Leçons pour une jeune reine
p. 85-95
Texte intégral
1Henri IV de Castille (1454-1474), encore mené par des privados, Beltrán de la Cueva, Miguel Lucas de Iranzo, Juan Pacheco de Villena, Pedro Girón, pourfendu moralement par Diego de Valera et Alfonso de Palencia, a reconnu en 1468, par le traité de Toros de Guisando, les droits de sa sœur Isabelle à lui succéder. En 1469, Isabelle de Castille a épousé son cousin Trastamare d’Aragon, le fils de Jean II d’Aragon, l’infant Ferdinand. Henri IV meurt en 1474, Jean II d’Aragon en 1479. L’Espagne nouvelle a deux nouveaux souverains ; il s’agit de leur présenter les exemples des belles personnalités passées, d’écrire pour eux des traités et des conseils, enfin de rédiger l’Histoire. Alfonso de Palencia a été privé de sa charge de chroniqueur par la reine Isabelle en 1480 — il s’est retiré alors dans le chapitre des chanoines de Séville où il est mort, sans doute en 1492 —, qui l’a confiée à Hernando del Pulgar, l’un de ses secrétaires, et dont on a présenté le propos dans le prologue de sa chronique.
2Vers 1480-1490, c’est toute la génération qui est nouvelle ; l’Espagne vit l’aventure — la croisade et sa charge en matériel et surtout en hommes, car la guerre est difficile et la noblesse s’y fait tuer — de la conquête du royaume de Grenade. La culture humaniste imprègne alors la Castille, et Hernando del Pulgar, si bon lettré et connaisseur de Sénèque et de Plutarque, en est un excellent témoin dans ses Claros varones de España. On sait qu’il est l’auteur de lettres devenues des morceaux d’anthologie — telle, en 1465, la lettre à l’évêque de Coria, au cœur de la guerre civile, pour laquelle il donne tant de détails navrants —, des « gloses » des Coplas de Mingo Revulgo, de la Chronique des rois Isabelle et Ferdinand. Mais retenons les lignes de ses portraits des hommes illustres, pris au cours des règnes de Jean II, Henri IV, et des Rois Catholiques — les portraits de ceux qui sont morts et enterrés, car il est malséant d’écrire sur des vivants, on le sait, il ne faut jamais flatter l’orgueil humain. Pulgar a voulu voir en eux les meilleurs témoins de son histoire nationale. Voici le « raisonnement » qu’il offre à la reine Isabelle en conclusion de cet ouvrage écrit pour elle, après 1476 — il cite la bataille de Toro, de cette année, dans le portrait du comte d’Alba de Liste —, et même après 1485 — dans le portrait du marquis de Santillana, il évoque ses fils, dont Pedro González de Mendoza, archevêque de Tolède à partir de cette date. La Castille est grande, ses hommes sont illustres, il faudrait que les écrivains de Castille possèdent l’art de tourner des phrases pour louer leurs qualités, comme surent le faire Tite-Live, Salluste ou Plutarque, ou Valère Maxime dans les Faits et dits mémorables :
Très excellente reine et dame, il faut croire, très certainement, que dorénavant on louera un événement castillan autant qu’on loue d’ordinaire un événement romain. S’il y avait des écrivains en Castille sachant glorifier dans leurs écrits les hauts faits des Castillans, aussi bien que les Romains surent si bien sublimer les gens de leur nation romaine ! Nous l’imputerions à la négligence de nos écrivains, qui ne surent pas raconter, mais nous ne l’imputerions pas aux Castillans eux-mêmes qui n’auraient pas su agir en œuvres de vertu partout où il est nécessaire de le montrer. Ainsi le noble chevalier Fernán Pérez de Guzmán dit bien la vérité : pour que le récit soit beau et véridique, il faut que les chevaliers soient des Castillans mais que les écrivains relatant leurs faits soient Romains1.
