Seigneurie et féodalité en Bordelais d’après les Vieilles Coutumes de La Réole
p. 111-125
Texte intégral
1Ce n’est pas en Bordelais que l’on résoudra le problème des origines de la féodalité : la documentation sur le sujet est inexistante jusqu’à la fin du XIe siècle. A cette époque par contre (ou peu après), elle nous offre, avec les Vieilles Coutumes de La Réole un document assez exceptionnel1. Il s’agit d’un « coutumier seigneurial2 », c’est-à-dire de l’inventaire exhaustif des pouvoirs, droits et revenus d’un seigneur, en l’occurrence ici l’abbé de La Réole. De tels documents sont très rares, du moins dans les pays du Midi : en Catalogne, par exemple, on n’en conserve qu’un seul, celui de Sanaüja, pour l’ensemble des XIe et XIIe siècles3. Ils ne doivent pas, en effet, être confondus avec les censiers, bien plus nombreux mais bien moins riches, qui se bornent à donner un état des seules redevances foncières. Les seuls textes auxquels on pourrait les comparer sont les chartes de franchise, encore que la différence soit énorme. Ces dernières, en effet, tendent à établir un nouveau droit, favorable aux communautés d’habitants et résultant de l’abolition, partielle ou (rarement) totale, des charges seigneuriales antérieures : le régime seigneurial ne peut donc y être lu qu’en négatif et fort imparfaitement. Au contraire, dans des actes comme ceux de Sanaüja ou de La Réole, il se dévoile à l’état brut, puisque ce sont les seigneurs eux-mêmes qui ont dressé (ou fait dresser) la liste de toutes les taxes et de tous les services qui leur étaient dus.
I. - LE TEXTE
2Les Vieilles Coutumes, composées de soixante-neuf articles (dans la numérotation des éditeurs modernes), se présentent comme le troisième d’un ensemble de trois documents, formant une suite apparemment logique et globalement datés de 977. L’interpolation est manifeste et il y a longtemps qu’elle a été décelée4 : le problème est d’en établir les circonstances et la date.
3Le premier des trois actes est la charte de donation du monastère à l’abbaye de Fleury-sur-Loire. Celle-ci, qui a été étudiée par Charles Higounet5, est elle-même en partie authentique, en partie interpolée. Authentique est la donation stricto sensu : en 977, l’évêque Gombaud et son frère Guillem Sanche, duc de Gascogne, remettent à Fleury leur monastère appelé Squirs, construit sur les bords de la Garonne ; la donation a pour but de placer ce lieu sous la règle (Ipsa Regula, La Réole) de saint Benoît6. Frauduleux est le long récit qui l’accompagne, selon lequel l’abbaye, « de fondation antique », aurait déjà été anciennement la propriété de Fleury avant d’être détruite par les Normands ; le nom de Squirs est peut-être lui-même une invention. Cette première interpolation a pu être datée de 1081.
4Le deuxième texte est la prétendue donation par l’évêque Gombaud d’une vingtaine d’églises paroissiales. Il s’agit en fait d’une liste d’églises parvenues au monastère par des voies diverses et à des dates bien entendu postérieures. Le faux a pour but d’en légitimer globalement la possession.
5Troisième document : nos Coutumes. Le duc Sanche est censé déclarer (toujours en 977 !) qu’aussitôt entré en possession de l’abbaye, l’abbé Richard de Fleury a construit une ville à La Réole et a promulgué des coutumes à observer perpétuellement sous peine d’anathème. Suit immédiatement l’énoncé de celles-ci. Il est en fait peu vraisemblable que le texte en ait été rédigé par un quelconque abbé de Fleury : il a manifestement été dicté par un prieur de La Réole, mais, pour plus de solennité, placé sous l’autorité de Fleury et antidaté.
6Le plus difficile est de déterminer la date réelle de rédaction, celle-ci ne pouvant être déduite, par approximation, que d’une analyse du contenu des Coutumes. Certains éléments plaident en faveur d’une datation tardive (fin XIIe, voire début XIIIe siècle7 ?) Il en est ainsi du développement urbain dont témoigne le texte. La ville semble peuplée, active, divers métiers sont mentionnés : pelissiers, savetiers, bouchers. Elle est d’autre part entourée d’une enceinte : de ce premier rempart, on ne connaît pas la date de construction, mais les érudits locaux la situent, avec vraisemblance, au XIIe siècle. Enfin, les habitants sont qualifiés de burgenses, mot qu’on est tenté de traduire par « bourgeois ». Mais ces arguments ne sont pas absolument probants ; en effet, le terme de burgenses, par exemple, désigne ici strictement les habitants du bourg monastique : or celui-ci est attesté dès le XIe siècle8 ; quant au mot même de burgensis ; il était déjà utilisé dans le Poitou voisin dès 10169. D’autre part, l’essor économique de la ville a pu être très précoce : La Réole était admirablement située, au carrefour de la route (tant fluviale que terrestre) de la vallée de la Garonne et d’une très ancienne voie nord-sud, attestée dès l’époque celtique et joignant le Poitou à l’Espagne10 ; tout concourait donc au développement des échanges commerciaux.
7D’autres éléments des Coutumes interdisent par ailleurs une datation trop basse. Il est en tout cas exclu de descendre bien au-delà du milieu du XIIe siècle. Le prieur de La Réole apparaît comme le seul seigneur de la ville et de son district, il possède en particulier la totalité de la justice. Or ce n’est plus le cas sous le gouvernement des Plantagenêt : les rois-ducs installent à La Réole un prévôt doté de larges pouvoirs militaires et judiciaires. D’autre part, il construisent un château (celui des Quat Sos), érigé sous Henri II ou, au plus tard, sous Richard Cœur de Lion : or cette forteresse n’apparaît nullement dans les Coutumes. D’une manière générale, l’absence de toute référence aux rois-ducs incite à placer la rédaction du texte soit avant, soit très peu après l’avènement des Plantagenêt (1152). Cette datation haute s’accorderait de plus assez bien avec le contexte social dont témoigne le document, celui d’une population urbaine entièrement soumise au ban seigneurial et ne jouissant d’aucune liberté. La situation décrite fait penser à celle des villes de l’Espagne du Nord-Ouest (Sahagún, Burgos, Carrión, Palencia, etc.) à l’époque de leurs révoltes des années 1110-1120. Le parallèle avec Sahagún, ville du chemin de Saint-Jacques née pareillement d’un bourg monastique, soumise elle aussi à une seigneurie abbatiale très dure, et qui se soulève en 1110-1112 pour réclamer (et obtenir) l’abolition des banalités, est en tout cas frappant11.
