Chapitre IV
La fouille, la stratigraphie et les critères de datation
p. 25-32
Texte intégral
1Une fois sélectionné parmi tous les établissements musulmans de la région, le site de Las Sillas fit d’abord l’objet d’une série de prospections et de ramassages de surface destinés à déterminer l’extension exacte sur laquelle allaient s’engager les travaux et à collecter un maximum d’informations sur le mobilier. Un premier plan directeur visant à placer les limites de l’habitat et les structures apparentes fut ensuite dressé à l’échelle 1/1 000e, puis on installa un carroyage divisé en carrés de cinq mètres de côté.
La méthode de fouille
2Au fil de l’avancée des travaux, ce procédé fut progressivement abandonné pour des raisons de commodité, tout comme le déplacement des fouilleurs et l’évacuation des déblais. Surtout, dès qu’apparaissaient des structures bâties appartenant à une même unité architecturale (UA), qu’il s’agisse d’une pièce ou d’une voie de circulation, ce mode d’enregistrement cher à Mortimer Wheeler ne convenait plus : les bermes destinées à la circulation recouvraient fréquemment les parois des habitations, entravant ainsi l’étude du lieu et interdisant tout dessin ou cliché1. Selon le principe d’une fouille en extension autrefois proposée par Edward C. Harris, on a donc fait disparaître un grand nombre de bermes en numérotant les unités stratigraphiques de manière suivie au sein de chaque UA, de 0 à 99. Si cette méthode facilitait la lecture du site, elle entraîna néanmoins un réel problème de circulation au sein de l’espace fouillé et c’est volontairement que l’on a laissé en place plusieurs carreaux à titre de témoins pour faciliter les déplacements et le transport des déblais vers l’extérieur de la plate-forme2. Un tel procédé présentait également l’avantage de maintenir de façon permanente des coupes stratigraphiques servant de références visuelles. Surtout, dans des régions où se pose continuellement le problème de la protection des sites, la progression par carrés constituait un moyen de conserver intacts, entre deux campagnes de fouilles, l’intégralité des vestiges non encore dégagés. Sans doute une fouille menée sans interruption et sur une longue période aurait-elle justifié l’usage d’une méthode différente, mais le laps de temps séparant chaque campagne imposait de s’adapter à ces conditions particulières.
3L’enregistrement des données et le marquage des objets découverts découlent directement de cette démarche. Par souci de simplification, on a choisi de limiter le nombre de références figurant sur chaque objet exhumé en l’identifiant par l’année de sa découverte, le lieu ou l’UA où il fut découvert suivi de l’unité stratigraphique (US) et de son numéro d’apparition, ces chiffres étant précédés par les lettres HUM, conformément aux règles longtemps employées au musée de Huesca : HU se rapportant à la province et M au término municipal du site (Marcén). Le numéro d’inventaire HUM 04/2308/34 figurant sur un tesson signifie donc qu’il fut découvert au cours d’une campagne effectuée en 2004, dans l’UA 23 et l’US 08, et qu’il fut le 34e mis au jour lors de la fouille3. Enfin, ce numéro d’inventaire sera parfois associé à un autre élément attribué par le musée de Huesca dans le cadre de son propre inventaire en cours, sous l’appellation de NIG (número de inventario general).
4Après plusieurs ramassages de surface répétés chaque année afin de comparer le mobilier découvert en prospection avec celui provenant des fouilles, les travaux débutèrent par des décapages successifs de petites couches de terre d’une dizaine de centimètres d’épaisseur. Cette opération fut poursuivie jusqu’au moment où les parois des constructions commencèrent à apparaître. Au fur et à mesure de l’avancée des travaux, la disposition des structures mises au jour permit d’observer de quelle manière l’habitat avait été conçu et édifié. Les bâtisseurs divisèrent d’abord la plate-forme dans sa plus grande longueur en deux parties sommairement égales à partir d’un axe orienté nord-ouest/sud-est matérialisé par une large rue, puis ils entamèrent la taille du rocher de part et d’autre de cet axe par estrades successives jusqu’au rebord de la falaise. La taille de la roche s’opéra également de manière perpendiculaire à cet axe central, donnant ainsi naissance à des pièces prenant la forme de « cases encoche » ou de « fonds de cabanes » creusés dans le sol rocheux.
