Chapitre VIII. Les cadres de la vie privée
p. 295-323
Texte intégral
I. – Les revenus des ingénieurs
1Pour évaluer les revenus des ingénieurs, l’étude des revenus professionnels – soldes, rations et gratifications liées à une mission – pourrait suffire. Mais d’autres pistes se sont révélées à la lecture de certains testaments : les comportements financiers des ingénieurs et les possibilités d’accroître leurs revenus parfois d’une manière peu légale ce qui reste parfois à prouver.
Soldes et gratifications
2Les ingénieurs sont des militaires qui ont pour principal revenu les soldes liées à leurs grades et emplois. Le xviiie siècle apparaît comme un siècle de consolidation des structures militaires et aussi comme celui de la fixation, par des réglementations multiples, d’une solde stable.
3Les revenus du militaire sont composés des soldes payées en argent, des rations payées en nature puis en argent, et des gratifications exceptionnelles. Les premières soldes des ingénieurs ont été définies par Georges-Prosper Verboom1 entre 1710 et 1711. Elles étaient alors plus élevées que celles des artilleurs2 grâce au pouvoir de Verboom mais aussi au grand besoin de techniciens militaires existant à l’époque. Puis, la législation fixe les soldes et rations en 1724. L’Ordre Royal3 du 30 juin 1739 restreint l’attribution des rations pour les ingénieurs à leurs seuls déplacements pendant les campagnes militaires. De plus, en cette même année, les ingénieurs directeurs perdent l’allocation de 300 réaux de billon pour payer un dessinateur. De 1724 à 1765, les soldes n’ont pas beaucoup évolué sauf pour les grades et emplois supérieurs à celui d’ingénieur ordinaire. La progression des montants est de 200 à 500 réaux mensuels pour les grades supérieurs à capitaine. Il n’y a pas de changement pour les postes inférieurs. Un ingénieur au grade de maréchal de camp et ingénieur directeur reçoit 400 réaux de billon par mois en plus de sa solde vu son grade élevé de la hiérarchie militaire. Le pouvoir, en toute connaissance de cause, ne revoit pas les montants des soldes. On constate une grande stabilité dans le temps ; des sondages sur les années 1779 et 1790 ne montrent aucune modification.
4Les soldes ne sont pas équivalentes selon les armes et ces différences irritent. L’ingénieur Felipe Crame4 en fait la remarque à ses supérieurs au milieu de l’année 1750. Il constate que les officiers de la cavalerie, dès le grade de capitaine, ont une solde de 1.000 réaux mensuels pour arriver à 2.000 au grade de colonel. Les colonels de l’infanterie, eux aussi, atteignent les 2.000 réaux par mois alors que les colonels des ingénieurs n’ont que 1.300 réaux5. Il ajoute à la comparaison des soldes, le fait que les ingénieurs en campagne ne bénéficient jamais de repos contrairement aux autres armes. Ils n’en sont pas remerciés par une gratification particulière alors que les officiers de la troupe qui servent exceptionnellement comme ingénieur volontaire, pendant les sièges, reçoivent une gratification de 300 réaux par mois, en plus de leur solde. De plus, Felipe Crame insiste sur les dépenses supplémentaires liées à l’emploi d’ingénieur : achat de livres, paiement des déplacements pour assumer les fonctions qui leur sont attribuées en temps de paix. Enfin, il termine en disant son amertume de voir les possibilités de promotion des ingénieurs s’amenuiser plus on grimpe dans l’échelle des fonctions militaires.
5Les plaintes de cet ingénieur se rattachent à celles des épouses qui parlent de la précarité de leur situation financière. Parfois on peut penser qu’elles dramatisent un peu pour se faire entendre. Il n’en reste pas moins vrai que ces plaintes sont nombreuses et doivent correspondre à un état de fait. La fixation légale des soldes n’empêche pas le pouvoir d’être conscient des limites de celles-ci. C’est pour cette raison que le pouvoir a fixé des règles d’ordre social et financier pour le mariage. Celui-ci n’était pas encouragé, aux grades subalternes, à cause des revenus peu élevés des militaires et donc de leurs incapacités à entretenir une famille. Dans ce sens, la fixation de la dot de l’épouse correspond à une sorte d’assurance pour le ménage, garante de l’avenir du ménage. Fonder une famille doit se faire en connaissance de cause. La femme doit savoir gérer une situation financière et familiale précaire et, éventuellement se suffire à elle-même. La dot reste le patrimoine de l’épouse qui ne l’utilise que dans des cas précis : fournir un trousseau à sa fille ou assurer sa vieillesse seule, plus rarement pour aider à l’achat d’un bien commun ou à faire face aux frais exceptionnels du couple6. Parfois, les époux souvent en déplacement sont amenés à laisser à leur famille de quoi subvenir à ses besoins. Par exemple, Antonio Murga7 demande, alors qu’il part pour le Guatemala en 1765, qu’il soit laissé à sa femme et ses enfants (voire sa mère à défaut de sa femme) 40 pesos de 15 réaux de billon par mois, soit 600 réaux qui correspondaient à la moitié de sa solde. Cette pratique de laisser des sommes d’argent ne concerne pas uniquement les épouses. Antonio Leyba8 part en 1768 pour La Havane et demande à ce que l’on envoie à sa mère, Josefa Vizcaigaña, veuve d’un colonel, 96 pesos par an soit 1.440 réaux. Sa mère touche pourtant une pension du mont-de-piété mais sans doute insuffisante. Il peut paraître paradoxal que, malgré la précarité de certaines situations, les ingénieurs soient autorisés à laisser ainsi une partie importante de leur solde.
6L’autre problème pour les ingénieurs est d’avoir un employeur qui paye souvent ses employés avec retard. Tout au long du XVIIIe siècle, ce fut un sujet de tensions et de protestations. D’ailleurs Miguel Marín Truq précise dans son testament9 rédigé en 1752 qu’on lui doit 57.839 réaux, soit les soldes du 1er avril 1739 au 9 juillet 1746. De plus ce même ingénieur10 est obligé de rappeler en 1758 qu’il a dû payer par lui-même tous les frais concernant ses différentes missions dont celle de la visite des places des Pyrénées. Il attend la somme de 59.401 réaux de billon d’arriérés de soldes. Le retard des soldes oblige les ingénieurs à contracter des dettes11.
7Il est indéniable que leurs difficultés financières sont liées aux nombreux déplacements ainsi qu’aux achats de matériel. Ces dépenses poussent parfois les ingénieurs à certaines extrémités. Marc-Antoine Eydoux12 en 1737 a désobéi et ne s’est pas rendu de La Corogne à Tuy car il manquait d’argent pour le voyage. Il est suspendu et mis aux arrêts en mai 1737, puis réintégré un mois et demi plus tard. Juan de Zahoras13 en août 1739 est dans le même cas que Eydoux. Il est suspendu puis réintégré avec des subsides pour faire face à ses obligations. D’autres ingénieurs moins scrupuleux s’engagent dans la délinquance14 et s’octroient des sommes d’argent destinées à d’autres. Francisco Ibáñez15 est accusé de vol dans les caisses réservées aux aides des veuves et de malversations sur les salaires des ingénieurs en 1733. Il a utilisé cet argent pour des dépenses superflues, d’après Georges-Prosper Verboom, et s’est enfui. En fait, pour sa défense, l’ingénieur dit être parti chercher au Portugal de quoi rembourser. Sa trace dans le corps des ingénieurs se perd par la suite.
8D’autres ressources étaient attribuées aux ingénieurs sous forme de gratifications. C’était un moyen d’aider les militaires dans le cadre de missions particulières. Par exemple, un ingénieur en chef qui assumait les fonctions de commandant d’une province recevait une gratification de 300 réaux d’après l’Ordre Royal du 22 mars 1751. Cette mesure a été annulée en 1765, peut-être parce qu’on désirait que les postes de commandement des provinces fussent attribués uniquement à des ingénieurs directeurs. Cependant il semble que des gratifications subsistent pour les ingénieurs assumant des postes de commandement en Amérique ou aux Canaries. José García Martínez de Cáceres, ingénieur en second et commandant de la place de Buenos Aires en 1788, réclame une gratification de 375 réaux mensuels. Il dit n’avoir jamais eu de repos, et de nombreuses obligations grèvent sa solde :
… La correspondance avec les ingénieurs affectés à Montevideo, et les patrouilles chargées du relevé des frontières, mais aussi la fourniture du papier, des couleurs nécessaires à l’élaboration des plans16.
9Fausto Caballero, ingénieur en second, en 1787 reçoit 600 réaux par mois à partir de son embarquement afin qu’il puisse assumer les frais extraordinaires liés à son poste de commandement17.
10Autre sorte d’aide de l’État, les rations en pain, en paille et avoine ou en argent. Elles sont précieuses car elles permettent l’entretien du cheval et éventuellement de nourrir le domestique. En 1739, la loi définit l’attribution des rations de pain et d’avoine uniquement pour les ingénieurs en campagne militaire. En 1768, dans le titre II des ordonnances du génie, il est rappelé que les soldes ont été fixées auparavant. Quant aux rations de pain, de paille et d’avoine, les cas dans lesquels elles pourront être attribuées sont : en campagne militaire, dans les commissions extraordinaires (reconnaissance des provinces, des frontières, des places, direction des canaux, des chemins, dresser des cartes). Par la suite, on voit des rations définies en argent attribuées à des ingénieurs pour des commissions extraordinaires18. Felipe Paz réclame en 1799 le paiement de ses rations car il a dû faire la visite des places de Tuy, Orense et Saint-Jacques de Compostelle. Pour cela il a dû acheter un cheval, embaucher un jeune palefrenier, et se faire héberger dans des auberges. Ses dépenses (28 réaux par jour) doivent être couvertes par l’octroi des rations. En 1784, les rations étaient évaluées à 22 maravédis pour le pain, 22 réaux pour la fanègue d’avoine. Ces chiffres sont cités par Felipe Paz dans sa requête. Il ajoute par ailleurs l’achat d’une selle19. Gratifications et rations sont des suppléments non négligeables, qui améliorent la situation financière des ingénieurs, même si comme pour les soldes, les ingénieurs doivent avancer l’argent et s’endetter.
11Les changements d’affectation entraînent des remboursements de frais de déplacement en Espagne. Bien sûr, des indemnités sont prévues pour les frais de voyage et à l’arrivée dans les nouvelles affectations en dehors de la péninsule Ibérique. Les ingénieurs et les artilleurs sont considérés comme tous les autres officiers. D’après l’Ordre Royal du 21 juin 1768 et l’article 5 du titre VIII des ordonnances générales de l’armée, les officiers reçoivent deux payes pour éviter les cessations de soldes ainsi que des indemnités pour le passage et la manutention en fonction du lieu de destination, et des rations journalières. Les défraiements sont prévus en fonction de la base de départ qui peut être un port de la Péninsule ou un port des Canaries. L’épouse et les enfants ainsi qu’un domestique peuvent également en être bénéficiaires : 7 réaux par jour pour les membres de la famille et 3 réaux pour le domestique. La somme versée à un capitaine quittant la Péninsule pour rejoindre son affectation à Veracruz est de 4.270 réaux, répartis de la façon suivante : 1.000 réaux d’acompte pour l’ingénieur, 3.000 réaux de voyage, 270 réaux pour le domestique. À son arrivée, le capitaine se voit remettre la moitié de sa solde par jour de navigation20. Pour les ingénieurs nommés aux Canaries, il est recommandé de prendre les bateaux courriers ou les bateaux de guerre. Au cas où le militaire prendrait un autre type de navire, il ne sera pas remboursé de ces frais21. Les ingénieurs affectés dans des postes lointains avaient aussi de nombreux frais d’installation et quelquefois perdaient une partie de leurs bagages pendant le voyage. L’administration restait parfois sourde à des réclamations concernant les accidents de parcours.