8Il est enfin un « noyau dur » dans le texte des Vieilles Coutumes. Il s’agit des articles 42 à 56 — sans doute les plus importants pour notre propos —, où le prieur énumère ses vassaux, cite les fiefs qu’ils tiennent de lui et rappelle les services qu’ils doivent. Plusieurs des noms cités — Amanieu de Loubens, Arnaud Bernard de Taurignac, Guillaume Garsie et Donat Garsie du Bernés — figurent dans des actes du Cartulaire de La Réole datant des années 1081-108712. On peut sans crainte faire remonter la rédaction de ce passage à l’époque de la première interpolation, celle de 1081.
9Au total, les Vieilles Coutumes se présentent comme un texte composite. Sur une vieille charte (interpolée) de 977 s’est greffée une longue et minutieuse description du régime seigneurial en vigueur à la fin du XIe et dans la première moitié du XIIe siècle. Certains des éléments de celle-ci ont été formulés dès la décennie 1080-1090, d’autres se sont vraisemblablement ajoutés (en particulier, ceux qui se rapportent aux taxes sur la circulation des marchandises) à mesure que la seigneurie s’adaptait au développement économique. Mais il est difficile de reporter le terminus ad quem de la rédaction au-delà de la décennie 1150-1160.
10Tel qu’il se présente, ce texte est en tout cas d’un intérêt majeur. Certes, il peut paraître fort confus, entremêlant de façon désordonnée des clauses disparates. Mais il a le mérite rare de nous donner le tableau quasi complet d’une seigneurie, et ceci sous ses deux aspects : seigneurie foncière et seigneurie banale ; il montre aussi clairement comment le régime des fiefs s’articulait à l’exploitation de celle-ci. Autrement dit, il apporte de sérieux éléments de réponse à nos interrogations sur les rapports entre seigneurie et féodalité.
II. - LA SEIGNEURIE FONCIÈRE
11Géographiquement, les domaines du prieuré se composent de deux ensembles, très nettement distingués. Le premier comprend la totalité du terroir de La Réole, à savoir les champs, vignes et jardins situés à proximité immédiate de la ville, dont certains sont exploités en faire-valoir direct par le prieuré, mais dont la plupart sont concédés en tenures aux burgenses. Au-delà, les biens épars de la seigneurie sont répartis en baylies : les bayles (balivi) sont chargés de surveiller les vilains (villani) qui les cultivent et de lever les redevances.
12Il y a une réserve, tout entière située dans le terroir suburbain. Elle n’est pas décrite, mais son mode d’exploitation est incidemment évoqué. Il repose d’une part sur un système de corvées, d’autre part sur l’emploi de serviteurs à temps plein (prébendiers et peut-être salariés).
13Des corvées sont exigées à deux moments de l’année (art. 7) : au printemps et à l’époque des vendanges. Dans le premier cas, il s’agit de travaux de sarclage (ad segetes purgandas) : chaque maison de La Réole doit fournir deux hommes ou femmes. Pendant combien de temps ? On ne sait : sans doute à la volonté du prieur. Pour les vendanges, un homme par maison. Le mode d’imposition de ces corvées incite à s’interroger sur leur origine. Plutôt que des corvées domaniales classiques, on est tenté de voir en elles des contraintes banales : elles pèsent en effet indistinctement sur tous les habitants de la ville et ne sont liées à aucune tenure. Il reste qu’elles consistent surtout en travaux d’appoint, l’essentiel de l’exploitation du domaine étant assuré par des servientes.
14Le nombre de ceux-ci n’apparaît pas, mais leur type de rémunération est indiqué (art. 7 et 22). Il se borne à la fourniture d’une provende, qui consiste en un pain spécialement cuit à leur usage, le panis servientalis. Ils en reçoivent le matin une tourte (torta), assortie d’une certaine quantité de vin, le soir une livre. En temps de Carême, une seule collation, le matin, et la ration est réduite à une livre. Il se peut que ces prébendiers soient aidés dans leur travail par des salariés : l’article relatif au péage du bac sur la Garonne (art. 31) évoque en effet des « mercenaires » qui traversent régulièrement le fleuve et paient pour leur passage une obole tous les quinze jours.
15La plus grande partie du terroir est néanmoins allotie en tenures. L’acte de fondation du prieuré (art. 1) les qualifie de manses13, mais ce sont en fait des censives. L’exigence du cens est impérative : il est interdit, sous peine d’anathème, à tout prieur ou prévôt (les deux termes sont ici synonymes) de concéder maisons, terres ou vignes sine censu (art. 5). Ce cens, dont la composition n’est pas détaillée, semble associer des oublies, des redevances coutumières et des champarts. Les premières, de montant inconnu, constituent vraisemblablement le loyer des habitations. Les secondes consistent en la livraison de produits frais pour la cuisine du prieuré : une hotte de fèves et une autre d’un autre type de légumes entre Noël et le début du Carême, une hotte de poireaux pendant le Carême (art. 36). Les champarts, qui représentent bien entendu l’essentiel des prestations, sont du quart de la récolte et portent tant sur le blé que sur le vin.
