Chapitre VIII. Chanter la nation, déclamer la démocratie
p. 259-307
Texte intégral
1L’histoire politique de l’Espagne du xixe siècle a été considérablement révisée par les travaux des dernières décennies. Le régime de la Restauration (1875-1923/1931) n’en conserve pas moins une réputation d’archaïsme et d’isolement. L’échec du Sexennat démocratique (1868-1875) se serait soldé par l’imposition d’un régime libéral de façade : toutes les concessions en matière de libertés et de représentation politiques n’auraient été que des effets rhétoriques, destinés à dissimuler la réalité d’un gouvernement restreint à des élites proches de l’Église et de l’armée, et d’une démocratie confisquée par les « caciques ». L’affirmation de l’État-Nation aurait été plus « faible » qu’ailleurs, ce qui expliquerait l’apparition de nationalismes « périphériques ». L’analyse du rôle politique du théâtre peut participer aux révisions de ce récit. Situé au centre de l’espace public de cette période, censuré seulement épisodiquement (et pas davantage que dans les pays voisins), le théâtre met en scène différents discours sur la communauté politique et ses ennemis, tant intérieurs qu’extérieurs. Ces discours semblent se décliner selon deux modalités principales durant l’époque traitée : le spectacle de l’unité de la communauté politique en lutte pour ses libertés, typique du théâtre historique, se développe dans différents genres ; à l’inverse, celui des divisions du corps politique, propre à la satire ou au drame d’actualité, prend aussi un grand essor.
I. — LES LIBERTÉS NATIONALES SUR LES TRÉTEAUX
2Les héros « historiques » et leurs hauts faits deviennent des poncifs du théâtre du xixe siècle à partir de l’essor du drame romantique dans les années 1830 : décors, costumes, vocabulaire et usages, institutions ou personnages « historiques », actions et lieux glorieux convergent alors pour former un « grand tableau héroïque et enflammé », selon la formule de Stendhal1. En Espagne, l’impact du drame romantique est particulièrement fort, et il semble en outre réactivé par la mobilisation libérale des années 1860 et la révolution de 1868. Lors des décennies qui suivent, les publics de Madrid et de Barcelone apprennent leur histoire au théâtre.
Entre reprise et censure du drame romantique
3Dès les années 1840, les auteurs dramatiques espagnols acquièrent un grand renom dans la production de drames romantiques conformes aux canons européens. Alors que les meilleures de leurs pièces servent de livrets aux opéras de Verdi, elles deviennent aussi particulièrement populaires auprès d’un large public urbain au cours des décennies qui suivent. Au-delà du succès durable du Don Juan Tenorio de Zorrilla (chapitre vii), d’autres drames romantiques des années 1830-1850 alimentent régulièrement la programmation des théâtres espagnols jusque vers 1900. Carlos II el hechizado (Charles II l’ensorcelé), pièce d’Antonio Gil y Zárate de 1838, met en scène le règne difficile du dernier des Habsbourgs espagnols, qui aurait confessé son ensorcellement sous la pression de son cynique confesseur le frère Froilán Diaz2. La pièce représente en fait l’histoire de l’aliénation de la Couronne d’Espagne par l’Église et par les étrangers. Lors du Sexennat, elle est très appréciée par les publics madrilènes les plus modestes. Selon le dramaturge et ancien républicain militant Flores García, les représentations sont l’occasion pour le public populaire d’extérioriser son hostilité à l’égard de ses propres ennemis politiques :
La reprise de Carlos II el hechizado, qui eut lieu dans tous [l]es cafés-théâtres et dans quelques théâtres, fut un événement. Le public insulta à plaisir pendant de longs moments le frère Froilán Diaz, infâme traître3.
4En 1888, le critique Yxart rappelle l’attraction traditionnellement exercée sur le public modeste de Barcelone par ce drame : l’affiche prometteuse aurait toujours annoncé « la mort du père Froilán et l’explosion de la Révolution vengeresse4 ». En 1899, l’ultramontain P. Blanco García condamne encore la reprise à finalité militante de Carlos II el hechizado, qui aurait longtemps eu lieu « à Madrid comme dans les provinces5 ».
5Ce goût passionné pour le drame historique et romantique mérite d’être mis en rapport avec le tour historiciste du libéralisme espagnol. Dès le début du siècle, les députés réunis aux Cortès de Cadix pour rédiger la Constitution (1812) inscrivent leur action dans la longue durée, malgré (ou à cause) des aspects révolutionnaires de leur œuvre6. Les institutions médiévales communales et forales castillanes sont évoquées sans cesse comme le modèle guidant le travail constitutionaliste. Les prérogatives historiques des Cortès dans le système des royaumes hispaniques médiévaux sont constamment rappelées, comme dans le traité de 1813 sur la Teoría de las Cortes du libéral Martínez Marina. Cette démarche historiciste des libéraux gaditans serait proche, selon Javier Fernández Sebastián, de la défense anglo-saxonne de l’Ancient Constitution, davantage que de l’esprit « géométrique » des révolutionnaires français7. D’innombrables histoires de l’Espagne prennent le relais de cette interprétation, et tout particulièrement celle de Modesto Lafuente8. Depuis la formation des royaumes wisigothiques, l’Espagne aurait lutté pour la liberté. La tyrannie, finalement imposée par les dynasties étrangères (Habsbourgs puis Bourbons), aurait mis fin à la tradition proprement nationale d’un régime de libertés communales et forales. Alors que les premiers libéraux concilient cette interprétation avec celle de l’Espagne comme terre catholique (la « Reconquête » contre les Maures, alors conceptualisée sous ce terme, rejoignant la lutte pour les libertés civiques)9, la relation entre les récits libéraux et catholiques de l’histoire nationale se complique par la suite. Pour les progressistes et pour les républicains, l’Église, résumée à l’Inquisition, rejoint le clan des institutions oppressives.
6Après le Sexennat, le théâtre d’histoire engrange encore de bons succès en Espagne, où il bénéficie de la mode « néo-romantique ». Le bilan de la saison théâtrale madrilène de 1875-1876 par Eduardo de Cortázar révèle sa domination à l’affiche des théâtres madrilènes de déclamation : le critique recense les premières de quatre drames historiques à l’Apolo, cinq au Circo, un « tableau de mœurs historiques » au Comedia, quatre zarzuelas historiques à la Zarzuela, mais aucune à l’Español10. Même si des épisodes d’histoire non nationale y sont aussi mis en scène, privilégiant le Moyen Âge et le début de l’époque moderne, les mieux accueillis restent ceux qui reprennent le grand récit des libertés municipales et provinciales espagnoles. Le xvie siècle permet d’évoquer les luttes entre les partisans des libertés communales et forales d’une part, et les partisans de l’empire (de Charles Quint) et de la monarchie absolue de l’autre. La guerre des Comuneros (1520-1521) contre Charles Quint est très fréquemment évoquée. Le règne de Philippe II et ses abus contre les fors des provinces, ou tout au contraire la période médiévale du règne des libertés, constituent les autres décors les plus habituels. José Echegaray reprend fidèlement cet abécédaire. Auteur dominant du théâtre « sérieux » espagnol jusqu’au début du xxe siècle, Echegaray occupe avec ses seules pièces deux cinquièmes de l’affiche des trois premiers théâtres de déclamation de la Cour (Comedia, Español, Princesa) entre 1887 et 1893 (en nombre de représentations)11. Ses drames historiques, sur lesquels commence par se constituer son crédit12, lui permettent de faire prévaloir sa vision progressiste de l’histoire nationale, au moment où, avec la Restauration, il perd ses hautes responsabilités politiques (chapitre v). Le drame tragique En el Puño de la Espada (Dans le manche de l’épée, 1875) se déroule sous Charles Quint, et évoque toutes les violences de la guerre entre Impériaux et Comuneros. La Muerte en los labios (La Mort sur les lèvres, drame en prose, première le 3 novembre 1886) prend en revanche pour cadre la Genève calviniste : la pièce mène à la leçon d’histoire libérale à tonalité anticléricale (même si l’Église explicitement visée est ici très habilement protestante)13. Le succès du drame court de Marcos Zapata La Capilla de Lanuza constitue un autre exemple paradigmatique du succès des reconstitutions historiques à tonalité libérale.
La Capilla de Lanuza (La Chapelle de Lanuza)
« Tableau héroïque en vers » et en 1 acte de Marcos Zapata.
Première le 20 mars 1871, Teatro de la Alhambra, Madrid. Dans une cellule à Saragosse au xvie siècle.
Philippe II s’apprête à faire exécuter le dernier Justicia d’Aragon, Juan de Lanuza14. Les nobles de son entourage, Artal et Jiménez, commentent dans leur cellule cette ultime défaite des privilèges de la province face à la « tyrannie » de Philippe II. Jiménez regrette le temps des libertés antérieur à la défaite des Comuneros. Il prédit un noir destin au peuple ibérique, dont la servilité engendrera la décadence. Artal lui donne raison15.
7Les critiques des grandes revues tolèrent cependant de plus en plus mal ce théâtre des passions politiques. Pour Eduardo de Cortázar, rédacteur de l’élitiste Revista de España, ces pièces transposent sur scène « l’élément de discorde entre amis, de division entre familles, de dévastation et de ruine dans les champs et les villes16 ».
8Cortázar se plaint aussi des « falsifications de l’histoire » qu’opèrent systématiquement les auteurs17. Mais la verve de sa critique s’adapte en fonction de l’orientation politique des différentes pièces : l’innocent drame El Maestro de hacer comedias d’Enrique Pérez Escrich est par exemple loué pour sa « couleur d’époque » et pour le « portrait fidèle du comédien de la cour de Philippe III ». Tout au contraire, les « étalages de libéralisme » de Rienzi el Tribuno et l’identité féminine de son auteur18 indisposent Cortázar, inquiété par les qualités d’« une dame jeune, [qui] écri[t] si virilement » : il fait l’éloge de « l’intonation vigoureuse de la versification » pour mieux condamner la tonalité politique de la pièce, « dign[e] de censure » et « de plus impropr[e] chez une dame19 ». Sous la Restauration, l’intolérance face à l’utilisation du théâtre comme tribune politique devient plus prégnante dans la critique théâtrale, et prend notamment la forme d’un discours sur la nécessaire contention des passions. Pour éviter le retour d’une vie politique bouillante, il convient d’exiler du théâtre les tragédies sanglantes et les passions épileptiques, comme l’affirme le plus éminent des critiques madrilènes Manuel de la Revilla20. Mais les théâtres sont régis par la liberté d’industrie : la consécration des formats néo-romantiques par le public prend l’exact contre-pied de l’aspiration des critiques conservateurs à un théâtre d’apaisement politique.
9Reste l’arme de la censure. La Restauration favorise dans un premier temps le retour général à la tutelle de la culture par les autorités religieuses et politiques21. Un ordre royal rétablit la censure préalable en matière de théâtre le 27 février 1879. Selon le texte de cette ordonnance, aucun gouvernement n’a jamais renoncé au contrôle d’un « lieu public » comme le théâtre. Il s’agit de marquer la distance entre le nouveau régime et « les temps lors desquels les exigences révolutionnaires conféraient aux lois un esprit de liberté exagéré ». Désormais, les gouverneurs civils doivent ordonner
aux entreprises de théâtre et de spectacles publics sous forme de représentations théâtrales que, au moins dix jours avant qu’une œuvre ou pièce dramatique nouvelle ne soit présentée sur scène, [leur] soient remis deux exemplaires de ladite œuvre, [qu’ils remettront] immédiatement à ce ministère [de l’Intérieur] pour les effets opportuns22.
10La censure préalable sur le théâtre est cependant à nouveau levée deux ans plus tard. Le compromis entre conservateurs et libéraux sur lequel se fonde le régime pousse à quelques concessions essentielles23. L’acceptation d’une alternance réglée au pouvoir entre conservateurs et libéraux permet à Sagasta, chef du parti libéral, de rétablir les libertés politiques24.
11Sans débat parlementaire, le ministre de l’Intérieur fait adopter une ordonnance royale pour abolir la censure au théâtre :
Contre l’esprit et la lettre de l’article 13 de la Constitution de l’État est exercée aujourd’hui sur les œuvres dramatiques une censure préalable, qui outre le caractère d’une certaine manière odieux qui accompagne toute disposition préventive, manque de tout fondement légitime sur lequel s’appuyer25.
12Le gouverneur civil ne peut donc désormais sanctionner le texte d’une pièce ou le comportement d’un acteur que pour un délit prévu par le Code pénal. Au cours des décennies qui suivent, certaines pièces déterminées sont cependant suspendues par les autorités civiles ou militaires après les premières représentations, comme nous le verrons par la suite. Mais la censure préalable n’est pas rétablie. Même en tenant compte des entorses ponctuelles à la liberté d’expression, l’Espagne fin de siècle n’apparaît donc pas comme un régime plus autoritaire en matière de théâtre que les autres pays européens : de l’Angleterre à l’Allemagne, la France ou l’Autriche, aucun pays ne laisse alors de liberté totale au théâtre26.
13Le goût des drames historiques connaît malgré tout un reflux au cours des années 1880. José Ortega Munilla, rédacteur au sein du journal madrilène de grande circulation El Imparcial et gendre de son fondateur, en rend compte dès 1879. Homme de presse libéral, il rédige alors la critique d’une comédie en trois actes de Leopoldo Cano y Masas, La Mariposa (Le Papillon) : « La tragédie est passée, le mélodrame est passé. […] La comédie d’observation est aujourd’hui la reine du théâtre27. » Il réfère cette évolution scénique à la marche de l’histoire : le drame sanglant a été pensé pour un peuple de héros, qui allait au théâtre à la manière du « concitoyen d’Eschyle28 ». Si le peuple espagnol a pu ressembler à cette humanité héroïque pendant la décennie 1870, la page est désormais tournée et ses goûts esthétiques peuvent s’aligner sur ceux des Européens. Le reflux du drame historique se retrouve dans la programmation des théâtres. Dans ses Annales de la saison madrilène de 1883- 1884, Pérez y González ne recense aucun drame historique parmi les nouveautés.
14Les auteurs qui persistent néanmoins dans cette veine s’exposent à des réactions de plus en plus vives. Prenant prétexte de troubles à l’ordre public et malgré la levée officielle de la censure théâtrale, un gouvernement libéral empêche en 1886 la représentation d’une pièce de Marcos Zapata, qui fait écho au pronunciamiento récent du général républicain Villacampa29. La pièce se déroule dans une cour de Suède fictive (située au xvie siècle), où s’affrontent des ministres à propos de l’amnistie d’un insurgé républicain. Favorable à la reine louée pour sa magnanimité, la pièce n’en est pas moins interdite par le duc de Frías, gouverneur civil de la province de Madrid30. L’interdiction conduit à des débats au sein des Cortès : le républicain Azcárate s’insurge contre une mesure qu’aucune loi, ni même une clause du règlement du théâtre, ne peut justifier31. Le député León y Castillo tente quant à lui de défendre la mesure prise par le gouvernement libéral :
La majesté est ridiculisée sur la scène d’un théâtre. En achetant une entrée au guichet, on achète le droit d’applaudir ou de siffler, et le Gouvernement ne peut pas consentir que la Majesté Royale puisse être applaudie ou sifflée32.
15León y Castillo peine finalement à trouver le soutien des députés de son propre camp, les « fusionnistes » (issus à la fois du libéralisme progressiste, à l’origine de la levée de la censure théâtrale, et des partisans conservateurs du général Martínez Campos). Les journalistes d’El Resumén s’attaquent à l’argument de León y Castillo. Selon eux, une revue comique en un acte aurait récemment mis en scène une « pauvre veuve », allusion transparente à la régente, sans que personne ne s’en émeuve (il s’agissait de Ciclón XXII, produite par le modeste théâtre Maravillas). Le problème posé par la pièce de Zapata concernerait davantage la mise en scène de l’armée que celle de la famille royale :
L’institution sacrée, inviolable, est ici le général qui se croit représenté ; parce que les autres institutions, celles que la loi et le plus grand nombre posent au-dessus de tout, ces dernières ont été attaquées durement dans des réunions publiques que le Gouvernement n’a pas interdites […]. Qui représente les institutions selon le Gouvernement ? La veuve [la reine régente] ou le général33 ?
16Malgré la mobilisation des milieux du théâtre34 et de la presse, relayés par les députés républicains et par certains libéraux à l’Assemblée35, l’interdiction de la pièce n’est pas levée. Le général Martínez Campos, et à travers lui l’armée, parviennent donc dès 1886 à mettre en cause ponctuellement l’une des doctrines essentielles des libéraux issus du progressisme : la défense des libertés politiques, et notamment des libertés théâtrales.
La version catalane de l’histoire espagnole
17Ces drames historiques trouvent un très bon accueil dans les théâtres de Barcelone. Les pièces néo-romantiques sont jouées pendant la saison chaude par les compagnies de déclamation madrilènes, et considérées comme des « joyaux de notre théâtre » par le journal conservateur El Diario de Barcelona (à l’inverse des zarzuelas, peu appréciées par les mêmes chroniqueurs)36. La poésie épique à la gloire des hauts faits médiévaux catalans trouve quant à elle difficilement sa traduction scénique. Dans le bilan du théâtre catalan dressé par Josep Yxart en 1879, on compte seulement 10 drames historiques et 5 tragédies sur les 166 pièces catalanes produites entre 1866 et 1879 à Barcelone. Ces quinze productions ne sont pas toutes mises en scène : Victor Balaguer publie par exemple un volume de tragédies en 1876 dont seule une partie est jouée. Les auteurs de ces quelques drames historiques médiévaux sont ceux de la littérature écrite de La Renaixença comme Balaguer, Ubach i Vinyeta, Picó y Campamar ou Pelay Briz, mais aussi quelques auteurs plus populaires du théâtre catalan comme Soler, Ferrer i Codina ou Feliu i Codina. Selon Yxart, « ils se sont spécialement attachés à deux époques déterminées : celle de la monarchie catalano-aragonaise et celle de la guerre de Succession et de la perte des fors [1700-1715]37. »
18Si peu de drames historiques catalans sont produits, une histoire patriotique de la Catalogne est néanmoins mise en scène. Les auteurs du théâtre catalan le plus populaire, pour la plupart fidèles à des positions progressistes ou républicaines, utilisent à cette fin d’autres genres dramatiques, comme les drames ruraux. La masia, le mas unissant les petits propriétaires et leurs domestiques, sert de cadre à la mise en scène de l’héroïsme de familles paysannes patriotes et libérales lors des moments critiques de l’histoire de la Catalogne38. Les Eures del mas de F. Soler, pièce classée dans la catégorie du drame rural, prend par exemple pour décor la guerre de Succession d’Espagne : elle la présente comme un préalable à la guerre d’Indépendance, mettant en valeur la tradition de résistance catalane à l’occupation française, par la guerrilla et par l’insurrection contre la monarchie centraliste. L’appel à cette tradition d’insurrection est repris dans de nombreuses pièces de ce répertoire, centrées sur les mobilisations armées des libéraux catalans du xixe siècle. Le drame rural de Soler La Creu de la masia (1873) met en scène la résistance populaire à la réaction absolutiste des années 1823-1833.
La Creu de la Masia (la Croix du mas)
Drame rural en 3 actes de Frederic Soler, 1873.
Action dans une masia proche de la France vers 1830.