3« Dorénavant », dit Pulgar, donc après avoir lu son œuvre ! Prenant la suite de Fernán Pérez de Guzmán qui a donné des portraits des chevaliers et des prélats de Castille ayant vécu sous Jean Ier, Henri III et Jean II, avec beaucoup de verve et d’ironie autant que de pénétration et d’exactitude, Hernando del Pulgar décrit la carrière du roi Henri IV, puis de quatorze nobles ; il s’interrompt pour un « raisonnement » offert à la reine, puis continue avec huit ecclésiastiques. Pérez de Guzmán donnait la peinture physique, morale, évoquait la généalogie et, en quelques lignes, les traits principaux de la carrière choisie, sans trop s’attarder dans ses réflexions personnelles, sauf à propos d’Álvaro de Luna, comme on le sait. Au contraire, Hernando del Pulgar émaille ses portraits de jugements et de rapprochements avec les exemples de l’Antiquité. Son vocabulaire est celui d’un philosophe, d’un latiniste, il parle de vertu, de discrétion, de modération, et des « raisons données à propos », de « gouvernement de la république » comme il se doit quand on est familier de Sénèque. Mais cette érudition doit être employée à la gloire de la Castille qui le mérite. Son prologue l’annonce à la reine Isabelle, cette science latine doit servir à la nation :
Plusieurs historiens grecs et romains écrivirent en détail les hauts faits accomplis par les hommes illustres de leur terre, tout ce qui leur a paru digne de mémoire. D’autres historiens sélectionnèrent ces hauts faits des écrits historiques et en élaborèrent des traités pour les faire mieux connaître, tels que le firent Valère Maxime, Plutarque et plusieurs autres qui, avec l’amour de leur terre et l’admiration pour ces personnages, et aussi pour étaler leur éloquence, voulurent les embellir et les enrober de belles paroles, souvent en y ajoutant beaucoup aux faits réels. Or, moi, très excellente reine et dame, je constate que sont privées de ces ornements les chroniques de vos royaumes de Castille et de León, au grand préjudice de l’honneur qui est dû aux hommes illustres qui en sont originaires, à eux et à leurs descendants. Il est très vrai qu’ils accomplirent des actes notables, or, nous ne les lisons pas dans les chroniques ; et je ne vois pas non plus que quiconque chercha à écrire à leur sujet, comme le firent Valère et les autres […]. Moi, […] mu par ce même amour de ma terre que les autres montrèrent pour leur propre nation, je me suis proposé d’écrire au sujet de quelques hommes illustres, prélats et chevaliers de vos royaumes que j’ai connus et avec lesquels j’ai eu des relations ; il faut vraiment voir que, par la qualité de leur personne, par les ornements de leurs vertus, par les dispositions dont ils firent preuve en sciences comme en armes, ils ne furent pas moins excellents que ces Grecs ou ces Romains ou ces Français qui sont tellement loués dans leurs écrits2.
4Il convient donc de le suivre, au-delà du déroulement chronologique trop sec demandé par le genre de la chronique, et d’apprécier les portraits — du moins de voir avec lui si les Castillans ont su aligner de telles qualités. Un portrait physique doit toujours refléter un caractère moral. Hernando del Pulgar se soumet à la loi du genre, mais très rapidement — alors que Pérez de Guzmán avait laissé d’assez savoureux tableaux des travers physiques de ses personnages. En général, l’auteur reconnaît de beaux gestes, des tailles élancées, des proportions harmonieuses à ses modèles. Mais l’amiral don Fadrique a « la vue un peu courte », le comte de Haro a « les vertèbres tordues et les yeux un peu bigles », Rodrigo de Villandrando « de force extraordinaire, les muscles pectoraux développés et l’apparence féroce », et Alfonso de Madrigal, l’évêque d’Ávila, « une tête forte, le geste robuste mais l’encolure courte ». Ceci souligné, on passe vite aux qualités familiales, sociales, intellectuelles, morales, qui sont essentielles. Avec lucidité, Pulgar analyse le caractère du roi Henri IV, son premier portrait, un homme lancé dans la vie politique sans en avoir reçu l’éducation nécessaire, car envoyé par son père Jean II, dès l’adolescence, seul à Ségovie, et immédiatement le jouet de flatteurs arrivistes. Le roi avait un bon fond, il était pieux et charitable, mais trop faible et, comme tous les faibles, entêté dans ses travers :
C’était un homme qui faisait presque tout selon sa volonté seule, ou celle de ses favoris. Et comme cette faveur, accordée par les rois, et cette passion montrée sans raison aux uns plus qu’aux autres, et ces donations excessives ont la conséquence habituelle de provoquer l’envie, alors de l’envie naquirent les mauvaises pensées et les pires des actes. Certains Grands de ses royaumes, qu’il tenait à l’écart de ses Conseils et du gouvernement royal, pensaient au contraire que leur place aurait dû y être ; ils conçurent une telle haine que, à plusieurs reprises, ils fomentèrent des conjurations pour le prendre et le tuer […]. Certainement, il faut comprendre que quiconque veut être apprécié des hommes ne doit pas plus favoriser les uns que les autres. Et tout spécialement les rois, qui sont en vue de tous, et ne peuvent se tromper en la moindre erreur, tellement ils sont montrés du doigt et observés plus que quiconque3.