12La précarité de la situation financière des ingénieurs au xviiie siècle correspond à celle du milieu militaire en général, bien que l’accès aux gratifications (même s’il leur semble insatisfaisant) soit plus ouvert pour le corps du génie. Les plaintes des ingénieurs concernent non seulement les retards de soldes mais aussi l’obligation de prendre à leur charge des frais liés à leur fonction : déplacements, hébergement, fournitures et instruments. Les exemples cités ici sont complétés par ceux évoqués par Horacio Capel22.
13Un ingénieur ne pouvait-il pas augmenter ses revenus en réalisant des constructions privées23 ? Ces hommes qui participent à de multiples chantiers ne sont-ils pas tentés par les sommes importantes d’argent qu’ils manipulent ? Ou encore ces spécialistes requis pour de nombreux travaux ne sont-ils pas sollicités par des entrepreneurs pour octroyer, en échange de quelques subsides, un marché ? Ces interrogations sont venues à la lecture du testament de Pedro Martín Cermeño. Cet homme décède au grade de lieutenant général et capitaine général de Galice. Il a fait toute sa carrière dans le corps des ingénieurs comme son père. Il se déclare serviteur du roi mais se sent obligé de préciser un certain nombre de points concernant sa fortune et ses biens. Tout d’abord, il dit que ses différents emplois ne lui ont pas permis de faire des économies. Donc ses biens viennent de son père qui fut ingénieur général24. Puis par la suite, il précise qu’il n’a pas recouru à des expédients pour augmenter ses gains :
Aussi, je déclare ne pas devoir, ni être responsable de sommes dues au roi, ni par voie de restitution, bien que j’ai manié de nombreux budgets de Sa Majesté, ni être débiteur vis-à-vis du public ou des particuliers pour des préjudices volontaires de ma part, [il déclare] ne pas avoir touché des primes ou des profits appelés intérêts parce que grâce à Dieu je n’ai jamais utilisé cela25.
14Ces quelques lignes peuvent laisser supposer que d’aucuns ont pu détourner des sommes des budgets qu’ils avaient gérés, que des « dessous de tables » ont pu être versés pour l’octroi de certains marchés. Pour répondre à ces questions, il faudrait soit trouver des sources précises sur ces points, soit pouvoir calculer le taux d’enrichissement d’un ingénieur. Cette dernière démarche est très difficile parce qu’il faudrait retrouver les documents permettant de définir sa fortune en début de carrière et à la fin. Il est avéré cependant que certains ingénieurs ont pu dégager des sommes pour faire des investissements personnels, que le statut d’ingénieur directeur est un poste envié, et que les plaintes des ingénieurs ou de leurs épouses correspondent à une attitude liée à l’habitude de protester plus qu’à des situations dramatiques.
Rentabiliser les revenus
15Certains ingénieurs cherchent parfois à faire fructifier leurs revenus ou à protéger la fortune qu’ils ont pu acquérir. Il y a deux attitudes : celle de l’homme entreprenant qui se lance dans les investissements typiques de l’époque comme les compagnies de commerce, et celle de l’ingénieur qui cherche à protéger le patrimoine acquis en reproduisant le schéma des élites traditionnelles par le majorat.
16Prenons l’exemple de Charles Lemaur. Il arrive en Espagne en 1750 après avoir négocié son départ de Paris avec Francisco Pignatelli, ambassadeur d’Espagne. Ses frais de voyage sont payés ainsi que ses dettes à Paris. Il s’occupe de la construction d’une machine à tisser au moment où il reçoit l’emploi d’ingénieur ordinaire. À la demande du marquis de la Ensenada il s’occupe des canaux en Castille. De 1750 à 1781 il gravit tous les échelons du génie jusqu’à ingénieur directeur. Il participe à de nombreux travaux dont les différents tracés de canaux26. En 1776 il sert d’arbitre entre deux groupes de promoteurs qui désirent obtenir l’octroi d’une concession pour le percement d’un canal dit de Tortosa. Il a dû monnayer ses services auprès de l’État comme il l’avait fait pour sa venue en Espagne. Rien d’étrange à cela, l’Espagne est très férue, à ce moment-là, des techniciens français pour la construction des canaux. Ces activités l’amènent à fréquenter les milieux financiers les plus élevés. Il décide de se lancer dans des projets financiers pour rentabiliser son capital. Il crée en 1778 avec d’autres personnes la compagnie du canal d’Andalousie. Cette compagnie ne trouve pas les financements nécessaires et échoue27. Les investissements de cet homme n’ont pas dû s’arrêter là. Ses fils ont aussi investi. Les projets pour le canal de Guadarrama ont été faits par la famille Lemaur. Le père meurt avant le début des travaux. Les fils de l’ingénieur semblent avoir bénéficié d’actions de la part de la banque de Saint-Charles, le promoteur. En effet dans l’expediente de son fils Carlos, ingénieur lui aussi, on retrouve le partage en quatre parties de 50 actions du canal de Guadarrama, chaque part évaluée à 25.000 réaux28. Visiblement les fils cherchent, comme leur père, à participer au développement économique du pays et à en tirer des bénéfices. Quant au père, Carlos, il semble que sa situation financière se soit légèrement dégradée. En 1785, lorsqu’il meurt, intestat, il est enterré à San Martín à Madrid, paroisse militaire. On procède à l’inventaire des biens et à leur évaluation d’après le dossier de pension. Cet inventaire n’a pas été retrouvé. Seule la demande de pension de la veuve l’a été. Il y est dit « inventaire et tassation du peu de meubles qu’il a laissé ». De plus la veuve Juana de La Murere dit qu’elle est dans un état d’extrême pauvreté. Elle n’a pas pu payer les frais des funérailles de son époux. Elle profite de son exposé pour demander que ses deux derniers fils, Félix et Francisco, soient intégrés dans le corps des ingénieurs. Elle obtient gain de cause, reçoit sa pension et ses deux fils deviennent aide-ingénieurs comme les deux aînés29 Carlos et Manuel. Est-elle vraiment réduite aux plus grandes extrémités ou avait-elle besoin de placer ses fils ? Souvent les notions de pauvreté et misère sont employées dans les requêtes mais ne correspondent pas toujours à une situation extrême.
17S’agissant des investissements des ingénieurs. François Boizot, français, ingénieur des ponts et chaussées, vient en Espagne pour reconnaître le terrain et faire les plans du canal royal de Murcie en 1776. Il est intégré au corps des ingénieurs militaires espagnols en 1777. Il reçoit un centième des capitaux de la compagnie30. On retrouve dans certains testaments la mention de fonds gérés par une compagnie de commerce ou un agent de commerce. Par exemple, Pedro de Lucuce a, d’après son testament, placé 84.000 réaux à la compagnie royale de commerce de Barcelone. Ces fonds lui rapportent 5.040 réaux, soit 3 % par an. Il a aussi 140.000 réaux de rentes sur les tabacs. De même Miguel Juárez Sandoval a déposé en effet de commerce 145.800 réaux qui rapportent annuellement un intérêt de 7.350 réaux. Ces deux ingénieurs réussissent ainsi à faire fructifier leurs capitaux d’une manière plus rentable que les compagnies des canaux qui ont, pour certaines, bien du mal à démarrer. Bien sûr ces deux hommes ne sont pas des ingénieurs de petite catégorie. Pedro de Lucuce31 est un des directeurs de l’académie de Barcelone les plus connus, et un homme qui termine sa carrière comme lieutenant général. Miguel Juárez Sandoval32 est brigadier et ingénieur en chef en 1792 lorsqu’il décède. Agustín de Herrera y Abendaño33, colonel et ingénieur en chef, déclare posséder huit actions sur la banque de Saint-Charles, dont six lui viennent de sa femme décédée. Chaque action a une valeur de 2.000 réaux. Il est le dernier exemple d’un ingénieur gradé qui investit dans les entreprises financières en vogue de l’époque. Cet homme possède par ailleurs des biens fonciers qui lui viennent de ses parents. Il a donc une fortune basée sur des rentes variées.
18Pedro Martín Cermeño, lui a choisi une autre voie pour ses biens. Dans son testament, il insiste sur l’importance de la conservation de la mémoire de sa famille. Pour lui, cette démarche passe par la constitution d’un majorat34 pour son fils Santiago. Ce majorat se compose des biens suivants : une maison et un jardin à Melilla avec deux sépultures, héritage de sa mère ; une maison à Barcelone venant de son père qui rapporte 9.500 réaux par an ; une terre avec une forge près de Bergantiños ; une maison et des dépendances à côté de La Corogne, lieu nommé La Braña de Monelos, acquises par lui-même, avec des terres qui l’entourent et d’autres plus éparpillées. C’est à La Braña de Monelos qu’il se fait construire une chapelle pour y être enterré. Ce lieu devient le lieu d’enracinement de la famille. Cependant on peut remarquer l’éparpillement des biens inclus dans le majorat, synonyme des pérégrinations de cet homme et de son père, tous deux ingénieurs. Cette volonté de fondation se rapproche de l’attitude de la noblesse titrée à laquelle appartient sa femme, María del Carmen Cisneros y Ulloa, fille du comte de Gimonde. Pedro Martín Cermeño symbolise l’ascension sociale d’une famille qui a gagné sa place au service du roi. D’ailleurs il le rappelle dans son testament :
… La [mémoire] de mes parents et grands-parents qui au service de leur roi et seigneur et avec l’épée à la main acquérirent une partie des biens que je possède35.
19Francisco Sabatini, un ingénieur hors du commun, a investi sa fortune dans des placements en Espagne et en Europe mais il a aussi choisi la voie de la fondation de majorats pour laisser à ses filles une partie de ses biens. Il dit dans son testament l’importance de procéder ainsi :
Pour ce qui concerne les familles et pour que la mémoire des personnes illustres se conserve et perpétue, ayant les fonds nécessaires pour vivre avec la décence correspondante à sa qualité et naissance [et afin] que se conserve et se perpétue [ma famille], j’ai obtenu de SM, Charles IV, l’autorisation du 25 janvier 1791 pour fonder deux majorats36.
20Ces deux majorats sont attribués à Mariana, la première fille et l’épouse de Gerónimo de la Grua, brigadier, ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire de Sa Majesté à Gênes, et à María Teresa, la seconde fille, épouse d’Antonio de Zayas, marquis du même nom, commandeur de l’ordre de Santiago, et colonel. Les biens composant les majorats sont en fait basés sur les capitaux investis par Sabatini en Europe37. Le montant total de ces investissements atteint 2.437.710 réaux. La première aura les 3/5e de cette somme et la seconde le reste. Francisco Sabatini, à sa mort, est un homme très riche et proche du pouvoir. Son attitude vis-à-vis de ses biens est à la fois celle d’un homme informé sur les pratiques financières de son temps et d’un homme qui veut laisser une trace de son passage en utilisant le traditionnel système des majorats. Il représente une synthèse de la société de l’époque : appartenant au mouvement des Lumières, partisan du progrès désireux de s’intégrer les élites de la noblesse en utilisant leurs critères.
