Chapitre VI
Les constructions du secteur II
p. 41-56
Texte intégral
1Beaucoup plus vaste que le précédent, le secteur II était occupé par des constructions s’étageant en pente douce depuis le sommet de la plate-forme jusqu’au bord de la falaise. Comme on l’a déjà souligné, l’organisation de ce secteur fut conçue à partir d’une voie centrale qui divisait la plus grande partie du site dans le sens de la longueur en deux ensembles désignés sous les noms de « versant nord » et de « versant sud ». Perpendiculairement à cette voie se développaient plusieurs ruelles qui s’achevaient par d’étroits caniveaux taillés dans la roche pour permettre l’évacuation des eaux usées.
2Les espaces délimités par ces voies de communication formaient ainsi des îlots dont la lecture, contrariée par de multiples réaménagements, s’est avérée particulièrement complexe. Ils formaient à l’origine de vastes espaces, dont la superficie oscillait entre 90 et 200 m2, à l’intérieur desquels se développèrent des bâtiments dont certains constituaient de véritables maisons, en particulier dans la partie sommitale de la plate-forme. En revanche, les constructions qui occupaient les versants étaient plutôt employées comme lieux de stockage des denrées ou encore comme des espaces destinés à garder des animaux. On y trouvait de nombreuses citernes creusées dans le sol rocheux, en particulier dans les parties les plus basses du versant nord où elles étaient parfois maçonnées.
3Les données recueillies lors de la fouille ont permis de préciser les procédés employés pour l’édification de toutes ces constructions. Certaines résultaient de la taille du rocher et s’encastraient ainsi dans le sol sur une hauteur toujours supérieure à 0,45 m, tandis que d’autres avaient été construites au moyen de lits, plus ou moins réguliers, de petits moellons sommairement équarris. Un bloc de grès posé verticalement au centre de la maçonnerie venait conforter la solidité des murs, comme sur le site de Vascos en Castille1. La présence de restes de tapial dans l’UA 78 et de blocs d’adobe dans les niveaux d’effondrement conduit à avancer que certains murs étaient également édifiés au moyen de ces matériaux. En revanche, l’absence d’élévations conservées sur une hauteur suffisante ne permet pas de préciser si ces parois présentaient des jours ou des fenêtres.
4L’extrême rareté de tuiles demi-rondes suggère que la plupart de ces constructions étaient recouvertes par des toitures plates et les matériaux conservés dans les sols d’effondrement indiquent les procédés employés à cette occasion. On disposait d’abord des poutres de pin ou de chêne kermès sur la largeur des travées puis, perpendiculairement, des solives. Ces pièces de bois étaient reliées entre elles par des cordes en fibres végétales et le plus souvent par des clous. L’ensemble de l’armature était ensuite recouvert d’un mélange damé d’argile et de paille à la manière d’un torchis ou d’un clayonnage. La présence répétée d’une seule tuile canal dans les sols d’effondrement de plusieurs maisons suggérerait volontiers qu’elle était destinée à évacuer les eaux de pluie. Enfin, la largeur de nombreuses constructions, comprise entre 2 et 2,40 m, était sans doute conditionnée par la longueur des pièces de bois disponibles.
Les constructions du versant nord
5Parmi les onze îlots reconnus dans le secteur II et désignés par des lettres allant de A à K, plusieurs formaient des maisons pluricellulaires associant des pièces d’habitation à des constructions à usage non domestique. De manière très remarquable, toutes s’étendaient le long de la voie principale donnant ainsi à l’ensemble l’image d’un « village rue », même si toutes leurs portes ne s’ouvraient pas sur ce seul axe de circulation. Surtout, à la différence de nombreux autres sites d’al-Andalus, ces maisons ne s’organisaient pas autour d’un patio2, bien que plusieurs espaces ouverts aient été repérés sur chaque versant du site, le plus étendu étant l’UA 76 (44 m2). Contrairement à ce que les alignements du rocher laissaient d’abord supposer, l’aménagement de ces bâtiments ne suivait pas un « modèle » et les occupants des lieux disposèrent d’une entière liberté pour organiser l’espace intérieur de chacune de ces maisons, tout en s’adaptant à la topographie.
