Chapitre xiv
Le tribunal et son public. L’inventaire des chenaux de communication
p. 269-285
Texte intégral
1L’aspect public des peines et la propagande organisée autour de leur activité constituent, pour les juges de l’Ancien Régime, une facette capitale de leur travail. Les condamnations infamantes sont censées avoir une efficacité dissuasive, non seulement par l’avertissement donné aux délinquants potentiels, mais aussi par la considérable aggravation que suppose l’exécution de la sentence en public ; le châtiment du coupable aux yeux de tous rétablit symboliquement l’ordre cosmique troublé, réaffirme le pouvoir des autorités et, singulièrement du roi, à dominer le désordre, permet l’édification des foules par le spectacle de son repentir, sert d’exutoire, enfin, aux passions des spectateurs1 Parmi tous les tribunaux, il semble que l’Inquisition s’attache avec un soin particulier à orchestrer et mettre en scène le discours qui enrobe, accompagne, diffuse et commente son action. L’accentuation de ce trait général ne peut être avancée que sous réserve d’inventaire, car les autres juridictions sont très mal connues. Mais enfin, c’est l’Office qui organise l’autodafé, sans doute la cérémonie judiciaire la plus impressionnante du temps : le saint tribunal n’est pas seulement une machine répressive, nous le savons.
2Il est capital, pour évaluer son efficacité en ce domaine, de mesurer le flux d’information échangé entre son public et lui. Ce chapitre vise à dresser la liste des canaux qui permettent une telle communication et, au-delà du simple inventaire, à calibrer l’importance de chacun. J’examinerai successivement les problèmes liés à la publicité des sentences, puis aux autres modes de communication avec le public en général — visites, édits de foi, san-benito, etc.
La publicité des sentences
De la publicité en général
3J’ai distingué cinq niveaux de publicité parmi les sentences non absolutoires, les autres étant tenues les plus secrètes possibles, sauf cas rarissimes de réhabilitation publique. L’échelle est la suivante, par ordre de gravité décroissante : publication au cours d’un autodafé « général », tenu sur la place publique ; publication au cours d’un autodafé tenu dans une église ; exécution dans un lieu public, hors autodafé — flagellation avec tour de ville à dos d’âne, galères, vergüenza, etc. — ; exécution dans la salle du tribunal devant un petit groupe de témoins choisis ; exécution dans la salle d’audience en présence des seuls juges et officiers du tribunal. Après avoir éliminé, outre les causes « suspendues » et les absolutions de l’instance, les affaires dont j’ignore l’issue, après avoir regroupé d’un côté les affaires ayant donné lieu à un maximum de publicité (première et seconde classe) (A), de l’autre celles dont aucun des éléments de la sentence n’est affecté d’une publicité supérieure à sa proclamation dans la salle d’audience (B), j’arrive, pour les seuls procès « en forme », aux proportions suivantes2 :
4Une dichotomie apparaît, que nous connaissons bien maintenant, entre les délits, souvent les plus graves, qui font systématiquement l’objet d’une sentence publique (judaïsme, mahométisme, bigamie) et ceux où, à l’inverse, le dénouement est le plus souvent secret (paroles scandaleuses et propositions, délits contre le Saint-Office). Certaines catégories, comme le protestantisme, la sorcellerie surtout, connaissent une évolution vers une plus grande discrétion. Il y a d’ailleurs une tendance générale dans ce sens, notable dès la seconde moitié du XVIe siècle, et qui ne fait que s’affirmer au XVIIe. On en a trace dans les textes normatifs de l’époque, comme le manuscrit d’Isidoro de San Vicente, qui déclare qu’en dépit de ce que prévoient les instructions, il faut réconcilier dans la salle d’audience, quoiqu’avec confiscation des biens, l’hérétique formel qui s’est dénoncé spontanément, même s’il agit par peur d’être devancé par les témoins3.
5Par ailleurs le rang social du coupable a toujours été pris en compte : plus il était élevé, plus il était improbable qu’on lui impose une pénitence publique, sauf lorsque le tribunal cherchait à frapper un grand coup. De ce point de vue, les clercs étaient particulièrement protégés. Il était exceptionnel qu’un prêtre soit exposé à la vindicte publique : c’est ce qui explique le taux de publicité particulièrement bas dans le cas du délit de sollicitation. On pouvait d’ailleurs combiner certains effets d’une sentence publique avec une relative discrétion en obligeant le clerc coupable à se rétracter par un sermon dont seuls quelques-uns de ses collègues étaient censés savoir que les termes en avaient été dictés par l’Inquisition. Cette attitude n’était pas particulière au Saint-Office. Préserver la réputation du clergé et des élites sociales était tâche prioritaire pour quiconque détenait une parcelle du pouvoir judiciaire : les Mémoires du Père Pedro de León, l’aumônier des prisons de Séville à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, sont éloquents à ce propos4.
6En conséquence, l’image publique de l’activité du Saint-Office reflète mal la réalité de son action répressive : elle diminue la part des élites et elle gomme presque entièrement celle d’un clergé dont les incertitudes théologiques et morales sont occultées ; elle modifie le poids respectif des différents délits. Force est de constater, cependant, qu’en dehors du cas de la sollicitation, image et réalité coïncident grossièrement : le tribunal se contente de retouches.
72) L’autodafé. C’était une cérémonie destinée à donner à la proclamation des sentences le plus grand retentissement possible. Il mériterait une monographie. Je n’en donnerai pas ici une description détaillée : il en est d’excellentes5.
