Chapitre premier. La revue Prometeo et ses collaborateurs
Milieux, réseaux et sources de la formation littéraire ramonienne
p. 17-125
Texte intégral
I. — LE CREUSET DES ANNÉES DIX
Con una vasta exclamación de optimismo idealista aclama toda la juventud europea nuestro alborear del siglo xx. Nuestro momento tiene la solemnidad de punto de arranque y término de dos eras en la historia1.
1Par ces mots, Ramón Basterra résume, en 1912, l’esprit qui accompagne la naissance du xxe siècle dans le champ des lettres espagnoles : l’élan d’« un renouveau, une aspiration modernisatrice2 » qui anime, à tout le moins, l’élite intellectuelle du pays. Il s’agit de ruiner les dernières assises du xixe siècle, déjà malmenées par le questionnement, symboliquement entrepris en 1898, des certitudes épistémologiques, philosophiques ou métaphysiques qui fondaient les canons de l’académisme decimonónico. Les premières décennies du siècle se caractérisent par une effervescence d’idées et de théories nouvelles qui affectent l’ensemble des sciences et des arts. C’est dans cette atmosphère propice au cosmopolitisme et à la « pollinisation » des innovations que naissent les Greguerías.
2Dans le domaine littéraire, ce début d’une nouvelle ère fait l’objet d’une périodisation entérinée à contrecœur et constamment révisée, qui distingue différentes étapes, soigneusement étudiées par les historiens de la littérature : le modernismo, à l’articulation des xixe et xxe siècles, qui englobe ou non, selon les lectures critiques, le versant intellectuel de la generación del 98, et est bientôt dépassé par les avant-gardes, à compter des années vingt. Ces étiquettes, aujourd’hui largement et légitimement critiquées, ont contribué à ce que la décennie des années dix et ses manifestations littéraires soient tombées dans l’oubli historiographique. Significativement, même dans les études qui prétendent réhabiliter cette époque, les termes choisis pour la décrire trahissent les mauvaises habitudes ou la commodité d’appellations trop bien enracinées dans l’historiographie littéraire espagnole. Les années dix y sont présentées comme un « intéressant chapitre3 » de l’histoire du roman espagnol, comme cette « parenthèse théorique4 » entre la fin de siècle et la génération de 1927, ou bien comme une « promotion intermédiaire », décrite en ces termes :
… una promoción intermedia, nacida en torno a 1880 y que dará sus mejores frutos entre 1910 y 1930. Es una generación —si tal puede llamarse— que se superpone a las otras dos nítidamente establecidas por la historia artística y literaria5.
3Cette succincte présentation a ceci de curieux qu’elle est à l’image de l’objet qu’elle prétend saisir, dans la mesure où elle mêle différentes terminologies : le terme de promotion, emprunté à l’étiquette de « promotion du Cuento Semanal » que revendiquèrent Federico Carlos Sáinz de Robles et Luis Sánchez Granjel6 ; la périodisation des années 1880, référence discrète aux calculs de Julián Marías pour déterminer l’existence d’une « génération de 18887 » ; enfin, le concept lui-même de génération8. Cette superposition d’approches et de taxinomies des années dix suggère la complexité d’une époque qui, jusqu’à présent, se montre rétive aux tentatives de définition unitaire, et le peu de prises dont on dispose pour tenter d’en saisir les contours. C’est cet objet, dans ses dimensions historique, culturelle et littéraire9 qui m’intéresse ici, précisément parce qu’il est uniquement passé à la postérité comme un temps de transition, qui proposerait un approfondissement et une lecture nouvelle du « message poétique du symbolisme10 », tout en constituant un brouillon confus des avant-gardes à venir. Il ne s’agit donc pas de chercher ici à retrouver l’inexistante génération perdue des années dix, mais, bien au contraire, d’en explorer la complexité et les enjeux, au travers d’une série de manifestations esthétiques et éditoriales ponctuelles, mais caractéristiques de l’époque au sein de laquelle Ramón se forme en tant qu’écrivain : le rôle des revues littéraires, la professionnalisation des (jeunes) écrivains au travers du journalisme ou la diversité de la vie littéraire.
