Chapitre VII
Le mobilier céramique
p. 57-84
Texte intégral
1À la fois abondant et très fragmenté, le mobilier céramique découvert comprend 54 657 tessons datant des xe et xie siècles, à l’exception d’une douzaine de fragments de céramiques sigillées et de quelques tessons, de la fin du xiiie siècle, contemporains de la réoccupation de la cour de la mosquée, tels que des fragments d’écuelles (escudillas) à marlis à décor vert et brun sur fond blanc en provenance de la région valencienne1. De la même époque et du même lieu proviennent également deux fragments de céramique présentant un décor zoomorphe réalisé au moule.
2La présentation de ce mobilier repose sur un classement établi en fonction de critères fonctionnels et stylistiques, conformément à la typologie proposée par André Bazzana2 :
- Vaisselle de cuisine utilisée pour la cuisson des aliments
- Vaisselle de transport, stockage et conservation de produits solides ou liquides
- Vaisselle destinée au service des aliments
- Vases ou objets à usages domestiques multiples
- Éléments additionnels ou annexes
- Réceptacles à feu
- Objets céramiques à usage artisanal
- Objets céramiques à usage architectural
- Figurines et objets ludiques (jouets, instruments de musique)
- Divers et indéterminés
3La vaisselle de cuisine utilisée pour la cuisson des aliments représente 25 % du mobilier céramique étudié. Ce groupe rassemble des marmites (ollas), des petits récipients à une anse désignés sous le nom de pucheros, ainsi que des cazuelas.
4Les ollas d’époque califale sont des pièces globulaires à deux anses et fond convexe, présentant un décor incisé sur le haut de panse composé d’une ligne de stries parallèles et de vaguelettes (pl. I, nos 2, 3 et 4). D’autres décors, moins fréquents, se limitent à une seule ligne de fines incisions sur le haut de panse (pl. I, no 1). Un seul exemplaire mis au jour près de la mosquée possède quatre anses (pl. IV, no 16).
5Les marmites d’époque taifale (pl. II, III et IV) témoignent d’une évolution sensible : de dimensions plus réduites, elles associent des pièces de couleur grise ou brune, avant que ne se multiplient des pièces à pâte claire, décorées de traits rectilignes ou courbes peints au brun de manganèse (ollas). Dans un cas, la fouille de l’UA 82 a permis de découvrir une grosse marmite glaçurée présentant un décor incisé fait de bâtonnets en forme de triangles et entièrement restaurée (pl. IV, no 15). Associée à des fragments de dirhams du règne de Aḥmad al-Musta‘īn, cette céramique peut être datée de la seconde moitié du xie siècle.
6Dans les sols les plus anciens figurent également de petits récipients globulaires (pucheros) à col cylindrique et à une anse (pl. V), dont la décoration (stries et vaguelettes incisées) est semblable à celle des ollas d’époque califale. La plupart d’entre eux, à fond bombé et d’une dizaine de centimètres de hauteur, étaient sans doute destinés à la cuisson des aliments.
7Les cazuelas (pl. VI) reprennent les mêmes motifs décoratifs que les marmites d’époque califale (stries horizontales et courbes sous la forme de vaguelettes). Elles présentent une carène assez fortement marquée et leur fond est toujours convexe pour mieux capter la chaleur du foyer. De manière remarquable au regard des autres sites fouillés dans la région, leur nombre s’avère très réduit : sur les six exemplaires mis au jour, trois d’entre elles (pl. VI, nos 2, 4 et 5) proviennent d’un même lieu, l’UA 46, qui servait sans doute de cuisine.
8La catégorie formée par la vaisselle de transport, le stockage et la conservation de produits solides ou liquides est de très loin la plus importante par le nombre de tessons trouvés en fouilles (45 %), en particulier sur le versant sud du plateau3. Elle comprend d’abord de grandes jarres (jarras) à corps globulaire et à deux anses, fond plat et col cylindrique étroit, à pâte claire recouverte d’un engobe blanchâtre. Ces pièces pouvaient atteindre 60 cm de hauteur et étaient décorées de traits rectilignes ou courbes peints au brun de manganèse sur leur partie supérieure (pl. VII, nos 1, 2 et 3). Dans ce groupe figurent également des jarros à une anse, sorte de grandes cruches à eau accompagnées des mêmes décors (pl. VII, nos 4 à 8), des fragments de tinajas, grands récipients aux parois épaisses décorés de cordons d’argile rapportés avec empreintes digitales, ainsi que quelques fragments de gourdes (cantimploras) à pâte fine et goulot latéral, dépourvues de toute décoration.
9La vaisselle destinée au service des aliments et des produits liquides représente également une part notable du mobilier céramique (26 %). Ce groupe rassemble des formes ouvertes (ataifores, cuencos, escudillas) et des formes fermées parmi lesquelles des redomas (bouteilles ou pichets), et surtout des jarritas et des jarritos.
