Marché foncier et besoin d’expertise dans la catalogne des xe-xiie siècles
Le rôle des boni homines comme estimateurs de biens
p. 153-165
Texte intégral
Identité et rôle des boni homines
1Le profil social, les fonctions et les attributions des boni homines dans la Catalogne médiévale sont depuis longtemps fort bien connus grâce aux études que l’éminent historien du droit Josep M. Font Rius a consacré aux origines des institutions communales1. Les travaux de Font Rius montrent comment la composition sociale de ce collectif change au cours d’une longue évolution, depuis les premières occurrences des boni homines ou boni viri dans les actes des ixe-xie siècles jusqu’au moment où les probi homines agissent en tant que représentants légitimes des communautés villageoises et urbaines.
2À l’origine, les boni homines n’étaient que des individus d’une probité reconnue dans leur propre communauté, ce qui les rendait respectables et dignes de foi dans certaines situations de la vie sociale et économique. Cette condition, qui dérivait des qualités morales, personnelles et intransférables de certains individus, n’était pas incompatible avec une certaine capacité économique et avec l’exercice de fonctions et responsabilités politiques auprès du pouvoir seigneurial et des représentants de la potestas publique.
3Ce sens original se retrouve au cours du Moyen Âge à côté d’une signification plus restreinte. À partir du xiie siècle, les boni homines, désormais appelés probi homines, apparaissent de plus en plus comme des notables qui accroissent leur influence et leur pouvoir politique sur la communauté dont ils assument la représentation face à l’extérieur, d’abord de façon ponctuelle et informelle, ensuite de façon permanente et officielle. Les probi homines sont donc les premiers représentants des communes vis-à-vis du pouvoir seigneurial ainsi que les assistants des autorités publiques telles que le viguier ou le bayle dans l’administration de justice. Les privilèges et les franchises octroyés par le roi aux communautés leur reconnaissent et accordent de plus en plus d’attributions2.
4Pour la période précédente, cependant, les boni homines forment un collectif très hétérogène, dont la condition de membre est reconnue tant à des nobles et à des ecclésiastiques qu’à des propriétaires ruraux et des paysans (pagenses), en fonction du milieu et des enjeux dont il s’agit3. Les individus qui en font partie partagent plusieurs de ces attributs : un certain âge, une probité reconnue, une profonde connaissance du territoire, une expertise reconnue dans certains domaines de la vie économique, une certaine capacité économique et des fonctions ou responsabilités politiques exercées soit par délégation du pouvoir seigneurial, soit en tant que représentant de la communauté. Cette pluralité d’attributions explique, d’ailleurs, autant la composition hétérogène du collectif que la diversité de fonctions exercées par les boni homines4.
5Les boni homines jouent avant tout un rôle fondamental dans le règlement de conflits de la communauté. L’intervention des boni homines dans l’administration de justice est largement témoignée, depuis la période carolingienne jusqu’au xiie siècle, dans le Languedoc et la Catalogne où la loi wisigothique conserve toute sa vigueur5. Elle concerne notamment les disputes sur la propriété et les limites de terres, comme J. Jeffrey Bowman a bien montré pour la Catalogne du tournant de l’an mil. Les boni homines essayent d’abord de persuader les parties d’abandonner leurs réclamations, de renoncer aux épreuves et d’accepter de se soumettre à des arbitrages amicaux. Ils agissent aussi comme consultants ou assistants des juges professionnels. Enfin, ils signent comme témoins des actes judiciaires en nombre indéterminé, après le nom des juges chargés de résoudre des conflits. Leur participation dans les procès vise surtout à garantir un large support populaire aux décisions judiciaires6.
6La participation des boni homines dans les résolutions extrajudiciaires, les arbitrages, ne saurait être moins importante. Le règlement de nombre de conflits est confiée au jugement des bons hommes (ad laudamentum bonorum hominum, ou laude et consilio proborum hominum)7. Les Usatges de Barcelone, rédigés à partir de la fin du xiie siècle, laissent l’estimation de certains dédommagements à l’avis des probi homines ou, de façon alternative, à des juges et potestates de la terre8. Cet usage justifie l’intervention des boni ou probi homines dans nombre de dédommagements et déguerpissements.
7En dehors du cadre strict des fonctions judiciaire et extrajudiciaire, les boni homines apparaissent comme témoins dans les actes de consécrations des églises, les testaments, les publications des testaments, les donations, les achats, les accords, les enquêtes seigneuriales, etc.9.
8La participation des boni homines dans la résolution de conflits et l’administration de justice n’est cependant pas séparable de leur intervention comme consultants dans un ensemble d’aspects très divers de la vie économique de la communauté. Les bons hommes sont appelés et consultés pour fixer le juste prix des ventes dans certaines circonstances spéciales, estimer la monnaie employée dans les transactions, évaluer des dommages, mesurer et délimiter les parcelles10, établir les limites et fixer les bornes d’un alleu ou du territoire d’une villa, d’une paroisse ou d’un château11, reconnaître les droits et possessions des seigneurs à l’occasion des enquêtes12, déterminer le poids du prélèvement seigneurial sur une parcelle, évaluer l’équité des conversions de cens et champarts, etc.
9Dans tous les cas, les boni homines sont choisis pour leur connaissance du territoire qu’ils habitent. Ils sont appelés aussi comme dépositaires de la mémoire ancestrale de la communauté, une mémoire intergénérationnelle qui comprend les normes non écrites qui règlent la vie sociale et économique de la collectivité. Cette maîtrise de la coutume locale les habilite pour agir en tant que « régulateurs des rapports au sein des communautés d’hommes libres », et, de façon générale, des rapports entre les hommes de n’importe quelle condition, à titre individuel et à titre collectif, et les représentants du pouvoir seigneurial et de la potestas publique13.