16Cette redevance du quart qui, pour être lourde, n’en est pas moins assez habituelle dans le Midi, est levée ici selon des modalités très particulières. Ainsi pour le vin :
[...] Au temps des vendanges, le prieur poste, à chaque porte de la ville, des émissaires [nuncios] chargés de contrôler que ceux qui tiennent des vignes versent bien la quarte et la dîme du vin, comme il est écrit dans leurs chartes, et qu’ils portent bien à cet effet la vendange au pressoir du prieur, sans aucune aide de celui-ci (art. 35).
17Ce procédé s’explique aisément : les habitants de La Réole, dans leur majorité cultivateurs et viticulteurs, ont leurs vignes hors les murs et leurs celliers à l’intérieur de l’enceinte ; donc, un contrôle aux portes suffit pour vérifier les quantités récoltées et, par voie de conséquence, fixer le montant du prélèvement. Le même système semble s’appliquer au versement du champart sur les blés, encore que l’article de référence (art. 15) soit de rédaction plus confuse. Il est clair qu’on se trouve ici dans une logique d’interférence entre seigneurie banale et seigneurie foncière. C’est parce qu’il dispose d’un pouvoir discrétionnaire sur les hommes que le prieur peut aussi aisément percevoir les redevances pesant sur les terres.
18Pour les tenures plus éloignées — celles qui relèvent des baylies —, le pouvoir de contrainte du prieur joue pareillement, bien que de façon différente. Les bayles sont pécuniairement responsables de la levée du cens (stipulé en froment, en avoine et en deniers). À eux de forcer (compitiere) leurs « sujets » (subditos suos) à s’acquitter de leur dû avant la Saint-Martin. S’ils se montrent trop faibles et n’obtiennent pas la totalité du produit de la redevance, ce sont eux qui paieront (art. 37).
III. - LA SEIGNEURIE BANALE
19L’exploitation du pouvoir banal dont dispose le prieur se manifeste donc déjà indirectement dans la levée des redevances foncières. Mais elle affecte bien d’autres domaines d’activité. En fait, c’est l’énumération des charges banales qui occupe l’essentiel du texte des Vieilles Coutumes.
a) Les banalités
20« Tous les moulins sont en la main du prieur » (art. 9). L’exercice de ce monopole, assurément très rentable, semble fort mal ressenti par les habitants du bourg qui à l’occasion le battent en brèche. Il est certain que des oppositions se manifestent puisque le prieur est obligé de prendre sous sa protection ceux des burgenses qui portent leur grain à moudre au moulin banal : il interdit à leurs compatriotes de les « inquiéter », tant à l’aller qu’au retour, sous peine d’amende. Comment peut s’organiser une telle résistance à la banalité ? Elle repose très certainement sur l’utilisation de petits moulins domestiques, de ces moulins à bras qu’à la même époque (ou un peu plus tard) un abbé anglais qualifie d’« odieux instruments » puisqu’ils frustrent le seigneur d’une part de ses gains. La Réole a peut-être connu une « guerre des moulins » au même titre que Sahagún en mo ou, en Angleterre, Embsay en 1120, Chester en 1151 et Saint Albans tout au long du XIIIe siècle14. On peut même se demander si ce ne sont pas ces premières contestations « bourgeoises » qui ont poussé le prieur à réaffirmer ses droits en faisant rédiger les Coutumes.
21La banalité des moulins n’est pas la seule. S’y ajoutent celle du pressoir, on l’a déjà vu (art. 35) ainsi que le banvin : pendant un mois, chaque année, le prieur a le monopole de la vente du vin (art. 11) ; il en est de même de la vente du sel (même article).
b) Les droits sur les héritages
Si un habitant de la ville, qu’il y soit né ou qu’il soit nouvellement arrivé, meurt sans héritier légitime, tous ses biens, s’il n’est pas marié, reviennent au prieur ; s’il est marié, la moitié (art. 45).
22Il ne s’agit pas là, à proprement parler, de mainmorte, mais on n’en est pas loin. Le prélèvement opéré aux dépens des veuves doit laisser plus d’une d’entre elles dans la gêne.
c) La justice et ses profits
23C’est à la justice, concentrée tout entière entre les mains du prieur (art. 8), que sont consacrées les clauses les plus nombreuses des Vieilles Coutumes. Elle apparaît comme un instrument de pression redoutablement efficace et comme une source considérable de revenus.
♦ LA PROCÉDURE
24Le prieur a seul l’initiative des procès. Privilège exorbitant : il peut juger alors même qu’il n’y a pas plainte. Il a le souverain pouvoir de décider des « litiges, discordes et causes » qui seront portés devant son tribunal et qui, par conséquent, donneront lieu à versement d’amendes. Lorsqu’il convoque ses justiciables devant lui, ils doivent se présenter sur-le-champ : le seul délai qui leur est accordé est d’achever de se laver la tête ou les mains s’ils ont commencé leur toilette. Si jamais ils attendent plus de six heures pour comparaître, ils sont sans discussion déclarés coupables. De plus, il est exigé de tout habitant de la ville de se présenter au tribunal avec des garants (art. 35).
25Seul le prieur (ou le clavaire, par délégation) a le pouvoir de procéder à des arrestations. Il est interdit à tout habitant d’arrêter qui que ce soit s’il agit dans son propre intérêt (autrement dit, les captures contre rançon sont prohibées) ; par contre, si c’est dans l’intérêt du prieur, il est obligatoire, sous peine d’amende, de procéder à la capture (art. 61). Par ailleurs, se dérober à la justice du prieur est considéré comme le crime le plus grave : quiconque, « brûlé des flammes d’un orgueil insensé », fuit la ville plutôt que de se soumettre au tribunal seigneurial se trouve condamné à un exil perpétuel et à la confiscation de tous ses biens (art. 66).
26Enfin, le jugement lui-même est à l’entière discrétion du prieur, qui juge lui-même ou qui désigne les juges de sa convenance (per iudices quos voluerit), (art. 44).