10Particulièrement nombreux, les ataifores se présentent sous la forme de grands plats creux à pied annulaire, dont le diamètre était compris entre 200 et 300 mm, que l’on utilisait pour servir des viandes, des légumes et des fruits (pl. VIII, IX et X). La plupart présentent des lèvres à inflexion externe, des parois convexes ou divergentes, avec une rupture marquée du profil, parfois soulignée par un ressaut. Certains présentaient également des petits orifices circulaires permettant de les accrocher aux parois des habitations. Plusieurs types de décors ont été répertoriés. La majorité porte une glaçure de couleur miel accompagnée de décors à motifs végétaux stylisés peints au brun de manganèse sur leur face interne. Quelques-uns, sur une glaçure stannifère blanchâtre de médiocre qualité, sont décorés d’une série de petits ronds peints à l’oxyde de cuivre au centre de la pièce, et deux fragments seulement sont décorés au moyen de la technique dite de cuerda seca parcial. On signalera encore parmi ces formes ouvertes la présence de quelques bols (cuencos) à pied annulaire, décorés sur leur face interne d’une glaçure de couleur miel (pl. XI), semblable à celle qui recouvre les plus grands plats. Les nombreuses coupelles (escudillas) découvertes dans le secteur I, à une ou deux anses et rebord parfois festonné, étaient également recouvertes de ce genre de décoration (pl. XII).
11Les formes fermées sont principalement constituées par des jarritas à pâte rosacée, décorées de traits parallèles peints à l’oxyde de manganèse sur les cols et les parties hautes des panses (pl. XIII et XIV). Présents dans toutes les pièces fouillées du secteur II, ces vases à corps globulaire et col cylindrique, à fond généralement plat, comprennent deux anses à section ronde. C’est également dans la catégorie des jarritas que l’on a placé sept récipients sans parallèles connus dans la région, à savoir des céramiques à deux anses verticales fortement recourbées, à panse globulaire et col cylindrique, lèvre exvasée et pied annulaire, de 100 à 120 mm de hauteur : six sont couvertes d’une glaçure de couleur miel, la plupart du temps accompagnée de traits courbes peints à l’oxyde de manganèse (pl. XV, nos 1 à 6), tandis qu’une septième présente un décor de cuerda seca parcial sous la forme de petits cercles dessinés tout autour du haut de panse (pl. XV, no 7).
12Le nombre de jarritos découverts est également important (pl. XVI). Il s’agit de pièces à fond plat ou légèrement bombé, à panse globulaire prolongée par un long col cylindrique et un goulot resserré, présentant un décor de stries incisées ou de cannelures parallèles. Quelques exemplaires, sans doute d’époque califale, présentent une série de décorations pseudo-épigraphiques peintes au brun de manganèse (pl. XVI, nos 7 à 10).
13On trouve enfin dans le groupe des formes fermées des bouteilles (redomas) de forme assez globulaire, à fond plat et goulot concave terminé parfois par un bec pincé permettant l’écoulement des liquides (pl. XVII et XVIII). Ces pièces sont la plupart du temps recouvertes d’une glaçure de couleur jaunâtre, tirant vers le vert, et de traits courbes peints au brun de manganèse qui rappellent les décors figurant sur de nombreuses jarritas (pl. XV). Plusieurs d’entre elles présentaient un petit orifice creusé dans le col (pl. XVII, nos 8 et 9). On signalera encore la présence de plusieurs tasses (tazas) à fond plat et une anse, dont l’une, de 45 mm de hauteur, aux parois convergentes et lèvres arrondies, est recouverte sur ses deux faces d’une glaçure de couleur miel et de traits de couleur verte peints à l’oxyde de cuivre (pl. XIX, no 2). C’est également dans la catégorie des formes fermées contenant des liquides qu’il convient de placer deux petites bouteilles d’une dizaine de centimètres de hauteur, à fond plat et sans anse, souvent désignées sous le nom de limetas (pl. XX) et parfois associées à des onguents ou des parfums.
14La catégorie des vases ou objets à usages domestiques multiples est essentiellement représentée ici par quelques fragments de grandes cuves ou bassines appelées alcadafes, c’est-à-dire des vases à fond plat, à parois épaisses, rectilignes et divergentes, utilisés pour préparer des légumes ou la pâte à pain, laver la vaisselle ou des vêtements de petite taille.
15Le groupe des éléments additionnels ou annexes, c’est-à-dire formé par des pièces qui ne s’emploient pas seules mais qui sont destinées à compléter un autre vase, est, à une exception près, formé par des couvercles (pl. XXI) s’appliquant à des jarritas. Il s’agit de couvercles à base plate ou concave, à rebord exvasé et bouton central de préhension. Un seul exemplaire, de taille plus réduite, s’apparente davantage à un bouchon cylindrique se terminant par un bouton de préhension (pl. XXI, no 7).
