Chapitre V. La carrière des ingénieurs
p. 183-206
Texte intégral
I. – Les différents échelons du corps du génie
1Le corps du génie possède sa propre direction et une échelle hiérarchique particulière. Les hommes nommés à la tête du corps ont des titres1 et des compétences spécifiques. Certains sont des ingénieurs promus à l’échelon le plus élevé de la hiérarchie comme Georges-Prosper Verboom, Francisco Sabatini, ou encore Juan Martín Cermeño. D’autres sont étrangers au corps comme le comte d’Aranda ou Maximiliano de La Croix.
2Pour l’ensemble des ingénieurs, les échelons à gravir pour atteindre le sommet de la hiérarchie comportent, à partir de 1740, six emplois d’ingénieurs et huit grades militaires. Le choix des vocables pour chaque emploi n’est pas sans rappeler celui fait en France au xviiie siècle2. En effet, outre-Pyrénées, il existe l’ingénieur ordinaire au plus bas de l’échelle, dont le supérieur est l’ingénieur en chef lui-même assujetti à l’ingénieur directeur. Les appellations ainsi données correspondent aussi à la division du territoire français en directions subdivisées en chefferies3. En Espagne, dès le début du xviiie siècle, des échelons intermédiaires ont été rajoutés aux emplois de type français, comme ingénieur extraordinaire, ou en second, ou encore plus tard celui d’aide-ingénieur ou ingénieur dessinateur. On voit bien dans les mots choisis pour désigner chaque fonction la hiérarchie qui s’établit.
3Le directeur supervise tout et donne à l’ingénieur en chef une partie des réalisations, l’ingénieur en second vient aider le précédent. L’ingénieur ordinaire est celui qui a franchi le stade des emplois subalternes comme ingénieurs dessinateurs (ou aides ingénieurs) ou extraordinaires. Il acquiert l’expérience nécessaire pour commander des travaux de chantier. Le mot « ordinaire » peut signifier qu’il s’agit d’un emploi de base avant de poursuivre son ascension. Mais cette vision fondée sur l’étude des mots ne trouve aucun écho dans les textes officiels où les tâches incombant respectivement à chaque emploi ne sont pas définies. Les ordonnances de 1768, sorte de compilation des textes existants, sont les premières qui abordent l’organisation générale du corps avec la reprise des équivalences militaires4 d’une manière identique à celles données en 1756. Ces ordonnances restent cependant très vagues quant aux rôles attribués à chaque emploi. Cet oubli volontaire est-il lié à l’intention de laisser à l’ingénieur directeur la liberté d’employer chacun selon ses compétences ? Ou bien faut-il y voir une pratique courante du pouvoir ? Ou encore est-ce lié à la polyvalence implicite du corps qui rendrait difficile de préciser toutes les charges touchant l’ingénieur ? La nécessité de laisser à ce corps la capacité de gérer son personnel avec souplesse semble être l’explication la plus plausible.
Tableau 11. – Équivalence des emplois et gardes pour le corps du génie
Emplois en 1768 | Grades militaires dans l’infanterie (équivalence établie en 1756) |
Aide-ingénieur | Sous-lieutenant |
Ingénieur extraordinaire | Lieutenant |
Ingénieur ordinaire | Capitaine |
Ingénieur en second | Lieutenant-colonel |
Ingénieur en chef | Colonel |
Ingénieur directeur | Colonel, brigadier ou officier général comme maréchal de camp |
Sources Élaboration à partir des textes législatifs.
4Ingénieur directeur est le seul emploi pour lequel il existe une définition des différentes attributions (à la fois dans l’ordonnance de 1718 et celles de 1768). Ingénieur directeur est l’emploi le plus élevé après celui d’ingénieur général. La charge de directeur est un des maillons essentiels dans l’organisation hiérarchique du corps, et un lien nécessaire entre la province et Madrid. Cet emploi correspond à l’obtention des grades militaires de colonel, brigadier ou maréchal de camp. L’ingénieur nommé à la direction des fortifications d’une province réside dans sa capitale. Il est à la fois le référent pour tout travail accompli et le chef du personnel technique de sa province. Il est un superviseur et un inspecteur. Il engage sa responsabilité. Chaque projet, chaque budget de réparations, chaque plan ou carte passent par ses mains, puis sont envoyés à l’ingénieur général, et archivés dans la province. Les visites des points fortifiés lui permettent d’émettre un avis averti sur les transformations à opérer, sur les besoins en matériel des ingénieurs et d’en discuter ensuite avec l’intendant de la province. Il dresse le budget prévisionnel des dépenses de l’année suivante. L’ingénieur directeur gère aussi la répartition des ingénieurs de la province en fonction des besoins des sites, des commissions particulières et des compétences de chacun. Chaque ingénieur de la direction est jugé par son directeur non seulement sur son application mais aussi sur sa conduite. Un ingénieur peut être sanctionné par son supérieur, mis aux arrêts ou libéré. Dans ces cas-là, le directeur doit en faire référence au capitaine général de la province et à l’ingénieur général. Si le directeur s’absente ou décède, il est remplacé par l’ingénieur le plus gradé ou le plus ancien de la province. Étant donné qu’il existe seulement 10 places d’ingénieurs directeurs pour l’Espagne, des ingénieurs en chef ou en second sont amenés à exercer cette charge soit en remplacement, soit en intérim ou encore parce qu’une direction a été divisée et que de nouveaux postes doivent être pourvus.
5Les attributions liées aux autres emplois n’étant définies nulle part, il n’est possible d’approcher chaque emploi que par l’étude de différentes pratiques selon les périodes. Cependant cela ne donne qu’une vision partielle des tâches à accomplir.
6En 1739, la direction de Navarre, province de Guipúzcoa, est confiée à un colonel ingénieur en chef Jaime Sicre5. Ce dernier rédige un bulletin d’information concernant les ingénieurs sous ses ordres. Il y juge des capacités de chacun, tout comme le ferait un ingénieur directeur. Il a sous ses ordres un ingénieur en second et lieutenant-colonel, Antonio Francisco de Vega, et deux ingénieurs extraordinaires, Juan Zahoras et Domingo Ferrari, tous deux sous-lieutenants. Jaime Sicre est très dur lorsqu’il parle des aptitudes de Vega, qui fait partie des ingénieurs d’origine flamande. Il le trouve peu capable en mathématiques, en relevé de plans et en dessin. De plus, il note son manque de capacité à rédiger en castillan. Aux yeux de Sicre, Vega ne peut diriger les travaux des fortifications ou de réparation que l’on confie habituellement à un ingénieur de sa catégorie. De plus, Vega est certes apparu brave au combat mais inconscient du danger. Jugement sévère qui montre les exigences du service. En revanche, Sicre accorde sa confiance à Juan Zahoras, natif du Béarn, âgé de quarante et un ans, pour être assistant sur les travaux des places. Il fait juste remarquer à son égard que les connaissances en géométrie sont en cours d’acquisition. Quant à Domingo Ferrari, recrue venant de Sardaigne, âgé de trente-sept ans, il démontre de réelles capacités dans les tâches qui lui ont été dévolues : la réparation des corps de garde, des casernes ou les parages des fortifications.
7L’examen de la répartition du travail en Galice6 en 1762 donne une autre mesure des tâches attribuées par grade. Encore une fois, un ingénieur directeur n’est pas à sa tête. C’est le colonel et ingénieur en chef, Miguel Moreno, qui dirige le génie en ayant sa résidence à La Corogne puis à Chaves. Il a sous ses ordres le lieutenant-colonel et ingénieur en second Alonso González de Villamar qui a la charge des réparations de la place de Vigo et la fortification d’un pont. Le capitaine et ingénieur ordinaire Agustín de Herrera, au départ nommé à La Corogne, pour s’occuper de la rénovation de certaines batteries, est envoyé aux ordres de Alonso González de Villamar. Le deuxième ingénieur ordinaire, Alejandro Des Angles, a été mis aux arrêts dans la place de Vigo sans que l’on en connaisse les raisons. L’ingénieur extraordinaire Manuel Sánchez est placé sous les ordres de Miguel Moreno comme ayudante de cuartel maestre. Enfin les ingénieurs extraordinaires José Ruiz et Manuel Moreno dépendent de Miguel Moreno à Chaves, avec deux ingénieurs dessinateurs José Borja et Luis Marqueli.
8En 1776, les ingénieurs de la branche dirigée par Francisco Sabatini sont répartis sur plusieurs projets de construction de canaux et de routes. Dans le cas, où sont affectés à une tâche, un ingénieur en chef ou en second, un ingénieur ordinaire, un ingénieur extraordinaire, la direction est confiée au supérieur, la gestion des travaux à l’ingénieur ordinaire et l’assistance ainsi que le dessin à l’ingénieur extraordinaire ou à l’aide-ingénieur7. Dans celui où le nombre d’ingénieurs impliqués est moindre, la gestion des travaux peut incomber à un ingénieur extraordinaire, son supérieur ayant à les diriger. Les aides-ingénieurs assistent le plus souvent leurs supérieurs et se chargent du dessin. Si le binôme nommé sur un projet est composé d’un ingénieur ordinaire et d’un aide-ingénieur, c’est le deuxième qui doit gérer les travaux8.