♦ LES PROFITS DE JUSTICE
27Toutes les sanctions sont de nature pécuniaire, les amendes étant à verser sans délai soit par le condamné lui-même, soit par ses garants. Elles sont de deux types : l’amende de six sous, commuable (pour les condamnés insolvables) en l’ablation d’une oreille, et l’amende de soixante-six sous, commuable en l’amputation d’un membre.
28L’amende de six sous, qui représente à peu près le prix de quatre porcs15, punit les infractions relevant de la basse justice. Toutes ne sont pas répertoriées, bien loin de là, ce qui laisse une large marge d’appréciation au prieur. Sont signalées : les menaces à main armée non suivies d’effet (art. 60), les fraudes sur les poids et mesures (art. 63), les larcins dans les jardins et les vergers (art. 64), le viol des femmes non vierges (art. 69).
29L’amende de soixante-six sous, qui dérive tout droit de l’ancien ban royal, punit en premier lieu — et cela est fort significatif — les infractions au banvin et au ban du sel (art. 11). Elle s’applique aussi dans le cas de blessures occasionnées par arme — épée, lance, javeline — ou instrument tranchant — couteau, hache, faux (art. 60). Elle sanctionne de plus toute participation à une guerre privée16 sans l’assentiment du prieur (art. 65). Enfin elle est infligée aux violeurs qui ont défloré une vierge d’une condition supérieure à la leur : dans le cas inverse, le coupable est tenu d’épouser sa victime ou de lui trouver un mari (art. 68).
30La confiscation totale des biens peut être prononcée dans deux cas : homicide (art. 60) et fuite d’un accusé hors de la ville (art. 66).
d) Les taxes de nature économique
31On ne rencontre aucune mention de quête ou de taille. Cela peut sembler surprenant, mais s’explique assez bien par l’étendue des moyens que possède par ailleurs le prieur pour taxer ses sujets.
♦ LES ALBERGUES
32Le droit de gîte, qui apparaît à la fois sous l’appellation savante de procuratio et sous la forme vernaculaire d’alberc, est abondamment attesté. Il est à noter tout d’abord que le prieuré doit lui-même l’albergue au duc d’Aquitaine lorsqu’il arrive à celui-ci de passer à La Réole : en cette occasion, le prieur héberge le duc et sa famille, cependant que les habitants de la ville sont tenus de loger ses milites et ses servientes. Cette obligation peut être rachetée par le versement de deux cents sous de Bordeaux ou par le don d’un cheval de cette valeur (art. 4). Le comte (de Bordeaux ?) perçoit lui aussi une albergue, plus régulière semble-t-il, dont le montant n’est pas indiqué (art. 38).
33Le prieuré, pour sa part, fait retomber sur les habitants le poids de l’albergue due au comte : le jour où celle-ci est levée, le clavaire peut prélever (manulevare) des porcs et prendre (capere) des poules dans toutes les maisons de la ville (art. 38). Les vilains des baylies sont, quant à eux, taxés d’une albergue annuelle au profit du prieur : celle-ci, qui prend la forme d’une redevance en nature (de montant non précisé), est levée parles bayles (art. 40).
♦ LES TAXES SUR LA PRODUCTION
34La production agricole ne fait pas l’objet de prélèvements en sus des redevances foncières. Sauf pour les vilains des baylies qui doivent, la veille de Noël, une poule, deux bottes de paille et — ce qui est plus rare et plus lourd à supporter — une tranche de bœuf (traceam boum, art. 39). La pêche, activité florissante sur un fleuve proche de son estuaire, est plus strictement imposée : les pêcheurs doivent livrer solennellement au prieuré le premier esturgeon et le premier saumon pris au cours de la saison ; par la suite, il doivent le dixième de tous les poissons (art. 22). L’artisanat n’est pas oublié : les pelissiers livrent chacun trois pelisses par an, les savetiers une paire de leurs meilleurs souliers (art. 12).
♦ LES TAXES SUR LES ÉCHANGES
35En ce carrefour de grandes voies de communication, elles sont nombreuses et variées. Elles prennent la forme de péages et de tonlieux.
36Le bac qui assure le transit entre les deux rives est sous la seigneurie du prieur. Le passeur collecte pour lui un droit sur le passage des personnes et des marchandises. Deux types de produits font l’objet d’une mention particulière car ce sont vraisemblablement ceux dont la taxation rapporte le plus : d’une part, la laine et le lin (prélèvement d’une poignée par ballot), d’autre part, le verre (taxe d’une « lampe » par paquet de vitrea vasa). Le luminaire du dortoir et de la chambre du prieur est de la sorte régulièrement et gratuitement renouvelé parle passeur (art. 31). D’autres péages portent sur les marchandises qui transitent par voie terrestre ou voie fluviale : quatre deniers pour un cheval d’Espagne, quatre pour le cuir d’un animal entier (bœuf, brebis ou chèvre), quatre par charge d’étain ou de tout autre métal. Les juifs en transit (on peut penser que ce sont eux les marchands au long cours) paient de plus chacun quatre deniers (art. 57).
37Les tonlieux portent sur le marché du samedi, les transactions étant interdites les autres jours, sauf pour le poisson. Deux types d’impositions sont à distinguer : en numéraire et en nature. Les premières concernent uniquement les ventes d’animaux (porcs, chèvres, vaches, bœufs) ou de viande animale (quartiers ou morceaux de porc, sanglier, brebis et vache), ainsi que le poisson (esturgeons, saumons, lamproies). Ces taxes, qui affectent principalement des productions locales, sont modérées : entre une obole et quatre deniers par animal ou poisson vendu (art. 16 à 21). Pour les porcs, il est possible de calculer le taux, carie texte donne à la fois le prix de la bête et le montant de la taxe : il varie entre 2,5 et 5 % (art. 24). Les prélèvements en nature affectent par contre les denrées qui sont apportées au marché par des étrangers. Ces ponctions sont arbitraires : elles sont laissées à l’appréciation du clavaire, qui est chargé de les effectuer17. Malgré tout, quelques indications (en l’occurrence fort précieuses pour l’histoire des techniques) sont apportées en ce qui concerne les ventes d’outils de fer qui ont lieu une fois l’an ; le clavaire prélève, par marchand et par catégorie d’objets, un exemplaire des instruments suivants : socs, coutres, fossoirs, sarclettes, ciseaux, rasoirs (art. 27). Même chose pour les objets en verre : un vase et une coupe par marchand. Pour le sel (vendu hors de la période de ban), une poignée (art. 28).