10Ils sont appelés enfin pour leur expertise dans certains domaines de la vie économique. L’expertise, résultat de l’accumulation des compétences techniques, d’un savoir non spécialisé et de l’expérience, est une faculté transversale qui se trouve dans une grande diversité d’actions des boni homines, notamment dans celles qui entrainent l’évaluation et l’échange de biens fonciers. L’examen des occurrences dans les actes catalans des xie et xiie siècles permet de relever du moins trois contextes précis dans lesquels les boni homines interviennent presque de façon obligatoire. Les trois concernent, parmi d’autres aspects, l’évaluation de la valeur de biens fonciers.
Les boni homines consultants des familles en difficultés
11Tout d’abord, les boni homines interviennent auprès des familles paysannes qui éprouvent de graves difficultés à la suite de famines ou de catastrophes naturelles ayant entrainé la destruction des récoltes. Les veuves avec des enfants sont les destinataires préférentiels de l’expertise des boni homines qui visent d’abord à conseiller la veuve sur les décisions à prendre ; ensuite, à justifier une aliénation de leur patrimoine ; et, enfin, à estimer la valeur des biens à vendre.
12La fonction de consultant des boni homines apparaît nettement dans la vente d’une maison et d’une terre situées dans le Vallès, terroir d’Albinyana, que fait une femme appelée Izet, en faveur de son cousin Sentramon en 1004. Izet se voit dans l’obligation d’aliéner une partie de son patrimoine à cause de difficultés survenues deux fois cette même année14. Bien que la maison vendue soit parvenue aux acteurs par achat, Izet pourrait parfaitement passer pour un exemple de veuve avec enfants à sa charge jouissant, à titre viager, de l’usufruit de la dot maritale et des biens hérités par les enfants. L’intervention des boni homines aurait visé à conseiller les options les moins traumatiques dans le but de préserver au maximum l’intégrité du patrimoine paysan : dans ce cas là, cela voudrait dire se débarrasser d’abord des parcelles périphériques, de celles incorporées au patrimoine par voie d’achat, et de les vendre de façon prioritaire à des proches et familiers.
13Pour assurer la subsistance d’enfants orphelins et mineurs, en cas d’extrême nécessité, il était permis aux veuves d’aliéner une partie ou la totalité de leur dot maritale (sponsalitium) et de l’héritage des enfants. Cette circonstance arrivait souvent pendant les famines15. L’objectif des ventes propter necessitatem famis était d’assurer la subsistance des enfants tout en préservant en même temps leurs droits sur un patrimoine dont la veuve n’était qu’usufruitière16. Un article de la Loi gothique, parfois invoqué dans les actes, permettait aux enfants pupilles qui avaient atteint l’âge de 10 ans de disposer librement de l’héritage paternel en cas de danger de mort17.
14L’aliénation du patrimoine des enfants devait se faire avec l’autorisation du viguier (vicarius), le représentant de la justice comtale, et d’un juge professionnel, mais les boni homines étaient toujours appelés pour certifier les circonstances qui justifiaient l’aliénation auprès de la justice, conseiller les paysans sur les décisions à prendre et estimer la valeur des propriétés à vendre. En 1037, par exemple, le viguier Ermemir et les boni homines ont conseillé à Alòdia, épouse d’un certain Isarn, de vendre les alleux de son premier mari Gotmar afin de pouvoir nourrir sa fille Olovara (fille et héritière de Gotmar) en temps de famine18.
15Beaucoup plus dramatique était la situation des orphelins de père et de mère qui n’avaient pas de proches qui pouvaient s’occuper d’eux. Pour prévenir les détournements de biens, la sauvegarde de l’héritage des orphelins était confiée à un tuteur, lequel, en cas de besoin, pouvait procéder à l’aliénation de leur patrimoine avec l’autorisation d’un juge et moyennant un rapport favorable des boni homines qui, éventuellement, pouvaient estimer le prix de la vente. Un cas de figure est celui des frères Sunyer, Ermessenda, Provença, Ermeniarda, Domènec, Bonfill et Siner, se retrouvant sans parents (relictos ab utroque parente), lorsqu’en 1038 une grande famine survint et menaça leur survie. À ce moment, le juge Guisad, conseillé par les boni extimatores, autorisa la mise en gage d’une petite partie de leur héritage, un vignoble situé dans le territoire de Barcelone, à Vilapicina, pour un setier de froment (24 mars 1038)19.
Les boni homines face aux emprunts non remboursés
16Une deuxième situation dans laquelle les boni homines interviennent par défaut est celle des emprunts non remboursés. Là encore, on est dans des contextes de difficultés économiques de familles paysannes à cause des mauvais cycles frumentaires. Les boni homines font procéder à la vente des biens engagés à l’occasion des emprunts non remboursés, après avoir constaté — avec l’assistance d’un juge — la non restitution de la somme prêtée et avoir estimé la valeur du mort-gage. L’intervention des boni homines consiste précisément à expertiser la valeur du gage foncier et à en fixer le juste prix20.
17Le 13 avril 1037, par exemple, Esclua et son épouse Maria vendent à Miró Goltred, un propriétaire aisé de la paroisse de Reixac, près de Barcelone, une petite pièce de terre. Cette parcelle était le gage que le couple de vendeurs avaient reçu en échange de cinq émines d’orge qu’ils avaient prêté à Ervigi et à son épouse Eulàlia. L’acte rapporte que, passé le délai de l’emprunt, les débiteurs n’ont pas voulu rendre la dette et que, de ce fait, trois bons hommes du territoire du lieu (predicti territorii ipsius loci) ont procédé à l’estimation du juste prix de la parcelle21.
