Chapitre III. La remise en cause progressive de la polyvalence (1770-1803)
p. 103-137
Texte intégral
I. – La naissance du génie naval
1Le xvie siècle maritime avait été marqué par la suprématie sur les mers, de l’Invincible Armada ; suprématie remise en cause par la marine anglaise en 1589. Le xviie siècle avait vu sombrer l’espoir de la reconquête des mers par l’Espagne. Le xviiie siècle devait être celui d’une renaissance car, même si elle fut timide, la puissance maritime espagnole allait renaître de ses cendres. La nécessité de posséder une flotte capable de protéger l’Empire espagnol des convoitises extérieures avait été mise en avant par la Ensenada, sous le règne de Ferdinand VI ; elle serait le fer de lance de la politique atlantique de Charles III. Pour se donner les moyens d’une telle politique, il fallait des places maritimes et des arsenaux, ainsi que des constructeurs de navires dignes de confiance et novateurs. La solution choisie pour réussir le relèvement de la marine espagnole fut d’opter pour un modèle français de construction et d’organisation d’un corps de spécialistes.
La construction navale en Espagne avant 1770
2Jusqu’au xviiie siècle, la construction navale, en général, était empirique1. Les constructeurs n’avaient pas de formation scientifique mais plutôt une formation sur le terrain, acquise avec leurs pères. Malgré les efforts des chantiers navals d’Espagne et d’Amérique, la puissance des Habsbourg au décès de Charles II était insignifiante, puisque Philippe V dut louer des navires à Louis XIV pendant la guerre de Succession2.
3Les premières réformes importantes pour la construction navale furent mises en place par José Patiño3 lorsqu’il obtint le poste d’intendant général de la marine. Il décida d’abandonner les anciens chantiers navals souvent privés4 et d’en créer deux nouveaux : un au Ferrol, l’autre à Carthagène, pour lesquels les travaux commencèrent entre 1729 et 1730. La Carraca (près de Cadix) et Guarnizo (près de Santander) étaient les deux autres grands lieux de construction. Il fit venir de France Ciprián Autrán et Juan Pedro Boyer en 1728 pour les charger de la construction des navires. De 1728 à 1733, ils restèrent à Guarnizo pour y diriger les travaux de construction d’une douzaine de navires et de trois ou quatre frégates. Autrán construisit le premier trois ponts espagnol : le Real Felipe. Ces plans de construction servirent de modèle dans les autres arsenaux. Puis, de 1733 à 1770, Ciprián Autrán fut le directeur des constructions, basé à Cadix5. En 1730, l’arsenal du Ferrol n’en était qu’au début de la construction des fortifications alors qu’à La Graña (près de Ferrol) on mettait à flots quelques bateaux, déjà entre 1730 et 1735. Cadix se spécialisa dans l’organisation de la marine et surtout dans les réparations et le pourvoi en munitions des bâtiments de guerre. En Amérique, le seul arsenal qui subsista fut celui de La Havane.
4Le deuxième homme important pour l’avenir du génie naval espagnol, à part José Campillo, fut la Ensenada qui, devenu ministre de la Marine et des Indes en 1743, poursuivit l’œuvre entreprise par Patiño. Les ordonnances de 1748 furent les bases nouvelles des développements futurs : l’ordonnance des forêts du 31 janvier 1748 qui devait permettre de fournir aux constructeurs le bois en quantité et qualité nécessaires ; les ordonnances générales de la marine et la création d’un collège de chirurgie à Cadix. Toutes ces dispositions permirent de se lancer dans un vaste plan de développement naval où la construction et les arsenaux auraient un rôle essentiel à jouer. La Ensenada, comme son prédécesseur, estima indispensable le recours à des techniciens étrangers pour relancer une politique de construction. Ce furent alors Jorge Juan6 et Antonio de Ulloa7 qui partirent parcourir l’Europe à la recherche de techniciens navals. Les constructeurs ramenés par ces deux hommes furent essentiellement anglais8. De nombreux échanges de vues eurent lieu entre tous ces techniciens, ce qui contribua à enrichir le débat sur la construction navale, en lui permettant de progresser. L’introduction dans les plans des arsenaux de digue pour caréner à sec9 permit de prolonger la longévité des navires. Tout ceci offrit la possibilité de multiplier les constructions, particulièrement de chébecs à Carthagène afin de constituer une escadre en Méditerranée. Le résultat de cette politique fut brillant10 : de vingt-cinq navires et frégates en 1752, on passe à cinquante bâtiments en 1754.
5Après la chute de la Ensenada, la politique de construction se ralentit sous le ministère du bailli Julián de Arriaga (1754-1776)11. La réduction des rythmes des chantiers navals correspondait à l’idée qu’un pays comme l’Espagne devait avoir une flotte équivalente à ses ressources, mais aussi au peu d’abondance des matériaux nécessaires à la marine (bitume, chanvre, bois) pour une grande production. La marine s’était peu à peu transformée en productrice de bois, de chanvre et de canons avec les fonderies de La Cavada, près de Santander, nationalisées en 1760. Les Espagnols n’avaient pas eu beaucoup l’occasion d’utiliser ces nouveaux vaisseaux pendant la guerre de Sept Ans. En revanche, des pertes importantes12 avaient été occasionnées par la prise, à l’été 1762, de La Havane et par celle de Manille en septembre octobre 1762. Ces attaques contre l’Empire espagnol avaient fait frémir le pouvoir ; plus que jamais la possession d’une flotte compétitive devenait nécessaire. De plus, deux autres raisons allaient encourager le gouvernement dans la voie des réformes. La guerre de Sept Ans avait mis à jour les progrès à apporter dans l’armement des navires pour obtenir une meilleure puissance de feu13, et la nécessaire modernisation des arsenaux, avec éventuellement l’utilisation de nouvelles machines comme celle à vapeur14. D’autre part les alliés français, face aux progrès constants des sciences, avaient décidé de former un corps d’ingénieurs – constructeurs spécialisés dans la construction des bâtiments de guerre15. Les réformes espagnoles qui devaient aboutir à la création d’un corps du génie naval furent lancées par un constructeur français qui s’appuya sur le modèle français et sur celui du corps des ingénieurs militaires.
Un modèle et un ingénieur français : Jean-François Gautier
6Le secrétaire d’État Grimaldi demanda, en 1763, à son homologue français, Choiseul, de lui envoyer un spécialiste en construction navale pour permettre à la marine de suivre les voies des derniers progrès et de faire face à ses obligations du troisième pacte de la famille (soutenir la France, c’était devoir combattre sur tous les fronts). Ce fut à Jean-François Gautier que revint la tâche d’aider les Espagnols.
7Gautier naquit à Toulon en 1733. Il fit des études chez les Jésuites puis commença une carrière d’aide à la construction dans l’arsenal de Toulon. L’intendant de Toulon envoya en 1761 le sous-constructeur Gautier auprès du duc de Parme, pour enseigner au dauphin Philippe l’art du génie naval. De retour en France en 1762, il fut question de l’envoyer en Espagne. Il arriva à Madrid en janvier 1765 où il fut désigné comme constructeur à Guarnizo, près de Santander. De 1766 à 1768, il lança plusieurs bateaux16 dont les caractéristiques différaient des modèles anglo-espagnols : ils étaient plus longs, ce qui diminuait leur stabilité, mais permettait d’augmenter la vitesse des navires. Une fois cette méthode retenue par la Cour, Gautier se rendit au Ferrol et en 1769, il remplaça, au poste de directeur général des constructions, Ciprián Autrán relevé de ses fonctions parce que celui-ci était considéré comme « vieux et ayant de mauvaises habitudes »17. Chargé, par le roi, de rédiger le projet d’ordonnance, créatrice du corps espagnol des ingénieurs de la marine, il s’inspira fortement de l’ordonnance française18 du 25 mars 1765, fondation du corps des ingénieurs constructeurs de la marine. Dans cette ordonnance, trois thèmes étaient abordés : les grades et les affectations des ingénieurs constructeurs, leur formation et la démarche à suivre pour chaque projet. L’échelle des fonctions se divisait en trois catégories : ingénieurs constructeurs en chef, ordinaire et sous-ingénieurs. Les effectifs des trois ports français majeurs – Brest, Toulon, Rochefort – se voyaient doter d’un ingénieur constructeur en chef, deux ou trois ordinaires, quatre ou six sous-ingénieurs. Dans les autres ports, des ingénieurs étaient détachés selon les besoins. Le supérieur direct de ce corps, le secrétaire d’État à la Marine, rendait directement compte au roi des progrès des travaux. Il n’y avait pas d’ingénieur général, ni d’allusion à une équivalence des emplois dans l’échelle des grades de la marine.
8Les ingénieurs constructeurs en chef étaient choisis par le roi au sein du groupe des ordinaires non pas en raison de leur ancienneté, mais plutôt de leurs talents. En revanche, le sous-ingénieur, pour accéder à la fonction supérieure d’ordinaire, devait passer un concours basé sur la capacité à réaliser un plan de vaisseau et à répondre aux questions du jury composé de l’ingénieur constructeur en chef, et des ingénieurs constructeurs ordinaires. Le roi décidait après la présélection du jury. Enfin, le sous-ingénieur était choisi parmi les plus anciens élèves ingénieurs constructeurs19.
9La formation des futurs ingénieurs dépendait de l’École du génie maritime de Paris dont les élèves avaient été choisis parmi les jeunes gens des arsenaux. Après deux années passées sur le port à examiner les travaux et à y participer, l’âge de 16 ans révolu, les jeunes recrues aspirant à devenir élèves devaient réussir une épreuve de mathématiques et une de dessin. Les plus aptes, choisis par l’ingénieur constructeur en chef, partaient sur avis de l’intendant à Paris à l’École du génie maritime20. En cas de succès, l’élève pouvait postuler au poste de sous-ingénieur dans un port. La formation scientifique des hommes du génie naval était donc un des objectifs de l’État.
10Les charges attribuées à ce nouveau corps concernaient la construction et l’entretien des navires. Un conseil de construction examinait les projets. Une fois les plans acceptés, l’ingénieur dressait deux plans et deux devis soumis au roi. Une fois les doubles des plans revenus, la construction commençait, surveillée par l’ingénieur en chef et par l’intendant de la province. Il était conseillé d’économiser le bois et de choisir avec soin les ouvriers. La deuxième catégorie de travail à la charge de l’ingénieur était le carénage21 et le radoub22, avec visite des vaisseaux à réparer par l’ingénieur en chef. Enfin, les nouveaux bâtiments mis en circulation effectuaient leur première mise à l’eau avec un ingénieur à bord chargé de pallier les défauts du navire en exercice.
11Gautier remit au roi son projet, calqué sur le modèle français, en 1770. Ce dernier convint au roi qui publia le 10 octobre l’ordonnance créatrice du corps espagnol des ingénieurs de la marine (cette ordonnance fut révisée en 1772 et 1776). À partir de ce moment-là, Gautier fut nommé ingénieur général ce qui lui attira bien des jalousies. Jorge Juan et ses disciples n’apprécièrent pas la venue d’un donneur de leçons français, d’autant plus qu’il remettait en cause la méthode de construction qu’ils avaient mise sur pied. Les pressions subies par Gautier le poussèrent à ralentir ses prises de décision et, en 1774, l’amenèrent à présenter sa démission qui fut refusée par le roi. Transféré à Carthagène en 1775, il s’y maria et resta directeur du corps jusqu’à l’obtention de sa retraite en 1782, avec le grade de brigadier et 70.000 réaux de solde par an23. En 1784, il rentra à Paris où il mourut le 24 ventôse An VIII, soit le 15 mars 1800.
La création du génie naval espagnol
12Gautier, dans une lettre adressée au bailli Julián de Arriaga24 le premier octobre 1770, mit en place les grandes lignes de l’institution du génie naval. Gautier, qui voulait fonder le corps des ingénieurs de la marine exposait d’abord dans sa lettre au ministre de la Marine, ses motivations, selon deux thèmes : les problèmes de la construction navale et l’incapacité des autres à être efficaces – il visait là les ingénieurs militaires.
13Face aux progrès et aux exigences de qualité du génie maritime, la nécessité, pour Gautier, d’avoir des techniciens maritimes s’imposait. Il rappelait que l’on avait
changé quatre fois de système [de construction] et comme aucun d’eux n’était étayé par une théorie et une pratique éclairées […] il faut allier tant de parties difficiles à concilier. Il faut réunir dans les vaisseaux tant de qualités qui s’entre-détruisent, qu’il n’est pas étonnant qu’on ait été si lent dans les progrès d’un art aussi compliqué25.
14Étant donné que depuis 1767, son système de construction avait été reconnu comme scientifiquement valable par la cour d’Espagne, il suffisait donc, dès lors, d’en confier l’exécution à des personnes formées à la construction, mais aussi à des concepteurs d’architecture maritime.
15Gautier en profitait pour dénigrer l’activité des ingénieurs militaires dans les arsenaux26. Il allait, en évoquant l’exemple de Carthagène où de multiples projets se succédèrent, jusqu’à émettre l’idée de leur incompétence même en architecture puisqu’il parlait de l’effondrement de voûtes des magasins de l’arsenal. Ces réflexions l’amenèrent à concevoir l’esprit d’un corps d’ingénieurs de la marine, formé aux sciences et responsable tant de la construction navale que de celle des arsenaux et de leur entretien. Mais encore fallait-il attirer les hommes vers cette carrière. Pour atteindre cet objectif, il fallait obtenir un gouvernement indépendant du corps et donner à celui-ci un renom suffisamment attractif. La solution résidait dans la transformation de ces hommes en officiers scientifiques de la marine. Il fallait pour cela, créer une École du génie et ainsi, leurs connaissances pourraient
s’étendre et s’appliquer à la construction et au radoub des vaisseaux, à l’exploitation des forêts, à l’étude de la manœuvre et à la direction des ouvrages civils et hydrauliques et à celle des manufactures de corderie, toiles à voiles27.