21Le roi cherchait des serviteurs fidèles, comme les Martín Cermeño, qui lui doivent tout et « utilisables » à merci, donc sans attache locale. Ces fidèles serviteurs, eux, cherchent l’ascension sociale et l’enracinement qui leur correspondent.
22Ces exemples ne reflètent que quelques images d’ingénieurs, arrivés à des grades élevés. On ne peut donc en tirer des conclusions pour l’ensemble du corps. Les ingénieurs directeurs occupent, au cours du siècle, une position de plus en plus enviable. Ces hauts gradés nécessiteraient une étude à eux seuls.
II. – Les inventaires de biens, miroirs des cadres de vie
23Les inventaires de biens sont dressés en présence des exécuteurs testamentaires par les autorités militaires. Cette procédure est liée à la fonction de la personne qui bénéficie du fuero militar et permet de remettre dans les mains de la justice militaire tous les papiers concernant les tâches militaires.
24Les inventaires de biens se présentent sous la forme suivante : une liste des vêtements, linge de maison, mobilier, vaisselle, bijoux, quantité et poids d’objets en argent, peintures, livres, monnaie, papiers professionnels. Très rarement il existe un inventaire des biens fonciers possédés par le défunt38. Il est certain que les ingénieurs n’appartenant pas en majorité à la haute noblesse, ils ne possèdent pas de biens fonciers, sauf en fin de carrière. Parfois les biens meubles ont fait l’objet d’une évaluation soit parce qu’une vente aux enchères va avoir lieu, soit parce qu’un partage doit être fait. Pour effectuer ces évaluations, l’armée fait appel à des spécialistes selon la catégorie du bien mais tous les biens cités ne sont pas forcément évalués. Les inventaires sont souvent partiels. Non seulement ils laissent de côté les biens fonciers mais certains biens ne figurent pas dans les inventaires alors que par ailleurs on sait qu’ils existent. Par exemple, l’inventaire de biens de Juan Martín Cermeño conservé à Ségovie ne fait pas état de la bibliothèque de l’ingénieur. Grâce au testament de son fils, on sait qu’il possédait des livres dont une édition rare de Herculaneo, un livre sur les découvertes archéologiques de Herculanum avec des planches rares, livre offert par le roi à Juan Martín Cermeño et que le fils aurait voulu faire imprimer en Espagne.
25Les observations tirées des inventaires de biens sont limitées en raison d’une part du faible nombre des inventaires, et d’autre part des catégories d’ingénieurs concernés. Les 17 personnes dont nous pouvons retracer le cadre de vie appartiennent à des catégories sociales bien différentes avec un seul point commun : le fait d’avoir été ingénieur.
Tableau 27. – Récapitulatif des testaments d’ingénieurs avec évaluations des biens*
Noms et sources | Fonctions au décès et année | Biens évalués |
Aedo Espina, Clemente (AGMS, 9a, A 27) | Capitaine et ingénieur ordinaire, chevalier de l’ordre de Santiago († 1787) | Évaluation des biens partielle : 97.100 réaux |
Ailmer, Ricardo (AGMS, 9a, A 50) | Brigadier et ingénieur directeur († 1788) | Inventaire des biens à Barcelone mais pas du lieu de vie de sa famille Montant des biens vendus à Barcelone : 12.810 réaux |
Amici, Gerónimo (AGMS, 9a, A 152) | Brigadier et ingénieur directeur retiré († 1764) | Biens évalués : 4.173 réaux Dettes : 7.757 réaux |
Cubero, Cristóbal (AGMS, 9a, C 240) | Ingénieur en second et lieutenant-colonel († 1755) | Non évalué, mais petit inventaire |
Hermosilla y Sandoval, José (AGMS, 9a, E 35) | Capitaine et ingénieur ordinaire, directeur de l’académie de San Fernando à Madrid († 1776) | Pas d’évaluation de tous les biens Montant obtenu : 77.160 réaux |
Juárez Sandoval, Miguel (AGMS, 9A, J 54) | Brigadier et ingénieur en chef († 1792) | Biens évalués : 219.955 réaux |
López Mercader, Fernando (AGMS, 9a, L 81) | Capitaine et ingénieur ordinaire († 1785) | Peu de biens, pas d’évaluation |
Lucuce, Pedro de (AGMS, 9a, L 143) | Lieutenant général et directeur des académies militaires († 1779) | Inventaire incomplet Montant des biens retrouvés : 261.831 réaux |
Marín Truq, Miguel (AGMS, 9a, M 52) | Maréchal de camp et ingénieur directeur († 1764) | Biens évalués : 47.451 réaux, dont 13.107 de soldes dues |
Martín Cermeño, Juan (AGMS, 9a, M 79) | Lieutenant général et ingénieur général († 1773) | Pas d’évaluation |
Martín Cermeño, Pedro (AGMS, 9a, M86) | Capitaine général de Galice et lieutenant général († 1790) | Biens pas tous évalués mais un montant de 112.896 réaux |
Núñez del PIno, manuel (AGMS, 9a, N 43) | Capitaine et ingénieur ordinaire retiré, regidor d’Almería († 1803) | Biens fonciers et personnels évalués : 290.782 réaux |
Parfondri, Diego (AGMS, 9a, P 36) | Lieutenant-colonel ingénieur ordinaire retiré († 1773) | Non évalué |
Perelló, Juan Antonio (AGMS, 9a, P83) | Colonel et ingénieur en second († 1792) | Biens évalués à 12.348 réaux Défini comme « pobre » |
Roncali, Miguel (AGMS, 9a, R 200) | Brigadier et ingénieur directeur († 1794) | Biens non évalués |
Sabatini, Francisco (AGMS, 9a, S1) | Lieutenant général et inspecteur général du corps († 1797) | Biens évalués dans la maison : 242.358 réaux ; capitaux investis : 2.437.710 réaux |
Saliquet y Negrete, Carlos (AGMS, 9a, S 30) | Lieutenant-colonel et ingénieur en second († 1777) | Biens non évalués |
26Ce tableau met en évidence la grande diversité des situations. Parmi les cas considérés, il existe des personnes qui ont fini leur carrière dans le corps et d’autres en dehors du corps. Des inventaires correspondent à des personnes d’exception, comme Pedro de Lucuce, Juan Martín Cermeño ou son fils Pedro, ou encore Francisco Sabatini. Leur position hiérarchique leur a permis d’avoir un niveau de vie élevé qui se rapproche de celui de la noblesse titrée. Ils occupent des fonctions proches du pouvoir, ils ont un rang à tenir. Leur niveau de fortune leur permet de faire partie des élites sociales. Pour certains, ils sont toujours ingénieurs mais leur manière de vivre n’a plus rien de commun avec ceux qu’ils dirigent.
27De plus, quand l’ingénieur sort du cadre de sa fonction et devient regidor comme Manuel Núñez del Pino, il est loin de sa fonction première et de ses multiples affectations. Il a accumulé des biens et s’enracine localement. Parmi les autres ingénieurs, on constate une forte disparité entre un Miguel Juárez Sandoval, mort au grade d’ingénieur en chef et un Gerónimo Amici, ingénieur directeur retiré, dont la succession n’arrive pas à régler ses dettes. Cet écart peut certainement s’expliquer par une fortune personnelle différente. Mais aucune preuve documentaire de cela n’a été retrouvé.
28Margarita Gil Muñoz39 retrouve des différences importantes entre les niveaux de vie des officiers à la fin du siècle. Des lieutenants généraux comme Joaquín Manuel de Villena, marquis del Real Tesoro ont des corps de biens qui atteignent plus de deux millions de réaux alors que d’autres, comme le marquis de Ceballos lieutenant général, arrivent seulement à 146.511 réaux. Les mêmes écarts sont constatés entre les capitaines dont les inventaires de biens oscillent entre plus de 140.000 réaux pour certains et 3.970 pour d’autres. Comment expliquer ces différences ? Certains vivent seulement de leurs soldes et d’autres ont des biens familiaux. Máximo García Hernández a étudié les patrimoines en Castille sous l’Ancien Régime. Il remarque que dans les inventaires de biens de la noblesse de Valladolid la valeur de l’argent et des capitaux investis représente souvent plus de 50 %. Deuxième remarque, la noblesse se différencie par un inventaire où la présence d’objets somptuaires (bijoux, orfèvrerie, tapisseries…), d’un grand nombre de mobilier pour recevoir, de voitures à cheval et de livres est un fait notable. Dans les exemples choisis, on retrouve des niveaux de fortune équivalents à ceux de certains ingénieurs : un marquis dont l’inventaire équivaut à 104.806 réaux, ou un juge de la Chancellerie et du Conseil des Indes à la tête d’une fortune de 652.184 réaux40. Donc certains ingénieurs ont un niveau et un style de vie qui correspondent à ceux des élites. Les signes de cette appartenance sont nombreux.
29Dans l’inventaire de Juan Martín Cermeño, le mobilier se trouve en grand nombre. Il comprend des armoires, de nombreux lits, tables et chaises, canapés, miroirs. Sur les murs, se trouvent des peintures religieuses, des estampes41, des tentures et sur le sol ou aux murs, six grandes peaux de tigre et deux petites. Cet homme peut recevoir de nombreuses personnes car il possède des services de table, l’un en porcelaine de Chine de plus de cent cinquante pièces (assiettes, plats, et service à café) et les autres en faïence. Le linge de maison est à la hauteur du nombre d’invités possibles. Pour dresser la table, les assiettes vont être accompagnées d’une ménagère en argent de trente-six couverts, de chandeliers. Le café et le thé peuvent être servis dans des pièces d’argenterie. En cuisine, il peut faire préparer de nombreux plats (batterie de dix-huit casseroles, plusieurs broches, chocolatière et cafetière…) par un cuisinier français Domingo Bux. Un personnel nombreux est là pour servir l’ingénieur général : à part ce cuisinier français (recrutement très en vogue), il y a un majordome, un valet de chambre, plusieurs domestiques (deux ou trois), deux cochers et deux esclaves. L’inventaire étant incomplet donc on ne peut évoquer ni la bibliothèque, ni les bijoux. Le fils de Juan Martín Cermeño, Pedro, possède des biens fonciers non évalués dont nous avons déjà parlé. L’inventaire de ses biens est impressionnant, bien moins important que celui de Francisco Sabatini. On peut penser qu’un certain nombre de ses biens lui viennent de son père. Il a à son service une domesticité composée d’un majordome (ancien valet de chambre de son père), des valets, un cuisinier certainement, des cochers aussi. Il donne 7.000 réaux par mois à son majordome pour gérer les dépenses de sa maison. En décembre 1790, il a dépensé 3.931 réaux. Ces dépenses sont très importantes. Il possède au moins deux voitures : une berline pour sa femme et une voiture pour lui, estimée à 4.000 réaux, avec six mules. L’inventaire des vêtements comporte les uniformes liés à ses fonctions (ingénieur, lieutenant général), mais aussi de nombreuses chemises, bas de soie, manteaux, veste de velours, et bien d’autres choses. La vaisselle, l’argenterie sont présentes en grand nombre. Cet homme se doit, de par sa fonction, d’organiser des réceptions. Il possède des services de porcelaine de Chine, faïence anglaise, faïence de Talavera, et des pièces de faïence venant du comte d’Aranda, des verres en cristal de Bohême. Son intérieur est doté d’un mobilier important et varié (commodes, lustres de cristal, literie, salons, tables et chaises, fauteuil à bras…), de tapis ainsi que de peintures en grand nombre. Ces peintures42 sont à thème religieux (l’Adoration des Rois, Saint Pierre), mais aussi thème mythologique, politique (portrait du roi Charles III, du marquis de la Mina), militaire (reproduction de batailles, de canons), et familial (portraits de son père). Il y a aussi de nombreux plans et cartes comme celle de Madrid ou de la Galice. L’amour filial de Pedro lui fait récupérer et payer le buste en marbre de son père réalisé par le sculpteur Michel43. C’est un amateur d’art et un homme cultivé. Sa bibliothèque est nombreuse et d’une grande variété. On trouve les ouvrages classiques d’un scientifique militaire mais aussi des livres sur les palais italiens, les fouilles archéologiques d’Herculanum, la peinture anglaise, des œuvres littéraires antiques. Le passé professionnel de Pedro Martín Cermeño est révélé non seulement par ses lectures mais aussi par la possession d’un nombre important d’instruments de mathématiques. Quant aux armes, il possède : sabres, épées, pistolets et fusils. Les bijoux ne sont pas estimés mais il fait don d’une broche en diamants des ordres militaires à son cousin. Pedro Martín Cermeño est capitaine général. Il est donc un homme important en Galice. Sa famille et son père ont été proches du roi. Ces deux hommes sont des ingénieurs hors norme, tout comme Pedro de Lucuce ou Francisco Sabatini, dont les inventaires ne seront pas repris ici. Il est intéressant maintenant, de voir si, en utilisant des inventaires d’ingénieurs restés en fonction, on peut construire le cadre de vie type de l’ingénieur.