9Certes la hiérarchie établie entre les différents emplois oblige l’ingénieur à respecter son supérieur, mais pour ce qui est de l’organisation du travail liée aux compétences de chacun et aux besoins concrets, il est évident qu’une grande liberté de choix est possible et qu’il n’y a pas de règles. En effet, les exemples cités montrent combien les fonctions attribuées à chacun fluctuent au gré du manque d’hommes pour compléter tous les postes et afin de répondre à tous les types de travaux. Le poste le plus envié est bien sûr celui d’ingénieur directeur. Cependant essayons de dégager les quelques lignes directrices de la carrière de l’ingénieur. L’ingénieur en chef, dont le grade correspond à celui de colonel, peut être à la tête d’une province, par intérim, en attendant la nomination d’un ingénieur directeur, ou encore il peut être nommé à un poste de direction faute d’ingénieurs directeurs disponibles. On en déduit que cet homme a toutes les capacités requises pour l’examen des budgets, des travaux et des visites des différents sites. Il est apte à commander à tous les ingénieurs dont l’emploi est inférieur au sien et à les juger. Il supervise l’ensemble des travaux et délègue aux ingénieurs en second la réalisation d’un projet sur le territoire de la direction du génie. L’ingénieur en second a sous ses ordres les ingénieurs ordinaires (grade de capitaine) à qui il confie une tâche importante dans la réalisation d’un chantier : effectuer une partie des réparations d’une fortification, aider l’ingénieur en second dans des relevés, dresser le budget d’un ouvrage en particulier, comme le canal de Castille. L’ingénieur extraordinaire (de 1720 à 1740 l’emploi le plus bas dans la hiérarchie du génie) a le grade de sous-lieutenant ou de lieutenant. Il sert d’assistant aux autres ingénieurs, recopie des données ou participe au dessin des plans. Il s’exerce dans toutes les matières nécessaires à sa formation. Pour la période 1720-1740, on peut dire que cette fonction est en quelque sorte le passage obligé pour parfaire ses compétences. Lorsqu’apparaît l’emploi d’ingénieur dessinateur, appelé par la suite aide-ingénieur, l’ingénieur extraordinaire assiste toujours ses supérieurs. Quant à l’aide-ingénieur, il semble être attaché au service d’un de ses supérieurs, qui le charge de recopier des documents ou de dessiner les plans avec les cotes relevées sur le terrain. Il n’a pas de rôle de concepteur. L’élaboration du projet ainsi que la charge de commandement reviennent à des emplois équivalents à ingénieur ordinaire et au-dessus. Bien sûr, on trouvera toujours des exceptions liées à des situations particulières. En revanche, la gestion des budgets et des personnels des chantiers relève de tous les grades (cependant très rarement à un aide-ingénieur). L’ingénieur doit être apte à faire face aux besoins en personnel, matériaux, stock, et à répartir des tâches sur un chantier. Certes, ce travail peut sembler secondaire par rapport à l’établissement d’un projet où figure déjà la répartition prévisionnelle du budget, mais c’est une tâche primordiale pour le bon avancement du chantier et du travail d’équipe.
10Le défaut de définition de chaque emploi permet une certaine souplesse pour l’attribution de la fonction particulière de commandant de la garnison d’une place. Celui-ci est choisi parmi les ingénieurs de la place parce qu’il est le plus ancien dans le plus haut grade. Il est chargé alors non seulement de bien connaître les différentes parties de la forteresse et ses environs mais doit aussi veiller à l’entretien et au respect des fortifications. Ce type de poste fait partie de ceux proposés à l’ingénieur au vu de ses compétences et non pas en fonction d’un grade précis. De même, l’emploi d’ingénieur volontaire constitue un emploi particulier car, bien qu’il occupe un emploi provisoire dans le corps, il est le plus souvent par la suite intégré au corps. Au départ, l’ingénieur volontaire est un militaire formé dans une académie militaire qui fait partie du corps le temps d’un siège, d’une guerre ou d’une expédition pour pallier le manque d’ingénieurs à ce moment précis. Il touche alors une sur-solde de vingt-cinq écus par mois, deux rations de pain et deux d’avoine. À la fin de son « contrat », il regagne son corps d’origine ou devient un ingénieur. Pour les trente-cinq ingénieurs passés par la fonction d’ingénieur volontaire, la durée d’intégration dans le corps varie de 3 mois à 15 ans. Elle dépend bien sûr du nombre de postes vacants mais aussi des besoins du moment. L’engagement d’ingénieurs volontaires a lieu aussi bien en Amérique qu’en Espagne. En Amérique, ce sont soit des natifs ayant récemment embrassé la carrière militaire, ou de jeunes militaires arrivés de métropole. Antonio Fernández Trevejo, né à La Havane, s’occupe des fortifications de sa ville natale, José Cotilla est recruté pour participer à une expédition en Nouvelle-Georgie. Ramón Ignacio Yoldi, militaire nouvel arrivant, est affecté aux travaux de fortifications de La Havane9. En Espagne, les volontaires du génie sont recrutés au cours d’une guerre (la lutte contre l’invasion révolutionnaire française entre 1793 et 1794), ou pour des travaux de construction civile : les routes, les palais ou canaux10. La hiérarchie créée pour le corps, même si elle reste floue dans son contenu, permet d’examiner les perspectives d’avenir de l’ingénieur et de définir un profil de carrière.
II. – Carrières et promotions
11Avant d’examiner une carrière type, il n’est pas inutile de faire l’état des carrières des 787 ingénieurs recensés11. Plus de 60 % ont atteint l’emploi d’ingénieur ordinaire. Plus on s’élève dans la hiérarchie, plus on constate une baisse du pourcentage d’ingénieurs parvenus à ces postes. Parmi les ingénieurs, 43,2 % sont arrivés à l’emploi d’ingénieur en second et seulement 28,7 % des 787 sont devenus ingénieur en chef. Sont parvenus au sommet de la hiérarchie comme ingénieur directeur : 16,5 % des hommes soit 130 individus
12Les faibles pourcentages des emplois supérieurs s’expliquent à la fois par le nombre réduit de postes offerts à ces échelons mais aussi par le peu de rotation à ces postes de décisions. En revanche, l’emploi d’ingénieur ordinaire est le niveau le plus souvent atteint par des ingénieurs issus du niveau d’ingénieur extraordinaire. Le profil de la carrière semble commencer à stagner avec l’emploi d’ingénieur en second. Les grades obtenus en majorité par les hommes du génie vont de sous-lieutenant à capitaine ce qui correspond aux données citées précédemment12. De même très peu d’ingénieurs sont arrivés aux grades d’officiers supérieurs : 15,7 % de brigadiers, 6,6 % de maréchaux de camp, 2,8 % de lieutenants généraux. Ces faibles pourcentages sont conformes au petit nombre d’hommes atteignant les postes de directeurs. Ils nous indiquent aussi que le corps ne représente qu’une faible partie des élites militaires. Ce corps est dépourvu de jeunes militaires promus officiers généraux avant quarante ans grâce à leurs origines sociales. C’est ailleurs, dans le domaine scientifique et technique, que ce corps trouve sa position d’élite. Le grade de brigadier n’est atteint qu’en fin de carrière, à un âge avancé. Afin de poursuivre sur la carrière professionnelle, proposée à l’ingénieur, on peut reconstituer une carrière type sachant néanmoins que la grande majorité n’atteindra pas le haut de la hiérarchie.
13Cette carrière type ne peut être décrite qu’en utilisant les données concernant les ingénieurs dont nous connaissions la date de naissance, la date d’obtention du grade ou de l’emploi, ou pour la fin de carrière, la date de décès ou retrait. Ce tri a permis d’approcher le plus de cas possible.
14La carrière globale de l’ingénieur commence à vingt-trois ans pour finir à plus de soixante-dix ans, soit plus de quarante-sept ans au service du pouvoir. On remarque aussi quelques décalages entre l’obtention du grade militaire et l’emploi d’ingénieur pour les échelons au-delà de lieutenant-colonel ainsi qu’entre sous-lieutenant et aide-ingénieur. La promotion au grade de capitaine et d’ingénieur ordinaire n’arrive pas avant trente-cinq ans, c’est-à-dire pour un homme jeune en pleine forme physique. Treize ans d’expérience ont été nécessaires pour atteindre ce poste. Avant d’obtenir un emploi supérieur, il devra patienter encore huit années. Plus les promotions sont élevées dans l’échelle hiérarchique, plus le temps qui s’écoule entre deux emplois augmente. Ceci peut paraître logique puisqu’il s’agit d’atteindre un degré de compétences et de responsabilités élevé. C’est arrivé à l’âge mûr de cinquante-huit ans que l’ingénieur accède au directorat. Cet homme pétri d’expérience et d’une grande compétence arrive vieilli à ce sommet13. De même, à la vue de l’âge requis pour arriver à l’emploi d’ingénieur en chef, on peut comprendre le faible pourcentage des 787 ingénieurs qui ont réussi à l’atteindre voire à le dépasser. Il faut être resté en vie et en forme physique pour y arriver. Or pour ces hommes, dont la multiplicité des affectations est une caractéristique de leur parcours professionnel, ce n’était pas aisé.
