l’épiscopat de Pere García, dans les années 1490. Les réunions se tiennent principalement entre février et août (graph. 2)78 :
39Aucune règle générale ne conditionne la fréquence des réunions, ni dans l’année ni sur l’ensemble de la période. Le pragmatisme l’emporte : l’on se réunit lorsqu’il le faut, en présence des membres qui peuvent venir. Les thèmes abordés sont variables et nous renseignent sur la marge d’action réelle des chanoines.
40Les décisions ordinaires concernent la gestion habituelle de l’institution : nomination aux offices, aux dignités, redditions de comptes, autorisations d’absence, envoi de certains membres du chapitre pour une mission… S’y ajoute le thème de la gestion du temporel de la cathédrale. Plusieurs entrées des actes capitulaires, sans jamais se livrer à des considérations théoriques concernant les stratégies économiques ou l’organigramme régissant la gestion des terres et des rentes, font référence à la gestion des prébendes ou ordonnent des versements. La troisième thématique de ces réunions concerne l’assainissement des finances et de l’organisation administrative de la cathédrale. Ainsi trouve-t-on des lamentations sur l’état du temporel « in totalem ruinam79 » (« dans une ruine totale ») ou des réclamations de versements. Enfin, dernier thème prégnant, celui de la réforme ecclésiastique du diocèse et du conflit opposant le chapitre au bas clergé local. Cette réforme de la discipline ecclésiastique suscite l’envoi de chanoines pour remédier au manque de zèle dans certaines localités, mais également une reprise en main de l’office du chant à la cathédrale, qui était tombé dans le plus grand désordre80. Avant même l’arrivée de Pere García sur le siège épiscopal, les chanoines tentaient de régler ces dysfonctionnements, au sein de la cathédrale, mais aussi dans tout le diocèse. Puis, au début du xvie siècle, l’évêque s’attèle à son tour à cette tâche… en réprimandant les chanoines eux-mêmes pour leur relâchement. Les réunions exceptionnelles du chapitre mettent l’accent sur cette réforme disciplinaire et cet assainissement de la gestion du temporel. Les deux thématiques semblent tenir la première place des préoccupations des chanoines.
41En somme, dans le dernier quart du xve siècle, l’essentiel des activités du chapitre consignées dans les registres de délibérations concerne le rétablissement de ses propriétés et l’assainissement de son fonctionnement. Aucune décision de grande ampleur ne transparaît, les actes capitulaires faisant plutôt état — de façon au demeurant fort lacunaire — de la stricte routine de l’établissement. La documentation ne nous offre qu’un aperçu partiel des modalités de la prise de décision en tant que telle au sein du chapitre. Les comptes rendus ne relatent pas les débats ni les oppositions suscitées par une proposition de mesure. Généralement très succincts, ils se contentent de faire apparaître les chanoines présents et la décision finale qui a été prise. Tout au plus y voit-on qu’un nombre variable, mais toujours réduit, de chanoines s’occupait de délibérer. Du fait de cette configuration et de l’espacement des réunions, sans doute les chanoines n’étaient-ils réunis qu’épisodiquement pour un point précis, du moins pour les affaires suffisamment importantes pour qu’elles soient retranscrites dans l’un des registres de délibération. Leur marge d’action se limite à des affaires courantes — mais, fait surprenant, les affaires d’importance, telles que les conflits avec la municipalité ou l’évêque, ne laissent aucune trace dans les actes capitulaires. Elles éclairent pourtant les réalités concrètes du pouvoir du chapitre cathédral dans et hors de l’Église.
Chapitre et évêques
a) Querelles de juridiction ou conflits personnels ?
42Rien de plus fréquent, dans les cathédrales, que le conflit entre les chanoines et les évêques81. Ils sont quelquefois très vifs, comme on l’a vu à Barcelone pour les années 1460, lorsque le chapitre s’était opposé à son évêque au point de ne pas le reconnaître et de déclarer le siège épiscopal vacant. À partir du milieu du xiie siècle, il est fréquent d’observer localement des oppositions, parfois vives, entre le chapitre et l’évêque82. Barcelone ne déroge pas à la règle. En 1486, plusieurs lettres des conseillers de la ville, adressées au pape et à l’évêque barcelonais, font état de fortes dissensions entre le chapitre et l’évêque de l’époque, Gonzalo Fernández de Heredia. Nulle trace du conflit ne transparaît pourtant dans les actes capitulaires, et très peu dans la documentation diocésaine. Tout au plus trouve-t-on mention des lettres papales et d’une mission de Bartomeu Travesset à la curie pontificale le 15 septembre 1486, sans qu’une attention particulière y soit portée83. Volonté d’étouffer l’affaire ? Conséquences d’une administration mal tenue ? Peut-être aussi s’agissait-il surtout d’un conflit personnel. La querelle ne concernant pas les structures de l’Église — puisqu’il ne s’agit ni d’un conflit de juridiction, ni d’un désaccord sur la gestion du temporel de la cathédrale, ni d’une discorde sur les pratiques religieuses —, les chanoines n’ont pas jugé bon de le faire apparaître dans leur documentation. Nous devons nous en remettre aux sources indirectes que sont les correspondances des conseillers de la ville, sollicités comme arbitres par les chanoines et amenés à jouer le rôle d’intermédiaires pour plaider leur cause auprès de diverses autorités.
43Le différend semble violent et de longue date, même si les lettres exposant l’affaire sont cantonnées à 1486. « Considérant les fluctuations, dissensions et discordes qui ont vu le jour dans votre église et dans les années passées…84 », écrivent les conseillers de la ville à l’évêque de Barcelone, le 2 mai 1486. Si les origines du conflit ne sont pas renseignées, il atteint une ampleur assez notable pour qu’y soient mêlés le pape et les conseillers municipaux barcelonais, et pour impliquer des menaces d’excommunication et des allégations de complot.
44Les premières traces de l’affaire apparaissent dans la correspondance municipale en date du 2 mai 1486, lorsque les conseillers municipaux écrivent à l’évêque, puis au roi, en faveur de trois chanoines — l’archidiacre Lluís Desplà, Berenguer Vila et Bartomeu Travesset — injustement et indignement convoqués, sans délai, auprès du Saint-Siège, par « un bref récemment arrivé de notre seigneur, le pape ». Ils disposent de soixante jours pour se présenter à Rome devant le pontife sous peine d’excommunication et de privation de leurs bénéfices ecclésiastiques, le tout sans explication. L’affaire est grave. Aux yeux des conseillers barcelonais, le bref traite ces trois chanoines « comme s’ils étaient scélérats et dignes de dégradation » et l’injonction n’a d’autre motif qu’une vindicte personnelle, puisqu’une telle sanction est réservée à des délits très graves, dont ces trois individus sont assurément innocents85.
45Quelles sont les raisons réelles de cette convocation ? Dans un premier temps, les conseillers sont animés par « la ferme croyance et opinion qu’ainsi, leur sont infligées cette vexation et cette nuisance86 ». Selon eux, cette mesure disciplinaire a été soufflée au pape pour discréditer les trois chanoines incriminés, en raison de « certains différends entre le chapitre et ledit évêque de [la] ville ou ses ministres87 ». Plus encore : « La responsabilité n’en revient pas principalement au susdit révérend seigneur évêque, mais à certains particuliers qui, entre eux, pour certaines particulières affections et passions, qui existent dans toutes les communautés et principalement ces temps-ci, ont donné occasion à ces différends… ». Ils demandent alors au cardinal de Valence de faire cesser cette injonction88.
46C’est que le conflit se distingue d’une simple opposition évêque/chapitre. Seuls certains membres du chapitre — l’archidiacre Lluís Desplà, Berenguer Vila et Bartomeu Travesset — sont impliqués. Les conseillers municipaux insistent sur ce point. Il s’agit bien d’une querelle personnelle plus qu’institutionnelle.
47Les conseillers n’hésitent pas à prendre sans détour le parti des trois chanoines, dénonçant un complot tramé contre eux : « … nous croyons qu’un tel bref n’émane pas de l’esprit de notre seigneur le pape, mais pensons qu’il lui a été procuré par quelques émules ou personnes malintentionnées, lesquelles, depuis longtemps, s’efforcent de semer la zizanie et la discorde entre le seigneur évêque et le chapitre de ladite église », affirment-ils sans ambages aux deux ambassadeurs de la ville de Barcelone, Franci de Vallseca et Ramon Marqués, le 6 mai 1486, lorsqu’ils leur résument l’affaire89. Ils mobilisent leur réseau en écrivant au cardinal de Valence, occupant les fonctions de vice-chancelier, et directement au pape, à qui ils indiquent qu’« en vérité, Votre Seigneurie devrait attendre et réfléchir avant de donner crédit à des personnes malintentionnées qui ne montrent pas de zèle dans le service de Dieu, ni pour votre honneur ni pour le bien de votre église ». Ils lui demandent de révoquer le bref et de ne pas permettre « que de si dignes et méritantes personnes importantes de votre église soient molestées et ainsi traitées90 ».
48Finalement, la controverse est déposée entre les mains du cardinal de Valence, vice-chancelier et futur pape Alexandre VI91, sollicité comme arbitre par les chanoines et l’évêque. Les conseillers lui écrivent pour lui demander activement de faire lever la convocation et la menace d’excommunication, qui ne sauraient manquer de déclencher des perturbations dans la ville92. Puis, en septembre 1486, les conseillers font marche arrière dans leurs démarches, s’excusant auprès de l’évêque de Barcelone de s’être mêlés à l’affaire. Ils indiquent avoir compris les raisons de la sanction, apparemment internes à l’Église mais dont les lettres ne font pas mention, et justifient leur tentative d’intervention par leur souci du bien de la ville et de l’Église93.
49L’affaire fait bien ressortir l’existence d’un conflit entre le chapitre et l’évêque, chose courante s’il en est, bien qu’il soit tu par les sources ecclésiastiques. Mais au-delà de ce cas de figure, somme toute commun dans les évêchés médiévaux, elle révèle la différence intrinsèque entre l’évêque, lointain, et les chanoines du chapitre, caractérisés par des liens avec les pouvoirs locaux et par le personnalisme de certains membres. Cet antagonisme entre évêque et chanoines est à peu près la seule marque, dans la cité, d’une opposition entre les deux autorités ecclésiastiques, mais il révèle bien le poids respectif de l’évêque et du chapitre dans la ville, à travers la capacité de l’un et de l’autre à mobiliser des appuis.
50Ici, le conflit prend des dimensions personnelles : trois chanoines — et non le chapitre en tant que groupe — sont impliqués, mais derrière eux, ce sont leurs groupes familiaux qui le sont. Pour se défendre, ces derniers mobilisent les réseaux de pouvoir locaux : les membres du gouvernement municipal. L’évêque, lui, est traité avec distance par les conseillers locaux, mais dispose d’appuis plus puissants, puisque les conseillers soupçonnent une accointance avec des conseillers du pape. Rien d’étonnant à cela : nous sommes en 1486, l’évêque est donc Gonzalo Fernández de Heredia et réside à la cour du pape dont il est un proche94. Au-delà du topos du personnage puissant mal conseillé par son entourage, qui permet d’adresser des remontrances à un supérieur sans remettre en cause sa légitimité, les conseillers de Barcelone évoquent sans détour un groupe d’influence, autour du pape, hostile aux chanoines incriminés.
51Le chapitre se réaffirme alors comme un corps uni en écartant les pouvoirs publics d’une affaire somme toute interne à l’Église. S’agit-il d’une façon de rattraper les choses pour éviter le scandale et s’assurer que les conseillers n’interviennent plus ?
52Au-delà des détails factuels d’un conflit quasiment banal entre le chapitre et l’évêque, se distinguent deux réseaux d’influence distincts : celui, local, des chanoines qui mobilisent les conseillers municipaux pour les soutenir, et celui, plus étendu, de l’évêque qui parvient à accéder jusqu’au pape et ne semble pas développer de lien de confiance avec l’oligarchie locale95. Dans cette configuration, les chanoines n’obtiennent pas gain de cause, malgré leurs appuis. Leur pouvoir au sein de la hiérarchie ecclésiastique demeure limité. Si l’historiographie se contente généralement de prendre acte de discordes entre l’évêque et les chanoines, le cas barcelonais permet d’atteindre un niveau de détail plus significatif et de révéler les enjeux de pouvoir qui sous-tendent ces anicroches.
53Cette position spécifique des chanoines devient particulièrement visible lors des élections épiscopales, qui leur échappent malgré quelques tentatives de contrôle.
b) Contrôler l’épiscopat
54La question de l’élection des évêques reste un enjeu prégnant tout au long du Moyen Âge. Bien loin des principes d’élection « ab clero et populo » (par le clergé et par le peuple) du haut Moyen Âge, bien loin, également, de la situation spécifiquement française établie par la Pragmatique Sanction de 1438 qui réaffirme le gallicanisme en excluant le pape du processus d’élection épiscopale96, la péninsule Ibérique, à la fin du Moyen Âge, est héritière d’un long passé de contrôle des sièges épiscopaux par les souverains. Le pape entérine les désignations effectuées par ces derniers97, tout en tentant de placer ses propres candidats98. À la fin du xve siècle, l’arrivée sur le trône des Rois Catholiques, Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, ravive ces controverses, les souverains s’illustrant par une forte affirmation de leur pouvoir, laquelle passe par un poids prégnant sur les élections épiscopales99 et par la tendance à nommer des évêques fidèles à travers toute la péninsule Ibérique100.
55Dans la décennie 1460, la situation de sede vacante à Barcelone avait révélé la vivacité avec laquelle les chanoines barcelonais peuvent s’opposer à un évêque qu’ils n’ont pas choisi : leur candidat, Cosme de Montserrat, n’étant pas retenu, ils refusent de reconnaître l’évêque en place jusqu’à ce que le suivant soit élu, en 1472. L’opposition, ici, ne semble pas se faire entre le roi et le pape, mais bien entre le niveau local — les chanoines — et une autorité supérieure. De quel poids pèsent alors les premiers dans l’affaire ? Quel enjeu représente le contrôle du siège épiscopal barcelonais à la fin du xve siècle, c’est-à-dire, d’une part, du siège épiscopal de la capitale d’une Catalogne sortant d’une guerre civile où l’autorité du roi avait été rejetée et, d’autre part, d’un siège épiscopal dont le détenteur est la plupart du temps non résident et particulièrement peu impliqué dans la tenue de son diocèse101 ?