18Dans un cas tout à fait spécial, l’engagement du château d’Arraona fait en 1101 par Ramon et Pere Guillem d’Odena, avant de partir pour Jérusalem, à Ricard Guillem et son épouse Ermessenda, pour un emprunt de 40 libres d’argent, il est accordé que si les débiteurs ne pouvaient pas racheter le gage dans le délai maximal de six années, chacune des deux parties devrait choisir trois probi homines et se soumettre à leur expertise en ce qui concerne la valeur du gage que les débiteurs devraient acquitter aux créditeurs afin de récupérer le château22.
Les veri agricultores, experts dans la partition et l’estimation des complants
19Un troisième contexte dans lequel on fait appel à l’expertise des boni homines est celui des contrats de complant. Bien que probablement ils aient déjà été connus en Catalogne à l’époque carolingienne, les contrats pour la complantation de vignobles se repèrent entre la fin du xe siècle et le début du xiie siècle avec une forte concentration dans les trois décennies qui vont de 1052 à 1082, période qui connaît un développement extraordinaire de la viticulture dans l’hinterland de Barcelone et aux alentours des petites villes marché de son comté23.
20Le contrat de complant définit un rapport spécial en vertu duquel un propriétaire baille une parcelle inculte pour y planter des vignes (ad vineam complantandum) dans un délai déterminé24. Il s’agit, normalement, d’une petite pièce de terre, dont les actes consignent la localisation et les confronts avec leur orientation, le nom des propriétaires des parcelles confrontantes et la longueur des côtés en dextres ou bien, de façon alternative, la mesure de la surface en modiées (modiatas) et sous-multiples de la modiée, selon des pratiques et des systèmes d’arpentage que l’on retrouve dans le Bas-Languedoc à la même époque25. Dans le territoire de Barcelone, on consacre au complant une étendue moyenne de deux modiées de terre, ce qui fait à peu près un hectare. Dans cette parcelle, le preneur (désormais complanteur) devait planter des vignes « à coutume de bon paysan » (sicut mos est bonis cultoribus huius terre) dans un délai qui, à partir du milieu du xie siècle, reste établi à sept ans.
21Pendant ce temps, les frais de plantation et d’entretien du vignoble étaient entièrement à la charge du complanteur. Les vendanges étaient partagées à moitié entre le propriétaire et le viticulteur, à l’exception d’une année du délai du complant, dont les fruits étaient réservés intégralement au complanteur. À partir du milieu du xie siècle on repère un nouveau ratio de partage des fruits plus favorable au complanteur, lequel désormais ne devra payer au propriétaire qu’un quart des vendanges, outre la dîme, lorsque le propriétaire de la terre en était, en même temps, le bénéficiaire. On voit ce nouveau ratio s’imposer sur la partition des fruits à moitié à partir de 1068.
22Les fruits de la récolte de la dernière année une fois prélevés et, par la suite, le délai du complant expiré, le vignoble devait passer l’examen des bons hommes (boni ou veri homines, boni laboratores) ou vrai paysans (veri agricultores), qui devaient vérifier et certifier qu’il avait été bien planté, cultivé, clôturé et vendangé26. Passer cette épreuve était une condition sine qua non pour pouvoir procéder au partage de la terre. Si le verdict des experts était favorable, le propriétaire devait, sans délai, diviser en deux parts égales la terre et le vignoble et remettre une des deux parts au complanteur.
23L’ancien propriétaire se réservait, cependant, un droit de préemption sur la moitié du complanteur qui, par la suite, voyait limitée la faculté de disposer librement de sa moitié ; dans la plupart des cas, le preneur ne pouvait la vendre qu’à l’ancien propriétaire au « juste prix » dont l’estimation appartenait aux boni homines27. Ce n’est que si le propriétaire renonçait à acheter la moitié du complanteur, que celui-ci pouvait la vendre ou l’aliéner librement au prix du marché28. Le droit de préemption faisait donc partie d’une logique circulaire du complant dans laquelle la moitié du complanteur revenait à l’ancien propriétaire qui pouvait, à son tour, une fois le vignoble déraciné, recommencer le cycle du complant29.
24À partir du milieu du xie siècle, cependant, la division de la terre et du vignoble tend à disparaître des contrats. On stipule qu’à partir de la septième année depuis la plantation, le preneur, ses fils et descendants tiendront le vignoble, ils le cultiveront et acquitteront au propriétaire la dîme et la quatrième partie de la production.
25Ces nouveaux contrats de complant, accordés par des établissements ecclésiastiques, suivent l’évolution générale du précaire vers la reconnaissance d’un droit de tenure sur la terre baillée qui s’étend aux fils et aux descendants du preneur. Par contre, il est stipulé dans les contrats que, a priori, le preneur et ses descendants ne pourront aliéner le vignoble à nulle autre personne que le seigneur de la terre. Le droit d’aliéner la tenure n’est reconnu que de façon restrictive, en cas de besoin, et il est toujours limité par une clause de préemption de trente jours, pendant laquelle le seigneur foncier peut acheter la terre et son amélioration au juste prix fixé par les boni homines. Passé ce délai, les paysans peuvent vendre la tenure à des individus de la même condition sociale (vestris similibus) — les chevaliers et les juifs en sont normalement exclus — à une seule condition : que les acheteurs continuent à acquitter le cens stipulé dans le contrat. Dans le marché libre il n’y a plus d’estimation de la valeur juste des biens. La place que les clauses d’aliénation et de préemption de la tenure occupent dans les contrats de complant donne une idée de l’importance accordée par les seigneurs à ces enjeux30.