38Au total, cette seigneurie de La Réole apparaît comme une institution extrêmement lucrative, parfaitement adaptée à son objet : le prélèvement des surplus de l’essor économique. Un système très élaboré de ponctions, vraisemblablement mis en place dans le courant du XIe siècle et maintenu au fil des décennies avec la plus grande rigueur, s’applique maintenant à une économie dynamisée par le renouveau de la production et des échanges. La seigneurie considérée comme une bonne affaire...
IV. - VASSALITÉ ET FIEF : L’INSERTION DE LA SEIGNEURIE DANS LA SOCIÉTÉ FÉODALE
39Dans son gouvernement, le prieur jouit d’une indépendance à peu près totale. Sa seule obligation envers son supérieur, l’abbé de Fleury-sur-Loire, tient en l’envoi d’une charge d’esturgeons chaque année (art. 43). Quant à l’albergue qu’il doit au duc d’Aquitaine, elle n’est qu’occasionnelle. Par contre, le prieur a de nombreux vassaux.
a) Qui sont les vassaux ?
40Tous désignés comme « feudataires » (feodetarii) du prieuré, ils occupent des rangs très divers dans la hiérarchie féodale. Trois termes sont utilisés pour qualifier leur fonction ou leur position sociale : domini, milites et homines.
41Les domini sont des barons, dont certains fort puissants, voisins de La Réole (voir la carte ci-contre), à savoir les seigneurs de Gironde, de Taurignac, de Bareilles, de Castelmoron, de Loubens, de Landerron et Sainte-Bazeille, de Bourdelles, du Bernés (art. 48 à 55). Un seul, Amanieu de Loubens, tient son château (mota sua) en fief du prieur (art. 48). Tous les autres possèdent leurs propres forteresses : dans la plupart des cas, des châteaux sur motte dominant la vallée de la Garonne en amont et en aval de La Réole18. On peut voir en eux soit des châtelains alleutiers, soit des vassaux du duc d’Aquitaine. S’ils tiennent des fiefs du prieur de La Réole, c’est à titre complémentaire.
42Milites et hommes sont toujours cités collectivement. Les premiers apparaissent au château des Bordes (art. 42), les seconds à Lavison (art. 46), Taurignac, Saint-Michel et Garzac (art. 54). Si le premier terme ne pose pas ici problème (il s’agit de cavaliers vassaux), celui d’hommes peut prêtera diverses interprétations : désigne-t-il aussi des guerriers de garnison ou se réfère-t-il aux habitants d’un village castrai ? Le premier sens semble devoir l’emporter : à Lavison, les hommes sont nommément désignés, or ils ne sont que quatre.
b) Nature des fiefs
43Onze fiefs sont mentionnés. Fous, à une exception près (la motte de Loubens) sont composés de droits et de revenus. Le plus important, tenu par le seigneur de Gironde, consiste dans la justice du marché de La Réole : c’est ce baron qui juge des infractions qui y sont commises et qui perçoit les amendes afférentes ; il dispose de huit jours pour le faire, faute de quoi c’est le prieur qui les encaisse (art. 13). Le profit ne doit pas en être mince, puisqu’une partie de ces droits est sous-inféodée au seigneur de Loubens (art. 48). D’autres revenus du marché (de nature non précisée) sont dévolus au seigneur de Landerron (art. 52). Quant à Arnaud Bernard de Taurignac, il tient à fief un droit assez mystérieux (la devalata)19 sur le « péage de mer » de Gironde (art. 49). Les autres revenus concédés ne sont pas précisés : on a tout lieu de penser qu’ils se réfèrent soit à d’autres droits sur le marché, soit à des cens pesant sur des maisons de La Réole et les tenures qui en dépendent (art. 51, 53 et 54). Certains d’entre eux, « à l’intérieur et à l’extérieur de la ville », sont sous-inféodés (art. 48).
c) Obligations des vassaux
44C’est d’abord l’hommage. Le mot (homimum) est employé à quatre reprises et il est plusieurs fois sous-entendu20. L’hommage, comme toujours dans le Midi, suit l’investiture, il découle de la concession du fief. Il est dû pro feudo : Amanieu de Loubens doit faire hommage au prieur « pour sa motte et pour son fief de La Réole et pour la justice du marché et pour ceux qui tiennent [des fiefs] de lui à l’intérieur et à l’extérieur de la ville21 ».
45De l’hommage dérivent d’abord toute une série de services que l’on peut qualifier d’honorifiques et qui tendent tous à célébrer la gloire du prieur et à rehausser son train de vie, ainsi que celui de ses moines. C’est dans cette perspective que doit être entendue l’albergue vassalique, bien différente de celle que doivent les sujets ordinaires. Bonet de Bourdelles, par exemple, doit organiser chaque année, en son logis de Bordeaux, une réception en l’honneur du prieur et de sa suite : non seulement il doit les loger et les nourrir, mais aussi leur procurer soit des chevaux, soit des bateliers pour le voyage (art. 41). Le jour des Rameaux, le sire de Bareilles fournit vingt-quatre pains, douze lamproies et une charge du meilleur vin (art. 50). Une semaine plus tard, le dimanche de Pâques, c’est Amanieu de Loubens qui est redevable d’une « albergue solennelle » à tous les moines (art. 49). Tous les vassaux sont ainsi astreints une fois l’an à ce type de prestations somptuaires.