5Ce procédé révèle que, loin de répondre à une démarche empirique, la construction de l’habitat fut menée en un même temps et par un même groupe d’hommes, à partir d’un plan d’ensemble soigneusement élaboré visant à occuper toute la surface disponible, en profitant même des moindres accidents du terrain pour édifier des constructions. La totalité de la plate-forme servit ainsi de carrière et la technique employée s’avérait ingénieuse puisque la taille du rocher permettait de réaliser deux opérations en une seule : elle permettait aux bâtisseurs de s’encastrer dans le sol en délimitant les parois des pièces tout en se procurant des matériaux destinés à être employés dans la construction, qu’il s’agisse de gros blocs de grès ou de moellons.
6À l’exception de plusieurs fragments de tiges métalliques et d’un possible burin, aucun outil pouvant être mis en relation avec ces travaux de taille n’a été retrouvé. Les traces de coups laissées sur les parois des constructions ou sur des blocs de grès extraits du sol révèlent toutefois que la taille s’opérait souvent à 45o, sans doute pour éviter que la roche ne se délite. Les vestiges de travaux de taille du rocher observés sur plusieurs établissements musulmans voisins, comme à Alberuela de Tubo et à La Iglesieta, montrent que les bâtisseurs privilégièrent des surfaces planes afin d’économiser leurs efforts et qu’ils y tracèrent des lignes perpendiculaires à la manière d’un quadrillage. Ces encoches rectilignes étaient ensuite avivées au pic ou au ciseau, puis des coins de bois étaient introduits dans les fissures sans doute remplies d’eau afin de favoriser l’éclatement de la roche par dilatation. Les blocs ainsi obtenus étaient transportés vers leur lieu de destination et posés à même le sol, le plus souvent sans la moindre tranchée de fondation. La hauteur des estrades conservées, toujours proche de 46 à 47 cm, n’est sans doute pas le fait du hasard et mérite d’être mise en relation avec une coudée employée en al-Andalus à l’époque omeyyade, c’est-à-dire la coudée de deux empans (47 cm) correspondant aux deux tiers de celle connue sous le nom de al-raššaš.
7Les travaux réalisés ont surtout permis de mettre en évidence deux secteurs bien différenciés au sein de cet établissement : d’une part, à l’est, un espace d’environ 1 000 m2 (secteur I), caractérisé par la présence d’un grand bâtiment interprété comme une mosquée, et, d’autre part, à l’ouest, un ensemble de constructions à vocation résidentielle et artisanale (secteur II). La totalité du premier secteur a été fouillée ainsi que plus de la moitié du second lorsque les travaux de terrain se sont achevés à la fin de l’été 2015. Les travaux ont également concerné le dégagement du fossé qui séparait le site du plateau de Mogache et celui de la canalisation qui reliait l’établissement à la source4.
Les données stratigraphiques
8À quelques exceptions près, la stratigraphie observée au cours des travaux s’est avérée généralement semblable quel que soit l’espace considéré. Au-delà de quelques variantes, elle comprenait cinq sols bien individualisés :
- Un premier sol, de 8 à 12 cm d’épaisseur, était constitué par l’humus végétal et était composé d’une terre meuble, souvent poussiéreuse, incluant des broussailles, des racines et des cailloutis.
- Le deuxième niveau, désigné sous le nom de sol d’abandon ou d’effondrement, oscillait entre 30 et 98 cm d’épaisseur selon les constructions. Il s’agissait d’une couche de terre compacte, parfois très dure, de couleur jaunâtre, incluant des moellons, des blocs de grès effondrés et des fragments de céramiques. Dans plusieurs cas, ce niveau d’effondrement comprenait également dans sa partie inférieure des blocs d’adobe, de très rares fragments de tuiles demi-rondes, ainsi que des restes de solives.
- Le sol d’occupation, de couleur grisâtre, moins fréquemment repéré sur le versant sud, était formé par une terre compacte comprenant de nombreux tessons de céramiques, des petits charbons de bois et, plus rarement, des fragments d’objets métalliques ou de verre. Son épaisseur oscillait entre 4 et 12 cm.
- Il recouvrait un niveau de comblement de couleur claire volontairement déposé par les bâtisseurs du site lors de sa construction, et dans laquelle figuraient quelques fines particules d’argile rouge. De 6 à 12 cm d’épaisseur, stérile et particulièrement dur, ce sol était destiné à combler les aspérités de la roche pour rendre la circulation plus aisée dans chacune des pièces.