16Il proposa que ces hommes portent le nom d’ingénieurs de la marine. Contrairement aux ingénieurs français qui avaient reçu le titre d’ingénieurs constructeurs et une activité restreinte à la construction navale, Gautier étendait les compétences de ces ingénieurs à tout ce qui touchait, de près ou de loin, la construction des places maritimes.
17Son projet d’ordonnance tenait en cinquante-sept articles. Le préambule s’ouvrait sur la nécessité de recruter des jeunes bien nés pour entrer dans l’École du génie, de connaître les mathématiques pour construire des bateaux et des édifices durables. Dans les premiers articles (1 à 5), il définit les grandes lignes de l’École du génie naval qu’il voulait installer au Ferrol. Puis il organisa les différents échelons du corps et le mode d’accès : de cadet sortant de l’école après l’examen, on devenait aide-ingénieur puis ingénieur extraordinaire ; pour accéder, ensuite au grade d’ordinaire, il fallait faire état de pratique dans la conduite des travaux. Le grade d’ingénieur en second devenait accessible après s’être exercé au radoub, à la construction navale et architecturale, à la conduite d’ouvriers et au choix des matériaux. Puis à force de pratique, l’ingénieur pouvait devenir ingénieur en chef et par la suite directeur, à raison d’un par arsenal. Le supérieur des ingénieurs serait l’ingénieur général. Au total, le corps devait se composer d’un ingénieur général et de trente-six ingénieurs répartis selon les emplois suivants : quatre directeurs, quatre en chef, quatre en second, six ordinaires, six extraordinaires et douze aide-ingénieurs. L’article 55 reprenait la conception du corps espagnol des ingénieurs militaires : l’équivalence de chaque fonction avec un grade militaire. Ainsi, il était alors possible de reprendre une fonction dans un autre corps, si on ne satisfaisait pas dans celui-ci ou, d’être considéré comme intégré à l’échelle des officiers du corps général. Plus tard, en 1772 comme en 1776, les grades accordés aux ingénieurs furent l’équivalent des grades d’officiers de la marine. Les soldes fixées dans l’article 56 reprenaient les valeurs accordées aux ingénieurs militaires dans la Résolution Royale28 du 25 mai 1765, plaçant ainsi, sur le même plan financier les deux corps. Enfin, l’article 57 fixait les uniformes de ce nouveau corps. Dans ces mesures, Gautier avait repris un certain nombre de points de l’organisation des ingénieurs militaires espagnols.
18De l’article 9 à 43, il passait en revue les différentes réalisations des ingénieurs dans les départements de la marine. Les articles 44 à 53 réglaient le comportement des ingénieurs lors de l’armement des vaisseaux. La grande différence avec le corps conçu en France résidait dans l’octroi aux ingénieurs de responsabilités dans les constructions d’édifices pour les arsenaux, ce qui privait les ingénieurs militaires de toutes fonctions dans les départements de la marine, ou tout au moins les subordonnait à l’ingénieur général de la marine.
19C’est ainsi que ce texte, mélange du modèle français du génie naval, de son école et de l’organisation du corps des ingénieurs militaires espagnols, servit de modèle à la rédaction de l’ordonnance du 10 octobre 1770 fondant le corps du génie naval. Cette Ordenanza de S.M. para el servicio del cuerpo de ingenieros de Marina en los departamentos y a bordo de los navíos de guerra29 était quasiment la traduction littérale des réflexions de Gautier. Mis à part l’ordre des articles et quelques résumés, l’esprit était le même que dans le texte de l’ingénieur français. Dès le préambule, le roi déclarait la création prochaine d’une école de cadets de naissance distinguida30 et étendait le champ d’activités de ces ingénieurs : des bassins des chantiers navals à la construction des édifices des ports. L’expression
corps d’ingénieurs de marine, à la charge de construire, caréner, radouber et être attentifs aux bateaux de mes arsenaux et de pratiquer les autres opérations correspondantes à leur corps scientifique31
20révélait bien la fin des interventions des ingénieurs militaires dans les places maritimes. Cela n’irait pas sans susciter un certain nombre de réactions de la part des ingénieurs militaires.
21L’ordonnance des arsenaux32 de 1772 reprenait en titre I les six classes d’ingénieurs et leurs lieux d’exercice ainsi que les équivalences de chaque emploi dans un grade du corps général de la marine, auquel ils étaient agrégés, contrairement à ce qui avait été prévu dans l’ordonnance33 de 1770. Dans le titre II, la solde de l’ingénieur général était fixée à 300 écus de billon par mois et 250 de gratification (500 s’il partait en mission particulière). Le nombre des ingénieurs s’élevait à quarante-quatre au lieu de trente-six proposés par Gautier34 et le choix du siège de l’académie se porta sur le Ferrol. Les fonctions attribuées aux ingénieurs, elles, restaient les mêmes.
22En 1776, la nouvelle ordonnance des arsenaux35 consacrait son deuxième traité aux fonctions des ingénieurs de la marine. Rien ne changeait dans le nombre de classes, ni pour la subordination entre les grades, ni pour le mode d’accès à une promotion. Le titre XVII définissait l’établissement de l’académie et son règlement ; ce qui laisse à penser qu’à cette époque elle ne fonctionnait toujours pas. À partir du titre XXIII, l’ordonnance définissait les travaux des ingénieurs de la marine dans les arsenaux plaçant sur le même plan les différentes catégories de réalisations36.
23Ce corps nouvellement créé suscita de vives réactions de la part des ingénieurs militaires et surtout de leur ingénieur général. Voyant le corps du génie militaire dépouillé d’une partie de ses fonctions, l’ingénieur général Juan Martín Cermeño réagit et envoya une lettre exprimant sa déception auprès du secrétaire à la Guerre Juan Gregorio Muniain37 en mars 1771. Martín Cermeño s’étonnait que Gautier ait obtenu si vite sa nomination comme ingénieur général d’autant que lui-même avait dû attendre cinquante-trois années de service. Mais le plus grave était surtout d’avoir dépouillé les ingénieurs militaires de la charge des places maritimes, donc d’avoir abrogé une partie de l’ordonnance de 1768 concernant sa charge et celle de ses hommes38. Juan Martín Cermeño remettait en cause les accusations portées par Gautier sur l’incompétence des ingénieurs militaires. Les ingénieurs militaires espagnols étaient, selon lui, parmi les meilleurs d’Europe et avaient donné dans la construction des arsenaux
un exemple parfait […] d’un ensemble admiré par les étrangers et qui n’a pas son pareil dans toute la Méditerranée39.
24Juan Martín Cermeño avait peur que cette nouvelle création entraînât de l’inquiétude chez ses hommes et une perte d’intérêt des nationaux pour les mathématiques :
Aussi, je supplie votre excellence de manifester à sa Majesté la crainte que se confonde le bon ordre dans lequel était le corps à ma charge et que je crains que ne s’attiédisse l’inclination des nationaux à servir dans celui-ci, ces circonstances seraient douloureuses si elles se vérifiaient, puisqu’on avait réussi à ce que fleurissent les mathématiques chez nos natifs40.
25Cette lettre de Juan Martín Cermeño ne fut que le début d’une succession de courriers et de textes destinés à clarifier la situation des ingénieurs militaires et ceux de la marine. Le roi prit un certain nombre de mesures comme, par exemple, affirmer la subordination des ingénieurs militaires travaillant dans les arsenaux à l’ingénieur général de la marine41, ou encore la Résolution Royale42 du 2 février 1781 ordonnant que tous les travaux dans les ports, arsenaux et chantiers navals fussent effectués sous la direction de la marine. En 1784, dans une circulaire43 adressée à tous les directeurs de corps, les mêmes directives concernant les travaux dans les ports étaient reprises.
26En 1789, la peur de voir des ingénieurs militaires passer dans le corps de la marine, comme l’avaient fait Luis Mevoilhon44 en 1773 ou Francisco Ampudia y Valdés en 1788, provoqua la publication d’un Ordre Royal le 15 mai 1789 qui interdisait le passage ou l’agrégation au corps des ingénieurs de la marine45. En fait, sur les 111 ingénieurs de la marine46 répertoriés de 1773 à 1797, il n’y eut que deux ingénieurs issus du corps du génie militaire, dont un ne reçut pas l’autorisation de changer de corps47. Les autres hommes provenaient soit du corps général de la marine, soit de l’infanterie ; l’un venait de la cavalerie48 et deux de l’artillerie49.
27Luis Mevoilhon fut le seul à quitter son corps au début de la création du corps du génie naval pour rejoindre ce dernier où il fut affecté aux travaux civils. Le poste qui lui fut confié était plus en rapport avec ses fonctions précédentes qu’avec son nouvel emploi. Le cas de Francisco Ampudia y Valdés50 fut plus tardif et présentait l’intérêt d’avoir laissé la trace de ses hésitations à changer de corps51. Le 3 mars 1787 Ampudia adressa une lettre par la voie hiérarchique au roi pour obtenir son passage dans le corps du génie naval. Pour convaincre ses supérieurs, il évoquait son inclination pour la marine, les services rendus par son père et les siens. Dans une deuxième lettre au roi52, Ampudia employait d’autres termes pour expliquer son changement de corps :
… Quand le supplicant sollicita son passage dans le corps des ingénieurs de la marine, il servait dans le corps du génie militaire avec une estimation particulière de ses chefs mais l’ambition honorifique de s’élever avec plus de rapidité dans les grades militaires dans un corps qui était en train de se développer, lui fit prêter oreille aux arguments pour faire sa mutation.
28Donc ce fut par intérêt qu’Ampudia effectua ce changement : c’est en voyant sa carrière bloquée dans le génie militaire qu’il pensa à partir dans un corps où les hommes étaient moins nombreux, et les portes de la carrière, pensait-il plus ouvertes. En fait, dans sa deuxième lettre, il se montrait tout aussi insatisfait car il demandait à rejoindre son précédent corps du génie militaire, attendant avec peu d’espoir un avancement dans le corps du génie naval. Finalement, il resta dans la marine mais quitta le corps du génie en 1802 et rejoignit le corps général de la marine après avoir été sous-inspecteur des carènes de 1798 à 1802. Pour changer de corps, il dut bénéficier d’appuis. Ils provenaient certainement de ses nombreux parents exerçant une profession militaire53, mais il n’est pas possible de l’affirmer.
29Les deux cas précédents furent les seules exceptions de changement. Les deux corps restèrent bien distincts, même si les ingénieurs militaires qui continuaient d’être affectés dans les arsenaux avaient à faire à deux directions. Une étude des ingénieurs de la marine reste à faire car jusqu’à présent les historiens54 qui s’y sont intéressés n’ont pas produit d’étude prosopographique complète de ce corps éphémère puisque supprimé en 1823 et remplacé par un corps d’ingénieurs hydrauliciens.
30Ce nouveau corps qui se mettait en place annonçait des créations successives de corps de techniciens à la fin du xviiie siècle, au début du xixe siècle. La réforme du corps du génie militaire et sa division en trois sections marquèrent, certes une reconnaissance des fonctions diverses attribuées au corps, mais aussi les prémisses d’un effritement de la polyvalence.
II. – Trois branches pour un même corps
31En 1770 le corps du génie naval apparaissait comme un rival des ingénieurs, auxquels il avait retiré une part de leurs activités. Cependant, il restait encore à ces derniers de nombreuses fonctions à remplir. Au moment où le pouvoir poursuivait son mouvement de réforme55, le corps du génie allait en subir, lui aussi, les conséquences.
Les trois directions du génie (1774)
32Le 12 septembre 1774, le corps du génie fut divisé en trois sections attribuées chacune à un directeur commandant56 : les académies militaires, les fortifications et les places fortes, l’architecture civile.
33La direction des académies militaires, de l’enseignement et de l’éducation fut attribuée à Pedro de Lucuce qui voulait quatorze ingénieurs pour sa section. En fait, le personnel employé dans cette branche d’activités n’excéda jamais 8 ingénieurs sur l’ensemble de la période où exista ce système de division. Pedro de Lucuce, né en 1692 à Avilés dans les Asturies, dans une famille de nobles modestes, était un des plus fameux mathématiciens du génie militaire. Destiné à l’Église par ses parents, il fit des études de philosophie et théologie. La guerre de Succession lui permit d’échapper au séminaire et de rentrer dans l’armée comme cadet en 1712 dans un régiment de cavalerie. Puis il entra dans les gardes royales du corps et s’instruisit en mathématiques, dessin, fortifications. Sa formation fut donc complète des lettres aux sciences. Ensuite, il entra dans le corps des ingénieurs en 1730 comme ingénieur extraordinaire. Il gravit en 36 ans tous les échelons jusqu’à l’emploi d’ingénieur directeur, le 23 mars 1756 et au grade de maréchal de camp, obtenu le 1er avril 1770. La compétence de cet érudit en science militaire comme civile avait fait de lui le maître idéal d’une armée curieuse et désireuse de se former. Il écrivit de nombreux manuscrits sur les mathématiques, les fortifications ou encore des cours pour ses élèves qui servirent de base à l’enseignement dans les académies militaires. Nommé professeur à l’académie de Barcelone en 1736, il en devint le directeur intérimaire de 1738 à 1739, puis directeur à part entière en 1739. En 1756, nommé à la Société royale de mathématiques à Madrid, il fut remplacé à Barcelone par Claudio Martel57 jusqu’en 1760, année au cours de laquelle il reprit la direction de l’académie de Barcelone et ce, jusqu’à sa nomination comme directeur de la section des académies le 12 septembre 1774.
