Résumé
p. 345-346
Texte intégral
1Lope de Vega (1562-1635) a écrit six pièces qu’il a appelées tragedias et une trentaine d’autres tragicomedias à une époque où l’usage voulait que toutes les pièces soient désignées par une étiquette hypergénérique, celle de comedia. L’hétérogénéité de cet ensemble de pièces, leur voisinage problématique avec le reste des comedias de Lope et, surtout, l’absence d’un système théorique auquel il puisse être corrélé semblaient condamner à une aporie toute tentative d’approche systématique, notamment poétologique, de ce corpus. Prenant acte de la nature discursive et non plus seulement textuelle de cette production, c’est une pragmatique de la tragedia lopesque que l’on se propose de définir ici. Que veut dire pour Lope baptiser une pièce tragedia ? Comment les pièces de Lope se positionnent-t-elles par rapport au champ, particulièrement instable, des conventions du genre à l’époque ? En faisant apparaître des tensions entre les lieux d’inscription des dénominations génériques émanant d’instances d’énonciation et de niveaux du texte différents, l’analyse du fonctionnement de l’étiquetage générique conduit à s’interroger sur l’articulation entre « genre auctorial » et « genre lectorial » dans ce corpus : si Lope a effectivement décidé d’écrire des tragedias, ces pièces ont-elles été reçues comme telles ? ou, plus exactement, pouvaient-elles l’être ? La reconnaissance du genre requiert en effet des compétences et ne peut se faire que sur la base d’un apprentissage préalable. Or, le contexte espagnol est particulier de ce point de vue. La Poétique d’Aristote et les modèles antiques qui, en Italie et plus tard en France, alimentent un retour au genre ont été peu et très mal reçus. La tragédie en Espagne, avant Lope, est ainsi connue pour être un genre mort-né, voire sans consistance véritable, hors du cadre d’une élite d’érudits étrangers au monde des théâtres commerciaux, les corrales de comedias. Dans ces conditions, comment une idée de la tragédie suffisamment consistante pour être mobilisée dans les mécanismes de composition et de réception du théâtre de Lope a-t-elle pu se former ?
2Cet ouvrage explore ainsi dans un premier temps la formation de compétences génériques du public du corral en amont de la tragédie lopesque, à partir de deux ensembles de pièces : celui de la tragédie philippine qui regroupe les œuvres tragiques écrites entre 1575 et 1585, à la fin du règne de Philippe II, et celui des comedias tragiques écrites au tournant du siècle, au moment où la Comedia Nueva est en passe d’être triomphante. Jusqu’à quel point est-il vrai, comme s’accordent à penser la plupart des critiques, que les tragédies de l’ère philippine étaient « irreprésentables » ? Qu’advient-il ensuite de la tragédie à l’ère de la Comedia Nueva ? Le public était-il toujours à même d’en reconnaître la trace dans le mixte tragi-comique ? L’ouvrage revient ensuite à la tragédie lopesque proprement dite. C’est une tragédie entre deux âges qui y est décrite. Continuateur du travail d’adaptation auquel dramaturges et metteurs en scène ont soumis le genre depuis ses débuts pour le rendre plus intelligible et plus plaisant au corral, sous la pression du contexte politico-culturel des années 1620, Lope est conduit à renouer avec une image de la tragédie, celle de la « grandeur », qu’il avait en partie déconstruite, au début du siècle. Mais comme la terribilitas tragique qui l’a précédée, cette grandeur, lyricisée, n’est que l’une des facettes d’une formule tragique que Lope instrumentalise à l’envi pour séduire divers types de public en jouant de la plasticité et de la polyphonie d’une forme qui, précisément parce qu’elle n’est pas réglée par des normes, se laisse adapter ad hoc.
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