8Je me contenterai de mettre en relief les points nécessaires au sujet qui nous occupe. Son aspect essentiellement religieux, tout d’abord. Au XVIIe siècle au moins — mais depuis quand ? — même lorsqu’il était célébré en plein air, il prenait la forme d’une messe, dilatée aux dimensions d’une journée, la lecture des sentences s’insérant juste avant l’offertoire, à l’instant où avait lieu, à la messe dominicale des paroisses, l’exécution des pénitences publiques imposées par les justices ecclésiastiques : il n’y a pas différence de nature, mais d’échelle. Le temps et le lieu de l’auto étaient donc sacrés. Aussi ne pouvait-on y exécuter les peines de sang. Par ailleurs, à partir de l’offertoire, cette sacralité s’élevait d’un degré, puisqu’on entrait dans la liturgie du mystère de l’Eucharistie, de la communion des fidèles dans le Christ. C’est pour cela que les condamnés à mort, dont la séparation définitive de l’Église visible avait été constatée, étaient expulsés physiquement de l’endroit et conduits au supplice avant la reprise du sacrifice. Avant l’offertoire également, les réconciliés, coupés de l’Église par l’hérésie à laquelle ils avaient maintenant renoncé, abjuraient et se voyaient réintégrés dans le sein du peuple chrétien.
9Par sa structure, l’autodafé est un rite de l’unanimité retrouvée ; un drame symbolique, mais qui va au-delà du symbole et acquiert, par l’exécution effective des réprouvés, un poids considérable. La nature de la cérémonie appelle la participation de la foule. Elle en est un acteur essentiel. Tous les rapports inquisitoriaux insistent sur sa présence : c’est pour elle qu’est organisée la cérémonie. Son rôle est codifié : elle doit manifester son attachement à la foi et son unanimité en réagissant collectivement, sans faille, sans discordance. Elle doit regarder et écouter pour s’instruire et s’édifier. Elle doit manifester son adhésion en adorant dans un même agenouillement l’hostie devenue corps du Christ qu’élève le prêtre. Elle doit hurler son attachement à l’orthodoxie en escortant les condamnés en marche vers le bûcher aux cris de « Vive la foi, meure l’hérésie ».
10Il est possible, parmi d’autres lectures, de voir dans l’autodafé un instrument pédagogique. Tout y porte. La longue lecture des sentences, d’abord, chacune accompagnée d’un substantiel préambule, omis lorsqu’elle est rendue dans l’intimité de la salle d’audience, qui résume les chefs d’accusation et donne un bref aperçu de la procédure : puissante mise en garde contre des croyances ou des comportements que réprouve l’Église ; nous verrons combien cette exhibition contrôlée frappait les foules. Le sermon, dont il y a gros à parier, quoiqu’à Tolède, je ne connaisse pas de textes, qu’outre une pondération des grandeurs de la religion catholique, il exposait les erreurs des coupables. Peut-être insistait-il sur certaines d’entre elles, renforçant les effets de la sélection opérée par les inquisiteurs et tirant la leçon d’un spectacle qui, par sa longueur, sa lenteur et son caractère diffus risquait de lasser l’auditoire en lui faisant perdre le fil conducteur. La présence, lors des autos solennels célébrés sur la place publique, de toutes les autorités civiles et religieuses6, celle du roi, parfois, très recherchée, le serment que tous, y compris le souverain, prêtaient au tribunal de l’aider et le défendre par tous les moyens, marquaient que tout ce qui comptait dans le pays cautionnait l’Office et se rangeait sous sa bannière. Le défilé des notabilités, ministres du tribunal, pourvus de leur insigne, gardant les prisonniers, renforçant l’escorte des juges et assistant à la représentation sur la scène même, confirmait cette impression. La splendeur des costumes, la présence de la troupe, la musique, les chœurs de la cathédrale, les chants, le bruit, l’entassement et la durée des opérations, le fait, aussi, qu’on traitait de problèmes qui tenaient à cœur les assistants, tout contribuait à la réception du message. Les san-benito dont étaient revêtus les accusés, d’une couleur jaune voyante, marqués de signes qui exprimaient visuellement la gravité de leur faute, depuis l’habit nu du simple pénitent, à la croix de saint André du réconcilié, aux flammes et aux démons qui signalaient le relaxé pertinax, facilitaient sa compréhension ; dans la mesure où le code était connu du public : c’était sans doute l’un des points qu’expliquait le prédicateur.
11L’autodafé, l’autodafé général surtout, était donc organisé en fonction du public. Aussi, pour l’occasion, les inquisiteurs composaient-ils un « plateau », sélectionnant les cas les plus spectaculaires. La comparaison des sentences rendues en autodafés de toutes espèces et, à l’autre extrémité de l’axe, sans publicité, révèle des distorsions beaucoup plus considérables qu’entre sentences publiques et secrètes : les délits impliquant l’hérésie formelle sont sur-représentés, ainsi que la bigamie. À l’auto étaient réservées, en principe, les sentences les plus graves : condamnations à mort et réconciliations. C’est autour d’elles qu’on bâtissait la fête7. On les complétait par quelques procès mineurs exemplaires, qui portaient sur les thèmes de propagande prioritaires du moment.