56Aucune référence n’est faite à une tentative d’élection par le chapitre dans les sources internes à la cathédrale (que ce soient celles des fonds des archives diocésaines ou celles des archives capitulaires). On l’a dit : les actes capitulaires ne font même aucune mention des changements d’évêque. Seuls les Registra gratiarum font figurer la désignation de vicaires à la fin de l’épiscopat de Gonzalo Fernández de Heredia (1490) et à la mort de Pere García (1505). À cette date, néanmoins, les chanoines de la cathédrale de Barcelone tentent d’élire l’un des leurs, l’archidiacre Lluís Desplà, à la succession de Pere García102. Singulière, en raison du contexte de contrôle des évêchés par les Rois Catholiques, bien établi à cette date. Un parchemin des archives capitulaires daté de 1505 recèle un témoignage de Lluís Desplà sur cette affaire, déposé devant un notaire public de Barcelone. Le chanoine assure qu’il n’a en aucun cas voulu s’opposer à Rome lorsque le chapitre l’a choisi comme évêque et refuse la fonction103. Cette élection intervient peu avant l’élection d’Enric de Cardona à l’épiscopat barcelonais, laquelle se fait sur présentation du roi Ferdinand, le 18 avril 1505. Âgé de moins de 20 ans, Enric de Cardona est issu d’une famille bien implantée dans les évêchés de la couronne d’Aragon : Jaume de Cardona était évêque de Gérone entre 1459 et 1462, puis d’Urgell jusqu’en 1466. Pere de Cardona occupe à son tour le siège d’Urgell entre 1472 et 1515. En un mot, malgré son jeune âge, Enric de Cardona a davantage l’étoffe d’un évêque, du fait de son origine familiale, que Lluís Desplà. Ce dernier appartient au patriciat local et, bien que grande figure du chapitre barcelonais, ne dispose pas des appuis de son concurrent104.
57Cette tentative des chanoines pour désigner l’évêque peut s’expliquer par une volonté de reprendre la main sur les affaires du diocèse, à l’aune de sa situation géopolitique. Après avoir passé les décennies 1460-1490 à agir de façon autonome, après, également, avoir su maintenir à distance l’évêque Joan Ximenis Cerdà (1465-1472) qui n’arrive jamais à monter sur le siège épiscopal barcelonais, et après, enfin, avoir réussi à maintenir la neutralité de l’institution alors que son prélat prenait position politiquement dans la guerre civile, l’épiscopat plus intrusif de Pere García a probablement été plus difficilement accepté par les chanoines. Quelques signes le laissent entendre. En juillet 1501, le vicaire reçoit des missives de l’évêque, qui rappelle au chapitre que ses membres, alors absents de Barcelone en raison notamment des épidémies, ne doivent pas pour autant être privés de leurs revenus. Le chapitre rétorque que si des individus se plaignent auprès de lui (sous-entendu : au lieu de recourir à l’évêque comme intermédiaire), ils recevront une réponse appropriée, et qu’il ne paiera pas de prébende à qui n’est pas sur place. Ces tensions peuvent expliquer la volonté des chanoines de reprendre le dessus sur le siège épiscopal pour retrouver leur autonomie de gestion, après l’interventionnisme de Pere García.
58Quels qu’en soient les motifs, cette élection par les chanoines échoue. En 1505, le pouvoir royal est beaucoup plus marqué que sous l’épiscopat contesté de Joan Ximenis Cerdà, en 1465-1472, soit en plein pendant la guerre civile catalane qui refuse l’autorité de Jean II. En 1505, le roi place Enric de Cardona sur le siège épiscopal, sans tenir compte du choix du chapitre. Pourquoi ? Ce cas local s’inscrit en réalité dans un contexte plus large : à la fin du xve siècle, le contrôle des évêchés ibériques est un enjeu majeur pour le pouvoir monarchique105. Les Rois Catholiques soutiennent, durant leur règne, un bras de fer contre la papauté afin d’avoir la main sur les élections épiscopales et de pouvoir ainsi placer sur les sièges épiscopaux des hommes de confiance. Ils étaient déjà intervenus précédemment pour soutenir un évêque barcelonais, Pere García, avant qu’il ne soit nommé à Barcelone : en 1484, une lettre du roi Ferdinand intime au vice-roi de Cerdagne de laisser Pere García monter sur le siège épiscopal d’Alès, précisant que le prélat a été nommé par lui et approuvé par le souverain pontife106. L’épisode marque bien la volonté de contrôle des évêchés par le souverain (la lettre indique qu’il avait déjà proposé un autre candidat à Alès avant Pere García : Bernardo Jover), mais montre aussi que Pere García semble bien un protégé de Ferdinand. Les conseillers de Barcelone sont parfaitement conscients de cela, lorsqu’ils écrivent au roi pour le remercier de la nomination de Pere García, qui jouit d’une bonne réputation et pourra enfin résider dans le diocèse107.
59Les Rois Catholiques s’emploient en effet à obtenir le patronage royal sur les nominations épiscopales de leurs royaumes (soit 7 sièges archiépiscopaux et 43 épiscopaux : 33 en Castille, 16 en Aragon et 1 en Navarre). Il existait déjà un droit de supplication régulé par le concile de Constance : la Couronne pouvait proposer son propre candidat avant que le pape ou le chapitre cathédral procède à l’élection108. Par la bulle Laudibis et honore (datée du 24 juillet 1436), Eugène IV avait reconnu à Jean II le patronat sur les bénéfices récupérés sur les territoires musulmans (à l’exception des cathédrales) et par celles des 10 janvier et 27-28 février 1458, Calixte III et Pie II avaient accepté de tenir compte de la volonté royale pour la provision des sièges épiscopaux relevant du Saint-Siège. Dans la lignée du droit de supplication qui existait pour les souverains précédents, Isabelle et Ferdinand établissent, pendant leur règne, un droit de présentation (ius patronatus et praesentandi) de la Couronne, ainsi habilitée à fournir une liste de candidats, entre lesquels le pontife doit choisir109. Les monarques proposent les nominations, qui sont ultérieurement confirmées par le pape. Ces nominations et confirmations sont ensuite adressées à l’église concernée. Avant la prise de possession de l’évêché, le prélat devait prêter serment de fidélité à la Couronne, et ensuite seulement, se voyait remettre son temporel.
60Or, l’épiscopat de Barcelone semble étroitement lié à la famille des Borgia, par ailleurs bien connue pour son usage du népotisme. Roderic de Borja (ou Borgia) i Escrivà est le neveu d’Alexandre VI (1492-1503), et Pere García l’un de ses proches110. Passant d’un évêché à l’autre, exerçant de prestigieuses fonctions à Rome, les évêques barcelonais ont coutume d’être des personnages d’envergure internationale. La nomination des évêques échappe donc aux logiques régionales ou locales. En conséquence, les chanoines, dont les ancrages sont essentiellement locaux, et qui ne peuvent mobiliser guère plus que les conseillers municipaux barcelonais, ne parviennent pas à se faire entendre pour ces affaires. Les conseillers municipaux eux-mêmes échouent à faire valoir leur influence dans ces questions. En juillet 1484, les conseillers écrivent au roi pour lui suggérer d’intercéder auprès du pape en faveur du « révérend archevêque de Sassari, doyen et chanoine de la cathédrale111 » de Barcelone, qu’ils dépeignent comme un homme de grande qualité qui ferait un bon évêque pour la ville, étant donné que l’évêque actuel (Gonzalo Fernández de Heredia) est appelé à des dignités plus élevées. On reconnaît dans ces lignes le chanoine Berenguer de Sos. Leur lettre ne reçoit pas de suite, Gonzalo Fernández de Heredia reste en place et Berenguer de Sos ne deviendra jamais évêque de Barcelone. Les conseillers ont bien pris acte que c’est auprès du roi qu’il faut plaider ce type de causes, car c’est lui qui détient la clé des nominations épiscopales, mais ils n’ont pas assez de poids pour interférer eux-mêmes.
61À la différence de ce qui s’était produit dans les années 1460, les chanoines ne protestent pas contre l’imposition d’Enric de Cardona. Sans doute le jeune âge du personnage joue-t-il et l’évêque se montre-t-il moins interventionniste que son prédécesseur. Le chapitre continue ainsi d’avoir la main sur les affaires internes de la cathédrale et la gestion de son temporel, ce qui somme toute constituait sa principale préoccupation au cours des décennies antérieures, et n’a pas dû changer. Le contrôle du siège de Barcelone s’inscrit donc dans un cadre plus large, celui de la politique des Rois Catholiques, qui contraste avec la situation de vide de l’autorité monarchique durant la guerre civile catalane, qui avait permis une plus grande autonomie des chanoines — si ce n’est statutaire, du moins dans la pratique, Joan Ximenis Cerdà n’arrivant pas à prendre possession de son évêché. Ferdinand, néanmoins, nomme Pere García, évêque réformateur qui s’implique beaucoup plus que ses prédécesseurs dans son diocèse ; puis Cardona, mineur mais imposé contre l’avis du chapitre. Cet arrêt sur images sur le siège épiscopal barcelonais dans la seconde moitié du xve siècle met donc surtout en évidence la période de transition que constituent ces décennies : transition vers un pouvoir royal plus ferme sur le haut clergé, mais surtout, à l’échelle locale, transition entre un moment de désorganisation des structures sociales, politiques mais aussi capitulaires. Au milieu du siècle, les évêques sont, pour l’un, non reconnu par le chapitre, puis, pour les deux suivants, non résidents à Barcelone, les chanoines sont peu présents à la cathédrale. Au début du xvie siècle, en revanche, l’administration capitulaire reprend de la vigueur, de même que les fonctions épiscopales. Les évolutions strictement internes au pouvoir épiscopal et capitulaire semblent, dans une certaine mesure, figurer le reflet des évolutions de la Catalogne dans les mêmes décennies (désorganisée et affaiblie par l’issue de la guerre civile, elle connaît une phase de « redressement » sous l’impulsion double des autorités locales et du roi112). Or, ce parallèle s’établit tandis qu’aucune intervention d’un acteur externe à la cathédrale ne se fait sentir sur l’établissement qui, a priori, n’est pas concerné par les différentes mesures de « redressement » affectant la cité barcelonaise.
Le rayonnement de la cathédrale sur la ville
a) Le principal chapitre de Catalogne ?
62À la fin du xve siècle, le chapitre cathédral barcelonais compte quarante prébendes113. Trente-neuf reviennent à des chanoines. La dernière est dévolue à l’évêque. À ces prébendes se superposent huit dignités (tableau 2114).
Tableau 2.— Liste des dignités au chapitre de Barcelone à la fin du xve siècle
Titre | Fonction |
Archidiacre majeur (ardiaca major) | Avant que son importance ne décroisse avec le concile de Trente, il est le « premier après l’évêque » ; son rôle est théoriquement de présider le chapitre, il est juge et administrateur des biens, et d’exercer les visites pastorales dans le diocèsea. |
Doyen (degà) | Dans la plupart des chapitres, le doyen est le principal dignitaire, celui qui reçoit tous les nouveaux membres du chapitre et fait procéder à la prise de possession des dignités. C’est une fonction particulièrement prestigieuse puisque, habituellement, il joue un rôle dans l’investiture de l’évêque et se charge de faire l’oraison funèbre de personnes de marqueb. |
Sacriste majeur (sacristà major) | Responsable de la sacristie. |
Chantre (cabiscolia) | Depuis 1229, chargé de superviser l’accomplissement des tâches des chanoines et bénéficiés. |
Sous-chantre (sustentor) | Responsable de la partie musicale de l’office. |
Trois archidiacres « étrangers » (foranis) : archidiacre de la Mer archidiacre du Vallès archidiacre du Penedès | Établis en 1324 par l’évêque Ponç de Gualba, ils correspondent aux trois zones entre lesquelles est divisé le diocèse de Barcelone. « De la Mer » : partie littorale du diocèse Vallès : région située immédiatement au nord de Barcelone Penedès : région située au sud-ouest de Barcelone. |
a. Catedral de Barcelona. Arxiu, Catàleg-inventari ACB, 1985-2005, t. IIIa, p. 66. b. Ducreux, 1986, p. 27. |
63De façon tout à fait classique, ces dignités sont des charges honorifiques qui impliquent des fonctions supplémentaires et des rétributions spécifiques. Selon les cathédrales, elles peuvent se superposer à la canongia — la place au chapitre en tant que chanoine — ou bien s’y ajouter (dans ce cas-là, le chapitre est alors composé de prébendes assignées à de « simples » chanoines et de dignitaires qui n’ont pas de prébendes). Barcelone est dans la première situation : les dignités se superposent aux canongies. Les dignitaires y sont à la fois détenteurs d’une prébende de chanoine — c’est-à-dire du droit de perception d’une portion des rentes du chapitre — et d’une dignité. Le chapitre compte donc quarante prébendes, dont huit dignités. Leur nombre a évolué au cours du temps : le chantre est créé au xiiie siècle, les archidiacres foranis au xive siècle. À l’époque moderne, cette structure se modifie de nouveau puisqu’en 1592, apparaissent les « dignités royales », dotées d’une juridiction sur les paroisses du Llobregat et de Badalona. L’organigramme de la cathédrale est donc mouvant au cours du temps115.
64Cette organisation interne diffère d’un chapitre à l’autre116. Celui de Barcelone s’inscrit dans la moyenne des effectifs et du nombre de dignités des autres chapitres cathédraux européens du bas Moyen Âge. La législation canonique ne statue en effet que sur les normes générales de configuration des chapitres, mais l’organisation particulière des cathédrales est fixée par les statuts capitulaires de chaque établissement117. Il peut ainsi exister de nombreuses variantes. De ce fait, malgré quelques traits courants, chaque cathédrale dispose en réalité de son organisation interne, qui lui est spécifique et est généralement fruit des aléas de son histoire. Elle établit sa propre liste de dignités, ses propres procédures de délibération, de gestion et de rétribution des chanoines118.