15Le profil établi ci-dessus diffère quelque peu de celui dressé dans les travaux de l’équipe d’Horacio Capel14. Par exemple, l’âge moyen d’obtention des emplois, pour nous, est majoré de deux à trois ans. De plus, le temps de carrière pour nous est plus court. Quant à la fourchette de permanence par emploi, nos résultats sont quasi identiques : sept à douze ans pour l’équipe d’Horacio Capel et de huit à douze pour nous. Ce qui fait, au-delà de ces petites différences, des profils très proches.
16Ce profil reste néanmoins artificiel. Il existe bien sûr des variantes entre les individus. Surtout, il est certain, comme le dit Horacio Capel, que des circonstances particulières, comme le réajustement des effectifs dû à une réforme administrative ou à des pertes importantes ont pu provoquer des accélérations dans l’ascension des échelons15. En fait les promotions dans le corps du génie se font selon des pratiques réglementaires établies par la direction et le secrétariat d’État à la Guerre.
17La promotion à un emploi d’ingénieur est possible lorsqu’un poste devient vacant pour cause de décès, d’ascension à un poste supérieur, ou de retrait du corps. La gestion des postes américains et espagnols se fait séparément. On peut être promu en Amérique et libérer ainsi son poste en Espagne qui sera attribué. Selon quels critères choisit-on les candidats à une promotion ? Dans les textes de 1768, on établit deux méthodes dépendant de l’emploi à pourvoir. L’ingénieur général choisit les candidats pour un emploi subalterne (aide-ingénieur) sans établir une liste préalable de personnes pour un poste. Il fait son choix directement en tenant compte des compétences de chacun. Tandis que pour un emploi plus élevé, l’ingénieur général doit fournir trois candidats pour un emploi vacant. Les candidats sont retenus en fonction de
… Leur mérite, application, profil, conduite et manière d’exercer une profession avec une préférence pour l’ancienneté uniquement dans le cas où les conditions précitées seraient réunies16.
18Bien sûr les ingénieurs directeurs ont établi la liste des promouvables grâce à leurs appréciations. Dans les archives17, on retrouve effectivement le nombre d’emplois vacants, le motif de la vacance des postes et les propositions faites. Il y a toujours plusieurs candidats pour un poste, au-delà d’aide-ingénieur. Ainsi une certaine latitude de choix est-elle préservée. L’ancienneté figurant sur les listes comprend aussi celle dans le milieu militaire. Les candidats sont classés par ancienneté. Plus le poste à pourvoir est élevé, plus on insiste sur le temps passé dans le poste précédent. Le candidat choisi est le plus souvent celui qui a le plus d’ancienneté. La promotion de l’ingénieur est donc bien le résultat d’un mélange entre compétence et expérience. Cependant il apparaît que parfois on désire faire intervenir d’autres critères dans le choix. En 1750, dans la liste des ingénieurs à promouvoir, rédigée par Juan Martín Cermeño18, commandant général par intérim du corps, figurent des mentions concernant les services rendus par la famille du candidat. Pour Agustín Ibáñez García, lieutenant-colonel et ingénieur en second, ingénieur en chef postulant, il est rappelé que son père est mort au grade de lieutenant général et au poste de gouverneur de Seo de Urgel. Aucune source ne permet de faire le lien entre cette annotation et la promotion effective en 1750 de Agustín Ibáñez García à l’emploi d’ingénieur en chef. Les services rendus par la famille ne semblent pas avoir eu une grande incidence sur les promotions. En 1786, la veuve de Carlos Lemaur réclame pour deux de ses fils des postes d’aide-ingénieur. Elle fait alors référence non seulement à son état de pauvreté extrême mais aussi aux services rendus par son mari et ses deux autres fils au corps du génie. Le roi répond à sa demande en signifiant l’obligation pour ses deux fils de passer un examen de compétences avant leur intégration, et de fait ces deux garçons deviennent ingénieurs après la réponse royale. S’il est d’une pratique courante à cette époque de faire valoir les mérites acquis par une famille dans le service de l’État pour obtenir un poste, on peut certainement envisager que le corps du génie n’en fut pas dispensé. Mais cette attitude eut peu d’efficience. En revanche, la pratique d’une sélection par la compétence s’affiche comme une volonté affirmée. Horacio Capel explique dans ses travaux que la limitation des effectifs et les exigences d’un degré important de capacités rendaient la promotion dans le génie différente par rapport aux autres corps militaires. L’efficacité primait19. Les sources semblent confirmer cette caractéristique. Si l’ingénieur veut faire valoir ses droits, il peut réclamer une promotion à son supérieur qui l’adresse ensuite à l’ingénieur général. Cette requête fait l’objet d’un examen précis et peut donner lieu effectivement à une promotion. Par exemple Juan Martín Cermeño inclut à sa liste20 la sollicitation du colonel et ingénieur en second Francisco Nangle qui demande un emploi d’ingénieur en chef. Juan Martín Cermeño avait déjà proposé deux promotions pour ce même emploi, aux ingénieurs en second Juan Foucault et Agustín Ibáñez. Mais l’ingénieur général précise dans sa note additionnelle que, s’il y a lieu de faire deux promotions, on devra préférer Francisco Nangle et Agustín Ibáñez. Il signale par ailleurs que ceux-ci, plus jeunes que Juan Foucault, sont plus aptes à exercer la fonction. Les deux plus jeunes sont promus en janvier 1750. Juan Foucault, ingénieur en second, meurt en 1751. La pratique consistant à réclamer une promotion n’est ni choquante ni rare. C’est une démarche normale pour un professionnel qui, espérant un avancement, se met en valeur en énumérant carrière et services rendus. Dans le cas précédent, la démarche est suivie d’effet mais cela n’était pas toujours le cas.
19L’ingénieur est aussi un militaire qui doit gravir un certain nombre de grades de la hiérarchie. En 1756, le comte d’Aranda avait obtenu pour le génie la simultanéité des promotions faisant de l’ingénieur un militaire reconnu. Mais on s’aperçoit que cette simultanéité des grades et emplois est restée sans grand effet jusqu’à la fin du siècle. L’obtention du grade devient souvent un moyen de faire patienter l’ingénieur en attente de promotion et de montrer une certaine reconnaissance de ses mérites. Ainsi, y compris après 1768, on assiste encore à un décalage entre le grade correspondant à l’emploi et le grade réel. Observer le corpus des ingénieurs au 1er janvier 1787 permet de suivre, sur un échantillon, la simultanéité des emplois et des grades21 au travers des carrières. Plusieurs raisons ont présidé à ce choix. Les ingénieurs de ce corpus ont, pour les plus anciens, débuté leur carrière dans les années 1740 ce qui permet de couvrir une période de presque un demi-siècle et de voir aussi se profiler une évolution. De plus, on peut voir les effets de la décision de 1756 d’accorder des équivalences aux ingénieurs puisque l’on se place trente ans plus tard.
20Pour les soixante-treize ingénieurs composant le corps en janvier 1787, premier constat, il y a eu un passage de promotion simultanée des grades et des emplois. Il semble ensuite évident que l’année 1756 a permis une remise en ordre des équivalences aussi bien du côté technique que du côté militaire. En effet, si l’on examine les quatre-vingt-trois promotions réalisées entre octobre et décembre 1756, onze correspondent à une promotion à un emploi d’ingénieur. Le reste, soit soixante-douze promotions, représente une promotion à un grade militaire. L’équilibre était établi pour les ingénieurs de l’année 1756 ; la reconnaissance militaire est là. Mais un décalage persiste après, celui de la simultanéité des promotions. Souvent les grades supérieurs à celui de capitaine apparaissent comme un moyen de récompenser un ingénieur. Sur les quarante-cinq cas d’obtention d’emploi différée par rapport au grade, il y en a vingt-quatre où la motivation de la promotion militaire est liée à des affectations particulières : participation pour vingt-deux d’entre eux soit à l’expédition de Minorque contre les Anglais, soit au blocus de Gibraltar. Pour deux autres, c’est leur collaboration à des commissions américaines qui leur vaut une promotion. Une fois seulement, on peut se demander si ce n’est pas l’affectation en Amérique qui a valu le changement de grade. La promotion correspond bien dans ce cadre à la reconnaissance d’un mérite. Enfin dernière observation, on constate souvent que l’attribution du grade de sous-lieutenant se fait avant l’emploi d’aide-ingénieur. Ici, pas de lien avec un mérite acquis sur les champs de bataille, mais plutôt une nécessité d’attente de poste vacant entre la sortie de l’académie et l’intégration au corps. Ce palier peut sembler être une norme logique même si des cadets acquièrent la sous-lieutenance et l’emploi d’aide-ingénieur en même temps.