La pubilla39 Marguerida est seule dans sa masia : son père don Anton, un libéral, a dû s’exiler en France et sa mère est morte. L’espion royaliste Miquel cherche à compromettre son honneur, mais Anton rentre à temps pour la sauver. L’espion parvient cependant à arrêter Anton. Le garde forestier Roc monte un plan d’attaque (victorieux) contre les royalistes. Pour l’encourager, la vieille Francisca lui rappelle l’héroïsme de la masia pendant la guerre contre les gavatxos (surnom malveillant donné aux Français de l’armée napoléonienne) :
Francisca — « Les gavatxos entourent le mas / depuis la forêt à l’ermitage… / — Oh ! Ils portent des grenades ! /
— Nous, nous portons des barretinas [long béret rouge catalan] […]
Roc — […] il suffit que la patrie nous appelle, / il suffit d’être Catalans / il suffit de porter la barretina / et sinon… il suffit du souvenir / de la croix de la masia40 ! »
19La mise en scène de paysans libéraux et respectueux des traditions religieuses (appel récurrent à la croix) doit permettre de désarmer la méfiance des auditoires catholiques à l’égard du régime libéral progressiste alors au pouvoir (Sexennat démocratique), un an avant le déclenchement de la troisième guerre carliste (1872- 1876). Drame de circonstance, La Croix du mas sera l’un des grands classiques de Soler par la suite41. Les attaques contre le carlisme, mouvement catholique réactionnaire fortement ancré dans les campagnes catalanes, sont manifestes dans d’autres pièces. Dans Las Joyes de la Roser, les carlistes font la guerre à leurs frères et brisent la solidarité née de la guerre d’Indépendance, à nouveau identifiée à une lutte pour les libertés.
20Comme son équivalent castillan, ce théâtre d’histoire catalan met en valeur les luttes pour les libertés. À la différence de ce dernier toutefois, il s’ancre résolument dans des cadres populaires (la ferme) et régionaux (la campagne catalane). Ce dernier trait n’entre pas en contradiction avec le récit espagnol de l’histoire de la nation. Les poèmes historiques médiévalisants de la Renaixença illustrent, selon Josep M. Fradera, une mémoire « libérale-provinciale » propre au libéralisme modéré et conservateur catalan42. La mise en scène républicaine-fédéraliste des luttes libérales inclut, elle aussi, l’histoire catalane dans celle de l’Espagne. Dans Las Joyes de la Roser, premier drame rural de Soler, un ancien combattant du Bruc (bataille catalane contre les Français) entre en scène en chantant en castillan la victoire de Bailén (qui a eu lieu dans la province andalouse de Jaén) (voir planche VII.1). Après la Restauration, Soler et ses proches passent du républicanisme fédéral au catalanisme. Mais leur œuvre théâtral continue à être reconnu par des institutions au positionnement très variable sur la question du degré d’autonomie de la Catalogne. En 1888, le drame historique de Soler Batalla de Reynas obtient de l’Académie royale espagnole et de la reine régente le prix littéraire de la meilleure œuvre dramatique espagnole. À la mort de Soler, des institutions très différentes envoient leurs condoléances à son fils : selon la Jeunesse Fédérale Propagandiste de Barcelone, l’œuvre de Soler représente avant tout
la gloire de la terre catalane pour laquelle il a tant travaillé en défense de la liberté et de l’autonomie […]. La patrie catalane est en deuil et la cause régionale a perdu l’un de ses avocats les plus constants43.
21La Société Barcelonaise des Amis de l’instruction pleure quant à elle un auteur plus démocrate qu’autonomiste dans sa lettre écrite en castillan : « Gloire des lettres de la patrie [letras patrias], il avait réuni pour le peuple un grand trésor d’éducation et d’instruction avec ses productions si célébrées44. »
22Au moment où allégeance est faite à Frederic Soler, son œuvre et celui des auteurs de sa génération passent déjà pour les reliques d’une époque de balbutiements du théâtre catalan. La statue en son honneur tarde plus de dix ans à être érigée45.
Le drame historique ne paie plus
23Par peur de paraître démodés, les auteurs de théâtre sérieux commencent à se détourner des drames historiques au cours des années 1880. En 1890, la revue La Tomasa souligne l’anachronisme d’une pièce comme Le Château et la masia de Conrat Roure, un auteur proche de Frederic Soler. La campagne contre le drame rural historique en catalan, jadis menée par une revue exigeante et minoritaire comme L’Avenç, est reprise à destination d’un public large :
Aujourd’hui que les exigences de l’art dramatique naviguent vers des directions distinctes de celles de cette époque, le nouveau drame paraît… un peu usé et c’est parce qu’il lui manque la saveur d’actualité ; cette physionomie réaliste du mélodrame français d’aujourd’hui. Le spectateur veut maintenant trouver au théâtre, écrit en vers bien cadencés, ce qui se passe chez lui46.
24ÀMadrid, l’accueil en demi-teinte des pièces historiques de Benito Pérez Galdós, auteur pourtant reconnu, confirme la difficulté croissante de s’imposer au public et aux critiques dans le format jugé dépassé du drame historique. Consacré pour sa grande fresque romanesque de l’histoire de l’Espagne libérale du xixe siècle (les Épisodes nationaux, 1873-1879), Galdós tente d’en transposer certains épisodes au théâtre après avoir produit plusieurs drames de salon. Alors que le grand théâtre historique madrilène s’en tenait à l’évocation du Moyen Âge et de l’époque moderne, Galdós met en scène deux épisodes de ses romans sur la guerre d’Indépendance : le siège de Gérone (1809) en 1893, et le siège de Saragosse à l’occasion du centenaire du soulèvement de 1808. Dans sa revue Nuevo Teatro Crítico, Emilia Pardo Bazán considère que l’échec du drame Gerona (Gérone) tient à des faiblesses d’écriture, davantage qu’à la désaffection du public du Teatro Español pour les hauts faits de la gloire nationale.
25Selon Pardo Bazán, la succession de grands tableaux collectifs et l’absence de la figure du héros du siège, Álvarez de Castro, ont désorienté le public qui attendait ce dernier :
Gérone était comme une immense fresque qui représente une bataille, mais sans général, sans caudillo qui, au premier plan, arbore le drapeau et porte les troupes à la victoire ou à une défaite très glorieuse47.
26L’opéra Saragosse (1908), composé sur un livret de Galdós par Lapuerta, est jugé plus réussi par le journaliste Francos Rodríguez. Mais l’œuvre ne reste pas non plus dans les annales des grands classiques nationaux. Comme pour Gerona, Galdós s’attache aux figures des héros ordinaires du siège, en l’occurrence les braves maños (Aragonais). Cette fresque historique au succès mitigé s’inscrit dans les commémorations théâtrales du soulèvement de 1808 à Madrid, dominées par les pièces brèves et comiques dans le genre de Pepe Botellas (surnom de Joseph Bonaparte)48. Hormis Galdós, les grands auteurs ne se décident pas à commémorer 1808 dans leurs pièce s49.
27Certes, quelques drames historiques romantiques restent très applaudis par le public madrilène à la fin du siècle, comme lorsque José Echegaray traduit la pièce du Catalan Guimerà Mar i cel (1891). Fanatisme et tyrannie des institutions de l’Espagne du Siècle d’or y sont exposés selon le credo libéral, à travers un épisode plus original que les traditionnelles batailles et drames de palais des décennies précédentes. Mais la formule du drame historique paraît usée : si Guimerà continue à en exploiter la veine dans d’autres drames, leur impact reste beaucoup plus confidentiel. L’opéra catalan Els Pirineus, pour lequel le compositeur Felip Pedrell met en musique le drame médiéval du libéral Balaguer, n’obtient, lui non plus, rien d’autre qu’une reconnaissance critique (1902).
28Après 1900, même le strict hommage critique sans succès public se fait rare pour les drames historiques. Lorsque José Echegaray tente de revenir à ce format en 1903 avec La Escalinata de un trono (Le Perron d’un trône), les secteurs « modernes » des auteurs et des critiques lancent une campagne de dénigrement contre le vieux dramaturge50. Les grands auteurs continuent à se servir du théâtre comme d’une tribune, mais ils utilisent désormais d’autres formats. La mise en scène de l’histoire nationale devient le domaine réservé du théâtre chanté, de plus en plus commercial.
II. — LE THÉÂTRE MUSICAL, DU PATRIOTISME AU NATIONALISME
29Depuis les années 1830, dans toute l’Europe, les drames romantiques les plus réussis sont repris par les producteurs d’opéras, qui mettent en scène la même matière historique. On retrouve ce phénomène en Espagne, à une différence près : au lieu de l’opéra, c’est une forme mineure qui est investie pour mettre en musique l’histoire nationale — la zarzuela, dans laquelle alternent le chant et la parole, le drame et la comédie. Ce genre moyen remporte des succès d’audience croissants, et se convertit en grand spectacle commercial après les années 1880. Raccourci au format de pièces comiques en un acte, il simplifie encore davantage la représentation de l’histoire nationale, et devient une icône contestée de la culture espagnole.
Zarzuela contre opéra national
30Les péripéties qui freinent le développement du théâtre lyrique espagnol du xixe siècle alimentent la thèse du livre de José Álvarez Junco, Mater Dolorosa, sur la « faiblesse » de la nationalisation dans l’Espagne du xixe siècle. Adeptes des modes internationales, les élites de Madrid et de Barcelone jugent souvent le théâtre espagnol ou catalan « provincial » à l’échelle européenne51. À partir des années 1850, les compositeurs espagnols contournent la difficulté à faire accepter leurs opéras : ils promeuvent la zarzuela, une opérette comique réputée « nationale » dans ses formes, mêlant les parties chantées et parlées. Après 1870, le succès des formes les plus mineures de zarzuela (brèves au sein du género chico, ou en catalan dans les théâtres barcelonais à bas prix) accentue la descente sociale de la production lyrique espagnole. Selon Álvarez Junco, cette situation explique pourquoi les répertoires lyriques nationaux auraient été incapables de porter un nationalisme théâtral comparable en qualité à ses équivalents italien ou allemand52. Le succès non démenti du théâtre historique espagnol (lyrique et dramatique) à la fin du xixe siècle, alors même que la présence de ces genres s’affaiblit sur les scènes étrangères, pousse cependant à nuancer cette vision.
31La production de la zarzuela, moins coûteuse que l’opéra, est facilitée par la fondation du théâtre de la Zarzuela (1856) : les auteurs sociétaires s’engagent à fournir un certain nombre de livrets et de partitions chaque année (chapitre ii). Au grand dam des partisans de l’opéra national, et même si la zarzuela reste perçue comme un produit culturel moyen53, elle assure avec efficacité la promotion musicale d’une identité nationale-libérale. En assurant la représentation mêlée des actions héroïques et populaires54, elle se prête particulièrement bien à la mise en spectacle du langage libéral progressiste au cours des années 1860. La reine Isabelle II privilégie alors, depuis 1856, l’alternance au pouvoir des modérés et des unionistes au détriment des progressistes, qui se retirent des élections à partir de 186355, et des républicains. Elle se heurte à une opposition grandissante, inaugurée par la révolte universitaire de la Noche de San Daniel (1865) et avivée par la crise financière de 1866. Progressistes et démocrates pactisent, bientôt rejoints par les unionistes. Cette opposition déclenche en 1868 la Révolution de septembre : Isabelle II est détrônée. Avant cela, l’échec d’un premier pronunciamiento lancé par un régiment madrilène en 1867 s’était soldé par de nouvelles restrictions des libertés politiques. La zarzuela à succès composée par Barbieri, Pan y Toros (1864), avait alors été interdite de représentation.
Pan y Toros
Zarzuela en 3 actes56.
Livret de José Picón, musique de Francisco Asenjo Barbieri.
Première le 22 décembre 1864 au théâtre de la Zarzuela, Madrid.
La pièce met en scène les intrigues de palais qui suivent la défaite militaire de l’Espagne face à la France en 1792 : le groupe corrompu des afrancesados (les francisés) menés par Godoy souhaite signer la paix et cherche à amadouer le peuple en lui offrant des corridas. Heureusement, le bas peuple madrilène des manolos (hommes des bas quartiers, distingués par leur costume et leur désinvolture) et des toreros fait triompher la cause des aristocrates « nationaux » et éclairés, menés par Jovellanos, Goya et la princesse de Luzán. Le peuple de Madrid figure comme le protecteur de la politique libérale et le garant de la résistance de l’identité espagnole face à l’aristocratie francisée. La marche de Pan y Toros, qui est ensuite longtemps reprise, célèbre ce double rôle : « L’Espagne (restera libre) / libre la Castille / Tant qu’il y aura au monde / Manolería [un peuple de manolos]57. »
32Lors de la première à Barcelone, le rédacteur du quotidien barcelonais El Lloyd español s’étonne de voir la pièce « remplie d’allusions politiques, qui paraissent quasiment d’actualité58 ». Les spectateurs déchiffrent ces allusions voilées, qui ont trait notamment à la politique éducative des modérés : les investissements en ce domaine sont particulièrement faibles et les professeurs soumis à une censure accrue. Les propos de la princesse de Luzán, protagoniste de la pièce, contre ses adversaires qui dépensent l’argent public en corridas plutôt que pour l’Université, font écho à cette actualité. L’année suivante, en 1865, l’insurrection estudiantine de la Nuit de la Saint-Daniel contre ces mesures rappelle à quel point le conflit sur ces questions est alors crucial.
33Pan y Toros mobilise par ailleurs l’imaginaire politique du 2 mai 1808 : le soulèvement héroïque du peuple de Madrid contre les troupes napoléoniennes, détonateur de la guerre d’Indépendance espagnole, constitue une date fondatrice de la mémoire politique libérale. Christian Demange l’estime relativement mal commémorée au cours du xixe siècle, et y voit le signe de la difficulté à fonder un régime sur un consensus libéral en Espagne59. Au-delà des célébrations précises du soulèvement armé du 2 mai, l’imaginaire de cet événement est cependant mobilisé ailleurs, notamment par le biais des représentations de la manolería madrilène : le peuple libéral en fête de Madrid bénéficie d’une longue tradition esthétique, empruntée à Goya et travaillée par la littérature costumbriste60. Au moment où l’expérience révolutionnaire du Sexennat démocratique (1868-1874) s’embourbe dans les conflits militaires, une autre zarzuela, El Barberillo de Lavapiés (Le Petit Barbier de Lavapiés), connaît un succès comparable à celui de Pan y Toros en évoquant le même peuple de manolos madrilènes et les mêmes références politiques. Quelques jours après la première, le pronunciamiento du général Martínez Campos établit la Restauration : Alphonse XII, le fils d’Isabelle II, est proclamé roi d’Espagne (29 décembre 1874). Le 17 janvier 1875, le roi profite du succès du Barberillo pour s’afficher en public dans sa loge du théâtre de la Zarzuela et féliciter les auteurs : selon le quotidien El Imparcial, de tendance libérale, ses applaudissements se dirigent vers les morceaux connotés les plus « populaires61 ». Par cet accueil chaleureux de la pièce, Alphonse XII approuve la mise en scène du peuple politique des manolos madrilènes, et se montre ainsi à la fois nationaliste et libéral.
34Dans leur mise en scène des luttes nationales pour les libertés, les auteurs de zarzuelas reprennent les recettes des répertoires lyriques européens. On y retrouve les trois éléments identifiés par Carlotta Sorba dans l’opéra italien pro-national des années 1840-1850, même si le format comique de la zarzuela en change la portée : a) la référence à un sujet pluriel qui retrouve sa cohésion face à l’ennemi, b) l’appel au combat et à la révolte pour reconquérir la patrie, c) le fait que cette reconquête soit aussi une expérience collective mise en scène à travers le chœur62. Philipp Ther analyse une autre modalité de nationalisation des corpus lyriques, basée sur un travail de classification des musiques selon des critères nationaux, mené par les intermédiaires culturels ou par les compositeurs eux-mêmes. Les efforts du compositeur Barbieri pour intégrer les mélodies typiquement nationales/ régionales à ses zarzuelas participe pleinement de cette tendance63. Avec la Restauration cependant, ce théâtre d’histoire en musique rencontre des difficultés : le nouveau régime rétablit un temps la censure, et surtout, la production de zarzuelas longues (en trois actes) se trouve concurrencée par les opérettes importées et par le succès croissant du género chico (en un acte).
Vers un grand spectacle nationaliste
35À partir des années 1880, la production à la chaîne de zarzuelas en un acte s’oriente vers les grands tableaux d’histoire patriotique, dont la veine commence à être exploitée avec Cádiz64. Cette pièce met en scène la résistance des Gaditans au siège des troupes napoléoniennes, au moment où est rédigée la constitution de 1812. Elle reprend les formules de l’opéra et de la zarzuela longue, pour magnifier les luttes de la communauté nationale pour ses libertés. Le combat contre les Français permet le rassemblement d’Espagnols venus d’horizons sociaux et régionaux divers en une véritable « messe œcuménique », selon l’expression de Serge Salaün65, qui permet d’abolir clivages sociaux et clivages régionaux. Le peuple national est représenté par une masse chorale imposante : quarante et un personnages sont caractérisés dans le livret en dehors des figurants, et proclament leur loyauté à la patrie66. Lors du tableau final, tous ces acteurs entonnent un hymne à la constitution, proclamée par le gouverneur de Cadix sur la place centrale occupée par la foule.
36Dans la préface de la pièce, Javier de Burgos affirme s’être inspiré du récit progressiste de la guerre d’Indépendance par le Gaditan Adolfo de Castro67. Il la dédie à son ami le général José López Domínguez, neveu du général Serrano qui dirige au cours de ces années les secteurs progressistes non ralliés au libéral Sagasta : ces derniers forment la « gauche dynastique » et continuent de réclamer la reconnaissance de la constitution de 1869 (et notamment du suffrage universel masculin) par la monarchie restaurée, contre les abdications de Sagasta en ce domaine. Javier de Burgos situe donc explicitement sa pièce dans la mouvance du libéralisme démocrate. Il cherche à renouveler ce grand succès quelques années plus tard avec Trafalgar, « épisode national lyrico-dramatique » en deux actes et onze tableaux, sur une musique de l’un des compositeurs privilégiés de género chico, Gerónimo Giménez (première le 20 décembre 1890 au théâtre Principal de Barcelone). Une intrigue amoureuse sert de prétexte à la mise en scène de la bataille navale du début du siècle, entre les flottes franco-espagnole et anglaise. Malgré la défaite espagnole, l’équipage du Santa Ana, prisonnier des Anglais, parvient à attaquer ces derniers et à revenir à Cadix : un chœur acclame les braves qui ont défendu la patrie. Les décors des navires et des naufrages, et la mise en scène spectaculaire des combats, sont trop coûteux : la pièce sombre après quelques dizaines de représentations68. Malgré cet échec, un nouveau filon à succès est durablement ouvert pour les producteurs du género chico69.
37Au cours des années 1890 et à mesure que le nationalisme belliciste espagnol s’enflamme, la combinaison de livrets de pièces historiques avec la scénographie propre aux panoramas de guerre est de plus en plus utilisée. Les défilés de militaires en uniforme et en musique sont fréquemment mis en scène dans les pièces les plus commerciales du genre70. Le recours à des actrices et des choristes femmes pour remplir les rôles de jeunes recrues aux pantalons serrés rend visiblement ces personnages très attrayants71. Une série de succès du género chico se fonde sur le détournement, au profit du théâtre commercial, des sentiments d’adhésion à l’armée dans le contexte des conflits contre le Maroc (1893) et contre les indépendantistes cubains puis les États-Unis (1895-1898).
La Espada de honor (L’Épée d’honneur)
« Manœuvre comico-lyrico-militaire ».
Livret de Jackson Veyán, musique de Cereceda.
Grand théâtre du Príncipe Alfonso, 1892.
Numéros à succès : mise en scène du camp militaire des Alijares avec les élèves de l’École militaire de Tolède, et un régiment de choristes femmes très nombreuses. Un capitaine d’instruction dirige manœuvres, exercices d’armes, marches et formations. Vient ensuite un « simulacre d’attaque » en assauts organisés avec présentation des pièces d’artillerie, séances de tir genou à terre, apparition des forces de cavalerie, escalade d’un fort et conquête du drapeau.
Un cadet de Tolède oublie de venir aux manœuvres. Sa sœur, qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau, décide d’aller le remplacer. Elle participe à tous les exercices et se retrouve dans des situations hasardeuses : elle doit justifier le ton de sa voix à ses camarades, se livrer avec eux à des effusions de camaraderie virile, voir son promis, lui aussi soldat, séduire une fille sous ses yeux. Elle finit néanmoins par conquérir le drapeau et se voit livrer l’épée d’honneur72.