30L’ingénieur Clemente Aedo Espina mort en 1786 à Barcelone au grade de capitaine et ingénieur ordinaire, possède un inventaire de biens qui n’est pas évalué en totalité mais intéressant à plusieurs titres. Il montre que cet homme avait des revenus autres que ses soldes (dont on peut supposer des biens venant de la famille). Cet ingénieur semble être un collectionneur qui s’intéresse aux boîtes, entre autres à tabac, de tous types et formes, souvent précieuses ou décorées. Il a aussi une collection de vêtements régionaux d’Espagne sous forme de dessins encadrés44 ainsi qu’un vêtement de gitan en velours. Il semble s’intéresser au folklore régional espagnol. Les plans de Narbonne et Toulouse ornent les murs. Il possède de nombreux bijoux avec des diamants, topazes, perles ainsi que sept montres45. La garde-robe est importante avec des chapeaux et des perruques. Son mobilier n’est pas très important mais il est célibataire. Locataire de sa maison, il y a fait des travaux. Il possède une voiture, un birouche avec deux chevaux. Pour agrémenter ces voitures, il a un imperial et un abri pour le cocher. La vaisselle n’est pas très nombreuse : quelques couverts en argent, assiettes en porcelaine. La cafetière et la chocolatière font partie de l’inventaire ce qui correspond aux goûts de son époque. Pour entretenir ses voitures et son intérieur, il a un domestique, un palefrenier et un cocher. Dans ses biens, on retrouve les uniformes d’ingénieur, les instruments de mathématiques46 et une bibliothèque scientifique. La vente aux enchères de certains de ses biens a rapporté 67.100 réaux et a permis de couvrir ses dettes. Parmi les acheteurs, on peut remarquer des ingénieurs47 qui acquièrent uniformes, livres ou encore instruments de mathématiques à moindre coût. À cet ingénieur qui a différents centres d’intérêt et un train de vie coûteux, on peut opposer l’inventaire de l’ingénieur directeur Miguel Marín Truq décédé en 1765 à Madrid, marié avec cinq enfants. Le mobilier est nombreux et comprend quelques éléments de luxe : quatre pièces de toiles peintes pour les murs, lustres de cristal, candélabres à branches, miroirs. Des peintures ornent les murs dont un portrait du roi, et des tableaux religieux48. Une collection d’objets en verres (animaux essentiellement) est exposée sur une console. Les livres scientifiques sont aussi présents dans l’inventaire. Une voiture fermée de quatre places et une paire de mules sont estimées 3.500 réaux. Enfin, il existe aussi un inventaire de l’argenterie. Sur les 34.434 réaux de l’inventaire de biens, les vêtements d’hommes représentent 17,9 %, les vêtements de femmes, les éléments de décorations en textile et tapisseries 26,9 %. Les livres correspondent à 6,35 % et les voitures à 7,2 %. Cet ingénieur a atteint le sommet de la hiérarchie. Son train de vie reproduit le modèle de la grande noblesse, tout en correspondant à une classe moyenne.
31En revanche si on prend deux exemples d’ingénieur en chef, l’un Cristóbal Cubero mort en 1755, l’autre Juan Antonio Perelló mort en 1792, on découvre deux univers totalement différents des précédents, deux inventaires de biens modestes. L’inventaire de Cubero n’est pas évalué. Mais on voit tout de suite le nombre limité de ses biens. Deux coffres contiennent des vêtements et du linge de maison. L’uniforme d’ingénieur et l’épée sont bien sûr présents. Le mobilier se compose de cinq tables, six chaises, quatre miroirs de taille moyenne, et de six banquettes. Il ne possède que deux couverts d’argent. Cet ingénieur vit seulement dans une ou deux pièces qu’il loue. Il laisse ses biens à la propriétaire pour la remercier de son assistance.
32Le colonel et ingénieur en second Juan Antonio Perelló, sa femme et ses enfants viennent à Madrid pour des problèmes de santé alors que Juan Antonio était nommé à Oran. Ils louent une maison à Madrid. Les deux parents meurent à quelques jours d’intervalle. La femme se déclare pauvre alors que leurs biens sont estimés à 12.348 réaux. Sont-ce les uniques biens qu’ils possèdent ? En tout cas, le mobilier est évalué à 451 réaux, le linge de corps à 1.576, les vêtements homme et femme à 2.579 réaux, la literie et le linge de maison à 876. Parmi les vêtements figurent les uniformes : le petit à 100 réaux, et le grand à 600 réaux. Parmi la vaisselle, on trouve de la porcelaine de Chine, de la faïence anglaise, des tasses à chocolat en porcelaine de Chine, et quelques plats. Le couple possède aussi de l’argenterie et une montre évaluées à 2.002 réaux, quelques livres, des instruments de mathématiques et deux fusils. Enfin l’ingénieur a amené avec lui des plans qu’il a certainement dessinés lorsqu’il était en Amérique : plans de l’Orénoque, de l’Amazone, plans des côtes de la province de Cumaná. Les dettes du couple se montent à 4.074 réaux. Les enfants se partagent les biens restants. Ces derniers ingénieurs n’ont pas fait fortune grâce à leur profession.
33À la lecture des inventaires de biens, malgré certaines différences, apparaît un certain nombre de points communs à ces hommes : la présence des deux uniformes d’ingénieurs et des épées (c’est logique), les instruments nécessaires à l’exercice de la profession, des livres scientifiques en nombre important. Les bibliothèques vont faire l’objet d’une étude après cette partie. L’ingénieur au début de sa carrière est balloté de poste en poste. Il n’a donc que peu de mobilier et regroupe dans quelques malles ses effets pour voyager. Parmi ses vêtements, il doit avoir payé ses deux uniformes. Le petit est évalué à 100 réaux dans les inventaires de biens et devait coûter neuf en fin de siècle 900 réaux. Le grand uniforme coûtait lui 1.800 réaux49 neuf et était estimé entre 750 et 600 réaux dans les inventaires50. On comprend pourquoi certains ingénieurs les achetaient aux ventes aux enchères. Le grand uniforme de maréchal de camp dans l’inventaire de Miguel Marín Truq est estimé à 2.400 réaux. L’épée de gala va avec l’uniforme, elle revient à une centaine de réaux avec une poignée d’argent. La perruque pouvait être la touche d’élégance supplémentaire, et courante à l’époque.
34Les instruments de mathématiques sont les points communs entre les ingénieurs51. La liste des instruments de Pedro Martín Cermeño estimée à 2.558 réaux : peut être citée en exemple : plusieurs graphomètres, un étui de mathématiques (évalué à 1.000 réaux) avec compas, équerre, quart de cercle, des boîtes d’encre de Chine, une boussole, un encrier de voyage, une fiole d’eau de mer, une boîte de crayons, des règles d’ivoire, et des règles ordinaires, une gravure sur cuivre de différentes figures, une boîte de couleurs, des jumelles, un baromètre, une boîte de pièces à escadronner. Pour José Hermosilla y Sandoval, les instruments sont moins nombreux et évalués à 432 réaux52. Pour Juan Antonio Perelló, ils correspondent à une valeur de 306 réaux53. D’autres instruments utiles à leur travail peuvent s’ajouter aux précédents : la loupe, des petites tasses pour faire les mélanges de couleurs, des pinceaux, un mortier, des plumes, des sortes de canif pour tailler les crayons, des pointes sèches, des feuilles de papier. Les instruments de travail des ingénieurs sont en fait communs avec ceux d’autres professions comme les architectes ou les scientifiques. Un autre point commun aux ingénieurs est la nécessité pour leur profession d’avoir une mule ou un cheval pour se déplacer.
35Les ingénieurs possèdent souvent des portraits de leur souverain ce qui est une marque de leur reconnaissance et de leur appartenance au corps des fidèles serviteurs de l’État. José Hermosilla y Sandoval apporte, entre autres, avec lui à Leganés chez son frère où il vient parce qu’il est malade : un médaillon de cuivre avec l’entrée de Philippe V à Naples en 1702, un médaillon en argent du mariage des princes, un autre avec Ferdinand VI sur l’endroit et sur l’envers un mortier en train de tirer. Cet ingénieur, détenteur d’un portrait de Ferdinand VI, semble être un fervent admirateur de la monarchie. Les peintures religieuses54 sont elles aussi nombreuses et courantes dans les inventaires de l’époque. De même, on trouve souvent dans les papiers des ingénieurs hauts gradés des cartes, ou des plans réalisés par eux-mêmes ou sous leur direction55, ou encore achetés quand il s’agit de places étrangères56. Dans un inventaire seulement, la correspondance de l’ingénieur a été retrouvée mais il est évident qu’elle devait exister dans les autres cas57. Elle ne devait pas intéresser les personnes chargées de l’inventaire. Enfin un point commun à tous les ingénieurs devait être la possession de certaines ordonnances de l’armée, de règlements et de livres de base sur les mathématiques et l’art de fortifier. On peut aisément imaginer que tous ceux qui étaient passés par les académies militaires conservaient leurs cahiers de cours comme les manuels. L’étude des bibliothèques va permettre de dessiner le portrait de ce lecteur particulier qu’est l’ingénieur.