34La deuxième direction, celle des fortifications et places fortes, fut donnée à Silvestre Abarca. Cet espagnol, né à Medinaceli en 1707, devint ingénieur extraordinaire en 1737 et parvint au grade de brigadier en 1770, après avoir poursuivi son ascension dans le génie et participé aux campagnes italiennes et portugaises58. Pendant sa courte direction (1774-1783), il se rendit compte du faible nombre d’ingénieurs disponibles pour partir en expédition, lorsqu’il dut recourir, lors de l’expédition d’Alger59 en 1775, au détachement d’ingénieurs de la section des académies. Il fit état du manque d’ingénieurs pour accomplir toutes les tâches qui leur incombaient, dans un projet écrit en 1778 intitulé « Mode díaugmenter le corps des ingénieurs » où il envisageait une augmentation de quatre-vingt-quatorze ingénieurs60. On peut déduire de ce projet et des mesures prises par Abarca qu’il y avait non seulement un manque d’ingénieurs en temps de paix, mais aussi une aggravation importante de ce manque dès que des expéditions se présentaient, vu les dangers encourus par les hommes du génie. À son décès en 1784, Juan Caballero cumulait la charge de directeur des académies et des fortifications61.
35Enfin, Francisco Sabatini62 obtint la direction des routes, ponts, édifices d’architecture civile, canaux d’irrigation et de navigation. Cet italien, né en 1721 à Palerme où il fit ses études, arriva en Espagne avec Charles III, pour lequel il avait travaillé en tant qu’architecte à Naples pour le palais de Caserte sous les ordres de son beau-père Luis Bambiteli. Il reçut le grade de colonel et ingénieur en chef en 1764 et termina sa carrière dans le génie avec le grade de lieutenant général en 1789. Cet homme d’exception a laissé une grande empreinte dans le paysage espagnol que ce soit par les canaux et les ponts mais encore par les édifices publics. Il fut très proche du pouvoir et du roi, ce qui lui permit de s’exprimer pleinement dans ses travaux.
36Chaque directeur devait proposer les ingénieurs qui correspondaient le mieux aux futurs travaux à exécuter. Tous les ans, les directeurs allaient présenter un dossier sur chaque ingénieur précisant les services rendus, le zèle dans l’exécution des tâches et l’application à les rendre, ainsi que les promotions ou mutations à envisager d’une direction à l’autre. Le directeur commandant des fortifications recevait la qualité de Consejero Nato Supremo del Consejo Supremo de Guerra63 ou à défaut de celui-ci, il serait remplacé par le directeur résidant à Madrid ou le plus ancien des ingénieurs directeurs du corps. Ainsi, lorsque le directeur des fortifications était parti en expédition, ou en campagne, le directeur d’architecture civile le remplaçait auprès du Conseil de Guerre.
37Une telle séparation du génie militaire en trois départements d’activités ne pouvait d’une part, se faire sans heurt, ni d’autre part, sans révéler des problèmes liés à la polyvalence affirmée par ces trois subdivisions ; polyvalence qui ne correspondait pas aux textes de l’ordonnance de 1768. Les personnalités fortes de ces directeurs, les conceptions différentes de leur fonction allaient donner lieu à des changements non prévus par les ordonnances royales.
Fonctionnements et dysfonctionnements
38Plusieurs types de problèmes furent soulevés par l’existence des trois sections. La division du corps permit de se rendre compte, une fois de plus, de l’insuffisance des effectifs par rapport aux tâches à accomplir. La séparation des fonctions mit l’accent sur une polyvalence et une formation à repenser. Enfin, le dynamisme et les progrès accomplis par la branche d’architecture civile ouvrirent la voie à un corps d’ingénieurs civils et à la séparation des fonctions architectes ingénieurs.
39Que ce soit Silvestre Abarca, directeur des fortifications, ou Francisco Sabatini, tous deux firent des projets pour l’augmentation des effectifs du corps64. Il fallait pour eux, augmenter le nombre d’ingénieurs, d’autant plus que la séparation en trois sections accentuait la carence en hommes. Silvestre Abarca évoquait dix moyens à mettre en œuvre pour réussir à établir un corps de 300 ingénieurs toutes sections confondues, Espagne et Amérique mêlées. Pour justifier son projet, il parlait des augmentations d’effectifs réalisées en Allemagne et en France après la guerre de Sept Ans.
40Abarca voulait effectuer un certain nombre de changements. En premier lieu, il lui semblait impératif d’augmenter les effectifs en portant le nombre des ingénieurs directeurs de treize en 1778 à quinze après la réforme, d’ingénieurs en chef de quatorze à trente, d’ingénieurs en second de trente à quarante-cinq, d’ingénieurs ordinaires de quarante-huit à soixante-six, d’ingénieurs extraordinaires de cinquante-cinq à soixante-dix, d’aide-ingénieurs de quarante-trois à soixante-quatorze, plus trois places vacantes. Ensuite, il s’agissait de modifier les effectifs par branches d’activité : l’effectif des académies passerait de huit à neuf, celui des fortifications de cent onze à cent quarante-trois, celui de l’architecture civile de trente et un à trente-huit, et enfin celui d’Amérique de cinquante-six à cent dix.
41C’était donc en augmentant la classe d’aide-ingénieurs que l’on pouvait augmenter les autres. Pour avoir autant d’ayudantes, il fallait recruter un grand nombre de cadets sortant des académies. La mention exigée de ces cadets seraient de sobresaliente en fin de quatrième classe. La répartition des quatre-vingts-quatorze ingénieurs supplémentaires qu’il jugeait nécessaires dans son projet, favorisait le département des fortifications et les affectations en Amérique. Abarca accordait la plus forte augmentation à ces deux secteurs car il estimait qu’il y avait urgence. Il pensait que les nominations des ingénieurs pour l’Amérique devaient se faire avec une promotion à la clé de manière à éviter tout recours. Après avoir passé cinq années aux Indes, ils pouvaient ensuite demander leur réintégration dans le corps de la métropole avec le même emploi. Les ingénieurs d’Espagne et d’Amérique formaient un seul corps pour les promotions65. Auparavant, les ingénieurs présentés pour une promotion en Espagne étaient choisis uniquement parmi les hommes se trouvant en métropole. Abarca voulait que ceux d’Amérique participassent aux flots des promotions à égalité d’ancienneté. Le projet d’Abarca n’eut pas de suite, mais il avait eu le mérite de montrer les grandes carences en hommes, d’une part en Amérique où les convoitises anglaises n’avaient cessé de gêner les Espagnols et d’autre part en Catalogne et dans les provinces frontalières pour les travaux de fortifications66.
42Sabatini reprit le flambeau en demandant en 1793 une augmentation des effectifs. Sa demande était plus modeste que celle d’Abarca et sa proposition plus simple à exécuter. Il désirait que les ingénieurs effectuant leur service dans les îles Canaries fussent considérés comme des ingénieurs du groupe Amérique et que leurs postes vacants dans ces îles fussent comptés comme des postes vacants pour l’effectif espagnol. Sabatini avait besoin d’hommes supplémentaires aux frontières pendant cette période de guerre contre-révolutionnaire. Le roi lui accorda ce qu’il demandait, mais cela portait sur peu d’ingénieurs67. Entre 1778 et 1793, les effectifs globaux Espagne et Amérique confondus, n’avaient guère augmenté, passant des deux cents six dont parlait Abarca aux deux cent vingt-deux inscrits sur les listes68 de 1793, alors que la guerre était présente en Europe.
43Des querelles entre les directeurs surgissent aussi au sujet de la formation des ingénieurs. Le choix du lieu d’examen des élèves sortant de l’académie illustre alors la compétition existant entre eux. Sous la direction de Lucuce, les élèves de Barcelone étaient examinés à Barcelone, alors que ceux des autres académies l’étaient dans leur académie, mais l’homologation de leurs examens était faite à Madrid par les directeurs commandants69. Au décès de Lucuce, les deux autres directeurs, Abarca et Sabatini, furent consultés sur la marche à suivre. Les deux hommes s’opposèrent sur la conception de l’examen et sur le lieu. Abarca, dans sa lettre du 24 mai 1780, faisait des propositions pour pallier les abus du système d’examen70 et redonner des débouchés aux élèves des académies. Tout d’abord, les demandes d’examen devaient être envoyées par les candidats aux directeurs commandants, les candidats devaient répondre à plusieurs critères pour accéder à l’examen dont celui d’être sobresaliente en dessin et sciences ; mais le nombre de candidats dépendait aussi des places disponibles. L’examen se passerait à Madrid ce qui éviterait des connivences avec les professeurs des académies locales. Les questions porteraient essentiellement sur le cours complet de Lucuce. Après les trois années d’études à l’académie, ils devaient impérativement rejoindre leurs régiments avant d’être examinés.
44Les propositions de Sabatini envoyées au comte de Ricla le 2 juin 1780 prenaient le contre-pied des idées d’Abarca. Sabatini ne voyait pas pourquoi ne pas reprendre le système mis en place en 1775. Il pensait que l’examen devait être fondé non seulement sur les cours de Lucuce, mais aussi sur de réelles aptitudes en mathématiques, le dessin pour lui passait après. Les cours de Lucuce lui semblaient insuffisants pour servir de base aux examens. Le roi mit fin aux débats en décidant le 26 septembre 1780 que les examens auraient lieu en présence de Sabatini et d’Abarca. Juan Caballero71 fut nommé comme successeur de Lucuce et dut accepter cet état de choses. En 1784, le même Caballero cumula la direction des fortifications et des académies, mais pour les examens rien ne fut changé.
45Caballero, homme de terrain, allait bientôt s’opposer à Sabatini à travers certains72 de ses disciples qui remettaient en cause le système et la formation des académies militaires. Caballero croyait à la perfection des académies militaires pour former les ingénieurs tandis que Sabatini et Tadeo Lope y Aguilar73, son disciple, remettaient en cause l’enseignement délivré dans celles-ci. Les cours portaient toujours sur les mêmes ouvrages, ceux de Lucuce, et ne tenaient aucun compte des progrès des sciences en Europe. Pourtant la bibliothèque de l’Académie militaire de Barcelone renfermait un grand nombre d’ouvrages scientifiques récents74. La longue direction de Lucuce à Barcelone, puis des autres académies, avait au départ signifié un grand progrès, mais se révéla par la suite un facteur d’immobilisme. Tadeo Lope75, en juin 1787, dans son prologue à la traduction d’Élémens de physique théorique et expérimentale en quatre volumes du français Sigaud de Lafond, avait mis en cause les défauts des travaux de Lucuce qui dataient de 1736-1737. Caballero considéra que Lope discréditait l’enseignement donné dans les académies militaires et en prit ombrage dans une lettre adressée au roi en juin 1787. Lope lui répondit en juillet 1787, proposant d’améliorer le cours de Lucuce et de faire juger ses travaux par des professeurs étrangers au corps des ingénieurs. Mais rien ne fut fait dans ce sens. L’immobilisme l’emporta alors que des progrès scientifiques se poursuivaient en Espagne.
46La Révolution française, la peur de la contagion révolutionnaire allaient contribuer à un ralentissement des élans scientifiques qui y avaient vu le jour. Le règne de Ferdinand VII acheva de museler l’innovation, refusant d’entendre les nouveaux penseurs de peur de voir arriver une vague révolutionnaire en Espagne. Lope, quant à lui, resta jusqu’en 1796 dans le corps des ingénieurs tout en étant détaché comme professeur au Real Seminario de Nobles à Madrid. Puis il devint un des premiers ingénieurs cosmographes en 1797.
47Si Lope avait mis l’accent sur les problèmes de la formation des ingénieurs, Francisco Sabatini, lui, envisageait de former lui-même ses ingénieurs dans le domaine architectural, créant une sorte de formation parallèle à celle des académies. Ainsi, les différentes listes d’ingénieurs de la branche d’architecture civile, établies par Sabatini pour informer le roi de ses activités, comportaient une rubrique « pour les instruire méthodiquement en architecture civile ». Les hommes devant s’instruire en architecture étaient des nouvelles recrues, ayant déjà des bases mathématiques. En mars 1777, dans la liste des ingénieurs du département de Sabatini76, la mention précédemment citée apparaissait en face le nom de Tadeo Lope et cela dura de 1777 à 1779. Rafael Mengs, qui arrivait de Rome où il avait étudié les mathématiques77, fut choisi pour suivre cette formation. En 1787, Luis Baccigalupi, Rafael Mengs, Cipriano Torresuri, José Valparda78 suivirent cette voie d’enseignement. Parmi ces hommes, Lope fit ses études au Real Seminario de Nobles, Mengs à Rome, Torresuri et Valparda à l’académie de Barcelone et Baccigalupi d’une manière indépendante79. Sabatini estimait leur base mathématique bonne mais leur formation architecturale insuffisante. Il leur proposait de s’appuyer sur leurs connaissances pour progresser en architecture civile, bénéficiant des conseils d’un expert : lui-même. Par cette formation parallèle, Sabatini n’accentuait-il pas les différences entre les ingénieurs des trois départements ? Ne voulait-il pas faire de ses hommes des ingénieurs architectes ?
48Le département d’architecture civile semble entre deux mondes. Le personnel de ce département ne varia pas beaucoup de 1774 à 1797. Une trentaine d’hommes réalisa de multiples tâches : de la conception de canaux à celle de routes ou encore la construction d’édifices publics. Cette stabilité pouvait créer des jalousies dans le corps ou encore susciter l’idée qu’il existait une différence entre un ingénieur constructeur de ponts et chaussées ou encore un architecte et l’ingénieur responsable des places fortes. Peu à peu, il semblait se créer un corps de spécialistes au sein d’un autre. Une fois de plus, les directeurs des différents départements allaient entrer en conflit.