Los Voluntarios (Les Volontaires)
Livret de Fiacro Irayzoz, musique de J. Jiménez.
Première au théâtre-cirque du Príncipe Alfonso, 28 juillet 1893, année de la guerre contre Melilla.
Passage des volontaires catalans de la guerre d’Afrique (1859) dans un village aragonais.
Numéros à succès : défilé des volontaires sur scène sur un paso doble devenu très célèbre et intégré au répertoire de toutes les fanfares militaires ; le numéro final : le général Prim entre à cheval dans le campement de l’armée marocaine, y plante le drapeau espagnol pendant que les volontaires catalans chargent à la baïonnette. Le sacristain Melitón veut séduire Rosa, fille du Tio Pedro, ancien milicien patriote, mais les villageois se moquent de lui et le jettent dans un puits. Stimulé par Pedro et par le chef des Volontaires, il laisse la soutane et prend le fusil pour suivre les volontaires.
38Les succès du género chico patriotique de la fin du siècle ont été analysés comme les indices et les vecteurs d’un militarisme intrinsèque à la société espagnole. Selon Carlos Serrano, par exemple, l’hégémonie du género chico a eu des conséquences néfastes sur les processus de politisation et de nationalisation en Espagne. Porteur d’un discours populiste, le género chico exalterait les valeurs faciles du militarisme, de la patrie et de l’Espagne de pandereta (toros et flamenco) : sa responsabilité dans la disposition de la société espagnole aux dérives nationalistes serait directe73. La reprise de la marche militaire de Cádiz par l’armée régulière, et son utilisation fréquente comme hymne patriotique propice à mobiliser les foules pendant la guerre contre Cuba, prouveraient l’impact du género chico sur une société en pleine dérive militariste. Ce jugement semble cependant en partie lié aux usages postérieurs de la zarzuela par le cinéma franquiste, qui viennent conforter un soupçon élitiste à l’égard d’un produit culturel de grande consommation.
39Les discours qui prêtent au género chico un impact politique à la fois très fort et négatif remontent en fait au début du xxe siècle : les secteurs les plus opposés à l’expansion du théâtre de masse font alors porter la responsabilité du nationalisme belliciste ridiculisé par la défaite, voire celle du Désastre lui-même, au genre théâtral le plus diffusé de l’époque. L’attribution d’un tel volontarisme politique aux producteurs de género chico relègue au second rang leur motivation première : celle de la rentabilité, qui les pousse à exploiter les recettes les plus propres à susciter l’adhésion du public. Dans son livre Le Tour du peuple, Carlos Serrano a aussi montré que l’adhésion à la guerre contre les indépendantistes cubains était partagée par des secteurs très larges de l’opinion espagnole : même les républicains et les socialistes bornaient leurs critiques à l’inégalité de la conscription74. Dans ces conditions, le género chico répond à une disposition belliciste des publics urbains qu’il n’aurait pas pu susciter seul75. Le défilé de femmes déguisées en soldats sur des rythmes militaires apparaît aux auteurs comme une recette à succès parmi d’autres, la plus utilisée restant néanmoins la saynète madrilène de bas quartiers. Cette recette ne fonctionnait pas non plus automatiquement. À propos d’un mélodrame lyrique produit au théâtre Novetats de Barcelone en 1895, le chroniqueur du quotidien républicain El Diluvio raconte sur un ton blasé le retour de numéros déjà vus autour d’une intrigue qui sert de prétexte à leur déploiement : un pasacalle de mandolines au premier acte, un défilé militaire au second, une jota dansée au troisième. Le deuxième acte serait pensé pour « exalter la fibre patriotique, au cas où elle réponde », mais le public ne se laisse pas convaincre :
Les carlistes arrivent, les libéraux aussi et pim ! et pam !, ils les dispersent avec la facilité que nous sommes habitués à voir au théâtre […] l’armée espagnole triomphante défile sur scène aux cris assourdissants de Vive l’Espagne ! À dire vrai, le tableau n’a pas choqué, le public restant de marbre.
40Suit une analyse des raisons de l’échec, instructive dans la mesure où aucune dimension politique n’est convoquée :
Les pièces à spectacle, comme on appelle celles de ce genre, ne peuvent se sauver que par la richesse et le brillant de leur présentation. La Pilarica ne possède pas cette qualité. Ni le décor, ni les costumes n’offrent une quelconque nouveauté76.
41Une autre difficulté d’interprétation du succès des pièces patriotiques du género chico et de ses numéros militaires tient aux problèmes que pose le militarisme lui-même : il serait en effet abusif de plaquer la signification politique de l’adhésion à l’armée dans l’Espagne de la fin du xixe siècle sur celle de l’après 1940. Dans un pays où l’insurrection armée est fondatrice de la mémoire libérale, les militaires passent encore aux yeux de secteurs importants du progressisme et du républicanisme pour des garants de la souveraineté du peuple, malgré la fermeture sociale croissante de l’armée et l’évolution conservatrice de son état-major77. Les pièces qui font appel aux défilés militaires continuent à lier la représentation de l’armée à celle d’épisodes de l’histoire libérale du pays : un grand succès comme Los Voluntarios se conclut sur un hommage à Prim, général progressiste qui mène la révolution libérale de septembre 1868 ; La Pilarica, qui cherche sans succès à recycler les numéros qui marchent, met en scène la victoire contre les carlistes d’une armée décrite comme libérale avant même d’être nationale.
42L’armée mise en scène par le género chico diverge par ailleurs considérablement de l’image que l’état-major de la Restauration entend donner de l’institution : l’usage scénique de l’uniforme par des actrices et choristes femmes se prête tout autant à des jeux sur les rôles sexuels qui plaisent au public, qu’à des mises en scène patriotiques78. La féminisation scénique des soldats et des officiers est réprouvée par l’armée, comme le montrent les interdictions fréquentes de ces répertoires. Un décret royal est ainsi adopté en août 1895, à la demande du ministère de la Guerre, pour « interdire l’usage sur scène des uniformes qui sont actuellement réglementaires dans notre armée79 ». Après la défaite de 1898, la mise en scène de l’armée par le género chico devient plus sensible encore. Les tirades patriotiques ou les mises en scène de défilés font désormais mauvais effet, comme le signale le chroniqueur José de Lace à propos de l’opérette La Afrancesada de Ramón Asensio Mas (musique de Zurrón)80. Toujours en 1899, la zarzuela Gigantes y cabezudos (Géants et grosses têtes [personnages utilisés dans les fêtes locales]) obtient en revanche un succès tel qu’elle est aujourd’hui encore l’une des pièces les plus connues du género chico. Selon José de Lace, le numéro le plus apprécié par le public est le chœur des rapatriés : anciens soldats habillés en civil et mutilés, ils chantent les misères de leur guerre et leur bonheur de retrouver la petite patrie proposée en refuge. Cette exposition dénudée du désastre militaire national, à laquelle adhère désormais le public, est jugée adéquate aux circonstances81.
43L’utilisation par les auteurs des sentiments militaristes du public n’a donc qu’un temps, qui coïncide avec la flambée nationaliste de la guerre de Cuba et décroît après le Désastre. L’impopularité du gouvernement se répercute sur les pièces patriotiques, et rend à l’inverse populaires les satires. La présence de ces dernières est cependant signalée bien plus tôt au cours du xixe siècle82, puisqu’elle devient particulièrement imposante autour du Sexennat. En mettant en scène une vision désenchantée des luttes politiques, elles créent et diffusent des références parfois ouvertement opposées aux représentations des luttes nationales unificatrices.
III. — LE THÉÂTRE DE L’ACTUALITÉ ET DES ABUS
44La mise en scène de l’actualité politique suit le parcours inverse du drame historique à travers les genres et les salles. D’abord portée par les répertoires satiriques et les théâtres mineurs, elle finit par imprégner les œuvres de certains grands auteurs du tournant du siècle. On analysera ici l’apparition d’un théâtre d’actualité politique autour du Sexennat, puis l’affirmation de deux registres théâtraux fortement liés à des langages politiques de la fin du xixe siècle : la critique du « caciquisme » dans les pièces rurales, et le traitement de la « question sociale » dans les pièces urbaines.
Limites et séquelles du « sexennat satirique »
45Le dramaturge Francisco Flores García, serrurier de Málaga devenu journaliste républicain militant à Madrid pendant le Sexennat, souligne dans ses mémoires l’inscription d’une partie de la production théâtrale « à caractère politique » dans des formes de spectacle divertissant, qu’il différencie des formes politisées sérieuses. Bon connaisseur des filons du théâtre comique, Flores García distingue les « comédies patriotiques » et les « comédies politiques » : les premières, « les plus ennuyeuses, et par conséquent, celles qui donnaient le moins de représentations », sont représentées sur « la scène du théâtre Novedades », grand théâtre du sud de la ville usuellement tourné vers le mélodrame. La « comédie politique » est en revanche produite dans les petits théâtres plus centraux qui commencent à se convertir au théâtre par heure, comme le Variedades, le Bolsa, le Capellanes et l’Infantil, « théâtres les plus attractifs de cette époque » :
Dans tous ces théâtres, la comédie politique était cultivée avec prédilection, parfois sous forme de revue d’actualité, et d’autres fois avec le plus haut symbolisme possible, soit pour attaquer la révolution, soit pour la défendre83.
46La comédie politique devient fondamentale dans l’animation de la sociabilité politique populaire durant le Sexennat.
47Ce rôle est reconnu et combattu par les partisans de la monarchie libérale d’Amédée Ier, récemment installée et fragile. La liberté d’expression, garantie par la constitution de 1869, est « compensée » par une répression officieuse : la « bande de la matraque » (partida de la porra) agit comme une milice secrète du gouverneur civil de Madrid au cours des années 1870 et 1871. Ce groupe armé intervient violemment contre les spectateurs du petit théâtre Calderón, qui assistent début décembre 1870 à la première de Macaronini I. Satire en un acte du républicain Eduardo Navarro Gonzalvo, la pièce s’en prend au nouveau régime et à son roi importé. Comme l’indique l’auteur, elle a été « interdite couteau et revolver en main par le parti de la matraque […] le soir de sa 23e représentation. » Il ajoute : « L’Espagne entière connaît maintenant l’attentat commis au théâtre Calderón84. » L’Espagne républicaine tout du moins : dans un discours de décembre 1870, Pi i Margall, chef du républicanisme fédéral qui deviendra président de la Ire République, s’insurge contre le « scandale du théâtre de Calderón », qu’il décrit comme le dernier épisode de la série des forfaits commis par « ce groupe de bandits » (le parti de la matraque), au moment stratégique des vacances parlementaires. Après les rédactions de journaux et les casinos carlistes, c’est au tour du théâtre républicain de devenir la cible de la répression gouvernementale officieuse85.
48Cette pièce réprimée affiche clairement ses objectifs militants : « faire la guerre, ridiculiser la monarchie comme institution86 ». Macaronini I apparaît conforme aux nouvelles orientations comiques du théâtre bref politisé, tout en reprenant le vocabulaire de la loa, pièce courte édifiante entre personnages allégoriques qui se termine par une apothéose (sorte de tableau qui résume la morale de la pièce). La pièce présente une allégorie de l’Espagne, dont le patrimoine serait dilapidé par ses légataires testamentaires (les membres du gouvernement). ¡¡Abajo las quintas !!, du même auteur et de la même année, se présente en revanche comme une pièce politique sérieuse : elle met en scène un drame familial lié au maintien de la conscription inégalitaire par les gouvernants du Sexennat, contre toutes leurs promesses.
49On retrouve des formes théâtrales semblables à Barcelone : pièces courtes didactiques et patriotiques87, satires et revues politiques d’auteurs républicains, expliquent et dramatisent les enjeux politiques de la fin du règne très contesté d’Isabelle II et des événements du Sexennat. L’historien du théâtre catalan Xavier Fàbregas évoque les décennies 1860 et 1870 comme celles de la production d’un théâtre « d’agitation politique ». Les pièces qui mettent en scène une forme de pédagogie radicale semblent nombreuses88. Dans ’L Pronunciament de Jaume Piquet (1868), pièce didactique favorable à la révolution de septembre 1868, la protagoniste lit à haute voix un manifeste politique en castillan et le commente en catalan, à destination du public ouvrier du théâtre Odeón89. Jaime Piquet, entrepreneur du théâtre, l’alimente de ses mélodrames d’actualité politique jusqu’à la fermeture de la salle en 1887.
50À côté de ces comédies politiques sérieuses, le format plus récent de la satire s’épanouit aussi à Barcelone. Il est amplement produit par Frederic Soler et ses acolytes dès les années 186090. Au cours du Sexennat, une parodie emplie d’allusions satiriques aux gouvernants comme Robinson Petit, signée par Coll i Britapaja, remporte un franc succès et est largement reprise au cours des années 187091. Curieusement, pourtant, la satire disparaît dès le Sexennat de la production de Frederic Soler, auteur dominant du théâtre catalan jusque dans les années 1880. Cette réorientation est traditionnellement lue comme un signe de sa « domestication » par l’élite culturelle conservatrice et régionaliste de la Renaixença92. De plus en plus professionnalisé, Soler cherche avant tout les formules qui marchent auprès du public et d’une critique marquée par le poids du régionalisme littéraire conservateur. Encore très investi dans le champ politique, son choix de ne plus mettre en scène la politique contemporaine peut cependant aussi se lire comme une stratégie liée au changement de régime et au repositionnement des républicains. À l’image de la trajectoire de Soler, l’orientation des pièces mineures vers la critique du régime et la satire est-elle définitivement passée sous silence sous la Restauration ?
51Après 1881, date qui marque l’accès des libéraux au gouvernement et la levée de la censure théâtrale, la satire théâtrale réapparaît en force à Madrid. Le député fusionniste León y Castillo se plaint en ces termes de « ce qui se passe dans tous les théâtres de Madrid » :
On commença, messieurs les députés, à mettre en scène les hommes politiques avec des ambages, des détours, des indications plus ou moins transparentes ; apparurent ensuite les acteurs avec des masques qui représentaient les traits des hommes politiques les plus illustres ; et maintenant, on en est finalement arrivé à les appeler par leur propre nom et à les livrer à la moquerie du public, en mettant en scène, comme je l’ai déjà dit, non seulement leurs actes politiques mais même leurs défauts ; non seulement les actes de leur vie publique mais les actes réalisés dans le sacré de leur vie privée93.
52La satire politique occuperait donc une part prépondérante de l’affiche des théâtres madrilènes programmateurs des genres courts. Les auteurs du género chico semblent alors bénéficier de certaines licences que la critique théâtrale ou les autorités refusent aux pièces longues, ou mises en scène dans les premiers théâtres. Lors de la saison 1883-1884, par exemple, les auteurs d’El Grito del Pueblo (Le Cri du peuple), zarzuela en un acte, sont poussés par les autorités à en modifier le livret. La première de la pièce avait eu lieu au théâtre-cirque de Price, situé sur l’élégant Paseo de Recoletos, devant « près de 4 000 personnes » lors d’une soirée spéciale au bénéfice d’une actrice connue : les critiques s’émeuvent de sa « partialité politique94 ». Tout au contraire, on laisse libre cours aux satires d’hommes politiques reprises dans plusieurs pièces du género chico produites la même année dans des théâtres de second ordre comme l’Eslava et le Variedades.
53À mesure que leur succès va croissant, certaines pièces courtes s’attirent bientôt elles aussi les foudres du pouvoir. En 1887, La Tertulia de Mateo (Le Salon de Mathieu), qui caricature l’entourage du Premier ministre libéral Mateo Sagasta, est interdite par le gouverneur civil95. Une nouvelle arme juridique, le règlement de police des théâtres adopté en 1886, permet de réprimer les satires théâtrales contre le gouvernement. Le préambule du texte affiche un objectif d’équilibre entre la répression et le laisser-faire96. Pourtant, au-delà du recours à la voie judiciaire en cas d’atteinte au Code pénal, déjà prévu par le décret de 1881 (art. 32), le texte prévoit la possibilité de suspendre les pièces controversées avant la sentence du tribunal (art. 33). Les acteurs adeptes des imitations et des caricatures scéniques des gouvernants, alors courantes dans les pièces du género chico, sont eux aussi visés (art. 35). En 1887, la pièce courte El Puesto de las castañas subit ainsi à son tour un interdit du gouverneur civil97.
54La liberté des pièces courtes est cependant davantage menacée par leur commercialisation croissante que par les autorités. Leur portée satirique est mise en sourdine par les auteurs eux-mêmes à mesure que le género chico atteint un stade de grande distribution, c’est-à-dire à partir de la seconde moitié des années 1880. Felipe Pérez y González, auteur républicain du livret de La Gran Vía, s’autocensure face à l’énorme succès commercial de son opérette courte, qui marque le démarrage en 1886 de la grande production de género chico. Après le pronunciamiento républicain de Villacampa (novembre 1886) et alors que la pièce a déjà connu 400 représentations, un sympathique « chœur des sergents », allusion transparente aux soulevés, est intégré98. Alberto Castilla constate que l’épisode disparaît en 1888, et que les passages satiriques les moins consensuels ont été gommés99.
55Certains auteurs du género chico, relayés par des acteurs comiques doués pour l’imitation et l’improvisation, continuent certes à mettre en scène des caricatures des gouvernants100, mais l’essentiel du comique des pièces courtes se fonde désormais sur un humour moins corrosif à l’égard des autorités. Il porte avant tout sur l’archaïsme burlesque de la société madrilène : la parodie, typique des procédés du género chico, permet d’opposer systématiquement la culture locale à la modernité internationale. Le thème du retard urbain et technique de la capitale espagnole face à ses voisines européennes devient l’un des grands filons comiques du genre au cours des années 1880. La structure dramatique de la revue s’organise sur le contraste entre un personnage extérieur d’observateur moderne et plusieurs personnages et situations typiques de l’archaïsme espagnol, qui défilent sous ses yeux et deviennent comiques sous son regard en sympathie avec celui du spectateur. Avant l’euphémisation notoire de la satire du género chico à la fin des années 1880, les pièces courtes produites à Madrid portent cependant la charge de critiques virulentes contre le régime.
Une démocratie viciée : la naissance de l’anticaciquisme au théâtre
56La pièce politique de village constitue l’une des principales veines de la satire au théâtre. Cette focalisation sur la vie politique au village s’explique par l’importance des débats sur le gouvernement local dans l’Espagne du xixe siècle, et ce dès les discussions sur la rédaction de la Constitution de Cadix (1812). Les députés américains présents aux débats estiment alors que la souveraineté du peuple (pueblo) trouve son lieu d’expression naturelle au village (pueblo). Ils s’opposent aux députés centralistes, qui défendent au contraire le monopole de la représentation nationale par l’assemblée101. Contre la vision « municipaliste » de la conquête des libertés, les lois municipales qui se succèdent sous les régimes libéraux postérieurs réduisent le gouvernement local à la simple délégation de l’autorité gouvernementale. La loi municipale modérée de 1845 établit la nomination des maires par les gouverneurs de province ou par le ministre de l’Intérieur pour les grandes villes, alors que les libéraux progressistes demandent son élection (par un suffrage élargi) parmi les membres du conseil municipal (projet de loi de 1855)102. Quant aux radicaux et aux républicains fédéralistes, ils sont partisans d’une autonomie municipale complète. Les opinions sur ce thème décisif divergent au sein même du camp républicain : sous la Ire République (1874), les soulèvements « cantonalistes » menés par les fédéralistes intransigeants sont réprimés par l’armée d’une République devenue autoritaire.
57Effrayés par ces débordements de la démocratie directe, les libéraux-conservateurs qui mettent en place la Restauration appliquent leur politique de retour à l’ordre sur le terrain du gouvernement local. La réforme de la loi municipale de 1877 préserve l’élection des maires des communes de moins de 6 000 habitants par les conseillers municipaux, mais rétablit la nomination des autres. L’élection des maires de village est en outre bridée par des conditions d’éligibilité restrictives : seuls peuvent se présenter les premiers contribuables dans toutes les communes de plus de 400 habitants. Délégués du gouvernement, les maires sont par ailleurs susceptibles d’être suspendus par leur chef politique, le gouverneur civil103.