La maison A
6L’îlot le mieux conservé est sans aucun doute celui désigné par la lettre A. Cette maison à plan rectangulaire (13 m/11 m) couvrait une superficie d’environ 140 m2. Elle comprenait huit pièces prolongées à l’est par un appentis couvert d’un auvent (UA 13), parmi lesquelles quatre servaient de lieu d’habitation (UA 5, 6, 10 et 12). La première (UA 5, fig. 27), longue de 7,60 m et de 2,20 m de large, présentait le long d’une de ses parois une estrade rectangulaire en terre crue de 5 cm de hauteur, près de laquelle se trouvait un foyer dans lequel furent découverts un ataifor à décor melado, un récipient à pâte grise (puchero) et un jarrito (fig. 28). Empilés dans un angle de la pièce figuraient encore trois pesons de tisserand et 96 fragments de jarras. Cette pièce présentait une porte d’un mètre de large dont l’un des piédroits était constitué par de gros blocs de grès3.
7Cette porte donnait accès à un large vestibule (UA 6), qui s’ouvrait sur la rue principale par le biais d’une ouverture de 0,80 m de largeur. Le sol d’occupation de cette pièce comprenait 316 tessons dont plusieurs appartenaient à des céramiques provenant de l’UA 5. À l’est, s’étendait en contrebas une troisième pièce (UA 12) servant de cuisine (9,60 m/2,30 m) et dans laquelle plusieurs foyers furent mis au jour. Cette construction était occupée dans l’un de ses angles par des latrines séparées du reste de la pièce par un petit muret formant un angle droit (US 1212)4. La fouille de cette pièce permit de découvrir un fragment de meule, 36 tessons de jarrita à décor de cuerda seca parcial et un fragment d’ataifor à décor verde manganeso.
8Au nord-est de ces constructions s’étendait une dernière pièce d’habitation (UA 10), de 5,70 m de longueur sur 2,30 m de large, à laquelle on accédait, depuis une impasse, par une entrée coudée. Elle présentait en son centre un foyer creusé dans la roche en forme de cuvette et dans lequel furent découverts un puchero et quelques ossements d’animaux. Le sol d’occupation qui la recouvrait contenait 125 tessons de céramique, une chape de cuivre et plusieurs petits clous encastrés dans une solive en bois de pin.
9Au nord-ouest de ces premières pièces se développait un deuxième groupe de constructions d’un usage différent (UA 4, 7, 8 et 9). Parmi celles-ci figurait d’abord une étable (UA 4), dans laquelle furent retrouvés une auge creusée dans un bloc de grès et un fragment de fer à mulet. Pauvre en mobilier céramique (174 tessons), cette pièce était dominée par une estrade rocheuse (UA 7) délimitée par de grands blocs disposés en boutisse. Deux autres constructions étaient aménagées en contrebas de ces pièces : la plus grande (UA 8), parcourue par une longue rigole, présentait un silo à ouverture rectangulaire fermé par trois dalles, tandis que l’autre (UA 9), entièrement creusée dans la roche, servit d’abord de citerne avant d’être utilisée comme dépotoir si on en croit les 799 fragments de céramiques mis au jour dans un remblai composé de terre, de cailloutis et de galets.
La maison D
10Le long de la rue principale s’étendait un deuxième îlot désigné par la lettre D qui formait une maison couvrant près de 90 m2 (13 m/7,20 m). Celle-ci comprenait, sur un même niveau, trois pièces d’habitation (UA 40, 41, 43), une cour (UA 44) et un petit réduit faisant office de cuisine (UA 46). Les deux premières pièces (UA 40 et 41), d’égales dimensions (7,20 m/2,30 m), ainsi que la cour étaient traversées par une canalisation creusée dans la roche et recouverte de tuiles canal et de galets. L’UA 40 présentait dans sa partie basse une cavité circulaire occupée par une meule et deux foyers. L’un de ces foyers, délimité par des galets, contenait plusieurs fragments d’une petite marmite globulaire, tandis que l’autre, vide de tout mobilier, se prolongeait en direction d’un troisième foyer adossé à un mur. D’une quarantaine de centimètres de large, cet aménagement était constitué par une tegula encadrée par deux pierres posées verticalement5.
