Chapitre IX
Mobilier numismatique
p. 97-114
Texte intégral
1Au cours des premières campagnes de fouilles, seuls trois fragments de monnaies islamiques avaient été découverts. L’essentiel du corpus était alors dominé par des deniers et oboles de la fin du xiiie et du début du xive siècle, provenant d’un sol de réoccupation recouvrant partiellement les niveaux d’abandon du secteur I. Il comprenait ainsi deux monnaies du roi Jacques Ier d’Aragon (1213-1276), un denier tournois du roi de France Philippe III (1270-1280), une monnaie du comte d’Urgell Ermengol X (1267-1314) et une obole du roi Jacques II d’Aragon (1291-1327) frappée à Sariñena1. Depuis 2013 et la découverte de plusieurs fragments de dirhams dans la partie ouest de la plateforme, ce sont les monnaies de la taifa hudide de Saragosse qui sont les plus nombreuses dans le catalogue du mobilier numismatique. Celles-ci viennent corroborer les datations obtenues par plusieurs analyses au C14 qui fixent l’occupation de ces espaces réaménagés dans la seconde moitié du xie siècle. Elles apportent également de nouvelles informations sur les monnayages des taifas et sur les pratiques monétaires en milieu rural.
Les découvertes et leur contexte
2Les premières découvertes avaient été réalisées à proximité de la mosquée, dans un espace ayant partiellement été réutilisé après l’abandon du site. Le mobilier numismatique des niveaux superficiels était donc constitué d’une majorité de monnaies du xiiie siècle (monnaies nos 39 à 44, pl. XLV et XLVI). Parmi les monnaies non islamiques, figurait également un as frappé à Bolskan au iie siècle av. J.-C. (monnaie no 1, pl. XXXIII)2. Au sein de ce même espace, furent découverts deux objets monétiformes, peut-être des fulūs (monnaies nos 4 et 5, pl. XXXIV), et un dirham coupé aux légendes malheureusement indéchiffrables (monnaie n° 6, pl. XXXIV), attribué au règne d’Aḥmad Ier (1049-1082)3.
3Ce n’est qu’au cours des campagnes des années 2013 et 2014, lors des fouilles de l’îlot J, que 27 fragments métalliques, dont plusieurs fragments de dirhams, furent mis au jour. Malgré la concentration des découvertes, en particulier dans l’UA 78 (18 fragments, monnaies nos 8 à 25, pl. XXXV à XL), ces monnaies n’avaient pas fait l’objet d’une thésaurisation et chaque fragment fut découvert isolément dans les niveaux d’occupation ou d’abandon de cette longue pièce de près de 25 m2. Ils provenaient de deux niveaux d’effondrement (US 7804 et 7806) et d’un niveau de remblai de terre jaunâtre incluant des charbons de bois et quelques tessons de céramiques glaçurées tels que des fragments d’ataifores (US 7808). C’est dans un sol aux caractéristiques similaires qu’un autre fragment fut découvert dans l’UA 89, au nord de la rue principale (monnaie no 35, pl. XLIII).
Typologie des dirhams de la taifa de Saragosse
4L’identification de plusieurs de ces pièces n’a pu être assurée qu’après leur restauration effectuée par le Taller de Restauración del Patrimonio à Madrid. Dans une grande majorité des cas, il s’agit de fragments de dirhams attribuables aux émirs hudides Aḥmad Ier al-Muqtadir et Aḥmad II al-Musta‘īn. Les légendes indiquent en effet le plus souvent une partie du laqab de ces deux souverains, en particulier le titre de ḥāğib sayf al-dawla (« chambellan, sabre de la dynastie ») visible sur les monnaies d’Aḥmad II frappées entre 476/1083 et 481/1089. Nombre de ces fragments se rapportent ainsi au numéro 270 de la typologie établie par Antonio Prieto y Vives4. Ils porteraient alors les légendes suivantes :
Légende centrale droit :
ﻻ ﺸﺮﻴﻚ ﻠﻪ ̸ ̸ ﺍﻟﻟﻪ ﻭﺤﺪﻩ ̸ ̸ ﺍﻻ ﺍﻠﻪ ﻻ
(« Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu, il est unique et n’a pas d’associé »)
Légende marginale droit :
… ﺴﻨﺔ ﺒﺴﺮﻘﺴﻄﺔ ﺍﻠﺪﺮﻫﻢ ﻫﺬﺍ ﺿﺮﺐ ﺍﻠﻠﻪ ﺒﺴﻢ
(« Au nom de Dieu, ce dirham a été frappé à Saragosse en l’an… »)
Légende centrale revers :
ﺍﺤﻤﺪ ̸ ̸ ﺍﻟﺪﻮﻟﺔ ﺴﻴﻒ ̸ ̸ حاجبﺍﻟ
(« Le chambellan, sabre de la dynastie, Aḥmad »)
Légende marginale revers :
ﺮﺴﻮﻞ ﺍﻟﻟﻪ أرسله ﺑﺎ ﻟﻬﺪﯼ ﻭﺪﻴﻦ ﺍﻟﺤﻖ ﻟﻴﻅﺮﻩ ﻋﻠﻰ ﺍﻠﺪﻴﻦ ﻜﻠﻪ ﻭﻠﻮ ﻜﺮﻩ ﺍﻠﻤﺸﺮﻜﻮﻦ ﻤﺤﻤﺪ
(« Muḥammad est l’envoyé de Dieu, envoyé avec la Direction, la Religion vraie, pour la placer au-dessus de toute autre religion, en dépit des polythéistes »)
5Certaines pièces pourraient toutefois être antérieures à cette date et avoir été frappées dès la fin du règne d’Aḥmad Ier, entre 460/1067 et 475/10835. Un seul fragment présente une partie de la date lisible dans la légende marginale du droit et peut être attribué au règne de cet émir puisqu’il fut émis en 475/1082-1083 (monnaie no 29, pl. XLII). Un autre fragment serait postérieur, se rapportant au type 271, soit frappé entre 481/1088 et 489/1096 au nom d’Aḥmad II (monnaie no 36, pl. XLIV)6.