58Cette limitation de l’autonomie du gouvernement local attise les débats entre les gouvernants d’une part, et les libéraux les plus progressistes et les républicains de l’autre104.
59Ces débats trouvent leur place dans des pièces satiriques au cours des années qui précèdent le Sexennat. En 1864, la pièce de Frederic Soler L’Esquella de la torratxa (La Clochette de la tourelle), parodie d’un drame historique romantique105 (La Cloche de la Almudaina), remporte à Barcelone un succès considérable et tout à fait inédit pour une pièce en catalan. Représentée 117 fois entre 1864 et 1866, elle est la plus jouée de toutes les pièces programmées pendant ces deux années dans les théâtres de la ville, selon le décompte de Carme Morell106. En juillet 1871 est mise en vente la quatrième édition de la pièce, tirée à 16 000 exemplaires, un tirage considérable pour une publication en catalan de l’époque107. Avant de connaître ce grand succès public, L’Esquella a d’abord été écrite pour le public réduit et politiquement complice des réunions informelles entre « jeunes » de l’opposition, qui se multiplient à Barcelone. Sous la parodie, qui permet de rabaisser les personnages d’une intrigue connue par les spectateurs, la pièce expose la corruption des notables d’un village de la campagne catalane un jour d’élection des députés. Le protagoniste de la pièce, le maire de village Cinto Comelles, ridiculise l’autorité publique qu’il représente en contrefaisant les comportements du héros romantique : lorsque le grand acteur Lleó Fontova reprend le rôle pour son album personnel, il choisit symptomatiquement les atours du paysan (béret catalan, ceinture de tissu et espadrilles) et la posture dégradante du buveur (voir planche VII.2).
60Le succès de L’Esquella de la torratxa fait de la pièce un vecteur de l’opposition au gouvernement d’Isabelle II (1833-1868)108. La veine de la satire politique villageoise fait écho aux arguments d’une large opposition, des libéraux conservateurs de l’Union libérale aux républicains, sur le thème du gouvernement local. Dans L’Esquella de la Torratxa, le maire Comelles, riche hereu (aîné qui hérite des trois quarts des terres) lié aux modérés, cherche à faire élire député le candidat ministériel, quitte à corrompre le « chœur des électeurs » : il promet que son candidat « donnera des emplois aux bons garçons » et s’apprête à « donner une once pour chaque vote ».
61Le ministre modéré de Madrid lui donne ses consignes frauduleuses dans une lettre qui lui est lue à haute voix :
[En castillan] Nous avons appris que le candidat adverse a mis dans votre village [lugar] un socialiste des plus terribles […]. Utilisez tous les moyens imaginables pour le saisir, et prenez aussi quiconque pense lui donner son vote, car le gouvernement désire la plus stricte légalité dans ces élections. Sans plus de commentaires, recevez mon affection. Le ministre Blas Guiñones [guiño : clin d’œil]109.
62Son adversaire politique, Jaume Cirera, se présente comme progressiste en utilisant des moyens tout aussi illégaux : il entend profiter de son élection pour détourner des investissements publics à son compte. Ces derniers se présentent comme des doublets absurdes des investissements réels du capital catalan de l’époque : construction d’un chemin de fer de son village à La Havane, de quatre usines, extension de l’ensanche (territoire d’urbanisme planifié) de Barcelone jusqu’au village pour faire monter les prix de ses terres. La pièce construit donc conjointement la satire des élites étatiques au pouvoir derrière celle des notables de village.
63Les débuts militants de la production théâtrale en catalan sont marqués par cette pièce qui donne son titre à un journal satirique durablement populaire (La Esquella de la Torratxa, 1872-1939), qui vient contourner l’interdiction d’un titre précédent, La Campana de Gràcia (La Cloche de Gràcia, rétabli par la suite, 1870-1936). Ce dernier avait été fondé pendant le Sexennat, juste après le bombardement du clocher de l’église de Gràcia (village industriel proche de Barcelone), lors de l’insurrection contre les quintes (conscription par tirage au sort) menée par les républicains fédéraux (avril 1870). Valentí Almirall, ami très proche de Frederic Soler et chef du républicanisme fédéral « intransigeant » barcelonais pendant le Sexennat, s’unit à l’éditeur Innocenci López pour mobiliser l’opinion républicaine par ces titres bon marché et comiques110. L’Esquella, sous forme de périodique, reste donc liée comme la pièce à une stratégie de communication politique républicaine.
64L’abandon de la veine de la satire politique par Soler à partir du Sexennat peut se comprendre comme une stratégie politique dans le nouveau contexte révolutionnaire. Sa pièce Polítichs de gambeto, produite en février 1871, alors que la solution républicaine a été écartée par le général Prim au profit de l’intronisation d’Amédée Ier (dynastie des Savoie, 1871-1873), amorce ce changement. Si le gouvernement villageois, utilisé comme une image rabaissée du jeu politique parlementaire, reste vil et lié au système de distribution des faveurs étatiques111, l’auteur incite désormais les républicains à s’établir par des voies légales, plutôt que par l’insurrection.
Los Polítichs de Gambetoa (Les Politiques en sabots)
Comédie en 3 actes et en vers de Frederic Soler.
Première au théâtre Romea, 23 février 1871.
« Intrigue politique » dans le cadre d’un village de montagne contemporain.
Le marin républicain Gilet, jeune premier au bon cœur, entend se marier avec la fille du maire, Carmeta, héritière du mas familial (pubilla). Le maire, personnage comique de benêt, est malgré tout suffisamment ouvert d’esprit pour accepter un gendre sans patrimoine. Gilet et le député don Félix en visite s’opposent aux politiciens du village, « pires que ceux de Madrid112 ». Ces derniers entrent en « coalition » pour empêcher le mariage de Carmeta et Gilet, métaphore de l’instauration d’une République. Ils représentent les forces politiques non républicaines en présence au niveau national :
- Bismark, l’organiste autoritariste-maître d’école-secrétaire de mairie113 est « néo » (ultra catholique)114.
- Nonito, un fils de bonne famille barcelonaise, est unioniste (courant libéral centriste, acteur de la Révolution de 1868).
- le sacristain est carliste (mouvement réactionnaire soutenant une branche dissidente des Bourbons, bientôt à l’origine d’une troisième guerre civile, entre 1872 et 1876).
- le vétérinaire est progressiste (courant libéral de gauche, représenté par le général Prim) et s’est arrogé la place de médecin municipal.
Pour parvenir à ses fins, Bismark pousse le républicain à se marginaliser du jeu politique : il insinue que Carmeta s’est engagée dans son dos avec le député, et qu’il devrait rejoindre ses amis républicains regroupés dans le ravin pour se soulever. Le député déjoue le piège : il convainc les républicains de rester chez eux, permettant à Gilet de se marier sans passer pour un lâche auprès de ses camarades. L’héritière Carmeta rassure ses adversaires : une fois mariée au républicain, elle les confirmera dans leurs emplois publics115.
agambeto = cape paysanne.
65Malgré le retour en arrière en matière de suffrage et de gouvernement local marqué par la Restauration (1875), la satire politique villageoise ne semble pas réapparaître dans le théâtre catalan avant les années 1890. La mise en scène de la campagne n’est plus mobilisée que dans les drames ruraux, idéalisant la petite communauté politique catalane autonome, patriote et vertueuse.
66Au cours des années 1870 et 1880, la satire politique produite par les théâtres par heure madrilènes prend le relais de la veine épuisée du théâtre satirique catalan. Elle porte fréquemment sur l’exercice de la politique dans les campagnes. La satire classique des maires ignares sert désormais de reflet aux vices du régime de la Restauration. El Alcalde interino (Le Maire intérimaire) met en spectacle le mauvais gouvernement local et l’ignorance du peuple rural qui s’y conforme.
El Alcalde interino (Le Maire intérimaire)
Saynète lyrique en 1 acte. Livret de Ricardo Monasterio (ancien volontaire des Milices nationales républicaines en 1873)116 et Miguel Casañ, musique de Brull.
Première au théâtre Eslava de Madrid en 1888.
À la mort du maire, le pueblo proclame nouveau maire le « premier contribuable, premier propriétaire, et… (premier fainéant du village) » selon le maître d’école, don Nicomedes. Le maire intérimaire, benêt comme l se doit, demande au maître de préparer son discours au gouverneur, qui doit venir confirmer sa nomination. Nicomedes profite de l’occasion pour ironiser sur la gestion municipale, rire de sa propre misère (l’école primaire est encore à la charge des communes) et parodier le langage de soumission au pouvoir central : « Depuis que Votre Grâce gouverne la province, tous sont heureux… sauf le maître d’école. Le municipe a beaucoup d’argent, et paie toutes ses obligations… sauf au maître d’école. »
La pratique du turno pacífico entre conservateurs et libéraux est dénoncée au passage : elle fait reposer sur le maire la falsification des élections législatives, destinée à entériner l’arbitrage royal entre les factions par une composition adéquate du Parlement : « L’ordre et la moralité la plus parfaite règnent dans tout le village, même les jours d’élections […]. Ici on ne choisit pas d’autres députés que ceux que veut Votre Grâce117. »
67Le caractère vicieux du gouvernement municipal est présupposé dans toutes les pièces de ce répertoire. Los Cómicos de mi pueblo (Les Acteurs de mon village), de Javier de Burgos pour le livret et Angel Rubio pour la musique, atteint 40 représentations à l’Eslava en 1884 (soit près de 30 000 spectateurs pour un remplissage de la salle à 60 %).
Los Cómicos de mi pueblo (Les Acteurs de mon village)
Saynète lyrique en 1 acte.
Javier de Burgos, musique d’Angel Rubio.
Première à l’Eslava en 1884118.
La saynète s’ouvre sur le tableau ironique d’une société villageoise idéale. Le maire au parler inculte s’adresse un éloge qui décrit en creux la corruption du gouvernement municipal.
Le « tranquille » village est divisé en deux clans par l’arrivée d’une compagnie de théâtre sérieux et d’une compagnie de zarzuela, représentant respectivement les conservateurs et les libéraux. Leurs entrepreneurs font pression sur le maire pour obtenir la jouissance du théâtre municipal, en lui présentant des lettres de recommandation du gouverneur civil de la province pour l’un, et du député du district pour l’autre. Tenant son rôle d’autorité modèle, le maire les envoie tous en prison.
68Dans ces pièces satiriques, le cadre villageois sert à mettre en scène le gouvernement central, par une voie indirecte qui atténue les risques pour les auteurs. Les réunions du conseil municipal villageois fonctionnent comme des parodies des débats parlementaires. La saynète en un acte Política y Tauromaquia (Politique et tauromachie), autre succès de Javier de Burgos, multiplie ces jeux de dédoublement : elle atteint 60 représentations au théâtre Eslava (43 000 spectateurs pour un remplissage de 60 %).
Política y Tauromaquia (Politique et tauromachie)
Saynète lyrique en 1 acte. Javier de Burgos, musique de Rubio et Espino.
Première à l’Eslava en 1883.
Un homme politique « ministériel » fuit les éternelles disputes de la cour et part se reposer dans un village : il y arrive à la veille des élections municipales et retrouve Madrid dans une version caricaturée. Les notables en rivalité pour la conquête du pouvoir municipal, équipés des accessoires du pouvoir villageois, reprennent la gestuelle des hommes politiques célèbres imités par les acteurs. Le « commandant Martínez », caricature du général Martínez Campos119, entre en scène « habillé en chef de la garde municipale d’un village d’Andalousie, avec un chapeau à bords relevés, une cocarde, une veste avec des galons sur la manche et un sabre de cavalerie120 ». Ce garde municipal protège le maire, réincarnation paysanne du chef du clan libéral (alors chef du gouvernement) Mateo Sagasta, affublé du parler inculte et des atours typiques du maire de théâtre (chapeau à larges bords, cape, pantalon court et bâton de maire)121. Paco, un soldat habillé en hussard revenu dans son village après avoir « servi la Patrie », prétend en revanche aider son oncle Antoine (Cánovas del Castillo) à gagner les élections du lendemain contre le maire. Travestissement du général Serrano, il a de lourds comptes à régler avec le commandant Martínez122. Cette parodie d’un personnel politique désacralisé par son ancrage campagnard rend manifeste l’illégitimité de sa domination politique, explicitée par le dialogue. Lors d’une rencontre avec le garde municipal, Paco « se dirige à Martínez avec audace » et dénonce « la loi de la force » utilisée par son adversaire. « Déconcerté », le commandant se dédouane en affirmant qu’il n’a « rien à voir avec les lois123 ».
69Les satires théâtrales madrilènes des années 1880 mettent en spectacle le caractère frauduleux du gouvernement local, indice des limites du parlementarisme sous la Restauration, et métaphore des mauvaises pratiques de la classe politique. Plus systématique que la critique antérieure des notabilités, le discours anticaciquiste naît de cette dénonciation d’une collusion entre tyrans locaux et oligarques centraux, mise en scène dans les théâtres de Madrid bien avant d’être portée à l’Ateneo par les discours célèbres de Joaquín Costa124.
70Au cours des années 1890, la commercialisation croissante du género chico conduit à l’euphémisation de ces critiques. Le maire de village reste un personnage usuel du género chico très commercial, mais il est désormais simplement utilisé comme le type de l’ignare. Sa peur superstitieuse et ridicule permet par exemple le fonctionnement de parodies d’intrigues policières dans des cadres villageois125. Le riche propriétaire terrien bonasse qui n’aspire qu’à la tranquillité de la campagne apparaît lui aussi dans les pièces villageoises les plus appréciées, où la thématique du mauvais gouvernement local disparaît126. Après 1895, la formule à succès de la « zarzuela de village » (pueblerina) met en scène des amours momentanément contrariées entre paysans ingénus, dans le cadre de tableaux de mœurs régionaux. La dimension de la vie politique concrète au village est pratiquement absente de ce spectacle d’une communauté égalitaire et originelle rêvée, vecteur efficace de l’imaginaire régionaliste127.
71À la même époque, le thème du mauvais gouvernement local apparaît en revanche dans le théâtre sérieux. La mise en scène de la tutelle sociale et politique exercée sur le bas peuple rural constituait déjà un thème fort du théâtre de déclamation du Siècle d’or128. Cette veine du drame rural est reprise dans les théâtres les plus nobles de Madrid à partir des années 1890 (chapitre vii). Au-delà de l’exposition de modèles familiaux archaïques, ce format joue de la mise en scène de la tutelle des patrons locaux (amos) sur les paysans. En 1892, la comédie d’Echegaray Sic vos non vobis, mise en scène au théâtre Comedia, surprend le critique barcelonais Josep Yxart : contre son verbe ampoulé habituel et ses dispositions « antibucoliques », le théâtre « courtisan » paraît soudain s’intéresser aux campagnes et aux personnages simples, en se rapprochant d’une esthétique dite naturaliste129.
72Ces innovations ne semblent pas séduire le public madrilène : la pièce n’est représentée qu’à neuf reprises130. Echegaray y expose la tutelle exercée par un patron sur une paysanne ingénue de ses terres.
Sic vos non vobis
Comédie en 3 actes de José Echegaray.
Première au théâtre de la Comedia (Madrid), 1892.
La pièce, située « au début du xixe siècle ou à la fin du xviiie », met en scène les relations entre un grand propriétaire (de terres et d’une mine non situées) et une paysanne orpheline, qu’il a protégée et avec laquelle il aspire à se marier. Il prend soin de la policer par des leçons de mondanité. Héritier de l’immense capital de son oncle de Floride produit par le trafic d’esclaves, don Marcelo s’est rendu compte de l’injustice du négoce : il a libéré les esclaves après la mort de son oncle et semble désormais jouir honnêtement de son capital agricole et industriel. De la même manière, il finit par prendre conscience de l’injustice de son exigence de mariage avec sa protégée, qu’il laisse finalement libre de s’allier à Juan, un homme de sa classe.
73Le drame met en scène l’exercice abusif d’une tutelle sociale en milieu rural, tout en montrant aussi sa capacité à se réformer. Cette exposition n’est pas innocente dans le contexte espagnol de l’époque. Le rejet du parlementarisme vicié, qui s’étend bientôt des républicains et des libéraux de gauche à tous les groupes d’intérêt butant sur les limites de la représentation politique131, se focalise en effet au cours des années 1880 sur la figure du « cacique ».
74Ce terme indien est alors appliqué aux notables liés aux clans politiques dominants, régnant sur un peuple rural dont la passivité est assimilée à celle des sauvages d’Amérique. Patron politique local briguant la mairie ou la députation (provinciale ou nationale), le cacique est réputé négocier les votes de ses clients contre la distribution d’emplois et de services étatiques. Après le Désastre de 1898, le vocabulaire du caciquisme est repris jusque par les secteurs politiques dominants, et notamment par le chef du parti conservateur Maura qui lance un nouveau projet de loi municipale et réforme la loi électorale en 1907. La lutte contre le « parlementarisme caciquil » devient par la suite un argument au service du dictateur Primo de Rivera (1923-1931)132.
75Avant d’atteindre le stade d’un antiparlementarisme généralisé, le discours de l’anticaciquisme se diffuse lentement, au sein d’une opposition de plus en plus large. Il est traité par Àngel Guimerà sur un ton nettement plus noir qu’Echegaray. Terra Baixà (Basse terre), le drame le plus connu du dramaturge, met à nouveau en scène un patron rural séduit par une paysanne orpheline : le portrait sert cependant cette fois à mettre en spectacle l’exercice d’une tutelle sociale clairement vicieuse en milieu rural.
Terra Baixà (Basse terre)
30 novembre 1896 : première au Teatro Español de Madrid dans une traduction castillane de José Echegaray.
L’original catalan n’est mis en scène au Romea de Barcelone qu’un an après133.
L’hereu Sebastià, très riche propriétaire terrien, est séduit par une jeune mendiante, Marta, qui erre avec son beau-père aveugle et danse pendant qu’il joue de la musique. Sebastià leur propose la location d’un de ses moulins : leur pauvreté, et la déficience physique et économique du beau-père, les conduisent à accepter l’offre, malgré la compensation en nature rapidement exigée par l’amo (le maître). Proche de la ruine (car désordre moral et économique vont de pair chez les mauvais maîtres), Sebastià veut faire cesser les rumeurs qui empêchent son mariage avec une riche héritière. Il organise à cette fin le mariage de Marta avec un berger à demi sauvage, Manelic. Contrairement à ses plans, Marta et Manelic tombent amoureux et décident de fuir vers les hautes terres. Lors de la scène finale, l’amo leur barre la route, secondé par ses paysans soumis, alors que la « justice » à sa solde a aussi été appelée à la rescousse : Manelic, héros romantique qui devient le rôle test des meilleurs acteurs espagnols, l’assassine.
76Dans ses drames sociaux, Guimerà présentait souvent des personnages de patrons d’usines absentéistes et d’ouvriers livrés à eux-mêmes, comme en demande de paternité. C’est dans cette version rurale qu’il parvient à imposer sa vision de catholique social. Terra Baixà devient la plus célèbre de ses pièces, tant en Espagne qu’à l’étranger, fait rarissime pour le théâtre espagnol de cette époque : traduite en plusieurs langues, elle est même montée en opéra à Paris sous le titre La Catalane en 1907, et en allemand sous celui de Tiefland. Sa traduction en français dès 1898 suscite pourtant des oppositions en Espagne. Suite à la mise en scène à Paris d’une traduction de Bertal pour le Théâtre d’Audition, le critique madrilène Jacinto Octavio Picón s’inquiète de la réaction du critique parisien, très académique et renommé, Francisque Sarcey. Ce dernier est choqué par les personnages de Guimerà — parmi lesquels un seigneur « maître absolu des gens et des propriétés », dont les « vassaux ne sont rien de plus que des serfs » —, qui constituent selon lui les signes d’une civilisation attardée. Picón s’insurge contre les fausses idées que donne ainsi de l’Espagne le drame de Guimerà :
[Sarcey] paraît croire que dans l’Espagne du xixe siècle et dans la région probablement la plus imbue d’esprit moderne, existent encore des seigneurs hauts justiciers qui ont jusqu’au droit de cuissage […]. Il est triste que, précisément lorsque nous avons besoin que l’on se fasse à l’étranger une idée exacte de notre état social, le public français puisse croire que seraient possibles de tels abus dans une région espagnole. Car si les gens des campagnes vivent ainsi — pensent certainement ceux qui lisent Sarcey —, comment ne pas croire à la légende des tourments de Montjuic134 ?