5Hernando del Pulgar tient à commencer ainsi, pour montrer à la reine Isabelle, la sœur d’Henri IV, ce qu’il ne faut jamais faire lorsqu’on a la charge de la royauté. Il poursuit avec quelques grands militaires, dont il brosse en quelques lignes les hauts faits, sur le front de Grenade, sur les frontières de l’Aragon ou du Portugal : l’amiral don Fadrique — qui, par sa fille Juana Enríquez, seconde épouse de Jean II d’Aragon, est le grand-père de Ferdinand le Catholique, dont il a vu le mariage avec Isabelle de Castille —, le comte de Haro, Íñigo López de Mendoza, le comte d’Albe, Diego Hurtado de Mendoza duc de l’Infantado, quelques autres encore. Mais le principal n’est pas là ; Hernando del Pulgar les a choisis pour leur sagesse, lorsqu’il veut en faire de véritables modèles d’existence. Le comte de Haro Pero Fernández de Velasco (+ 1470) est juste, équilibré, capable de réconcilier tout le monde et il sait gouverner ses terres avec intégrité,
elles étaient bien gardées et fleurissaient entre toutes les autres leurs voisines.
6Le comte s’était mis lui-même à bonne école puisqu’il
apprit les lettres latines et s’adonna à l’étude des chroniques et de la connaissance des faits antérieurs. Il aimait aussi beaucoup le commerce des religieux et des sages, avec lesquels il échangeait des connaissances4.
7 Íñigo López de Mendoza, marquis de Santillana, comte du Real de Manzanares, seigneur de la Vega (1398-1458), père du cardinal d’Espagne, Pedro González de Mendoza, et du duc de l’Infantado, Diego Hurtado de Mendoza — qui a aussi son portrait dans ce livre —,
lui qui en cour était tel que le grand Fébus, était dans son illustre gouvernement et dans ses campagnes militaires tel qu’Annibal, grâce à son grand courage,
se révèle aussi fin lettré — il a écrit des poésies politiques remarquables — que bon militaire, partageant son temps entre la vie des armes et la lecture ou l’écriture. Il accueillait tout le monde avec le sourire, il soutenait les humbles comme les Grands, on aimait le servir et lui obéir car de sa personne se dégageait un perpétuel don de sympathie. Il savait adapter tout acte à toute circonstance, ce qui est le faîte de l’intelligence. Et de rappeler le consul romain Manlius Torquatus, qui, ayant interdit à ses soldats de quitter les rangs pour combattre séparément, fit décapiter pour l’exemple son propre fils qui, provoqué par un adversaire, avait voulu répondre à cet affront, seul et à l’écart. Les auteurs romains chantent les louanges de Torquatus, qui par ailleurs fut lugubre tout au long de son existence et détesté de toute la jeunesse de Rome :
Je ne peux vraiment pas comprendre comment peut être loué un homme triste et haï. Je ne dis pas pour autant que les constitutions de la chevalerie ne doivent pas être observées, car leur non observance engendre tous les ennuis. Mais je dis qu’il faut les assouplir, les temporiser, les interpréter, et toutes choses doivent être adaptées par le prince selon le temps, le lieu et les personnes et les circonstances et les nouveautés qui se présentent, qui sont si nombreuses et variées qu’elles ne peuvent demeurer dans les rigueurs de la loi5.
8La satire peut affleurer dans les portraits qui sembleraient louangeurs. Juan Pacheco, marquis de Villena et maître de Santiago (+ 1474), est parvenu au plus haut par la faveur du roi Henri IV — contre lequel il s’est tout de même soulevé en 1465 en participant à la Farce d’Ávila puis à la deuxième bataille d’Olmedo — mais surtout par son intelligence personnelle et sa souplesse lui permettant de s’adapter en choisissant tout ce qui pouvait lui réussir et lui procurer villes, terres et rentes :
Il montra d’ailleurs une très grande habileté dans la gestion de ces biens temporels. Car, pour cela, il est très nécessaire de posséder finesse, prudence, diligence et patience ; on peut bien penser que ce chevalier fut bien doté de ces quatre qualités, le mieux gratifié en cela de tous les hommes de son temps. Il appréciait très bien la qualité d’une affaire, le temps, le lieu, la personne, et toutes les circonstances, que la prudence demande d’examiner dans la direction des affaires. Il avait tellement de pénétration que, dès les premières répliques, il percevait les conditions et les buts des hommes. En donnant à chacun l’espoir que ses désirs seraient comblés, il obtenait souvent tout ce qu’il voulait6.