46Les services de transport et d’escorte procèdent du même esprit. Les hommes de Lavison sont chargés de pourvoir aux voyages sur mer (sur la Gironde ?) du prieur : debent portare priorem per mare (art. 46). Les milites des Bordes, quant à eux, ont à prêter un cheval lorsque, chaque année, le prieuré expédie son cens d’esturgeons à Fleury-sur-Loire : un cheval rapide assurément, dont on nous dit qu’il risque de mourir, épuisé par sa course (art. 43).
47Mais le service d’ost n’est pas absent des prestations vassaliques. Contrairement à ce qu’on a parfois dit du fief méridional, celui-ci est bien le support, comme ailleurs, d’activités guerrières :
S’il advient que le prieur ait une guerre privée, les homines de Taurignac, de Saint-Michel et de Garzac lui doivent aide en raison des fiefs qu’ils tiennent de lui dans la ville22.
48Cette obligation ne concerne pas que les milites de rang inférieur : les sires de Gironde, de Taurignac et du Bernés doivent aussi l’aide militaire en cas de proprium bellum du prieur. Qu’est-ce donc que cette « guerre privée » ? Le prieur lui-même nous l’apprend lorsqu’il interdit à ses sujets de participer à toute guerre de ce type lorsqu’elle n’est pas engagée par lui-même : c’est « aller en expédition », « entrer dans un château pour le défendre » ou « se porter contre lui pour l’enlever23 ». Mieux, il nous donne l’une des raisons majeures qu’il peut avoir de se lancer (et d’entraîner ses vassaux) dans une telle guerre : pro exheredatione terre (art. 55). Le but n’est autre que de déposséder un sujet récalcitrant ou un vassal infidèle.
49Tout manquement à ces obligations entraîne la commise du fief. Celle-ci ne sanctionne pas seulement le vassal félon, mais aussi celui qui a simplement commis, à l’encontre du prieur, une faute dans son service. La procédure est alors celle du jugement du vassal négligent par le tribunal seigneurial, tribunal où siègent, en vertu de leur service de plaid, les feudataires majeurs du prieur24. En cas de refus de comparaître, la confiscation est ipso facto prononcée, d’où le déclenchement d’une guerre privée pour reprendre le fief25.
V. - CONCLUSION
50On pourrait tirer de multiples enseignements d’un document aussi riche que ces Vieilles Coutumes. Sur le renouveau du commerce au long cours, par exemple, de ses modalités et des objets d’échange (du verre à l’étain, en passant par les chevaux de race). Sur l’essor de l’économie rurale, fondée surtout ici sur la vigne et le jardinage et favorisée par la parfaite symbiose d’une ville et de sa campagne. D’un tout autre point de vue, on pourrait souligner le conservatisme outrancier d’une seigneurie monastique accrochée à ses privilèges. Mais le thème de notre colloque m’invite à conclure sur le fief.
51Celui-ci n’a pas très bonne presse aujourd’hui chez les historiens du féodalisme, qui parfois, semble-t-il, feraient aisément abstraction de sa présence. Dans les pages lumineuses qu’il a consacrées à la « Révolution féodale », Georges Duby lui-même va jusqu’à écrire : « Le fief n’a rien à voir ici26. » C’est qu’il n’a presque jamais été étudié que dans une perspective strictement institutionnelle, qu’il nous apparaît donc plus comme un concept que comme une réalité sociale et que ce concept est lui-même associé à une vision étriquée et en grande partie obsolète de la féodalité.
52Or le fief est partout. Nous le rencontrons ici triomphant dans une région imperturbablement citée, de livre en livre, pour son attachement à l’alleu27. N’est-ce pas parce qu’il est indissolublement lié à la seigneurie et qu’aucun régime « seigneurial » n’est véritablement viable s’il n’est aussi, peu ou prou, « féodal » ? Comment une seigneurie comme celle de La Réole aurait-elle pu prospérer dans un environnement hostile ? Un simple coup d’œil sur la carte de répartition des feudataires (p. 124) montre que chacun de ceux-ci, contrôlant depuis sa motte un segment de rivage, aurait pu, si sa neutralité n’avait pas été dûment rétribuée, nuire gravement au trafic fluvial et donc aux intérêts du prieuré. La première fonction du fief est bien de rémunérer une non-belligérance. Depuis Fulbert de Chartres, chacun le sait (mais on a peut-être tendance à l’oublier un peu), tout vassal est en premier lieu récompensé pour sa fidélité « négative ». Et pour l’obtenir, bien des seigneurs — comme ici le prieur — ne lésinent pas sur les inféodations.
53Mais nos Vieilles Coutumes nous incitent aussi à réfléchir sur la composition du fief et à nous défaire de cette idée, aussi fausse qu’inlassablement répétée, qui veut que le fief soit d’abord une terre. Dans le Midi particulièrement, il se présente avant tout comme une combinaison de pouvoirs, de droits et de revenus (ou, plus exactement, de parts de pouvoirs, de droits et de revenus). Il n’est que secondairement un bien foncier : c’est d’ailleurs pourquoi il n’apparaît qu’épisodiquement dans les chartes, qui se limitent le plus souvent à remémorer donations et transactions foncières. Mais que se présentent des actes moins routiniers — comme ici, un coutumier seigneurial, ou, comme en Catalogne, des convenientiae —, et le fief surgit au premier plan.