11Dans le prolongement de ces deux pièces, l’UA 44 formait une cour occupée par une fontaine édifiée en gros blocs de grès et entourée sur l’un de ses côtés par des pavés formant un bref talus. S’étendant à l’origine sur une longueur de 6,35 m, cette cour fit l’objet d’un cloisonnement au moyen d’un mur édifié en pierre en chant levé. Le réduit obtenu (UA 46) formait ainsi une petite pièce (3,20 m/1,40 m) dont le sol d’occupation, riche en charbons de bois, contenait 314 tessons de cazuelas et de marmites (ollas). La dernière pièce de cette maison (UA 43) était une salle rectangulaire (5,80 m/2,10 m) dépourvue de tout aménagement intérieur, qui correspondait avec l’UA 44 par une porte d’un mètre de large. Elle était recouverte par un épais sol d’effondrement dans lequel furent recueillis 306 tessons, un fragment de meule ainsi qu’un dirham coupé (monnaie no 6, pl. XXXIV) datant probablement du règne de l’émir Aḥmad al-Muqtadir de Saragosse (1046-1081)6.
La maison K
12Au nord-ouest de la maison A, le long de la rue principale, se développait un îlot désigné par la lettre K. Ce bâtiment couvrait une superficie d’environ 100 m2 et regroupait six pièces (UA 82, 83, 84, 86, 93 et 94).
13Le principal accès à cette maison s’effectuait à l’est, face à la maison A dont elle était séparée par une ruelle perpendiculaire à la rue principale (UA 77). On y pénétrait par un large passage de 1,90 m (UA 93), non couvert, qui donnait accès à deux pièces se faisant face. L’une (3,90 m/3,10 m) présentait une stratigraphie particulièrement complexe (UA 82). Sous l’humus végétal figurait d’abord un sol d’abandon de couleur jaunâtre d’environ 10 cm d’épaisseur (US 8207) dans lequel se trouvaient 234 tessons. Sous celui-ci s’étendait un sol de couleur sombre (US 8208) incluant plusieurs poches de terre cendreuses et riches en mobiliers divers, tels que des tessons de céramiques et des objets métalliques, dont une bague de cuivre, un bracelet et 21 fragments de clous. Trois fragments de meule y furent également mis au jour, ainsi que trois ataifores à décor melado. Les analyses des charbons de bois recueillis (échantillon no 15) ont permis de dater ce sol de la seconde moitié du xie siècle selon toute probabilité. Il reposait sur une couche de terre jaunâtre qui recouvrait toutes les structures initialement taillées dans la roche, dont un canal qui parcourait la pièce (US 8209) et une cavité carrée, de 0,57 m de côté, utilisée comme foyer (US 8212). Les charbons de bois prélevés dans la couche de terre qui comblait cette cavité (US 8213) ont fait l’objet d’analyses qui en ont fixé la datation entre la fin du xe siècle et le début du xie siècle (échantillon no 9).
14Face à cette pièce, l’UA 94 (3,15 m/2,64 m) était recouverte par un épais sol de terre compacte qui incluait des fragments de briques d’adobe. Il couvrait un sol d’occupation de couleur grisâtre de 2 à 4 cm d’épaisseur (US 9410) au sein duquel fut mis au jour un foyer non appareillé (US 9412) ainsi que 85 tessons provenant majoritairement de céramiques à pâte claire tel qu’un grand cántaro et un jarro. Le reste du mobilier était composé de tessons d’ataifores et d’un fragment de tuile canal.
15Une troisième pièce (UA 83) s’ouvrait au sud sur la grande rue. Plusieurs cavités creusées dans le sol rocheux et d’étroites rigoles longeant les murs montrent que cette construction rectangulaire (8,80 m/2,60 m) fut d’abord un lieu d’extraction de blocs de grès. Dans un deuxième temps, cette pièce fit l’objet de divers réaménagements. Ainsi, dans sa partie basse, un muret fut édifié pour former un réduit de 4 m2 (UA 86). La porte qui s’ouvrait sur la grande rue fut partiellement comblée et la partie nord de la pièce fut recouverte par un sol de comblement (US 8313). Enfin, une structure demi-circulaire de 1,90 m de diamètre fut édifiée au moyen de petits moellons le long de la paroi ouest de la pièce, sans que l’on puisse clairement définir sa fonction7.