12L’auto « général », selon Llorente, se distingue par le nombre et la qualité des accusés, par la solennité et, quoique l’auteur n’en touche mot, par le fait qu’il se déroule sur la place publique. C’est lui qu’on évoque, plus ou moins consciemment, lorsque le terme n’est suivi d’aucun adjectif8. L’auto « particulier » se déroule dans des formes allégées, hors de la présence des autorités, dans une église. Il rassemble généralement moins de condamnés, moins de spectateurs, donne moins de lustre à l’institution, mais lui coûte beaucoup moins cher et réduit les possibilités de conflits. L’auto « singulier » est un autodafé réduit à une seule personne. Quelques-uns eurent lieu sur la place publique et furent entourés d’une grande solennité, presque comme un auto général9. Bien qu’il soit probable que ces deux dernières formes n’aient cessé de gagner en pompe, elles n’eurent jamais le retentissement de la première.
13L’auto général lui-même a évolué. Lea a parfaitement montré comment on était passé d’une cérémonie somme toute assez simple et relativement rapide, à l’énorme machine que nous révèlent les tableaux du XVIIe siècle, mobilisant des centaines de personnes, couvrant d’une scène surélevée et d’un vélum la Plaza Mayor de Madrid, paralysant l’État l’espace d’une journée10... Mes observations confirment localement ses conclusions. Les trente premières années, jusqu’en 1516, exactement, l’autodafé n’avait pas nécessairement lieu, à Tolède, un jour de fête, et ce n’est qu’à partir de 1561 que les instructions de Valdés rendirent obligatoire sa tenue un jour férié11. En 1536 encore, le système était assez souple pour qu’un inquisiteur en visite du district en organise un à Guadalajara, hors la présence de son collègue12. L’évolution des coûts est instructive :
14L’inflation n’est pas seule en cause : de 1555 à 1615, les prix n’ont guère que doublé et ils n’ont encore augmenté que de moitié entre cette date et le milieu du siècle. À l’évidence, il y a volonté délibérée de rendre la parade inquisitoriale chaque fois plus magnifique, en dépit des difficultés financières que connaît le tribunal. L’ambiance poussait à la surenchère, baroque oblige. José Antonio Maravall a insisté sur le rôle de la fête somptueuse, de plus en plus somptueuse pour surprendre un public ébahi, dans le XVIIe siècle espagnol et sur la place qu’elle occupait dans le maintien de l’ordre social, en réaffirmant l’existence de l’autorité et en détournant les esprits de problèmes plus sérieux14. L’Office dut suivre le mouvement, ne serait-ce que pour ne pas paraître inférieur aux institutions concurrentes.
15Ce que l’auto général gagne en somptuosité, il le perd en fréquence. Jusque vers 1500, il était courant d’en célébrer deux par an. À partir de 1580, et plus encore après 1620, c’est la débandade, surtout si l’on tient compte que ceux de 1632 et de 1680, célébrés à Madrid appartiennent à peine à la série tolédane15. Ce phénomène de raréfaction est général : il n’y eut que dix autos sur le territoire actuel de l’Espagne entre 1644 et 1662, même pas un par tribunal16. Leur coût n’en est sans doute pas le seul responsable. Le fait qu’il devienne indispensable de mobiliser des milliers de personnes, de s’assurer, sous peine de perdre la face, le concours d’une foule de plus en plus nombreuse de notabilités parfois en délicatesse avec l’Office rendait difficile l’organisation de ces énormes machines. Les risques d’incidents se multipliaient, d’incidents d’autant plus graves qu’ils étaient publics. C’est vraisemblablement surtout cela qui a fait reculer les inquisiteurs et les a obligés à remplacer l’autodafé général par le particulier.
16Jusque dans la seconde moitié du XVIe siècle, ce dernier est un pis-aller. En 1567 encore, la Suprema ordonne aux juges de Tolède de ne dépêcher en église que les accusés dont les peines sont inférieures à la réconciliation, malgré un désir évident de vider des prisons surpeuplées17. Il y avait pourtant des précédents ; ainsi les deux cérémonies de 1552 — un moment difficile pour le tribunal, qui ne pouvait alors se montrer trop regardant —, l’une le 17 janvier à la cathédrale, l’autre le 23 octobre au monastère de San Pedro Mártir, où nombreux avaient été les réconciliés18. Mais l’auto général conservait la préférence.
17Une raison théologique la justifiait : l’impossibilité d’admettre dans un lieu de culte des excommuniés irréductibles. Les futurs réconciliés eux-mêmes faisaient problème. Mais on sut passer outre lorsqu’il fallut. En 1570, plusieurs circulaires invitèrent les tribunaux à se débarrasser le plus vite possible des détenus qui mangeaient aux frais du fisc... à condition que leur comparution en auto ne soit pas prévue19. Jusque-là, le versement de l’aide de coût était lié à la célébration de l’auto ; on l’en détacha, encourageant de fait les juges à limiter le nombre des cérémonies. Le pourcentage des accusés condamnés à y paraître poursuivit une baisse amorcée depuis longtemps, mais il n’y eut aucun rééquilibrage entre la forme générale et la particulière. C’est vers 1620 que se produisit la substitution, de manière brutale, si brutale qu’elle laissa en suspens la question des exécutions capitales. On en vint à conserver les condamnés à mort dans les prisons secrètes pendant des années en attendant qu’un tribunal célébrât une cérémonie. On les envoyait alors se faire brûler à l’autre bout de l’Espagne... La question ne fut résolue que dans la seconde moitié du XVIIe siècle, lorsqu’on se résigna à remettre les condamnés à mort au juge séculier avant d’entrer dans l’église.