54De sa composition on peut induire son origine. Bien entendu, elle est publique28. On sait bien que le fief est né du fisc, qu’il est assis au départ sur les ressources de celui-ci. Mais dès le moment où il se privatise — en Catalogne, c’est chose faite dès le milieu du XIe siècle —, il devient un instrument remarquablement fonctionnel de délégation et de répartition de droits et de revenus de toute nature. Il est l’outil par excellence de la redistribution des profits tirés de l’exercice du ban seigneurial. Des profits qui ne cessent de croître, tant en raison de l’efficacité de la pression exercée sur les sujets de la seigneurie que de l’augmentation générale du volume de la production et des échanges. Concernant ces derniers, l’exemple de La Réole montre à merveille tout ce que le seigneur et ses vassaux, voire ses arrière-vassaux, peuvent attendre de leur taxation.
55Mais les prélèvements effectués sur la production agricole se prêtent aussi, par le biais du fief, à toutes sortes de répartitions : fiefs composés de fractions de questes, de dîmes, de champarts, etc. On peut même se demander si certaines — et peut-être beaucoup — des redevances nouvelles qu’on voit fleurir au XIe siècle (et dont témoignent à leur façon les Vieilles Coutumes) n’ont pas été créées dans le seul but d’être inféodées. Revenons-en, pour en juger, à l’exemple du quartum, cette redevance du quart des récoltes que le prieur de La Réole lève, un peu étrangement, à la manière d’une banalité. Est-ce un cas isolé ? Sans doute pas. Les actes du Rouergue, par exemple, abondent de l’expression fevum sive quartum29. Qu’entendre par là, sinon que le fief est assimilé ordinairement, dans cette région, à un prélèvement du quart des fruits ? Le quartum n’est pas dans ce cas un champart ordinaire, il est plus vraisemblable de voir en lui une imposition nouvelle, d’origine banale, affectée à la rémunération des vassaux et qui vient s’ajouter aux redevances coutumières traditionnellement levées par le seigneur éminent.
56D’une manière générale, il est clair que l’expansion économique permet, par le biais des ponctions seigneuriales et par la redistribution de leur produit, d’entretenir des clientèles de plus en plus nombreuses — armées ou non — qui viennent s’interposer entre les maîtres du sol et du pouvoir, d’une part, et les producteurs, d’autre part. Le développement exponentiel de ces clientèles constitue — avec leur organisation en réseaux — l’essence même de la société féodale. Faut-il encore rechercher les origines de la féodalité ? Elle est fille de la croissance30.
Notes de bas de page
1 Ce texte se trouvait dans le Cartulaire de La Réole, cartulaire disparu lors de la Révolution, mais dont on conserve une copie de 1728, due à l’érudit dom Maupel. Il a été publié par un érudit local, Octave Gauban, d’abord sous la forme d’une traduction française (Archives historiques de la Gironde, t. II, 1840), puis dans le texte latin (ibidem, t. V, 1843). Cette publication, très défectueuse, a fait par la suite l’objet d’une critique sévère d’Imbart de la Tour, « Les coutumes de La Réole », Annales de la faculté des lettres de Bordeaux, 1893. On se référera ici à l’édition la plus récente qui offre toutes garanties, celle de Marc Malherbe, Les institutions municipales de la ville de La Réole, des origines à la Résolution française, thèse de droit, Université de Bordeaux 1,1977, pp. 715-731 (par contre, on se méfiera de la traduction donnée en regard, qui n’est en fait que la reproduction de celle d’Octave Gauban). Les actes du Cartulaire ont été étudiés par Jean-Bernard Marquette, « La formation du temporel du prieuré de La Réole au Moyen Âge », dans Actes du colloque sur le Millénaire de la fondation du prieuré de La Réole (La Réole, 1978), Bordeaux, 1980 (cité Colloque sur le Millénaire). Les Vieilles Coutumes ont fait l’objet d’un commentaire (dans une perspective purement institutionnelle) dans la thèse de Marc Malherbe déjà citée ; elles sont aussi évoquées dans celle de Sylvie Faravel, Occupation du sol et peuplement de l’Entre-Deux-Mers bazadais, de la préhistoire à 1550, t II, université de Bordeaux III, 7 fasc. dactylographiés, pp. 294-297.
2 Son nom traditionnel de Vieilles Coutumes s’explique par l’existence de coutumes postérieures, concédées par le roi-duc Henri III en 1237. Cette appellation peut prêter à confusion dans la mesure où leur contenu correspond plutôt à ce que nous avons tendance à dénommer (ou à ce que les contemporains appelaient déjà au XIe siècle) les « nouvelles coutumes » (ou « mauvaises coutumes »), à savoir les usages banaux.
3 II s’agit du répertoire des droits et revenus de l’évêque d’Urgell dans la châtellenie de Sanaüja, établi par l’évêque Guillem Guifred dans les années 1050-1070, cf. C. Baraut (éd.), « Els documents del segle XI de l’Arxiu Capitular de la Seu d’Urgell », Urgellia, VII, 1984-1985, pp. 29-31. J’ai longuement commenté ce texte dans ma thèse, La Catalogne du milieu du Xe à la fin du XIe siècle (2 vol.), t. II, Toulouse, 1975-1976, pp. 575 sq.
4 Dès 1893, par Imbart de la Tour, art. cit.
5 Ch. Higounet, « À propos de la fondation du prieuré de La Réole », dans Colloque sur le Millénaire, pp. 7-11.
6 Cette donation ne fut pas sans conséquences dramatiques. En 1004, l’abbé Abbon de Fleury vint à La Réole dans le but de faire appliquer effectivement la règle. Une violente bagarre éclata entre les moines et les hommes de son escorte : l’abbé Abbon fut tué lors de la rixe (Aimoin, Vita sancti Abbonis, dans Patr, lat., t. CXXXIX, col. 408-412).
7 Imbart de la Tour (art. cit.), suivi sans discussion par Marc Malherbe (op. cit., p. 130), propose une date située vers 1180-1190.
8 Déjà la Vita Abbonis signale des habitations auprès du monastère : en 1004, les hommes et les femmes qui y résident se lamentent de la mort de l’abbé (loc. cit.).