21Ces constats amènent à voir l’ingénieur comme un technicien aux multiples tâches, promu au gré de ses compétences et des vacances de poste mais récompensé par une carrière militaire reconnaissant aussi les mérites acquis sur le terrain. Il se peut que, parmi les militaires du xviiie siècle il soit apparu à ses contemporains comme la somme étrangement moderne de compétences techniques et d’expériences militaires, ayant un souci prononcé du service de l’État. L’ingénieur n’est-il pas une preuve de la volonté royale de développer la modernité dans l’armée ?
22Les seules pauses dans la carrière de l’ingénieur sont les moments où il obtient une autorisation d’absence pour congé maladie ou convenance personnelle de la part du roi. Ce type d’autorisation existe à n’importe quel moment du siècle et touche n’importe quel grade. Le requérant fait une demande motivée pour quelques mois en précisant le lieu où il se trouvera. Cette requête est présentée par l’ingénieur à son supérieur qui l’envoie à la direction avec un avis en fonction des nécessités de service. La durée obtenue varie de un mois à un an et elle peut être prolongée. Les motivations des licences sont variées. Les raisons de santé correspondent soit au besoin de se reposer après une blessure en campagne, soit à un traitement nécessaire d’une affection particulière. Pour traiter certaines maladies, les ingénieurs demandent très souvent des séjours dans des stations thermales où ils vont aller prendre les eaux. En 1735, Esteban Pañón obtient trois mois de congé pour aller prendre les eaux en France et soulager ainsi les douleurs de sa jambe cassée lors du siège de Gibraltar. En 1795, Francisco de Paula Alcázar bénéficie de quatre mois pour soigner sa blessure contractée au cours de la reconquête de la Cerdagne22. En 1784, Pedro de Cortés ingénieur ordinaire aux Philippines a souffert du climat et se sent affaibli par des douleurs dans les jambes et une fluxion de poitrine. Il séjourne à Madrid pour recouvrer sa santé mais il a besoin de quatre mois de prolongation, ce qu’il obtient23. Les motifs personnels permettant de s’absenter sont multiples. En 1784, José del Pozo y Sucre, ingénieur ordinaire à La Havane, demande à rejoindre ses parents à Caracas parce qu’il ne les a pas vus depuis 1751. La licence obtenue est d’une année. La volonté de retrouver ses parents ou sa patrie ainsi que les déplacements pour régler des affaires de succession sont courants. Parfois il s’agit simplement de préparer le déménagement de la famille en direction d’une nouvelle affectation. Bernardo Lecoq en 1768 ingénieur extraordinaire demande quatre mois de congés pour emmener sa mère et sa sœur à Oran où il est nommé. Francisco Sabatini lui, demande en 1769, au nom de son beau-frère Francisco Bambiteli, ingénieur, six mois pour accompagner l’épouse de Sabatini, à Naples. Le nombre de mois de congés n’est pas limité puisque le même Francisco Bambiteli obtient dix mois de licence à Naples en 1778 pour régler la succession de son père décédé. Les licences pour congé maladie ou pour convenances personnelles octroyées figurent, avec leur durée, sur les feuilles de service à la fin du siècle. Prendre des congés n’est donc pas interdit mais cela figure au dossier. Faut-il voir là un avertissement à maîtriser les absences ? Toujours est-il que la carrière de l’ingénieur est longue. Parfois certains expriment le souhait de la quitter, d’autres achèvent leurs parcours en dehors du corps.
III. – Comment terminer sa carrière ?
23Quelle est la part des ingénieurs qui, en fin de carrière, accède à d’autres fonctions ? Vers quelle carrière se dirigent ceux qui quittent le corps, avant d’avoir gravi tous les échelons ? L’aboutissement de la carrière d’ingénieur est d’atteindre les emplois d’ingénieurs directeurs et d’ingénieurs en chef. Parmi les cent vingt-quatre ingénieurs passés par l’emploi d’ingénieur en chef, trente et un, soit 25 % ont accédé à d’autres fonctions pour finir leur carrière. Donc, si la grande majorité de ces ingénieurs a terminé son parcours dans son corps d’origine, on constate aussi que des ingénieurs en second ou ordinaire quittent le corps pour assumer d’autres tâches, donnant une orientation différente à leur vie professionnelle. Une question peut se poser avant d’étudier les parcours de ces différents techniciens militaires : quelles voies leur étaient ouvertes ?
24Les possibilités offertes aux ingénieurs en fin de carrière24 sont définies dans l’ordonnance de 1768. La première possibilité est qu’un aide-ingénieur ou un ingénieur extraordinaire manquant d’inclination pour son travail peut recevoir une autre affectation dans un autre corps. La carrière d’ingénieur se trouve alors interrompue pour défaut de compétence, dès les premiers échelons. Mais cette ordonnance propose aussi des sorties du corps qui sont plus honorables pour les grades plus élevés.
25Tout d’abord, parmi les ingénieurs qui auraient acquis de nombreux mérites, l’ingénieur général peut sélectionner des hommes capables d’accéder à l’État-Major d’une place. Ainsi l’ingénieur n’est plus confronté à la fatigue des multiples déplacements liés à sa fonction. De même, l’ingénieur blessé au combat, ou celui qui a subi un accident sur un chantier peut, sur recommandation, se voir concéder une agregación à une place forte avec maintien de sa solde. Être agregado à une place revient à être attaché à la défense de ce lieu et à l’État-Major de cette place. L’officier est ainsi retiré des garnisons et ne participe plus aux campagnes militaires. Cette pratique n’est pas exceptionnelle, elle est utilisée dans les autres armes25. Enfin l’ingénieur peut demander volontairement son retrait du corps26 appelé retiro. Ainsi les ingénieurs, en fin de carrière, pouvaient espérer un poste fixe, retiro avec agregación, ou une retraite civile méritée. Le retrait se faisait avec une demi-solde27 selon l’ordonnance du 18 octobre 1763. Il arrive parfois que les supérieurs contraignent un ingénieur, dont l’efficacité diminue avec l’âge, à se retirer. Ces différentes possibilités pour terminer une carrière n’ont rien d’étonnant. En revanche, certains parcours d’ingénieurs peuvent apparaître comme des exceptions.
26Dans le parcours de quatre-vingt-un ingénieurs, dont certains semblent originaux, deux voies se dessinent : soit au milieu de la carrière, changer d’orientation professionnelle, soit en fin de carrière, assumer des charges différentes (voir tableau 13).
27La majorité de ceux qui quittent le corps pour trouver une orientation professionnelle le font au grade d’ingénieur ordinaire. En revanche, parmi ceux qui cherchent un aboutissement intéressant en fin de carrière, on repère une majorité d’ingénieurs directeurs : vingt-huit ingénieurs directeurs, neuf ingénieurs en chef et trois ingénieurs en second. Enfin les demandes de retiro correspondent à des ingénieurs arrivés le plus souvent en fin de parcours, c’est-à-dire au-delà d’ingénieur en second.
28Parmi les ingénieurs qui quittent le corps en cours de carrière, on trouve des parcours très différents. Certains le quittent pour devenir moine. Guillén Cosío, entré dans le corps en 1765 comme ingénieur dessinateur, demande à le quitter en 1775 pour entrer dans un couvent bénédictin28. Francisco Navarro, ingénieur en chef en 1746, ancien précepteur de Ferdinand VI, lui ayant enseigné les mathématiques, demande en 1757, à se retirer dans un couvent tout en conservant 130 écus de sa solde sous forme de rente29. Joaquín Conde part du corps en 1793, alors qu’il l’avait intégré en 1789 comme aide-ingénieur, pour entrer dans un couvent de Carmes déchaux. Il conserve sa solde pendant son année de noviciat30. Miguel Corral, lui, a pensé un moment seulement à devenir moine et s’est ravisé. En effet, il demande en 1758 une autorisation de retrait du corps pour entrer dans les ordres alors qu’il est ingénieur extraordinaire. En fait, il reprend sa carrière dans le génie après une année de noviciat chez les Chartreux31. Il se marie en 1781 et termine sa carrière dans le corps comme ingénieur directeur, brigadier en Nouvelle-Espagne. Il atteint même le poste de gouverneur par intérim de la place de Veracruz. En 1790, il est intendant de Veracruz, poste enviable.