77L’enjeu de la pièce tient ainsi à la mise en scène d’un peuple espagnol archaïque encadré par de mauvais tuteurs. Cette vision de l’Espagne atteint à la même époque le stade d’un langage politique dominant, comme l’atteste le succès de l’essai de Joaquín Costa, Oligarchie et caciquisme comme forme actuelle de gouvernement en Espagne.
78Il y résume les débats de l’Ateneo sur ce thème (1902), en s’opposant à ce qu’il tient pour une erreur d’appréciation du « phénomène social du caciquisme ». Certains croient en effet que le « bon cacique » est un « tuteur ou patriarche135 » qui remplit un rôle d’intermédiaire indispensable entre les villages (pueblos/peuples) et l’État, dans le contexte de passivité politique et de retard culturel des campagnes.
79Costa s’oppose catégoriquement à cette vision :
Mais, puisqu’il ne s’agit pas de cela, puisqu’il ne s’agit pas ici d’une tutelle, mais d’une séquestration ! Puisqu’il ne s’agit pas ici d’un enfant soigné, administré, éduqué, protégé et dirigé, mais d’un enfant séquestré par une bande de brigands136 !
80La qualification morale des autorités de tutelle du peuple rural devient un enjeu politique central : elle pose la question de la possibilité d’une démocratisation du système politique espagnol. Le fonctionnement plus ou moins vertueux et autonome du gouvernement municipal n’est plus au cœur du problème : malgré, ou plus justement, à cause de la mise en place du suffrage universel masculin depuis 1890, tous s’accordent à voir le peuple rural comme un enfant incapable d’exprimer son opinion librement. Son état de dépendance sociale se traduit politiquement par la souveraineté des caciques, au détriment de la souveraineté nationale, ce qui amène Costa à ouvrir son essai sur la formule choc : « L’Espagne n’est pas une nation libre et souveraine. » Le théâtre rural « sérieux » devient le lieu privilégié de l’exposition du problème politique ainsi construit autour de l’immoralité des patrons de campagne.
81La Farsa (1899), comédie produite dans le contexte de crise qui suit le Désastre par Àngel Guimerà, précise la position de l’auteur sur la question du caciquisme. Contrairement à la tradition des satires politiques villageoises, cette pièce s’étend sur trois actes et transpose en ville l’intrigue des élections municipales falsifiées par un « cacique ». Guimerà y met en scène le credo catalaniste sur la perversité du suffrage universel, contre lequel les Bases de Manresa (1892, texte programmatique du catalanisme) demandent l’établissement d’un suffrage corporatist e137 : l’instrumentalisation du vote populaire par des élites pernicieuses, exposée par la pièce, conduit à lier la critique de la démocratie libérale à celle des élites étatiques.
La Farsa
Comédie en 3 actes et en prose d’Àngel Guimerà.
Première au théâtre Romea, le 31 janvier 1899.
Action dans une ville catalane à l’époque actuelle.
Cosme, un généreux maître d’école idéaliste, est très aimé. Veuf, il vit avec sa fille Candiona et sa sœur. Daniel, le prétendant de Candiona, est aussi le dépendant de Baltasar, le cacique de la ville. Il prétend que Cosme se présente aux prochaines élections municipales : il sera facilement élu et docile au sein du conseil. Mais Cosme refuse de manipuler les élections. Baltasar offre donc la candidature du parti à un autre, et Daniel part courtiser la fille de ce dernier. Cosme se présente comme candidat indépendant. Le jour des élections, après avoir été rejeté par l’autre famille (il est trop pauvre), Daniel revient vers Cosme et Candiona. Il falsifie les élections pour favoriser Cosme. Baltasar ordonne l’arrestation de Cosme. Dans une tirade finale qui pèse lourd dans le climat de crise du début de l’année 1899, le maître d’école menace Daniel et le cacique : « De corruption en corruption, on finit par perdre un règne [Rumeurs]. Un règne, oui, vous êtes ceux qui avez perverti les sentiments de ce pays, vous vous êtes approprié indignement les premières places, et vous vous êtes réparti l’argent de la nation138. » Le peuple se jette sur le cacique et le passe par la fenêtre.
82Cette pièce, qui n’est représentée que 15 fois au théâtre Romea lors de sa sortie139, est critiquée par les élites conservatrices non catalanistes de Barcelone. Le chroniqueur de La Dinastía140 y voit « un article d’opposition, en temps d’élections, mis en scène ». Il encourage l’auteur à reprendre sa position habituelle, loin du « champ prosaïque de la politique141 ». Cette mise en scène directe de la corruption politique est donc un échec, alors que Guimerà touche public et critiques avec des arguments proches, lorsqu’il les exprime dans le langage euphémisé du drame rural.
83Quelques jours après la première de Terra Baixà à l’Español de Madrid, le premier auteur madrilène de théâtre social, Joaquín Dicenta, enfonce le clou avec El Señor Feudal (Le Seigneur féodal) au théâtre de la Comedia142. Après Dicenta, c’est au tour d’un auteur moins marqué politiquement de reprendre la thématique. Jacinto Benavente est déjà consacré pour ses drames de salon et pour ses pièces brèves, après s’être un temps affiché moderniste dans les années 1890. En 1908, la mise en scène de Señora Ama (Madame la propriétaire) marque son passage au drame rural. Le succès de la pièce, que Benavente juge lui-même la meilleure de ses œuvres143, enracine définitivement les mauvais patrons ruraux dans le langage usuel du grand drame castillan.
Señora Ama
Comédie longue, rurale et domestique de Jacinto Benavente.
Première au théâtre de la Princesa de Madrid (1908).
La pièce se déroule dans un village castillan, au sein d’une famille paysanne composée des propriétaires, de leurs domestiques et de leurs dépendants. Le maître est présenté dès l’ouverture comme un jouisseur invétéré qui engrosse toutes ses paysannes. Ces dernières utilisent leurs enfants naturels pour obtenir services et emplois pour leur maisonnée. La maîtresse, qui accepte résignée cette situation pendant les deux premiers actes, change lorsqu’elle apprend qu’elle est enceinte : elle reprend alors en main les rênes de l’économie domestique, met fin aux abusives relations clientélaires entre son mari et les maîtresses de ce dernier, et refuse d’accéder à leurs demandes. La relation contre nature entre le peuple rural et ses tuteurs « naturels » fonctionne à nouveau comme une métaphore du système caciquiste. Julita accuse son cousin Feliciano, l’amo perverti, de menacer l’ensemble de la société villageoise : « Le pire ici, c’est qu’il n’y a plus d’union entre ceux qui ont les moyens, et que cela profite à plus de quatre canailles qui n’auraient jamais dû monter là où ils sont montés. […] Quelle honte de voir le père Bruno juge municipal ! Comme si on ne savait pas tous qui était son père ! Un pauvre valet de ferme de chez mon oncle Doroteo… et le père Catalino maire ! Comme si on ne savait pas tous qui était son père ! Enfin, on ne le sait pas, tout le monde dit que c’était un autre, et c’est justement sa chance… Et de cette espèce sont tous ceux de la justice144. »
84Les langages de la satire politique villageoise et du drame caciquiste s’assemblent. Le désordre sexuel des familles de propriétaires, qui les mène au déclin social et économique, ouvre le gouvernement du village à des parvenus de naissance obscure, incapables de tenir leur rôle de tuteurs du peuple. Imposée par l’ignorance et par le manque de vertu, la servitude de ce dernier fait obstacle à l’avènement d’une véritable démocratie en Espagne.
85Consacrées sur les scènes du théâtre de déclamation, les pièces rurales politisées sont aussi omniprésentes sur les scènes mineures. Peu diffusées, ces pièces sont détachées des objectifs de divertissement commercial, et explicites dans leur propos critique. El Alcalde de Villapeneque (1892), de Javier Soravilla et Mariano Casi sur une musique d’Ángel Ruiz, reprend le format de la satire villageoise courte des années 1880. La pièce est produite par le petit théâtre Romea de Madrid (500 places) en 1892, et inscrit dans le contexte villageois l’opposition aux fêtes du IVe centenaire de la découverte de l’Amérique. Cette opposition fait écho aux révoltes populaires qui ont alors lieu à Madrid et à Barcelone contre l’organisation des fêtes, et dans de nombreux villages du pays contre le prélèvement fiscal145.
El Alcalde de Villapeneque (Le Maire de Villapeneque)
« Absurdité [Disparate] comico-lyrique en un acte et cinq tableaux » de Javier Soravilla et Mariano Casi, musique d’Ángel Ruiz.
Première au théâtre Romea de Madrid en 1892.
Le conseil municipal de Villapeneque n’a pas voix au chapitre pour empêcher l’engagement inconsidéré de nouvelles dépenses collectives par le maire. L’écrivain public qui s’y oppose est mis en prison. Le maire l’invite avec ironie à aller au bout de sa menace de faire appel au gouverneur, son ami politique. La fraude fiscale est elle aussi mise en scène146 : à son secrétaire, qui lui demande « où placer cette charge », le maire répond dans son sabir inculte usuel :
Maire — « Tiens donc ! Ben dedans les taxes munecipales.
Secr. — C’est que le pueblo se plaint déjà beaucoup de tant de charges.
Maire — Eh bien, s’il est chargé… chargeons-le encore plus… Qu’est-ce que ça me fait à moi ? Il peut ben davantage ! On augmente le type d’enchère pour l’octroi, et bingo […]. Ou bien tu crois que c’est moi qui vais faire les fêtes de ma poche ? Bah… C’est la munecipalité qui les fait, le peuple qui les paie, et on s’arrange tous… tous ceux qui sont dans la combine. Moi et toi majoritairement.
Secr. — Mais, et si on ouvre une information contre nous ?
Maire — On perd… l’informasson147. »
86Au cours des années 1890, la cible de la satire politique villageoise est déplacée du maire au « cacique », suivant ainsi l’évolution des langages critiques de la Restauration : El Regreso del Cacique (Le Retour du cacique) expose sur un ton didactique le système de distribution personnalisée des faveurs étatiques sur lequel se construit l’autorité locale. Cette pièce courte est produite par le Novedades de Madrid au cœur des « bas quartiers » du sud de la ville : destiné à un public modeste, il s’agit d’un grand théâtre (1 500 places), bastion du mélodrame à tendance sociale, réputé fréquenté par les typographes de l’Arte de imprimir proches du PSOE148.
El Regreso del Cacique (Le Retour du cacique)
Jeu comico-lyrique en 1 acte et en vers.
Rafael María Liern, musique d’Ángel Ruiz, première au Novedades de Madrid en 1893.
L’action se déroule aux alentours de Valence : le père Clarté, simple et bon vivant, ancien volontaire de toutes les milices nationales, fait face à l’entourage du « cacique de la contrée, qui influe sur les élections », composé notamment de deux aspirants fonctionnaires. De retour de Madrid, le cacique, « type grotesque et ordinaire, très rougeaud, à qui les vêtements distingués vont mal », distribue les prébendes grassement payées car son frère vient d’être nommé gouverneur civil de Séville. Le père Clarté, à qui le cacique propose aussi un petit emploi, dénonce la manière dont on cherche ainsi à amadouer les libéraux. Le maître d’école, impayé depuis plusieurs mois, vient demander l’aumône avec son fils affamé : tous refusent de l’aider sauf Clarté. Lors de la scène finale, Clarté et le maître constatent le triste état du pays : le père Clarté convient que son analphabétisme fait partie du problème, et s’engage à se mettre au travail pour y remédier149.
87On retrouve la production de ce même genre de pièces à Barcelone. La Vara de Alcalde (Le Bâton de maire) est mise en scène dans les bastions du théâtre en catalan de Barcelone, le Romea et le Novetats. Contemporain de Frederic Soler, républicain comme lui, très actif pendant les campagnes protectionnistes des années 1870, son auteur Vidal i Valenciano est aussi député provincial pour le district d’Igualada-Vilafranca del Penedés entre 1884 et 1899. L’édition porte mention d’un prix littéraire attribué à la pièce par le « Centre catalan » de Vilafranca del Penedés. Le député provincial est ainsi reconnu par ses administrés catalanistes, pour ce manifeste scénique contre la tyrannie fiscale et la fraude électorale des maires villageois.
La Vara de Alcalde
Comédie en 1 acte et en vers d’Eduard Vidal i Valenciano.
Romea (Barcelone), 1895, Novetats (Barcelone), 1897.
Des propriétaires d’un « village peu peuplé150 » se rendent compte que le maire alourdit leurs impôts et s’en exempte lui-même. Ils tentent de le gagner à la cause d’une alternance réglée et croient pouvoir jouer de son analphabétisme lors des élections municipales. Mais le maire suborne le maître d’école affamé : celui-ci prépare des listes truffées de noms d’électeurs morts et rédige quantité de faux bulletins, qu’il place dans l’urne à la fin du vote. Les adversaires du maire font amende honorable par peur des représailles.
88La pièce anticaciquiste de Vidal i Valenciano évite soigneusement de mêler la critique des dysfonctionnements du gouvernement local et le rejet du système parlementaire dans son ensemble. Alors qu’il rejette La Farsa, la pièce de Guimerà contre les fraudes électorales, le chroniqueur de La Dinastía accueille favorablement cette pièce151. En 1901, Ramon Ramon i Vidales, très proche des milieux de la Lliga152 et auteur de saynètes catalanes appréciées, attaque aussi les « coutumes électorales » dans Lluita de cacics o Les eleccions de regidors (Combat de caciques ou Les élections des conseillers municipaux). De même, Joan Torrendell dans Los Encarrilats met en scène la lutte à mort de Pere Antón, cacique du village de Montblau, et Guillém, qui cherche à éveiller le peuple dominé. La traduction en castillan par l’auteur est révisée par Miguel de Unamuno en personne153. Le système électoral est aussi dénoncé dans les pièces d’Albanell, mis en scène dans les théâtres de sociétés catholiques barcelonaises154. Opposé à cette tendance, José Fola Igúbirde, auteur très joué sur le Parallèle et durablement repris dans les milieux anarchistes, s’insurge lui aussi contre le caciquisme dans un drame intitulé El Cacique o la Justicia del Pueblo (Le Cacique ou la Justice du village/peuple), publié en 1915 mais représenté à une date antérieure à Barcelone et à Valence155. On y retrouve dans un format mélodramatique un personnage de mauvais notable caciquiste : pour se faire élire député, don Tomás force sa fille Jacinta à épouser Paco, le fils du comte qui tient la province, alors qu’elle est amoureuse de Miguel. Le peuple gronde face aux fraudes. Miguel se révolte et tue Paco, pendant que le peuple incendie la maison de don Tomás qui périt dans les flammes : la morale de la pièce établit clairement que la révolution anticaciquiste (et non la lutte des classes) est juste face à la tyrannie.
89Les auteurs mineurs les moins professionnalisés n’ont rien à perdre à afficher leurs opinions politiques, et tout à gagner à cette prise de parole de tribun. Telle n’est pas la situation des auteurs commerciaux, qui reprennent pourtant eux aussi certaines de ces thématiques après 1898. Alors que l’impopularité du régime s’accroît, tout particulièrement dans les grandes villes comme Barcelone ou Madrid, la satire politique redevient une recette commerciale attractive. Elle est utilisée soit à doses homéopathiques dans les grands succès, soit réintroduite en masse dans des revues politiques qui reprennent le style des années 1880. Après le Désastre, alors que les révoltes (motines) contre l’impôt sur la consommation (consumos) se multiplient dans tout le pays, les scènes de satire politique apparaissent sur les grandes scènes commerciales : Gigantes y cabezudos s’ouvre sur le tableau d’une lutte entre les commerçantes d’un marché de Saragosse et le policier local, qui prétend leur imposer une hausse des taxes sur leurs produits. Dans son bilan théâtral de l’année 1898-1899, José de Lace critique la répétition d’une scène semblable dans une saynète lyrique du spécialiste du genre, Ricardo de la Vega156 :
La révolte des maraîchères de la plaza de la Cebada [quartier populaire de Madrid] a nui à l’œuvre à cause de la ressemblance entre cette scène et une autre de Gigantes y cabezudos157.
90La scène de l’octroi, présentant les contribuables fraudeurs et les douaniers complices, constituait déjà un classique du théâtre léger des décennies précédentes158. Elle est reprise sous cette forme plus virulente de révolte populaire contre la perception des consumos. En 1908, des auteurs consacrés du género chico commercial, Perrín et Palacios, produisent une revue intitulée El Cinematógrafo, dans laquelle défilent les scènes typiques du théâtre de divertissement reprises par le cinéma : le numéro sur les consumos ne manque pas159.
91Quant à la revue d’actualité, satire politique en musique, elle reprend de la vigueur à la fin des années 1890. En 1895, par exemple, l’Eldorado, premier théâtre de género chico de Barcelone, présente la revue classique de la fin d’année : d’après le quotidien républicain El Diluvio, le numéro à succès de Donde las dán las toman (Où ils en donnent, ils en prennent) ridiculise « la situation politique actuelle » tout en parodiant la zarzuela brève El Cabo primero : le sergent et les soldats sont remplacés par des personnages politiques160. Après le Désastre, la mode de la revue politique reprend de plus belle : en 1899, Los Presupuestos de Villapierde (Le Budget de Ville-qui-perd, jeu de mots sur le nom du ministre des Finances, Villaverde, auteur d’un budget qui prévoit la création de nouveaux impôts) remporte un vif succès au théâtre Maravillas, dans les quartiers nord de Madrid. La revue est cosignée par Salvador Granés, auteur déjà très actif sous le Sexennat dans la production de parodies en tout genre161. La pièce aurait connu 600 représentations consécutives162. Un baturro (paysan aragonais) commence par exposer à Jupiter la situation désastreuse de l’Espagne : selon lui, « avec les nouveaux impôts / la vie est devenue impossible163. »
92La perception du nouvel impôt est mise en scène dans toute son absurdité lors du deuxième tableau, tout comme la fermeture des commerces en signe de protestation, organisée par les chambres de commerce du pays. Le troisième tableau fait défiler les « hommes du jour » : les incarnations du général Polavieja, ministre de la Guerre, et de Villaverde s’affrontent, alors que l’aubergiste-reine se plaint de leur incompétence.
93La même année, José de Lace signale dans sa chronique la production d’une revue intitulée La Magie noire, par d’autres professionnels du théâtre court (les frères Gullón pour le livret, et les compositeurs Caballero et Valverde fils) : l’un des numéros qui ont plu au public met en scène un enfant qui critique les réformes de l’enseignement secondaire. Frileux face à cette reprise des habitudes anciennes du genre, Lace aurait préféré que les auteurs retirent « quelques allusions à des personnages déterminés qui n’étaient pas du meilleur goût ». Mais ce « mauvais goût164 » persiste après le choc du Désastre.
Question sociale et retour de la censure
94L’histoire littéraire du théâtre rend compte des années 1890 comme d’un moment de rupture esthétique fondamentale dans toute l’Europe. L’action des avant-gardes, sous l’influence décisive de Zola, d’Ibsen et de Maeterlinck, permettrait aux théâtres social et symbolique d’imposer leurs innovations. La « question sociale », elle-même de plus en plus présente dans les débats européens, est exposée sur scène165. L’œuvre la plus significative du théâtre social européen, Les Tisserands de Gerhard Hauptmann (1892), est adaptée à Madrid en décembre 1894 par Félix González Llana, rédacteur au quotidien républicain El País, et par José Francos Rodríguez, « l’un des plus admirables orateurs républicains166 ». L’adaptation prend le titre d’El Pan del pobre (Le Pain du pauvre) : elle est mise en scène dans le grand théâtre des quartiers sud de Madrid, le Novedades, dans le format du « mélodrame feuilletonesque », calibré pour le public populaire167. D’après le quotidien conservateur La Dinastía, l’adaptation vise aussi le public ouvrier à Barcelone : elle est mise en scène au théâtre Calvo-Vico « complètement plein168 » le soir du 1er mai 1895.