26L’estimation du juste prix de la tenure par le biais de l’expertise des boni homines dans le cadre d’un droit de préemption du seigneur sur la tenure limité aux trente jours se retrouve, à partir de 1060, dans d’autres précaires et contrats ad meliorandum portant sur des biens immeubles situés dans la ville et le territoire de Barcelone et aux environs des petites villes du comté31.
Boni homines et juste prix : quelques réflexions finales
27Si l’on observe les trois contextes précis dans lesquels les boni homines interviennent au cours du xie siècle et de la première moitié du xiie siècle, on s’aperçoit que l’estimation de la valeur vénale ou du juste prix des biens fonciers en est le dénominateur commun. L’estimation de biens fonciers est certes la fonction principale des bons hommes dans les actes privés du xie siècle ; la dénomination de boni extimatores avec laquelle ils sont parfois identifiés reste donc pleinement justifiée.
28Mais, si a partir des milliers d’actes conservés des xie et xiie siècles il est possible de saisir, avec une relative facilité, dans quels cas et conditions on avait besoin de l’expertise des bons hommes pour estimer le juste prix de la terre et les types de biens concernés par leur intervention, il est extrêmement difficile, à partir de ces mêmes sources, d’établir comment se faisait l’estimation des biens. Malheureusement, les actes routiniers de la pratique juridique restent complètement muets sur la procédure et les critères d’expertise des biens fonciers tenus par les boni homines.
29L’estimation du juste prix d’une terre et de ses plantations, au-delà du prix fluctuant que ces biens pouvaient avoir sur le libre marché, était un exercice complexe qui demandait beaucoup d’expérience, de connaissances et d’habilité. Il devait tenir compte de plusieurs variables dont seulement une, la mesure des parcelles, a laissé bien de traces dans les actes des xe et xie siècles. Dans le territoire de Barcelone, de nombreuses transactions foncières (ventes et permutations) et contrats de complant témoignent que les parcelles étaient systématiquement arpentées sur place en mesures de tradition romaine — dextres (dexteros), paumes (palmos) et coudées (cubitos) — avant de formaliser l’acte juridique. Dans un paysage à parcelles régulières, cette opération permettait de calculer avec précision la surface qu’elles occupaient et de l’exprimer en mesures d’ensemencement locales : quartérées (cuarteratas), modiées (modiatas) et sémodiée (semodiatas).
30L’extrême précision avec laquelle la plupart des parcelles, et non seulement celles destinées au complant de vignobles, ont été arpentées témoigne d’une pratique difficile à expliquer sans l’intervention de cette catégorie particulière de boni homines qu’étaient les veri agricultores32. Pour l’arpentage de la terre, les « vraies paysans » se servaient de bâtons taillés sur la base des mesures officielles, des étalons gravés dans des endroits protégés et visibles tels que l’intérieur des églises33.
31L’estimation de la valeur de la terre était cependant un exercice beaucoup plus complexe que mesurer les côtés et la surface d’une parcelle. Elle devait tenir compte aussi de la situation de la parcelle par rapport aux voies de communication et aux centres de marché, de l’orographie, de la morphologie et de la qualité du sol, de la densité des plantations, des rendements des différentes variétés de grains, de la productivité et du prélèvement seigneurial, y compris de l’ensemble des redevances qui pesaient sur la production de la parcelle34.
32D’autre part, fixer le « juste prix » de la terre n’était pas un exercice strictement technique réservé à des hommes du métier ; il devait aussi tenir compte de l’évolution du marché foncier et de la situation de ce marché au moment précis de la transaction. Entre la fin du xe siècle et 1060, le marché foncier barcelonais se trouvait fortement rattaché à un marché des céréales qui éprouvait de fortes turbulences au rythme de la succession cyclique de graves famines. Le prix des transactions était fixé d’habitude en mesures de poids de métaux précieux (uncias et pensas) et en unités de monnaies d’or (mancusos et mancusatas) et d’argent (sous et solidées [solidatas], deniers ou dénariées [denaritatas]), qui agissaient presque toujours comme des unités à valeur comptable. Le versement se faisait parfois entièrement en numéraire circulant, parfois en nature, mais très souvent de façon mixte : partie en monnaies d’or ou d’argent en cours, partie en blé, selon les proportions exprimées dans l’acte de vente35. Les céréales transcendaient donc souvent le rôle de moyen d’échange pour devenir en fait l’objet d’échange des transactions foncières36.
33Dans ces circonstances, que faut-il entendre par juste prix à une époque où le débat théologique et canonique sur la notion même de « juste prix » ne s’est pas encore développé ? Il n’est pas facile de donner une réponse satisfaisante à cette question. En tout cas, la réponse ne se trouve pas dans les actes. On peut tout de même, par défaut, proposer une approximation : le « juste prix » aurait été un prix idéal qui cherchait à limiter les injustices sociales causées par le libre marché. Ces injustices risquaient d’être particulièrement criantes à un moment où le marché de la terre se trouvait étroitement lié au marché des céréales. Dans ce contexte, et du point de vue strictement économique, le « juste prix » serait un idéal conçu dans une situation théorique où l’offre et la demande friseraient l’équilibre.
34L’expertise des biens fonciers avait donc un côté technique, plus ou moins objectivable, un côté d’analyse du fonctionnement économique du marché et d’analyse du contexte précis où l’échange avait lieu et qui devait tenir compte forcément de la condition et de la physionomie sociale des acteurs, notamment des vendeurs. L’opération entraînait donc, dans l’ensemble, une dose de subjectivité. Cependant, conformément à ce qui était prescrit par la loi gothique, les boni homines intervenaient toujours au nombre de trois, ce qui, a priori, devait suffire à limiter au maximum les déviations.