65Il faut donc replacer le chapitre barcelonais dans son contexte institutionnel en le comparant, au cas par cas, avec les autres établissements similaires en Occident. En 1400, la péninsule Ibérique compte soixante-huit diocèses, ce qui est non négligeable à l’aune des quelque huit cents qui composent l’Occident119. La Catalogne en dénombre sept120. Or, rares sont les travaux de synthèse sur les chapitres cathédraux, l’étude de ces établissements étant avant tout passée par le biais de monographies, générales ou thématiques121. La Castille, en particulier, a été féconde pour ce type d’études, mais également pour les tentatives de synthèse à l’échelle ibérique. Relevons à ce titre le bilan historiographique dressé par María José Lop Otín et portant sur l’espace castillan, ainsi que le court article de José Luís Martín Martín, remontant à 1976, sur l’évolution générale des chapitres cathédraux, qui se centre sur la partie occidentale de la péninsule Ibérique (sans inclure, donc, l’espace de la couronne d’Aragon), et s’interrompt au xiiie siècle122. Plus récemment, des tentatives de synthèses ont été opérées concernant l’époque moderne et l’Ancien Régime123. Il s’agit néanmoins d’états des lieux historiographiques, au format d’articles. L’ouvrage de Maximiliano Barrio Gozalo constitue l’une des rares synthèses récentes sur la question des bénéfices ecclésiastiques en Espagne, incluant les canonicats et épiscopats124, qui complète les analyses institutionnelles de Christian Hermann125. Toutefois, si cette approche permet de mettre en contexte les situations particulières, la bibliographie centrée sur l’époque moderne considère une situation postérieure au concile de Trente (1545-1563), lequel a marqué un profond changement dans les statuts et l’organisation des chapitres cathédraux. Pour étudier l’époque médiévale, le parallèle avec la situation de ces établissements à partir du second xvie siècle s’avère donc délicat et il est préférable de favoriser la comparaison avec des chapitres médiévaux contemporains.
66Il n’est pourtant pas aisé de rechercher ces éléments de comparaison à l’échelle catalane pour la fin du Moyen Âge : les autres cathédrales de la région n’ont guère fait l’objet d’analyses approfondies. Les sièges épiscopaux de Vic, Urgell ou l’archevêché de Tarragone ont donné lieu à des travaux ponctuels : quelques articles portant sur l’édition d’un document, un aspect d’architecture ou une question d’archivistique126. Gérone a été un peu mieux traité, sans qu’il existe pour autant de monographie complète sur l’établissement127. Mais nous sommes bien loin de la situation castillane, où presque chaque chapitre cathédral de quelque importance a fait l’objet d’une solide monographie, parfois centrée soit sur son fonctionnement institutionnel, soit sur sa domination économique et seigneuriale sur le territoire alentour, ou parfois encore sur sa composition sociologique128.
67La bibliographie existante permet toutefois quelques constats. À la lumière de ces comparaisons, le chapitre de Barcelone apparaît comme le plus grand de Catalogne en termes d’effectifs129. Ceux de Vic et de Tarragone comptent deux fois moins de prébendes. À Vic les dignités sont au nombre de trois (archidiacre, sacriste majeur et precentor) et les prébendes au nombre de vingt-deux130. À Tarragone, une bulle de Benoît XIII datée du 29 juin 1410 réforme le chapitre qui compte, jusqu’en 1530, vingt-trois chanoines (il passe ensuite à vingt-quatre chanoines et onze dignités)131. Celui de Gérone se compose de vingt-quatre chanoines dont sept dignitaires132. Le chapitre de la Seu d’Urgell, enfin, est constitué de vingt ou vingt et un membres au début du xvie siècle133. Au-delà de ces données, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de monographie permettant de détailler l’organisation interne de ces cathédrales, leurs modalités d’administration ou le rôle de leurs chanoines. Sur ces points, replacer la cathédrale barcelonaise dans un cadre local semble alors ardu. La comparaison avec les chapitres ibériques et même européens devient nécessaire.
68Pour ne prendre que quelques exemples en péninsule Ibérique, en termes d’effectifs toujours, le chapitre barcelonais se situe « à la moyenne » des chapitres de Castille, mais il est plus petit que certains de ses homologues hors de l’espace ibérique. Ainsi, la cathédrale de Tolède compte quarante prébendes, dont quatorze dignités134. Celle de Saint-Jacques-de-Compostelle est composée de cinquante-quatre chanoines au tout début du xvie siècle135. Celle de Salamanque compte vingt-six prébendes et huit dignités à la fin du Moyen Âge136. Celle de Cordoue, vingt prébendes et huit dignités137.
69Quelques exemples hors de la péninsule Ibérique confirment ces ordres de grandeur et ces disparités d’un chapitre à l’autre. Le chapitre de Tulle dispose de seize prébendes dont quatre dignités : doyen, prévôt, trésorier, chantre138. Celui de Rouen compte cinquante membres139 et celui du Mans, neuf dignités, qui s’ajoutent aux quarante-trois prébendes et un personnat, constituant alors un chapitre de cinquante-trois membres140 ; celui de Reims atteint les soixante-douze prébendes141. Pour prendre un exemple en péninsule italienne, le chapitre de Padoue se compose au xve siècle de vingt-deux chanoines142. Nous pourrions multiplier les exemples à travers l’Occident médiéval. Ceux-ci suffisent, sans doute, à montrer la diversité des structures capitulaires et des effectifs, compris généralement entre la vingtaine et la cinquantaine de membres. Surtout, il apparaît que chacun dispose de sa propre organisation, de ses propres dignités, et partant, de sa propre façon d’administrer sa gestion et de se structurer.
70Selon les mots de Soledad Suárez Beltrán, l’administration interne des chapitres cathédraux médiévaux est souvent « maladroite et ankylosée143 ». Cette lourdeur administrative et le poids de l’histoire de l’établissement s’observent particulièrement dans la gestion du patrimoine de la mense capitulaire. Terriers, affermages, division du patrimoine en « administrations » séparées, chacune rattachée à un office de l’établissement, donnent lieu à un organigramme complexe dans beaucoup d’évêchés. Le chapitre barcelonais n’échappe pas à la règle (fig. 1)144. Il centralise l’information et chapeaute en fait des administrations quasi indépendantes.
71Les actes capitulaires distinguent bien entre les offices majeurs et les offices mineurs. Ces dénominations correspondent à la fois à des fonctions au chapitre et à une administration indépendante à laquelle sont rattachés des terres, des gestionnaires et, donc, des séries archivistiques distinctes. Il s’agit bien de petites administrations à part entière, qui génèrent des recettes, dépenses, frais de gestion, la production de documentation et la mobilisation d’un personnel afférent (tableau 3145)146.
Tableau 3. — Liste des offices à la cathédrale de Barcelone à la fin du xve siècle
Chanoines exerçant la charge | Administration correspondante, au sein de la cathédrale | |
Offices majeurs | 1 caritaterius | Casa de la Caritat (gestion de la mense capitulaire) |
2 almoiners | Pia Almoina (institution caritative de la cathédrale) | |
1 procurateur des anniversaires | Anniversaires communs | |
1 hospitalerius (délégué à l’administration de l’hôpital de la Santa Creu, en dehors de la cathédrale) | - | |
Offices mineurs | 2 obrers majors (chanoines en charge des travaux de la cathédrale) | Fabrique (travaux de construction et de rénovation de l’édifice) |
1 chanoine en charge du luminaire | Luminaire | |
1 portarius (en charge du cloître) | - | |
1 bursanus | - | |
1 vaseriusa | - | |
Autres administrations (non qualifiées d’offices) | Différents gestionnaires | 12 pabordies (gestion des prébendes) |
Le chanoine caritaterius | Pastrim (gestion des distributions de pain) | |
a. Les actes capitulaires contiennent une unique occurrence d’un vaserius au statut incertain, qui ne dispose pas d’une administration propre (ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, f° 131). Il s’agit peut-être du « vasarius », responsable de la vaisselle liturgique, dans la sacristie, étant donné qu’à sa mort, en août 1474, il est envisagé de dissoudre son office et de l’incorporer à la chapelle, ou bien d’une latinisation du terme catalan vaser (fossoyeur). Jaime Villanueva l’identifie comme un second sacriste (Villanueva, 1821-1851, t. XVIII, p. 42). |
b) À chaque « administration » sa fonction
72Étant donné la complexité administrative des cathédrales prétridentines et la variation du vocabulaire et de la composition d’un établissement à l’autre, il n’est guère surprenant que la quasi-totalité des études portant sur des chapitres cathédraux en passent par la présentation institutionnelle de l’établissement, séparant les offices majeurs et les offices mineurs, définissant les fonctions de chacun. Du point de vue de la pratique, la cathédrale, en effet, doit être comprise comme une vaste machinerie administrative, constituée d’entités animées par ses propres intérêts, le tout étant chapeauté par le chapitre (fig. 1)147.
73Le degré d’intégration de toutes ces « administrations » à l’établissement est variable. Leurs revenus leur servent à s’autofinancer et les pratiques gestionnaires ainsi que les acteurs à leur tête varient de l’une à l’autre. Le chapitre de chanoines, lui, n’exerce qu’un contrôle indirect sur la plus grande part des offices148. En revanche, ses membres sont nommés à la tête des différents offices et ont des intérêts directs dans l’administration des prébendes et de la mense capitulaire, centralisée par la Casa de la Caritat. Comment, dans la pratique, s’effectue l’exercice des multiples fonctions de la cathédrale dans la ville (liturgie, administration du temporel, charité) ? Une partie des administrations du chapitre a pour fonction de rétribuer les chanoines :
La Casa de la Caritat et la gestion de la mense capitulaire
74L’administration placée au cœur de la mécanique administrative de l’établissement est la Casa de la Caritat (« Maison de la Charité ») ou simplement Caritat. Contrairement à ce que cette appellation laisse penser, il ne s’agit plus, au xve siècle, d’une branche caritative de la cathédrale, mais de l’administration de la mense capitulaire — c’est-à-dire la part du temporel revenant au chapitre dans son ensemble, par différence avec la mense épiscopale attribuée à l’évêque. Son rôle se révèle néanmoins beaucoup plus étendu que la seule rétribution des chanoines à partir de la mense. Elle reçoit des versements issus des autres administrations et pourvoit aux frais de gestion de la cathédrale (salaire du notaire, rétribution des messagers, etc.), mais sans pour autant exercer une fonction de centralisation149.
75À la fin du xve siècle, son activité est entièrement tournée vers l’administration économique de la cathédrale. Les attributions de son gestionnaire, le caritaterius (ou caritater en catalan), sont décrites dans le Llibre de tots los oficis150. Sa tâche principale est de recevoir des rentes et de les distribuer aux chanoines présents aux offices divins. Il exerce également une véritable fonction de contrôle : il doit vérifier si les distributions canoniales sont réparties correctement et se montrer particulièrement attentif aux fautes commises par les chanoines. Il doit aussi les informer sur les questions d’immunité ecclésiastique et sur les droits de l’établissement. Il a obligation de rendre des comptes au chapitre, de veiller à la bonne administration de son office et de tenir soigneusement ses registres. Pour finir, lui sont enfin assignées des attributions plus proprement religieuses, comme assurer la célébration d’une messe au Saint-Esprit lors des chapitres généraux, des anniversaires rattachés à la Casa de la Caritat ou encore encadrer certaines fêtes religieuses151.
76Toutefois, lorsque l’on examine les livres d’administration de la Casa de la Caritat, la structure de cette mense capitulaire apparaît plus complexe. Surtout, elle se révèle centrale dans la vie de la cathédrale. Dans la théorie, la mense capitulaire est censée pourvoir à la rétribution des chanoines, sous forme de distributions issues du fruit des terres rattachées à leurs prébendes. Dans la pratique, la Casa de la Caritat se charge de distribuer aux chanoines les « portions », les rétributions pour leur assistance à leurs tâches. Mais les prébendes, en tant que subsides issus des terres rattachées au chapitre et dévolues aux émoluments des chanoines, dépendent d’une autre administration : celle des pabordies. La Casa de la Caritat, elle, verse les « portions » rétribuant leur assistance réelle aux offices. Les chanoines semblent donc percevoir deux versements issus des rentes de la mense : les prébendes des pabordies, et les « portions » de la Casa de la Caritat.
77Les frais de la Casa de la Caritat dépassent le cadre de la gestion de rentes qui seraient reversées aux chanoines. La partie « dépenses » de ces livres de comptes fournit en fait un aperçu de la vie de la cathédrale et de celle des chanoines152. Frais de remboursement de missions, salaires des administrateurs, achat de matériel, paiements des commissions pour délivrer des messages ou pour la tenue d’un procès impliquant les membres du chapitre : ces dépenses révèlent le rôle central du caritaterius dans la vie du chapitre au sein de la cathédrale. La Casa de la Caritat réceptionne des versements venant d’autres administrations (bénéfices, sacristie, anniversaires, pabordies) et reverse aussi des sommes à certaines d’entre elles (anniversaires, sacristie, Pia Almoina). Elle effectue des paiements extérieurs à la cathédrale : à des établissements ecclésiastiques, à des particuliers pour certains services. Selon José Sanabre, elle aurait progressivement, au fil des ans, recouvert plusieurs autres offices, tous destinés à contrôler l’administration capitulaire, dont le pastrim et les pabordies153. Nos sources ne révèlent cependant pas de trace d’une imbrication du pastrim dans la Casa de la Caritat et, à la fin du xve siècle, les pabordies sont assurément indépendantes. Néanmoins, ces trois administrations sont étroitement liées du fait de leur fonction même : administrer les possessions directes de la mense capitulaire et rétribuer les chanoines.
Les pabordies : l’administration des prébendes
78Les administrations chargées de distribuer les prébendes aux chanoines sont donc distinctes de la Casa de la Caritat. Il s’agit des douze pabordies, aussi appelées « prepositures » (prévôtés). Le système est instauré en 1157 par l’évêque Guillem de Tortoja, antérieurement, donc, à la Casa de la Caritat. Il vise à administrer le patrimoine du chapitre, réparti entre douze pabordies, chacune rattachée à un mois de l’année qui lui donne son nom (pabordia de janvier, pabordia de février, etc.). À la fin du xve siècle, sept d’entre elles sont placées « entre les mains du chapitre » : Janvier, Mars, Juin, Juillet, Septembre, Octobre et Novembre. Elles font l’objet d’une gestion plus directe que les cinq autres : un seul individu est responsable de leur gestion, le pabordre (prévôt). La charge ne constitue pas un office au même titre que celui du caritaterius et son responsable n’est pas désigné lors des réunions du chapitre. Les comptes de ces sept pabordies sont réunis dans les mêmes livres d’administration154. Les cinq dernières (Février, Avril, Mai, Août et Décembre) ont laissé moins de traces, si bien qu’il est difficile de déterminer à quel point le chapitre pouvait être impliqué dans leur gestion. Les livres d’administration des pabordies de février et d’avril ne diffèrent pas fondamentalement de celui des pabordies placées entre les mains du chapitre, si ce n’est que l’identité de leur gestionnaire change155. Reste qu’il n’y avait pas un unique pabordre (prévôt) responsable de leur gestion commune, mais bien plusieurs individus, attachés à telle ou telle pabordia.