4Les études portant sur les années dix sont relativement disséminées et, dans la plupart des cas, incluses au sein de l’analyse d’un champ thématique et conceptuel plus vaste. La somme de José-Carlos Mainer sur La Edad de Plata, par exemple, envisage comme un processus dynamique la culture espagnole de trois premières décennies du xxe siècle11. Au sein de ce panorama, l’enjeu des années dix réside, pour l’auteur, dans la question de l’expression des régions, qui sont présentées comme des « auras de renovación12 ». Il s’agit là d’une rénovation formelle, qui intervient de façon contemporaine à la création de nouveaux organes de diffusion — comme la revue Hermes (1917-1922) au Pays Basque ou Nós (1920-1936) en Galice — et correspond à l’affirmation d’une relative autonomie de la culture dans certaines régions, à la faveur de la structuration des nationalismes catalan, basque ou galicien. La situation à Madrid est d’ailleurs, à bien des égards, analogue : en 1914, Ortega prononce le discours « Vieja y nueva política13 », qui annonce la fondation de la Liga de Educación Política, puis paraît le premier numéro de la revue España, qu’il dirige. Dans les chapitres qu’il consacre à la période dans son ouvrage Medio siglo de cultura española, Manuel Tuñón de Lara se centre sur la politique culturelle qui se détache au cours des années dix14. Il pose l’existence d’une conscience intellectuelle marquée, avant d’analyser en termes politiques la « transcendance15 » de l’époque 1917-1920, tout en faisant ressortir, cependant, les limites de la diffusion de cette culture d’essence intellectuelle16. Du point de vue littéraire, Guillermo Díaz-Plaja s’attache à appliquer à la période le concept traduit du catalan de Novecentismo17, qu’il décrit comme la réunion de plusieurs générations (biologiques) d’auteurs, des romanciers de l’ochocientos désormais consacrés (Galdós, Pardo Bazán, Palacio Valdés) aux premiers représentants des avant-gardes, qui se mêlent pour former « un período [que] ofrece una temática deslumbradora en su intensidad y en su calidad18 ». L’application d’une notion unitaire à un ensemble aussi disparate motive probablement l’invitation de José-Carlos Mainer à considérer les lettres espagnoles des années dix comme un moment de « rénovation épistémologique19 ». L’auteur désigne par cette expression la réflexion sur le discours littéraire et sur son rapport au réel, qu’il voit à l’œuvre dans les écrits d’un certain nombre d’écrivains et de penseurs comme Ramón Pérez de Ayala, Gabriel Miró, José Ortega y Gasset, Ramón Gómez de la Serna ou encore Juan Ramón Jiménez. Cette réflexion double porte à la fois sur le choix des thèmes et des choses du monde que l’œuvre veut donner à connaître en les représentant, et sur l’acte d’écriture comme volonté de mener à bien une pédagogie esthétique espagnole20 : il s’agit d’instruire dans et par l’esthétique. Dans ce cadre, Mainer propose de « ver el descubrimiento de la “greguería” por Gómez de la Serna como una consecuencia de un nuevo pacto entre la realidad y el lenguaje, más allá de la vaguedad evocativa de la práctica finisecular y modernista de las correspondances21 ». Certainement, l’un des enjeux de l’écriture greguerística réside dans l’intention épistémologique qu’elle recèle. En outre, dans le cas ramonien, ce caractère esthétique a une nette incidence sur la place qu’occupent les greguerías au sein du marché éditorial, puisqu’à mesure que leur auteur détermine les contours du système poétique de la greguería, il parvient à faire coïncider certaines exigences personnelles d’ordre stylistique avec la conquête du public. Passant des considérations esthétiques aux questions de la diffusion et de la consommation des productions culturelles, Mainer signale l’émergence de nouveaux publics22, au seuil des années dix23, dans le cadre de l’héritage du modernismo (compris au sens large du terme) :
El enunciado modernismo representa, en el caso español, más que lo que abarca una modalidad artística: en lo que ahora nos concierne, significa también nuevos lectores, posibilidades abiertas de lectura en una sociedad más dilatada y más compleja, cosa que entraña una nueva alianza de autores y audiencia sellada sobre intereses y prejuicios, rechazos y entusiasmos que cabe suponer comunes24.