- Il reposait sur le rocher nivelé, dans lequel on discernait souvent des cavités circulaires destinées à recevoir des poutres servant à soutenir des toitures ou, lorsqu’elles étaient inclinées, les claies employées pour l’extraction des blocs de grès5. Le sol rocheux présentait encore par endroits des restes des foyers laissés par les bâtisseurs sous la forme de petites cuvettes taillées dans la roche et dans lesquelles figuraient régulièrement, associés à quelques ossements d’animaux et des charbons de bois, des fragments de petits vases globulaires à pâte fine (pucheros et ollitas), avec ou sans anse, d’une dizaine de centimètres de hauteur, qu’il convient de considérer comme les plus anciennes céramiques découvertes sur le site.
9De manière très remarquable, cette séquence stratigraphique excluait tout niveau d’incendie. De fait, les travaux réalisés n’ont pas permis de mettre en évidence une phase de destruction violente des lieux au cours de la reconquête aragonaise ou après la désertion du site par ses habitants. Il semble plutôt que l’état de ruines dans lequel se trouvaient les lieux à la veille des travaux résulte d’une destruction progressive due à des agents naturels. Le seul espace ayant peut-être subi un incendie concerne une pièce située à l’extrémité orientale du secteur II, à savoir l’UA 49, dans laquelle une épaisse couche de cendres recouvrait un silo incendié dans les toutes dernières années du xie siècle ou au tout début du siècle suivant, si l’on en croit les datations au C14 réalisées à partir de plusieurs charbons de bois de chêne. Il n’est pas non plus exclu que la paroi orientale de la salle de prière édifiée dans le secteur I ait fait l’objet d’une dégradation volontaire au regard de la manière dont les éléments qui y étaient sculptés furent retrouvés sur le sol.
Les critères de datation
10Comme on l’a souligné précédemment, les sources écrites ne fournissent guère d’informations concernant l’établissement, à ceci près que l’acte de l’année 1102 évoquant la donation du lieu par le roi Pierre Ier d’Aragon peut être considéré comme un terminus ante quem de la présence de populations musulmanes en ce lieu. En l’absence de toute pièce de bois permettant d’envisager une étude dendrochronologique, trois critères de datation ont ainsi été privilégiés : le C14, le mobilier céramique et les monnaies.
11Le premier critère de datation utilisé fut la détermination par C14 réalisée sur une vingtaine d’échantillons tels que fragments de mortier, restes de solives ou fragments de bois calcinés provenant de foyers (voir le tableau des datations au C14, p. 000). Pour s’assurer de la validité des résultats obtenus, on a successivement eu recours à plusieurs centres de recherche tels que le laboratoire de l’université de Gröningen (Centre for Isotope Research), le centre Archeolabs et le laboratoire polonais de l’université de Poznan (Poznan Radiocarbon Laboratory)6.
12Les résultats de deux premiers échantillons prélevés sur des fragments de solives couvrant l’accès au secteur I (no 3 et no 4, tableau des datations au C14, p. 000) ont permis de fixer la fondation des lieux entre le dernier quart du viiie siècle et le troisième quart du xe siècle7, avec des probabilités maximales entre la fin du ixe siècle et le deuxième quart du xe siècle8. En tenant compte des risques que représente la datation d’un bâtiment à partir d’échantillons en bois (effet « oldwood »), il faut donc considérer que la mosquée fut érigée entre ces deux dates et, en considérant les autres critères de datation, on a retenu comme date de construction de la mosquée le milieu du xe siècle9, c’est-à-dire à l’époque du calife ‘Abd al-Raḥmān III al-Nāṣir (929-961) et de la domination des Banū Tuǧib dans la Marche Supérieure d’al-Andalus, même si Huesca et ses environs semblent être encore soumis au pouvoir du lignage muwallad des Banū al‑Ṭawīl à cette période.
13Pour leur part, les échantillons provenant du secteur II ont fourni des datations comprises entre la seconde moitié du ixe siècle et le début du xiiie siècle. Selon la plus grande probabilité, les échantillons les plus anciens (no 7 et no 8, tableau des datations au C14, p. 000), dateraient du xe siècle, tandis que la datation des autres couvre l’ensemble des xie et xiie siècles10. De manière très remarquable, des échantillons prélevés dans des foyers creusés dans la roche ont été datés de la première moitié du xie siècle selon la plus grande probabilité, tandis que des charbons de bois provenant de foyers qui les recouvraient se sont révélés contemporains de la seconde moitié du xie siècle selon toute vraisemblance11.