16La dernière pièce de cette maison (UA 84), d’une longueur de 6,20 m et de 2,40 m de large, était délimitée par des murs appareillés à deux parements. Elle renfermait un épais sol d’effondrement incluant quelques blocs d’adobe et de rares fragments de céramiques. Sous celui-ci se trouvait un niveau de terre compacte de couleur jaunâtre (US 8407), qui recouvrait un sol d’occupation (US 8408) d’environ 3 cm d’épaisseur, d’où proviennent plusieurs céramiques dont une redoma, un candil, un ataifor et une jarra. Dans la moitié nord de la pièce, furent mis au jour plusieurs blocs d’adobe (US 8415) et une solive partiellement carbonisée (US 8413) datée au plus tôt du milieu du xie siècle (échantillon no 17, tableau des datations au C14). On mentionnera encore dans la partie basse de cette pièce la présence d’une grande meule brisée en deux morceaux qui reposait sur un autre sol d’occupation s’interrompant aux abords d’un silo (US 8412) fermé par trois grosses dalles de grès.
17En contrebas de ces maisons se développaient encore toute une série de constructions formant des ensembles enregistrés sous les noms d’îlots B, C et E8. Séparées des îlots du centre de la plate-forme par une impasse (UA 24) ou par une forte dénivellation du terrain, ces constructions étaient le plus souvent encastrées dans la roche, sans qu’il soit permis d’y repérer la trace de maisons d’habitation semblables à celles évoquées plus haut. En revanche, nombre d’entre elles étaient occupées par des silos, à l’exemple des UA 17, 19, 20, 22, 32, 37 et 47. Plusieurs pièces étaient destinées à un usage domestique et contenaient des foyers appareillés, à l’exemple des UA 11 (5 m/3 m), 32 (5,80 m/2,90 m) ou 47 (7,20 m/2,85 m). Le mobilier exhumé dans cette dernière pièce s’est avéré particulièrement riche puisqu’on y a découvert 1052 tessons, un fragment de verre et une cinquantaine d’ossements d’animaux9. D’autres constructions reflétaient la présence d’une activité métallurgique, à l’image des UA 45 et 52, qui ne formaient à l’origine qu’une seule pièce. Ce petit réduit rectangulaire (4,80 m/2,40 m) fermé sur deux de ses côtés par des blocs de grès massifs et fortement rubéfiés, servait probablement d’atelier de forgeron si l’on en croit l’épais niveau de cendres et de charbons de bois qui recouvrait le sol rocheux, et dans lequel plusieurs scories furent découvertes10.
18D’autres structures établies dans les parties les plus basses du site étaient employées comme lieux de stockage. Tel était le cas des UA 21, 22, 24, 25, 27, 28, où ne figuraient dans le sol rocheux que quelques cavités verticales destinées à servir d’appuis à des poutres supportant des toitures légères. Exclusivement composé de fragments de céramiques, le mobilier qui y fut découvert appartenait en grande majorité à des grandes jarras (ou jarros) décorées de traits peints au brun de manganèse. On mentionnera enfin la présence de quelques citernes édifiées près du rebord du plateau (UA 47 et 54) ainsi que plusieurs constructions taillées dans la roche qui furent transformées en dépotoirs dans la seconde moitié du xie siècle : parmi celles-ci figure l’UA 15 qui était comblée sur une hauteur de près de 1,10 m par un remblai contenant 284 tessons de céramiques et quelques ossements d’animaux.
19L’un des aménagements les plus remarquables de cette partie du secteur II était constitué par deux canalisations taillées dans la roche et recouvertes de dalles de grès et de fragments de petites meules qui parcouraient l’une les UA 40, 41 et 44, et l’autre les UA 53 et 54. Dans le second cas, cet aménagement s’inclinait en direction de la falaise en passant sous l’un des murs qui délimitait l’UA 53. Il est permis de mettre en relation ces structures avec l’UA 46 qui servait de cuisine et avec l’UA 52 interprété comme un atelier de forge.
Les constructions du versant sud
20Les constructions du versant sud différaient sensiblement des précédentes. De manière très remarquable, aucune ruelle ne parcourait ce secteur et la seule voie de circulation repérée est un long chemin parallèle à la grande rue qui semble s’être développé à mi-pente de ce versant. Les travaux réalisés ont révélé ici la présence de trois îlots (G, I et J)11.