95Alors que le drame social feuilletonesque commence à trouver son public dans les théâtres populaires des deux villes, de nombreux auteurs tentent aussi de transposer la formule dans le théâtre sérieux plus élitiste. Sans surprise, une bonne part des drames sociaux mis en scène dans ces conditions est beaucoup plus mal reçue. Teresa, pièce du critique Leopoldo Alas (Clarín), est un « épisode de la vie cruelle de l’ouvrier ». Elle est rejetée sans appel lors de sa première au Teatro Español de Madrid un soir réservé aux abonnés (21 mars 1895). L’erreur d’appréciation des producteurs de la pièce est soulignée par le critique conservateur Salvador Canals :
Antoine, au Théâtre libre de Paris, a monté mille pièces identiques […] personne n’a cherché à les mettre en scène à la Comédie-Française […]. Tout ce scénario, agressif pour les délicatesses de l’estomac bourgeois, aurait été pardonné grâce à un sujet émouvant […]. Ceci offense parce que c’est salé […] qu’aucune finalité esthétique ne le justifie169.
96D’après le chroniqueur du conservateur Diario de Barcelona, la réception de la pièce au Novetats de Barcelone est tout aussi négative : représentée lors de la tournée d’été de la compagnie Guerrero-Mendoza, elle ne reste qu’un soir à l’affiche170. Certains drames sociaux passent malgré tout la barrière des premières représentations et entrent même dans le répertoire classique du « théâtre sérieux ». La première pièce du romancier Galdós, Realidad (1892), reçoit un bon accueil du public, et La de San Quintin (1894) reste deux mois à l’affiche au Comedia de Madrid. Quelques personnages des deux pièces, issus des milieux populaires, leur valent d’être perçues comme naturalistes171. La de San Quintin, dont l’un des protagonistes a été ouvrier dans la grande industrie, traiterait même d’une « phase du problème social » pour la revue illustrée La Ilustración Española y Americana. Selon le critique moderniste Yxart, en revanche, son intrigue, qui se conclut par l’union d’un prolétaire et d’une aristocrate, « ne correspond à aucune réalité, à aucune espérance de l’avenir172 ».
97Le drame social madrilène le plus célèbre reste cependant Juan José, de Joaquín Dicenta. La pièce est d’abord représentée dans l’élitiste théâtre de la Comedia à Madrid en 1895173. Malgré le succès des premières, les abonnés font pression sur l’entrepreneur pour qu’il la retire les soirs du premier tour d’abonnement174, puis définitivement, malgré son succès, après 51 représentations : elle passe alors au théâtre moyen Alhambra175. À Barcelone, la réaction du public du Líric, le plus élégant de la ville avec le Liceo, est encore plus mitigée. Moins d’un mois après la première, l’entrepreneur annonce qu’« étant donné le petit nombre de représentations de Juan José qui ont pu être faites au Líric en raison des engagements envers les abonnés », Emilio Mario, le directeur de la compagnie, transfère la pièce dans la salle habituelle du género chico, l’Eldorado, où elle est jouée une dizaine de jours176.
Juan José
Drame en 3 actes de Joaquín Dicenta.
Première au théâtre de la Comedia à Madrid le 25 octobre 1895.
Scène d’ouverture : un ouvrier du bâtiment lit à ses camarades, réunis dans une taverne, La Démocratie sociale, dont Dicenta est l’un des rédacteurs. Il en expose les thèses socialistes. Juan José, ouvrier du bâtiment madrilène, amoureux transi de sa chula Rosa, souffre de la voir céder aux avances de son patron Paco, à mesure que la pauvreté du couple devient insupportable. Une altercation entre Juan José et son patron au sujet de Rosa donne lieu au licenciement de l’ouvrier, au moment même où la fabrique où travaille Rosa met ses ouvrières au chômage forcé : le couple se retrouve sans argent. Sous la pression de la maquerelle du quartier, la vieille Isidra, Rosa accepte de devenir la maîtresse du patron. Pour éviter qu’elle en arrive là, Juan José vole et se fait arrêter. Il s’échappe cependant de prison pour assassiner Paco, puis Rosa qui, satisfaite de sa vie de femme entretenue, lui reprochait son acte.
98Dicenta reprend le décor et le parler des saynètes madrilènes, et les replace dans le format noble du drame passionnel en trois actes. Le grand acteur Antonio Vico, spécialiste des héros romantiques, monte à nouveau la pièce en 1896 et fait de Juan José un rôle à sa mesure177. La reprise de ces deux lexiques théâtraux familiers assure le succès de la pièce, l’une des plus jouées du répertoire espagnol par la suite, tant par les sociétés récréatives ouvrières pour fêter le 1er mai, qu’au Teatro Real : en 1910, une grande soirée de charité au bénéfice des services d’assistance de Madrid y est par exemple organisée par les conseillers municipaux, et Joaquín Dicenta joue lui-même Juan José178.
99Ce grand succès autorise les auteurs du género chico à recycler les thèmes du drame social passionnel. Alors que les ouvriers des saynètes madrilènes à succès des années 1890 étaient très éloignés des problèmes de leur classe179, le traitement théâtral des milieux ouvriers change après 1900. Eduardo Navarro Gonzalvo, auteur républicain déjà actif sous le Sexennat avec ses satires politiques, produit par exemple en 1901 une « caricature comico-lyrique » intitulée Los Monigotes del chico, qui comprend un monologue de drame ouvrier joué par la grande vedette du género chico Loreto Prado. Cette dernière incarne une femme désespérée pendant une grève de mineurs : après plusieurs jours sans pain, elle a vu l’ouvrier avec qui elle vivait se faire tuer dans la répression. Elle lance alors une invective violente au « bourgeois » :
Bourgeois ! / Écoute-moi… Nous avons droit / à la conquête du pain, / à l’air, à la lumière du ciel, / au rayon du soleil… à tout ! / Tout est à nous ! Tout est à nous180 !
100Le chroniqueur de la revue El Teatro s’effraie de retrouver cette « note bien sentie », qui provoque l’enthousiasme du public des galeries, dans de nombreuses pièces de género chico181.
101Les conflits avec le patronat apparaissent régulièrement dans les pièces commerciales des années 1900, même si le ton virulent du monologue de l’ouvrière de Los Monigotes del chico reste rarement utilisé. Leur mise en scène adopte plus souvent un format mélodramatique, dans lequel les problèmes de travail se confondent avec les drames passionnels. Jackson Veyán, l’un des auteurs les plus installés du género chico de grande production madrilène, signe en 1905 une zarzuela de ce genre (El Dinero y el Trabajo [L’Argent et le Travail], avec Rocaberti pour le livret et Amadeu Vives et Saco del Valle pour la musique), dans laquelle un ouvrier modèle lance une grève car le patron courtise sa femme. Le chroniqueur d’El Teatro signale que la pièce, mise en scène au théâtre Cómico de Madrid, « a fourni et continue à fournir beaucoup d’entrées182 ». L’évocation de la solidarité et des luttes ouvrières par les auteurs consacrés du género chico s’oriente parfois aussi contre le mouvement ouvrier, comme dans Los Timplaos (1901). Le vieil Eusebio Blasco et Carlos Fernández Shaw, deux auteurs installés du théâtre de divertissement madrilène depuis des décennies, y mettent en scène pour le Zarzuela un épisode précurseur de la révolution de 1868. Ils se moquent des auteurs des barricades de la place Anton Martín (quartier populaire de Madrid) à travers quatre personnages : le charbonnier Manazas, Perico l’Aveugle, le matador Antonio Sánchez et Le Tato, qui
passent leur temps complètement saouls, et qui accourent à la barricade pour verser leur sang généreux sans ambitionner d’autre récompense que d’avoir du vin à discrétion.
102L’évocation satirique de cet épisode récent de soulèvement populaire n’en émeut pas moins le public183. Recyclée et neutralisée par le théâtre commercial madrilène, l’inspiration internationale du théâtre social avant-gardiste semble davantage respectée par les dramaturges barcelonais, au grand dam des autorités.
103Selon Lily Litvak, l’impact des courants naturalistes et du « théâtre social » serait plus profond à Barcelone qu’à Madrid. Ces courants deviendraient dominants dans la capitale catalane entre 1890 et 1905, avant le relais pris par le théâtre symboliste184. Cette affirmation pose néanmoins problème, comme le montre l’analyse des pièces « sociales » d’Àngel Guimerà, leader incontesté du théâtre catalan (après la mort de Frederic Soler en 1895). Tête de file du catalanisme culturel conservateur, ce dernier répond bel et bien aux défis esthétiques du théâtre d’avant-garde, mais le propos de ses pièces s’oppose au modèle des Tisserands d’Hauptmann. Avec La Boja (La Folle, 1890), il met en scène un milieu ouvrier « moderne », celui des mineurs, dans le format noble de la tragédie usuellement réservé aux princes et aux héros. Mais la pièce n’expose à aucun moment les mineurs comme des sujets politiques, en lutte contre les classes dominantes. Elle dépeint leurs mœurs viciées (alcoolisme, violence masculine et concubinage), signes de « plaies » sociales collectives, dans toute leur crudité « naturelle185 ». Cette exposition, rendue légitime par les débats sur l’esthétique naturaliste dans les cercles littéraires barcelonais depuis les années 1880, reprend aussi les termes du débat sur la « question sociale » en Espagne. La réforme sociale est pensée comme une politique par la famille (política familiarista), et consiste à moraliser le pauvre par l’inculcation des vertus domestiques. Le statut politique du problème social est dénié puisqu’il repose sur l’immoralité de la famille populaire, et notamment sur les femmes de ces milieux qui ne remplissent pas leurs devoirs conjugaux et maternels186.
104Au cours des années 1890, le traitement scénique de la « question sociale » par l’auteur phare du théâtre catalan se poursuit, alors que l’élite barcelonaise s’inquiète de plus en plus des revendications ouvrières et de la multiplication des attentats anarchistes. Dans En Polvorá et dans La Festa del blat, Guimerà expose à nouveau l’abandon moral des ouvriers d’industrie par les autorités traditionnelles, dans une perspective « leplaysienne » typique du catalanisme catholique. Mais en jouant sur le rapprochement entre les discours socialiste et catalaniste, tant sur scène qu’hors du théâtre187, il pousse son propre public jusqu’au point de rupture.
La Festa del Blat (La fête du blé)
Drame en 3 actes et en prose.
Première au théâtre Romea le 24 avril 1896.
Un anarchiste, Jaume, se réfugie dans un village après avoir fait exploser une bombe en ville. En proie aux remords (la bombe a tué une vieille femme), il est recueilli par Oriola, pubilla (héritière) d’une riche masia (ferme). Elle le fait accepter comme garçon de ferme par son oncle : il accepte de prier à table, puis d’abandonner sa propagande anarchiste. Lorsqu’il finit par confesser son crime, Oriola le rejette, horrifiée. Elle accepte de se marier à contrecœur avec Vicentó, un hereu (héritier d’une masia) égoïste qui, bientôt propriétaire de la masia d’Oriola, décide d’expulser des fermiers. Jaume réapparaît alors que les fermiers et les garçons de ferme se révoltent contre Vicentó et le sauve du lynchage. Les fermiers trahis lui racontent que Vicentó va se marier avec Oriola. Désespéré, Jaume se dénonce à la garde civile qui lui tire dessus : il expire dans la masia.
105En 1896, trois ans après l’attentat anarchiste du Liceo et peu après le Corpus de sang188, la représentation de La Festa del Blat de Guimerà fait scandale. La pièce est rapidement retirée de l’affiche du Romea ; sa version traduite en castillan est interdite de représentation à Madrid189. Selon l’anarchiste Felip Cortiella, pourtant, elle témoigne de « la méconnaissance totale de l’âme du peuple » de Guimerà, et de son incapacité à s’adapter à la modernité en matière de théâtre190. La pièce est aussi attaquée par le quotidien conservateur Diario de Barcelona, mais défendue par Lluís Durán y Ventosa, premier secrétaire de la Lliga Regionalista, dans les colonnes de La Renaixença :
L’anarchisme dans toutes ses manifestations est malheureusement un fait, dont les classes directrices de la société doivent s’occuper, en étudiant ses causes génératrices.
106Cet argument fait pâlir le chroniqueur du quotidien barcelonais monarchiste La Dinastía, selon lequel rien ne justifie la « transformation du théâtre, de lieu de délassement et de distraction de l’esprit, en chaire ou en congrès191 » : la question sociale doit être réservée aux spécialistes. En 1903, Guimerà envoie la pièce à son correspondant à Paris, Artur Vinardell, pensant qu’elle pourrait être bien reçue au Théâtre libre d’Antoine.
107Il précise alors sa propre lecture de la pièce :
Comme cela faisait peu de temps depuis la bombe posée au Liceu, la pièce fut très discutée, et le journal Brusi [Diario de Barcelona] en fit un scandale, alors que l’œuvre n’est pas anarchiste mais bien le contraire, comme tout le monde le reconnaît maintenant192.
108Une remarque de la correspondance de l’entrepreneur du théâtre de Barcelone Eldorado montre que les drames sociaux sont loin d’être considérés comme des pièces normales par les intermédiaires des théâtres les plus commerciaux (surtout lorsque leur propriétaire est, comme dans le cas de l’Eldorado, le maire conservateur de Barcelone Joan Coll i Pujol). Joan Gumà écrit en 1909 au directeur d’une compagnie de Florence pour sceller les conditions d’une tournée dans son théâtre :
Seules deux œuvres de votre répertoire sont d’auteurs espagnols : La Fête du blé et Juan José ; et je ne considère pas convenable de représenter ces deux œuvres ici, surtout la dernière193.
109D’autres drames sociaux produits à Barcelone participent plus encore à la publicisation des débats sur la question sociale. Els Vells (Les Vieux) d’Ignasí Iglesias, grand succès « moderne » de la saison 1903 selon le critique Ramón D. Péres194, relance depuis le théâtre le débat sur les caisses de retraite, alors d’actualité195. Son auteur, né dans le district ouvrier de Sant Andreu et fils d’un employé des chemins de fer, produit des drames sociaux depuis le début des années 1890. En 1892, la critique de son drame en trois actes L’Angel de fanch (L’Ange de fange) par le chroniqueur de la revue du Teatre Català donne lieu à des débats politiques (« l’auteur a tort de dire que le capital et le travail sont égaux196 »). Dans Els Vells, Iglesias met en scène de « pauvres tisserands auxquels le froid des années a comme engourdi les doigts », et rappelle au public la situation misérable des vieux ouvriers, un an après qu’une première grève générale a aiguisé à Barcelone la peur de la « question sociale ».
Els Vells (Les Vieux)
Drame en 3 actes d’Ignasi Iglesias.
Première au théâtre Romea de Barcelone en 1903 (adapté du catalan à la scène française par P. Rameil et F. Saisset, Paris, Lib. Molière, 1909, pour l’avant-gardiste Théâtre de l’Œuvre).
Deux couples de vieux ouvriers, Valeri et Susagna, et Joan et Ursula, sont amis. Ils craignent le moment où le patron laissera les deux hommes sans travail, qui ne tarde pas à arriver. Le deuxième couple espère que leur fille, Engracieta, se mariera avec l’ouvrier Agustinet. Mais ce dernier hésite : le mariage le conduirait à assumer la charge des parents de sa femme alors qu’il a déjà celle de son père. Joan ne veut pas se résigner à vivre aux crochets des deux jeunes, ni au sort que lui a réservé le patron. Il cherche à regrouper les autres vieux ouvriers pour demander au patron de leur donner du travail ; un autre ouvrier propose plutôt de demander « qu’il nous assurent not’vie » (p. 117), mais les autres vieux restent indifférents et résignés. Agustinet expose aussi ses idées sur la nécessité que l’État veille à la pension des personnes âgées, qui ne devraient pas travailler (tout comme les femmes). Il finit par accepter de se marier, mais le vieux Joan est à bout : il meurt sur scène en apprenant la nouvelle, entouré des siens, remplis d’effroi.
110La revue Lo Teatro Català s’exaspère dans un premier temps des « éloges de la presse adulatrice des classes simples de notre peuple », et estime le drame fondé sur une situation fausse, car les patrons ne renvoient pas ainsi leurs ouvriers197. Un numéro suivant n’en signale pas moins l’acceptation par l’Union de défense du Secours Mutuel d’un projet de nouvelle section ouverte aux plus de soixante ans, destinée à leur fournir une rente de pension de vieillesse et intitulée Els Vells : la revue consigne l’information comme un « résultat pratique » du drame d’Iglesias198.
111Comme avec La Festa del Blat, la mise en scène des problèmes sociaux et politiques les plus brûlants par le théâtre catalan de déclamation finit par réveiller la censure. Les autorités en crise de la fin du siècle deviennent de plus en plus sensibles à l’exposition des débats publics sur la scène. Elles surveillent toutefois davantage la mise en scène des questions militaires que celle des problèmes sociaux. Le poids politique des officiers de l’armée sur le gouvernement s’alourdit au cours de la guerre de Cuba et après le Désastre : le général Polavieja incarne alors pour les secteurs conservateurs et catholiques de Barcelone la possibilité d’une régénération199.
112La pression militaire aboutit en 1906 à l’adoption de la loi de Juridiction200, suite à l’assaut de la rédaction de l’hebdomadaire satirique et catalaniste ¡Cu-Cut ! par les militaires d’une garnison de Barcelone, le 22 novembre 1905. Cet épisode, le plus connu de la réaction militaire contre la liberté d’expression, est cependant précédé d’autres interventions de l’armée contre les théâtres. En mai 1903, une pièce de l’auteur moderniste barcelonais Santiago Rusiñol, L’Heroe (Le Héros), est interdite à l’initiative de l’armée. Le drame met en scène de manière très noire le retour au village d’un soldat de la guerre de Cuba, misérable et malade. Le ministre de l’Intérieur demande au gouverneur civil de Barcelone de faire interdire la pièce en prévision du « désordre public », quand bien même le texte de la pièce « ne contiendrait aucune phrase ou concept qui tombe sous l’action du Code pénal201 ». Prêt à recourir à la législation d’exception de la « loi provinciale », le ministre prend très au sérieux les menaces énoncées par le capitaine général de Barcelone (chef de l’armée dans la province), qui « considère imminents les collisions et les désordres graves, conséquences de nouvelles représentations annoncées pour dimanche prochain du drame Le Héros202. »
113Un texte manuscrit non daté, signé du « chef de la Section d’ordre public », raconte aussi comment
le drame L’Heroe de Rusignol (sic) fut représenté à Barcelone environ 6 fois, en mai 1903, mais face à l’excitation qu’il produisit chez l’élément militaire et qui fit craindre qu’il ne [conduise] à quelque [explosion], les représentations suivantes furent interdites par ordre du Gouverneur en se fondant sur la faculté que lui attribue l’art. 25 de la loi provinciale203.
114L’adoption de la loi de Juridiction, et la mobilisation qui la suit à Barcelone, sont donc préparées dès 1903 avec l’interdiction de L’Heroe, édictée par les autorités civiles pour apaiser les militaires. Elle constitue un précédent grave, qui permettra de faire interdire d’autres pièces sans recourir au pouvoir judiciaire, comme le prévoit le règlement des théâtres. En 1910, un télégramme du ministre de l’Intérieur au gouverneur civil de Barcelone s’appuie sur l’exemple de L’Heroe pour conseiller l’application de l’article 25 de la loi provinciale, et faire interdire la représentation d’une pièce qui n’a pourtant suscité aucune réaction à Madrid204.