35Faute d’éléments objectifs, les boni homines eux-mêmes avaient un rôle capital dans l’estimation des biens fonciers et la détermination du « juste prix ». Leur intervention était en fait consubstantielle à la définition même du « juste prix » car, au-delà des circonstances spécifiques. Comme l’a remarqué Monica Martinat dans son étude sur l’annone romaine au xvie siècle, au fondement de cette notion, on trouve la volonté
de soustraire la détermination du prix et de la valeur aux seuls partenaires commerciaux, et de remettre l’établissement des équivalences dans les mains de la communauté dans son ensemble. Cela est d’autant plus important dans le domaine de subsistances, où les risques politiques s’associent aux contraintes morales37.
36Or, l’intervention des boni homines sur le marché foncier était loin d’être générale. L’expertise des biens fonciers se bornait, comme on l’a vu plus haut, à des cas et des contextes particuliers, dont certains étaient déjà prévus par la Loi gothique38. L’objectif de l’expertise des boni homines sur le foncier était donc de protéger certains individus et certains collectifs des effets pervers causés par le libre marché. Mais la fonction sociale de leur intervention n’avait même pas de dénominateur commun : si, dans le cas des veuves avec enfants, le sens du « juste prix » était d’éviter une sous-estimation du patrimoine foncier vis-à-vis du marché des céréales en temps de famine, en cas d’exercice du droit de préemption par le seigneur de la terre le sens de l’intervention des experts était tout à fait l’inverse : éviter une surestimation de la tenure et un emploi spéculatif du marché par les tenanciers. C’étaient deux fonctions du « juste prix » radicalement différentes et diamétralement opposées qui, tout de même, consacraient les boni homines comme des figures clés dans le maintien de l’équilibre social et de la cohésion interne de la communauté.
Notes de bas de page
1 J. M. Font i Rius, « Orígenes del régimen municipal », pp. 416-450.
2 Ibid., pp. 432-444.
3 M. Bourin, Villages médiévaux en Bas-Languedoc, vol. 1, pp. 316-318.
4 J. M. Font i Rius, « Orígenes del régimen municipal », pp. 424-425.
5 P. Ourliac, « Juges et justiciables » ; E. Magnou-Nortier, La société laïque et l’Église, pp. 157-158 ; M. Bourin, Villages médiévaux en Bas-Languedoc, vol. 1, pp. 313-321 ; M. Bourin, « Les solidarités paysannes en Bas-Languedoc », pp. 242-243 ; J. M. Font i Rius, « Orígenes del régimen municipal », p. 419 ; P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du xe à la fin du xie siècle, vol. 1, p. 310.
6 J. A. Bowman, Shifting Landmarks, pp. 111-112 ; J. M. Font i Rius, « Orígenes del régimen municipal », pp. 420-421. Ll. To Figueras, « El marc de les comunitats pageses », pp. 218-219.
7 J. M. Font i Rius, « Orígenes del régimen municipal », pp. 426-428 et 437-438. Voir aussi P. H. Freedman, The Diocese of Vic, p. 83.
8 « De omnibus hominibus exceptis militibus, scilicet de burgensibus et baiulis atque rusticis, constituerunt sepedicti principes haberi de esmenda terciam partem seniores eorum in quorum honore steterint quando interfecti fuerint vel quando aliquod malum vel contumeliam in corpore vel in honore sive in avere aprehendiderint, si eorum seniores val de eos adiuverint inde ita tamen ut a quibus acceperint composicionem, sine engan faciant illis diffinicionem, laudo vel consilio proborum hominum vel eciam istius patrie iudicum vel potestatem » (J. Rovira i Ermengol [éd.], Usatges de Barcelona, p. 234, article 102).
9 J. M. Font i Rius, « Orígenes del régimen municipal », p. 422.
10 Par exemple, dans une donation accordée en 1001 par Ferriol à son fils Muradell de deux maisons et une parcelle de terre située au territoire de Terrassa : « Dono namque tibi casas ii cum solos et superpositos et cum ipsa terra que fixuravi ego Ferriol cum bonis hominibus » (P. Puig i Ustrell (éd.), El monestir de Sant Llorenç del Munt, vol. 2, doc. 103, p. 764). Dans le village de Vencilles, en Cerdagne, les boni homines accompagnent Bonfill avec tous ses voisins et héritiers pour déterminer les limites et fixer les bornes de trente-deux pièces de terre lui appartenant : « Et ego prefatus Bonifilius cum omnibus vicinibus meis vel eredibus supra iam dictis vel cum aliis bonis hominibus, sicut ego vel ipsi veraciter sciebamus, sive in aspero sive in ipsa ribera prope Sigeris fluvio ita tamen pedibus nostris peragravimus iam dicto alod et sine contencione et ira et tumultu terminis et fixuris in eum posuimus volenti animo. Et sunt iam dicte pecie cum terminis et afrontacionibus suis et cum exiis vel regresiis earum . XXXa.II » (Arxiu Capitular d’Urgell, parchemins nos 772 et 773, Liber Dotaliorum Ecclesiae Urgellensis, I, f° 220r°-v°, doc. 731, acte non daté ; C. Baraut (éd.), « Els documents, dels anys 1093-1100 »).
11 En 1172, dans le château de Siurana, par ordre du roi Alphonse Ier : « Unde convocatis sapientibus viris et probisimis precepi eis et mandavi firmiter quod eadem scientia et certitudine me certum redderent de terminis Ciurane quam ipsi videntes et audientes habuerunt ab Arnaldo de Castroveteri » (P. de Bofarull y Mascaró de (éd.), Colección de documentos inéditos, t. VIII, doc. 14, p. 49). Plusieurs exemples de délimitations d’alleux et villae dans Ll. To Figueras, « El marc de les comunitats pageses », pp. 219-220.