16Une dizaine de réceptacles à feu ont également été mis à jour sous la forme de lampes à huile (pl. XXII). La plupart sont des candiles de cazoleta, c’est-à-dire des lampes ouvertes, glaçurées ou non, de 30 à 32 mm de hauteur, composées d’une coupelle à fond plat ou concave, aux parois rectilignes légèrement divergentes, avec un bec pincé ou trilobé pour l’installation de la mèche. En revanche, un seul tesson de candil de pie alto a pu être observé sous la forme d’un gros fragment à une anse décoré de motifs géométriques peints au brun de manganèse (pl. XXII, no 5).
17On soulignera enfin la rareté de céramiques à usage artisanal, seulement représentées ici par des tuiles canal faiblement incurvées, faites d’argile mélangée à de la paille, et dont la longueur atteignait 335 mm et l’épaisseur 15 mm. Plusieurs présentaient des traces externes de lissage au doigt et, sur la face interne, les empreintes du tissu utilisé lors de la confection de la tuile sur la cuisse du potier afin de les retirer plus aisément.
18C’est également dans cet ensemble qu’il convient de placer plusieurs briques d’adobe, de dimensions variables (33 cm/44 cm/64 cm, 30 cm/42 cm/70 cm, 31 cm/51 cm/74 cm et 30 cm/12 cm/4 cm), découvertes dans le secteur II. Leur nombre trop peu important interdit de supposer que des parois entières étaient édifiées au moyen de ce matériau, mais on peut en revanche admettre qu’elles formaient des lits réguliers permettant de récupérer l’horizontalité des maçonneries. Enfin, dans la catégorie des éléments additionnels ou annexes, on mentionnera la présence d’un godet de noria (arcaduz), à fond plat, sans que cette découverte implique nécessairement l’usage d’une roue hydraulique dans les environs immédiats du site.
19En résumé, ce mobilier céramique des xe et xie siècles révèle donc une assez grande homogénéité, y compris du point de vue des décors. L’ensemble forme un corpus d’une vingtaine de pièces distinctes, ce qui constitue un répertoire morphologique réduit. On soulignera également la prédominance des céramiques non glaçurées (76 %), la part majoritaire de trois séries de bases (jarras, jarritas et ollas) et l’importance de la vaisselle culinaire et de conservation. En s’en tenant aux récipients à proprement dits, c’est-à-dire sans tenir compte des lampes et des couvercles, les marmites (ollas), les cruches à eau (jarras, jarros, jarritas, jarritos…), les plats et les coupes (ataifores et cuencos réunis) représentent plus des trois quarts des poteries. Il s’agit là des récipients de base pour la vie domestique dont le nombre traduit une production massive, en particulier dans le courant du xie siècle. Par ailleurs, on relèvera plusieurs absences notables, comme celle des marmites à deux tenons et fond plat, présentes dans toute l’Andalousie et le Levant, celle de foyers portatifs (anafres), et surtout celle de tout objet céramique pouvant traduire la présence de fours de potiers, tels que pernettes (atifles) ou barres cylindriques (appelées birlas en Aragon)4.
20Si le nombre de plats décorés au verde manganeso (pl. XXXIII) s’avère fort réduit (4 tessons), il n’en est pas de même pour les pièces portant une décoration dite de cuerda seca parcial (pl. XXIV), trop souvent considérées comme des productions de luxe, absentes des sites établis en milieu rural à distance des villes5. Sans doute ce procédé de décoration ne concerne-t-il ici qu’un nombre très limité de tessons (une cinquantaine au total), mais la répartition de ces fragments révèle que ces céramiques étaient présentes dans une dizaine de pièces différentes. Enfin, en l’absence d’analyse de pâtes et par suite de la rareté de sites islamiques fouillés au nord de l’Èbre, il est difficile de préciser de quels ateliers provenaient les céramiques découvertes. Les études comparatives révèlent de nombreuses similitudes avec les pièces découvertes lors de fouilles urbaines à Huesca (Diputación Provincial) et Saragosse (rue San Pablo et avenue de la Independencia), mais également avec celles mises au jour dans la région de Lérida, en particulier au Tossal de Solibernat, à Balaguer, et lors des fouilles du Portal de la Magdalena6.
Notes de bas de page
1 L’étude qui suit n’a pas intégré plus d’un millier de tessons collectés lors des prospections de surface réalisées dans les pentes du site au début de chaque nouvelle campagne de fouilles.
2 Bazzana, 1992, vol. 1, pp. 138-145.
3 Ce pourcentage est sans aucun doute faussé par le fait qu’il s’agissait de grandes pièces susceptibles de se briser en un plus grand nombre de fragments.
4 Comme nous l’avons déjà signalé (chap. III, note 4), un document du tout début du xiie siècle mentionne bien un four établi entre Marcén et Gabarda, mais rien ne permet d’affirmer qu’il s’agisse d’un four de potier : CDPI, doc. no 130 (1103).
5 Ce mobilier a fait l’objet d’une étude partielle dans Déléry, inédite.
6 Escó Sampériz, 1987a et b ; Déléry, 2006 ; Gutiérrez González, 2015 ; Giralt Balagueró, 1987 ; Rovira Port, González Pérez, Rodríguez Duque, 1983 ; Loriente Pérez, 1990.
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