21L’îlot G (7,90 m/12,30 m) comprenait au moins six constructions en partie réaménagées dans le courant du xie siècle. Une seule servait de lieu d’habitation, à savoir l’UA 61 où se trouvaient une banquette de six centimètres de hauteur placée face à la porte d’entrée et un foyer non appareillé (US 6109) dans lequel furent prélevés plusieurs charbons de bois postérieurs, selon toute probabilité, datant du milieu du xie siècle (échantillon no 12, tableau des datations au C14). Plus vaste, l’îlot I (13,80 m/12,90 m) avait la forme d’un grand espace ouvert bordé à l’ouest par trois petites pièces (UA 73, 74 et 75). Enfin, l’îlot J (19,80 m/19 m) s’avérait très différent des deux précédents. Il comprenait une cour (UA 76) séparée de la rue principale par un mur en grand appareil disposé en carreaux, et une dizaine d’autres unités architecturales nées de réaménagements successifs dont l’ampleur et la diversité constituent l’une des particularités de ce versant.
22Dans l’ensemble de ces îlots, des parois furent en effet démontées, des ouvertures condamnées et des citernes comblées, comme si ces bouleversements répondaient à une démarche collective menée dans le courant du xie siècle, si l’on se fonde sur les monnaies et le mobilier céramique découverts, ainsi que les résultats des analyses au C14. Ces réaménagements concernèrent également la construction de nouveaux murs à deux parements, de 0,60 m de large, dont l’un (US 6218-6412-6507) perforait même une ancienne paroi édifiée en petits moellons. Nombre de ces travaux demeurent difficilement explicables, en particulier dans le cas des UA 62, 64 et 65 : de fait, alors que l’extraction des blocs de grès avait donné naissance à des structures encastrées propices à être utilisées comme habitations celles-ci furent finalement employées comme citernes puis comme étables ainsi que l’indique la présence de plusieurs auges découvertes dans les UA 65, 69 et 80.
23Si la fouille des deux premiers îlots (G et I) fournit un mobilier céramique proche de celui observé sur le versant nord, sa composition était en revanche sensiblement différente, en particulier dans l’îlot I où les céramiques à pâte claire représentaient près de la moitié du mobilier exhumé. Il en allait de même dans l’îlot J où les 1891 tessons découverts comprenaient 42,9 % de céramiques à pâte claire. On y trouvait également des fragments à pâte grise (38,6 %), mais principalement dans l’UA 88 transformée en dépotoir12, et des tessons glaçurés appartenant à plusieurs botellitas et des ataifores à décor melado.
24L’îlot J se distinguait surtout par la présence d’une longue salle (10,80 m/2,30 m) qui longeait la rue principale et que l’on a désignée sous le nom de UA 78. Cette pièce présentait un épais niveau d’effondrement (US 7804) qui recouvrait un sol de couleur jaunâtre, très compact, contenant les restes de la toiture effondrée (US 7806) dont une solive (US 7807) datée du xe siècle (no 8, tableau des datations au C14). La moitié est de cette salle était occupée par un sol de terre meuble très sombre (US 7813) incluant plusieurs fragments de céramiques, des charbons de bois et des pierres rubéfiées qui se concentraient autour d’une structure bâtie au pied du mur sud et dont subsistaient trois pierres posées verticalement. En revanche, à l’ouest, le sol d’occupation (US 7808) s’avérait sensiblement plus compact et comprenait également des charbons de bois et plusieurs fragments d’ataifores et d’une redoma.
25De manière très remarquable, le mobilier exhumé dans cette salle se caractérisait surtout par la présence de 18 fragments de dirhams de la taifa hudide (monnaies no 8 à 25, pl. XXXV à XL). Ces monnaies furent identifiées pour les plus lisibles d’entre elles comme les premières émissions réalisées au nom d’Aḥmad II al-Musta‘īn, frappées entre 1083 et 1089 à Saragosse. Sept autres furent découvertes dans les pièces voisines (UA 80, 81, 87 et 89), ainsi qu’un sceau en plomb et un cylindre métallique qui pourrait avoir fait office de poids. Ce dernier objet présentait des légendes en caractères arabes sur l’une de ses faces mais son état de conservation ne permet pas d’en proposer une lecture. Contrastant avec la rareté des monnaies découvertes sur le reste du site, cette concentration inédite témoigne de l’importance et de l’originalité de cette pièce au cours du xie siècle. Il pourrait s’agir d’un lieu d’échanges installé à l’intersection de deux rues ou d’un espace où l’on procédait au prélèvement de l’impôt.