49Le cas de Juan Gabriel Zazo Bendiel80, en 1790, fut un exemple des moments de tensions. En 1790, Juan Caballero affecta Zazo à l’école de Zamora pour enseigner. Il refusa de s’y rendre prétextant qu’il devait s’occuper de sa femme, et disant clairement qu’il préférait rester auprès de Sabatini. Finalement Sabatini soutint Zazo, et Caballero dut s’incliner non sans émettre des critiques sur les qualités de cet ingénieur qu’il avait pourtant utilisé de nombreuses années81.
50Toutes ces querelles entre directeurs furent résolues, en quelque sorte, par la réunion des trois départements en un seul. En 1791, le 14 décembre, Sabatini devint, après le décès de Juan Caballero, l’unique directeur des trois branches réunies. Francisco Sabatini avait envoyé au roi, le 26 novembre 1791, une lettre où il décrivait la séparation du corps en trois branches comme un échec
puisqu’il n’avait pas réussi à obtenir les avantages espérés de la division du corps en trois branches, gouvernées par des chefs particuliers avec une totale indépendance entre eux82.
51L’échec de cette division reposait donc, pour Sabatin, sur l’incapacité des hommes à communiquer entre eux et par conséquent sur l’éclatement effectif du corps en trois parties, qui devait entraîner une diminution de l’esprit de corps. Cette remarque était un peu hypocrite de la part de Sabatini qui avait largement contribué aux querelles. Il revendiqua aussi la fonction d’ingénieur général, mais le roi ne lui accorda que la direction des trois sections et seulement d’une manière intérimaire pour les fortifications et les académies. Fallait-il au roi le temps de réfléchir à une autre solution ? En tout cas, Charles IV confirmait à Sabatini toute la confiance que son père avait eu en lui.
52Sabatini triomphait puisqu’il était parvenu à réunir dans ses mains toutes les rênes nécessaires à la mise en pratique de sa conception de l’ingénieur architecte. Il avait aussi conscience, comme l’ensemble des ingénieurs, d’être à la tête d’un corps indispensable au pays, qui seul pouvait, grâce à la formation et au bon niveau scientifique de ses membres, répondre aux besoins des dirigeants d’un État en quête de développement. Mais la polyvalence scientifique de Sabatini allait devenir une exception. Le choix du pouvoir, après avoir vu s’exercer la trifonctionnalité avec autant de querelles, mais aussi après examen des exemples étrangers, se porta sur une décomposition de la polyvalence en autant de corps de spécialistes que de tâches à accomplir.
III. – Cosmographes et ingénieurs civils : les nouveaux ingénieurs du pouvoir
53En 1796, le roi créa le corps d’État des ingénieurs cosmographes83. Les fonctions de ces ingénieurs étaient celles des ingénieurs géographes, c’est-à-dire faire des relevés et des cartes à caractère militaire, avec une fonction d’éducateurs scientifiques en quelque sorte, puisqu’ils restaient responsables de l’observatoire de Madrid et chargés de répercuter dans la vie civile leurs innovations en les rendant applicables à la navigation et à la géographie. La différence entre cet ingénieur et un géographe résidait bien sûr dans l’aspect militaire de sa fonction, qui allait amener cet ingénieur à s’intéresser aux points stratégiques, aux problèmes d’un relief, aux étendues propices à l’avancée d’une armée mais aussi aux ressources du pays.
54En France, le corps des ingénieurs géographes militaires84 avait vu le jour en 1624. Il n’empêcha pas le corps des ingénieurs du roy de cartographier un certain nombre de sites. En Espagne, cette naissance tardive d’un corps d’ingénieurs cosmographes représentait la volonté du Prince de la Paix de faire progresser les sciences de la cartographie ; il leur demanda, en effet, de dresser la carte géodésique85 de l’Espagne. Le personnel de ce corps fut peu nombreux : un directeur avec grade de capitaine, un vice-directeur du grade capitaine, qui sera en même temps professeur de la classe qui lui correspondait, six autres professeurs dont trois capitaines et trois sous-lieutenants, quatre substituts de professeur avec le grade de sous-lieutenant et douze aspirants. Parmi les ingénieurs cosmographes, on retrouva d’anciens professeurs de l’observatoire royal de Madrid comme José Chaix, en 1795, vice-président de l’observatoire et professeur d’astronomie physique. Godoy en créant cette nouvelle carrière avait cherché à créer des astronomes militaires en utilisant les compétences des astronomes espagnols existants. Ces hommes pourraient ensuite former les aspirants. Certains quittèrent ce corps pour rejoindre celui des ingénieurs des routes et canaux86.
55Le corps des ingénieurs cosmographes ne gêna pas énormément le corps du génie. Il périclita assez vite et disparut en 1806. En revanche, le corps des ingénieurs des routes et canaux créé en 1799 prit en charge une part des travaux dévolus aux ingénieurs militaires. Dès 1785, Agustín de Bétancourt87 à Paris suivit des cours à l’École des ponts et chaussées et prit connaissance des travaux de ces ingénieurs. En 1791, de retour en Espagne, il adressa au roi un mémoire rédigé avec l’aide de son adjoint Juan de Peñalver sur « les moyens de faciliter le commerce intérieur88 » où ils montrèrent l’importance des routes et canaux comme base primordiale de la prospérité de l’État. Ils proposèrent la création d’une école des routes et canaux. Mais ce projet ne vit pas le jour. Pourtant il correspondait à une série de créations d’organismes scientifiques comme l’Académie des sciences à Madrid en 1785 chargée d’organiser l’enseignement des sciences et de planifier les recherches scientifiques, ou encore l’ouverture de laboratoires89 de chimie, entre 1787 et 1788 et de l’École de minéralogie en 1789. L’idéal pour Bétancourt était de rivaliser avec l’école française et de propager les sciences qui lui étaient si chères, en Espagne.
56Au départ, les routes et canaux n’étaient pas à la charge d’un corps particulier mais exécutés par des architectes ou des ingénieurs militaires suivant les besoins. Charles III en 1761 avait exprimé sa volonté de voir progresser rapidement la construction de routes90. En 1778, l’administration des routes et canaux fut jointe à celle des postes et courriers91 : ainsi Charles III espérait une meilleure administration et une plus grande cohésion. La superintendance des routes, canaux et postes fut alors rattachée au secrétariat d’État. Avec Sabatini, les ingénieurs militaires avaient largement contribué à l’effort de développement du réseau routier et fluvial. Mais pour Bétancourt, des spécialistes devaient se charger de cette mission qui, au demeurant, était très complexe et difficile. En 1799, Bétancourt obtint la création de l’inspection générale des routes et canaux et celle d’un corps savant attaché à cette inspection92. Le corps technique se composait de 15 membres scientifiques dont trois commissaires de l’inspection, huit scientifiques ayant obtenu l’appréciation sobresaliente en tant qu’aides, de quatre architectes conservateurs des routes des sites royaux et d’un nombreux personnel auxiliaire. Les hommes pouvant espérer devenir commissaire et par la suite inspecteur général devaient avoir un certain nombre de connaissances, répertoriées dans l’article 11 : mathématiques, géométrie pratique, expérience du maniement des instruments, particulièrement dans les spécialités d’architecture civile et hydraulique93. L’Ordre Royal du 12 juin 1799 prévoyait les appointements par année et par fonction : pour l’inspecteur général 50.000 réaux, pour un commissaire à 24.000 réaux, pour l’aide à 15.000, pour l’architecte conservateur à 12.000 réaux. En plus de ces appointements, les hommes pouvaient recevoir des gratifications lors de missions éloignées de leur lieu de résidence.
57Les premiers nommés dans ce corps furent Bétancourt comme commissaire, et les trois ingénieurs cosmographes. En 1801, Agustín de Bétancourt fut nommé au poste d’inspecteur général des routes et canaux. Il lui restait à créer une école où seraient formés les futurs membres de son corps ; ce fut chose faite en 1802. Le premier appel à candidature pour l’examen d’entrée s’accompagna d’une circulaire du 19 octobre 1802 créant les « Estudios de la Inspección general de Caminos94 ». Les prétendants à entrer dans le corps devaient avoir déjà fait des études de mathématiques et passer un examen portant sur l’algèbre, la trigonométrie, la géométrie, le calcul différentiel et intégral et sur les principes de la physique expérimentale. En 1803 dans sa « noticia del estado de los caminos y canales en España, causa de sus atrasos y defectos, y medios de remediarlos en adelante » envoyée à Pedro de Ceballos, ministre d’État, Bétancourt faisait état non seulement des travaux à entreprendre en dressant un bilan plus que négatif des travaux qui avaient précédé – mais aussi de la nécessité d’augmenter les effectifs du corps et d’appeler celui-ci : Cuerpo de Ingenieros de Caminos y Canales et le centre d’études Escuela de Caminos y Canales. L’Ordre Royal du 26 juillet 1803 accédait à sa demande pour le changement des intitulés et l’augmentation des effectifs et des salaires : les effectifs scientifiques atteignirent quarante-deux hommes et les appointements furent reconsidérés95. Ce que Bétancourt venait de créer remettait en cause, non seulement une partie des tâches du corps des ingénieurs militaires, mais aussi l’idée même de la polyvalence des hommes. Ainsi le processus de professionnalisation de la gestion des travaux publics avait atteint son but. Une fois de plus le modèle français avait influencé l’instigateur de cette innovation. Le roi savait qu’un mouvement de réformes du corps du génie militaire était inexorable, José de Urrutia devrait y faire face.
IV. – L’ordonnance de 1803 : le corps des ingénieurs de l’armée
58José de Urrutia96 succéda à Sabatini en 1797 avec le titre d’ingénieur général dans un contexte de fin de siècle agitée par de nouvelles conceptions concernant la manière de faire la guerre et par les conflits révolutionnaires. Le corps du génie, peu à peu, avait vu sa tâche se restreindre. Il s’agissait maintenant de le réformer à son tour.
Un vent de réformes
59La guerre menée par l’Espagne contre la France révolutionnaire avait montré une armée et un pays décidés à résister, mais qui n’étaient pas parvenus à s’imposer. Les négociations de Bâle et de La Haye voyaient triompher la France. Charles IV avait dû signer la paix le 22 juillet 1795. Une fois de plus, le choix pour l’Espagne se résumait à s’unir à la France contre l’Angleterre qui convoitait toujours son Empire américain. S’engager aux côtés de la France imposait de rentrer dans l’engrenage de la guerre, comme au temps des pactes de la famille. Il fallait donc avoir une armée performante et résistante. Ces qualités devaient aussi lui permettre de conserver une certaine indépendance vis-à-vis de la France et de ne pas tomber sous sa coupe, tout en rattrapant son retard tactique. En mai 1796, se forma une junte des généraux et ministres pour réfléchir aux moyens d’élaborer de nouvelles constitutions militaires97. Suspendue en juin 1796, elle avait néanmoins soulevé les problèmes essentiels. La séparation des membres de la junte autour de quatre thèmes dans quatre salles, était significative de la démarche : constitution, fortification, ordonnances, éducation. Constitution, parce qu’il fallait repenser la structure des différentes armes, celle des régiments, et augmenter qualitativement et quantitativement l’artillerie. Fortifications, parce que l’art du combat et des manœuvres s’était modifié, que le rôle des places fortes dans les combats évoluait, que de nouveaux types de fortifications apparaissaient. Ordonnances, parce que les remaniements des armes s’imposaient et qu’il fallait penser à modifier le recrutement de la troupe. Éducation, car les débats sur ce thème s’étaient largement ouverts dans la deuxième moitié du siècle et avaient été bloqués par la peur des idées révolutionnaires. Il était temps de reprendre les réformes pensaient les membres de cette junte car former les militaires revêtait une grande importance, non seulement parce que ces hommes étaient destinés au commandement de troupes, mais aussi parce qu’ils accédaient, de plus en plus, à des emplois politiques. La junte de 1796 n’eut pas l’occasion de voir aboutir ces pensées mais ce n’était que partie remise.
60En 1801, Godoy fut chargé par le roi de donner à l’armée une constitution militaire
… En réformant les abus du service actuel […] en rétablissant sa discipline, son régime et gouvernement, le bien-être et les avantages de ceux qui se conduisent dignement dans cette noble carrière98.
61Pour procéder à ce remaniement de l’armée, Godoy fit appel aux chefs des différentes armes et leur demanda de faire un état des problèmes. Francisco Javier Negrete, pour l’infanterie99, Urrutia pour le génie100 réalisèrent un dossier d’information pour le Prince de la Paix. Ces dossiers servirent de bases aux réformes engagées par la suite.
62Entre 1802 et 1803, plusieurs règlements et ordonnances furent publiés. Pour l’infanterie, un règlement fut promulgué, le 26 août 1802 qui donnait une nouvelle forme aux régiments de ligne et aux troupes légères101. En 1802, l’artillerie fut régie par une nouvelle ordonnance. Mais celle-ci ne répondait pas à tous les besoins surtout pour faire face aux progrès constants dans le domaine de l’artillerie. Godoy demanda leurs avis aux chefs de ce corps qui prodiguèrent leurs critiques. L’artillerie en Andalousie restait mal organisée, certains dépôts d’artillerie se trouvaient encore dans des maisons particulières, mais là n’était pas le plus grave. En fait, les troupes manquaient d’instruction et d’officiers artilleurs102 et les nouvelles formes d’artillerie étaient insuffisamment développées.