L’édit, la visite et le san-benito
L’édit de foi
18Sujet bien mal connu. Nous disposons de nombreux exemplaires de l’édit de foi inquisitorial à partir du XVIIe siècle, quand la Suprema entreprit d’en unifier le texte. Mais nous ne savons pas grand chose du XVIe. Une tradition fondée sur les affirmations de Llorente fait à la fin des années qui nous est parvenu : remonter 1520 l’élaboration d’un document assez semblable à celui c’est alors qu’on aurait ajouté aux judaïsants, seuls visés jusque-là, protestants, mahométisants, illuminés (alumbrados), sorciers et, peut-être, blasphémateurs et bigames20 ; malheureusement, ces précisions correspondent mal aux rares fragments que nous avons conservés, si bien que j’ai des doutes sur ce que dit Llorente. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, de toute façon, des précisions supplémentaires furent ajoutées et des délits nouveaux introduits, telle la « simple fornication » en 1574 ou, après de longues hésitations, la sollicitation en confession21.
19En 1567, alors qu’elle préparait la grande instruction sur les visites, la Suprema demanda à chaque tribunal de lui communiquer sa version. Ce n’est toutefois qu’en 1630 qu’elle imposa un texte unique. Les variations antérieures semblent minimes, cependant, davantage de forme que de fond, en Espagne du moins, car il en va peut-être autrement en Amérique. Depuis le début, en effet, les grandes lignes étaient fixées par l’inquisiteur général et le Conseil22.
20L’édit donnait la liste des délits poursuivis par la cour et ordonnait témoins de les dénoncer sans retard. Sa lecture était suivie, dans la semaine, de celle de l’anathème, qui déclarait excommuniés ceux qui ne l’auraient pas fait. Elle était accompagnée d’un sermon qui jouait un rôle essentiel. Une lecture suivie de l’édit, à haute voix, le rend presque incompréhensible : aux l’auditeur est noyé sous un flot de détails dont il lui est difficile de rien retenir de précis. Le prédicateur avait sans doute pour tâche, non seulement d’insister sur les raisons qu’il y avait de dénoncer, mais encore de traduire en langage accessible l’énoncé des comportements susceptibles de faire l’objet d’une délation.
21Le recours à cette technique n’a rien d’original. C’était une méthode couramment employée par les tribunaux ecclésiastiques, bien avant que l’Office n’existe en Espagne. L’Inquisition, encore une fois, n’a fait que copier la pratique des cours épiscopales23. Le fait a son importance. Bien moins dramatique qu’il n’y paraît, son action ne constitue pas, pour les auditeurs, une menace aussi terrifiante qu’extraordinaire : elle s’inscrit dans un cadre connu, dans lequel ils ont appris à vivre et à composer.
22La diffusion de l’édit est mal connue. Je crois qu’au XVIe siècle, il n’était lu que par l’inquisiteur en visite. L’absence d’agents locaux impliquait d’ailleurs qu’il en fût ainsi. Cet état de fait permet d’expliquer, au passage, l’existence de « visites » au siège même du tribunal, comme celle de Tolède en 153824 : il n’y a pas déplacement physique des juges, simplement proclamation des édits de foi et d’anathème. Au XVIIe siècle, la raréfaction de tournées conduisit à en confier la lecture aux commissaires, par transposition sans doute de la pratique développée à propos des édits particuliers (cf. ci-dessous). Cette obligation fut codifiée dans la première moitié du XVIIe siècle : la circulaire du 12 juin 1623 prévoyait qu’ils le feraient lire dans toutes les agglomérations de plus de trois cents feux une fois l’an, au début du Carême. Il est évident qu’ils devaient passer par l’intermédiaire des curés hors de leur résidence. En 1631, le rythme fut ramené à une fois tous les trois ans25. Même ainsi, il paraît ne pas avoir été respecté. Les lettres des agents locaux au siège, lorsqu’elles abordent le sujet, ne respirent guère l’optimisme. L’une d’elles, datée de 1652, affirme que la plupart des villages du sud de la Manche ne l’ont pas entendu depuis plus de dix ans26.
23L’Inquisition communiquait aussi avec sa base par l’intermédiaire d’édits particuliers. Il s’agissait de documents signalant, non pas comme l’édit général l’ensemble des domaines sur lesquels le tribunal avait juridiction, mais un point spécial, la plupart du temps inédit. Ainsi, en 1603, le Conseil demandait-il aux tribunaux de province d’annoncer à travers eux que le pape venait de concéder au Saint-Office le droit de juger les intrus qui célébraient et confessaient sans avoir reçu la prêtrise27. C’est par eux qu’étaient diffusés les index de livres interdits et annoncées les condamnations nouvelles. Ils étaient envoyés aux commissaires, souvent imprimés, et ceux-ci les diffusaient auprès des curés qui les lisaient en chaire et les affichaient à la porte de l’église. Cette technique non plus n’était pas originale : les prélats ne procédaient pas autrement pour publier leurs mandements.