29D’autres choisissent d’embrasser une carrière administrative soit au niveau local en occupant des postes de regidor32, soit au niveau national en allant dans les bureaux des ministères chercher une promotion33. José Salcedo y Navarrete (1745-1810)34 entre dans le corps en 1767 comme ingénieur dessinateur, puis poursuit sa carrière d’ingénieur jusqu’en 1782. En 1778, il avait été nommé en tant qu’ingénieur ordinaire auprès du comte de Floridablanca. Faut-il voir un lien entre cette proximité du pouvoir et son choix en 1782 d’intégrer le bureau du secrétariat des Indes ? En tout cas, José Salcedo commence sa carrière administrative comme « oficial sexto de la Secretaria del Despacho de Indias » en 1782. Douze ans plus tard, on le retrouve conseiller au Conseil des Indes. Il meurt en 1810 avec le titre de Conseiller camériste de la Cámara de Indias. Pour ce fils d’un regidor de Navas, la carrière d’ingénieur n’a représenté que quinze ans de sa vie. En revanche, il a fait une carrière fulgurante dans les couloirs du pouvoir.
30D’autres envisagent leur carrière dans les bureaux du secrétariat de la Guerre. Pedro Lorieri suit cette voie35. Cet ingénieur, fils de Miguel de Lorieri, conseiller de Castille, sans vocation particulière pour le génie, ne fait qu’un bref passage dans le corps. Ingénieur dessinateur en 1774, après des études au séminaire des nobles de Madrid, il quitte le corps en 1779 pour entrer dans les bureaux du secrétariat à la Guerre comme dixième commis. Quinze ans plus tard, il est conseiller au Conseil des Ordres militaires. Il est à la fois chevalier de l’ordre de Santiago et de Montesa. Cet homme a juste fait un détour par le corps des ingénieurs. En fait, issu d’une famille de conseillers de Castille, il lui fallait faire une carrière brillante : être ingénieur n’était qu’un palier d’attente. La carrière de Lorieri se termine dans un conseil, certes important puisqu’il gère les biens des ordres militaires, mais au caractère honorifique reconnu. Les frères Ger Sánchez sont ingénieurs à la fin des années 1770. L’un, Miguel Domingo, quitte la carrière d’ingénieur trois années après avoir été nommé ingénieur extraordinaire, pour devenir dixième commis du secrétariat d’État à la Guerre en 1779. En 1800, il a atteint le sommet de la hiérarchie des bureaux : premier commis. Son frère Ramón, ingénieur extraordinaire en 1786, est signalé comme archiviste du secrétariat de la Guerre en 1789 sur sa feuille de service (poste créé en 1751). Serait-il arrivé là grâce à son frère ? José Antonio de Borja, fils de regidor, devient ingénieur militaire en 1763. Il part pour le Río de La Plata en 1766. Il fait les cinq années réglementaires et revient en métropole. Il entre comme oficial décimo au secrétariat de la Guerre en 1777. Il gravit tous les échelons pour arriver à être nommé en 1795 conseiller au Conseil de Guerre36. Cet ingénieur avait eu comme parrain pour entrer dans le corps du génie Juan Gregorio Muniain, ministre de la Guerre de 1766 à 1772. La protection de cet homme à ses débuts laissait présager du développement de la carrière administrative de Borja. D’autres ingénieurs ont suivi cette voie. Pedro Barruchi37, aide-ingénieur en 1779, devient commis en 1792 au secrétariat de la Guerre. Pedro Padilla y Arcos entre dans le corps en 1744 comme ingénieur extraordinaire. Il est rapidement affecté à l’Académie des gardes du corps où l’élite de la noblesse étudie avant de servir le roi. Il entre dans les bureaux du secrétariat de la Guerre en 1754. À sa mort en 1766, il est oficial mayor ou premier commis38. Pedro Superviela est ingénieur en second en 1726. Il ne fait qu’un passage par les couloirs du ministère. En 1737, alors qu’il est lieutenant-colonel et ingénieur en chef, il devient, à la requête du duc de Montemar39, oficial sexto dans les bureaux du secrétariat de la Guerre. Sa promotion dans le corps du génie continue puisqu’il devient ingénieur directeur en 1739. En même temps, il semble être attaché au Conseil de la Guerre. Il a repris sa carrière dans le corps. Il meurt en 1754 avec le grade de brigadier40. Juan Gabriel Zazo suit une carrière normale d’ingénieur jusqu’en 1796 où il entre dans les bureaux du secrétariat d’État à la Guerre. Parmi les ingénieurs qui ont changé de voie pour emprunter celle de la hiérarchie administrative, nous avons constaté que certains continuaient à obtenir un avancement régulier dans le génie. Il semble que les commis d’origine militaire continuaient à bénéficier d’avancement dans la carrière militaire ainsi que des soldes attachées à ces fonctions. L’accès à ces fonctions a permis aux ingénieurs de contribuer avec plus d’impact à la gestion des armées de leur pays.
31Le cas d’Ignacio Garcini y Queralt41, très exceptionnel pour le corps du génie, est révélateur de la carrière ouverte par les voies administratives à un militaire. Entré dans le corps comme aide-ingénieur en 1772, il en sort en 1790, alors qu’il est directeur de l’académie de Ceuta et colonel, pour entrer dans les bureaux du secrétariat de la Guerre. En avril 1805, il quitte sa charge d’oficial segundo pour devenir intendant de l’armée et du royaume d’Aragon ainsi que corregidor de Saragosse. La protection de Godoy n’est certainement pas étrangère à cette promotion. Ce lien avec « le clan Godoy » a certainement été renforcé par le deuxième mariage de Garcini avec Josefa Castilla y Portugal Wanarbroeck, camériste de la reine. Garcini entrait ainsi dans l’entourage de la reine et de ses proches. La guerre d’Indépendance lui apporte quelques soucis. Après avoir été innocenté d’une accusation de joséphisme, il finit sa carrière en 1810 avec une place au Conseil des Ordres. Il meurt en 1825 à Madrid. Sa carrière lui a permis d’approcher le pouvoir royal et la Cour. Il a su faire fructifier « son capital » grâce à ses relations, son mariage et a enfin atteint une position sociale enviable. En restant ingénieur, il lui aurait été très difficile de parvenir à une telle situation. C’est néanmoins la formation acquise qui lui a donné des compétences reconnues. Qu’est-ce qui a pu amener ces ingénieurs à choisir la voie administrative ? La réponse à cette question ne repose que sur des hypothèses puisque nous ne disposons pas de correspondance des intéressés expliquant leurs choix. S’engager dans la voie des bureaux des commis de l’État pouvait représenter l’espoir d’un poste plus valorisant et moins soumis aux mutations successives, celui de un meilleur revenu, et d’une position proche des sphères du pouvoir avec des possibilités intéressantes de fin de carrière. On a trouvé quelques traces de clientélisme dans les carrières de ces hommes : José Antonio de Borja soutenu par Juan Gregorio Muniain, Pedro Superviela par le duc de Montemar, Ignacio Garcini par Godoy. On peut encore parler de liens relationnels favorisant une progression pour Pedro Lorieri, fils d’un conseiller de Castille ou pour Pedro Padilla y Arcos, proche des familles de la haute noblesse puisque professeur à l’Académie des gardes du corps. Le choix royal d’attribuer à des ingénieurs des emplois de commis de l’État correspond à une volonté de recruter des gens de plus en plus compétents et professionnels à ces postes de confiance. Si l’on reprend les études de Gloria A. Franco Rubio et de Juan Luis Castellano sur le secrétariat d’État à la Guerre et la carrière bureaucratique dans l’Espagne du xviiie siècle42, on constate, au cours de la première moitié du siècle, une progression importante de la représentation du monde militaire parmi les commis de ce secrétariat (la moitié en 1750) qui n’excède que rarement 10 membres. Il semblerait que dans la deuxième moitié du siècle, les ingénieurs représentent un nombre important de ces commis. En effet, dans les années 1770, trois ingénieurs sont nommés à ces postes. Dans les années 1790, trois nouveaux ingénieurs sont nommés dans ces bureaux. L’ingénieur apparaîtrait-il comme le professionnel cultivé et de confiance nécessaire au pouvoir pour gérer la défense de l’État ?