III. – Les bibliothèques des ingénieurs
36Il y a parfois des livres dans les inventaires de biens, mais leur reconnaissance est difficile à cause de pratiques diverses. En effet la rédaction des inventaires ne semble pas être codifiée en ce qui concerne les bibliothèques. On peut trouver : un titre approximatif de livre, un titre et un auteur, ou encore un titre, un auteur, un lieu d’édition, ou enfin tous les renseignements y compris le format et la langue de l’ouvrage. Les informations les plus couramment retrouvées touchent seulement au titre très approximatif le plus souvent et qui peut même correspondre à deux titres existants. Pour décrypter les bibliothèques, plusieurs travaux ont été utilisés. Marie-Hélène Garcia a effectué58 un travail préliminaire sur la forme et les fonds de certaines bibliothèques d’ingénieurs. L’étude très complète de Manuel-Reyes García Hurtado59 est très précieuse pour les écrits des militaires. Les ouvrages concernant la bibliothèque du collège royal d’artillerie de Ségovie60 ainsi que celle de Jovellanos ou de Georges-Prosper Verboom61 ont aussi fourni des possibilités de repérage de certains ouvrages scientifiques et militaires. Les dictionnaires sont aussi très précieux pour les ouvrages étrangers62. De plus, à la Maison des Pays Ibériques, les données du programme « Nicanto » (soit l’intégralité des titres de la Bibliografía de autores españoles de Francisco Aguilar Piñal) ont été utilisées. Enfin la bibliothèque de Francisco Sabatini a constitué une mine de renseignements sur les auteurs, dates d’édition et langue. Pourtant il faut préciser d’ores et déjà que cette bibliothèque publiée par Juan Antonio Ruiz Hernando63 est la transcription sans ajout de celle de l’inventaire. Il peut donc y avoir des erreurs faites par le rédacteur, non corrigées par le transcripteur. Toujours est-il que cette bibliothèque présente l’avantage non négligeable d’être celle d’un des chefs du corps, et que sa description porte, dans un grand nombre de cas, le nom de l’auteur, le titre, l’année et le lieu d’édition et la langue employée. Cependant, même si tous ces documents ne permettent pas de déchiffrer chaque titre, ils aident à approcher une plus grande partie des bibliothèques64. L’inventaire des livres bien que précieux reste un miroir déformant des lectures (voir tableau 28, p. 316).
37Les inventaires étudiés proviennent d’ingénieurs arrivés en fin de carrière ou presque. Leur vie professionnelle couvre les années 1730 à 1790. Ainsi ces bibliothèques nous permettent-elles de suivre le lecteur sur une période assez large. Ces hommes ne sont pas tous de nationalité espagnole ce qui présente un intérêt certain. Lorsque les moyens financiers de l’ingénieur sont importants, la bibliothèque est étoffée et les goûts variés peuvent alors s’affirmer.
Tableau 28. – Liste des testaments avec présence d’une bibliothèque
Noms des Ingénieurs et Sources | Identité | Nombre | Caractéristiques |
Aedo Espina, Clemente (AGMS, 9a A 27) | Espagnol, célibataire, capitaine d’ingénieurs († 1787 à Barcelone) | 72 | Titres, quelques auteurs |
Ailmer Burgo, Ricardo (AGMS, 9a A 50) | Irlandais, veuf avec enfants, brigadier ingénieur directeur († 1787 à Madrid) | 40 | Titres, quelques auteurs, langues parfois |
Amici, Gerónimo (AGMS, 9a A 52) | Italien, vit en concubinage, brigadier ingénieur directeur († 1764 à Saragosse) | 17 | Titres peu lisibles |
Hermosilla y Sandoval, José Agustín (AGMS, 9a E 35) | Espagnol, directeur de l’académie de San Fernando († 1776 à Leganés) | 189 | Titres, auteurs, lieu d’édition, formats |
Juárez Sandoval, Miguel (AGMS, 9a J 54) | Espagnol, veuf, brigadier ingénieur en chef († 1792 à Algésiras) | 24 | Titres auteurs |
López Mercader, Fernando (AGMS, 9a L 81) | Espagnol, célibataire, capitaine, ingénieur ordinaire († 1785 à Málaga) | 8 | Titres très approximatifs |
Marín Truq, Miguel (AGMS, 9a M52) | Français, marié avec enfants, brigadier ingénieur directeur († 1764 à Madrid) | 51 | Titres seuls |
Martín Cermeño, Pedro (AGMS, 9a M 86) | Espagnol, marié un enfant, capitaine général († 1790 à La Corogne) | 637 | Titres formats, langues parfois |
Parfondri, Diego José (AGMS, 9a P 36) | Marié avec enfants, lieutenant-colonel, ingénieur en second († 1773 à Barcelone) | 23 | Titres, quelques auteurs |
Roncali, Miguel (AGMS, 9a R 200) | Italien, marié avec enfants, brigadier ingénieur directeur († 1794 à Cornellà) | 101 | Titres, langues parfois |
Sabatini, Francisco (AGMS, 9a S 107) | Italien, marié avec enfants, inspecteur général du corps des ingénieurs, lieutenant général († 1797 à Madrid) | 628 | Titres, auteurs, langues, format, année d’édition et lieu |
Saliquet, Carlos (AGMS, 9a S 30) | Lieutenant-colonel ingénieur en second, marié avec enfants († 1777 à Barcelone) | 19 | Titres |
38D’après l’étude des quelques inventaires65 où figurent le format, deux dominantes apparaissent : la forte représentation des formats in-8° et in-4°, format portatif et moins onéreux, et la présence de formats plus grands pour les livres de qualité (architecture, arts, histoire, hagiographies ou dictionnaires…). Les quelques inventaires donnant les lieux d’édition ont permis de dresser une carte des provenances. À part le Mexique cité quelques fois, les livres ont été édités en majorité en Europe. Parmi les huit pays représentés, l’Espagne arrive en tête. La France est le deuxième pays d’édition. Viennent ensuite la Belgique, la Hollande et l’Italie. Les pays les plus faiblement représentés sont l’Angleterre, l’Allemagne et le Danemark. Parmi les villes d’édition les plus citées, on trouve : pour l’Espagne Madrid, Barcelone, Valence ; pour la France : Paris, Lyon ; pour la Belgique, Anvers, Bruxelles et Amsterdam pour la Hollande. Les livres qui sont publiés à Amsterdam peuvent être en français ou en anglais. Il en est de même pour certains livres publiés à Londres. Le lieu d’édition n’implique pas l’utilisation de la langue du pays.
39Concernant les langues lues, le castillan est la plus employée dans les ouvrages. Souvent d’ailleurs lorsque le rédacteur de l’inventaire trouve un livre en castillan, il ne juge pas bon de le préciser. Mais le point important que révèlent les bibliothèques d’ingénieurs est l’aptitude de ceux-ci à lire des ouvrages en langues étrangères. Le français apparaît comme la première langue étrangère à connaître pour eux. Cette langue est le véhicule le plus employé au XVIIIe siècle en Europe pour diffuser les sciences et les idées nouvelles. Dans toutes les cours d’Europe, on parle le français. Mais il est vrai qu’en Espagne parler une langue étrangère, en dehors des sommets de l’État, est rare. Or les principaux ouvrages scientifiques concernant les ingénieurs sont le plus souvent en français ; c’est une nécessité professionnelle de parler au moins cette langue. L’italien est souvent le véhicule utilisé pour les livres d’art et d’architecture. Ses compétences linguistiques font de l’ingénieur un lecteur rare. Pour mettre à la portée de tous certains livres essentiels au développement du pays, la monarchie encourage aussi les traductions. Le corps du génie, vu ses compétences, contribue à cette tendance. Ainsi les ouvrages nécessaires à leur profession sont-ils publiés en castillan et peuvent se répandre plus vite. Il ne faut pas oublier ici les efforts de la monarchie espagnole dans la deuxième moitié du siècle pour encourager la propagation des savoirs scientifiques qui se développent en Europe66. Le corps des ingénieurs est également mis à contribution pour la rédaction des manuels scientifiques. On rencontre aussi un autre cas de figure : celui de l’ingénieur étranger qui a dû apprendre le castillan, en plus du français et de sa langue maternelle. Dans les bibliothèques des ingénieurs étrangers, on remarque la présence de livres en langue maternelle : anglais pour Ricardo Ailmer Burgo67 ou italien pour Francisco Sabatini.
40Plus les inventaires sont importants, plus apparaissent des ouvrages anciens en langue ancienne, surtout le latin, parfois le grec, exceptionnellement l’Hébreu. Ces lectures révèlent des hommes marqués par une éducation humaniste, comme Francisco Sabatini ou José Agustín Hermosilla ou encore Pedro Martín Cermeño. Ce trait du lecteur n’est pas une exception dans la noblesse cultivée de l’époque. Il fait partie de son éducation. L’étude du passé liée à celle des ouvrages récents constitue une des caractéristiques de l’homme éclairé du XVIIIe siècle espagnol.
41Le contenu des bibliothèques des ingénieurs révèle l’aspect professionnel de leurs lectures68. Des thèmes reviennent presque systématiquement : mathématiques, génie militaire, artillerie, architecture et tout ce qui touche à l’organisation de l’armée. On peut dire qu’ils sont les dominantes de ces bibliothèques avec celle de la prépondérance des livres en langues étrangères. Manuel-Reyes García Hurtado évoque le fait que les écrits militaires du xviiie siècle en Espagne viennent des écoles françaises, prussiennes ou anglaises. Les militaires espagnols ne se mettent à produire que dans la deuxième moitié du siècle69. Au XIXe siècle, d’après le travail de Jesús A. Martínez Martín70, l’aspect professionnel des bibliothèques de techniciens, avec une dominante d’ouvrages étrangers, se confirme très nettement.