24Parfois, l’Inquisition demandait que l’on prêchât sur un sujet particulier. J’ai vu celle de Tolède réclamer à plusieurs reprises des sermons contre la magie dans des villages où des procès en avaient révélé la nécessité. De même, la circulaire du 20 novembre 1574 qui prévoyait l’inscription de la simple fornication dans l’édit de foi ordonnait-elle aux tribunaux de prier les curés de mener une campagne sur le sujet. Nous avons des témoignages qui prouvent que vers le milieu de l’année 1575, plusieurs prêtres passèrent effectivement aux actes. Ainsi à Techada, à la mi-mai, le pasteur avertit ses paroissiens :
Qu’il a vu un mandement des inquisiteurs de Tolède, par lequel ils ordonnaient aux curés du district de Santa Olalla d’admonester leurs paroissiens à propos de la simple fornication, afin que nul ne puisse prétendre ignorance pour dire qu’il n’y avait pas péché mortel lorsqu’un homme avait des relations sexuelles avec une femme qui n’était pas la sienne. Car c’en est un, et dire le contraire est une hérésie. Messieurs les inquisiteurs ordonnaient de le publier pour le faire savoir, car, désormais, les coupables qui tomberaient dans ce péché seraient châtiés avec plus de rigueur. Il dit aussi qu’on ne lui avait pas notifié ce mandement en tant que commissaire, bien qu’il le fût, mais qu’il l’avait vu à Tolède28.
La visite
25Il n’en reste pas moins que la visite du district est l’un des grands moments de communication entre l’inquisiteur et ses ouailles. Tout y est organisé pour susciter la délation. L’inquisiteur visite non pas une ville, mais une région. Ne pouvant se rendre en personne partout, il fait répercuter ses édits par les curés des villages environnants qui les lisent à la grand-messe, après l’avoir fait annoncer la veille dans les rues et les places accoutumées. Les résultats sont très inégaux, à en juger par ces quelques exemples29 :
26La nature des délits dénoncés est aussi variable que le volume des dénonciations, même si on peut déceler une évolution qui correspond assez bien à celle des centres d’intérêt du tribunal :
27Les variations à court terme sont importantes. Dans telle visite, on relève un pourcentage élevé de sollicitants, et, l’année d’après, dans une région voisine, les pratiques magiques occupent la première place : il est difficile d’imaginer que des changements aussi brusques soient uniquement dus à une évolution effective des comportements susceptibles de donner lieu à dénonciation. Deux hypothèses sont envisageables.
28La première, c’est que l’inquisiteur et son notaire sélectionnent ce qui doit être enregistré et qu’une part importante de l’activité effective nous échappe irrémédiablement. Une telle sélection est évidente. Elle a même laissé des traces dans les archives : il arrive qu’on commence à noter une déposition, qu’on s’avise en cours de route qu’elle n’intéresse pas le Saint-Office et qu’on interrompe sa transcription en s’excusant sur son manque de substance30 : nous n’avons conservé que ce que les inquisiteurs eux-mêmes ont jugé utile. On peut cependant supposer qu’une telle censure restait exceptionnelle : on se demande bien, à voir le nombre de témoins interrogés certains jours, à quel moment on aurait pu en recevoir d’autres...
29La seconde hypothèse suppose que le prédicateur du sermon de l’édit avait reçu pour instruction d’insister sur l’un ou l’autre délit. Elle seule me paraît susceptible d’expliquer la brutalité des variations que nous avons enregistrées. La constatation est d’importance car, aux côtés d’autres indices, elle tend à prouver que l’Inquisition, même à l’époque de sa splendeur, n’a pas réussi à établir un dialogue direct avec la population, qu’elle a toujours eu besoin d’intermédiaires.
30L’analyse fine de la chronologie d’une demi-douzaine de visites à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle montre avec netteté que c’est la lecture de l’édit de foi qui déclenche le flot des dénonciations, l’anathème ne jouant qu’un rôle secondaire. Elle montre aussi combien il est inutile pour l’inquisiteur de prolonger son séjour : trois semaines après les premières dénonciations, le flux se tarit : on profite de sa présence pour régler de vieilles affaires (cf. p. 145) ; mais l’Inquisition ne constitue pas un recours quotidien.
31L’inquisiteur a du mal à mordre sur les agglomérations autres que celle où il réside. En reportant sur la carte la liste des lieux où il envoyait pour lecture l’édit de foi, j’ai eu la surprise de constater qu’il négligeait de nombreux villages, pas nécessairement les moindres. Quant aux dénonciateurs, ils viennent pour la plupart de l’endroit même où réside le visiteur : si, en 1616, on ne tient pas compte des trente-huit personnes descendues de Garganta de los Montes pour dénoncer la même sorcière, trente-deux des soixante-quatorze dénonciateurs restants viennent de Torrelaguna, Uceda et Talamanca, les trois agglomérations que le magistrat a visitées personnellement. En 1607, Talavera envoyait onze des trente-deux dénonciateurs ; des centres aussi importants qu’Arenas de San Pedro, Mombeltrán, Oropesa n’étaient pas représentés.
32La visite enfin, telle qu’elle est pratiquée après 1560, ne contribue que fort peu à alimenter l’activité de l’Office, sauf exception. En 1590, la tournée d’Alcazar amena quatre-vingt-deux dénonciations, qui donnèrent lieu à vingt-sept procès en forme. Chiffre illusoire : si on élimine les judaïsants que le tribunal connaissait déjà, au point qu’on peut se demander si ce n’est pas contre eux qu’était organisée la visite, on n’a plus que quatre procès pour cinquante-quatre dénonciations, 7 % seulement. Deux procès et trois causes allégées en 1616, pour soixante-trois personnes dénoncées ; quatre procès encore, dont un douteux, pour quatre-vingt-une personnes en 1620, même pas 5 %. Dans certains cas, l’information recueillie est insuffisante pour entamer les poursuites. Dans beaucoup d’autres, rien ne semble justifier l’abstention, du point de vue juridique. Bon nombre d’affaires ont l’air de ne pas intéresser la cour. Problème d’éloignement ? Délits qui ne rentrent pas dans sa politique du moment ? Manque de temps ? Toujours est-il que nous retrouvons par une autre voie une conclusion que nous avions déjà tirée de l’étude externe des visites : passées les années centrales du XVIe siècle, elles ont un caractère toujours plus décoratif et dénué de substance.