32Enfin, parfois, certains sont amenés à quitter le corps pour passer dans d’autres armes tels Félix de Azara et Francisco Ampudia y Valdés intégrés dans la marine. Francisco Ampudia y Valdés, lui, choisit de changer de corps. Il devient ingénieur de la marine, estimant pouvoir obtenir une promotion plus importante. Félix de Azara a un parcours différent. Cet ingénieur est intégré, en 1781, dans la marine avec le grade de capitaine de frégate, équivalent à celui de lieutenant-colonel dans l’infanterie. L’intégration de Azara est voulue par le roi qui vient de le nommer membre de la commission espagnole des frontières d’Amérique méridionale. La mission de cette commission, composée de membres de la marine, est de fixer les limites entre les espaces portugais et espagnols en Amérique du Sud. Le choix du roi s’était porté sur la marine, reconnaissant par là son rôle primordial dans le soutien du système impérial en outre-mer. Intégrer Azara à la marine permettait de donner à cette commission une forme d’unité. On ne lui demanda pas son avis. Il fut surpris par une telle décision. Cet ingénieur est resté vingt ans en Amérique au cours desquels il fournit un travail essentiel de naturaliste, rédigé en français, sur les zones américaines qu’il fut amené à parcourir. Ses travaux intéressant le musée des Sciences Naturelles de Madrid, Azara correspond avec les autorités du musée et y envoie des spécimens de 1787 à 1790. Il travaille aussi à la cartographie de ces espaces américains, propose des plans de colonisation. En 1801, il revient en Espagne après avoir vu ses projets de colonisation refusés par le vice-roi. Le roi veut le nommer vice-roi de Nouvelle-Espagne. Il refuse et préfère rejoindre à Paris, son frère Nicolas ambassadeur en France, où il rencontre de nombreux scientifiques. Azara est déjà populaire comme zoologue car son frère, alors diplomate, avait fait publier une partie de ses travaux rédigés en français, langue des sciences de l’époque. Azara continue sa carrière dans la hiérarchie de la marine, brigadier en 1802. Refusant son retrait, le roi fait de lui un vocal de la junte des fortifications de 1805 à 1808. Il se retire dans son village en 1808 où il poursuit ses travaux et meurt en 1821. Cet homme est un ingénieur au destin exceptionnel. Sa carrière s’est faite dans la marine par volonté royale. Ses travaux sont ceux d’un scientifique éminent et d’un ingénieur de terrain43.
33En fin de carrière, certains ingénieurs sont amenés à occuper plusieurs fonctions ce qui leur permet d’avoir un poste fixe, et de moins subir les fatigues de leur charge. Cela autorise l’État tout en récompensant ses serviteurs à les utiliser encore. Ainsi certains ingénieurs cumulent-ils les postes de gouverneurs de place et de corregidor (« corrégidor »).
34En Amérique, on retrouve cinq ingénieurs gouverneurs de place, deux qui sont intendants et deux vice-rois ou capitaine général. Ramón Anguiano part en 1793 en Nouvelle-Grenade où il aurait été gouverneur de Portobelo et du Honduras par la suite44. Agustín Crame y Maneras (1730-1780) meurt à La Havane alors qu’il est depuis dix-sept ans en Amérique. Il a été nommé à Saint-Domingue puis à Cuba. Il est alors ingénieur directeur. Il obtient le titre honorifique de Teniente de Rey de la place de Veracruz. Lorsqu’il décède, il est gouverneur de la place de La Havane45. José Dufresne (1708-1786), ingénieur directeur en 1770, est nommé en 1776 gouverneur de Puerto Rico46 où il meurt en 1786. José González (1739-1794), ingénieur, est nommé une première fois en Amérique en Nouvelle-Espagne, puis après un passage en métropole, il est de nouveau envoyé en Amérique où on le retrouve gouverneur de la province de Córdoba de Tucumán, Río de La Plata et ingénieur en chef47 en 1794. Francisco Hurtado y Pino est nommé gouverneur et intendant de la province de Chiloé en 1784 alors qu’il est ingénieur ordinaire48. Mariano Pusterla intégré ingénieur extraordinaire en 1753, est nommé au Pérou en 1773 comme ingénieur en second. Il devient un bâtisseur reconnu puisqu’on lui commande le palais des vice-rois à Lima. Nommé au Chili, il construit l’église San Francisco. Il devient en 1786 gouverneur de Valdivia ce qui ne l’empêche de continuer son ascension dans la carrière comme ingénieur directeur et brigadier49. Andrés Amat de Tortosa entre dans le corps en 1763. Nommé en 1776 aux Canaries, il y reste jusqu’en 1789 en tant qu’ingénieur. Il y rencontre le marquis de Branciforte qui l’emmène avec lui en Nouvelle-Espagne lorsqu’il y est nommé vice-roi. Amat de Tortosa, d’abord ingénieur en chef et colonel, devient ensuite intendant de Guanajuato50. Il ne faut pas oublier un autre ingénieur devenu intendant de Veracruz, Miguel Corral. Antonio Narváez de la Torre51, né à Cartagène des Indes en 1733, entre dans le génie en 1758. En 1765 il est nommé capitaine et ingénieur ordinaire. Il devient gouverneur de la province de Santa Marta dans le vice-royaume de Nouvelle-Grenade en 1776. Ignacio Sala, à la fin de sa carrière, est nommé en 1748 gouverneur et capitaine général de Cartagène des Indes. Il était alors lieutenant général, âgé de cinquante-huit ans. Les compétences qu’il avait montrées pour s’occuper des arsenaux en Espagne, particulièrement des fortifications du port de Cadix, ont certainement joué pour l’obtention de ce poste. Cet ingénieur, devenu capitaine général, rencontre quelques difficultés avec les ingénieurs en place ce qui lui vaut d’être relevé de ses fonctions en 175352. Il meurt en Espagne en 1754 alors qu’il était en congé avant de prendre les fonctions de commandant en chef des ingénieurs53. La carrière de Joaquín Manuel Pino y Rozas va plus loin encore. Il intègre le corps en 1752 comme ingénieur dessinateur. Alors qu’il est ingénieur en second et lieutenant-colonel, il est affecté, en 1771, à Montevideo, dans le vice-royaume du Río de La Plata. Sa carrière va prendre une toute autre envergure dans ce pays lointain. Il part pour fortifier San Felipe de Montevideo. Quelques années plus tard, en 1789 on le retrouve en 1789 gouverneur de Montevideo, puis président de l’audience de Charcas en 1795. Cette même année, il obtient le grade de maréchal de camp. Son ascension se poursuit dans ce vice-royaume où il a par ailleurs contracté un deuxième mariage avec une femme issue d’une famille originaire du Río de La Plata. En 1797, il devient gouverneur et capitaine général du royaume du Chili, superintendant de la Real Hacienda, président de l’audience résidant à Santiago du Chili. Il se rend en 1800 à Buenos Aires pour prendre le poste de vice-roi, gouverneur et capitaine général du Río de La Plata ainsi que la présidence de l’audience de ces mêmes lieux. Il meurt en 1804 à Buenos Aires titulaire de ce poste enviable54. L’Empire espagnol apparaît ici comme un lieu favorable à l’élévation sociale et à l’accès au sommet de la hiérarchie. L’éloignement de la métropole devait en effet favoriser ces possibilités de promotion d’autant plus que trouver des personnels pour assumer ces charges n’était pas toujours aisé. Les ingénieurs apparaissent souvent en Amérique comme des hommes aux compétences multiples et dignes de confiance, un vivier pour recruter des administrateurs de ces terres lointaines. Le pouvoir n’hésite pas à les choisir pour les postes nécessitant connaissance du terrain, capacité d’administrer des budgets et de mener des hommes. La polyvalence de l’ingénieur fait de lui un sujet idéal.