Tableau des datations au C14
No | Provenance | Âge | Sigma 1 (68,2 %) | Sigma 2 (95,4 %) | Matériel |
1 | Secteur I (Mosquée) | 2975±45 BP | 1262-1124 BC (68,2 %) | 1381-1343 BC (4,4 %) 1306-1046 BC (91 %) | Mortier |
2 | Secteur I (Mosquée) | 1885±35 BP | 68-140 AD (59,8 %) 158-166 AD (3 %) 196-208 AD (5,5 %) | 55-226 AD (95,4 %) | Mortier |
3 | Secteur I (Entrée de la mosquée) | 1155±35 BP | 778-791 AD (7,9 %) 804-818 AD (6,1 %) 822-842 AD (9,3 %) 861-901 AD (25 %) 920-953 AD (20 %) | 774-970 AD (95,4 %) | Solive |
4 | Secteur I (Entrée mosquée) | 1185±45 BP | 772-891 AD (68,2 %) | 710-745 AD (6,8 %) 764-971 AD (88,6 %) | Bois sec |
5 | Secteur I (Mosquée) | 860±30 BP | 1159-1218 AD (68,2 %) | 1049-1084 AD (9,9 %) 1124-1136 AD (2,0 %) 1150-1256 AD (83,5 %) | Tapial |
6 | Secteur II – US 4006 (Sol d’effondrement) | 1300±45 BP | 665-718 AD (46,5 %) 742-766 AD (21,7 %) | 646-778 AD (90,9 %) 791-805 AD (1,4 %) 812-826 AD (1,1 %) 840-862 AD (2,0 %) | Solive |
7 | Secteur II – US 4805 (Sol d’occupation) | 1105±50 BP | 898-992 AD (68,2 %) | 776-792 AD (3,3 %) 802-846 AD (7,2 %) 856-1020 AD (85,0 %) | Charbon de bois |
8 | Secteur II – US 7806 (sol d’effondrement) | 1090±30 BP | 898-921 AD (24,2 %) 945-990 AD (44,0 %) | 892-1014 AD (95,4 %) | Solive |
9 | Secteur II – US 8213 (Foyer) | 995±30 BP | 994-1043 AD (57,8 %) 1104-1118 AD (10,4 %) | 986-1052 AD (63,8 %) 1080-1152 AD (31,6 %) | Charbon de bois |
10 | Secteur II – US 6121 (Foyer) | 985±35 BP | 1014-1048 AD (34,6 %) 1087-1123 AD (26,3 %) 1138-1149 AD (7,3 %) | 990-1059 AD (48,0 %) 1065-1154 AD (47,4 %) | Charbon de bois |
11 | Secteur II – US 4606 (Foyer) | 955±40 BP | 1025-1051 AD (19,8 %) 1082-1151 AD (48,4 %) | 998-1002 AD (0,4 %) 1012-1168 AD (95,0 %) | Charbon de bois |
12 | Secteur II – US 6109 (Foyer) | 930±30 BP | 1040-1058 AD (12,6 %) 1064-1108 AD (28,5 %) 1116-1154 AD (27,2 %) | 1025-1165 AD (95,4 %) | Charbon de bois |
13 | Secteur II – US 6914 (Sol d’occupation) | 910±25 BP | 1046-1094 AD (40,5 %) 1120-1140 AD (15,5 %) 1147-1162 AD (12,1 %) | 1035-1186 AD (95,4 %) | Charbon de bois |
14 | Secteur II – US 1003 (Sol d’effondrement) | 910±50 BP | 1040-1110 AD (39,5 %) 1115-1167 AD (28,7 %) | 1024-1218 AD (95,4 %) | Bois sec |
15 | Secteur II – US 8208 (Sol d’occupation) | 910±30 BP | 1045-1095 AD (39,7 %) 1120-1142 AD (16,1 %) 1147-1163 AD (12,4 %) | 1033-1190 AD (94,0 %) 1198-1204 AD (1,4 %) | Charbon de bois |
16 | Secteur II – US 7606 (Foyer) | 900±30 BP | 1046-1092 AD (33,0 %) 1120-1140 AD (11,8 %) 1147-1185 AD (23,5 %) | 1039-1210 AD (95,4 %) | Charbon de bois |
17 | Secteur II – US 8413 (Sol d’effondrement) | 885±30 BP | 1052-1081 AD (20,6 %) 1152-1210 AD (47,6 %) | 1040-1108 AD (31,6 %) 1116-1220 AD (63,8 %) | Bois sec (solive) |
18 | Secteur II – US 8107 (Sol d’effondrement) | 520±30 BP | 1404-1434 AD (68,2 %) | 1324-1345 AD (10,5 %) 1392-1443 AD (84,9 %) | Charbon de bois |
14Les résultats de ces analyses semblent donc indiquer que les premiers aménagements du secteur II se produisirent au cours du xe siècle et qu’ils sont contemporains de la fondation de la mosquée. Ils témoignent également de la continuité de l’occupation du site tout au long du xie siècle. Enfin, le recours aux analyses par C14 permet de dater l’abandon des lieux entre la toute fin du xie siècle et le début du xiie siècle12, conformément aux données des sources écrites, et ce n’est qu’à la fin du xiiie siècle qu’une partie du secteur I fit l’objet d’une brève réoccupation.