12 Vers la fin du xiie siècle, les probi homines de la paroisse de Llagostera ont déclaré sous serment les droits et revenus ayant appartenu au comte Ramon Berenguer IV et à son fils, le roi Alphonse Ier : « Hec est sacramentalis fidelitatis quod probi homines Locustarie sub vinculo sacramenti fecerunt sub manu et in presencia Berengarii de Colle et Berengarii de Columbario, baiulus eiusdem ville, de omnibus illis eximentis et directis atque antiquis usaticis que dominus comes et dominus rex, filius eius, soliti erant habere et recipere in omni parroechia Locustarie » (Arxiu de la Corona d’Aragó [ci-après ACA], Chancellerie, Extrainventaire, parchemin n° 3422 ; Fiscal Accounts of Catalonia, éd. Th. Bisson, vol. 2, pp. 192-193, doc. 101).
13 P. Bonnassie, La Catalogne du milieu du xe à la fin du xie siècle, vol. 1, p. 310.
14 « Pro nostra necessitate quia in ipso anno abuimus et fecimus hec per consultu de bonisque hominibus per ipsa tempestate qui in ipso anno nobis occurrerit in ipso anno duas vices » (Arxiu Capitular de la Santa Església Catedral Basílica de Barcelone [ci-après ACB], Libri Antiquitatum, t. II, f° 203v°-204r°, doc. 627).
15 À partir du xie siècle, la plupart des transactions foncières explicitement motivées à cause de la famine (« propter necessitatem famis ») sont accordées aux veuves avec enfants orphelins de père. En 1092, par exemple, Peronella a vendu au prêtre Ramon Llopard et à Bernat Otger trois quarts des parts de la maison qu’elle possédait dans la ville de Barcelone pour la somme de 25 mancusos d’or de Valence : « necessitate famis […], ne ego et filii mei fame intolerabili moriamur » (ACB, parchemin n° 1-4-311). Ces circonstances ne sont cependant pas systématiquement consignées dans les nombreuses transactions du xe et xie siècles effectuées par des femmes seules accompagnées de leurs enfants. Ll. To Figueras, Família i hereu a la Catalunya nord-oriental, pp. 169-170 et 337-338.
16 Ibid., pp. 168-171, 266-269 et 330-335.
17 « Manifestum est enim quia precepit lex privilegia de pupillis et eorum tutoribus constituta, que continetur libro IIIIo, titulo IIIº, capitulo IIIIº, quod si proveniat ut pupillus dum in tuitione est mortali languore vexetur quod de sibi debitis rebus iudicare elegerit, a decimo etatis suae anno habeat plenissimam potestatem » (ACA, Chancellerie, Ramon Berenguer I, parchemin n° 339 ; Els pergamins de l’Arxiu Comtal, t. III, p. 1174, doc. 657).
18 « Ego Alodia abui viro ante nomine Godmar qui fuit condam. Et ille vendidit in vita sua meos boves et meum mobile qui mihi advenit de genitori meo et de genitrice mea. Et misid suas terras et vineas in pignus et ceptus debebat multa annona et multos denarios […] et postea fuit mortus et remansid in meam potestatem. Et postea sic prendi virum, suprascripti Isarno, et ille redimit de suum abere […] terras et vineas qui erant in pignus et persolvid suos debitos et nutrivit filia sua. Et venit necessitas famis […] Propter oc dedit consilio domno Ermemir, seniori nostro et vicario nostro cum aliis bonis omines ut fuisent venditas casas et curtes et ortos et terras cultas et ermas cum arboribus qui fuerunt de suprascripti Godmar condam unde fuiset nutrita filia sua Ollovara in ista necessitas famis » (Arxiu Històric Fidel Fita d’Arenys de Mar, parchemin n° 3).
19 « Notitie literationis memorie editam in conspectu virorum subterius roborati, sub ordinatione iudicum tracta de quadam pueros, nomine Suner et Ermesinda femina et Provizia femina et Ermeniards et Domenicus et Bonefilio et Sinere, relictos ab utroque parente et non fuit qui eos sustentasset nec gubernasset, sed cito invasit eos magna sterilitas et famis angustie, ita ut pene mortis ad propria perhiclitari ceperant. Set ut ne perissant, dederunt consilium boni extimatores cum iudice Guisad ut licentiam fuisset ad prefatos pueros vel puellas ereditatem illorum ob pignorare et alimoniam exinde adcipere et famis inopie evadere » (ACB, parchemin n° 1-4-115).
20 En 1010, par exemple, les boni homines ont fixé à 4 mancus le prix de vente des droits que le prêtre et juge Borrell possédait sur un moulin situé dans le territoire de Jonqueres, à côté du fleuve Ripoll. Ce moulin était en fait le gage que Borrell avait reçu d’Ató et de sa femme Fruilo pour un prêt de 1,5 mancus d’or, 1 quarta et 1 emina de blé et 8 pugneras de froment, emprunt que ce couple n’avait pas rendu dans le délai établi dans le contrat : « Idcirco insistente iudice Guistrimiro sicuti lex nostra edocet, qui continetur libro Vto titulo sexto et sicut iuste bonis hominibus apreciatum est, sic tibi vindo suprataxata omnia cum suo caputaquis et suo rego cum suas tormentas et sua usebilia sicut molinus molere debere » (ACA, Ordres monastiques, Sant Llorenç del Munt, parchemin n° 54 ; P. Puig i Ustrell (éd.), El monestir de Sant Llorenç del Munt, t. II, p. 798, doc. 131).