Zone analysée | Fe | Fe +/- | Cu | Cu +/- | Zn | Zn +/- | As | As +/- | Sn | Sn +/- | Pb | Pb +/- |
« Droit » | 0.12 | 0.02 | 86.64 | 0.22 | ND | … | ND | … | 13.03 | 0.11 | 0.21 | 0.02 |
« Revers » | 0.25 | 0.02 | 85.88 | 0.22 | ND | … | 0.05 | 0.01 | 13.54 | 0.12 | 0.27 | 0.02 |
« Corps » (1) | 1.43 | 0.04 | 83.39 | 0.23 | 0.21 | 0.02 | ND | … | 14.66 | 0.13 | 0.32 | 0.02 |
« Corps » (2) | 0.9 | 0.03 | 84.65 | 0.23 | 0.24 | 0.02 | 0.08 | 0.02 | 13.86 | 0.12 | 0.28 | 0.02 |
Le quartier artisanal
26Séparé du reste du secteur II par une rue de 2,40 m de large, se développait enfin un dernier ensemble de constructions à l’extrémité nord-ouest de la plate-forme. Il comprenait plusieurs pièces parallèles, allongées d’est en ouest jusqu’au rebord du plateau. La fouille de ces pièces ne devait fournir qu’un mobilier réduit dans la mesure où une partie des sols qui les recouvraient avait disparu à la suite de l’effondrement d’une partie du rocher qui leur servait d’assise.
27La première (UA 1) était parcourue par une large faille qui avait entraîné le basculement de sa partie occidentale. Encastrée dans la roche sur une hauteur de près de 0,70 m, elle formait une salle rectangulaire (5,80 m/4,60 m) divisée en deux par un mur de 0,47 m d’épaisseur. La moitié est de cette construction, à laquelle on accédait par une porte d’un mètre de large s’ouvrant sur une autre ruelle, ne recélait qu’un mobilier réduit, constitué par 99 fragments appartenant à de grandes jarras décorées de traits peints au brun de manganèse, et à quelques ollas à pâte grise. Plus pauvre encore en mobilier céramique (10 tessons), la partie occidentale de la pièce se caractérisait en revanche par la présence de deux silos dont l’un était fermé par trois dalles de grès. Vides de tout contenu, ces deux aménagements étaient associés à une cavité de forme carrée, de 0,60 m de côté et de 8 cm de hauteur, entourée de cinq cavités obliques creusées dans la roche.
28Séparée de cette première pièce par une paroi rocheuse, s’étendait une deuxième construction (UA 2), plus étroite (7 m/3,40 m), qui était parcourue par une longue rigole creusée dans la roche. Pauvre en mobilier céramique (108 tessons), cette pièce ne se singularisait que par la présence d’un grand silo, également fermé par plusieurs grosses dalles de grès.
29En direction du nord-ouest se développait enfin une troisième pièce (UA 3), étagée sur deux niveaux séparés par une estrade rocheuse de 0,47 m de hauteur. De forme rectangulaire et beaucoup plus large que les deux précédentes (8,80 m/4,40 m), cette construction présentait des structures taillées dans la roche, dont un silo et surtout deux bassins placés l’un au-dessus de l’autre qui communiquaient entre eux par un petit orifice circulaire. Il s’agissait vraisemblablement là d’aménagements associés à une activité textile et cette hypothèse semble confortée par la présence de deux pesons de tisserand. Le mobilier contenu dans le sol d’occupation qui recouvrait la salle était particulièrement pauvre (75 tessons) et ne différait guère de celui mis au jour dans les deux autres pièces. On soulignera que la large porte (1,20 m) qui mettait en relation cette pièce avec la rue avait été condamnée au moyen de petits moellons mal équarris, semblables à ceux observés dans les îlots I et J.