115Dans le dernier tiers du xixe siècle, la communauté politique espagnole est d’abord mise en scène dans des pièces historiques, chantées ou non, qui dramatisent les épisodes de conquête et de perte des libertés nationales. Le théâtre historique catalan abonde dans le même sens, tout en se focalisant sur les luttes du peuple catalan, sujet historique de plein droit librement associé au peuple espagnol. Les historiens ont beaucoup parlé pendant les dernières décennies de l’échec de la fondation de symboles nationaux consensuels en Espagne205. Dans ses formes tant élitistes que commerciales, le théâtre historique fin de siècle contredit en partie cette thèse : il vulgarise une vision profondément cohérente du passé national, à une époque où les autres théâtres européens ont cessé de remplir cette mission. À côté de cet imaginaire historique promu par le théâtre, d’autres répertoires représentent cependant une communauté politique nettement moins idéalisée, où prévalent tensions et conflits. D’abord restreintes aux genres satiriques, ces représentations sont bientôt prises en charge par les auteurs de théâtre « sérieux ». Les abus des détenteurs de l’autorité locale, dont la critique fonde le discours anticaciquiste du tournant du siècle, deviennent omniprésents au théâtre dès les années 1880. Avec la « question sociale » et la critique de l’armée, ces thématiques incitent les autorités à suspendre ponctuellement certaines pièces, tout particulièrement après le Désastre. Pendant toute la période, le théâtre assure donc la diffusion des représentations libérales de l’histoire nationale, tout en contribuant à mettre en cause l’identification entre la Nation et l’État de la Restauration.
Notes de bas de page
1 A. Ubersfeld, « Le moi et l’histoire », p. 56.
2 Ce personnage du confesseur devient « the most deliciously and over-the-top evil characters in all Spanish drama » selon D. T. Gies, « The Theatre in Romantic Spain », p. 356.
3 F. Flores García, Memorias íntimas del teatro, pp. 47-48 : « La reprise de Carlos II el hechizado, verificada en todos esos cafés y, en algunos teatros, fué un acontecimiento. El público insultó á su sabor durante largo espacio de tiempo al fraile Froilán Diaz, infame traidor. »
4 J. Yxart, El Año pasado, 1888, pp. 102-103 : « En el cartel de Carlos II el Hechizado, se anuncia con anticipación la muerte del Padre Froilán y el estallido de la Revolución vengadora. »
5 J. Rubio Jiménez, « Melodrama y teatro político », p. 135.
6 J. M. Portillo, Revolución de nación.
7 J. Fernández Sebastián, « Política antigua-política moderna », p. 170.
8 M. Lafuente, Historia General de España, trente volumes publiés entre 1850 et 1867, œuvre de référence jusqu’à la IIe République.
9 J. Álvarez Junco, Mater Dolorosa. La césure est marquée par les guerres carlistes.
10 E. de Cortázar, « Crítica-estadística teatral. La temporada de 1875-1876 ».
11 D’après C. Menéndez Onrubia et J. Ávila Arellanos, Neoromanticismo, p. 123.
12 Il inaugure la série dès 1874 avec La Esposa del vengador (L’Épouse du vengeur), drame situé au xvie siècle.
13 La pièce évoque l’histoire de Michel Servet, médecin et théologien d’origine aragonaise envoyé sur le bûcher pour hérésie par Calvin en 1553. Echegaray met en scène Servet au moment où il sauve d’une mort certaine un calviniste, faisant ainsi preuve de la supériorité de son savoir scientifique sur toutes les théologies. Echegaray attaque aussi le fanatisme catholique dans En el pilar y en la cruz (1878).
14 Juan de Lanuza (Saragosse, 1564-1591) : cinquième Justicia mayor d’Aragon, exécuté par Philippe II pour avoir pris la tête des « Altérations d’Aragon ».
15 M. Zapata, La Capilla de Lanuza.
16 E. de Cortázar, « Crítica-estadística teatral. La temporada de 1871-1872 », p. 629 : « llevar tambien al teatro el elemento de discordia entre amigos, de division entre familias, de devastacion y ruina en campos y poblaciones ».
17 E. de Cortázar, « Crítica-estadística teatral. La temporada de 1875-1876 », pp. 422-423 : « falseamientos de la historia » ; p. 426.
18 Rosario de Acuña (Madrid, 1851-Gijón, 1923) : nièce d’un ambassadeur, elle écrit régulièrement dans la presse. Certaines de ses interventions l’obligent à s’exiler au Portugal, d’après l’Enciclopedia Universal ilustrada europeo americana.
19 E. de Cortázar, « Crítica-estadística teatral. La temporada de 1875-1876 », p. 425 : « el colorido de la época », « una dama jóven, escriba tan virilmente […] elogiaremos ahora aquí […] entonacion vigorosa de la versificación […]. En cambio, no podemos elogiar ciertos alardes liberalescos que, si en un hombre que escribe para el teatro nos parecen censurables, en una dama creemos además impropios. »
20 J. Fornieles Alcaraz, Trayectoria de un intelectual de la Restauración.
21 Seuls certains partis sont qualifiés de légaux, la presse est censurée et le droit d’association n’est pas garanti. Le ministère du Fomento (Instruction et Travaux publics) est confié à l’ultramontain Orovio. En 1875, les professeurs républicains Castelar et Salmerón sont démis de leur chaire.
22 AHN, « Real Orden de 27 de febrero de 1879 », « queda dispuesto que ordene VS á las Empresas de Teatros y espectáculos públicos con forma de representaciones teatrales que, por lo menos diez dias antes de ser presentada en escena una obra ó pieza dramática nueva entreguen á VS dos ejemplares de la mismas, los cuales VS remitirá inmediatamente á este Ministerio para los efectos oportunos ».
23 Cánovas del Castillo, chef du parti conservateur, ne revient pas sur la liberté de culte instituée lors du Sexennat malgré les pressions dans son camp. Il laisse F. Giner de los Ríos, démis de sa chaire par Orovio, fonder une université privée à Madrid (la Institución Libre de Enseñanza, 1875).
24 Le gouvernement libéral des années 1881-1883 rétablit la liberté de presse et de réunion, et réintégre à l’Université les professeurs exclus en 1875. En 1887, la liberté d’association est adoptée (la loi française équivalente date de 1901).
25 AHN, « Circular de 26 de febrero de 1881, derogando la RO de 27 de febrero de 1879 » : « Contra el espíritu y letra del art. 13 de la Constitucion del Estado se ejerce hoy, respecto de las obras dramaticas, una censura prévia que, aparte de tener el carácter, odioso en cierto modo, que acompaña a toda disposición preventiva, carece de fundamento legítimo en que apoyarse. »
26 R. J. Goldstein (ed.), The Frighful Stage.
27 J. Ortega Munilla, « El año teatral » : « Pasó la tragedia, pasó el melodrama. […] La comedia de observacion, es hoy la reina del teatro. »
28 Ibid. : « el conciudadano de Eschylo ».
29 19 septembre 1886 : pronunciamiento du général républicain Villacampa à Madrid. De nombreux sous-officiers participent aux combats, menés dans les rues de la capitale, mais ils sont défaits par l’armée régulière. La régente et le Premier ministre Sagasta font grâce aux insurgés condamnés à mort.
30 « El Gobierno y el teatro », El Globo, cité dans M. zapata, La Piedad de una reina, p. 10.
31 « Debate en el Congreso », El Progreso, cité dans M. zapata, La Piedad de una reina, p. 36.
32 M. Zapata, La Piedad de una reina, p. 102 : « La majestad está en ridículo en la escena de un teatro. Al comprar en la taquilla la entrada, se compra el derecho de aplaudir ó silbar, y el Gobierno no puede consentir que la majestad Real pueda ser aplaudida ó silbada. »
33 El Resumen, cité dans M. Zapata, La Piedad de una reina, pp. 22-23 : « La institución sagrada, inviolable, es aquí el general que se cree aludido ; porque las otras instituciones, las que la ley y el mayor ponen sobre todo, esas han sido atacadas duramente en reuniones públicas que el Gobierno no ha suspendido. […] ¿Quién representa en concepto del Gobierno las instituciones ? ¿La viuda ó el general ? »
34 Le Cercle Artistique et Littéraire, présidé par José Echegaray, proteste.
35 J. Francos Rodríguez, Días de Regencia, pp. 77-78, sur le discours de Romero Robledo.
36 « Revista de Espectáculos », Almanaque del Diario de Barcelona, 1875.
37 J. Yxart, « Lo Teatre català », p. 269 : « S’han fixat molt especialment en dugues epoques determinades : la de la monarquia catalano-aragnosea y la de la guerra de Successió y perdua dels furs. »
38 Las Joyes de la Roser (1866), Les Eures del mas (1869), La Creu de la masía (1873), Los Segadors (1876).
39 Héritière en cas d’absence d’héritier mâle.
40 F. Soler, La Creu de la masía, acte III, scène iii, Roc, Francisca, pp. 215-217 : « Volten lo mas los gavatxos / de des del bosc a l’ermita… / - Oh ! Que ells porten granaderes ! / - Nosaltres duem barretines. […] Roc- : […] basta l’alè muntanyesa, / basta la pàtria que ens crida, / basta ser gent catalana, / basta portar barretina / i… quan no… Basta un record / de la creu de la masía ! »
41 IT, Libro Registro del Teatro Romea. La troupe du Romea joue La Creu cinq fois en 1898-1899 et deux fois en 1906-1907, et six fois Las Euras del mas en 1898-1899.
42 J. M. Fradera, Cultura nacional en una sociedad dividida.
43 IT, Epistolari E. Soler, Joventut Federal Propagandista de Barcelona : « gloria de la terra catalana per la que tant treballá en defensa de sa llibertat y autonomia […]. La pátria catalana está de dol y la causa regional ha perdut un de sos mes constants adalits. »
44 IT, Epistolari E. Soler, Sociedad Barcelonesa de Amigos de la Instrucción : « Gloria de las letras patrias, había logrado para el pueblo gran caudal de educación é instrucción con sus tan celebradas producciones, contribuyendo así en gran escala á lograr los ideales que persigue esta Sociedad. »
45 Statue de Frederic Soler, place du théâtre : première pierre posée en 1897, inauguration le 26 décembre 1906. Anuario estadístico de la Cuidad de Barcelona, v (1906).
46 Article reprís par Lo Teatro Català : R. Estany, « Lo castell y la masía » : « Avuy que la exigencias en art dramátich navegan per rumbos distints del d’aquella época, resulta lo nou drama… un xich trasnochat y es perqui li falta aquell sabor d’actualitat ; aquella fisonomia realista del melodrama francés d’avuy. L’espectador ara vol trovar en lo teatro, escrit ab cadenciosos versos, lo que passa a casa seva. »
47 E. PardoBazán, « Gerona », p. 246 : « Era Gerona, como inmenso fresco que representa una batalla, pero sin general, sin caudillo que, en primer término, enarbole la bandera y lleve las huestes á la victoria ó á la derrota gloriosísima. »
48 J. Francos Rodríguez, El Teatro en España, pp. 31-37.
49 Ibid. : « El odio no es elemento artístico eficaz. »
50 J. Deleito y Piñuela J., Estampas del Madrid fin de siglo, p. 118.
51 J. Álvarez Junco, Mater Dolorosa. Sur le nombre d’opéras étrangers représentés au Liceo par rapport aux opéras nationaux, voir Aviñoa, Xosé, « La Renaixença operística al Liceu ».
52 J. Álvarez Junco, Mater Dolorosa.
53 Comme l’atteste ce jugement des critiques du conservateur Diario de Barcelona : « La reproduction sempiternelle d’un répertoire déjà très usé, dont les œuvres manquent en général d’attraction pour ce qui est des arguments, et dont les compositions musicales font preuve d’un mérite artistique faible n’est à la vérité pas propre à favoriser la fréquentation d’un public qui a l’occasion de savourer les représentations de véritables opéras, et d’écouter des chanteurs de valeur plus grande que ceux qui se consacrent à la zarzuela. » Rimont M. et Fargas A., « Revista de Espectáculos », p. 51 : « La reproducción sempiterna de un repertorio ya harto gastado, cuyas obras carecen en general de atractivo en punto á los argumentos y que en las composiciones musicales escasea el mérito artístico, no es á la verdad para llamar la concurrencia de un público que tiene ocasion de disfrutar de representaciones de la verdadera ópera, y de oir cantores de mas valía que los que se dedican á la zarzuela. »
54 F. Asenjo Barbieri, Contestación al maestro D. Rafael Hernando, p. 8 éd. orig.
55 Le retraimiento (le fait de se retirer) s’accompagne généralement du choix de la conspiration militaire.
56 E. Casares Rodicio, Diccionario de la Zarzuela, pp. 412 sqq.
57 « España ha de ser libre / libre Castilla / mientras haya en el mundo / manolería. »
58 El Lloyd español, Barcelone, 24 juillet 1866, p. 2 : « llena la obra de alusiones políticas, que cuasi parecen de actualidad ».
59 C. Demange, « Le Peuple de Madrid » et El Dos de Mayo.
60 Ce courant littéraire, né dans les années 1840, a fixé dans ses collections les portraits supposés représentatifs de la société espagnole. M. Ucelay Da Cal, Los Españoles pintados por sí mismos.
61 « Sección de espectáculos », El Imparcial, 18 janvier 1875, p. 3.
62 C. Sorba, Teatri, p. 198.
63 P. Ther, « Topographies of european cultural history ».
64 J. de Burgos, Cádiz, musique F. Chueca et J. Valverde (1886, Apolo).
65 S. Salaün, « Zarzuela e historia nacional », p. 182.
66 « Et tous avec courage / esclaves de l’honneur / jurons ne jamais / nous rendre à l’envahisseur ! » ; de Burgos, Cádiz, acte I, tableau III, scène xviii.
67 J. de Burgos, Cádiz.
68 L. G. Iberni, « Trafalgar ».
69 La référence à la guerre d’Indépendance se retrouve dans El Tambor de Granaderos (1894), La Viejecita (1896), La Marcha de Cádiz (1897) ; S. Salaün, « Zarzuela e historia nacional », p. 186.
70 M. Salgues, Nationalisme et théâtre patriotique ; E. Ricci et M. Salgues, « Des militaires d’opérette ».
71 M. Salgues, Nationalisme et théâtre patriotique, pp. 131-138.
72 J. Deleito y Piñuela, Origen y apogeo del género chico, pp. 114 sqq.
73 C. Serrano, El Nacimiento de Carmen.
74 C. Serrano, Le Tour du peuple.
75 M. Salgues, Nationalisme et théâtre patriotique, p. 392.
76 « Teatros », El Diluvio, p. 3 : « excitar la fibra patriótica » ; « Salen los carlistas, vienen los liberales y ¡pim ! y ¡pam ! los dispersan con la misma facilidad que estamos acostumbrados a ver en el teatro… el ejército español triunfante desfila por al escena entre los atrenadores gritos de ¡viva España ! A decir verdad, el cuadro no chocó, permaneciendo el público completamente frío » ; « Obras de espectáculo, como se denomina á las de este género, solo pueden salvarse por la riqueza y brillantez de su presentacion. No posee esta cualidad La Pilarica. Ni el decorado ni el vestuario ofrecen novedad alguna. »
77 J.-L. Guereña, Armée, société et politique dans l’Espagne contemporaine.
78 M. Salgues, Nationalisme et théâtre patriotique, pp. 131-138.
79 AHN, « Uso de uniformes militares en determinadas obras teatrales » ; « conveniencia de que se ordene á los Gobernadores Civiles, prohiban el uso en escena de los uniformes que en la actualidad son reglamentarios en nro ejercito ».
80 J. de Lace, Balance Teatral, p. 86.
81 Ibid., p. 132.
82 J. Rubio Jiménez, « Melodrama y teatro político » et « El teatro político » ; X. Fàbregas, Teatre català d’agitació política.
83 F. Flores García, Memorias íntimas del teatro, p. 46 : « teatros de mayor atracción en aquella época » ; « En todos esos teatros se cultivaba con predilección la comedia política, unas veces en forma de revista gacetillesca y otras en el más elevado simbolismo apropiado, ya para atacar la revolución, ya para defenderla. »
84 E. Navarro Gonzalvo, Macaronini I, couverture : « prohibida navaja y rewolver en mano por la Partida de la porra, en el teatro de Calderon en la noche de su 23 representacion » ; p. 1 : « España entera sabe ya el escandaloso atentado cometido en el teatro de Calderon. »
85 J. Mañé y Flaquer, La Revolución de 1868, p. 113, cite le discours du 23 décembre 1870 de Pi i Margall : « partida de bandoleros » ; « escándalo del teatro de Calderon ».
86 E. Navarro Gonzalvo, Macaronini I, p. 1 : « hacer la guerra, ridiculizar á la monarquía como institucion ».
87 M. Salgues, Nationalisme et théâtre patriotique. De nombreuses pièces produites à Barcelone, en catalan et castillan, portent sur la guerre d’Afrique et d’autres épisodes bellicistes.
88 X. Fàbregas, Teatre català d’agitació política, p. 132, La Passió política de Josep Roca i Roca et Joan Alonso del Real (1870) ; p. 127, revue de Rosend Arús Mai més monarquia ! (Plus jamais de monarchie !, 1873) ; p. 39 et p. 52 : pièce courte et anonyme de 1874 Mossèn Espolet a les muntanyes de Viladrau (Le Père Espolet dans les montagnes de Viladrau).
89 J. Piquet y Piera, ‘L Pronunciament.
90 C. Morell i Montadi, El Teatre de Serafí Pitarra.
91 [Coll i Britapaja], Robinson Petit.
92 X. Fàbregas, Història del Teatre català.
93 M. Zapata, La Piedad de una reina, session du Congrès du 12 février 1887, pp. 89-90 : « Lo que ocurre en todos los teatros de Madrid […]. Se empezó, señores diputados, á presentar en escena con ambajes, con rodeos, con indicaciones más ó menos transparentes á los hombres políticos ; aparecieron luego los actores con caretas que representaban las facciones de los hombres públicos más ilustres ; y ya, por último, se ha llegado á llamarlos por su propio nombre y á sacarlos á las tablas del teatro al escarnio del público, poniendo en escena, como antes he dicho, no sólo sus actos políticos, sino hasta sus defectos : no sólo sus actos de la vida pública, sino sus actos realizados en el sagrado de la vida privada. »
94 J. V. Pérez González, Anales del teatro, p. 190 : « Habría próximamente unas 4 000 personas en los palcos, butacas […] redactado con una tan grande parcialidad política, que no admite disculpa de ningún género. »
95 R. Monasterio et F. Yraizoz, La Tertulia de Mateo.
96 « L’action de l’Autorité gouvernante, quand un quelconque des délits signalés par le Code pénal est commis par le biais d’une œuvre dramatique, n’est aujourd’hui précisée par aucune disposition légale ni réglementaire. Cette déficience a souvent été à l’origine d’arbitraires intolérables et d’une impunité censurable » ; « Real Decreto aprobando el Reglamento de policía de espectáculos », Gaceta de Madrid, 5 août 1886.
97 M. Zapata, La Piedad de una reina.
98 D’autres pièces du género chico laissent alors régulièrement la place à l’intervention d’une imitation de Ruiz Zorrilla, qui agite l’épouvantail de l’insurrection républicaine.
99 A. Castilla, « Significación estética y social de La Gran Vía ».
100 En 1890, Tannhauser el estanquero de Navarro y Gonzalvo met en scène le Premier ministre Sagasta sous les traits d’un marchand de tabac, inversion parodique du héros de l’opéra de Wagner. Voir M. Versteeg, De Fusiladores y Morcilleros : le discours comique du género chico serait construit sur un retournement carnavalesque de l’ordre social.
101 J. M. Fradera, Colonias para después de un imperio ; J. M. Portillo, Crisis Atlántica.
102 E. Orduña Rebollo, Historia del municipalismo español.
103 Ibid.
104 À titre d’exemple, le républicain Gumersindo de Azcárate publie dans Municipalismo y regionalismo (1879) une description des conseils municipaux « ouverts » de villages reculés, image d’une démocratie directe originelle.