35En Espagne, les ingénieurs terminant leurs carrières occupent plutôt des postes de gouverneurs55, combinés parfois à ceux de corregidor ou de superintendant. Deux ingénieurs deviennent capitaines généraux en Espagne. Les postes de corregidor et gouverneur donnent aux titulaires une position plus importante ainsi que des revenus plus élevés. Le cumul des deux postes évite des problèmes de compétences entre celui qui gère une place et qui assure la justice civile et militaire de la municipalité ainsi que la gestion de ses finances. L’attribution de ces fonctions peut apparaître comme une récompense de fin de carrière lorsque le poste attribué est une place forte « tranquille ». En revanche, lorsqu’il s’agit d’une place la place importante comme celles de Barcelone, Lérida, Málaga, Almería, Gérone, Tarifa, c’est une manifestation de la confiance du pouvoir dans l’homme choisi. Les revenus de ces postes sont élevés puisque le recruté, reçoit outre la solde de campagne correspondant à son grade, les revenus du poste et éventuellement certains revenus de justice. Bartolomé Amphoux Bonavie, fils d’ingénieur, intègre le corps en 1752 et atteint l’emploi d’ingénieur en chef en 1786. L’année suivante, il est affecté à Almería comme gouverneur et corregidor. En 1804, il obtient sa retraite comme agregado à l’État-Major de la place d’Almería. Juan Escofet y Palau56 a eu une carrière d’ingénieur très bien remplie. Après sa participation aux campagnes contre la France en 1793 avec l’armée des Pyrénées orientales, il se voit accorder le poste de gouverneur politico-militaire et corregidor de Barcelone. Ce poste, très important, lui permet d’avoir des revenus de 60.000 réaux, auxquels s’ajoutent ceux de son grade de lieutenant général. Ces revenus sont proches de ceux des conseillers. Fernando Gaver, maréchal de camp et ingénieur directeur, est d’abord gouverneur de Ciudad Rodrigo en 1801, puis de Málaga en 1804 avec la fonction de corregidor. Il meurt à Málaga à peine nommé à 62 ans57. Manuel Navacerrada, lui aussi en fin de carrière, en 1788, devient gouverneur et corregidor de Tortosa58. Alors que Pedro Hernando est ingénieur en second, il est en 1802, nommé gouverneur d’Almadén et superintendant des mines d’Almadén. Celles-ci sont très importantes pour l’Espagne, car elles sont la principale source de mercure. Avec la permission du roi, Hernando peut conserver son uniforme d’ingénieur pour exercer sa nouvelle fonction. On peut y voir un attachement à sa carrière précédente. En 1809, lorsque la guerre amène la 5e division de l’armée du centre dans La Mancha, Pedro Hernando met tout en œuvre pour aider le maréchal de camp Tomás de Lerain à remettre en état de combat ses troupes fatiguées, malades et mal équipées. Hernando, grâce à ses compétences militaires mais aussi grâce à ses nouvelles fonctions, a su faire face à la situation. Il en est remercié par le grade de brigadier en 1816 après justification de sa conduite59. Pedro Lobo y Arjona devint de 1795 à 1807 gouverneur et corregidor de Tarifa. En 1807, il est nommé gouverneur à Castellón de la Plana et meurt assassiné à la suite d’une émeute60 en 1808. Deux ingénieurs assument les fonctions de capitaine général : l’un y finit brillamment sa carrière, l’autre assure l’intérim et meurt à ce poste. Un troisième ne fait qu’un bref passage à ce type de poste. Baltasar Ricaud, ingénieur directeur et maréchal de camp, a le grade le plus élevé lorsque le poste de vice-roi et capitaine général de Navarre est vacant en 1794. Il est alors nommé à ce poste dans l’attente du titulaire du poste. Il meurt cette même année alors qu’il assurait provisoirement ces fonctions61. Valentín Legallois de Grimarest62 avait vécu la même expérience à Palma de Majorque sur un court laps de temps. Par la suite, cet ingénieur est nommé corregidor en 1794 et lieutenant du roi de Palma en 1795. Il se retire du corps en 1799 avec ce même titre. Pedro Martín Cermeño, fils de l’ingénieur général Juan Martín Cermeño, est nommé en 1777 aux postes de commandant de l’armée de Galice et de président de l’audience, à La Corogne où il est nommé en 1777 président de l’audience de Galice et commandant général de l’armée de Galice. Puis, en 1783, il y ajoute le poste de capitaine général. Il meurt en 1790 en fonction63. Enfin on ne peut terminer cette description des fins de carrière sans l’énoncé des noms familiers des dirigeants de ce corps qui ont acquis le titre d’ingénieur général ou de directeur d’une branche d’activité : Silvestre Abarca, Juan Caballero, Pedro de Lucuce, Juan Martín Cermeño, Francisco Sabatini, Georges-Prosper Verboom.
36Parmi tous ces destins, certains restent des exceptions. Il semble que les ingénieurs aient, en majorité, plutôt accompli leur carrière au sein de leur corps. Certains optaient pour un retrait bien mérité ou pour un poste militaire sans danger afin de finir leur vie dans une sorte de retraite dorée. Les compétences des ingénieurs semblent avoir valu à quelques-uns de finir leur carrière à des postes de grandes responsabilités. Ces mêmes compétences ont séduit le pouvoir à la recherche pour ses ministères de personnel capable, professionnel et instruit. Cette attitude est plus particulièrement flagrante dans la deuxième moitié du siècle. Le corps du génie servirait-il à un moment donné de réserve possible pour les administrateurs de l’État ? Le génie appartiendrait-il à ce tiers d’officiers reconnus capable de commander ? Malgré le faible nombre de cas retrouvés, on peut tenter de répondre à ces questions. Il semble que les ingénieurs atteignant des postes importants dans l’administration restent peu nombreux. La monarchie disposait de personnes compétentes mais elle ne leur a pas offert des postes de décision ou de haute administration, à quelques exceptions près. Pour quelles raisons ? Une première explication peut être le faible effectif du corps en rapport avec ses multiples tâches, ce qui rend l’ingénieur indispensable dans son corps. Mais cela n’est certainement pas le seul motif.
Notes de bas de page
1 Le titre d’ingénieur général défini dans le tit. VI du premier traité des ordonnances de 1768 va être peu utilisé de 1774 à 1798, période au cours de laquelle le corps est divisé en trois branches.
2 A. Blanchard, Les ingénieurs du Roy, pp. 292-302. Les ingénieurs militaires en France possèdent, jusqu’en 1776, les titres suivants : ingénieur ordinaire, le plus bas échelon, aux ordres de l’ingénieur en chef qui est à la tête d’une chefferie, puis vient l’ingénieur directeur, à la tête d’un directorat, qui a de hautes responsabilités. À partir de 1776, les ingénieurs en chef disparaissent. En fait on utilise les grades militaires qui sont donnés aux ingénieurs militaires pour nommer leurs fonctions.
3 Chefferie : circonscription administrative d’une ou plusieurs places fortes.
4 Ordenanzas de S.M. para el servicio del cuerpo de ingenieros en guarnición, y campaña (22 octobre 1768).
5 AGS, GM, 3789.
6 AGS, GM, 3784.
7 AGS, GM, 3793. Pour les travaux du canal de Castille, sont affectés au 1er juin 1776 l’ingénieur en second Fernando de Ulloa à la direction des travaux, Juan de Homar, ingénieur ordinaire au budget, Joaquín Isavi, ingénieur ordinaire aidé par Manuel Gispert y Jardín, aide-ingénieur à l’assistance des travaux et au dessin.
8 Pour le canal de Lorca, l’ingénieur en second Juan Escofet a dirigé les travaux épaulé par Francisco Angulo, ingénieur extraordinaire qui gère le budget et fait les dessins. Pour le chemin de Saragosse, l’ingénieur ordinaire Tomás Sanz est chargé de la direction tandis que l’aide-ingénieur Gregorio Clavero prévoit le budget et dessine les plans.
9 Antonio Fernández Trevejo (La Havane 1735 - ?) ingénieur volontaire en 1753 alors qu’il est cadet. Il participe alors aux travaux de défense de La Havane. Il intègre le corps en 1767 comme aide-ingénieur. Il reste à Cuba au moins jusqu’en 1789. Il est ingénieur en chef en 1798. José Cotilla (1724 La Havane - 1781 La Havane) est ingénieur volontaire en 1739 et participe à des expéditions en Nouvelle-Georgie. Il est intégré dans le corps comme ingénieur delineador en 1746. Il poursuit sa carrière à Cuba. On suit sa trace jusqu’en 1771 où il est lieutenant-colonel et ingénieur ordinaire à Cuba. Ramón Yoldi (1747 Pampelune - 1784 Cadix) est ingénieur volontaire en 1763 à La Havane où il reste comme aide-ingénieur. Il reste à La Havane jusqu’en 1774. Il revient à Madrid. Il finit sa carrière comme ingénieur ordinaire et capitaine.
10 Antonio Carlos Duparquet Peison, ingénieur volontaire en 1761, est chargé de faire les relevés pour le site d’Aranjuez. Antonio Gilleman est pendant sept ans ingénieur volontaire (à partir de 1750) pour la construction de la route de Jerez à Puerto de Santa María. Agustín Caminero et Basilio Augustin attendent peu de temps pour entrer dans le corps onze mois pour le premier en 1793, et trois mois pour le second en 1794. Cette rapidité est liée à l’état de guerre de l’Espagne car on recrute des ingénieurs pour les armées de Navarre ou d’Aragon.
11 Les carrières des 787 ingénieurs : pourcentage des ingénieurs passés par emplois : aide-ingénieur et grades assimilés (ingénieur dessinateur, sous-lieutenant d’ingénieur) 51,5 %, ingénieur extraordinaire ou lieutenant d’ingénieur 69 %, ingénieur ordinaire ou capitaine premier ou en second ou sergent-major de brigade 43,2 %, ingénieur en second ou lieutenant-colonel d’ingénieurs 43,2 %, ingénieur en chef ou colonel d’ingénieur 28,7 %, ingénieur directeur ou directeur-subinspecteur 16,5 %.
12 Grades militaires par lesquels sont passés les 787 ingénieurs : 44,09 % sous-lieutenants, 52,35 % lieutenants, 41,14 % capitaines, 28,4 % lieutenants-colonels, 18,17 % colonels.
13 A. Blanchard, Les ingénieurs du Roy, p. 301. L’âge moyen des directeurs en France sous l’Ancien Régime est de cinquante ans.