79Chaque pabordia constitue une personne morale, dispose de ses propres terres et établit ses propres terriers. Toutes ne sont pas aussi bien dotées — peut-être, d’ailleurs, les pabordies qui ne sont pas entre les mains du chapitre et qui n’ont pas laissé de trace administrative avaient-elles fini par péricliter à la fin du xve siècle ? La documentation ne permet pas de le déterminer. Chacune, néanmoins, doit verser une fois par an aux chanoines leur part des revenus rassemblés au cours de l’année, et ce durant le mois qui leur donne leur nom (celle de Janvier en janvier, celle de Février en février, et ainsi de suite). Ce système n’est pas propre à Barcelone ; on en trouve par exemple trace à Gérone, apparemment sous les mêmes modalités156. Il donne alors lieu à une administration indépendante, riche en documentation (terriers, livres d’administration, actes notariés).
80Le statut de cette administration au sein de la cathédrale est néanmoins particulier. On l’a dit : les pabordies ne sont rattachées ni à une dignité ni à un office. Elles entretiennent pourtant un lien direct avec le chapitre en cela qu’elles administrent ses terres, perçoivent ses rentes et distribuent leurs prébendes aux chanoines qui le composent. Cependant, elles ne sont pas directement subordonnées à l’administration générale de la mense capitulaire. Les pabordies devraient en toute logique être une émanation de la Casa de la Caritat, puisqu’elles gèrent les rentes foncières de cette mense. Toutefois, lorsqu’on se penche sur la documentation, elles semblent bel et bien indépendantes : aucune pension fixe n’est versée à la Casa de la Caritat par les pabordies. Leurs revenus et leurs dépenses semblent largement autonomes. La relation entre Casa de la Caritat, pabordies et chapitre est alors surtout fonctionnelle et se limite à un objectif commun aux trois offices : assurer les versements dus aux chanoines. Une partie des « administrations » de la cathédrale, fonctionnant en circuit fermé, assure la liturgie de l'établissement :
La Fabrique de la cathédrale
81Tout aussi indépendante, la Fabrique de la cathédrale (Obra ou Fàbrica) donne également lieu à une volumineuse documentation séparée et très fournie. Elle apparaît également à plusieurs reprises dans les actes capitulaires157. Il s’agit de l’administration responsable des travaux de construction de la cathédrale et de son entretien158. Tous les deux ans sont nommés les obrers, chanoines en charge de cette administration, qui doivent rédiger les registres de comptes de la Fabrique159.
Les « anniversaires communs »
82Les autres administrations sont moins importantes, en termes de production de documentation et d’activité. Les « anniversaires communs de la cathédrale » disposent de leurs propres séries d’archives. Ils sont aussi évoqués comme une personne morale dans les comptes des pabordies et dans ceux de la Casa de la Caritat. Ces offices religieux, créés par donation, visent à honorer la mémoire d’un donateur à l’anniversaire de sa mort. Ils sont regroupés sous l’appellation « anniversaires communs ». Un chanoine est désigné à la direction de cette administration. Théoriquement, lors de la célébration de l’anniversaire de la mort d’un donateur, les chanoines reçoivent une rétribution, prévue par le fondateur de l’obit célébré. À Barcelone, le Llibre de los oficis indique en effet que les anniversaires doivent, au xvie siècle, verser une rétribution de 6 livres au chapitre cathédral160, ce que confirment les livres d’administration de la Casa de la Caritat. L’existence des anniversaires comme personne morale à part dans la cathédrale n’est d’ailleurs pas propre à Barcelone, mais s’avère fréquente au sein des chapitres cathédraux161. À ce titre, l’institution peut, de façon autonome, bénéficier de dons qui lui sont adressés directement (et non à la cathédrale en général), procéder à des achats ou être propriétaire de biens et de revenus indépendants de la mense capitulaire.
Les bénéfices et le groupe des beneficiats
83Comme les anniversaires, les bénéfices de la cathédrale se caractérisent par leur autonomie. Chaque bénéfice dispose de ses propres livres d’administration et par là même de son propre système de gestion, de son propre personnel et, finalement, de ses propres terres et rentes. Un bénéfice, en effet, constitue une charge, dépendant de la cathédrale, octroyée à un membre du clergé séculier du diocèse qui reçoit une rente162. Il se définit par la localisation d’un autel érigé sous l’invocation d’un saint (choisi en fonction de l’existence d’affinités avec le fondateur). La constitution d’un bénéfice passe alors par un contrat, établissant le lieu où s’érigent le bénéfice, les droits et les obligations des bénéficiaires, ainsi que la dotation correspondante, sous forme de propriétés foncières163. L’objectif, pour le fondateur, est d’assurer à perpétuité le culte de son saint patron. D’un point de vue matériel, l’opération implique un transfert de biens fonciers à l’Église, des rentes et une administration de la part de la cathédrale. D’un point de vue administratif, les bénéfices sont en réalité une multitude d’administrations distinctes, chacune portant sur un bénéfice. La cathédrale en compte beaucoup : cent dix-huit au xve siècle164.
84Les beneficiats — les détenteurs de bénéfices — gravitent alors en grand nombre autour de la cathédrale. Ces clercs sont chargés de célébrer le culte de saints patrons, dans diverses chapelles localisées dans la cathédrale, indépendamment du culte divin auquel sont astreints les chanoines. Dans les faits, néanmoins, nombre des offices et charges nécessaires à la bonne marche de la cathédrale sont assumés par des bénéficiés. « Beneficiat en la Seu » est une dénomination fréquente pour caractériser un individu au cours d’une transaction165. Cette charge à la cathédrale fournit donc un statut. Elle crée là un groupe, difficile à définir, que ce soit du point de vue de ses effectifs, de son implication réelle dans l’Église diocésaine, ou de sa sociologie, un groupe d’individus qui n’ont pas leur mot à dire dans les décisions affectant la cathédrale, mais qui constituent un rouage essentiel de sa gestion au jour le jour.
Les administrations mineures et le personnel desservant
85D’autres offices, de moindre importance, sont cités dans les actes capitulaires et s’insèrent dans l’organigramme de la cathédrale.
86Le pastrim, que l’on trouve quelquefois sous la forme « pestrim » ou « pestriny » (dérivé du latin pistrinum, « moulin », « boulangerie »), désigne l’administration chargée de la gestion du pain à la cathédrale. Tenu par le caritaterius, l’office s’occupe de la distribution des rations de pain qui reviennent au personnel présent aux offices, y compris les chanoines166. Initialement donné sous forme de pain, cet émolument passe peu à peu à un versement en numéraire. C’est le cas à la fin du xve siècle167. Le pastrim demeure une administration de faible importance, dont les attributions sont subordonnées à celles de la Casa de la Caritat, mais il a une personnalité juridique et une administration séparées.
87Le luminaire (luminària), à savoir l’office en charge de l’approvisionnement et de l’entretien des lampes et des cierges nécessaires au culte, dispose de sa propre administration et du titre d’office mineur, lui aussi. À Barcelone, il est mis en place en 1375 et fait l’objet d’un petit livre d’administration tenu tous les deux ans168. C’est d’ailleurs à l’occasion de sa reddition de comptes qu’apparaît la seule mention de cette administration dans les actes capitulaires, en 1475169.
88Les sources sont silencieuses au sujet du personnel subalterne (serviteurs de la cathédrale comme les domestiques, clercs de faible importance, etc.). Pourtant, cette catégorie de personnel est nécessaire à la vie de l’établissement170. S’y ajoutent les laïcs rattachés au service de la cathédrale, qui interviennent dans la gestion de l’établissement, ponctuellement ou de façon suivie. Scribes et messagers figurent ainsi dans les livres d’administration au chapitre des dépenses, à travers la mention de leur salaire. La cathédrale dispose également de son propre notaire attitré : à la fin du xve siècle, il s’agit de Dalmau Ginebret, qui revient fréquemment dans les sources notariées de la cathédrale ainsi que dans les comptes de la Casa de la Caritat où figure son salaire. Enfin, certaines rentes sont affermées auprès de clercs ou de laïcs. Cet ensemble d’individus sont impliqués dans la gestion de la cathédrale, sans en faire réellement partie.
89Au xve siècle, la charité à Barcelone — à l’image du reste des villes occidentales — passe par plusieurs biais : charité individuelle, matérialisée par des legs pieux dans des testaments, ou charité encadrée par les paroisses171. Deux institutions d’assistance, néanmoins, se détachent par leur ampleur et leur importance : l’hôpital de la ville, appelé Hospital de la Santa Creu, et la Pia Almoina, l’aumônerie de la cathédrale ; deux structures dans la gestion desquelles le chapitre cathédral est directement ou indirectement impliqué. Les activités caritatives de la cathédrale sont exercées de façon quasiment indépendante du chapitre, sous la forme de deux administrations autonomes : la Pia Almoina, dépendance de la cathédrale qui dispose d’un édifice à part et de sa gestion propre, et l’hôpital de la Santa Creu, totalement distinct de la cathédrale, mais rattaché à celle-ci par le fait que deux de ses administrateurs sont statutairement désignés par lui au sein du chapitre. Deux administrations charitables sont ainsi chapeautées par le chapitre :
La Pia Almoina : l’indépendance de l’institution caritative de la cathédrale
90Étant donné le glissement des fonctions de la Casa de la Caritat vers l’administration de la mense capitulaire, les activités caritatives se reportent au fil du temps sur la Pia Almoina, l’aumônerie. Celle-ci constitue fort probablement la plus riche de ces administrations, à en croire les études la concernant pour le xive siècle172. Or, elle est aussi particulièrement indépendante, tant dans sa gestion que dans ses attributions173.
91La Pia Almoina barcelonaise est à replacer dans son contexte régional. Aux xiiie-xive siècles se développent dans les villes catalanes des almoines, des aumôneries rattachées aux différentes cathédrales et ayant pour fonction de nourrir les pauvres de la localité. À l’instar des établissements catalans du même nom (à Urgell, Gérone ou Lleida)174, la Pia Almoina de Barcelone est chargée d’apporter une aide alimentaire aux pauvres de la ville175. Le vocable « Pia Almoina » désigne à la fois une administration et un édifice. En fonction toute l’année, elle fournit, pour le repas du midi, de la nourriture aux pauvres de la ville. Un nombre fixe de « distributions » ou « portions » (distribucions, porcions) sont rattachées à un certain nombre de pauvres, qui peuvent venir quotidiennement chercher leur nourriture dans un réfectoire localisé, à la fin du xve siècle, dans la Casa de l’Almoina, bâtiment jouxtant la cathédrale176. L’ensemble de ces « pauvres » représente environ trois cents personnes au xve siècle. Principal établissement d’assistance dans la cité barcelonaise, la Pia Almoina constitue, en un sens, le mode de rayonnement le plus visible de la cathédrale sur la société laïque177.
92Au fil des donations, l’Almoina en vient à acquérir un très vaste domaine foncier, dans la ville et dans une soixantaine de localités des campagnes environnantes. Dès le xiiie siècle, elle s’oriente vers une stratégie de concentration des terres en grands domaines, comprenant des terrains, des moulins, des exploitations agricoles, etc. À la différence de la Casa de la Caritat ou des pabordies, au-delà de la propriété foncière, elle dispose de droits seigneuriaux sur un nombre non négligeable de localités dans le Llobregat, le Maresme et le Garraf178.
93Or, pour administrer cette riche et vaste seigneurie foncière, l’Almoina se maintient très indépendante du reste de la cathédrale. Le chapitre se contente de nommer ses deux administrateurs (almoiners ou elemosinari)179. En théorie, ils sont choisis par l’évêque et le chapitre ; néanmoins, dans la pratique, ce sont les membres du chapitre qui les désignent180, et c’est encore auprès du chapitre qu’ils rendent des comptes, après leurs deux ans de mandat, à la fête de la Santa Creu, c’est-à-dire le 3 mai181. En dehors de la nomination des almoiners et de l’audition des comptes, le chapitre ne s’engage aucunement dans sa gestion182.
Une implication indirecte dans l’hôpital de la Santa Creu
94Le rayonnement de la cathédrale à travers son action charitable recouvre un second versant, avec l’implication de l’établissement dans l’administration du principal hôpital de la ville183. Les actes capitulaires font état de la nomination d’un hospitalerius184. Il s’agit de l’unique marque d’une connexion, dans la pratique, entre l’administration capitulaire et celle de l’hôpital de la Santa Creu, qui lui est totalement indépendant. Les chanoines sont impliqués de façon indirecte dans sa gestion. Fondé en 1401, l’hôpital est en effet administré en plus haute instance par quatre personnes : deux notables désignés par le Conseil des Cent de la ville, et deux chanoines désignés par la cathédrale185. Celle-ci se contente donc de nommer deux de ses administrateurs tous les deux ans, au cours d’une réunion du chapitre.
c) La lourdeur d’une structure ancienne
95Vis-à-vis de l’extérieur, la cathédrale se révèle un interlocuteur à plusieurs facettes. Les tenanciers des terres appartenant à la Pia Almoina n’ont pas le même interlocuteur que ceux des terres relevant des pabordies. Les stratégies foncières et les pratiques gestionnaires, nous le verrons, varient d’une administration à l’autre.