63Le génie, lui aussi, fut soumis à une série de réformes avant de se voir doté d’une nouvelle ordonnance. Le 15 mars 1802 fut soumise au roi une nouvelle constitution du corps des ingénieurs d’Espagne et des Indes, où étaient proposés un changement des dénominations des grades et la création d’une compagnie de sapeurs-mineurs103. Le 31 juillet 1802, une circulaire rappelait les nouveaux effectifs par emploi et le droit pour les officiers de bénéficier des mêmes honneurs que leurs collègues officiers de l’infanterie104. Le 5 septembre 1802, le corps des sapeurs-mineurs était créé par le Reglamento de S.M. para la creación y organización de un cuerpo de zapadores y minadores en Alcalá de Henares, conformément aux propositions de mars 1802. L’ordonnance du 22 juillet 1803 reprenait ces réformes successives pour fonder le nouveau corps des ingénieurs de l’armée.
L’ordonnance de 1803 : la professionnalisation du génie militaire
64Cette ordonnance promulguée le 22 juillet 1803 était composée de plus de 700 pages divisées en deux tomes, pour dix règlements105. Dès le préambule, le roi annonçait les changements à réaliser pour transformer le corps du génie, à savoir le peu d’hommes par rapport aux tâches à entreprendre, et l’organisation du corps inadéquate pour que les individus acquièrent la totalité de l’instruction théorique et pratique nécessaire. Il ajoutait qu’un corps de sapeurs-mineurs était indispensable avec leur propre école pratique. De même, il fallait changer la manière de diriger les travaux pour un meilleur service. Enfin, il terminait en exprimant sa volonté de donner à ce corps instruit, ayant rendu de bons et constants services, les privilèges et avantages dus à des militaires de leur compétence. La militarisation du corps ne laissait plus de doute.
65Le corps créé en 1803 comprenait cent quatre-vingt seize ingénieurs dans les possessions espagnoles, dont soixante destinés à la direction du corps de sapeurs et mineurs. Pour l’Empire, l’article 1 ne donnait qu’une réponse évasive :
… Dans les Indes orientales et occidentales et îles Canaries, il y aura un nombre d’ingénieurs correspondant aux nécessités de mon service dans ces vastes domaines106.
66Dans les grades attribués aux ingénieurs, disparaissait la double gradation de l’emploi et du grade militaire. Les nouveaux grades avaient uniquement une résonance militaire à laquelle fut adjointe « de ingenieros » sauf pour le directeur sous-inspecteur dont la fonction était annoncée. Le fait de changer la formulation des grades et de placer le grade militaire avant l’expression du corps, était révélateur de la profonde mutation qu’on voulait opérer dans le corps, en le transformant en corps des ingénieurs de l’armée. Il y avait huit classes d’ingénieurs réparties ainsi : huit directeurs sous-inspecteurs dont les trois plus anciens ayant le grade de maréchal de camp et les autres celui de brigadier, douze colonels, quinze lieutenants-colonels, quinze sergents-majors de brigade, quarante premiers capitaines, douze capitaines en second, quarante lieutenants, cinquante-quatre sous-lieutenants107.
67Ces ingénieurs étaient soumis à l’autorité de l’ingénieur général108 qui résidait à Madrid où il devait rendre compte de tous les faits et gestes de ses hommes au chef du gouvernement, Godoy. Il dirigeait les ingénieurs et le régiment de sapeurs et mineurs. Il proposait au pouvoir les promotions, jugeait la conduite de ses hommes et les honneurs à leur accorder. Tous les six mois, il remettait une relation des travaux en cours au Généralissime, et en fin d’année établissait un projet des futurs travaux à effectuer109. L’ingénieur général devait aussi constituer des archives du corps et un atlas général des fortifications de l’Espagne, province par province, ainsi que des pays étrangers110. Pour l’aider dans ces différentes tâches, il pouvait choisir les ingénieurs nécessaires et les intégrer dans son secrétariat111. Les directeurs sous-inspecteurs étaient ses représentants dans les provinces.
68Chaque directeur sous-inspecteur dirigeait une sous-inspection composée d’une ou plusieurs provinces. Il existait huit divisions du territoire correspondant au génie : Andalousie et San Roque ; Catalogne ; Galice, Estrémadure ; Valence, Murcie et les îles Baléares réunies ; les deux Castilles réunies ; Navarre, Aragon et Biscaye réunies ; côte de Grenade et présides mineurs. Leurs lieux de résidence se trouvaient dans la capitale de la province correspondant à la division ou encore, s’il s’agissait d’une division regroupant plusieurs provinces, dans la ville désignée dans l’article 5 : Valladolid pour les deux Castilles, Valence pour Valence et Murcie, Pampelune pour la Navarre et Aragon. Dans l’ordonnance de 1768, il n’y avait pas de précisions sur les directions du génie. L’ingénieur directeur était affecté à la direction d’une province112. En fait, en 1778, par exemple, quinze provinces ou divisions furent citées par Abarca113, dont dix seulement étaient dirigées par un ingénieur directeur.
69Les divisions établies en 1803 définissaient précisément les lieux d’actions des directeurs inspecteurs du génie. La charge d’inspection concernait les fortifications de la province, les travaux en cours, les édifices militaires et les routes. En plus de cela, ce directeur devait constituer l’atlas de la province, atlas militaire, politique et géographique114 et nommer les hommes aux différents postes de la province et aux commissions particulières115. Chaque directeur disposait d’une brigade composée d’un colonel, un ou deux lieutenants-colonels, un sergent-major, plus des capitaines et officiers subalternes suivant l’importance de la province116. Le directeur organisait des exercices pratiques avec simulacres d’attaque et de défense117. Tous les six mois, il informait l’ingénieur général de la conduite de ses hommes et le capitaine général de l’avancée des travaux. À la fin de l’année, il envoyait un projet de réalisation pour l’année suivante au capitaine général et à l’ingénieur général, ainsi qu’une liste des édifices situés à environ 1.500 varas des fortifications (soit 1.782 mètres)118.
70Le colonel était le suppléant du directeur en cas d’absence et se chargeait du commandement de la plus importante place de la province, après celle de la résidence du directeur. Si la division comportait trois provinces, le colonel dirigeait la troisième. Au décès du directeur, il devait répertorier et conserver tous les papiers officiels de ce dernier119. Le lieutenant-colonel était nommé commandant d’une place forte d’importance variable selon le nombre de provinces appartenant à la division commandée par le directeur120. Le sergent-major de brigade était le secrétaire du directeur en son lieu de résidence. Il supervisait pour lui les commissions chargées de lever les plans à l’intérieur de la province121.
71Pour obtenir une promotion, l’ancienneté entrerait en compte pour les grades jusqu’à la classe de capitaine premier. Par la suite, seraient pris en compte à partir de la classe de major de brigade
le plus grand mérite, application et dispositions pour remplir les obligations de chef sans prêter attention à l’ancienneté sinon en cas de réunion des mêmes circonstances122.
72Pour les vacances de poste des grades supérieurs, l’ingénieur général devait présenter trois candidatures comme auparavant. L’ancienneté dans le grade partait de la date mentionnée sur la nomination. La sanction pour fautes professionnelles ou de conduite restait la suspension123. La possibilité de terminer sa carrière pouvait être le retrait volontairement demandé ou le passage dans l’État-Major d’une place124. En cas de grande fatigue, l’ingénieur pouvait demander à être attaché au service d’une place au lieu de se déplacer125. La nouveauté essentielle de ces mesures résidait dans l’affirmation des principes de promotions qui privilégiaient, pour l’accès aux postes de responsabilités, les meilleurs et non pas les plus anciens. C’était un gage de compétitivité pour le corps.
73Dans certaines provinces, était installé un conseil ou junte des fortifications, comme à La Corogne, Saint-Sébastien, Pampelune, Saragosse, Barcelone, Valence, Palma, Badajoz, Valladolid, Grenade, Cadix. Le conseil des fortifications de la province comprenait le capitaine général de la province comme président, le sous-inspecteur d’artillerie, le directeur sous-inspecteur du génie, l’intendant de l’armée, le sergent-major de brigade du génie. Ce conseil évaluait les budgets destinés à la construction ou la réparation des fortifications. Par lui, transitaient tous les projets élaborés par les ingénieurs commandants des places et qui avaient été vérifiés par le directeur en accord avec le capitaine général126. Dans certains cas, si des travaux importants étaient à réaliser dans une place, des juntes particulières pouvaient se constituer. La junte de la province intervenait dans la gestion des travaux après l’approbation du Roi via le Généralissime, qui avait été informé du projet par la junte supérieure du corps.
74La junte supérieure du corps était composée de l’ingénieur général en tant que président, d’un colonel, d’un lieutenant-colonel, d’un sergent-major de brigade, d’un secrétaire qui serait un officier du corps. Elle devait donner son avis sur tous les projets de fortification, veiller à l’avancement des travaux, fournir des informations sur les réparations effectuées et tous les autres projets concernant la défense des territoires espagnols. Puis elle transmettait ces informations au Prince de la Paix ou Généralissime, Godoy127. Trois lieutenants étaient chargés par la junte d’aider à la correction et à la copie des projets ou plans transmis. La voie suivie par un projet se déroulait ainsi : il allait de l’ingénieur commandant d’une place au gouverneur, puis au capitaine général de la province et à l’ingénieur directeur sous-inspecteur qui informait la junte provinciale et enfin à la junte supérieure du corps et au Généralissime ; au retour, le projet reprenait le sens inverse.
75Les services rendus par les ingénieurs avaient trait essentiellement au monde militaire. On pourrait s’étonner de voir citées les routes dans les attributions d’inspection du directeur sous-inspecteur, ou dans les projets que devait formuler l’ingénieur général128. Ceci peut s’expliquer par deux raisons : l’ordonnance arrivait juste au moment où les rouages du corps des ingénieurs civils des routes et canaux ne faisaient que se mettre en place, de plus, le corps du génie militaire avait toujours été le corps chargé de préparer les déplacements des troupes. Il fallait donc qu’il fût bien informé de l’état des routes. Lors de leurs interventions sur le réseau routier au xviiie siècle, les ingénieurs avaient contribué au développement économique du pays, alliant la stratégie militaire au décloisonnement de certaines régions. Au xixe siècle, les routes ne revêtaient plus pour les ingénieurs militaires qu’un intérêt stratégique ; l’harmonie « route et développement économique » n’était plus leur principal souci. Les autres services, que rendrait le corps du génie militaire, ressemblaient fort à ceux que l’ordonnance de 1768 leur donnait : relevé et dessin de plans de fortifications, direction de la construction, service en campagne, divisé entre attaque et défense de places, reconnaissance et marches des armées, implantation des campements. En trois règlements qui représentaient plus de 60 % du premier tome de l’ordonnance, le pouvoir affirmait la militarisation de la fonction du corps. Cette fois-ci contrairement à l’ordonnance de 1768, la restriction de leurs fonctions serait appliquée, tout simplement parce que l’État s’était doté de corps de spécialistes nécessaires aux autres projets du pays.
76Le tome II de l’ordonnance concernait le régiment des sapeurs et mineurs129, troupes du génie qui se composaient de deux bataillons. L’ingénieur général était l’inspecteur du régiment. Celui-ci était composé de deux bataillons, chacun divisé en cinq compagnies, une de mineurs130 et quatre de sapeurs131, soit 1.000 hommes de troupes. Soixante officiers du corps des ingénieurs commandaient ces troupes. À la tête de chaque bataillon, devait être nommé un colonel. Dans chaque direction du corps, pouvait être détachée une partie des sapeurs mineurs au gré des nécessités132. Sinon leur point d’attache était Alcalá de Henares où certains recevaient les bases de l’instruction et tous les enseignements théoriques et pratiques concernant leurs fonctions133. L’existence de ce régiment était précieuse pour les ingénieurs miilitaires, car cela leur permettait d’éviter comme auparavant le recours aux soldats des troupes d’infanterie peu instruits dans la sape ou la mine et qui avaient du mal à respecter les consignes d’autant plus que leurs chefs voyaient d’un mauvais œil qu’ils fussent commandés par d’autres.
77Former les hommes de ce corps fut une autre volonté affichée avec minutie dans les réformes de cette ordonnance. Le règlement VIII de l’ordonnance était entièrement consacré à l’instruction du corps des ingénieurs et du régiment des sapeurs mineurs. Alcalá de Henares devient le centre par excellence du génie militaire. L’école théorique ouverte aux sapeurs mineurs des grades de sergents et caporaux proposait un an de formation avec deux jours de classe par semaine, des cours portant sur le relevé de plans, sur la reconnaissance d’un terrain, la menée d’un siège et un examen final. L’école pratique mettait en action les sapeurs dans des conditions de siège ou pour toute autre action militaire134.
78Pour les ingénieurs, les études duraient trois années avec une sélection à l’entrée. Dès l’admission à Alcalá, on appartenait au corps des ingénieurs et ceci fut la grande différence par rapport à la pratique antérieure où on faisait ses études dans une académie militaire avant d’accéder au corps par examen. En 1803, la formation générale en sciences avait eu lieu avant l’entrée à Alcalá. On recevait ensuite une formation spécifique.
79Pour entrer dans le corps des ingénieurs, il fallait réunir un certain nombre de conditions
… Les sujets qui sollicitent leur entrée dans le corps ne pourront être admis que s’ils sont nés dans les possessions espagnoles, ou si leurs parents y sont nés ou y ont été naturalisés et que s’ils ont servi comme cadets ou officiers dans les corps de l’infanterie ou de la cavalerie135.
80Les prétendants à l’entrée du corps devaient présenter un dossier comprenant leurs origines sociales, leurs activités dans le corps précédent (une feuille de service) et leurs qualités personnelles (âge, robustesse, bonne conduite, application). Ils passaient ensuite un examen qui leur permettait d’entrer dans le corps comme sous-lieutenants et de passer trois années dans l’école pratique d’Alcalá de Henares pour s’instruire dans l’art du génie et continuer l’étude des mathématiques136.