21 « Et ad ipsud terminum et tamen transacto termino multociens comonuimus eos et noluerunt nobis redere predictum debitum. Ideoque obediendo legimus et extimato precio a tribus bonis hominibus, Bonofilio presbitero et Stratario et Odino, extimaverunt predictam peciolam terre iuste debere valere III sestarios ordei. Et sunt hi tres homines predicti territorii ipsius loci. Et affrontat […] Quantum iste affrontaciones includunt, sic vindimus vobis predictam peciolam terre propter precium III sestarios ordei, quibus iuste adpreciata est a predictis tribus bonis et ydoneis hominibus » (ACB, Libri Antiquitatum, t. II, n° 670, f° 214b-d).
22 « Quod si nos vel illi supradicto modo usque ad terminum istum, hoc redimere quod vobis inpignoramus noluerimus vol non potuerimus, tunc eligantur ex utraque parte probi homines IIIe, ad quorum laudamentum addatis nobis vel nostris tantum pecunie quantum apreciatum fuerit ab ipsis bonis hominibus hoc totum quod vobis inpignoramus. Si etiam vos ad laudamentum eorum nolueritis comparare, tunc vendatis predictum pignus, et ex pretio eius rendatur vobis predictum vestrum debitum et quantum pecunie usque ad libras X argenti in opera kastelli habueritis missum. Et si vos comparaveritis predictum pignus, tunc nos aut ipsi quibus dimiserimus ipsum honorem faciant vobis kartam venditionis ad vestrum plenissimum proprium. Si vero nec redimere nec vindere vobis hec omnia predicta, sicut dictum est, voluerimus ; sed bonum et servitium quod nobis facitis modo in contrarium vobis vertere temptaverimus ; tunc sit vobis plena licentia retinendi vel vendendi hec omnia, vel faciendi inde quidquid volueritis ad vestrum plenissimum proprium » (ACA, Chancellerie, Ramon Berenguer III, parchemin n° 68).
23 P. Bonnassie, « Le vignoble catalan » ; A. Riera i melis, « El vino en Cataluña » ; P. Benito i Monclús, Senyoria de la terra, pp. 125-161.
24 Pour les caractères généraux du contrat de complant et son évolution en France et dans la péninsule Ibérique, voir R. Grand, Le contrat de complant ; R. Gibert y Sanchez de laVega, « La “complantatio” en el derecho medieval español » ; M. J. F. de Almeida Costa, « A Complantação no Direito Português ».
25 M. Bourin, « Délimitation des parcelles ».
26 Contrat de complant, passé en 1040 entre l’évêque Guislabert de Barcelone et Gotmar Hendalec et ses frères, portant sur une parcelle située dans le territoire de Barcelone : « Quantum iste affrontationes includunt, sic donamus vobis eadem terra ad complantandum ut et vos eam complantetis et laboretis vineamque optimam in eadem terra fundetis, et eam fortiter circumvalletis et omnibus eius laboraciones annuatim impendatis per hos V annos adfuturos. Et inter tantum omnes fructus quem Deus ibidem dederit per singulos annos, dividere faciatis equaliter sine fraude, ut una medietas sit nostra alia medietas sit vestra. Et tunc completi fuerint istis annis V prefati, ad culturam legitimam eam perductam habeatis, ut vere dicant valeant boni homines quia bene est complantata et advineata et fundata, sicut bona vinea conveniun cum omnes suas laborationes » (ACB, parchemin n° 1-2-791). Dans un autre contrat de complant de 1061 passé entre deux couples de barcelonais il est stipulé : « Propterea donamus vobis prescriptam terram in tale conventu hac racione ut duas modiatas de terra prescripta abeatis complantatas et edificatas usque ad quatuor annis, terciam vero modiatam de predictam terram abeatis complantatam et edificatam usque ad septem annis, ita ut dicant boni laboratores quia predictas vineas bene sunt complantatas et obtime edificatas et circumvallatas, et ipsam espletam de fructibus quod Deus dederit in predictas vineas usque ad predictos terminos dividamus per medium. Completis terminis suprascriptis, dividamus prenominatas vineas per medium et una medietas de predictas vineas sit vestra, alia vero medietas sit nostra » (ACA, Chancellerie, Ramon Berenguer I, parchemin n° 267).
27 Contrat de complant passé en 1012 entre Guillem de Castellví et Gotmar portant sur une terre située dans le territoire de Barcelone, à Terrers Blancs : « Ut si tu aud posteritas tua eam vindere vel inalienare volueris ipsa tua porcione, non abeas licenciam facere nisi ad me predictus Guillemus aud posteritas mea, sicut voluerit ad iusticia fuerid preciata bonisque ominibus » (ACB, parchemin n° 1-4-29). Contrat de complant passé en 1019 entre Adelaida et Ranesmir portant sur des vignobles situés dans le territoire de Barcelone, à Terrers Blancs : « Pro quibus legibus teneas tu et posteritas tua ipsa medietas sine ulla calupnia, in ea videlicet ratione : ut non liceat tibi vindere nec inalienare nec in alico loco transferre nisi ad me aut posteritas mea aut quibus ego dimisero. Quod si tibi necessitas exigerit ut ipsa tua porcione venundare volueris, emere eam faciamus, sicut iuste preciatum fuerit ad bonis hominibus » (ACB, parchemin n° 1-1-1438).