42Le déchiffrage des listes de livres a permis de dégager des lectures récurrentes chez les ingénieurs. Dans le domaine du génie militaire, Vauban apparaît comme un des maîtres à penser. Des ouvrages comme Traité de l’attaque et de la défense des places sont très répandus, y compris sous la forme adaptée par l’abbé Du Fay71. La traduction d’Ignacio Sala en castillan en 1743 permet au traité de Vauban de remporter un vif succès dans le génie. Pour l’œuvre de John Muller, le système est le même. Son Traité de fortification écrit en anglais paraît en 1769 traduit par Miguel Sánchez Taramas. Bélidor est le troisième auteur le plus représenté dans les inventaires. Cet homme publia entre 1728 et 1737 des ouvrages qui deviendront les livres de chevet des ingénieurs français72 et espagnols : La science des ingénieurs, L’architecture hydraulique ou l’art de conduire, d’élever et de mener les eaux, Dictionnaire portatif des ingénieurs. Parmi les autres auteurs français lus par les ingénieurs, on peut citer : Leblond, Clairac, Lefebure, Deidier73. Manesson Mallet aide l’ingénieur en lui découvrant des pratiques de terrain dans son ouvrage Les travaux de Mars ou l’art de la guerre paru en 1684 à Paris. Pedro de Lucuce, ingénieur espagnol et un des maîtres de l’académie de Barcelone, impose ses Principios de fortificación74 comme une autre référence possible surtout pour les jeunes recrues passées par l’académie. Sebastián Fernández de Medrano figure aussi dans les inventaires à la fois pour El arquitecto perfecto en el arte militar, Geografía o moderna descripción del Mundo, Elementos geometricos de Euclides. Des plans de fortifications étrangères et espagnoles se trouvent dans les bibliothèques de ces hommes. Ils servent de référence à leur travail. Les ouvrages de mathématiques sont indispensables aux travaux des ingénieurs. Euclide reste une valeur sûre des études mathématiques. Une fois de plus, on cherche des maîtres à l’extérieur comme Bélidor, Ozanam, Deidier, Lami. Bélidor publie en 1725 à Paris son Nouveau cours de mathématique à l’usage de l’artillerie et de génie. Jacques Ozanam a rédigé des ouvrages de référence comme son Dictionnaire mathématique en 1691, ou les Récreations mathématiques et physiques en 1694, ou encore La géométrie pratique publiée après sa mort (1718), en 1736. Quant à l’abbé Deidier, on le retrouve pour la publication en 1740 de son Calcul différentiel et le calcul intégral. On travaille aussi sur les Éléments de mathématiques ou traité des magnitudes en général de Bernardo Lami paru en 1741 à Paris ou encore ses Éléments de géométrie. Mais on voit aussi poindre des mathématiciens espagnols comme Bails qui écrit avec Capmany un traité de mathématique à l’usage des écoles d’infanterie en 1772, ou Tosca et son Compendio Matemático de 1727. L’ouvrage de Nicolas Bion75 sur la construction et les principaux usages d’instruments de mathématiques permet de parfaire la pratique des mathématiques appliquée au génie. L’artillerie, autre discipline liée aux travaux militaires des ingénieurs, est représentée entre autres par les Mémoires d’artillerie de Surirey de Saint-Rémy, L’artillerie raisonnée de Leblond, ou L’artillerie nouvelle de Dupuy. La plupart des ouvrages cités permettent aux ingénieurs d’approcher leur profession d’une manière théorique mais aussi d’une façon pratique au travers des expériences des autres.
43Les ingénieurs sont aussi des militaires et en tant que tels, on trouve dans leurs bibliothèques de nombreux textes concernant l’armée. Les ordonnances et règlements royaux, ainsi que ceux d’autres pays, figurent en bonne place parmi les ouvrages à caractère militaire. Le recueil des textes législatifs sur l’armée faits par José Antonio Portugués ou les ordonnances de 1762 et de 1768, y compris celle du corps du génie ou encore le règlement du mont-de-piété de 1761 se retrouvent couramment dans les inventaires. De même, il existe des références au statut des militaires en Prusse sous Fréderic II, qui, rappelons-le, est un modèle en cette fin de xviiie siècle. Ensuite viennent les récits de militaires. Le chevalier de Folard semble être un écrivain très prisé dans le monde militaire espagnol. Ses ouvrages sont cités à plusieurs reprises : Nouvelles découvertes sur l’art de la guerre en 1724 où il expose sa tactique à partir d’exemples de bataille ; ou encore L’histoire de Polybe avec commentaires paru entre 1727-1730 une étude remarquable des principes de l’art de la guerre. De même, un extrait de ses œuvres appelé L’esprit du chevalier de Folard publié en 1761 par Frédéric II de Prusse remporte un vif succès. Les Réflexions militaires du marquis de Santa Cruz ou les mémoires du marquis de Feuquières ou de Montecuccoli sont autant d’exemples de terrain à lire76.
44Le génie civil est représenté par des ouvrages comme ceux de Gauthier La construction des chemins et des ponts. Augustin-Charles Daviler marque aussi les ingénieurs avec son cours d’architecture et son dictionnaire d’architecture civile et hydraulique. D’ailleurs, l’architecture est fortement représentée dans certains inventaires comme ceux de Francisco Sabatini, de Pedro Martín Cermeño ou José Agustín Hermosilla y Sandoval. On retrouve ici des auteurs anciens, modernes et contemporains. Vitruve semble constituer une base avec Vignole, Serlio et Palladio. Vitruve reste une référence avec son De architectura du premier siècle avant notre ère et a fait l’objet de nombreuses études dont celle de Claude Perrault au xviie siècle77. Vignole est célèbre pour son Traité des cinq ordres d’architecture publié en 1563. Palladio écrit son traité en 1571 tandis que Serlio, en 1537, publiait le sien. Par la suite Serlio publie, en 1551, son recueil de cinquante dessins de portes. On remarque dans l’inventaire de Sabatini un grand intérêt pour l’architecture et les bâtiments italiens ce qui est logique pour cet architecte, ingénieur militaire et italien. Perrault, Blondel, Frézier, Benavente, Bails78 sont des auteurs familiers de Sabatini comme de ceux qui s’intéressent à l’architecture civile.
45Pour les bibliothèques les plus importantes, les choix des ingénieurs se portent ensuite sur les livres de sciences (physique, chimie, botanique), d’art, d’histoire et de géographie. Les sciences apparaissent avec les ouvrages de La Hire, Copin, Pluche, Derdieu, Lope79 y apparaissent. On remarque un attrait certain pour l’art de l’Antiquité et les fouilles archéologiques, les palais italiens ou la peinture anglaise. Dans les rayonnages de Francisco Sabatini et de Pedro Martín Cermeño, on retrouve les fouilles d’Herculanum, grâce à un ouvrage relatant les dernières découvertes archéologiques, dont la valeur est estimée à 3.000 réaux. Le recours aux ouvrages gréco-latins permet d’aborder l’histoire ancienne avec César, Polybe, Flavius Josèphe, Tite-Live, Xénophon ou Salluste80. D’autres périodes historiques intéressent ces techniciens, tels l’histoire de l’Espagne bien sûr, celle du Mexique, ou encore de pays européens comme la France, la Suède, l’Irlande ou la Prusse81. Les ingénieurs qui ont très largement contribué à la cartographie des espaces dominés par le roi d’Espagne, s’intéressent très normalement à une discipline un peu laissée pour compte au début du xviiie siècle en Espagne : la géographie. Sebastián Fernández de Medrano est une première référence avec sa Breve descripción del mundo publiée en 1688. Une seconde référence est le dictionnaire géographique d’Echard, traduit de l’anglais en castillan en 1730.
46Toujours dans les inventaires les plus importants, les belles-lettres sont bien représentées. Deux catégories sont à distinguer : les dictionnaires et grammaires classés dans cette rubrique et présents dans de nombreux inventaires, et les romans, livres de poésie, ou pièces de théâtre cités dans les grandes bibliothèques. Les dictionnaires tout comme les grammaires sont, pour ces hommes qui sont parfois étrangers, ou qui doivent lire des ouvrages en langue étrangère, des outils indispensables. Le dictionnaire de Sobrino ainsi que sa grammaire castillane et française sont très répandus. La présence d’autres grammaires française, italienne, anglaise ou castillane ainsi que de dictionnaire des synonymes français sont bien la manifestation des besoins de ces hommes confrontés au maniement de plusieurs langues. Les goûts littéraires des ingénieurs sont assez variés. Les œuvres antiques d’Homère, des fabulistes Ésope ou Phèdre, d’Aristophane sont bien sûr présentes comme dans toutes les bibliothèques des humanistes de l’époque pour lesquels ces ouvrages furent à la base de leur éducation. Mais l’intérêt de certains ingénieurs se porte aussi sur des auteurs plus contemporains avec une certaine préférence pour les lectures espagnoles et françaises. Les aventures de Télémaque de Fénelon apparaissent comme un best-seller tout comme Don Quichotte de Cervantes. Saavedra Fajardo et sa république littéraire ainsi que le théâtre de Quevedo ont séduit les ingénieurs tout comme les œuvres de Molière, Racine, Boileau, La Fontaine. Montesquieu n’est pas oublié ainsi qu’une certaine ouverture sur les idées nouvelles, y compris sur l’éducation, avec le traité d’éducation des jeunes filles de Marie Leprince de Beaumont appelé Magasin des enfants publié en 1757.
47La religion est peu représentée dans les lectures des ingénieurs. Les livres de base comme les Évangiles ou la Bible sont les plus courants. Dans certaines bibliothèques comme celles de Francisco Sabatini, de Pedro Martín Cermeño ou de Miguel Roncali, le nombre d’ouvrages religieux augmente et se diversifie : des commentaires de conciles – celui de Trente, le plus souvent –, des vies de saints, des livres de mystique comme celui de Kempis, Imitation du Christ.
48Après ce rapide aperçu des bibliothèques des ingénieurs, les inventaires apportent plus de précision sur certaines d’entre elles et donnent une dimension plus réaliste de leur diversité (voir la base de donnée sur le site web de la Casa de Velázquez). Cependant il faut en retenir que quelques grandes lignes : tout d’abord, la prédominance de l’aspect professionnel des lectures ; ensuite la présence de nombreux ouvrages en langues étrangères, qui apportent une idée des compétences nécessaires de l’ingénieur mais aussi une indication sur l’importance et la qualité des productions techniques extérieures ; enfin la nécessité pour ces hommes d’être en contact avec les progrès de leur temps. La grande variété de certains inventaires nous montre un ingénieur soucieux de sa culture humaniste, un homme curieux de tout, à l’image des ilustrados auxquels il espère appartenir. L’ingénieur est un technicien obligé de s’instruire pour être à la hauteur de sa tâche. Plus il s’élève dans la hiérarchie, plus il appartient à une certaine élite intellectuelle.
Notes de bas de page
1 AGS, GM, 2998, soldes de l’ingénieur en chef avec commandement de brigade et grade de lieutenant-colonel : 130 écus par mois, 6 rations de pain et d’avoine ; pour l’ingénieur en second et grade de capitaine : 100 écus par mois et 4 rations ; l’ingénieur tierce et lieutenant : 65 écus par mois et 2 rations.
2 Les soldes des artilleurs en 1709 : colonel 75 écus par mois, lieutenant-colonel 40, capitaine 30, lieutenant 20. Les soldes des ingénieurs en 1710 : colonel et directeur 130, lieutenant-colonel et en chef 100, capitaine et en second 65, ordinaire et lieutenant 50. Les soldes de l’infanterie en 1718 : colonel 110 écus, lieutenant-colonel 80, capitaine 55, lieutenant 38, sous lieutenant 30. Chiffres établis par Horacio Capel dans ID. et alii, De Palas a Minerva, p. 300.
3 J. A. Portugués, Colección general de las ordenanzas militares, t. VI, p. 799.
4 AGS, GM, 2998, le document écrit par Felipe Crame ne porte pas de date. On peut supposer qu’il a été écrit avant 1762, année de son décès. Mais on peut aussi mieux cerner la période, comme proche de 1756, car il fait référence au corps des artilleurs et ingénieurs.
5 AGS, GM, 2998, les requêtes de Felipe Crame ont peut-être été reprises par Maximiliano de la Croix puisqu’en 1764, celui-ci envisage des soldes pour les colonels directeurs de 220 écus dont 40 de gratification, et pour les colonel et ingénieur en chef 200 écus dont 20 de gratification. Mais il semble que ces deux hommes n’aient pas été entendus du pouvoir. Un écu équivaut à 10 réaux de billon.
6 AGMS, 9a, M 52, Miguel Marín Truq a dû utiliser la dot de sa première femme d’un montant de 20.000 réaux pour faire face à l’éducation des quatre fils qu’ils avaient eus. Il le rappelle dans son testament.
7 Antonio de Murga est lieutenant-colonel et ingénieur en second. Nommé en 1765 pour le Guatemala, il part de Cadix en 1766. Sa femme Joaquina Sotelo et ses enfants restent vivre à Ceuta. Il revient en Espagne en 1772 (AGI, Indiferente, 1906).