5Aux progrès techniques et socio-éducatifs, qui ont une évidente incidence sur la diffusion de la presse, vient s’ajouter « un nuevo modo de concebir la práctica novelesca : […] impresionismo descriptivo, parcelación de la historia narrada, abdicación de la digresión explicativa, intensificación de lo ambiental25 ». La production littéraire des années dix se caractérise, selon Mainer, par une recherche de l’anecdote, brève et ponctuelle, voire, par l’usage de plus en plus répandu de la forme du fragment, créant ce que l’on pourrait appeler une forme de poétique de l’instant (éphémère, mais marquant). Les écrivains qui cultivent cette nouvelle formule littéraire ont la quasi assurance d’un public prêt à investir (du temps, de l’argent) dans la lecture d’un format de coleccionable, ce qui suppose pour les éditeurs (une figure du marché du livre qui naît précisément à cette époque) l’exigence d’allier qualité et attrait. C’est, en somme, le moment où le marché éditorial en Espagne s’élabore comme un véritable « commerce culturel26 », dont Ramón Gómez de la Serna s’appliquera à être un acteur des plus dynamiques.
6Ainsi, la période des années dix est connue au travers d’un certain nombre de mutations culturelles. Pour autant, elle ne jouit pas d’un réel statut historiographique. Contrairement à d’autres époques de la littérature contemporaine — et même si l’on sait les limites du método histórico de las generaciones27 comme tentative de périodisation de l’histoire littéraire —, les années dix n’ont pas vraiment réussi à être identifiées à une génération qui en résumerait les enjeux et les tendances, en s’incarnant dans un certain nombre de personnalités majeures. À deux reprises, la critique a tenté de leur attribuer une « génération » : d’une part, celle dite de 1914, aux résonances intellectuelles, placée sous l’égide de José Ortega y Gasset et qui, alors même qu’elle s’incarne dans une volonté de lancer une réelle politique culturelle, se solde sur le constat amer de l’échec d’une « génération délinquante28 » ; d’autre part, celle dont la dénomination a été fixée par Sáinz de Robles comme « promotion du Cuento Semanal », pour désigner les romanciers qui participent de l’essor des collections de nouvelles à grande diffusion et dont la principale phase de production littéraire est comprise entre les dates de 1907 et 192529.
7Significativement, aucune de ces deux étiquettes ne connaîtront la fortune critique d’une generación del 98 ou del 2730. Par ailleurs, au sein de ce panorama, lorsque la figure de Gómez de la Serna est convoquée, elle l’est toujours à un titre singulier, en marge des cadres généraux. Ramón est, par exemple, très peu présent dans les réseaux de diffusion de la génération de 1914, au milieu des années dix. Il collabore en une unique occasion à la revue Europa et n’entre à la rédaction d’España qu’en 1919, quatre ans après l’année de fondation de la revue, sous la direction éditoriale d’Ortega. En outre, il se forme en tant que jeune intellectuel au cours de la décennie précédente31 et, dès la seconde moitié des années dix, il se consacre davantage à la création littéraire en se contentant d’alimenter un marché éditorial qui est en train de changer. Certainement, Ramón œuvre très tôt pour entrer dans le cercle d’Ortega et il finit par collaborer aux prestigieuses publications España, El Sol, Revista de Occidente, mais son incorporation tardive, tant dans le cadre de la revue España que du quotidien El Sol, y est placée sous la bannière du Ramonismo, ce qui rend singulière sa position au sein de cet espace intellectuel32.