Les san-benito
33Réconciliés et condamnés étaient revêtus, au moment d’exécuter la sentence, d’une espèce de chape jaune sur laquelle des signes de différentes couleurs symbolisaient la gravité de leur faute. Les réconciliés la portaient ensuite sur leurs autres vêtements pendant la durée de leur séjour dans la prison perpétuelle. On appelait aussi san-benito, par extension, une pièce d’étoffe qui, munie d’un écriteau donnant le nom, la résidence et le délit du coupable, était suspendue soit dans l’église du lieu où avait été exécutée la sentence, soit dans le temple paroissial de l’agglomération où résidait l’intéressé. Ces mantetas, comme les nomme Llorente, perpétuaient la mémoire condamnations. Elles ont meublé les églises d’Espagne jusqu’en 1820 au moins ; par la suite, les libéraux les détruisirent ou on les laissa tomber en lambeaux sous l’effet du temps.
34Leur rôle fut immense, nous y reviendrons31. Disons pour l’instant que le Saint Office les dispersa dans les paroisses au cours de la première moitié du XVIe siècle. Llorente attribue cette mesure à une circulaire du Conseil en date du 9 décembre 153232. En fait, le mouvement avait commencé bien avant. En 1513, par exemple, la Suprema ordonnait déjà de distribuer les habits pénitentiels entreposés au lieu d’exécution des peines dans les églises de la résidence des accusés, et nous verrons un inquisiteur effectuant ce transfert à Madrid en 1548 ou 1549 (cf. p. 340)33. C’était peut-être l’instrument le plus efficace de la propagande inquisitoriale : tous les dimanches et fêtes, la population entière avait sous les yeux un objet qui lui rappelait l’existence du tribunal et son action en une matière qui, en dehors des familles visées, faisait l’unanimité. Les instructions prévoyaient que l’inquisiteur en visite devait inspecter et restaurer les san-benito. Cette tâche fut ensuite confiée aux commissaires.
35Les nouveaux-chrétiens de juifs, car c’est de judaïsants qu’il s’agissait dans l’immense majorité des cas, n’appréciaient guère cette publicité et les visites révèlent souvent des actes de malveillance, des destructions, des disparitions inexpliquées. En 1616, ce ne sont pas moins de dix dénonciateurs et témoins qui accusent Pedro López Moreno Xijas, de Torrelaguna, d’avoir criblé de trous et rendu illisible le san-benito de son grand-père, placé tout près de la chaire, et de s’en être vanté34. En 1606, c’est l’inquisiteur Girón qui convoque à Almagro un prêtre de Ciudad Real pour lui faire préciser la dénonciation qu’il avait faite au cours d’une visite précédente, touchant au san-benito d’un certain Chacón, dans l’église de Picon, qui aurait disparu une trentaine d’années auparavant : on soupçonnait Luis Alfonso Destrada, un ancien gouverneur de la ville. Le témoin affirma ignorer le nom du coupable35. Il est clair que les victimes qui lavaient leur honneur en sabotant les « habits d’infamie » profitaient de complicités tacites. Il n’en est pas moins vrai que les san-benito, par leur présence constante, par leur nature, par leur dispersion dans toutes les villes et tous les bourgs du district, firent beaucoup pour la popularité de l’Office.
Bilan
36Il est d’autres interfaces entre l’Inquisition et ses justiciables : institutionnels, comme les commissaires, sur lesquels je n’ai rien à ajouter ; informels comme ces prêtres que nous avons vus conseiller témoins et dénonciateurs, mais qui, par définition, échappent à toute pesée précise. Or, c’est ce qu’il s’agit de tenter maintenant : la mesure globale du volume de ces chenaux de communication.
37Ma première conclusion portera sur leur progressif rétrécissement. La diminution du nombre des sentences publiques sous causes de foi « en forme » est impressionnante. Ajoutons-y la quasi-disparition des procès allégés, qui renforçaient encore le maximum d’activité des années 1561-1570 et qui donnaient souvent lieu à des pénitences publiques... Signalons l’effondrement, dès le milieu du XVIe siècle, des sentences qui prévoyaient la publicité à un degré inférieur à l’autodafé : elles avaient l’avantage d’être exécutables hors la présence d’un inquisiteur, ce qui autorisait la dispersion géographique des lieux d’exécution et multipliait leur impact. Insistons sur le passage de l’autodafé général, qui mobilisait les grandes foules et attirait les campagnards, à l’auto particulier qui n’aura jamais son retentissement. Revenons enfin sur la décadence des visites : moins nombreuses, touchant directement moins de localités, suscitant moins de dénonciations, elles deviennent le symbole d’une Inquisition qui, passé le XVIe siècle, se replie sur des apparences chaque jour plus imposantes, qui ne font que dissimuler une inaction de plus en plus évidente.
38L’Office, donc, se coupe progressivement de sa base. Peu à peu, la communication devient plus rare, plus ténue. Certes, on met en place de nouvelles formules : les commissaires, mais ce ne fut qu’un palliatif et nous avons vu comment leur réseau s’était progressivement étiolé ; les édits particuliers, qui se multiplient, mais qui portent surtout sur les livres et qui ne peuvent intéresser les masses dans un monde où la lecture, la lecture savante surtout, reste rare.