96Dans cet entrelacs administratif, la chaîne de commandement est difficile à reconstituer. Comme on l’a vu, sous l’autorité théorique de l’évêque, le chapitre cathédral chapeaute l’ensemble de l’établissement. Mais aucun document n’atteste un processus de décision hiérarchisé qui permettrait de suivre les ramifications d’un centre de commandement, depuis l’évêque (ou le chapitre) jusqu’au petit personnel de la cathédrale. Rien n’est donc explicite. Ce silence des sources est éloquent : rien n’est non plus coordonné à l’échelle de la cathédrale. La gestion est peu centralisée, peu concertée. Concrètement, dans les faits, quelle est alors la marge de manœuvre des chanoines ? Que signifie vraiment être à la direction de la cathédrale ?
97À la lecture des actes capitulaires, le rôle centralisateur quotidien du chapitre semble se limiter à nommer les responsables des offices que l’on vient de lister, et d’assister à la reddition de comptes. Les pages finales du Liber Camissae nous renseignent précisément à ce sujet, fournissant une liste de ces administrations et des chanoines désignés pour les diriger186. On y voit que la reddition des comptes se fait aussi devant le chapitre187 et que celui-ci peut délivrer des autorisations d’absence pour le caritaterius188, mais qu’il n’intervient à aucun moment dans les autres administrations.
98Le chapitre délègue en fait l’application de la plupart de ses décisions189. Il ne s’implique jamais dans le détail de l’administration des terres, rentes, ou de la liturgie dont les différents offices sont en charge. Il se contente de mandater des émissaires pour certaines questions et de donner quelques ordres de paiement en cas de désaccord entre les administrations190. Son rôle est lointain, en surplomb, et peu effectif dans le quotidien des administrations de la cathédrale.
99Dans l’ensemble des actes capitulaires, rares sont donc les mesures portant directement sur l’administration de la cathédrale dans son ensemble — et encore plus rares celles qui sont appliquées. À aucun moment ne se dégage de plan d’ensemble ni de décision de grande ampleur.
100Le 11 mai 1472, néanmoins, le chapitre décide la mise en place d’une instance de contrôle : un nouvel office, l’officium rationalis, est créé. Le chanoine ainsi désigné sera chargé de superviser toutes les administrations de la cathédrale ainsi que leurs rentes, dans la ville comme au-dehors, et d’établir un état des lieux à travers un registre récapitulant ces administrations. La raison invoquée pour expliquer cette décision est la nécessité d’assainir les finances après les difficultés dues à la guerre. Le détenteur de l’officium rationalis, désigné pour deux ans, doit entrer en fonction le 1er mai 1473 et percevra son salaire une fois l’assainissement des comptes terminé. À cette fin, il aura le complet accès à tous les livres d’administration de la cathédrale : Pia Almoina, Casa de la Caritat, sacristie, luminaire et Obra191.
101On voit bien là une tentative de centralisation, à l’instigation du chapitre. Pourtant, nulle trace de cet officium rationalis ne figure dans les sources postérieures à 1472. Le livre qu’il était censé produire pour régulariser les comptes reste introuvable et aucune mention de son existence n’est faite dans les actes capitulaires ou les autres registres. Il est possible que la mesure soit restée lettre morte ou que l’officium rationalis ait eu un poids moins important que prévu et n’ait pas pu centraliser, ni assainir, l’administration.
102D’autres tentatives de prise en main sont perceptibles, mais, à l’exception de l’établissement de l’officium rationalis, toujours de façon ponctuelle et limitée, pour répondre à un problème précis. Lorsqu’une difficulté se présente, une solution est trouvée par le chapitre, qui donne un ordre pour y remédier. Par exemple, le 25 août 1474, il décide d’interdire aux détenteurs d’offices d’affermer à l’excès (late) les fruits de la Casa de la Caritat et des pabordies. Le 21 novembre de la même année, le chapitre mandate le chanoine Pere Ramon Loteres pour régler un problème de pensions non versées192. Toutefois, les décisions isolées qui sont prises alors par les chanoines ne modifient pas la structure administrative de l’établissement, se contentant de la complexifier encore — et ce, dans les cas où elle ne reste pas lettre morte. Il n’y a pas trace de projets en tant que tels. La gestion est marquée par le pragmatisme.
103Dans les faits, il semble que le chapitre peine bel et bien à centraliser la gestion de la cathédrale. Le nombre de ses réunions est peu élevé et tend à diminuer entre les années 1470 et les années 1490. C’est tout l’établissement qui connaît des problèmes d’organisation interne. Les actes capitulaires mettent pourtant bien l’accent sur les difficultés économiques de la cathédrale et sur l’importance du recouvrement des rentes dues — en témoigne la création de l’officium rationalis, qu’elle ait été effective ou non. Mais le fonctionnement même de la cathédrale rend ces mesures d’assainissement difficiles. Le poids de ses structures et leur fonctionnement administratif est, à la fin du xve siècle, le fruit d’une histoire longue, résultat d’une superposition de mesures, de lentes transformations — telles que le changement de fonctions de la Casa de la Caritat, qui passe d’institution charitable à mense capitulaire. Les pratiques gestionnaires anciennes ne sont pas réformées, ou très lentement et sans stratégie d’ensemble. Le tout, dès lors que l’on regarde en détail ses modalités de fonctionnement, dégage une impression de lourdeur et montre l’absence de contrôle global de l’institution.
104Dans le dernier tiers du xve siècle, la cathédrale barcelonaise s’articule autour d’une mécanique administrative complexe. Plus qu’un établissement religieux ou une institution au sein de la ville, il s’agit, du point de vue de sa gestion et de ses acteurs, d’une mosaïque d’hommes et d’administrations distinctes. Évêque, chanoines, dignitaires, vicaire de l’évêque, administrateurs responsables de tel ou tel office : nombreux sont les acteurs impliqués dans sa gestion, mais aussi dans les choix qui déterminent sa direction et ses éventuelles stratégies. Chacun dispose d’un poids différent dans l’organigramme, de droit et de fait. L’évêque, lointain, a une forte préséance hiérarchique et honorifique, mais quasiment aucune marge d’action réelle. Lorsque, dans les années 1490, le prélat Pere García tente de reprendre la main sur l’établissement, il peine face à l’inertie du chapitre cathédral. Celui-ci, depuis la guerre civile de 1462-1472, prend clairement son indépendance vis-à-vis de son supérieur hiérarchique. Le constat surprenant, par rapport aux autres chapitres cathédraux, est qu’il semble y parvenir. Jaloux de son autonomie, il garde la main sur la cathédrale. Son autorité, néanmoins, s’affirme surtout sur l’établissement en lui-même : il ne dispose pas du rayonnement, hors de Barcelone, dont peut jouir un siège épiscopal. Ses appuis face à l’évêque sont locaux, c’est-à-dire qu’il peut compter sur le soutien du gouvernement municipal, lequel pèse peu face aux enjeux sous-tendant les élections épiscopales sous les Rois Catholiques. Cette autorité du chapitre sur la cathédrale ne donne pas lieu non plus à une véritable prise en main de l’établissement. Après la guerre, le chapitre se réunit peu, statue sur quelques mesures concrètes et limitées dans le temps, et se contente d’une gestion indirecte de l’établissement en délégant la supervision de toutes ses administrations. La faible emprise de l’évêque montre donc surtout une forme de déliquescence de l’activité de la cathédrale, en tant que centre administratif dans les années qui suivent la guerre civile catalane. Le mouvement semble s’interrompre à l’orée du xvie siècle : l’évêque (Pere García) est davantage présent, les assemblées reprennent, des tentatives timides d’assainissement de l’administration voient le jour (la création de l’officium rationalis).
105Durant tout ce temps, le chapitre continue de chapeauter la cathédrale. Il nomme aux offices, auditionne les comptes, prend des mesures ponctuelles et, pour le reste, délègue à certains de ses membres la responsabilité des administrations qui constituent la cathédrale. Le canonicat fournit à ses détenteurs une autorité sur le puissant siège épiscopal, dont les sphères d’activité au sein de la vie urbaine sont multiples : elle détient des terres et des revenus, s’occupe de charité avec la Pia Almoina, coadministre l’hôpital de la ville, assure de nombreuses opérations de liturgie, commande à un personnel nombreux.
106La cathédrale se détache donc comme une institution ecclésiastique bien particulière dans la ville. Elle se distingue des établissements réguliers de la cité par son implication dans la vie urbaine (au niveau de la charité et de son administration de la liturgie) et son poids hiérarchique sur le clergé du diocèse. Le contexte de post-guerre que connaît la capitale catalane après 1472 met particulièrement en évidence ce mode de fonctionnement. L’évêque étant absent, la cathédrale repose avant tout sur le chapitre de chanoines. Elle se définit comme un centre de pouvoir au sein de l’Église locale. Comment interagit-elle alors avec le pouvoir politique ? Comment se positionne-t-elle en tant qu’acteur dans la vie de la cité ? C’est ce qui fait l’objet du chapitre suivant.
Notes de bas de page
1 Gaudemet, 1979a, p. 9.
2 Biget, 1995, p. 8.
3 Tabbagh, 2015, p. 7.
4 Florian Mazel a montré comment, à partir du milieu du xie siècle, le diocèse se constitue comme le territoire propre de l’évêque (Mazel, 2008a).
5 S’intéressant à la fonction épiscopale de la fin du xve siècle dans le cadre français, Véronique Julerot synthétise, dans son introduction, le poids moral et social des prélats en cette fin du Moyen Âge, déjà bien explorés par l’historiographie : « Parler des élections épiscopales, c’est parler d’hommes qui sont potentiellement détenteurs d’un immense pouvoir spirituel mais aussi temporel, d’hommes considérés comme les piliers de l’Église mais aussi comme les conseillers du monarque. Pasteurs et seigneurs, ils doivent permettre, par leur enseignement et leur bon gouvernement, une vie chrétienne paisible qui doit mener le peuple diocésain au salut. Au service du roi et, parfois, ses relais sur le “terrain”, ils peuvent participer à la définition d’un gouvernement et à l’application d’une politique » (Julerot, 2006, p. 16).
6 Comme le montre la rétrospective des évolutions du pouvoir de l’évêque dans la chrétienté : Pécout, 2010.
7 À l’origine cité comtale, Barcelone ne devient jamais une seigneurie ecclésiastique (Ortí Gost, 2000a, p. 26).
8 Juncosa Bonet, 2015. En péninsule Ibérique, il en va de même pour Saint-Jacques-de-Compostelle et Oviedo, encore que pour ces deux villes, la coseigneurie implique, dans la pratique, l’autorité exclusive de l’évêque (Ruiz de la Peña Solar, Beltrán Suárez, 2007, p. 66). En Catalogne pendant le Moyen Âge central, l’évêque de Vic partage avec le comte de Barcelone les droits de justice, de prélèvement des taxes et de battre monnaie, jusqu’à ce que le prélat cède ses droits sur la ville au roi, en 1315 (Freedman, 1983, p. 68 et p. 88). Pour ne donner qu’un seul exemple précis, extérieur à la péninsule Ibérique, où le pouvoir seigneurial de l’évêque est particulièrement fort, citons le cas de Liège, ville d’empire et cité épiscopale (Marchandisse, 2000).
9 Voir, à propos du déclin de la seigneurie épiscopale, l’ouvrage classique d’Olivier Guyotjeannin, Guyotjeannin, 1987. Un bilan pour la péninsule Ibérique manque à l’historiographie. Notons que dans le Nord-Ouest, Porto, Palencia ou les cités épiscopales de Galice sont sous juridiction de l’évêque, tandis que Oviedo, León, Zamora ou Astorga vivent une situation où le pouvoir seigneurial de l’évêque est exercé en parallèle de celui des conseils urbains, représentant les habitants de la cité et liés à la seigneurie royale (Ruiz de la Peña Solar, Beltrán Suárez, 2007, p. 66). À Barcelone, en revanche, l’évêque ne dispose pas, à la fin du xve siècle, d’une juridiction seigneuriale sur la cité (impliquant la détention de droits banaux), mais uniquement d’une seigneurie foncière.
10 L’évêque de Cuenca, Rafael Riario (1493-1518), comme celui de Barcelone, est absent de son diocèse, ses prédécesseurs se montrant, par contre, davantage impliqués dans la vie de leur église. Les prélats de Malaga se caractérisent également par un fort absentéisme. À Liège, en revanche, l’évêque se montre particulièrement présent dans la vie de son église et de la cité (Díaz Ibáñez, 1996, p. 86 ; Sánchez Mairena, 2007 ; Marchandisse, 1998, p. 7). Voir aussi, pour un autre espace, la liste d’évêques lotharingiens et rhénans non résidents dans leur diocèse : Fray, 2005, p. 17.
11 Vincent Tabbagh a récemment livré une très utile synthèse sur la figure de l’évêque dans le royaume de France au cours du Moyen Âge. L’étude, de grande ampleur, est néanmoins centrée sur la figure du prélat plus que sur les modalités d’insertion et de rayonnement sur la vie de la cité, qui recouvrent des réalités très variées (Tabbagh, 2015). L’ouvrage, qui s’inscrit dans le cadre géographique français, n’a d’ailleurs pas d’équivalent pour l’espace ibérique.
12 Sandro Carocci, étudiant le phénomène précis du népotisme dans l’Église, renonce ainsi à aborder la question à l’échelle des diocèses, objectant l’impossibilité de passer outre les spécificités des contextes locaux pour pouvoir en tirer une synthèse (Carocci, 1999, p. 14).
13 Les différentes études sur l’épiscopat ibérique au bas Moyen Âge ne font ressortir que des traits communs à l’ensemble des évêques de l’Occident médiéval, sans démontrer de particularité ibérique, quelle qu’elle soit. Voir : Sanz Sancho, 1990 ; Id., 2013 ; Díaz Ibáñez, 1996 ; Sesma Muñoz, 2010. Voir également : Aurell, García de la Borbolla, 2004, axé sur le haut Moyen Âge et le Moyen Âge central.
14 Pour le bas Moyen Âge, la Catalogne ne compte aucune monographie spécifiquement orientée sur le pouvoir des évêques catalans. On doit se tourner vers des répertoires biographiques d’évêques ou quelques travaux ponctuels (relevons par exemple : Baraut, Castells, Marquès, Moliné, 1998-2001 ; Puig y Puig, 1929). Ces travaux ne mettent en relief aucune spécificité catalane ou aragonaise du pouvoir des prélats dans leurs villes.