28 Contrat de complant passé en 1044 entre Pere Vivà et son épouse Guisla et Bonús et son frère Duran portant sur une terre située dans le territoire de Barcelone, à Provençals : « Ut si vos aut posteritas vestra eam vindere volueritis aut inalienare ipsa vestra portione, non abeatis licenciam facere nisi ad nos aut posteritas nostra, sicut valuerit ad iusticiam, fuerit preciata bonisque hominibus ; et si nos aut posteritas nostra noluerimus eam emere ad iusticiam, vindere faciatis eam aut quicumque volueris » (ACB, parchemin n° 1-4-133).
29 P. Bonnassie, « Le vignoble catalan », p. 60. En fait, dans le comté de Manresa, où les contrats de complant ne semblent pas avoir donné origine à une pratique écrite, les traces des rapports de complant proviennent des actes de réversion (achat, définition, etc.) de la moitié du complanteur au propriétaire (A. Benet i Clarà, « El conreu de la vinya al pla de Bages », p. 254).
30 Contrat de complant passé en 1072 entre l’évêque Umbert de Barcelone et Sunifred Barús et son épouse Beleca portant sur une pièce de terre située dans la paroisse de Sant Vicenç de Sarrià : « Neque damus vobis licenciam ut eandem vineam quolibet modo possitis alienare aut in alterius ius transfundere, nisi solum modo in nostrum vel successorum nostrorum iuste ac legitime. At si vobis necessitas fuerit predictam vineam vendendi sive chomutandi vel quolibet modo alienandi, non vobis licitum erit hoc facere nisi nobis aut successoribus nostris, sicut iuste appreciata fuerit a bonis hominibus rite possit valere prescripta vinea. Si autem nos aut successores nostri noluerimus aut non potuerimus eam emere infra XXX dies, qua comoniti fuerimus aut fuerint, licitum sit vobis et posteritati atque proieniei vestre vendere prenominatam vineam vestris similibus, qui retdant nobis per unumquemquem annum superius est comprehensum censum. Meliori quoque vel superiori vobis nullatenus erit licentiam predictam vineam vendendendi sive alienandi, nisi tantum vestris similibus, qui reddant nostre kanonice et nobis sive successoribus nostris prenominatum censum per unumquemque annum » (ACB, parchemin n° 1-2-1004). Contrat de complant passé en 1091 entre Miró Goltred, chanoine de Barcelone, et Joan Miró et son épouse Domènega portant sur une parcelle de terre située dans le territoire de Barcelone, à Monterols : « Si vero necessitas vendendi vel impignorandi evenerit vobis, non vendideritis nec vendiderint ulli alium homini nisi ad me donatore vel ad meu successorem per precium iuste et legitime appreciatum atque laudatum a bonis hominibus. Ego vero vel illi meis successores, si noluero aut noluerint hec emere infra triginta dies, quibus amonitus fuero a vobis sive fuerint, quod postmodum vendatis eam et inalienetis ad alios homines vestros similes laboratores, qui similiter tribuant et donent ad predicto hospitale ipsum quartum et decimam annuatim omni tempore fideliter » (ACB, parchemin n° 1-2-1225).
31 P. Benito i Monclús, Senyoria de la terra, pp. 214-215.
32 En 1035, par exemple, une petite parcelle située dans le territoire de Barcelone, dans le lieu dit Provençals, est décrite de la façon suivante : « Afrontat ipsa terra de parte aquilonis in terra de Geribertus et de sorori sua Bonadonna, et abet dextros LXXV, de circi in terra de predicto Geriberto, et abet dextros VIIII et palmos IIII, et afrontat ipsa clave de occiduo in terra de vos emptores, et abet dextros decem, et ipso angulo de parte circi similiter afrontat in terra de vos emptores, et abet dextros XI et palmos V, de occiduo in terra de predicto Geriberto, et abet dextros LX et quatuor et palmos VIII, de meridie in strada publicha, et abet dextros XV et medio » (ACA, Chancellerie, Berenguer Ramon I, parchemin n° 118). L’intervention des boni homines dans la mensuratio des terres se retrouve aussi bien en Bas-Languedoc à la même époque (M. Bourin, « Délimitation des parcelles », p. 82).
33 Un échange de terres de 1162 nous apprend que les parcelles avaient été arpentées avec un dextre à 15 paumes qui était gravé à l’intérieur de l’église de Santa Maria de Pineda, à côté de l’autel de saint Jacques, où tout le monde pouvait le voir : « Et predictum dextrum habet in logitudine XV palmos et est incisus in ecclesia Sancte Marie de Pineta, a meridie, iuxta altare Sancti Iacobi. Si quis voluerit eum videre ibi eum reperiet » (ACA, Ordres monastiques, Montalegre, parchemin n° 120 ; X. Pérez i Gómez (éd.), Diplomatari de la cartoixa, p. 162, doc. 125). Jean-Marie Martin a repéré aussi la présence d’étalons des mesures d’arpentage à l’intérieur des églises en Italie méridionale (J.-M. Martin, « La mesure de la terre », p. 289).
34 Voir, à cet égard, la diversité de critères retenus par l’abbé Adalhard de Corbie en 813 pour expertiser la valeur des terres, dans un échange entre les monastères de Saint-Sauveur de Brescia et Nonantola (L. Feller, « Sur la formation des prix »).
35 Ibid.
36 P. Benito i Monclús, « Retour au Toulousain ».
37 M. Martinat, « L’annone romaine moderne », p. 108.
38 En effet, la loi gothique imposait la présence des boni homines à côté des juges dans des affaires de partage successoral, dans la fixation du juste prix et dans des enquêtes judiciaires : articles II, 1, 30 ; V, 6, 3 ; VI, 1, 4 ; IX, 1, 21 ; et X, 1, 17, dans K. Zeumer (éd.), Leges Visigothorum, pp. 77, 165, 253, 365 et 389 respectivement.
Auteur
Université de Lleida
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