105 J. Palou i Coll, La Campana de la Almudaina.
106 C. Morell i Montadi, El Teatre de Serafí Pitarra, p. 177.
107 J. Artís, Semblança de Lleó Fontova, p. 16.
108 À l’exception de la période du Bienio liberal (1854-1856), pendant laquelle les progressistes prennent le pouvoir.
109 F. Soler, L’Esquella de la Torratxa, acte I, scène i : « Darà empleos als bons mossos » ; scène iii : « Vull que ho siga, i ho serà… / Encara que hagi de dar / una unça per cada vot » ; acte II, scène ii : « Hemos sabido que el candidato contrario ha puesto en su lugar a un socialista de los más terribles […]. Use V. de todos los medios imaginables para prenderle, y prenda también a cualquiera que piense darle su voto, pues el gobierno desea la más estricta legalidad en estas elecciones. Sin más reciba V. mi afecto. El ministro Blas Guiñones. »
110 J. Pich i Mitjana, Federalisme i catalanisme, pp. 134 sqq.
111 La loi municipale de 1870 établit le caractère électif de toutes les charges municipales : le maire est désormais élu par les conseillers. Avec l’adoption, la même année, du suffrage universel masculin, le Sexennat rend possible la démocratisation de la vie politique municipale. E. Orduña Rebollo, Historia del municipalismo español.
112 F. Soler, Polítichs de gambeto, acte I, scène viii, Félix à Gilet : « Que’ls polítichs de gambeto son pijors que’ls de Madrit. »
113 Allusion à Otto von Bismarck, chancelier du royaume de Prusse depuis 1862, artisan de l’unité allemande (1866) et chancelier de l’empire allemand depuis la proclamation de Guillaume Ier comme empereur le 18 janvier 1871 à Versailles. Cette allusion sert probablement à montrer ce qu’il faut à tout prix éviter aux yeux d’un républicain fédéraliste en 1871 : que les ultras parviennent à contrôler une coalition des forces antidémocratiques et à s’imposer comme les tuteurs du nouveau roi, comme Bismarck avec le nouvel empereur d’Allemagne.
114 Néo-catholiques ou intégristes : contrairement aux carlistes, ils soutiennent Isabelle II, puis la Restauration. Pendant le Sexennat, ils fondent néanmoins avec les carlistes la Communion catholico-monarchiste, dont ils s’éloignent en 1875. Cándido Nocedal puis son fils Ramón dirigent le mouvement depuis le journal El Siglo futuro. Ils estiment que l’État doit être subordonné à l’Église et bénéficient, au cours des années 1865-1875, du soutien de presque tous les évêques, du clergé régulier et tout particulièrement des Jésuites. A. Botti, Cielo y dinero, pp. 34-35.
115 F. Soler, Polítichs de gambeto.
116 « Monasterio, Ricardo ».
117 R. Monasterio et M. Casañ, El Alcalde interino, scène xv, D. Nicomedes : « El mayor contribuyente, el mayor propietario, y… (el mayor zángano del pueblo) » ; scène xiii : « Desde que vuecencia manda en la provincia, todos son felices… menos el maestro de escuela. El municipio tiene muchísimo dinero, y paga todas sus obligaciones… menos al maestro de escuela. El orden y la moralidad más perfecta reinan en todo el pueblo, aun en días de elecciones. Aquí todos viven contentos… menos el maestro de escuela. Aquí no se sacan más diputados que los que quiere vuecencia. »
118 J. de Burgos, Los Cómicos de mi pueblo, tableau I, scène ii.
119 À cette date, Martínez Campos fait partie de la coalition fusionniste qui porte Sagasta au pouvoir.
120 J. deBurgos, Política y tauromaquia, tableau II, scène viii, didascalie : « El Comandante, vestido de jefe de la guardia municipal de un pueblo de Andalucía, con sombrero calañés, escarapela, chaqueta con galones en las mangas y sable de caballería ».
121 Ibid., tableau III, scène xiv, didascalie : « El Alcalde con sombrero de grandes alas, capa, calzón corto y la vara ».
122 Serrano est le dernier président de la Ire République avant d’être renversé par le pronunciamiento victorieux de Martínez Campos en décembre 1874. De retour en Espagne après une période d’exil, il milite d’abord du côté de la « gauche dynastique », à gauche des libéraux de Sagasta, avant de tenter le rapprochement avec Cánovas lorsque le mouvement échoue.
123 J. de Burgos, Política y tauromaquia, tableau II, scène ix.
124 J. Moreno Luzón, Romanones, « introduction ».
125 Sur ce modèle : C. Arniches et C. Lucio (musique Fernández Caballero), Los Aparecidos, Apolo, 1892 ; Manzano (musique Chapi), El Mismo Demonio, Apolo, 1891 ; C. Arniches et C. Lucio (musique Chueca), Los Secuestradores, Eslava, 1892.
126 M. RamosCarrión et V. Aza, Zaragüeta, 1894 ; JacksonVeyán (musique Chueca), Las Zapatillas, Apolo, 1895. Sur ces pièces, voir E. Casares Rodicio, Diccionario de la Zarzuela, España et Hispanoamérica.
127 E. GarcíaAlvarez et A. Paso Cano (musique Chueca), La Alegría de la huerta, Eslava, 1900 ; C. Arniches, La Doloretes ; M. Echegaray, Gigantes y Cabezudos, Zarzuela, 1898.
128 La trame de l’amour abusif entre un seigneur local et une paysanne, typique du théâtre baroque, requiert l’intervention du roi justicier dans le conflit comme dans El Mejor Alcalde, el Rey (Le Meilleur Justicier-Maire, le roi) de Lope de Vega (1620).
129 J. Yxart, El Arte escénico, t. II, p. 29.
130 C. Menéndez Onrubia et J. Ávila Arellano, El Neoromanticismo, pp. 116-121.
131 J. Varela Ortega, Los Amigos políticos et (dir.), El Poder de la influencia.
132 J. ProRuiz, « Figure du cacique, figure du caudillo » ; J. MorenoLuzón, « Political clientelism, elites and caciquismo ».
133 À. Guimerà, Terra Baixà, dans Obres Completes, vol. 1.
134 J. Octaviopicón, « El Teatro español en Francia » : « Habrá creído que en la España del siglo xix y acaso en la región más imbuida del espíritu moderno, hay todavía señores de horca y cuchillo hasta con derecho de pernada. […] De todos modos es triste cosa que cuando más necesitados estamos de que en el extranjero se forme cabal idea de nuestro estado social, pueda creer el público francés que en alguna región de España son posibles tales desafueros. Pues si así viven las gentes de los campos — pensarán los que lean á Sarcey — ¿Cómo no creer en la leyenda de los tormentos de Montjuic ? » Sur le « Corpus de sang », voir note 112 p. 194.
135 J. Costa, Oligarquía y caciquismo, p. 140 : « Si el concepto “cacique” puede referirse al de tutor o patriarca, adjetivándolo como “cacique bueno”. » Parmi les tenants de cette position, Costa cite Pella y Forgas, Ramon y Cajal, Maura, Espina y Capo, Unamuno et Emilia Pardo Bazán.
136 Ibid., p. 143 : « ¡Pero si no es esto, si de lo que aquí se trata no es de una tutela, sino de un secuestro ! ¡Si de lo que se trata no es de un niño cuidado, administrado, educado, protegido y dirigido, sino de un niño secuestrado por una pandilla de bribones ! »
137 J.-L. Marfany, La Cultura del catalanisme, p. 128.
138 A. Guimerà, « La Farsa », Obres Completes, vol. 1, acte III, scène ix : « De corrupció en corrupció s’acaba per perdre un regne (Remors) Un regne, sí, que vosaltres heu pervertit els sentiments d’aquest país, i us heu apoderat indignament dels primers llocs, i us heu repartit els diners de la nació. »
139 IT, Libro Registro del Teatro Romea, temporada 1898-1899.
140 « Ecos de Barcelona », La Dinastía, 10 février 1897, p. 2.
141 « Ecos de Barcelona », La Dinastía, 5 février 1899, p. 2 : « un artículo de oposición, en tiempo de elecciones, puesto en escena […] prosaico campo de la política ».
142 « Teatro de la Comedia. El Señor feudal », p. 2. La pièce, qui obtient un succès moyen, met en scène un noir tyran de campagne qui a détourné à son profit la fortune d’un marquis, dont il était l’administrateur. Ce nouveau riche prétend marier son fils Carlos à la petite-fille du marquis ruiné, pour jouer définitivement au seigneur local. Mais Jaime, ouvrier agricole dont la sœur a été abusée par Carlos, les venge et tue ce dernier.
143 V. Serrano, « Introducción », p. 29.
144 J. Benavente, Señora Ama, acte I, scène iv. Julita : « Lo peor que hay aquí es que no hay unión entre los que pueden, y de eso se aprovechan más de cuatro pillos que nunca debieron subir a donde han subido. […] ¿No es una vergüenza ver de juez municipal al tío Bruno ? ¿No sabemos todos quién fue su padre ? Un triste gañán de en casa de mi tío Doroteo… ¡Y de alcalde al tío Catalino ! ¿No sabemos todos quién fue su padre ? Es decir, no lo sabemos, que todos dicen que fue otro, y ésa ha sido su suerte… ¡Y así todos los de justicia ! »
145 S. Bernabéu Albert, 1892, El IV Centenario del descubrimiento de America en España.
146 Sur la falsification des déclarations foncières par les maires : J. Pro Ruiz, « Las élites locales y el poder fiscal del estado ».
147 J. Soravilla et M. Casi, El Alcalde de Villapeneque, tableau III, scène i : « Secr. […] lo que no entiendo es á onde vamos á cargar ese gasto. / Alc. ¡Toma, toma ! Pus drento de los arbitros munecipales… / Secret. Es que el pueblo está ya muy quejoso con tantas cargas. / Alc. Pues si carga… que se cargue más… ¿A mi que me importa ? ¡aún pué más ! Se sube en los consumos el tipo de la subasta, y pata. […] ¿O creerás tú que yo voy á hacer las fiestas de mi fraldriquera ? Cá… Las hace la munecipalidá, las paga el pueblo y tos nos arreglamos… toos los que andamos en el ajo. Yo y tú mayormente. / Secr. Pero, ¿y si nos forman un expediente ? / Alc. Se pierde… el espediente. »
148 S. Herrera, « La Vida de un Teatro. Novedades » ; F. Flores García, Memorias íntimas del teatro.
149 R. M. Liern, El Regreso del cacique, scène i : « Cacique de esta comarca, / Influye en las elecciones » ; scène viii : « tipo grotesco y ordinario, muy coloradote, a quien sienta mal la ropa de caballero ».
150 E. Vidal Valenciano, La Vara de Alcalde, acte I, didascalie : « poble de curt vehinat ».
151 « Ecos de Barcelona », La Dinastía, 10 février 1897, p. 2.
152 Voir le chapitre v.
153 Références de ces deux dernières pièces dans L. Litvak, « Naturalismo y teatro social en Cataluña ».
154 Sa pièce Lo Sufragi Universal, que j’ai n’ai pas consultée, adopte très probablement une optique antiparlementariste : en 1894, Albanell reçoit un prix littéraire du carliste duc de Solferino. Lo Teatro Catolich, 1, 5 février 1899. Voir le chapitre ix sur ce théâtre associatif catholique.
155 Je remercie vivement Gérard Brey de m’avoir communiqué non seulement la référence mais aussi le résumé intégral de cette pièce : J. Fola Igúbirde, El Cacique o la Justicia del Pueblo.
156 R. de la Vega, El Amor enjendra desdichas.
157 J. de Lace, Balance Teatral, p. 153 : « El motín de verduleras en la Plaza de la Cebada, perjudicó á la obra, por la gran semejanza que existe entre esa escena y otra de Gigantes y cabezudos. »
158 J. Deleito y Piñuela, Origen y apogeo del género chico.
159 « Cinematógrafo nacional », El Arte del Teatro, 15 juin 1907, tableau V : « ¡Abajo los consumos ! » (À bas les consumos !).
160 El Diluvio, 364, 30 décembre 1895, pp. 11-12.
161 Granés, García alvarez et Paso, Los Presupuestos de Villapierde.
162 « Paso y Cano, Antonio », Enciclopedia Española y Americana, t. XLII, p. 587.
163 Granés, Garcíaalvarez et Paso, Los Presupuestos de Villapierde, tableau I, scène vi, Paraíso : « Toda Europa en general / anda revuelta señor ; / pero España está tan mal, / que no puede estar peor. / Con los nuevos presupuestos / se ha hecho la vida imposible […] / Y como al pueblo se asedie / va á estallar el huracán. »
164 J. de Lace, Balance Teatral, p. 127 : « crítica […] que de las reformas de la segunda enseñanza hace un niño […] autores, hubieran hecho bien en quitar algunas alusiones á determinados personajes que no eran del mejor gusto. »
165 E. Ricci, « Teatro de la miseria y miseria del teatro ».
166 S. Herrera, « La Vida de un Teatro » : « uno de los más admirables oradores republicanos ».
167 S. Canals, El Año teatral, p. 101 : « melodrama folletinesco » ; L. Litvak, Musa Libertaria, p. 237.
168 « El 1o de Mayo », La Dinastía, 2 mai 1895 : « viéndose el teatro lleno de bote en bote ».
169 S. Canals, El Año teatral, pp. 97-100 : « En el Teatro Libre, de París, ha estrenado Antoine mil obras idénticas […] á nadie se le ha ocurrido llevar esa obras á la Comedia francesa […]. Todo aquel escenario ofensivo para las delicadezas del estómago burgués hubiera sido perdonado en gracia á un asunto conmovedor […] Aquello ofende porque es sucio […] no hay finalidad estética que la justifique. »
170 « Revista de Espectáculos », Almanaque del Diario de Barcelona, 1896, p. 68.
171 E. Pardo Bazán, « Realidad », p. 47. Le critique d’El Resumen juge que Realidad est de « l’école naturaliste ».
172 J. Yxart, El Arte escénico, pp. 348-349 : « No corresponde a ninguna realidad, a ninguna esperanza de lo porvenir » ; cité par L. F. Díaz Larios, « Introducción », pp. 63-64.
173 F. García Pavón, El Teatro social en España.
174 « Chismes y cuentos », Madrid Cómico, 23 novembre 1895, p. 7.
175 E. Samper, « La representación de la familia obrera », p. 289.
176 « Espectáculos », La Dinastía, 9 juillet 1896, p. 2 : « habiéndose podido dar en el Teatro Lírico pocas representaciones de Juan José, por los compromisos adquiridos con el abono ».
177 Kasabal, « Conversaciones Kasabal ».
178 « Una fiesta de caridad - Juan José en el Real ».
179 C. del Moral Ruiz, El Género chico.
180 Musique Calleja et Barrera, première au théâtre Moderno, El Teatro, 9 juillet 1901, pp. 13-14 : « ¡Burgués ! / Oye… Tenemos derecho / Á la conquista del pan, / al aire, á la luz del cielo, / al rayo del sol… ¡A todo ! / ¡Todo es nuestro ! ¡Todo es nuestro ! »
181 El Teatro, 9, juillet 1901 : « lo que ya hemos convenido en llamar la nota sentida ».
182 El Teatro, 56, mai 1905 : El Dinero y el Trabajo, « ha proporcionado y continua proporcionando grandes entradas ».
183 El Teatro, 14, décembre 1901, pp. 13-15, Los Timplaos, musique Jiménez : « Se pasan la vida borrachos perdidos, y que acuden a la barricada a derramar sus sangre generosa sin ambicionar mas recompensa que tener vino a discrecion. […] El momento en que los amotinados lanzan el grito subversivo y contruyen la barricada para defenderse de la acometida de las tropas del Gobierno, impresionó fuertemente al público. »
184 L. Litvak, « Naturalismo y teatro social en Cataluña ».
185 A. Guimerà, La Boja, dans Obres Completes, vol. 1.
186 J. Labanyi, Gender and modernization in Spanish realist novel, chapitre ii ; M. Burguera, « El ámbito de los discursos ».
187 X. Fàbregas, Àngel Guimerà, p. 80.
188 Sur le « Corpus de sang », voir note 112 p. 194.
189 D. George, Theater in Madrid and Barcelona, p. 64 : traduite par Echegaray, la pièce est interdite par le gouverneur civil de Madrid.
190 BC, Fons Cortiella, « Sección de crítica teatral del Centro Fraternal de cultura », p. 2.
191 J. de A.y M., « Réplica », La Dinastía, 1er mai 1896 : « añade el señor Durán : el anarquismo en todas sus manifestaciones es por desgracia un hecho y de él deben ocuparse las clases directoras de la sociedad, estudiando sus causas generadoras, en vez de olvidarlas. […] en lo que estamos disconformes es en que deba ser el teatro el sitio apropiado para semejante estudio, en que puede convertirse un lugar de esparcimiento y solaz del ánimo en Cátedra ó Congreso donde se resuelvan las árduas cuestiones sociales. »
192 À. Guimerà, Epistolari, pp. 176-177 : « Com feya pochs mesos de la bomba del Liceo, va ser molt discutida, habentne fet una reventada’l diari de’n Brusi, ab tot y que l’obra no és anarquista sinó al revés, com ara ha reconegut tothom. »
193 BC, Fons Teatre de Catalunya, ms. 1342, p. 110 : « De las obras que figuran en su repertorio, solo dos “La Fiesta del grano” y “Juan José” son de autores españoles ; y estas dos no considero conveniente, sobretodo la segunda, representarlas aquí. »
194 R. D. Péres, « Teatro Catalán », pp. 436-437.
195 F. Montero García, Orígenes y antecedentes de la previsión social.
196 « Estrenos Catalans » : « No esta acertat l’autor al dir que lo capital y lo treball son iguals. »
197 Lo Teatro Català, 501, 8 mars 1903, p. 2 : « elogis de la pensa aduladora de las classes senzillas de nostre poble ».
198 Lo Teatro Català, 503, 5 avril 1903, p. 4 : « Ve’us aquí com lo drama de l’iglesias haurá tal vegada donat un resultat práctich que aquesta autor no podia esperar. »
199 Lettre manifeste du général Polavieja dans M. Artola, Partidos y programas políticos.
200 Cette loi, qui prévoit de juger toute atteinte à l’autorité militaire devant des tribunaux militaires, provoque à Barcelone l’union des candidats antidynastiques (sous l’étiquette de Solidarité catalane), qui triomphe aux élections suivantes. B. de Riquer, Identitats contemporànies, p. 187.
201 AHN, « Telegrama oficial expedido por Ministerio de la Gobernación », 8 mai 1903 : « previsto desorden publico y aunque el testo (sic) de la obra literaria no contenga frases ni concepto que caiga bajo acción Codigo penal ».
202 Ibid. : « Capitan General considera inminentes colisiones y desordenes graves por consecuencia de nuevas representaciones anunciadas para domingo proximo del drama L’Heroe. Atribuyese haberse verificado en paz recientemente el expactaculo (sic) á precauciones que se adoptaron para llenar el teatro y publicar tardiamente los anuncios. »
203 Ibid. : « El drama L’Heroe de “Rusignol” se representó en Barcelona, unas 6 varias veces, en mayo de 1903, pero en vista de la excitacion que produjo en el elemento militar y que entonces hizo temer [encaminara ?] alguna [explosión ?], fueron prohibidas las representaciones sucesivas por orden del Gobernador fundandose en la facultad que le atribuye el art 25 de la ley provincial. »
204 AHN, « Telegrama oficial expedido por Ministerio de la Gobernación, Sección de Orden Público », 11 octobre 1910 : « De todas suertes aunque dicha obra no contenga frase ni concepto punibles bastará que VE la considere peligrosa ó inconveniente en estos momentos para que haga uso de las facultades que á su Autoridad conceden los articulos 25 de la ley provincial y el 7o del Reglamento de Policia de Espectáculos. Por consideraciones análogas dejó de representarse ahi en Mayo de 1903 el drama titulado “L’Héroe”. »
205 Entre autres : C. P. Boyd, Historia Pátria ; C. Demange, El Dos de mayo ; J. Alvarez Junco, Mater Dolorosa.
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