9Cette finesse dans l’hypocrisie manque totalement à Rodrigo de Villandrando, comte de Ribadeo (+ 1448). C’est une sorte de taureau qui charge dans tous les faits d’armes de son temps au service de Charles VII, roi de France, contre Talbot qui mène les troupes anglaises et qui aurait dit : « Il ne faut pas combattre une tête espagnole lorsqu’elle est en colère. » Mais il sauve le roi Jean II, en difficulté lors d’une insurrection de la ville de Tolède, et le roi lui offre sa robe portée ce jour-là en remerciement. Devenu un homme indispensable, il fait de très beaux mariages, il devient riche, monte dans la noblesse. Or, en temps de guerre, en France,
de tout son pouvoir, il vola, brûla, détruisit, démolit, dépeupla les villes et les terres et les villages de Bourgogne et de France, en ce temps où cet honorable royaume souffrait de ces guerres…
10Il sut toujours voler les adversaires tombés en son pouvoir en leur prenant de trop fortes rançons. Bref, personne n’y résista, mais, sentant venir la mort, il se confessa et comprit tous ses torts et pria Dieu de l’absoudre :
Dans cette contrition, il finit ses jours, à l’âge de 70 ans. Pour cette mort et pour cette contrition, il doit être rangé parmi les hommes illustres7.
11Hernando del Pulgar admire la prouesse castillane, le sens de l’honneur des chevaliers de son pays, et il met en avant Rodrigo Manrique, comte de Paredes, si valeureux sur la frontière de Grenade (+ 1476), ou encore Garcilaso de la Vega, Juan et Gonzalo de Saavedra, Rodrigo de Narváez, autres héros de la guerre des Maures, qui n’eurent jamais les cruautés des Romains mais qui surent sauvegarder leurs troupes et pourfendre les ennemis de la foi. L’auteur réfléchit dans un « raisonnement offert à la reine » :
Bien d’autres illustres seigneurs de vos royaumes accomplirent encore des faits mémorables. S’il fallait tout relater en particulier, il faudrait écrire un gros livre, et ce serait une suite encore plus illustre de hautes valeurs que ne le firent Valère et ceux qui écrivirent les faits des Grecs et des Romains. Parmi ceux-ci, on fait grand cas de Mucius Scaevola, qui, à l’improviste, sortit de la cité de Rome et alla tuer le roi Porsenna qui l’assiégeait ; on exalte le fait qu’il se brûla le bras, car il ne réussit pas à tuer le roi qu’il cherchait et tua quelqu’un d’autre qui lui ressemblait. Je pense que son bras fut chargé de l’erreur, et il est certain que si nous devions louer cette peine donnée à son bras, nous devrions louer de même l’épée qui donne de bons coups et non pas celui qui la manie. Si les historiens romains font tant de cas de cette histoire, il vaut mieux ici faire mémoire de ce qui advint en France à l’un de vos nobles sujets, appelé Pedro Fajardo, un jeune homme de vingt ans. Il servait dans la maison du roi Charles de France, et il demanda la grâce de recevoir un cheval armé pour se battre contre le roi d’Angleterre. Le roi, ému de son jeune âge, ne voulut pas le laisser entrer dans la mêlée et ne voulut pas lui donner ce cheval, lui demandant de rester à la chambre. Pedro Fajardo répondit au roi : « Les nobles de Castille de mon âge n’ont pas l’habitude de garder la chambre, lorsque leur seigneur va à la guerre ! »8.