8De même, Ramón ne rejoint qu’au début des années vingt la longue liste des promocionistas du Cuento Semanal : sa participation dans les différentes collections de nouvelles de l’époque (El Libro popular, La Novela corta, La Novela de hoy, La Novela mundial33) est éminemment ponctuelle jusqu’à l’année 1921, au cours de laquelle il commence à publier régulièrement dans La Novela corta (alors que sa production romanesque se développe en général). Au-delà de la dénomination « promotion du Cuento Semanal », le phénomène des collections littéraires du début du xxe siècle a attiré l’attention des spécialistes de la fin du xixe - début du xxe siècle, en tant que manifestation accrue d’une littérature sérielle dont la production devient industrielle. Une récente étude de Christine Rivalan Guégo dresse le bilan des principales voies de recherche qui ont été envisagées jusqu’à présent et des champs qui restent encore à explorer34. Or, les conclusions de l’auteur sur la façon dont les collections littéraires de début de siècle ont été récupérées historiographiquement sont largement applicables à la manière dont on a essayé de cerner la prose narrative des années dix en général. Les grandes lignes des travaux qui ont été menés à bien sur le sujet sont : l’étude de la forme littéraire de la nouvelle35, celle de la figure du lecteur dans la perspective d’une littérature populaire36, ou encore l’analyse de certains thèmes récurrents dans la littérature de grande diffusion de l’époque, comme l’érotisme37. Il est à noter que Ramón ne ressortit pas de façon évidente à aucun de ces domaines : tout d’abord, parce qu’il commence à cultiver la forme de la nouvelle bien après le succès éditorial de cette dernière et parce qu’en outre, le reste de sa production au cours des années dix — hormis les tirés-à-part de Prometeo jusqu’en 1912 et les collaborations dans les journaux et revues de l’époque — est encore une prose de type miscellanées, trop peu linéaire et narrative pour prétendre à une audience dite populaire38. Les articles que l’auteur publie dans la presse rencontrent certainement un public plus nombreux que les livres, mais c’est bien à partir des années vingt et des premiers romans que « Ramón » devient une figure reconnue au sein du panorama littéraire. En ce qui concerne l’érotisme, il y eut indéniablement une réelle production ramonienne dans ce domaine : des collaborations à La Hoja de Parra, de juin 1911 à novembre 1912, à la future falsa novela « La virgen pintada de rojo » originellement publiée dans La Novela pasional (1925), en passant par la monographie Senos (1917), et la rubrique « La mujer de la semana » publiée dans la revue Flirt, d’avril 1922 à avril 192339. À l’époque, cette dimension de la prose ramonienne est, de surcroît, reconnue en tant que telle. Ramón est jugé et condamné en tant que pornographe40. Pour autant, la critique n’a pas associé de façon systématique la prose ramonienne à la veine de l’erotismo fin de siglo41, et Gómez de la Serna reste donc considéré hors du champ des collaborateurs les plus fréquents des collections de nouvelles et dont les principaux représentants sont Felipe Trigo, Eduardo Zamacois ou Antonio de Hoyos y Vinent42. En un mot, l’auteur des Greguerías n’a sa place dans aucune des taxinomies appliquées à la culture des années dix en Espagne.
9Malgré tout, il est des approches pertinentes dans chacune de ces tentatives de classification et qui semblent permettre de mieux cerner la production en prose des années dix, voire d’y prendre en compte la trajectoire que suivent Ramón et ses proches collaborateurs.
10La première d’entre elles est signalée par Sáinz de Robles, qui remarque à juste titre que les membres de la « promotion du Cuento Semanal » sont les animateurs et, dans certains cas, les fondateurs des principales revues du début du xxe siècle. Si la diffusion des idées et des dynamiques littéraires a souvent été évoquée et analysée pour les premières années du xxe siècle43, pour les années vingt en tant que temps des avant-gardes ou encore pour les années de la Guerre civile du point de vue de l’engagement idéologique, elle a fait l’objet d’une étude moins systématique pour la période des années dix44. Celle-ci s’ouvre avec Faro, Prometeo, Revista Crítica (toutes trois fondées en 1908, respectivement par Ramón Gasset, Javier Gómez de la Serna et Carmen de Burgos) et se poursuit au fil des publications suivantes : Europa (de 1910, fondée par Luis Bello et dont le titre a de fortes consonances ortéguiennes), La Esfera (fondée, en 1914, dans le cadre du groupe Prensa Gráfica, dans un grand souci de qualité éditoriale et où collaborent, dès les premiers numéros, divers rédacteurs de Prometeo : José Francés, El Caballero Audaz, Federico García Sanchiz, Pedro de Répide ou José Sánchez Rojas), España (selon José-Carlos Mainer, « el periódico más importante de nuestra Edad de Plata45 », dont le premier numéro paraît le 29-I-1915 et où collaborent tous les grands noms qui sont alors associés à la figure d’Ortega : Pérez de Ayala, Luzuriaga, Araquistáin ou Moreno Villa), El Sol (fondé en 1917 par le même Ortega), Cervantes (dont l’étape ultraísta est dirigée par Cansinos Assens) ou Cosmópolis (dirigée par Enrique Gómez Carrillo, puis Alfonso Hernández Catá, et où collaborent Edmundo González-Blanco, Guillermo de Torre ou encore Cansinos Assens qui, dans le numéro 2 de la revue, publie un article intitulé « El arte nuevo », consacré à Ramón46). Outre ces titres dont la fondation est contemporaine des années dix, il convient également de prendre en compte tous ceux dont l’existence est antérieure et qui bénéficient de l’active collaboration des promocionistas47 : de Blanco y Negro et ABC à La Ilustración Española y Americana ou Nuevo Mundo.