81Pendant les trois années de cours, les élèves passaient par trois classes de matières scientifiques et tout au long des trois années, ils suivaient une classe de dessin. Dans la première classe, les études portaient sur les principes d’algèbre et de calcul infinitésimal, la dynamique et l’hydrodynamique, l’étude es systèmes de fortifications, la répartition des systèmes défensifs d’un pays en fonction de sa configuration. La deuxième classe portait sur tous les aspects de la stratégie militaire. La dernière année, les enseignements étaient très diversifiés : l’optique, l’astronomie, la géographie et la cartographie, la manière de rendre navigables les rivières, la construction des routes, des ponts et la méthode pour évaluer le budget des travaux de fortifications. La classe de dessin se poursuivait sur les trois années pendant lesquelles se mêlaient théorie des relevés et utilisation des couleurs mais aussi pratique des relevés et exercices de dessin de fortifications, de bâtiments et de tous types de ponts militaires, ainsi que sondages du terrain. Il y avait quatre jours de cours par semaine. À la fin de chaque classe, il y avait un examen137. La pratique était importante pour s’instruire au maniement des instruments sur le terrain avec le professeur de dessin, mais aussi avec les sapeurs mineurs pour des simulations d’actions militaires138. À la fin des études, la mention obtenue devait être sobresaliente ou bueno. Dans le cas contraire, l’élève pouvait redoubler une année mais si à l’issue de ce redoublement il ne parvenait pas à l’appréciation de bueno, il devait choisir une autre voie139.
82À l’ouverture de l’académie en septembre 1803, le chef d’État-Major des ingénieurs, Antonio Samper, prévoyait six mois de remise à niveau pour les nouveaux élèves de manière à ce qu’ils eussent les mêmes bases solides et puissent progresser vite. En dehors des cours où l’on enseignait les traités, il existait un système de conférences une fois par semaine où les élèves les plus avancés, ou les assistants des professeurs, préparaient sur un thème étudié dans la semaine une conférence qui permettrait d’éclairer les points mal saisis pendant le cours140.
83Le corps des ingénieurs militaires recevait une éducation spécifiquement adaptée à sa tâche. Cette formation était très exigeante, dépassant l’enseignement des précédentes académies, trop général. En 1807, un plan de réformes des études et des traités de base à enseigner fut élaboré par Antonio Sangenís141, mais les brusques changements intervenus en 1808 coupèrent cet élan réformateur.
84L’ordonnance de 1803 avait mis un terme aux activités multiples du corps dans des domaines tant civil que militaire et contribué à définir la place du génie strictement au sein de l’armée, comme maillon indispensable de toute stratégie militaire. Le développement des infrastructures du pays était confié à d’autres.
85L’Espagne venait en un siècle de se doter des structures scientifiques nécessaires au progrès et des spécialistes indispensables à la réalisation de son développement. L’arrivée des troupes napoléoniennes, la guerre et la politique réactionnaire menée par Ferdinand VII brisèrent cet élan pour bon nombre d’années.
86Les Bourbons ont su, tout en utilisant le terreau espagnol existant, imposer un mouvement de réorganisation et de rénovation des armées.
87La création du corps des ingénieurs militaires s’inscrit dans cette démarche importante de modernisation. Le pouvoir choisit un ingénieur flamand, Georges-Prosper Verboom, pour être l’homme du changement. Il réussit, tout en copiant le système français, à corriger les manques et les défauts de celui-ci, fondant ainsi un corps de spécialistes, outil précieux pour le pouvoir et pour la nécessaire domination du Prince sur son territoire. À la mort de Verboom, l’existence du corps est secouée par de nombreuses hésitations liées à des phases de réflexion sur la place de l’ingénieur militaire dans le monde militaire, civil et technique. Dans la pensée européenne des Lumières comme en Espagne, l’idée de spécialisation des corps scientifiques fait son chemin. Dans un premier temps, même si l’on évoque la spécialisation militaire pour les ingénieurs, ils conservent dans la pratique la polyvalence comme règle de fonctionnement. Mais à la fin du xviiie siècle, le développement des sciences, la classification des compétences et par conséquent la création de corps spécialisés viennent à bout de la polyvalence du corps. À l’aube du xixe siècle, les ingénieurs militaires sont cantonnés dans leur rôle d’hommes au service des armées. L’Espagne s’est dotée de divers corps habilités à prendre en charge le progrès et le développement du pays. Le pouvoir devait rester le garant et le moteur de cette évolution ; Ferdinand VII ne fut pas à la hauteur de ces ambitions.
Notes de bas de page
1 R. Crespo Rodríguez, Historia de la ingeniería naval española, pp. 13-51. L’exemple cocasse cité par l’auteur était celui des trois navires construits dans le chantier très réputé de Guayaquil en Amérique en 1690, dont une rangée de batterie était au-dessous de la ligne de flottaison et par conséquent ne pût être utilisée après l’armement du navire.
2 J. P. Merino Navarro, « La Armada en el siglo xviii », p. 94.
3 José Patiño (Milan 1666 - La Granja 1736) membre de la Compagnie de Jésus durant onze ans en Italie, il l’abandonna et vint s’installer en Espagne. Il fut nommé intendant d’Estrémadure et de Catalogne. Puis, en 1717, nommé intendant général de la marine, il se chargea de la rénovation et de l’augmentation de l’Armada espagnole. Pour cela, il entreprit la construction de nouveaux chantiers navals au Ferrol et à Carthagène. Il fonda l’Académie des gardes de marine, pépinière d’officiers instruits. En 1726, nommé ministre de la Marine, des Indes et des Finances, il mena une politique résolument méditerranéenne, remportant des succès comme la prise d’Oran en 1732 et en 1733 celles de Naples et de la Sicile. En 1734, il devint ministre d’État et mourut deux années plus tard.
4 Un ancien arsenal comme Pasajes au Pays Basque fut cédé par Patiño à la Compañía Guipuzcoana de Caracas.
5 J. P. merino Navarro, « La Armada en el siglo xviii », p. 101.
6 Jorge Juan (Novelda 1713 - Madrid 1773) mathématicien, sut inculquer les sciences aux hommes qui l’entourèrent et forma des groupes de recherche de haut niveau. En 1734, le roi le choisit avec Ulloa pour participer à la délimitation des Empires portugais et espagnols en Amérique méridionale tout en examinant l’état des troupes et le développement des provinces de cette région. Entre 1749 et 1750, il parti à Londres pour se livrer à l’espionnage industriel et trouver des techniciens de construction navale Il revint avec environ 80 personnes et leurs familles, du constructeur au charpentier, toutes les professions étaient représentées. Par la suite, il dirigea la construction des arsenaux du Ferrol et de Carthagène. Sous le règne de Charles III, il enseigna au Collège des gardes de la marine à Cadix.
7 Antonio de Ulloa (Séville 1716 - Isla de León 1795) entra en 1732 dans l’École des gardes de la marine à Cadix. Sa première mission est d’accompagner Jorge Juan au Pérou. Il participa à une expédition scientifique chargée de délimiter les Empires portugais et espagnol et resta avec son compatriote pour tracer la défense de côtes du Pérou. À son retour en Espagne, il fut fait prisonnier par les Anglais qui lui confisquèrent toutes ses observations. Puis, il fut admis comme membre de la Royal Society et nommé par le roi pour effectuer des voyages en Europe, destinés à recueillir des données scientifiques. Les résultats de ces voyages conduisirent à la réorganisation des études de médecine, l’amélioration des arsenaux du Ferrol et de Carthagène. Entre 1758 et 1769, il fut gouverneur de Huancavelica au Pérou, puis de la Louisiane et de la Floride. En 1772, de retour en Espagne, il publia un ouvrage sur ses observations américaines. Il encouragea la création d’un observatoire astronomique à Cadix et du premier cabinet d’histoire naturelle. Membre de plusieurs académies des sciences il offrait l’image du scientifique érudit, général de marine, astronome et naturaliste.
8 J. P. Merino Navarro, « La Armada en el siglo xviii », p. 116. L’affectation des constructeurs anglais fut El Ferrol pour Richard Rooth, pour Matthew Mullan Cadix puis La Havane en 1766 où il mourut en 1767. Carthagène pour Edward Bryant qui construisit des navires selon des modèles anglais corrigés par Jorge Juan, et enfin Guarnizo pour David Howell, aide en construction de Juan Fernández de Isla.
9 Ibid. Entre 1714 et 1724, les navires fabriqués avaient une durée de vie de 12 ans et 6 mois, entre 1725 et 1749 de 14,7 ans, entre 1750 et 1774 de 31,6 ans et de 1775 à 1800 de 22,4 ans. La meilleure technologie et le carénage à sec permirent un accroissement de la durée d’utilisation des navires.
10 Citation de D. ozanam, « La política exterior de España en tiempos de Felipe V y de Fernando VI », p. 466.
11 Julián de Arriaga (?-1776) bailli de l’ordre de San Juan, chef d’escadre depuis 1749, ancien gouverneur du Venezuela, et intendant de Cadix et président de la Casa de Contratación depuis août 1752 jusqu’en 1754, fut nommé ministre de la Marine en juillet 1754, puis conseiller d’État en 1771.
12 J. P. Navarro, La Armada española en el siglo xviii, p. 121. La perte de La Havane implique la perte de douze navires de ligne, six frégates et de nombreuses marchandises comme munitions, artillerie et argent. Pour la perte de Manille, ceci entraîne celle d’un galion.
13 Ibid., p. 124.
14 Ibid., p. 124. En 1773, la première machine à vapeur fut installée par Julián Sánchez Bort (grand architecte hydraulicien) dans l’arsenal de Carthagène pour diminuer les eaux contenues dans les digues de carénage.
15 AGS, Marina, 79, Ordonnance du roi concernant les ingénieurs constructeurs de la marine du 25 mars 1765.
16 M. Acerra et J. P. Merino Navarro, « Jean-François Gautier. Vie et influence d’un ingénieur marginal », p. 8. Vaisseaux lancés en 1766 : le San Juan Nepomuceno, le San Pascual ; en 1767-1768 : les Santa Catalina, Santa Teresa, Santa Bárbara et Santa Gertrudis.
17 AGS, Marina, 76, nomination du 25 et 26 avril 1769 de Gautier comme « director general de construcción y de carenas con grado de coronel y 1000 reales de vellon por mes », en remplacement de Ciprián Autrán à qui on concéda le grade capitaine de vaisseau et que l’on dit « viejo y con malas habitudes ».
18 AGS, Marina, 79, Ordonnance du Roi concernant les ingénieurs constructeurs de la marine du 25 mars 1765, Paris, Imprimerie royale, 1765.
19 Ibid., art. 4-7.
20 Ibid., art. 8-12.
21 Carénage : action de réparer la carène d’un bateau c’est-à-dire les flancs et la quille.
22 Radoub : réparation de la coque d’un navire.
23 AHN, Estado 3922.2, dossier de demande de pensions par ses trois filles en 1803.
24 AGS, Marina, 70, lettre de Gautier en français adressée à Julián de Arriaga sous le titre « Réflexions sur la nécessité et l’utilité d’établir en Espagne un corps d’ingénieurs de la Marine ». Texte de 42 pages comprenant non seulement les réflexions de Gautier mais aussi son projet d’ordonnance.
25 Ibid.
26 Ibid. : « Les ingénieurs de terre sont fort habiles dans la partie des fortifications, mais quand ils sont appelés dans les arsenaux pour les ouvrages hydrauliques, ils ont besoin d’étudier longtemps la nature de ces ouvrages qui sont familiers aux ingénieurs de marine qui naissent pour ainsi dire, et passent leur vie dans les arsenaux. »
27 Ibid., texte de Gautier proposant la constitution d’un corps des ingénieurs de la marine.
28 AGS, GM, 2998, soldes : aide-ingénieur 30 écus de billon par mois, ingénieur extraordinaire 45, ingénieur ordinaire 65, ingénieur en second 120, ingénieur en chef 160, ingénieur directeur 210.
29 Museo Naval Madrid, référence 5663.
30 AGS, Marina 79, préambule de l’ordonnance le mot distinguida est expliqué dans l’art. 3 : l’école était ouverte comme l’académie des ingénieurs militaires ou de l’artillerie, à des cadets des différents corps et en plus à six fils d’officiers âgés de moins de quatorze ans (âge d’entrée). Ainsi, le recrutement se ferait essentiellement au sein de jeunes gens venant du monde militaire.
31 Ibid. : « cuerpo de ingenieros de Marina, a cuyo cargo se contruyan, carenen, recorran y cuiden los vaxeles de mi Armada, y practiquen las demás operaciones correspondientes a este cuerpo facultativo ».
32 AGS, Marina, 79.
33 Dans l’ordonnance de 1770, les grades prévus étaient ceux de l’infanterie. Dans celle de 1772, les équivalences étaient les suivantes : aide-ingénieur et sous-lieutenant de frégate ; ingénieur extraordinaire et sous-lieutenant de vaisseau ; ingénieur ordinaire et lieutenant de vaisseau ; ingénieur en second et capitaine de frégate ; ingénieur en chef et capitaine de vaisseau ; ingénieur directeur et de capitaine de vaisseau à officier général.
34 Les emplois de second passaient de quatre à huit, ceux d’ordinaires de six à huit et les extraordinaires de six à huit.
35 Museo Naval de Madrid, Ordenanza de los Arsenales, 1776.
36 Ibid., tit. XXIII : de las obras de construcción, carenas, edificios, método de seguirlas, admision de maestranza, y como deben emplearse en sus trabajos.
37 AGS, GM, 3000, lettre de Juan Martín Cermeño à Juan Gregorio Muniain écrite à Barcelone, datée du 23 mars 1771, qui fut ensuite transmise à Julián de Arriaga.