39Mon second point soulèvera une question pour l’instant insoluble. Toutes les institutions judiciaires, toutes les institutions administratives entretiennent un dialogue avec leurs justiciables et leurs administrés par des canaux de même nature que ceux qu’utilise l’Inquisition. Quelle est la place du Saint-Office dans cet ensemble ? Autrement dit, quel est son poids dans l’appareil de gouvernement du pays, ce mot étant pris au sens le plus large ? Statistiquement, même à l’époque de sa splendeur, au milieu du XVIe siècle, il ne paraît pas considérable : une dizaine de milliers de personnes, toutes de Tolède ou des environs, assistent à un autodafé une fois tous les deux ans ; dans les campagnes, on lit un édit de foi tous les quatre ou cinq ans et un inquisiteur passe dans les bourgs une fois tous les dix ou quinze ans ; on exécute une pénitence publique dans l’une des églises paroissiales une ou deux fois par an dans les grandes villes, au maximum, une fois tous les deux ou trois ans dans les bourgs, plus rarement encore dans les villages ; quelques rares personnes sont amenées prisonnières ou convoquées, de loin en loin, à Tolède... ; ajoutons-y le spectacle des sanbenito, surtout dans les villes et les bourgs. Peu de chose, finalement, en dehors de visites.
40Était-ce davantage que d’autres tribunaux ? Je ne puis que déplorer notre ignorance, notre ignorance totale de la question, faute d’études. Quelle que soit la conclusion, cependant, elle devra tenir compte du fait que l’Inquisition n’est pas un tribunal comme les autres : elle poursuit l’hérésie, le plus grave de tous les crimes, celui qui, même pour des esprits simples, rejette hors de la communauté des hommes. Mais elle ne fut jamais un tribunal du quotidien. Rien de plus faux que l’image romantique d’un pays tout entier oppressé sous le poids d’une institution omniprésente. Au moins en ce qui concerne les vieux chrétiens : tous savaient qu’elle existait ; mais son action était rare, lointaine, statistiquement, géographiquement, mais surtout socialement. Il leur était difficile d’imaginer qu’elle les concernait, eux ou leurs voisins. Les san-benito, l’autodafé aussi, disaient assez que ce n’était pas eux qu’elle visait. Seul l’édit suggérait le contraire. Mais on avait l’habitude de tels mandements et on savait ce qu’en valait l’aune : le fait que les dénonciateurs, spontanément, ne pensent pas à l’Office le dit assez. Or, une bonne partie de l’action du tribunal vis-à-vis des vieux-chrétiens va consister à susciter l’amalgame, à leur faire comprendre qu’eux aussi relevaient du tribunal de la foi, au même titre que les conversos, les morisques, les protestants ou les étrangers, que l’hérésie ne s’arrêtait plus comme autrefois aux portes de leur « race », bref, que les exigences de l’Église avaient changé. Ce n’allait pas être facile.
Notes de bas de page
1 Référence obligée, dont on peut admettre les conclusions sous réserve : M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975. De nombreuses études ont porté sur ce point. En dernier lieu : Pieter Spierenburg, The Spectacle of Suffering. Executions and the Evolution of Repression, Cambridge, Cambridge University Press, 1984.
2 Les lignes des tableaux correspondent aux types de délits (cf. p. 236-237). La différence à cent de la somme des deux colonnes (A) et (B) donne les pourcentages correspondant à la troisième classe de publicité.
3 Manuscrit San Vicente, AHN INQ, lib. 1245, ch. IV, Introduction, f° 74R°.
4 En 1585 éclata à Séville une affaire d’homosexualité qui impliquait de nombreuses personnes, entre autres des moines et des « mozos caballeritos » de bonne famille. L’auteur, personnage prestigieux et écouté, se vante d’avoir convaincu témoins et complices de ne pas mentionner leur nom et les juges de ne pas les poursuivre. Les accusés de moindre rang furent brûlés (Pedro de León, Grandeza y miseria en Andalucía..., Pedro Herrera Puga, éd., Grenade, Facultad de Teología de Granada, 1981, p. 434 et suivantes).
5 II n’existe cependant pas de synthèse sur le sujet. Outre les pages que lui consacrent les ouvrages généraux, je citerai en dernier lieu : María Isabel Pérez de Colosía Rodríguez, Auto inquisitorial de 1672 : el criptojudaismo en Málaga, Malaga, Diputación Provincial de Málaga, 1984, qui édite et commente la relation imprimée d’un autodafé tenu à Grenade, et Victoria González de Caldas, « El auto de fe : modalidades de un ritual », Images et représentations de la justice du XVIe au XIXe siècle, Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail, 1984, p. 41-59, qui utilise des documents graphiques de l’époque.
6 Les autorités de passage assistaient à l’auto si les inquisiteurs estimaient que leur présence pouvait rehausser son éclat. Il est possible que certains aient été organisés pour profiter d’une conjonction d’invités particulièrement prestigieux. Le roi assista à plusieurs autodafés célébrés à Tolède, en particulier Philippe II à l’auto général du 9 juin 1591 (AHN INQ, leg. 2105, exp. 73) et Philippe III à celui du 5 mars 1600 (Mss. Halle, autodafé 1600).