11La consultation de la presse des années 1910-1920 montre ainsi de façon évidente que Ramón participe des mêmes milieux et réseaux éditoriaux que ses contemporains qui s’illustrent parmi les raros y olvidados, c’est-à-dire d’un même système de production et de diffusion (qui embrasse un certain nombre de titres de la presse quotidienne et hebdomadaire — titres aussi divers que ceux de La Hoja de Parra, La Tribuna, España, El Liberal, El Sol, Buen Humor — et autant de noms de maisons d’édition : Sempere et Prometeo de Valence, Biblioteca Nueva, Saturnino Calleja, Editorial América ou encore Calpe de Madrid48). C’est l’étude de Prometeo et des contributions régulières qu’y apportent un certain nombre de collaborateurs, qui serviront d’origine à ces considérations sur la presse des années dix, dans laquelle Ramón entreprend sa formation littéraire. L’ensemble de ces textes originaux donne une idée assez précise du milieu créatif qui entourait alors directement l’auteur des Greguerías.
12L’autre approche récurrente que privilégient avec plus ou moins de bonheur les spécialistes de la littérature espagnole des années dix est celle de l’ordonnancement thématique (Cansinos, Nora et Granjel) ou fonctionnel (Sáinz de Robles49) des différents auteurs considérés. Le nombre et la divergence de jugements dont témoignent ces diverses classifications en réduisent d’autant la pertinence. Cependant, il ressort de cette approche réitérée que l’une des caractéristiques de la période est sa remarquable variété. Il semble qu’il existe un plus grand répertoire de thèmes qu’au cours des années précédentes et que, par conséquent, une seule étiquette ne saurait suffire à cerner et définir la littérature de l’époque. Ainsi que le résume Sáinz de Robles,
La única verdad es que los más de los promocionistas escribieron novelas madrileñas, castellanas, naturalistas, costumbristas, eróticas, provincianas. […] Precisamente uno de los valores máximos (a mi juicio) de los « promocionistas de El Cuento Semanal » fue su riqueza involuntaria, o impensada resistencia al encasillamiento dentro del género novelesco. Porque todos ellos, con gozo y acierto, recorrieron los caminos de la diversidad y hasta del contraste; que son los caminos más seguros para conseguir la exclusión de las agrupaciones-grupitos50.
13Loin de prétendre élaborer une énième classification, je crois que l’interprétation de ce que Cecilio Alonso appelle ce « socorrido cajón de sastre » qu’est devenue, au fil du temps, la promotion des années 1910-192051 gagnerait à cerner cette importante circulation de thèmes et de genres qui compose l’éclectisme de la période.