15Par ailleurs, même si l’on manque encore de données chronologiques précises en matière de productions céramiques dans la vallée de l’Èbre, en particulier pour le haut Moyen Âge et la présence musulmane, l’étude du mobilier céramique et les comparaisons menées avec celui observé sur d’autres sites régionaux ont révélé de parfaites similitudes avec les pièces des xe et xie siècles découvertes dans les environs de Huesca, de Lérida et de Saragosse, tant en milieu urbain qu’en zone rurale, et c’est sans aucune hésitation que l’on peut placer l’ensemble du mobilier recueilli dans une période allant du milieu du xe siècle à la fin du xie siècle. On précisera que le mobilier provenant de Las Sillas est tout à fait semblable à celui des autres établissements fouillés dans la vallée du Flumen et que ces lieux furent occupés de manière concomitante, depuis le temps du califat omeyyade jusqu’au moment de la reconquête aragonaise.
16Lorsque l’épaisseur des sols d’occupation le permettait, on a pu établir une chronologie relative et distinguer des évolutions au sein de ce mobilier. Comme on l’a précisé plus haut, parmi les pièces du milieu du xe siècle figurent principalement des marmites mais aussi des petits récipients globulaires à pâte grise, avec ou sans anse (ollitas et pucheros), qui rappellent, par leurs dimensions, leurs formes et leurs décors, des pièces de la fin du ixe siècle découvertes sur plusieurs sites d’époque émirale comme ceux de la Cora de Tudmīr13. On ajoutera que les fragments de céramique à décor verde manganeso, peu nombreux, étaient inclus dans des sols contenant aussi des tessons à décor de cuerda seca parcial. Enfin, les grands plats (ataifores) à décor melado peuvent être considérés comme des productions très répandues tout au long du xie siècle, tout comme les petites jarres (jarritas) à deux anses, décorées au brun de manganèse.
17Cette chronologie peut être confirmée par le troisième critère de datation que constitue le mobilier monétaire que l’on détaillera plus loin (chap. IX). Outre de rares monnaies antiques, dont la circulation et l’utilisation pouvaient se poursuivre jusqu’à des périodes très postérieures à leurs dates d’émission, et de plusieurs monnaies chrétiennes des xiiie et xive siècles, découvertes principalement dans le secteur I, le corpus numismatique se compose surtout de plusieurs fragments de dirhams datés du règne de l’émir de Saragosse Aḥmad II b. Yūsuf al-Musta‘īn (1085-1110) et vraisemblablement frappés peu après son avènement. Associées à quelques monnaies islamiques antérieures, ces découvertes confirment la thèse d’une continuité dans la fréquentation des lieux jusqu’à l’extrême fin du xie siècle.
18En résumé, le croisement des textes et des données fournies par la fouille conduit donc à avancer que le site de Las Sillas fut vraisemblablement fondé vers le milieu du xe siècle et qu’il continua d’être occupé sans interruption tout au long de l’époque taifale jusqu’au tournant des xie-xiie siècles, au moment où fut assiégé le ḥiṣn voisin de Piracés (1102) et avant que le souverain Pierre Ier d’Aragon ne partage entre ses guerriers et les grands établissements religieux les terres situées au sud de Huesca. La durée d’occupation des lieux couvre ainsi une période de près d’un siècle et demi, ce qui explique l’abondance du mobilier collecté. On précisera qu’à la différence d’autres sites de la vallée de l’Èbre, comme Los Zafranales, près de Fraga, ou le Tossal de Solibernat (Torres de Segre), le mobilier ignore les productions d’époque almoravide, même si de réelles similitudes avec des céramiques découvertes sur ces deux sites montrent bien que le début du xiie siècle ne marqua pas de rupture brutale, en particulier dans le domaine des pièces dites « communes » (jarras, jarros, ollas…), les bouleversements politiques n’affectant guère ce type de productions.