30Au terme de cette description, on constatera d’abord que les bâtisseurs cherchèrent à utiliser tout l’espace disponible pour inscrire leurs constructions. L’organisation du secteur II et l’ampleur des moyens mis en œuvre suggèrent que l’on employa un maître d’œuvre (mu‘allim), et il est permis d’avancer que la notion d’« urbanisme rural » s’applique parfaitement au site. Par ailleurs, si les sources écrites ne fournissent aucune indication sur le nombre d’habitants ayant occupé cet établissement, la mise au jour de près d’une centaine de constructions et l’abondance du mobilier céramique plaident pour une population sans doute largement supérieure à une centaine d’habitants au cours des xe et xie siècles. La découverte de sépultures associées à des céramiques islamiques sur une parcelle appelée El Vedado, à près de 250 m au sud-ouest du site, lors de travaux d’aménagement du canal du Flumen conduirait volontiers à considérer que les habitants de Las Sillas venaient inhumer ici leurs défunts. Les restes de squelettes mis au jour en cette occasion étaient recouverts d’une grosse dalle de grès et plusieurs avaient la tête orientée vers l’est. Une intervention menée dans le courant de l’année 2018 par le personnel de la Confederación Hidrográfica del Ebro (CHE) a permis de conforter ces premières données, sans que l’on puisse en dire davantage sur les modes d’ensevelissement en l’absence de toute intervention archéologique.
Notes de bas de page
1 Izquierdo Benito, 1999.
2 Bazzana, 1992 ; Orihuela, 2007. Cette absence de patio dans des maisons occupées au cours des xe et xie siècles, même s’il ne s’agit pas là d’un cas isolé en al-Andalus, n’en demeure pas moins une source d’interrogations. Faut-il admettre que les modèles urbains ne se seraient pas encore répandus à cette date en milieu rural, à plus forte raison dans ces espaces périphériques de la Péninsule ? Faut-il supposer que les contraintes du relief compliquaient l’établissement de telles structures ou doit-on simplement admettre que ces maisons n’étaient pas conçues à l’origine comme des lieux d’habitation ? La question, à plusieurs reprises évoquée avec Sonia Gutiérrez, reste ouverte.
3 À mi-hauteur, l’un de ces blocs présentait une cavité circulaire de 12 cm de diamètre destinée à recevoir une pièce de bois pour verrouiller la porte.
4 Ces latrines, étrangement placées à l’extrémité d’une cuisine, formaient un petit réduit d’un mètre de large. Elles étaient parcourues par plusieurs petites rigoles qui convergeaient vers une cavité centrale de forme circulaire. Voir à ce sujet : Cressier, Gilotte, Rousset, 2016 et Reklaityte, 2016.
5 Le mobilier découvert dans les sols d’occupation de ces deux salles s’est avéré très réduit puisqu’il se limitait à 102 fragments de céramique pour l’UA 40 et 122 pour l’UA 41.
6 Ce sol contenait aussi un fragment de monnaie aux légendes illisibles qui pourrait être un fals (monnaie no 5).
7 On signalera encore au centre de cette pièce la présence d’une tuile demi-ronde reposant sur un mince niveau d’occupation (US 8310) dans lequel fut mis au jour un fragment de cazuela.
8 À proximité de la mosquée se développait encore un îlot désigné par lettre F dont une partie seulement a été fouillée. Il présentait plusieurs constructions dont deux pièces rectangulaires (UA 49 et 50) dans l’une desquelles une obole frappée au nom de Jacques II d’Aragon fut découverte (monnaie no 43), une citerne maçonnée (UA 54) et un réduit (UA 48) renfermant un silo.
9 Ces ossements appartenaient à un cheval (4 fragments), à des petits ruminants (36 fragments), à des poules (5 fragments), à un lapin de garenne (1 fragment) et à un oiseau (1 fragment).
10 Le sol d’occupation de ce réduit comprenait encore 398 tessons de céramique appartenant majoritairement à des grandes jarras, à des ataifores à décor melado et à deux petites jarritas de forme globulaire à deux anses.
11 Un îlot mitoyen de l’îlot G et désigné par la lettre H a été reconnu et en partie délimité sans avoir fait l’objet d’une fouille.
12 Cette UA 88 contenait à elle seule 322 fragments de céramiques à pâte grise sur un total de 458 tessons.
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Un habitat rural d’al-Andalus (xe-xie siècles)
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