7 Condamnation sans appel des historiens qui prétendent reconstituer l’activité de l’Office en extrapolant à partir des seuls autodafés. À fortiori, à partir des seuls autodafés généraux, pour lesquels la distorsion est encore plus forte. Entre 1561 et 1620, 80 % des sentences hors publicité portent sur le délit de paroles scandaleuses, contre seulement 35 % des sentences prononcées en autodafé (général ou en église). De 1621 à 1700, les chiffres concernant le judaïsme sont respectivement de 72 et 12 %.
8 J. A. Llorente, Historia crítica de la Inquisición en España, Madrid, Hiperión, 1980, [1817-1818], I, p. 20. Au sens que je donne à ce mot, il y avait beau temps qu’on ne célébrait plus d’autodafés généraux en Espagne à l’époque où il écrivait. Il ne pouvait les connaître qu’à titre de références historiques.
9 Autodafé tenu à Madrid par l’Inquisition de Tolède en 1624 pour la condamnation de Benito Ferrer. Cf. B. Bennassar, L’Inquisition espagnole, XVIe -XIXe siècle, Paris, 1979, p. 252-254.
10 Lea, III, p. 209-229.
11 Instruction 77, Monteserin, p. 238. Liste des autodafés généraux de Tolède pp. 936-937 de la version microfichée du présent ouvrage.
12 AHN INQ, leg. 497, exp. 1.
13 Les comptes sont difficiles à utiliser pour calculer le coût des autodafés, car tout ou partie des dépenses peut se dissimuler dans des lignes comptables dont le titre n’a apparemment rien à voir avec la cérémonie. Je n’ai pas retrouvé l’équivalent des feuilles de frais qui, en d’autres tribunaux, accompagnent parfois les rapports envoyés par la cour au Conseil. Les chiffres que je cite sont tirés des comptes, sauf celui de 1632, pour lequel je donne l’évaluation ex ante soumise au roi par une consulte (AHN INQ, leg. 5048, caja 2, consulta du 18/6/1652).
14 J. A. Maravall, La cultura del Barroco, Barcelone, Ariel, 1975, spécialement p. 499 et suivantes.
15 La cérémonie de 1691, à Tolède, fut peut-être le dernier autodafé général d’Espagne. Il est postérieur, en tout cas, à tout ce que cite la littérature que j’ai pu consulter.
16 AHN INQ, lib. 1331, f° 127R-130V.
17 AHN INQ, lib. 576, f° 7V.
18 AHN INQ, lib. 574, f " 254V ; leg. 3067, exp. 37 ; exp. 43 ; exp. 5. AHN INQ, lib. 1231, f° 192V
19 AHN INQ, lib. 574, f " 254V ; leg. 3067, exp. 37 ; exp. 43 ; exp. 5. AHN INQ, lib. 1231, f° 192V
20 J. A. Llorente, ouvr. cité, I, p. 311 ; II, p. 31-34 ; p. 69-70.
21 Lea, IV, p. 99-136.
22 AHN INQ, lib. 576, f° 26R°. Voir sur tout cela : G. Henningsen, The Witches’Advócate. Basque Witchcraft and the Spanish Inquisition, Reno, The University of Nevada Press, 1980, p. 95-105.
23 J’ai trouvé le texte de l’édit d’un visiteur épiscopal d’Avila, datant du début des années 1530 (AHN INQ, leg. 36, exp. 25).
24 AHN INQ, leg. 43, exp. 12.
25 BNM, Mss. 5760, art. « Edictos ».
26 AHN INQ, leg. 4, caja 1.
27 BNM, Mss. 5760, art. « Intrusos ». AHN INQ, leg. 74, exp 22.
28 BNM, Mss. 5760, art. « Intrusos ». AHN INQ, leg. 74, exp 22.
29 Les registres de témoignages correspondant à ces visites ont été conservés. Références : 1549 et 1550, AHN INQ, leg. 497, exp. 5 ; 1553 et 1554 : leg. 496, exp. 3 ; 1590 : leg. 496, exp. 1 ; 1593 : leg. 496, exp. 5 ; 1595 : leg. 496, exp. 3 ; 1596 : leg. 497, exp. 4 ; 1606 : leg. 496, exp. 3 ; 1607 : leg. 496, exp. 4 ; 1620 : leg. 496, exp. 2 ; 1628, leg. 496, exp. 6.
30 Ainsi cette dénonciation faite le 29/4/1607 à l’inquisiteur Manuel, en visite à Talavera, à propos de laquelle le notaire se contente de noter, sans même préciser le nom de l’intéressé : « El cual, examinándole el señor inquisidor, no dijo cosa de fundamento, y así no se escribió lo que decía » (AHN INQ, leg. 496, exp. 4, f° 144R). Les notations de ce genre sont assez rares.
31 Cf. p. 339-341.
32 J. A. Llorente, ouvr. cité, t. II, p. 53.
33 AHN INQ, lib. 1231, f° 193R. À Tolède, le transfert des san-benito de la cathédrale vers les paroisses eut lieu en 1538. Sebastián de Horozco, qui rapporte le fait, précise « que ce fut au plus grand déplaisir des judéo-convers dont les ancêtres avaient été condamnés » (Sebastián de Horozco, Relaciones históricas toledanas, lack Weiner, éd., Tolède, 1981, p. 111).
34 AHN INQ, leg. 497, exp. 8, f° 67R-68R, etc... Le tribunal ne donna pas suite, sans doute parce que l’accusé était déjà mort.
35 AHN INQ, leg. 496, exp. 3, f° 302R-303R.
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