15 Voir le chapitre « L’ampleur spirituelle du pouvoir épiscopal » dans Tabbagh, 2015, pp. 25-36.
16 Patrick Boucheron fait remarquer que le haut Moyen Âge a davantage la faveur de ces questionnements (Boucheron, 2003). De manière significative, les actes du colloque des Rencontres annuelles d’histoire religieuse de Fontevraud consacré à la figure de l’évêque au long de l’histoire ne compte, pour la période médiévale, que des communications portant sur le haut Moyen Âge et le Moyen Âge central : L’évêque dans l’histoire de l’Église, 1984.
17 Avril, 1989.
18 Ainsi, à Langres, Chartres ou Clermont, par exemple, le chapitre est-il particulièrement libéré de l’autorité de son évêque, à qui ne sont parfois reconnues que certaines prérogatives spécifiques et bien délimitées dans la gestion de l’établissement et ses cérémonies (Timbal, Metman, 1964, p. 72).
19 Voir l’introduction de Pardo i Sabartés, 1994.
20 Chaque fonction de la cathédrale est attribuée à une administration spécifique en son sein, qui agit comme une personne morale et détient ses propres terres et ses propres sources de revenus.
21 Lop Otín, 2003.
22 Le pouvoir des évêques ibériques a pu être favorisé par les avancées de la reconquête. Ainsi à Tarragone, le comte Raimond Berenguer III confie-t-il, au xiie siècle, la défense de la cité à Oleguer, évêque de Barcelone et archevêque de Tarragone. Le comte lui remet le pallium, mais également la possession temporelle de la cité. À Cuenca ou à Cordoue, encore, pour ne citer que deux exemples, le chapitre et l’évêque se voient donner des territoires, à la fin du xiie siècle pour Cuenca et au milieu du xiiie siècle pour Cordoue, afin d’assurer le repeuplement des espaces récemment conquis sur l’Islam (Aurell, 1999, p. 116 ; Id., 2004, p. 260, p. 116 ; Sanz Sancho, 1990, p. 175 ; Díaz Ibáñez, 1996, p. 69).
23 Nous nous appuyons pour ce bref résumé sur l’historiographie, à savoir principalement : Fàbrega i Grau, 1978 ; Sanabre, 1947 ; Id., 1948 ; Martí i Bonet, 2006, ainsi que Fatjó Gómez, 2001.
24 Les conciles de Poitiers (1079), Clermont (1095), Latran III (1179) et Latran IV (1215), notamment, condamnent le cumul des bénéfices et donc, son corollaire, la non-résidence des clercs. Ils répondent à une réalité : le phénomène d’abandon de la vie en commun, qui touche l’ensemble de l’Occident médieval, comme le rappelle Alexis Wilkin à partir du cas de Liège (Wilkin, 2005, p. 41). Il commence le plus souvent au xie siècle (Dereine, 1953), puis se poursuit selon des chronologies variées d’après l’espace géographique et l’établissement religieux concernés (voir par exemple, pour Poitiers : Favreau, 1991). Voir aussi García y García, 1967, pp. 378-382.
25 Lambert, 1932.
26 Sanabre, 1947, p. 13.
27 Marchandisse, 1998, p. 7.
28 La thèse d’Alain Marchandisse s’oppose d’ailleurs à celle d’Henri Pirenne, qui voyait à Liège l’image d’un épiscopat où le prélat « règne mais ne gouverne pas », la réalité du pouvoir étant assurée par les chanoines (ibid.).
29 Marchandisse, 1996.
30 Source : Martí i Bonet, 2010. Pour les époques antérieures, voir : Puig y Puig, 1929. Ce catalogue de faits marquants et de notices biographiques des évêques barcelonais, depuis les origines de la cathédrale, s’interrompt en 1430, mais s’avère utile pour les décennies précédentes.
31 ADB, Registra comunium, vol. 57-60. Les volumes concernant la seconde moitié du xve siècle sont constitués, pour les premières années, d’entrées courtes qui s’allongent progressivement par la suite, rédigées par plusieurs mains en latin avec quelquefois un passage en catalan. Selon José Sanabre, dans ces registres était initialement copiée toute la documentation envoyée par la curie épiscopale pour les affaires concernant le gouvernement du diocèse ou la seigneurie de l’évêché. Pour la fin du xve siècle, on y trouve surtout mention du règlement de litiges impliquant des clercs du diocèse et des instructions pour verser une somme due dans le cadre d’une fonction religieuse ou dans celui de la gestion du temporel de la mense épiscopale (Sanabre, 1947, p. 47).
32 Dietaris de la Generalitat, p. 226.
33 Aldea Vaquero, Marín Martínez, Vives Gatell, 1972, t. I, p. 192.
34 AHCB, Lletres closes, 1B. VI-30, fos 111r°-112r°.
35 « Nos és molt més pler com havem entès que vostra majestat vol que lo dit bisbe vingue a fer residència personal en aquesta ciutat, per quant ha gran temps que bisbe algú no ha residit en aquest bisbat e és prou manifest que, per lo servey de nostre Senyor Déu e per la salut de les ànimes, és necessària la presència sua » (AHCB, Lletres closes, 1B. VI-34, fos 27v°-28r°).
36 « Se sguarda la vostra sglésia sia de aquesta ciutat de tant temps ésser privada de son prelat a gran deservey de nostre senyor Déu » (AHCB, Lletres closes, 1B. VI-34, f° 129).
37 « Per tant, quant més afectadament podem, suplicam la reverent persona vostra li plàcia sens dilació posar per obra e execució lo dit propòsit » (AHCB, Lletres closes, 1B. VI-34, f° 32r°).
38 D’après les listes d’évêques établies par Gams, 1873.
39 Les Cròniques (Arxiu Capitular de Barcelona [ACB], Cròniques, Exemplars, I) constituent le premier volume d’une chronique centrée sur le chapitre, commencée par le chanoine Tarafa à l’époque moderne, et décrivant les cérémonies publiques auxquelles le chapitre a pris part. Le volume est très peu fourni pour le Moyen Âge, comportant une seule entrée en 1406, puis sautant à la fin du siècle. Pour le xve siècle, les faits relatés débutent lors de la procession célébrant la prise de Grenade le 2 janvier 1492. L’évêque est alors présent pour cette célébration. Suivent l’entrée royale du roi Ferdinand et de la reine Isabelle dans Barcelone en octobre 1492, la célébration d’une messe en juillet 1493, la publication d’une bulle sur la croisade en novembre 1495 et pour une chapelle ardente pour la sépulture de Jeanne de Castille en septembre 1496. Pour une présentation des Cròniques de la cathédrale, voir Sanabre, 1948, pp. 177-324.
40 Il rédige, en 1489, un traité de réfutation de Pic de la Mirandole ; une fois nommé à Barcelone, il effectue de nombreuses visites pastorales pour réformer l’Église locale (Paradas Pena, 1993, pp. 126 et 130-131).
41 Voir par exemple des opérations mineures de gestion interne à l’établissement reportées dans : ADB, Registra gratiarum, vol. 44, fos 159-166.
42 Paradas Pena, 1993, p. 128.
43 Les évêques continuent d’être non résidents si bien qu’en 1518, une lettre des conseillers adressée au roi lui demande de nouveau de veiller à faire revenir l’évêque dans son diocèse (Bada, 1970, p. 66).
44 Le Blévec, 2014.
45 Torres i Ferrer, 1997, p. 104.
46 Ibid., p. 108. L’auteur s’appuie pour cette démonstration sur Sobrequés i Vidal, Sobrequés i Callicó, 1973, t. II, p. 214.
47 Ibid.
48 Voir, sur les Corts : Les Corts a Catalunya, 1991.
49 Péquignot, 2014.
50 « … capitulo congregato in quo erat dominus Episcopus presidens » (ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, f° 18r°).
51 Voir, pour les éléments de détail, l’article très précis de Toldrà, Huguet-Termes, 2011 ; ainsi que, pour un cadre plus général, Aldea Vaquero, Marín Martínez, Vives Gatell, 1972, p. 192.
52 Le royaume de France, où la Pragmatique Sanction de 1438, qui établit la libre élection des évêques par leur chapitre, n’a pas d’équivalent en péninsule Ibérique (voir, sur les élections épiscopales en France après la Pragmatique Sanction : Julerot, 2006).
53 Nous ne nous proposons pas de lister l’ensemble des références concernant les conflits entre chapitre et évêque au cours du Moyen Âge, la bibliographie à ce sujet étant fort étendue et les cas différents pour chaque espace. Nous renvoyons néanmoins à un article synthétisant d’un point de vue législatif les grandes étapes jalonnant l’encadrement de ce type de conflits : Gaudemet, 1980.
54 Morgado García, 2007, p. 83.
55 Futur Calixte III, Alphonse Borgia, d’abord évêque de Valence puis cardinal, accède au pontificat en 1455. Il s’entoure alors de serviteurs originaires de la couronne d’Aragon et en particulier de ses neveux : Pere Lluís de Borgia et Rodrigo Borgia, qui deviendra souverain pontife en 1492 sous le nom d’Alexandre VI. Parmi les nombreux enfants de celui-ci, César lui succède à l’archiépiscopat de Valence en 1492 (voir, parmi la vaste bibliographie évoquant cette famille, une référence synthétique : Duran i Grau, 2008).
56 Paradas Pena, 1993.
57 Voir à ce sujet la synthèse la plus complète sur la Catalogne pendant la guerre civile du xve siècle : Sobrequés i Vidal, Sobrequés i Callicó, 1973. Les divisions au sein de l’oligarchie barcelonaise avaient des antécédents dans les décennies 1440-1450, lorsque les deux partis de la Busca et de la Biga s’affrontaient sur le terrain politique. De telles dissensions ont probablement laissé leurs marques dans les familles du patriciat. Voir, pour ces questions, Batlle Gallart, 1973.
58 Torres i Ferrer, 1997. L’auteur en conclut que le reste du chapitre partageait les opinions de Nicolau Pujades, mais les sources émanant du chapitre ne permettent pas de l’affirmer catégoriquement, étant donné leur silence sur ces questions. En outre, la présence de Nicolau Pujades dans le « bras ecclésiastique » de la Diputació del General, favorable au prince de Viane, ne permet pas, seule, de déterminer s’il s’agissait d’un réel engagement politique personnel ou simplement d’une tendance. Aucune source n’existe pour connaître le détail des délibérations de ces assemblées, si bien qu’il est difficile de trancher sur le rôle plus ou moins actif de chaque participant.
59 ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, f° 39v°, en date du 9 mars 1472.
60 ADB, Registra comunium, vol. 57, fo 35. En date du 30 mars 1473, le siège épiscopal est encore dit vacant, tandis que le 29 juillet, réapparaît la figure du vicaire de l’évêque.
61 « … presidente honorabilis Johannes Comes canonico et vicario sede vacante fuit conclusum… » (« [le 22 avril 1472,] alors que présidait l’honorable Joan Comes, chanoine et vicaire, le siège épiscopal étant vacant, il fut conclu que… ») [ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, f° 128]. De la même façon, dans une entrée de 1475, il est question du siège vacant pour la période 1469-1471 (ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, fo 43v°).
62 « In quo presidebat Reverendus […] dominus Berengarius de Sos canonicus et decanus […] domini domini Roderici episcopi Barchinonensis […] vicarius » (« … lequel présidait le seigneur Berenguer de Sos, chanoine et doyen, vicaire du seigneur des seigneurs, Roderic, évêque de Barcelone ») [ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, fo 130].
63 ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, fos 41v°, 43v°, 61 et 66v°.
64 Voir ADB, Colaciones, vol. 86, fos 89r° à 140v° et ADB, Registra gratiarum, fos 7r° à 19r°.
65 L’institution capitulaire est généralement dotée de rouages administratifs assez solides pour ne pas être affectée par l’absence de l’évêque. Ainsi, à Tolède au xve siècle, les actes capitulaires ne révèlent-ils aucune trace, non plus, de la situation de sede vacante lorsque celle-ci existe (Lop Otín, inédite, p. 422). Le cas de Barcelone semble néanmoins témoigner d’une rupture plus nette entre le chapitre et l’évêque, étant donné le peu d’implication de celui-ci dans le quotidien de l’établissement, mais aussi l’historique de remise en question de son autorité, que l’on vient de relever.
66 Le vicaire de l’évêque est pourtant souvent, dans les diocèses, un proche du prélat, comme Jorge Díaz Ibáñez le note pour le cas du diocèse de Cuenca (Díaz Ibáñez, 1996, p. 48).
67 ADB, Registra gratiarum, vol. 17, f° 7r°.
68 ADB, Registra gratiarum, vol. 44, f° 146v° et f° 149v°.
69 ADB, Registra comunium, vol. 57, f° 33r° (22 octobre 1472) et f° 81v° (5 août 1480).
70 Torres i Ferrer, 1997, p. 116.
71 Françoise Lainé relève que le vicariat, dans les cathédrales médiévales, est loin d’être une fonction honorifique et implique au contraire un véritable investissement (Lainé, 2014).
72 Ana Maria S. A. Rodrigues note l’importance d’identifier ce groupe afin de pouvoir analyser le véritable poids de l’institution canoniale dans la cathédrale, distinguant ainsi les prélats réellement impliqués au niveau local de ceux qui transitent par l’établissement sans réellement y jouer un rôle autre qu’honorifique (Rodrigues, 2000, pp. 239-240).
73 À titre de comparaison, voir ceux de Paris ou de Sens, beaucoup plus développés (Julerot, 2010, p. 256 ; Barralis, 2010, pp. 274-275).
74 Tabbagh, 1998, p. 9.
75 Voir Vicens Vives, 2010, en particulier le chapitre : « La represa del redreç de la ciutat de Barcelona (1488-1490). La col‧laboració de Ferran II, el fracàs de l’administració municipal », vol. 2, pp. 7-71.
76 Voir, entre autres, sur ces points : ibid., vol. 1, pp. 239-246 ou encore : Verdés Pijuan, 2008 ; Péquignot, 2014.
77 Le souverain engage une série de mesures pour pacifier la Catalogne (sentence de Guadalupe pour mettre un terme aux révoltes paysannes des remences, réforme des systèmes d’élection aux conseils municipaux dans les années 1490 afin de limiter le poids de l’oligarchie, réformes monétaires, pression sur les conseillers de Barcelone pour qu’ils assainissent l’état économique de la ville, etc.). Voir la principale référence : Vicens Vives, 2010.