9 « Mansos rusticanorum sive suburbanorum sub ac condicione ligamus quia rusticus rustico, burgensis burgensi succedet », charte de Guillem V pour Saint-Hilaire de Poitiers, 3 août 1016, cf. L. Redet (éd.), « Documents pour l’histoire de l’église Saint-Hilaire de Poitiers », Mémoires de la Société des antiquaires de l’Ouest, 71, 1847, p. 79.
10 S. Faravel, op. cit., t. II, p. 55.
11 Sur les villes du Nord-Ouest ibérique et leurs révoltes, on peut se référer à la solide étude de Reyna Pastor, « Las primeras rebeliones burguesas en Castilla y León (siglo XII) : análisis histórico-social de una coyuntura », dans Estudios de Historia social, t. I, Buenos Aires, 1964 (rééd. dans R. Pastor, Conflictos sociales y estancamiento económico en la España medieval, Barcelone, 1973, pp. 13-101).
12 Archives historiques de la Gironde, t. II, pp. 238-239 et t. V, pp. 127, 140, 142. Voir S. Faravel, op. cit., t. II, pp. 257-258.
13 Le terme de manse est très peu usité dans la région. On ne le rencontre, par exemple, que quatre fois dans le Cartulaire de la Sauve-Majeure et seulement pour la période 980-1020, cf. S. Faravel, op. cit., t. II, p. 340.
14 Sur ces « épopées meunières » d’Angleterre et aussi de Normandie, Marc Bloch, « Avènement et conquête du moulin à eau », Annales d’histoire économique et sociale, VII, pp. 538-563 (repris dans Marc Bloch, Mélanges historiques, t. II, Paris, 1963, pp. 800-821). Pour Sahagún, R. Pastor, op. cit.
15 Un porc vaut en moyenne vingt deniers (art. 16).
16 Sur ce sujet, cf. infra, p. 123.
17 « In foro manulevabit claviger quidquid voluerit » (art. 29 sur le commerce opéré par des étrangers).
18 Landerron est cité comme castrum en 1087, Sainte-Bazeille en 1121 ; Gironde l’est dans un document non daté de la fin du XIe siècle, puis apparaît comme oppidum au début du XIIe siècle. La plupart des châteaux de la région sont des châteaux sur motte : soixante-trois mottes ont été identifiées dans l’Entre-Deux-Mers bazadais, c’est-à-dire dans la région, entre Garonne et Dordogne, immédiatement située au nord de La Réole (S. Faravel, op. cit., t. II, pp. 230-232 et 260-162).
19 Il faut sans doute entendre par là un droit sur les marchandises qui descendent le fleuve.
20 Et ceci, remarquons-le au passage, dans la partie la plus ancienne du texte.
21 « Amaneus de Lobengt et sui debent facere hominium priori pro mota sua et pro feudo Regule et pro iusticia fori et pro his qui tenent ab eo intus et extra. » (art. 48.)
22 « Item homines de Taurinag et homines de Sancto Michaele et de Quarzac., si forte prior propriam guerram habuerit, debent venire in eius auxilium pro feudis que tenent in ipsa villa. » (art. 54.)
23 « Item, statutum est ne aliquis sine assensu prioris in expeditione eat nec, prece vel precio aliquorum ductus, castellum ingrediatur ad defendendum vel foras ad expurgandum. » (art. 65.)
24 Par exemple, les sires du Bernès : « Donatus Garsie del Berned et eius successores debent assistere priori in iudiciis pro feudo que tenent infra Regulam. » (art. 53.)
25 « Si aliquis miles feodetarius prioris contra priorem, quod absit, in aliquo deliquerit, per nuncium suum ipsum in ius vocabit et in manu prioris de querelis quod iustum fuerit exsequatur ; quod si in eius manum iuri parere noluerit, feudum prior accupabit. » (art. 56.)
26 Ne sortons pas l’expression de son contexte : « Ce qui se révèle au lendemain de l’an mil [...], c’est une nouvelle forme du “mode de production”, comme certains disent. Mieux vaut ne pas l’appeler féodal — le fief n’a rien à voir ici — mais seigneurial. Il se construit en effet sur la seigneurie [...]. », cf. G. Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1979, p. 189.
27 Et ceci depuis l’étude classique de Robert Boutruche, Une société provinciale en lutte contre le régime féodal. L’alleu en Bordelais et en Bazadais du XIe au XVIIIe siècle, Paris, 1947.
28 II y a beau temps qu’Élisabeth Magnou-Nortier l’a fait savoir, cf. sa « Note sur le sens du mot fevum en Septimanie et dans la marche d’Espagne à la fin du Xe et au début du XIe siècle », Annales du Midi, 76,1964, pp. 141-152. Ses vues ont été, sur ce point, maintes fois confirmées depuis.
29 Ainsi que l’a montré Paul Ourliac, Le Cartulaire de La Selve. La terre, les hommes et le pouvoir en Rouergue au XIIe siècle, Paris, 1985, pp. 54-58. Mais ce fevum sive quartum n’est pas propre au domaine de La Selve : on le rencontre aussi dans d’autres régions du Rouergue, dans le Larzac, par exemple, cf. Antoine-Régis Carcenac, Les Templiers du Larzac. La commanderie du Temple de Sainte-Eulalie de Larzac, Nîmes, 1994, p. 112. La région toulousaine aussi connaît ce fevum quartanerium, fréquent dans les actes du Cartulaire de Saint-Sernin.
30 Cette conclusion, pour être assez éloignée des idées défendues par C. Sánchez Albornoz, ne doit pas occulter la dette que j’ai envers son œuvre. J’en ai fait état en d’autres temps, de son vivant, dans un article auquel je me permets de renvoyer, cf. « Histoire d’un pays, histoire d’une vie : Claudio Sánchez Albornoz et les origines de la nation espagnole », Le Moyen Âge, XXXII, 1977, pp.303-312.
Auteur
Université de Toulouse - Le Mirail
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