38 AGS, GM, 3000. Dans sa lettre, Juan Martín Cermeño donne les références de l’ordonnance de 1768 non respectées par Gautier : traité I, tit. VI, art. 5 et 7 sur la responsabilité de l’ingénieur général engagée dans la défense des ports ; traité II, tit. VI, art. 6 sur les travaux exécutés dans les ports dont devaient être informés le secrétaire de la Marine ainsi que l’ingénieur directeur de la province et le capitaine général ; traité II, tit. VII, art. 10, l’ingénieur devait reconnaître les forêts et voir si les coupes seraient bonnes pour la construction de navires de guerre ou pour l’artillerie.
39 AGS, GM, 3000, lettre de Juan Martín Cermeño, les travaux de Carthagène sans oublier ceux de celles du Ferrol et de La Carraca dans « un ejemplo vivo (de la utilidad conocida del cuerpo) […] formen un conjunto que admire a los extrangeros y no tiene semejanza en todo el Mediterráneo ».
40 Ibid., « También suplica a V.E. manifieste a S.M. que recelo se confunda el buen orden en que se había puesto el cuerpo de mi cargo, y que temo se entivie la inclinación que los nacionales habian tomado a servir en él, cuyas circunstancias me sería doloroso se verificasen, pues se había conseguido que floreciesen las matemáticas en nuestros naturales ».
41 Le cas de Mateo Vodopich et d’autres ingénieurs à Carthagène en 1771 motivèrent l’ordre du Roi subordonnant ces derniers à l’ingénieur général de la marine. Mais ils devaient aussi informer de leurs travaux leurs chefs directs. Communication transmise par Muniain à Martín Cermeño datée du 8 juillet 1771.
42 AGS, GM, 3002, Real Resolución para que todas las obras de puerto corriesen al cuidado y dirección de la Marina del 8 de febrero de 1781.
43 AGS, GM, 3002, Minuta de circular de 2 de diciembre de 1784 para que las obras de los puertos corriesen a cargo de la Marina.
44 Luis Mevoilhon français, entra dans le corps du génie militaire en 1720 comme ingénieur extraordinaire et sous-lieutenant. Il intégra le corps des officiers agrégés au corps des ingénieurs de la marine en 1773 et fut chargé des travaux d’architecture civile. En 1778 il fut nommé ingénieur en second et capitaine de frégate avec pour mission l’approvisionnement en bois. Il disparut des listes en 1792 (sources : fichier prosopographique, AGS, Marina 76, Estado General de Marina de 1784 à 1792).
45 AGS, GM, 3002, Real Orden del ministro de la guerra del 15 de mayo de 1789.
46 En prévision d’articles futurs, nous avons recueilli des informations sur les ingénieurs de la marine au Museo Naval de Madrid et aux archives de la Marine de Viso del Marqués où nous avons consulté les dossiers personnels des ingénieurs. Il existe aussi certains dossiers de mariage à Ségovie et les liasses 76 à 79 dans Marina à Simancas qui traitent aussi du corps des ingénieurs. Voir la base de données relative aux ingénieurs militaires sur le site web de la Casa de Velázquez.
47 AGS, Marina, 76 Antonio Saliquet demanda le 1er octobre 1772 son intégration dans le corps du génie naval alors qu’il venait d’être nommé le 14 août 1770, aide-ingénieur dans le corps des ingénieurs militaires. Cette permission lui fut refusée.
48 Rafael Clavijo y Socas, chevalier de l’ordre de Alcántara, originaire de Lanzarote, entra dans le corps des ingénieurs de la marine en tant qu’ingénieur extraordinaire en 1776, alors qu’il était capitaine de cavalerie de milices. Il gravit tous les échelons jusqu’au grade d’ingénieur directeur et brigadier en 1798 et commandant général du département des postes maritimes à La Corogne. Il mourut en 1813 à Tenerife (sources : AGS, Marina 79, Estado General de Marina de 1784 à 1808).
49 Joaquín Palacio Cagigal, cadet retiré d’artillerie, a étudié à l’académie de Ségovie, puis a voulu intégrer la carrière du génie naval. Il fut aide-ingénieur en 1791, extraordinaire en 1792, ordinaire en 1805 (sources : AGS, Marina, 79, Estado General de Marina de 1791 à 1808, et dossier personnel à Viso del Marqués dans la section Cuerpo de Ingenieros, expediente). Antonio Hevia, cadet à l’Académie d’artillerie de Ségovie, entra dans le corps du génie naval en 1805. Son père était ingénieur de la marine depuis 1788 et le frère d’Antonio devint aussi ingénieur de la marine en 1800 (sources : AGS, Marina, 79, Estado General de Marina 1805 à 1808, dossier du père à Viso del Marqués corps général 557, et corps d’ingénieurs 24).
50 Francisco Ampudia y Valdés naquit à Ceuta en 1761 et mourut en 1824 à Séville. Son père José Ampudia y Valdés était ingénieur dans le corps des ingénieurs militaires. Il fit ses études à l’académie de Ceuta et devint sous-lieutenant en 1785. Puis, il entra dans le corps des ingénieurs militaires en tant qu’aide-ingénieur le 28 janvier 1786. Puis il décida d’entrer dans la marine et en 1788 fut nommé sous-lieutenant de frégate et en 1790 ingénieur extraordinaire. Il resta dans la marine jusqu’à sa mort.
51 AGM, Viso del Marqués, dossier personnel de Francisco Ampudia y Valdés dans Cuerpo General, lettre du 3 mars 1787 écrite à Carthagène par Francisco Ampudia y Valdés au roi.
52 Ibid., lettre non datée mais estimée de 1798 au vue des faits cités dans le document écrit par Francisco Ampudia y Valdés au roi : « Cuando el suplicante solicitó su pase al cuerpo de ingenieros de Marina, servía a V.M. en el real cuerpo de ingenieros de ejército con particular estimación de sus gefes, pero la honorifica ambición de prosperarse con más velocidad en los grados militares en un cuerpo que se esta fomentando, le hicieron prestar sus oidos a las persuaciones para hacer la mutación de un cuerpo a otro. »
53 Ibid. : « su padre, hermano y tíos que sirven a V.M. en la honrosa carrera de las armas ».
54 José Patricio Merino Navarro, Álvaro de la Piñera y Rivas ou encore Rafael Crespo Rodríguez n’ont produit que des articles ou des biographies. Álvaro de la Piñera y Rivas espérait en 1992, présenter un travail sur ce corps. Mais pour l’instant, il n’y a pas eu de publication. Pourtant le matériel existant est important.
55 SHM, 20, Ordenanzas de S.M. para el régimen, gobierno, servicio y disciplina de los regimientos de reales guardias de infanteria española y walona en la corte guarnición, campaña y cuartel. Une ordonnance pour définir le cadre de ce corps d’élite de l’infanterie, réaffirmant son rôle de protection des personnes royales pour un des six bataillons de chaque régiment (2 décembre 1773). SHM, Real cédula de S.M. a consulta del consejo en que se declara que todo militar que exerza empleo político pierde su fuero en todos los asuntos gobernativos y políticos (1er septembre 1771). Ce texte retirait aux militaires exerçant un emploi civil l’immunité judiciaire que lui donnait le fuero militaire vis-à-vis de la justice civile. Ainsi, le roi ne permettait plus que les militaires ayant des responsabilités civiles puissent être indépendants de toute justice.
56 AGS, GM, 3002, Real decreto de la nueva forma en que ha de subsistir el comando del cuerpo de ingenieros (12 septembre 1774).
57 Claudio Martel (Séville 1720 - Barcelone 1778) naquit d’un père de condition noble et capitaine d’infanterie. Il fit ses études à Barcelone en 1741. Il fut ingénieur volontaire en 1745 et intégra le corps en tant qu’ingénieur extraordinaire en 1746. Il devint professeur dans l’académie de Barcelone de 1745 à 1760 et à nouveau de 1765 à 1774. Il mourut d’une maladie cardiaque.
58 Silvestre Abarca y Aznar participa à la guerre d’Italie jusqu’en 1742 et à l a campagne du Portugal en 1762. Après il résida à Cuba jusqu’en 1773 pour fortifier La Havane. De retour en Espagne, il devint le directeur de la section des fortifications jusqu’à sa mort. Il participa à l’expédition d’Alger où il fit le plan de la côte d’Alger en 1775 et en 1782 un plan d’attaque de Gibraltar. Sa fonction de directeur des fortifications le fit entrer au Conseil suprême de la Guerre.
59 Les seize ingénieurs participant à l’expédition d’Alger furent : Silvestre Abarca, Clemente Aedo Espina, Bartolomé Amphoux, Félix Arriete (destiné aux académies), Félix de Azara (destiné aux académies), Tomás Buzunáriz (destiné aux académies), conde de Roncali, Miguel Ger, Antonio Narváez, Manuel Navacerrada, Cayetano Paveto, Baltasar Ricaud, Jorge Sicre, Blas Zapino, Antonio Zara, Manuel Zorrilla.
60 AGS, GM, 3002, « Modo de aumentar el cuerpo de ingenieros » de Silvestre Abarca à Sa Majesté écrit le 11 février 1778.
61 AGS, GM, 3002, Real Orden del 17 de enero de 1784.
62 Un catalogue de l’exposition qui eut lieu à Madrid en 1993 met à jour les différents aspects de l’œuvre de cet architecte ingénieur : Francisco Sabatini (1721-1797). La arquitectura como metáfora del poder.
63 Le directeur des fortifications devenait conseiller au Conseil suprême de la Guerre. Ses conseils seraient précieux en cas de guerre car il était censé connaître toutes les places fortes du royaume leurs points faibles et forts mais aussi les meilleurs hommes pour préparer un siège ou se livrer à une campagne militaire.
64 AGS, GM, 3002, projet du 11 février 1778, « Modo de aumentar el cuerpo de ingenieros ».
65 Ibid. : Abarca définit la promotion comme pouvant être générée par une place laissée vacante après un décès, ou après une sortie du corps pour une place de gouverneurs, ou dans les États-Majors, ou un retrait, ou encore après une ascension à un autre emploi.
66 Ibid. : les effectifs de Catalogne devaient passer de 13 à 30, de Galice de 6 à 10, d’Estrémadure de 7 à 10, d’Andalousie de 7 à 11.
67 AGS, GM, 3002, en 1778, il y avait 2 ingénieurs aux Canaries ; AGS, GM, 5837, en 1789 ils étaient trois Andrés Amat Tortosa, Antonio Jacot et Antonio Conesa. En 1793 Conesa et Amat furent nommés en Amérique et Antonio Jacot passa en 1794 dans l’armée de Navarre.
68 AGS, GM, 5837, liste des ingénieurs.
69 AGS, GM, 3002, lettre de Pedro de Lucuce au comte de Ricla en 1775.
70 AGS, GM, 3002, lettre de Silvestre Abarca au comte de Ricla du 24 mai 1780 entre 1777 et 1780, le nombre de places vacantes d’ayudantes du corps fut inférieur au nombre de personnes susceptibles d’être reçues aux examens. Les déçus ne voyant pas venir le jour de leur examen, sollicitaient auprès du roi d’être examinés et recevaient, s’ils étaient reconnus compétents, un real orden les intégrant au corps. Ceci créait un circuit parallèle.
71 Juan Caballero (Port Longón 1713 - Valence 1791) entra comme cadet dans l’infanterie en 1729 et fit ses études à Barcelone. Son père Alfonso Caballero était un militaire, capitaine d’infanterie. Puis en 1737, il entra dans le corps comme ingénieur dessinateur après avoir été ingénieur volontaire en 1732. Il participa à la conquête de Naples en 1733, à la guerre de Lombardie en 1742, à la défense de Melilla en 1774. Il gravit tous les emplois du génie pour atteindre le grade d’ingénieur directeur le 26 août 1771, et le grade de lieutenant général en janvier 1789. En 1780, il devint directeur de la section des académies et en 1784, il cumula cette charge avec celle de la section des fortifications.
72 S. Garma Pons, « Los matemáticos españoles y la historia de las matemáticas del siglo xviii al siglo xix » (separata provenant de l’ouvrage, El científico español ante su historia).
73 Tadeo Lope y Aguilar (Madrid 1753 - Madrid 1802), fils d’un médecin de chambre, fit ses études au Seminario de Nobles de Madrid. Puis il devint ingénieur dessinateur et sous lieutenant en 1776 dans la section d’architecture civile de Sabatini. Mais en fait, il ne participa à cette section qu’à son retour de Paris en 1777. Il y avait séjourné avec Casimiro Ortega, botaniste célèbre, pour faire les dessins de ce dernier et s’instruire. En mars 1777, il appartint à la branche de Sabatini comme ayudante, ayant comme but de s’instruire méthodiquement en architecture. En 1794, il fut professeur au Real Seminario de Nobles à Madrid et ingénieur cosmographe par la suite en 1796. Il mourut en 1802 à Madrid.
74 AGS, GM, 3030, inventaire des livres se trouvant dans la bibliothèque de Barcelone. Liste publiée par J. Riera, L’Acadèmia de Matemàtiques a la Barcelona Ilustrada, pp. 73-128.
75 AGMS, 9e section, L. 66, testament de Tadeo Lope, ingénieur cosmographe, décédé en 1802 présence de l’inventaire de sa bibliothèque.
76 AGS, GM, 3793, listes des ingénieurs du département de Sabatini rédigée par Sabatini avec toutes leurs commissions de 1776 à 1783.