78 Le mois cumulant le plus d’assemblées est le mois de juin (six assemblées). Aucune n’a lieu en septembre, une seule en décembre, seulement deux en janvier et en mars.
79 ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, fo 132, 8 novembre 1486.
80 ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, fo 130 et ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, fo 63.
81 Ainsi le chapitre de Rodez s’oppose-t-il fréquemment à son évêque pour des raisons diverses, comme lorsque celui-ci fait emprisonner, en 1376, un prêtre et serviteur de la cathédrale au motif qu’il refuse la tâche de monter la garde face aux Anglais. Pour se justifier, le prêtre se retranche derrière les exemptions dont dispose le clergé de la cathédrale et c’est le chapitre qui parvient à le faire libérer. Au-delà de ces bras de fer ponctuels, qui cristallisent en réalité les tensions latentes entre évêque et chapitre, ce dernier se montre rétif à la supervision de son supérieur hiérarchique, en s’opposant notamment à des visites épiscopales trop fréquentes et en revendiquant sa capacité à édicter des statuts sans passer par l’évêque. Ce dernier est obligé de rédiger un mémoire pour les contredire sur ce point, en 1450 (Desachy, 1998, pp. 140-144). Pour leur part, les chanoines d’Angers sont ainsi tellement en conflit avec leur évêque que celui-ci refuse de financer les frais de cérémonie de la cathédrale (Timbal, Metman, 1964, pp. 72-73, n. 4).
82 Voir Gaudemet, 1980. Voir également, pour des remarques générales sur la question élaborées à partir de cas précis, Frank, 2003, p. 211 (pour Viterbe) ou encore García García, 2018 (pour Pamplune) ; et, plus général : Le Bras, 1959, p. 388.
83 ADB, Registra comunium, vol. 57, f° 218v°.
84 « … considerants les fluctuacions, discencions e discordies [que] són stades en vostra sglésia en aquest e en los anys passats » (AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-32, f° 126v°, 2 mai 1486).
85 Les conseillers s’adressent au roi : « … los és manat que dins sexanta dies compareguen personalment davant lo dit nostre sant pare, sots pena de excomunicació e privació de tots lurs beneficis late sentencie, no fahent menció per quines causes o crims o a instància de qui; de la qual rigorosa provisió no sols lo clero mas tot lo poble stà comogut e scandelitzat com tal citacions no.s deguen ni s’acustumen de fer, sinò per excessos e delictes enormíssims, dignes de gravissimes penes » (AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-32, fo 137, 6 mai 1486).
86 « … un breu movament vengut de nostre senyor lo papa […] expressa com los venerables mossén Luís Desplà, ardiacha, mossén Berenguer Vila e mícer Barthomeu Tranesset, canonges de vostra sglésia, molt cruament e sens stil spetxat, com si aquest fossen scelerats e dignes de dedagraduatio n.s som poguts sinò molt entrenyorar e conguoxar per los scàndols, anfractes e inconvenients apparellats com la una part haja e tingua ferma creença e oppinió que de ací s’és procurada aquesta vexació e molèstia » (AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-32, fo 136v°).
87 AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-32, fo 137, 6 mai 1486 : lettre au roi. Les conseillers les soutiennent, arguant que cette sanction est due au conflit avec l’évêque : « … per la qual defensió són stades suscitades algunes differències entre lo capítol e lo dit bisbe de aquesta vostra ciutat o sos ministres, per occasió de les quals aquest breu, segons comuna opinió, és stat procurat per dar vexació o molèstia als sobredits ».
88 « La causa no és principalment del dit reverend senyor bisbe mes és de alguns particulars qui entre ells per algunes particulars affeccions e passions que en totes comonitats e majorment en aqueste temps són, han dat occassió en aquestes differències e que si lo dit reverend senyor bisbe fos ací personalmente pogués entendre com stan los fets de aquesta sglésia, sens dupte reposaria totes coses e coneguera que los interessos de ses preheminències no són tals ne tants com és informat » (AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-32, fo 164v°).
89 « Tenim crehença tal breu no ésser emanat de la mente de nostre senyor lo papa, ans tenim parer és stat procurat per alguns émulos o malívoles persones, les quals grans dies ha s’efforcen en mesclar zizanies e discòrdies entre lo dit senyor bisbe e lo capítol de la dita sglésia » (AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-32, fos 138v°-139r°).
90 «… en veritat [vostra senyoria] deurie molt attendre e considerar en dar crèdit a persones malívoles qui no zelen lo servey de Déu en honor de vós ne bé de vostra sglésia, que per llurs passions e interessos propris, no deuríeu voler vós, qui sou cap et jutge mesclar-vos en llurs malincolies, car aquest és offici de tal e tant reverend pastor com vós. E per ço, senyor, scriviu a la santedat de nostre senyor lo papa e al reverendíssimo vicecanciller supplicant-los que ells plàcia abolir e revocar aquest breu e no permetre que tant dignes e mérites persones principals de vostra sglésia sien molestades ne axí tractades » (AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-32, fo 136v°).
91 Duran i Grau, 2008.
92 « Tota aquesta ciutat s’és alegrada per compendre tant les differències desús dites tant per lo stat de la sglésia quant encara per molts scàndels e congoxes » ; « E sens dupte, si per la senyoria vostra reverendíssima no y és remediat, aquesta sglésia tant nobla venrie a ruyna en aquesta ciutat ne succehiria sens fallir algunes grans perturbacions » (AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-32, fo 164v°).
93 AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-32, fos 163v°-165v°.
94 Paradas Pena, 1993, p. 126.
95 Aucun des évêques barcelonais du second xve siècle n’appartiennent à cette poignée de grandes familles qui tiennent les rênes du pouvoir local. Les origines sociales des évêques sont plus élevées, leurs carrières plus brillantes et plus internationales que celles de la plupart des simples chanoines — du moins de ceux qui n’accèdent pas à des bénéfices ecclésiastiques plus élevés. Vincent Tabbagh le relève lorsqu’il aboutit au constat que les évêques français, à partir du xive siècle, sont pour la plupart des personnages de grande envergure (Tabbagh, 2015, pp. 10-11).
96 Il en résulte un réinvestissement de l’élection épiscopale par les chanoines : la Pragmatique Sanction stipule que les chanoines doivent être les électeurs de l’évêque, à l’issue d’un rituel qui les place sous l’inspiration de l’Esprit saint, rituel prescrit par le concile de Bâle de 1433 (Julerot, 2010, pp. 253-255).
97 Dans la pratique, le pape peut pourvoir à un évêché depuis le xiie siècle, mais aucun texte de loi ne le stipule avant 1917 (Gaudemet, 1979b, p. 8, n. 5).
98 En Castille, le recueil juridique des Siete Partidas établit la désignation épiscopale par les chapitres cathédraux. Néanmoins, le xive siècle voit le développement des réserves pontificales, qui laissent au pape le dernier mot en la matière. Les rois maintiennent malgré tout un fort contrôle, à travers l’exercice du « droit de supplication » entériné par la bulle Sedis apostolicae sous Martin V (1421). Henri IV de Castille (1454-1474) déploie en ce sens une politique ferme de contrôle des élections épiscopales (Arranz Guzmán, 2001, pp. 426 et 458-459).
99 Hermann, 1988.
100 Jean Gaudemet établit à grands traits une chronologie du transfert d’autorité sur les nominations ecclésiastiques entre le Moyen Âge et l’époque moderne. Selon cette grille de lecture, certes schématique mais éclairante, les nominations d’évêques dans l’Occident médiéval se voient progressivement confisquées par les interventions des seigneurs et princes depuis le xie siècle, au fur et à mesure que sont jetées les bases de l’État moderne, de sorte que, pour l’auteur, historien du droit, la fin du xve siècle se situe à la charnière entre deux logiques d’intervention des pouvoirs laïcs. La première, se tarissant à la fin du xve siècle, est celle d’une course au contrôle du bénéfice par les princes et seigneurs, mais également par le pape, chacun tentant de disposer du plus grand nombre de sièges dans une logique d’éclatement des pouvoirs, malgré la subsistance du principe électif ab clero et populo dans les textes normatifs canoniques du xiiie siècle (le décret de Gratien de 1140, les décrétales de Grégoire IX de 1234 ou encore le Sexte de 1298). Au tournant du xvie siècle, cette logique serait remplacée par celle de la constitution d’« évêchés royaux », les évêchés ne disposant plus de pouvoirs politiques, mais fournissant honneur et profit, et étant contrôlés par le roi (avec quelques ingérences du pape) dans le cadre de l’exercice de son pouvoir monarchique sur son territoire (Gaudemet, 1986, pp. 282-283).
101 Pour la problématique générale des élections épiscopales au Moyen Âge et de ses enjeux, la bibliographie est pléthorique. La couronne d’Aragon a bénéficié de bien moins d’attention que la Castille sur ces points. Nous renvoyons ici seulement à quelques références utiles sur le cas ibérique et les relations entre haut clergé séculier et royauté : l’ouvrage classique d’Azcona, 1960, mais également : Hermann, 1988, Martí i Bonet, 1976 ; Rucquoi, 2009 ; Linehan, 1971. Pour la période, plus spécifique, des Rois Catholiques, voir également : Barrio Gozalo, 2001 ; Fernández de Córdova Miralles, 2005 ; Nieto Cumplido, 1979 ; Pérez-Prendes y Muñoz de Arraco, 1986.
102 ACB, Perg., 3-4-87. L’affaire est également citée par Bada, 1970, p. 64, qui s’appuie sur un Dietari que nous n’avons pas pu localiser.
103 ACB, Perg., 3-4-87.
104 Il est élu par ses confrères à l’unanimité (« nemine discrepante », dit le document), répondant largement au principe d’élection de l’évêque à la majorité absolue qui régit, très théoriquement, les élections épiscopales depuis le xiiie siècle — pour peu que l’élection laisse bien le choix entre les mains des chanoines (Gaudemet, 1960, pp. 157-158).
105 Nous nous référons, pour ces considérations, à Fernández de Córdova Miralles, 2005. Le chapitre sur les nominations épiscopales offre une éclairante synthèse à la fois sur les faits et l’historiographie de la concurrence entre les Rois Catholiques et le pape autour du contrôle des évêchés ibériques. Nous ne revenons ici que sur les grandes lignes et y renvoyons pour de plus amples détails.
106 Documentos sobre relaciones internacionales, t. II, p. 103.
107 Les conseillers se réjouissent du choix du roi : « par diverses voies, nous est arrivée la nouvelle que Votre Majesté avait fait en sorte, conjointement avec notre Saint-Père, que maître Pere García soit promu évêque de cette ville ». Ils s’en félicitent au motif que le nouveau prélat est « une personne très digne, comme nous l’apprend sa bonne réputation », mais ils se réjouissent surtout de sa présence : « nous sommes encore plus contents de savoir que Votre Majesté souhaite que ledit évêque vienne établir sa résidence personnelle dans cette ville » (« per diverses vies [és] vengut a nostra notícia que la majestat vostra havie procurat, ab nostre Sanct Pare, que mestre Pere Garcia fos stat promugut en bisbe de aquesta vostra ciutat », « persona tant digna, segons comprenem per la bona fama sua » : « nos és smolt més pler com havem entés que vostra majestat vol que lo dit bisbe vingue a fer residència personal en aquesta ciutat », AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-34, fos 27v°-28r°, 20 novembre 1490).
108 Entre 1252 et 1312, dans la province ecclésiastique de Tolède et les sièges épiscopaux de Burgos, Calahorra, Avila et Carthagène, par exemple, environ 50 % des élections épiscopales bien documentées sont effectuées par le chapitre cathédral, avec de temps à autre une intrusion royale ou pontificale. 40 % se voient l’objet d’une nette ingérence du roi (Nieto Soria, 1988, p. 201).
109 Pour un répertoire des cas de conflits et des législations canoniques utilisées pour y apporter une solution au cours du Moyen Âge : Gaudemet, 1980, pp. 307-318.
110 Pere García exerce comme maître de chapelle et préfet de la bibliothèque du Vatican d’Alexandre VI et s’affiche comme un proche du pape Borgia (Paradas Pena, 1993, p. 126).
111 AHCB, Lletres closes, 1 B. VI-31, f° 150r°.
112 Voir les développements de Vicens Vives, 2010, vol. 1, pp. 235 sqq.
113 En 1410, le pape Benoît XIII confirme cet effectif, déjà établi en 1229 par le légat apostolique Jean d’Abbeville (ACB, Privilegis pontificis, Benet XIII, perg. 21).
114 Sources : Catedral de Barcelona. Arxiu, Catàleg-inventari ACB, 1985-2005, t. IIIa ; Fàbrega i Grau, 1978 ; Fatjó Gómez, inédite.
115 Voir les précisions chronologiques sur la question des dignités au chapitre barcelonais au cours du temps : Catedral de Barcelona. Arxiu, Catàleg-inventari ACB, 1985-2005, t. IIIa ; Fàbrega i Grau, 1978 ; Fatjó Gómez, inédite ; Barrio Gonzalo, 2010, p. 45.
116 À l’échelle de l’Occident médiéval, l’organisation des chapitres, les offices et les dignités de leurs membres sont fixés par des statuts, certains émanant de la papauté. L’autonomie des chapitres en la matière s’étend au xiiie siècle, mais il demeure impossible d’établir une ligne générale, chaque établissement fixant ses propres normes, respectant souvent le contrôle épiscopal, mais aboutissant à une situation institutionnelle impossible à généraliser (quelques exemples sont donnés par Gaudemet, 1979a, p. 185 et p. 188).
117 Gilles, 1996.
118 Le Corpus Iuris Canonici, en effet, compilation des décrétales et textes de droit canonique, ne statue que sur des mesures ponctuelles (telles les pratiques interdites dans les cas de transmissions de prébendes). Pour des exemples de variantes sur les critères d’organisation du clergé cathédral en Espagne, voir Barrio Gozalo, 2010, p. 49.
119 Aurell, 2004, p. 252.
120 Tarragone, Barcelone, Lleida, Gérone, Elne, Tortose et Urgell (Hurtado, Mestre, Miserachs, 1995, p. 112).
121 Voir en particulier les travaux des « Fasti Ecclesiae Gallicanae », répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines des diocèses de France de 1200 à 1500, qui s’emploient depuis 1991 à traiter des chapitres cathédraux français d’un point de vue institutionnel et prosopographique (disponible en ligne). Voir à ce sujet : Millet, 1996. L’équivalent existe au Portugal, avec les « Fasti Ecclesiae Portugaliae ».