Pratiques monétaires du xie siècle
6Les dirhams furent découverts sous la forme de fragments de petite taille et ils répondaient ainsi au besoin de petit numéraire à un moment où les fulūs étaient moins répandus. Les masses des fragments observés sur ce site oscillent entre 0,17 et 1,91 gr., une majorité pesant entre 0,60 et 1,00 gr. Si le terme « dirham » désigne les monnaies d’argent du système monétaire arabo-musulman, il convient de préciser que le titre de la plupart de ces pièces est visiblement très bas. Il s’agit donc de monnaies veillons dont la teneur en cuivre est très élevée. Le titre des monnaies d’argent des taifas diminue par ailleurs de manière considérable tout au long du xie siècle7.
7La forme de plusieurs de ces « fragments » renvoie à une pratique, très répandue au xie siècle, qui consistait à frapper les monnaies sur des flans de fortune, vraisemblablement non circulaires, peut-être des barres métalliques ensuite coupées en fragments8. Ces monnaies, appelées handusíes, constituaient donc un numéraire de petite valeur9. Il serait alors séduisant d’interpréter le cylindre métallique découvert dans l’UA 80 comme un coin monétaire permettant la frappe de ces pièces. Mais la présence d’une légende sur cet objet interdit de considérer cette hypothèse dans la mesure où la lettre indéchiffrable semble apparaître en relief alors qu’elle serait en négatif sur un coin.
8Par ailleurs, la présence de trois as de l’atelier de Bolskan semble constituer un nouvel exemple de réutilisation des monnaies plus anciennes, à l’image des émissions du Bas Empire qui continuèrent à circuler après la conquête arabo-berbère de la péninsule Ibérique, comme l’ont bien montré Carolina Doménech et Sonia Gutiérrez à la suite des fouilles du Tolmo de Minateda10.
9Tous les fragments assurément identifiables sont donc attribuables aux émirs hudides de Saragosse et il convient de souligner l’absence de monnaies musulmanes antérieures, frappées par les Omeyyades ou par les Banū Tuǧīb. Cette fréquence des monnaies de la seconde moitié du xie siècle correspond à l’augmentation de la production monétaire sous Aḥmad Ier al-Muqtadir (1049-1082).
10En somme, la chronologie des émissions monétaires se concentre autour des années 1080 et aucun des fragments identifiés ne peut être postérieur à 1096. Ces datations confirment alors les résultats de la fouille et permettent de situer l’abandon du site dans les toutes dernières années du xie siècle.
Notes de bas de page
1 L’éphémère monnayage aragonais au nom de Jacques II fut en effet réalisé à Sariñena plutôt qu’à Jaca où était pourtant situé l’atelier royal (Crusafont Sabater, Balaguer Prunés, Grierson, 2013, p. 130).
2 Ce type de découverte est fréquent dans la région et se rapporte à une période au cours de laquelle l’atelier, identifié à Huesca depuis le catalogue d’Aloïss Heiss, était très actif (Heiss, 1870). Deux fragments de monnaies similaires ont également été découverts dans la partie ouest de la plate-forme.
3 Sénac, 2009a, p. 36.
4 Prieto y Vives, 2003, p. 206.
5 Ibid., pp. 204-205.
6 Ibid., p. 206.
7 Canto García, Ibrahim, 2004, pp. 302-306. Si les premières émissions d’Aḥmad Ier (1049-1082) peuvent comporter près de 70 % d’argent fin, le titre des monnaies baisse sensiblement par la suite. La période se caractérise par ailleurs par une « crise de l’argent » qui affecte l’ensemble du monde musulman (Noonan, 1988).
8 Francés Vañó, 2012, pp. 8-10.
9 Le terme ḥandūs (ﺤﻨﺪﻮﺲ) peut être défini comme « un morceau de dirham coupé qu’on donne ordinairement à un mendiant » (Biberstein Kazimirski, 2004, t. I, p. 502).
10 Doménech Belda, Gutiérrez Lloret, 2005 et 2006.
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