12 Et le jeune Castillan est allé au front et s’y est couvert de gloire. Cela vaut mieux que l’erreur de Mucius Scaevola, qui, de plus, a reporté sur son bras son défaut d’intelligence ! Hernando del Pulgar trace ensuite les portraits des grands ecclésiastiques de Castille, Juan de Torquemada, cardinal de Saint-Sixte (+ 1468), Juan de Carvajal, cardinal de Saint-Ange (+ 1469), tous deux magnifiques théologiens, vénérés par le pape, ambassadeurs, sages, réfléchis, et naturellement de bon accueil et charitables. Au contraire de ces deux saints prélats, Alfonso Carrillo de Acuña (+ 1482), archevêque de Tolède, très ambitieux, très engagé dans la vie politique, aimait la guerre alors qu’il était ecclésiastique, et aimait l’or au point qu’il tâta de l’alchimie pour en fabriquer, mais « il récitait très bien ses Heures et observait complètement toutes les cérémonies demandées par l’Église9 ». Alfonso de Fonseca (+ 1473), archevêque de Séville,
avait au plus profond le sens de l’apparence et son plus fort sentiment était celui de la convoitise. Aussi, selon ses inclinations, il aimait collectionner les pierres précieuses, les perles, les joyaux d’or et d’argent et toutes autres belles choses de jolie apparence.
13Il avait l’intelligence en proportion de son ambition, si bien qu’il sut parfaitement flatter le roi Jean II et obtenir tout ce qu’il voulut :
De fait, il mourut dans l’honneur dans sa ville de Coca, en rendant hommage à Dieu comme un bon prélat doit le faire, avec toute la dévotion d’un chrétien bon catholique10.
14Plus que ces prélats qui meurent, tout de même, en bons chrétiens, la belle existence digne de gloire est celle d’Alfonso de Santa María (ou de Cartagena), évêque de Burgos (+ 1456), le fils de Pablo de Santa María, le célèbre judéo-converti de 1390, dépeint par Pérez de Guzmán, et baptisé avec son père à l’âge de trois ou quatre ans ; il est le meilleur théologien de son temps, il remporte des « disputes » devant le pape et sait défendre la prééminence de la Castille sur le royaume d’Angleterre, à l’occasion de la célèbre querelle de préséance du concile de Bâle de 1437 — où le chevalier Juan de Saavedra, qui a également son portrait, a défendu l’honneur, bousculé par l’ambassadeur anglais. Francisco de Toledo, évêque de Coria (+ 1479), était de pauvre naissance et s’est affirmé par ses études méritantes, alors qu’il était boursier de la reine Marie d’Aragon, sœur de Jean II de Castille, au studium de Paris, puis théologien, ambassadeur pontifical en Bohême lors des guerres hussites, secrétaire du pape :
Certainement, quiconque considère la vie de cet homme illustre, y trouvera exemple et enseignement, pour quiconque veut vivre dans le bien. Car ce n’est pas pour ce que nous entendons par le lignage, ni pour l’allure corporelle, ni par la richesse, qu’il fut un homme illustre11.
15Cette même vertu se retrouve chez Alfonso de Madrigal, évêque d’Ávila (+ 1455), fils de paysan et maître en théologie de Salamanque, ou encore chez Tello de Buendía (+ 1483), lui aussi fils de paysan, nommé évêque de Cordoue, ne vivant que pour la charité, aidant les miséreux andalous, sortant tous les ans des captifs des geôles musulmanes en versant lui-même leur rançon, bâtissant une tour ou un pont pour aider le développement économique de son pays, refusant par humilité toutes les dignités et mourant alors que le pape, à l’instance de la reine Isabelle, lui conférait malgré tout l’évêché de Cordoue.
16Tous ces hommes de Castille, les laïques comme les clercs, les militaires comme les intellectuels, sont bien dignes d’être connus par la reine Isabelle. À lire Hernando del Pulgar, qui n’hésite pas à parler à la première personne et à dire ce qu’il pense, il faut savoir que l’ambition seule, la soif de richesse, l’entêtement, le manque de volonté alors qu’on est né pour endosser un gouvernement, ou encore la cruauté ou le manque de retenue, sont naturellement condamnables. Mais le sens de l’honneur, la recherche du bien public, la qualité de la réflexion en théologie autant qu’en poésie et la connaissance de l’Histoire sont des ressources dans les personnalités castillanes, mieux qu’on ne les lit dans les histoires romaines qui en général louent ce qu’il ne faudrait pas considérer comme une vertu. La reine Isabelle est à la tête de cet État qui a donné de véritables hommes illustres, elle représente toutes ces qualités rassemblées, parce qu’elle est reine certes, mais surtout parce qu’elle sait apprendre de qui de droit ce qu’est exactement la vertu d’un souverain.
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