122 Lop Otín, 2003 ; Martín Martín, 1977.
123 Díaz Rodríguez, 2010a, pp. 82-99. Voir également, pour l’époque moderne toujours : Cortés Peña, López Guadalupe, 2010 ; Marín López, 2007 ; Martín Riego, Ruiz Sánchez, 2008 ; et Sánchez González, 2000. Voir également, pour une brève rétrospective européenne de l’historiographie des chapitres cathédraux (bien que centrée sur l’époque moderne), les premières pages de : Seijas Montero, Rodicio Pereira, 2016.
124 Barrio Gozalo, 2010. S’appuyant sur les sources pontificales et sur diverses monographies, l’auteur y présente un tableau des bénéfices ecclésiastiques (dont les canonicats, dignités capitulaires et épiscopats) qu’il fait remonter à la fin du Moyen Âge. Au-delà du cadre strictement juridique, il s’intéresse surtout à la praxis, tentant de dégager à travers une synthèse de plusieurs cas, les normes communes de provision, d’administration et de rémunération des bénéfices ecclésiastiques en Castille comme dans la couronne d’Aragon. La plus grande partie de son développement, cependant, se centre sur l’époque postérieure au concile de Trente, ce qui ne permet pas d’appliquer à la période médiévale les situations dépeintes.
125 Hermann, 1988.
126 Tomás Ávila, 1963 (l’ouvrage se concentre sur l’histoire religieuse uniquement) ; Sureda i Jubany, 2010 ; Sants Gros i Pujol, 2013.
127 Marquès, 2007 ; Jiménez Sureda, inédite.
128 Lop Otín, 2003.
129 Pour une comparaison du rayonnement des chapitres cathédraux du principat de Catalogne en termes d’effectifs et d’influence politique, voir Conesa Soriano, 2018. Celui de Barcelone ressort comme le plus influent de la région.
130 Sureda i Jubany, 2010. Voir aussi, sur le haut Moyen Âge et le Moyen Âge central : Freedman, 1983, pp. 38-68.
131 Ramon i Viñes, 1999-2000, pp. 2 et 99.
132 Sureda i Jubany, 2007, p. 60.
133 Fatjó Gómez, inédite.
134 Lop Otín, 2003, p. 266.
135 Iglesias Ortega, 2010, p .41.
136 Martín Martín, 1975, p. 25.
137 Sanz Sancho, 2000, pp. 200-204 et p. 191.
138 Ducreux, 1986, pp. 27-52.
139 Tabbagh, inédite, p. 52.
140 Bellée, 1875.
141 Desportes, 1998, p. 17.
142 Del Torre, 1992-1993, p. 1191.
143 Suárez Beltrán, 1986, p. 218.
144 Conesa Soriano, 2015, pp. 40-45.
145 Sources : ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497 et ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus.
146 Ces charges ne sont pas du même ordre que les dignités, lesquelles s’apparentent à un grade dans la hiérarchie ecclésiastique interne à la cathédrale, assorti d’une fonction liturgique.
147 Pour une approche de la cathédrale perçue comme une entité administrative consacrée à des activités économiques, voir, pour le xviie siècle, la communication de Pedro Fatjó Gómez décrivant le fonctionnement de la cathédrale barcelonaise : Fatjó Gómez, 2001. Voir, de façon plus périphérique, les mentions à l’organisation de l’établissement dans la thèse de doctorat de Torres i Ferrer, inédite.
148 Pour les détails de l’organisation interne du chapitre sur le plan administratif, voir Conesa Soriano, 2019.
149 Son historique, déjà, laissait présager une certaine confusion des attributions et des modifications lentes mais cruciales de ses modalités de fonctionnement. Initialement, la Casa de la Caritat est instituée en 1226 à l’initiative de l’évêque de Barcelone Berenguer de Palou (1212-1241), afin de rationaliser la gestion de l’aumône et des soins apportés aux pauvres. Elle est confirmée par le pape Grégoire IX le 26 mars 1229 et, en 1273, l’évêque Arnau de Gurb fait annexer aux fonds de la Casa de la Caritat une pension annuelle provenant des dix paroisses considérées les mieux dotées de l’évêché, afin de procéder aux distributions quotidiennes. Mais bien vite, sa fonction change pour s’orienter vers l’administration de la mense capitulaire et la rétribution des chanoines. (Sanabre, 1948, p. 113. Pour cette observation, José Sanabre s’appuie sur un privilège de l’évêque Ponç de Gualba en 1324).
150 ACB, Llibre de tots los oficis, fos 29r°-39v°.
151 ACB, Llibre de tots los oficis, fo 29.
152 ACB, Caritat o mensa capitular ; administració general de la Caritat (ACB, Caritat o mensa capitular ; administració general de la Caritat ; 1469 à ACB, Caritat o mensa capitular ; administració general de la Caritat ; 1493). Entre 1469 et 1493, la série compte dix volumes.
153 Sanabre, 1948, p. 113.
154 Voir le plus complet : ACB, Caritat o mensa capitular, Pabordies, Llibres de comptes de les pabordies, 1484-1569 : « Comptes de pabordies que són en mà del Rvnt Capítol ».
155 Pour la période prise en compte, les pabordies de mai, août et décembre n’ont fait l’objet d’aucun livre de comptes, ou bien aucun n’a été conservé. Les deux dernières ont donné lieu à des comptes séparés : ACB, Caritat, Pabordies, Pabordia de febrer, 1482-1499 : « Prepositurae februarii » et ACB, Caritat, Pabordies, Pabordia d’abril, 1487-1489 : « Llevador y capbreu de la pabordia de abril ».
156 Voir les détails de l’administration d’une pabordia de Gérone : Lluch Bramon, 2008.
157 ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, fos 131v°, 132v° ; ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, fos 50, 60v°.
158 Voir, à titre de comparaison : Montaubin, 2012a.
159 Sanabre, 1948, p. 99. Voir aussi ACB, Llibre d’Obra.
160 ACB, Llibre de tots los oficis.
161 On l’observe ainsi à Rodez : Desachy, 2005, pp. 144-145.
162 « L’expression bénéfice réunit sous un vocable unique le fonds constitué en dotation d’un office spirituel, et l’office spirituel doté par un bénéfice. La dotation est conditionnelle à l’accomplissement des charges de l’office spirituel » (Hermann, 1988, p. 17).
163 Cela peut être la charge de dire la messe, l’obligation d’assistance au culte, la prière, le chant, la célébration de messes pour le salut des morts, etc. (Martí i Bonet, 2006, p. 193). Le document établissant le bénéfice était alors conservé aux archives diocésaines (ADB, Liber dotaliarum) et dans l’église où il avait été érigé. Voir sur la question : Borau i Morell, 1993. D’une manière générale, la question des bénéfices ecclésiastiques dans les établissements des époques médiévale et moderne a suscité peu de bibliographie. Voir Barrio Gozalo, 2010.
164 Martí i Bonet, 2006, p. 193.
165 Cette dénomination apparaît tant dans les sources de la cathédrale que dans celles rattachées à la mense épiscopale (comme dans les Registra comunium conservés aux archives diocésaines) et dans les sources laïques. Voir par exemple les Lletres closes conservées aux archives municipales, où la mention revient fréquemment pour désigner tel ou tel individu.
166 Sanabre, 1948, p. 113.
167 Théoriquement, les listes de distributions, nominatives, contenues dans les livres d’administration du pastrim permettent de se faire une idée des présences et absences des membres du chapitre. Toutefois, ces Llibres de porcions del pastrim s’interrompent entre 1451 et 1523, ne couvrant donc pas la période de la fin du xve siècle. Voir les livres d’administration courante de la série : ACB, Caritat o mensa capitular, Pastrim, Llibres d’administració del « pastrim » (12 volumes entre 1469 et 1493).
168 Sanabre, 1948, p. 117.
169 ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, f° 127v°.
170 Les différentes monographies sur l’organisation des chapitres les citent, déplorant toujours la difficulté d’aller au-delà du simple constat de leur probable existence. Pour Cordoue, il semblerait que cette catégorie soit constituée de chapelains, de serviteurs du chœur (« mozos del coro »), du sous-chantre et du sacristain qui, dans cette cathédrale, ne sont pas des dignitaires. S’y ajoutent le portier, le responsable des cloches et, peut-être, un organiste. Le majordome et divers autres serviteurs sont chargés d’aider à la gestion du temporel du chapitre (Sanz Sancho, 2000, pp. 200-204). Les sources barcelonaises ne permettent pas d’être aussi précis.
171 Batlle Gallart, 1987.
172 Aucune étude approfondie du patrimoine des différents offices de la cathédrale pour une même époque n’a été menée, si bien que l’on doit s’en tenir à une supposition sur ce point. Néanmoins, la richesse du temporel de la Pia Almoina, dont l’administration génère un volume complet de l’index des sources des archives capitulaires, s’avère de très grande ampleur à en croire les quelques travaux portant sur la question. Sa richesse est, pour autant que la comparaison à un siècle d’écart puisse se tenir, plus notable encore que le patrimoine des pabordies. Le patrimoine, très étendu, de la Pia Almoina a été étudié par López Pizcueta, 1998. S’y ajoutent les inventaires analytiques des domaines de la Pia Almoina édités par J. Baucells i Reig, qui se font les témoins d’un très vaste domaine foncier : Baucells i Reig, 1990a ; Id., 1990b ; Id., 1987.
173 Voir à ce sujet, bien que centré sur le xviie siècle, l’article de Fatjó Gómez, 1984. L’auteur s’attache particulièrement à décrire la structure administrative de l’institution, ce qui fournit des clés pour comprendre son fonctionnement aux époques antérieures.
174 Voir : Batlle Gallart, 1983 ; Brodman, 1998 ; Guilleré, 1980 ; Marcó i Masferrer, 2009.
175 Créées dans différents diocèses de la principauté de Catalogne et du royaume de Valence depuis le xiie ou xiiie siècle et rattachées chacune à une cathédrale, ces « aumôneries » restent en activité jusqu’au xixe siècle. Barcelone est la première ville de Catalogne à disposer d’une telle institution. Elle est instaurée en 1161, sur initiative du chanoine Pere de Claramunt, qui prête ses propriétés pour s’occuper des pauvres de façon permanente, sous la tutelle du chapitre. Elle prend son nom de Pia Almoina en 1254, et ses règles de fonctionnement sont fixées en 1275 par l’évêque Arnau de Gurb (Baucells i Reig, 1998-2001, p. 85 ; Batlle Gallart, 1987, pp. 69-70).
176 La localisation du réfectoire a été variable ; voir à ce sujet Baucells i Reig, 1975, pp. 111-113.
177 Batlle Gallart, 1987, pp. 70-75.
178 Dans le Llobregat par exemple, elle détient au moins quatorze localités, neuf dans le Maresme et d’autres encore dans la région du Garraf (voir López Pizcueta, 1998, pp. 318-334 et Baucells i Reig, 1990a, 1990b, 1975, 1980, 1987).
179 Pour le second xve siècle, il s’agit des chanoines Antoni Agullana, Nadal Garcès, Antoni Gener, Pau de Gualbes, Hug de Llobets (ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497).
180 Voir par exemple la réunion de 1495 qui dispose d’un compte rendu très clair : « … ad electionem officialium ecclesie fuit processum fueruntque in officiales pro biennio futuro que sequuntur. Ideo sunt hospitelari honorabiles : dominus Berengarius Vila, dominus Petrus Camps. Elemosinari sunt : dominus Johannes Andreas Sorts, dominus Raymundus Loteres » (ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, f° 134r°).
181 Les administrateurs de la Pia Almoina doivent être choisis par l’évêque et les chanoines parmi les détenteurs de bénéfices ecclésiastiques de la cathédrale. Leurs attributions sont de défendre et administrer l’Almoina, de servir à manger au réfectoire des pauvres, de fournir la nourriture — assurée par les revenus issus des rentes foncières —, et, enfin, de tenir un livre des dépenses et des recettes. Dotés d’un salaire de 600 sous annuels à répartir entre eux deux et d’une portion des rentes prélevées sur le temporel de l’Almoina (ce qui s’ajoute, donc, à leurs rétributions de chanoines), ils doivent prêter serment qu’ils agiront comme il se doit. Ils doivent réinvestir la totalité de leurs recettes dans le patrimoine de la Pia Almoina, sans en garder une part à titre de rétribution, et sans non plus en réinjecter dans les autres administrations de l’établissement. Ces dispositions sont confirmées par le pape Benoît XIII en 1407 (ACB, Privilegis pontificis, Benet XIII, perg. 11).
182 Toute la documentation émise par la Pia Almoina constitue un fonds distinct au sein des archives capitulaires (Catedral de Barcelona. Arxiu, Catàleg-inventari ACB, 1985-2005, t. IV).
183 Pour une mise en contexte, qui sortirait de notre propos dans ces pages, voir : Brodman, 1998.
184 ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, fos 131 et 132v°.
185 Voir le seul ouvrage centré sur l’hôpital de la Santa Creu au xve siècle, composé d’une édition de documents assorti d’une riche introduction : Castejón Domènech, 2007.
186 ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, fos 128v°, 130v°, 132v°.
187 ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, fo 41r°.
188 Ainsi, le 15 avril 1474, le chanoine Nadal Garcés se voit autorisé à rendre visite à des proches à Segorbe. Il est alors remplacé par Pere Ramon Loteres comme caritaterius (ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, fo 41r°).
189 Par exemple, le 27 février 1472, il approuve une commission faite aux chanoines Joan Comes, Berenguer Figueres, Guillem Llull, Joan Cosidó et Berenguer Vila pour une question de réforme ecclésiastique dans le diocèse (ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, fo 128).
190 Par exemple, le 12 octobre 1484, le chapitre charge quatre chanoines de faire exécuter un paiement des anniversaires communs (ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, fo 64v°).
191 ACB, Liber Camissae sive Resolutionum Capitularium descriptus per canonicos secretarios sive caritaterios ab anno 1343 ad 1497, f° 128.
192 ACB, Liber vulgariter de la Crehueta nuncupatus, f° 43r°.
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