14 H. Capel Sáez et alii, De Palas a Minerva, p. 287.
15 On a vu des carrières rapides comme celle de Pedro Martín Cermeño qui met dix-huit ans seulement entre l’emploi d’ingénieur extraordinaire et celui d’ingénieur directeur. Son père Juan Martín Cermeño avait mis trente ans pour le même parcours. Peut-être la forte personnalité du père qui devient ingénieur général a-t-elle aidé le fils ? Dans d’autres cas, on voit un profil normal de carrière et d’un seul coup un avancement qui s’accélère. Silvestre Abarca est ingénieur en chef nommé en 1760. Sa participation à la campagne du Portugal et ses blessures lui permettent d’accéder au directorat en 1763. Il part ensuite à Cuba. Peut-être cette promotion est-elle accordée aussi à cause du départ ? Pour José Arana, il y a une accélération de la carrière liée à la guerre contre la France. En 1789, il est nommé ingénieur en chef et n’attend que cinq ans le directorat. En 1802, la réorganisation du corps amène un grand nombre de promotions dont Domingo Belestá promu directeur-subinspecteur est un exemple.
16 Ordonnances de 1768, traité I, tit. V, art. 1 : « aquellos que considera acreedores por su mérito, aplicación, aprovechamiento, conducta y desempeño en las funciones de su instituto preferiendo a la antigüedad únicamente en el caso de hallarse acompañada de las precitadas circunstancias en grado ».
17 AGS, GM, 3795, Empleos y Grados 1786-1788.
18 Pour Antonio Aymerich (AGS, GM, 3784) sont ajoutés les mérites de son père capitaine des grenadiers, ou encore pour Martín Gabriel, ceux de son père capitaine d’infanterie.
19 H. Capel Sáez et alii, De Palas a Minerva, pp. 282-283.
20 AGS, GM, 3784.
21 AGS, GM, 5837, feuilles de service des ingénieurs composant le corps au 1er janvier 1787.
22 AGS, GM, 3229.
23 AGS, GM, 3235.
24 Ordenanzas de S.M. para el servicio del cuerpo de ingenieros de 1768, traité I, tit. V, art. 3-6.
25 F. Andújar Castillo, Los militares en la España del siglo xviii, pp. 117-118.
26 Juan Dastier (AGS, GM, 5837), en 1796, obtient son retrait du corps avec son grade de colonel et ingénieur en chef, agregado à Sanlúcar de Barrameda. Antonio Zara se retire en 1794 avec son grade de maréchal de camp.
27 AGS, GM, 3796.
28 AGS, GM, 3229.
29 AGS, GM, 3239.
30 AGS, GM, 5837.
31 AGS, GM, 3230 ; AGS, GM, 5837 ; AGI, Indiferente, 1906.
32 José Santos Calderón est entré dans le corps en 1749 comme ingénieur extraordinaire. Il poursuit sa carrière comme ingénieur ordinaire. Puis en 1760, il se marie et quitte le corps pour devenir regidor perpetuo de Medina del Campo. Il peut ici s’agir de la reprise par le fils de la charge paternelle (AGS, GM, 4259 ; AGI, Indiferente, 1905).
33 Huit individus choisissent les bureaux du ministère de la Guerre, un ceux du ministère des Indes.
34 AGS, GM, 3793 ; AGS, GM, 3233 ; AGS, GM, 4494 ; Fichoz 742 ; AHN, OM, Santiago 7469.
35 AGS, GM, 3793 ; AGS, DGT, 2-65 ; AGS, DGT, 2-78 ; AGS, DGT, 2-78 ; Fichoz 4237.
36 F. Andújar Castillo, Consejo y consejeros de guerra en el siglo xviii, pp. 178-179, biographie de Borja. L’auteur évoque (p. 164) le décret de 1785 qui propose l’accès au Conseil de Guerre comme retraite pour les commis de la bureaucratie militaire. Une sorte de retraite dorée pour ceux qui ont fait une carrière administrative. Borja devient conseiller selon les critères de ce décret.
37 AGS, GM, 5837 ; AGS, GM, 4259 ; Fichoz 19004.
38 AGS, GM, 3231 ; AGS, GM, 2990 ; AGS, GM, 4476 ; Rep. ; Fichoz 1057.
39 Duc de Montemar, ministre de la Guerre de 1737 à 1741.
40 AGS, DGT, 2-37 ; AGS, GM 2991 ; Rep. ; Fichoz 5105.
41 AGS, GM, 5837 ; AGS, GM, 4502 ; AGMS, exp. pers. et exp. mat. G 1905 ; Rep. ; Fichoz 929 ; F. Abbad et D. Ozanam, Les intendants espagnols du xviiie siècle, pp. 95-96.
42 J. L. Castellano (éd.), Sociedad, administración y poder en la España del Antiguo Régimen, pp. 25-45 et 131-156.
43 F. de Azara, Escritos fronterizos, pp. 11-35.
44 Ramón Anguiano (1744 - ?). AGS, GM, 5837.
45 AGS, GM, 3002 ; AGI, Indiferente, 1905 ; AGS, GM, 2991.
46 AGS, GM, 2991 ; AGS, GM, 3233 ; Rep.
47 AGS, GM, 5837 ; AGI, Indiferente, 1906 ; AGS, GM, 4496 ; Rep. ; Fichoz 11051.
48 AGS, GM, 3793, AGS, GM, 4496 ; AGS, GM, 3796 ; AGMS, exp. pers. U 361 ; AGI, Indiferente, 1906 ; Rep. ; Fichoz.
49 AGS, GM, 5837 ; AGS, GM, 3805 ; AGS, GM, 4489 ; AGS, DGT, 2-57 ; AGMS, exp. pers. P 3102 ; Rep.
50 AGS, GM, 5837 ; AGS, GM, 4447 ; Rep. ; Fichoz 17601.
51 AGS, DGT, 2-43 ; AGMS, N 254 ; Rep. ; M. G. Cano Révora, Cádiz y el Real Cuerpo de Ingenieros Militares, p. 322 ; J. Marchena Fernández, Oficiales y soldados, p. 50.
52 J. Marchena Fernández, La institución militar en Cartagena de Indias, pp. 299-304.
53 AGS, GM, 2991 ; AGS, GM, 2986 ; AGS, GM, 3789 ; AGI, Indiferente, 1906 ; Rep. ; Fichoz 3874.
54 AGS, GM, 3793 ; AGS, DGT, 2-73, 2-81, 2-55 ; AGS, GM, 4469 ; AGMS, exp. pers. et exp. mat. P 2082 ; Fichoz 2562 ; Rep.
55 Juan Daiguillon Laurens Bonac, colonel et ingénieur en chef, devient en 1798 gouverneur de Saint-Sébastien, qui est une place frontière. Il obtient par la suite le grade de brigadier (AGS, GM, 5837 ; AGS, GM, 3232 ; AGS, GM, 4506 ; AGMS, D40). Pedro Daubeterre est nommé gouverneur de Balaguer en 1739 alors qu’il était ingénieur en chef depuis 1726 (AGS, GM, 2991 ; Rep. ; Fichoz 4991). José Gayoso, lieutenant général en 1712, a perdu une jambe au siège de Campo Mayor, est nommé en 1714 gouverneur de Ciudad Rodrigo par intérim (AGS, GM, 2991 ; Rep.). Francisco Orta y Arcos devient en 1805 gouverneur de la place de Ceuta où il meurt en 1808 (AGS, GM, 5837 ; AGS, DGT, 2-5, 2-54 ; Rep. ; Fichoz 3361). José Gabriel Estenoz (1769-1811), fils d’un ingénieur Martín Gabriel originaire d’Alcántara, entre dans le génie en 1786 et est brigadier en 1808. Il est nommé gouverneur d’Alcántara en 1809. Il meurt dans cette même ville en 1811, ville qui avait vu naître son père. La famille de son père était venue de Bordeaux en Espagne (AGS, GM, 5837 ; AGMS, exp. pers. G 38 ; Rep.).
56 Juan Escofet y Palau (AGS, GM, 3793 ; AGS, GM, 4258 ; AGS, DGT, 2-56 ; Fichoz 231 ; Rep.).
57 AGS, GM, 5837 ; AGS, GM, 4485 ; AGS, GM, 4479 ; AGS, DGT, 2-86, 2-88 ; Rep. ; Fichoz 10890.
58 AGS, GM, 5837 ; AGS, GM, 4486 ; AGMS, exp. mat. N 3 ; Rep. ; Fichoz 56.
59 AGS, GM, 5837 ; AGMS, exp. pers. E 868 ; Rep.
60 AGS, GM, 5837 ; Rep. ; Fichoz 9704.
61 AGS, GM, 5837 ; AGS, GM, 4480 ; AGS, GM, DGT 2-44, 2-75 ; AGI, Indiferente, 1905 ; Rep. ; Fichoz 690.
62 AGS, GM, 3793 ; AGS, GM, 3232 ; Rep. ; Fichoz 11088.
63 AGS, GM, 4504 ; AGS, DGT, 2-46, 2-48, 2-54, 2-58, 2-61 ; AGMS, exp. pers. M 1230 ; Rep. ; Fichoz 487.
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