8 AGI, 1905, Antonio Leyba, lieutenant et ingénieur extraordinaire, manchot, est un protégé du comte de Ricla, qui est nommé à La Havane. Sa mère vit en Catalogne.
9 AGMS, 9a, M 52, Miguel Marín Truq, 1752.
10 AGS, GM, 3230, Miguel Marín écrit à Sebastián de Eslava en janvier 1758 depuis Saragosse. Il est alors ingénieur directeur.
11 AGI, Indiferente, 1906, Juan Amador Courten est nommé dans la province de Caracas en 1735. Alors qu’il travaille au projet des fortifications du château de San Felipe de Puerto Cabello, il subit l’affront de voir sa femme, son fils et son beau-frère Vicente Ignacio González enfermés en prison pour dettes et de voir ses biens saisis pendant son absence. Miguel María Atero, directeur sous-inspecteur, meurt en 1844. Il est alors précisé qu’on lui doit 66.736 réaux de soldes et de nombreuses rations de pain, paille et avoine (AGMS, exp. pers. A 2642).
12 AGS, GM, 3237, Marc-Antoine Eydoux, ingénieur extraordinaire en 1735. Il n’y a plus de traces de lui après 1740.
13 AGS, GM, 3236, Juan de Zahoras est ingénieur extraordinaire et est suspendu en août 1739. Il retrouve son emploi en octobre 1739. Son voyage est pris en charge.
14 AGS, GM, 2991, Nicolás Constantini, ingénieur ordinaire, noble d’origine sicilienne, est tué par l’ingénieur Leclerc en 1723. Leclerc avait prêté de l’argent à Constantini en échange de quoi ce dernier avait signé une reconnaissance de dettes. Un soir, il vient chez Leclerc pour essayer de voler sa reconnaissance de dettes. Les deux hommes se battent et Nicolás Constantini meurt. Le supérieur de Leclerc, D’Harcourt, dit que Constantini avait déjà à plusieurs reprises tenté d’assassiner ses créanciers et commis toutes sortes de lâchetés.
15 AGS, GM, 3239, Francisco Ibáñez est alors ingénieur en second. Nous avons peu de renseignements sur lui à part sa mauvaise conduite.
16 AGS, GM, 3806, José García Martínez de Cáceres, ingénieur en second, nommé en 1788 à Buenos Aires où il reste au moins jusqu’en 1802 : « correspondencia con los ingenieros destinados a Montevideo y en las partidas de la demarcación de límites sino tambien en el abastecimiento de papel, colores, cuios para la formación de planos de que este archivo se hallara absolutamente desprovisto ».
17 AGS, GM, 3002.
18 Références faites aux ordonnances du génie 1768, tit. II, Sueldos, raciones y existencia. Au chap. 24, De l’instrucción de cuenta y razón en los ajustes de provisión del ejército (20 février 1786).
19 AGMS, exp. pers. P 768. Les ingénieurs Agustín Esparza, José de la Fuente Pita et Francisco Castelar ont reçu, en septembre 1801, pour leur commission extraordinaire de relevé de la frontière du Portugal et de la Galice 30 maravédis pour la ration de pain, 36 réaux pour l’avoine et 2 réaux pour la paille nécessaires par jour.
20 AGS, GM, 3002, art. 3, tit. VIII des ordonnances de l’armée.
21 AGS, GM, 3002, Fausto Caballero réclame, en 1788, un remboursement pour ses frais de voyage d’Espagne jusqu’aux Canaries qui se montent à 7.500 réaux pour lui et sa famille sur un bateau de commerce. Les services royaux répondent que l’officier aurait dû prendre un bateau courrier ou de guerre conformément aux art. 7 et 8 du traité 1er, tit. VIII des ordonnances de l’armée de 1768. L’ingénieur ne reçoit aucun dédommagement.
22 H. Capel Sáez et alii, De Palas a Minerva, pp. 298-304.
23 Les ingénieurs en Amérique étaient parfois sollicités pour dresser les plans de maisons privées de riches familles. Cependant, sur ce point, seules les recherches de Ramón Gutiérrez peuvent apporter plus de données.
24 AGMS, 9a, M 86 : « declaro que todos los referidos bienes han sido adquiridos […] por ventas permutas y otros contratos y maior parte con dinero que de sus ahorros me dejo y herede de mi difunto padre y señor y no de los mios porque las muchas ocurrencias que tube y del real servicio en que he sido empleado no me permitieron ahorrar alguno para hacer estos empleos ».
25 Ibid. : « También declaro no deber ni ser responsable al rey mi señor de cantidad alguna ni por vía de restitución aunque he manejado muchos caudales de S.M. ni tampoco al público ni particulares por perjuicios voluntarios en mi ni por adelantos, o aprovechamientos que llaman gages porque gracias a Dios nunca he usado de ellos ».
26 AGS, GM, 3076, Relación de los servicios y méritos del teniente coronel de ingenieros Don Carlos Lemaur.
27 M. Zylberberg, Une si douce domination, pp. 98 et 180-181.
28 AGMS, exp. pers. L 577, Carlos Lemaur y Lamuraire.
29 AGMS, Pensiones, 1186/9/1786.
30 M. Zylberberg, Une si douce domination, p. 179.
31 AGMS, 9a, L 143.
32 AGMS, 9a, J 54, Miguel Juárez Sandoval.
33 AHPM, 24836.
34 AGMS, 9a, M 86, testament de 1787. Pedro Martín Cermeño meurt en 1790 à La Corogne. Il déclare : « haviendome hecho ver la experiencia que el medio más correspondiente para que en todos tiempos aiga memoria de los hombres y familias era amaiorasgar sus vienes y deseando yo se mantenga y aiga siempre la de mis padres y abuelos ».
35 Ibid. : « la de mis padres y abuelos que en servicio de su Rey y Señor y con la espada en la mano adquirieron parte de los vienes que poseio ».
36 AGMS, 9a, S 1, Francisco Sabatini, mort en 1797, testament fait en 1795 : « en quanto las familias y memoria de las personas ilustres se conservan, y perpetuan, teniendo fondos para alimentarse con la decencia correspondiente a su distinguida calidad y nacimiento, […] que se conserve y perpetue, obtube de SM reynante, el señor Carlos IV real facultad en veinte y cinco de enero de mil setecientos noventa y uno para fundar dos mayorazgos… ». J. A. Ruiz Hernando, « La testamentaría de Francisco Sabatini ».
37 Les capitaux sont investis : à Madrid actions de la compagnie de la Buena Fe de Artífices y Plateros ; à Vienne, dans la banque de la Casa Ayuntamiento ; à Paris dans les rentes du roi de France ; à Venise, à la Casa de la Moneda y Depósito Viejo del Proveedor del Oro y de la Plata ; à Naples dans la Gavela de un Grano, et dans la banque del Popolo. Ces investissements vont être moins rentables à cause des guerres révolutionnaires.
38 Nous avons trouvé des traces des biens fonciers dans quelques inventaires : celui d’Agustín y Abendaño a hérité, dans la province de Tolède (Polán), d’une maison et d’un terrain planté de 600 oliviers et de 7.000 ceps de vigne dont le produit est de 17.000 réaux par an (AHPM, 24836). Francisco Rodríguez Cardoso possède plusieurs biens à Montevideo quatre maisons, et à la proximité de Montevideo, un verger et des maisons, une ferme d’élevage pour chevaux et d’autres troupeaux. Ces biens sont évalués par l’ingénieur lui-même : 30.000 pesos, soit 450.000 réaux. Il fonde une chapellenie pour son fils dans sa propre maison ; coût 2.500 pesos, soit 37.500 réaux (AGMS, Pensiones, 1184/1/1785).
39 M. GIL Muñoz, Perfil humano de la oficialidad, pp. 140-173. Analyse des inventaires de biens.
40 M. García Hernández, Herencia y patrimonio familiar en la Castilla del Antiguo Régimen, pp. 38-39. Le marquis d’Águila Fuente, don Manuel de Zúñiga, a une fortune estimée à 104.806 réaux. Le juge de Chancellerie, Diego Carraza y Vega, a un inventaire qui atteint les 625.184 réaux.
41 AGMS, 9a, M 79, Peintures et estampes : six planches originales de Brilli, six toiles de Matías de Torres, une vingtaine de toiles sans descriptif, deux papiers de Chine encadrés, un portrait de saint Pierre, un de sainte Rose, une descente de croix, une toile de saint Sébastien, une de saint Bruno, et deux autres petites peintures.
42 AGMS, 9a, M 86 : quatre cadres de cuivre de batailles 1.200 réaux, trois portraits de son père 1.600 réaux, un du marquis de la Mina 80 réaux, six cadres sur l’histoire des Dieux de l’Antiquité 300 réaux, un portrait de Carlos III 40 réaux, l’Adoration des Rois 260 réaux, un portrait de saint Pierre 200 réaux, la déesse Cérès couronnée de fleurs, saint Bruno, quelques paysages, des cadres en acajou avec des canons, un cadre de sa Majesté à cheval, ainsi que d’autres peintures pour un total de 11.065 réaux.
43 Les frères Michel étaient sculpteurs des rois d’Espagne et ont dirigé l’académie de San Fernando. Roberto (1720-1786) était sculpteur de Ferdinand VI et de Charles III. Pedro (1728- 1809) est celui de Charles IV. Lequel a fait ce buste ? En tout cas, il valait 1.000 pesos.
44 Dans l’inventaire des biens de Pedro Martín Cermeño, il y a aussi les planches des différents costumes régionaux espagnols.
45 AGMS, 9a, A 27 : deux montres à répétition en or avec diamants, une montre à répétition en sourdine avec boîtier en or et diamants, un montre en or et garnie de pierres blanches et d’un portrait, trois autres montres en or ; plusieurs chaînes de montre en or sont inventoriées.
46 Ibid. : onze porte-crayons, une équerre, un crayon en métal qui sert de pointe à tracer, un pentomètre en argent, une boîte de compas, une boîte d’encre de Chine, trois crayons d’ivoire, un en acier, onze en bois, des petits bois pour les couleurs.
47 AGMS, 9a, A 27, Antonio Saliquet achète le grand uniforme d’ingénieur pour 380 réaux. Agustín Bueno, Juan Ordovás, Tomás Buzunariz, Ricardo Ailmer, Francisco Torres et Miguel Taramas achètent des livres scientifiques mais aussi des dictionnaires, des livres religieux. Tomás Buzunariz, Francisco Gelavert achètent les instruments de travail. Enfin, Tomás Buzunariz achète des coffres.
48 AGMS, 9a, M 52 : trois portraits pour 300 réaux, un portrait du roi 150 réaux, un grand cadre de la Vierge et naissance de l’Enfant Jésus 24 réaux et quatre planches. Si on prend l’inventaire de José Hermosilla y Sandoval, on retrouve des peintures religieuses (La sainte Trinité, Moïse et le peuple d’Israël, Notre Dame de Grenade, portraits de saint Joachim, sainte Anne, saint Joseph), officielles (Ferdinand VI et Bárbara de Bragance), des paysages (des marines). Les peintures représentent la somme de 600 réaux, soit 5,6 % de ses biens. Nous avons trouvé aussi un certain nombre d’objets religieux : une croix de bronze, une médaille du Bienheureux Rojas, un rosaire de Jérusalem avec sa croix, une médaille de Notre Dame de Guadalupe.