Notes de bas de page
1 Wheeler, 1954. À titre d’exemple, le bâtiment A découvert dans le secteur I et interprété comme la salle de prière de la mosquée s’inscrivait dans huit carrés différents : 4, 5, 14, 15, 16, 24, 25, 34 et 35.
2 Harris, 1979.
3 Suite à la disparition de nombreuses fiches d’enregistrement au musée de Huesca sur lesquelles figuraient les US, nous avons pris le parti d’uniformiser et de simplifier les références figurant sur les planches VII et VIII. Par ailleurs, le mobilier provenant du secteur I fut enregistré de manière distincte, en fonction de l’année au cours de laquelle il fut découvert : à titre d’exemple, le numéro d’inventaire HUM 1999/I/12 se rapporte au douzième objet découvert en 1999 dans le secteur I.
4 Le dégagement du fossé, réalisé pendant notre absence par les ouvriers de la Comarca de los Monegros, a malencontreusement recouvert une petite tour appareillée qui occupait l’angle sud-est de la plate-forme.
5 Contrairement à ce que l’on avait d’abord supposé en constatant que certains silos du secteur II avaient été recouverts par ce sol de comblement et que plusieurs maçonneries intégraient des éléments de réemploi, il ne semble pas que le site ait fait l’objet d’une occupation antérieure. Sans doute l’organisation générale du secteur II, conçue à partir d’un cardo et d’un decumanus, laissa-t-elle longtemps émettre l’hypothèse d’un établissement antique, mais une telle hypothèse est contredite par la séquence stratigraphique mise en évidence et par l’absence de tout vestige antérieur à la phase d’occupation islamique : en dehors de quelques haches polies et de meules réemployées, les seuls éléments relatifs à une fréquentation plus ancienne des lieux se limitent à une douzaine de fragments de céramiques sigillées et à trois monnaies ibériques (nos 1, 2 et 3 pl. XXXIII).
6 Le calibrage des datations a été réalisé avec le programme OxCal 4.3.
7 Le texte joint par le laboratoire aux résultats d’analyse de l’échantillon no 4 conseille de retrancher au minimum trente années à la date calibrée pour obtenir celle de la coupe de l’arbre, ce qui donnerait une date voisine de 1155 BP, très proche de celle fournie par l’échantillon no 3, tableau des datations au C14, p. 000.
8 Afin de compléter ces premiers éléments de datation, de nouveaux échantillons, provenant du mortier des murs de la mosquée, furent analysés (no 1 et no 2, tableau des datations au C14, p. 000). Les résultats obtenus ne se sont pas révélés satisfaisants dans la mesure où le mortier contenait des restes organiques de périodes antérieures à l’époque romaine. Enfin, le dernier échantillon prélevé dans cette partie du site (no 5, tableau des datations au C14, p. 000) concernait un fragment de tapial dont la datation a été fixée entre le xiie et le xiiie siècle, vestige probable de la réoccupation partielle des lieux.
9 Les analyses au C14 ne permettent pas d’écarter la possibilité d’une fondation du site dès la fin du ixe siècle, mais en l’absence de tout indice complémentaire, tant dans les textes que dans le registre matériel, il a semblé plus prudent d’écarter cette hypothèse.
10 Quirós Castillo, 2009. Cet article souligne les limites de l’usage des datations au C14 pour la période des xie-xiie siècles. De manière plus générale, voir également Vigil-Escalera Guirado, 2009.
11 Ces analyses furent réalisées sur des charbons de bois provenant des foyers 6121 (no 10) et 6109 (no 12) de « l’îlot » G, ainsi que des foyers 8213 (no 9) et 8208 (no 15) de « l’îlot » K.
12 Une exception est toutefois à prendre en considération dans « l’îlot » J puisque des charbons provenant d’une structure négative de forme ovoïde furent datés du xve siècle (no 18, tableau des datations au C14, p. 000). L’US dans laquelle l’échantillon fut recueilli perforait les niveaux d’époque islamique. La datation aux viie et viiie siècles de plusieurs charbons de bois provenant de l’UA 40 (no 6, tableau des datations au C14, p. 000) reste problématique. Tout au plus peut-on supposer qu’ils proviennent de pièces de bois réemployées.
13 Gutiérrez Lloret, 1996, pp. 81 et 179.
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Un habitat rural d’al-Andalus (xe-xie siècles)
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