77 AGS, GM, 5837, feuille de service au 27 janvier de 1787.
78 Ibid., liste es ingénieurs de Sabatini en janvier 1787.
79 AGS, GM, 5837, feuilles de service de ces hommes au 27 janvier 1787.
80 Juan Gabriel Zazo Bendiel (1755 Melilla - disparu des listes des ingénieurs en 1796) fit ses études à l’académie de Barcelone. À son entrée dans le corps en 1776, il travailla à l’académie de Barcelone, encouragé par Lucuce. Il resta à Barcelone jusqu’en 1784 où il suivit Juan Caballero à Madrid. Il gravit les échelons d’aide-ingénieur à ingénieur ordinaire de 1776 à 1788. Puis, en 1789 il servit Sabatini.
81 Francisco Sabatini (1721-1797). La arquitectura como metáfora del poder, pp. 444 et 454.
82 AGMS, 1re section, expediente personal S 23. Real Orden du ministère de la Guerre du 14 décembre 1791 envoyé à Sabatini où il est fait référence à sa lettre du 26 novembre ainsi qu’aux termes de cette lettre : « presente no haberse logrado las ventajas que se esperaban de la división del real cuerpo de ingenieros en los tres ramos, governados por gefes particulares con total independencia entre si ».
83 Ordenanzas del cuerpo de ingenieros cosmografos de estado y del real observatorio, 1796, 42 p., BN.
84 A. Blanchard, Les ingénieurs du Roy, pp. 113 et 403 ; H. Vérin, La gloire des ingénieurs, pp. 196-198.
85 La géodésie sert à définir les bases géométriques nécessaires à l’élaboration des cartes des pays.
86 A. Rumeu de Armas, Ciencia y tecnología en la España ilustrada, p. 269, José Chaix, José Agustín de Larramendi, Francisco Javier van Baumerghen quittèrent le corps technique des ingénieurs cosmographes pour entrer dans les ingénieurs des routes et canaux en 1799.
87 Agustín de Bétancourt y Molina (Puerto de la Cruz île de Tenerife 1758 - Leningrad 1824) fît des études scientifiques brillantes et entra en 1779 au collège de San Isidro et à l’académie de San Fernando. Il fit des voyages à Paris et à Londres avec des bourses du roi Charles III. Il en profita pour étudier le système de l’École des ponts et chaussées en France, la machine à vapeur de Watt en Angleterre. En décembre 1788, il fut nommé directeur du Cabinet royal des Machines alors qu’il se trouvait encore à l’étranger. Il revint en Espagne en 1791, apportant avec lui de nombreuses machines. En 1808, il partit pour la Russie où il fonda une école des ingénieurs des voies de communication, ainsi qu’un corps d’ingénieurs pour le tsar Alexandre I.
88 A. Rumeu de Armas, Ciencia y tecnología en la España ilustrada, pp. 55-62.
89 Ibid., pp. 113-123 : laboratoires de chimie métallurgique 1787, de chimie générale 1787, de chimie appliquée aux arts en 1788.
90 Ibid., pp. 245-254, Real Decreto du 10 juin 1761, Reglamento y instrucción para la mejora realización de las obras (2 décembre 1761) : « ordenó que se comenzara con la brevedad y economia posibles las carreteras de… ».
91 Ibid., Real Orden du 8 octobre 1778.
92 Ibid. pp. 261-276. J. I. Uriol Salcedo, Historia de los caminos de España, t. I, pp. 310-323.
93 Ibid., p. 268 : « personas facultativas, que tengan las calidades que requieren y exigen cada una de estas clases, con especialidad los comisarios, que deberán ser sujetos instruidos en matemáticas, exercitados en geometría práctica y uso de instrumentos, particularmente en los ramos de arquitectura civil e hidráulica ».
94 Ibid., p. 280 : « el objeto de este establecimiento será, pues, la enseñanza de la mecánica y la arquitectura hidráulica con todas la aplicaciones necesarias a la construcción de caminos, puentes, canales y a las demás obras y objetos particulares que tienen conexión con ellos ; agregándose a esto la delineación de planos y de más que se requiere para la perfecta instrucción ».
95 Dans l’histoire des routes en Espagne, Uriol Salcedo évoque les changements d’effectifs et d’appointements comme suit : 20 troisièmes aides sortant de l’école avec 9.000 réaux par an, 10 seconds aides avec 12.000 réaux par an, 18 premiers aides avec 15.000 réaux par an.
96 José de Urrutia (1739 Zolla - 1803 Madrid) fit ses études à l’académie de Barcelone. Il continua à s’intéresser aux sciences exactes, à la géographie et à l’histoire. Il fut nommé en Nouvelle-Espagne où il fit la reconnaissance du pays et en dressa la carte. De retour en Espagne, il fut professeur de mathématiques pendant six ans au Collège militaire de Ségovie. Puis il participa au siège de Gibraltar. Nommé superintendant du canal de Castille, il fut ensuite envoyé à l’étranger parcourant l’Europe jusqu’en Russie. Il dirigea la place de Ceuta avant de prendre part à la guerre contre la République où il se fit remarquer par sa bravoure. En 1797, il fut nommé ingénieur général et le 28 octobre 1799 inspecteur et comandante general, par intérim, du corps royal d’artillerie.
97 F. Andújar Castillo, Los militares en la España del siglo xviii, pp. 60-64.
98 Real Decreto du 6 août 1801, cité dans le préambule de l’ordonnance du corps royal des ingénieurs de 1803 : « reformando los abusos de su servicio actual […] restableciendo su disciplina, régimen y gobierno, el bien estar y ventajas de los que se conducen dignamente en tan noble carrera… ».
99 F. Andújar Castillo, Los militares en la España del siglo xviii, p. 63, « F. J. Negrete estado en que se hallaba la Infanteria Española en fines del año 1801, y principios del de 1802, expuesto en un informe dado al generalisimo, por el Inspector de dicha arma, Teniente General don Francisco Javier Negrete, quien encargó el arreglo del referido informe en todas sus partes » (BN, ms. 1897).
100 J. Almirante, Bibliografía militar de España : « reflexiones sobre la importancia del cuerpo de ingenieros del Ejército, su constitución actual, defectos que en ella se encuentran y medios, que se han controlado a propósito para corregirlos y perfeccionar aquél ».
101 J. Cepeda Gómez, El ejército en la política española, pp. 124-125.
102 J. Vigón, Historia de la artillería española, pp. 19-23.
103 Le comte de Robelin dès 1721 avait exprimé ce souhait dans son mémoire envoyé au Roi Philippe V intitulé : « Essai d’un projet pour former les ingénieurs d’un état en corps et en ordre de guerre ».
104 AGMS, 2e section décima, liasse 2, Circular de la nueva planta de ingenieros Madrid 31 de julio de 1802. Les effectifs évoqués se composaient de : huit directeurs-subinspecteurs, dont trois au moins devaient être maréchal de camp et les cinq restants brigadiers, douze colonels, quinze lieutenants-colonels, quinze sergents-majors de brigades, quarante premiers capitaines, dix capitaines en second, quarante lieutenants, cinquante-six sous-lieutenants.
105 Ordenanza que S.M. manda observar en el servicio del Real Cuerpo de Ingenieros del Ejército, Reglamentos : 1. El de la constitución del real cuerpo de ingenieros del ejército en que se comprehende la del regimiento real de zapadores ; II. El de las funciones y servicio de los oficiales del real cuerpo de ingenieros en las guarniciones de las plazas en tiempo de paz ; III. El de las obras de fortificación, de sus proyectos, y modo de seguirlas ; IV. El de las comisiones particulares que se confian a los ingenieros ; V. El del servicio del real cuerpo de ingenieros en campaña ; VI. El de las obligaciones de todos los individuos del regimiento real de zapadores y minadores ; VII. El del gobierno interior del referido regimiento ; VIII. El de la instrucción teórica y práctica de los ingenieros, zapadores y minadores ; IX. El del servicio durante la paz y en tiempo de guerra del expresado regimiento ; X. El del juzgado privativo del real cuerpo de ingenieros.
106 Ibid., R. 1, art. 1.
107 Ibid., R. 1, art. 2.
108 Antonio Samper exerça du 7 mars 1803 à mars 1808, la direction du corps avec le titre de Teniente General, Jefe de Estado Mayor de Ingenieros.
109 Ibid., R. II, tit I, art. 6, 7, 8, 9, 17, 18.
110 Ibid., R. II, art. 4, 10 et 11.
111 Ibid., R. II, tit. I, art. 3 et 4.
112 Ibid., traité I, tit. VII, art. 1.
113 AGS, GM, 3002, Distribución por ramos de los ingenieros militares en España en febrero de 1778. Divisions avec un ingénieur directeur : Catalogne, Galice, Vieille-Castille, Nouvelle-Castille, Valence, Carthagène, côte de Grenade ; deux directeurs, Andalousie, Ceuta. Les autres provinces avec un ingénieur responsable de grade moins élevé : Navarre ingénieur en second, Guipúzcoa ingénieur en second, Aragon ingénieur en chef, Estrémadure deux ingénieurs en second, Majorque ingénieur en chef, Canaries ingénieur ordinaire, Oran ingénieur en chef.
114 Ordenanza que S.M. manda observar en el servicio del Real Cuerpo de Ingenieros del Ejército, t. I, R. I, tit. II, art. 1-14, art. 1 : définition de ses domaines d’action, art. 5-8 : visites des places, art. 9-11 et 13-14 : formation de l’atlas.
115 Ibid., R. I, tit. II, art. 16-19, 23, 26 et 27. Les ingénieurs nommés en commissions étaient choisis selon leurs aptitudes par rapport au travail à exécuter et non par rapport à leur ancienneté (art. 16, p. 58).
116 Ibid., R. I, tit. I, art. 6.
117 Ibid., R. II, tit. II, art. 20-21.
118 Ibid., R. II, tit. I, art. 31-35.
119 Ibid., R. II, tit. III, art. 1-5 : fonctions du colonel, art. 6 : fonctions en cas de vacances ou d’absence du directeur.
120 Ibid., R. II, tit. IV, art. 1-5.
121 Ibid., R. II, tit. V, art. 1-6.
122 Ibid., tit. IV, art. 6 : « para los empleos desde mayor de brigada arriba se tendrá sólo presente el mayor mérito, aplicación y disposiciones para llenar las obligaciones de gefe, sin atender a la antiguedad sino en caso de iguales circunstanscias ».
123 Ibid., art. 9.
124 Ibid., art. 10 et 12.
125 Ibid., art. 11.
126 Ibid., R. III, tit. 1 : les travaux de fortifications en général, art. 2-8 : fonctions et établissement des juntes royales des travaux de fortifications. Tit. II : travaux par contrat, art. 16 : la junte déterminait les conditions dont l’intendant se chargeait par la suite. Titre IV : les travaux gérés par l’administration, art. 1-2 et 9 : la junte nommait un commissaire chargé de gérer les matériaux en collaboration avec l’ingénieur du détail qui s’occupait des achats.
127 Ibid., R. I, tit. I, art. 8 : la composition de la junte supérieure du corps ; R. III, tit. I, art. 12 : la transmission de tous les projets au Généralissime.
128 Ibid., R. II, tit. II, art. 1 ; tit. I, art. 9.
129 Ordenanza que S.M. manda observar en el servicio del Real Cuerpo de Ingenieros del Ejército, t. II, règlements VI et VII sur le régiment des sapeurs mineurs. Règlement VI que contiene las obligaciones de los individuos de todas las clases que componen el regimiento real de zapadores, tit. I-V : obligaciones de los hombres de tropas y subalternos, tit. VI-X : obligaciones de los oficiales. Règlement VII, del manejo de intereses y gobierno interior del regimiento real de zapadores y minadores.
130 Mineurs : soldats des troupes du génie qui creusaient des galeries souterraines près des ouvrages fortifiés, bourraient l’extrémité de la galerie avec de la poudre de manière à creuser une brèche.
131 Sapeurs : soldats appartenant au génie qui étaient chargés de mener en surface le plus souvent, des ouvrages destinés à aider la prise d’une place forte.
132 Ordenanza que S.M. manda observar en el servicio del Real Cuerpo de Ingenieros del Ejército, t. I, R. II, tit. II, art. 17 et 19.
133 Ordenanza que S.M. manda observar en el servicio del Real Cuerpo de Ingenieros del Ejército, t. I, règlement VIII sur l’académie d’Alcalá de Henares.
134 Ibid., 1.10913, R. VIII, tit. III, VI.
135 Ibid., 1.10912, règlement I, tit. III, del ingreso a oficiales del real cuerpo de ingenieros : « los sugetos que soliciten su ingreso en este cuerpo non podrán ser admitidos en él sin la precisa circunstancia de ser naturales de mis dominios, y haber nacido o halarse connaturalizados en ellos sus padres ; y la de que han servido de oficiales o cadetes en los cuerpos de infantería o caballería de mi exército. »
136 Ibid., R. I, tit. III, art. 2-5.
137 Ibid., 1.10913, R. VIII, tit. IV.
138 Ibid., tit. VII.
139 Ibid., 1.10913, R. VIII, tit. IV.
140 Estudio histórico del Cuerpo de Ingenieros del Ejército, t. II, pp. 28-31, Instrucción preliminar para la academia del real cuerpo de ingenieros establecida en Alcála de Henares, redactada por Antonio Samper el 16 de agosto de 1803 pour l’ouverture de l’académie.
141 Antonio Sangenís (Aragon, Albelda 12 juillet 1767 - Saragosse siège de 17 janvier 1809) fit ses études au Colegio Imperial et puis à l’académie de Barcelone. Il entra dans le corps en tant qu’aide-ingénieur en 1790 et parvint en 1808 au grade de colonel des ingénieurs. En 1795, il fut nommé professeur à l’académie de Zamora et en 1804 à celle d’Alcalá de Henares comme professeur de mathématiques. En 1807, il rédigea un « Tratado analitica de las secciones conicas », « Cantidades radicales y otras teorias de algebra », « Empuje de tierra y de arcos », « Tratado de fortificación de campaña ».
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