49 Estudio histórico del Cuerpo de Ingenieros del Ejército, pp. 591-598. Voir aussi dans la première partie de ce travail les pages sur la description de l’uniforme.
50 Dans l’inventaire de José Hermosilla y Sandoval, le petit uniforme presque neuf est évalué à 600 réaux (veste et casaque) ; le grand uniforme sans manches à 1.000 réaux. Ces deux uniformes presque neuf ne sont pas entiers mais cela nous donne une idée des prix (AGMS, 9a, E 35).
51 A. BLanchard, Les ingénieurs du Roy, pp. 313-314. Elle cite les instruments des ingénieurs français. L’étui de mathématiques contient compas, compas de proportion, porte-crayon, pied de roy ou demi-pied, fabriqués en différents métaux selon la fortune de l’ingénieur. Les ingénieurs utilisent aussi des compas plus volumineux à pointe d’acier, des règles de cuivre ou de bois, diverses plaques de cuivre avec des formes géométriques. Il a aussi de quoi travailler la couleur : encre de Chine, carmin, canifs et grattoirs, ciseaux et autre matériel de peinture. Sur le terrain, il utilise des instruments de lever.
52 AGMS, 9a, E 35 : un étui de mathématiques 200 réaux, un quart de cercle en métal 100 réaux, quatre compas 100 réaux.
53 AGMS, 9a, P 83 : douze règles d’acajou, deux étuis avec des pièces de métal, trois pièces de métal pour faire des calculs, le tout évalué à 306 réaux.
54 AGMS, 9a, R 200 Miguel de Roncali a une foi religieuse certainement importante puisqu’il possède un reliquaire, plusieurs toiles : une de saint Joseph, de saint Antoine, de Notre Dame du Carmen, de Notre Dame du Pilier, de Jésus. Il y a aussi dans son inventaire quatorze petits cadres de portraits de femme, quarante-deux de natures mortes.
55 Ces plans sont attachés à une fonction donc ils sont souvent remis au successeur. Ce sont les archives des travaux. Parfois des ingénieurs emportent ces documents mais il faut supposer qu’il s’agit de double ou de leur propre travail, sinon ils devaient être rappelés à l’ordre. D’ailleurs, si les inventaires sont faits par des personnels militaires souvent accompagnés d’un ingénieur c’est pour éviter que des documents professionnels ne soient intégrés à l’héritage.
56 AGMS, 9a, R 200, Miguel de Roncali ingénieur directeur possède trois rouleaux de plans et cartes des places d’Espagne, Amérique, côtes d’Afrique ; AGMS, 9a, A 27, Clemente Aedo y Espina possède les plans de Narbonne et de Toulouse ; AGMS, 9a, M 86, Pedro Martín Cermeño possède un grand nombre de plans. Bien sûr, il y a des plans sur la Galice puisqu’il est capitaine général. Mais on retrouve un certain intérêt pour Melilla, patrie de sa mère : plusieurs plans faits par Juan Bautista Dufresne ou Juan Caballero. Il y a aussi de nombreux plans de Catalogne et plus particulièrement Barcelone. Les autres plans correspondent à différentes parties du royaume où Pedro Martín Cermeño fut en poste. On peut lui en attribuer un certain nombre.
57 AGMS, 9a, M 86. Dans l’inventaire de Pedro Martín Cermeño, on présente les différentes boîtes d’archives de cet ingénieur où il a conservé des papiers personnels, de la comptabilité, et sa correspondance. Cette dernière est composée de cartes de félicitations pour son mariage, de cartes de vœux, de lettres échangées avec sa famille et d’une nombreuse correspondance professionnelle. On voit aussi qu’il échange une correspondance avec Paris. Sa correspondance avec des membres éminents du gouvernement est liée à sa fonction de capitaine général. En revanche, on peut constater qu’il connaît un certain nombre de personnes appartenant à la haute noblesse comme duchesse de Santisteban, marquise de Perales, comte d’O’Reilli.
58 M.-H. Garcia, Les bibliothèques de militaires espagnols au xviiie siècle, a étudié les inventaires de Pedro Martín Cermeño, de José Agustín Hermosilla y Sandoval, de Miguel Marín Truq, Clemente Aedo Espina, Gerónimo Amici, Ricardo Ailmer Burgo, Diego Parfondri que nous lui avions confiés.
59 M.-R. García Hurtado, El ejército y la literatura histórica española en el siglo xviii.
60 J. L. García Hourcade et J. M. Vallés Garrido, Catálogo de la biblioteca dieciochesca del Real Colegio de Artillería de Segovia, t. I ; M. D. Herrero Fernández-Quesada, Catálogo de la biblioteca dieciochesca del Real Colegio de Artillería de Segovia, t. II.
61 F. Aguilar PIñal, La biblioteca de Jovellanos ; J. M. Muñoz Corbalán, La biblioteca del ingeniero general Jorge Próspero Verboom.
62 J. de Viguerie, Histoire et dictionnaire du temps des Lumières ; F. Moureau (éd.), Dictionnaire des lettres françaises. Le xviiie siècle.
63 J. A. Ruiz Hernando, « La testamentaría de Francisco Sabatini ».
64 Pour classer les bibliothèques, nous n’avons pas repris la classification de François Furet dans son étude de la « librairie » du royaume de France au xviiie siècle. Nous avons préféré faire une classification plus proche des thèmes des ouvrages (voir la base de données relative aux ingénieurs militaires sur le site web de la Casa de Velázquez).
65 Voir M.-H. Garcia, Les bibliothèques de militaires espagnols au xviiie siècle.
66 M.-R. García Hurtado, El ejército y la literatura histórica española en el siglo xviii, pp. 185-197. La création de l’éphémère Real Sociedad de Matemáticas à Madrid (1757-1760) donne à des artilleurs et des ingénieurs la charge de rédiger des traités scientifiques tenant compte des progrès de l’époque. C’est un échec dû à l’intervention de Ricardo Wall entre autres. La création de l’académie d’Ávila (1774-1779) sous la direction du comte d’O’Reilly regroupe d’excellents officiers chargés de faire des compilations des ouvrages qui sont publiés en Europe et de créer des ouvrages sur l’art militaire des autres pays européens. Ainsi on offrait aux militaires espagnols une meilleure connaissance des autres armées. Mais cette expérience se termine sans laisser de publications.
67 Dans l’inventaire de Ricardo Ailmer Burgo, on a la répartition par langues des titres : 23 en français, 10 en anglais, 7 en castillan. Ici on a un homme de langue anglaise, imprégné de la science française et travaillant comme ingénieur en Espagne.
68 Proportion livres professionnels / autres dans les inventaires de petites tailles : inventaire de Diego Parfondri 13/23 ; Clemente Aedo Espina 40/72 ; Miguel Juárez y Sandoval 16/24 ; Carlos Saliquet 14/19 ; Ricardo Ailmer 16/40.
69 M.-R. García Hurtado, El ejército y la literatura histórica española en el siglo xviii, pp. 268-270.
70 J. A. Martínez Martín, Lectura y lectores en el Madrid del siglo xix, pp. 110-114. Le pourcentage des livres techniques dans la bibliothèque des architectes et ingénieurs est très important. L’auteur a trouvé des bibliothèques où comme dans celle de l’ingénieur des forêts José Ezquerra ne figurent aucun livre de philosophie, de religion ou de littérature. Quasiment un livre sur deux en matière scientifique est en langue étrangère : français et italien dominants.
71 L’abbé Du Fay, Manière de fortifier selon la méthode de Monsieur de Vauban.
72 A. Blanchard, Les ingénieurs du Roy, pp. 316-318, étude des bibliothèques des ingénieurs.
73 Abbé Leblond, Elemens de fortification ; Id., Elemens de la guerre des sièges, contenant l’artillerie, l’attaque et la défense des places ; Traité de la défense des places. B. F de Bélidor, Dictionnaire portatif de l’ingénieur. L. A. de La Mamye de Clairac, L’ingénieur de campagne ou traité de la fortification passagère. Lefebure, Œuvres complètes. L’art d’attaquer et de défendre les places, Essai sur les mines. Abbé Deidier, Le parfait ingénieur francois ou la fortification offensive et défensive.
74 P. de Lucuce, Principios de fortificación.
75 N. Bion, Traité de la construction et des principaux usages de la construction des instruments de mathématiques.
76 Á. Navia Osorio, marqués de Santa Cruz, Reflexiones Militares ; Marquis de Feuquières, Mémoires de M. le Marquis de Feuquières, lieutenant general des armées du roi. Contenant ses maximes sur la guerre et l’application des exemples aux maximes ; Montecuccoli, Memorias.
77 Claude Perrault a écrit en 1673 Les dix livres d’architecture de Vitruve puis en 1683, L’ordonnance des cinq espèces de colonnes.
78 J.-F. Blondel, Cours d’architecture ; M. Benavente, Elementos de arquitectura civil ; A.-F. Frezier, La théorie et la pratique de la coupe des pierres et des bois pour la construction des routes et autres parties des bâtiments civils et militaires ou traité de stéreotomie à l’usage de l’architecture ; B. Bails, Arquitectura civil.
79 Derdieu, Mesure des solides ; Id., La mécanique générale ; P. de La Hire, Traité de mécanique ; Copin, Elementos de ciencias ; Abbé Pluche, Le spectacle de la nature ou entretiens sur les particularités de l’histoire naturelle ; Id., L’histoire du ciel. Le premier ouvrage cité correspond à une encyclopédie destinée à la jeunesse en 8 tomes. Le second est une étude des différentes religions et systèmes du monde. Tadeo Lope est un ingénieur militaire, au départ, qui devient ingénieur cosmographe. Mais c’est surtout son savoir scientifique qui l’amène à enseigner au Seminario de Nobles de Madrid. Cet homme est à la pointe des savoirs. Il traduit les Éléments de physique théorique et expérimentale de Sigaud de Laffond en 1787-1789. En 1792, il fait un résumé des expériences de Sigaud de Laffond sur les phénomènes électriques. Entre 1793-1795, il traduit Les leçons d’histoire naturelle et de la chimie de Fourcroy.
80 César est présent au travers des commentaires de la guerre des Gaules. Flavius Josèphe, historien juif, est resté célèbre pour sa description de la guerre juive contre Rome ou les Antiquités judaïques. Tite-Live et Salluste présentent chacun l’intérêt de dresser une partie de l’histoire de Rome. Xénophon contribue au mythe de Cyrus avec la Cyropédie.
81 Juan de Mariana est le plus représenté des auteurs pour son histoire de l’Espagne, publiée en 1669. Pour l’histoire universelle, Jacques-Bénigne Bossuet et Claude-François-Xavier Millot sont plusieurs fois cités. Silvester O’Halloran retrace l’histoire de l’Irlande qui intéresse Ricardo Ailmer Burgo ingénieur irlandais. Le marquis de Quincy permet de suivre le règne de Louis XIV et l’ouvrage de Voltaire celui de Charles XII de Suède. Dans les lectures des ingénieurs, on note un intérêt certain pour les règnes de rois guerriers comme les deux cités ici ou encore Fréderic II de Prusse.
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