II. — PROMETEO, ENTRE DEUX ÉPOQUES
14Selon Hilda Torres-Varela, qui a examiné la presse espagnole de la première moitié des années dix à la recherche des formes du renouveau esthétique et des dynamiques créatrices alors existantes, « le besoin d’un art nouveau existe » mais n’est jamais réellement assouvi, au point que « parmi les publications parues en 1913, aucune n’est capable de fournir un panorama suffisamment éloquent de l’époque52 ». La critique présente la revue Prometeo comme faisant exception à la règle en étant l’un des témoins de ces années-là53. Prometeo se caractérise par une hybridation entre modernismo, costumbrismo et par de premières expérimentations esthétiques, que la critique a pu considérer a posteriori comme l’émergence d’une certaine avant-garde littéraire. D’après José-Carlos Mainer,
Prometeo fue […] el incruento campo de batalla que enlaza el declinante impulso romántico, la fiebre remitente del modernismo hispánico y el primer atisbo de vanguardia. Tres ingredientes que quizá pudiera resumir […] una concepción más amplia de la palabra modernismo54.
15C’est dans le creuset encore indéterminé des années dix, qui renferme toutefois la promesse d’innovations futures, que paraît pour la première fois la revue. Il s’agit d’un milieu propice aux expérimentations ramoniennes, qui reflète exemplairement l’ambivalence et les tâtonnements de l’époque où il prend place. Prometeo naît plus précisément en novembre 1908 sous le signe d’une double ambition, celle d’être une « revue sociale y littéraire ». Fondée par Javier Gómez de la Serna, homme politique dévoué à la cause libérale et père de Ramón, elle est, avant tout, créée dans une perspective politique, bien plus que culturelle. Il s’agit de promouvoir la ligne politique incarnée par Canalejas, alors à la tête du parti libéral, et de gagner ainsi au camp démocrate un public jeune et intellectuel55. Si cette vocation politique prime dans l’orientation initiale de la revue, la littérature n’y est encore que secondaire et seulement destinée à sous-tendre l’idéologie explicitement de gauche dont se réclame Prometeo56. Ce n’est qu’à partir du numéro 4, voire du numéro 6, avec la publication du premier essai ramonien (« El concepto de la nueva literatura ») ainsi que des premières traductions littéraires (de Gourmont, Rachilde ou Schwob), qu’un souci plus esthétique s’installe au cœur des pages de Prometeo.
16Durant ses quatre années d’existence, la revue livre à ses lecteurs trente-huit numéros d’une centaine de pages chacun. S’y trouvent mêlés des articles sur l’actualité, des chroniques politiques et sociales, des essais, des critiques et des recensions littéraires, naturellement accompagnés par tout un flot, plus écumeux à chaque nouvelle livraison, de textes originaux et de traductions inédites d’œuvres étrangères. Dès ses débuts, Prometeo se veut résolument jeune et moderne : l’âge moyen des collaborateurs se situe entre vingt et vingt-cinq ans (en 1908, Ramón a tout juste vingt ans ; Baeza, le futur traducteur officiel de la revue, n’en a que dix-sept57). Il reste que la revue, entièrement financée par le mécénat de Javier Gómez de la Serna, ne peut prétendre qu’à un tirage limité et obtient une faible audience. Si l’on en croit l’estimation de Bernard Barrère,
En toute hypothèse, en ce qui concerne Prometeo, on peut donner tout au plus une fourchette de 100 à 200 exemplaires, car il est improbable que D. Javier, même au sommet de sa carrière de fonctionnaire, ait pu consacrer à ce « support » politico-littéraire plus du dixième ou du cinquième de ses revenus58.
17L’estimation la plus haute du nombre d’exemplaires mis en vente que j’aie pu trouver59, est celle qu’indique Baeza pour le cas des tirés-à-part que publiait régulièrement Prometeo et, plus précisément, pour l’édition de sa propre traduction de A Woman of no importance d’Oscar Wilde : « en varios números, recogió la traducción Prometeo, que hizo de ella una tirada aparte, de 300 ejemplares, que se pusieron a la venta60 ». Cette relative confidentialité garantit probablement à Prometeo une plus grande latitude et un éclectisme certain dans les écrits qu’elle publie. La correspondance entre Ramón et Baeza au cours des années dix confirme sans ambages ce caractère « arbitrairement extraordinaire61 » de la revue. D’après Andrew Anderson, qui est le premier à avoir eu accès à cet échange de lettres entre les deux co-rédacteurs de la revue,
Con colaboradores asiduos como Baeza, con el exclusivo control editorial y con el patrocinio financiero de un padre complaciente, un rasgo singular de Prometeo era el grado de libertad de acción y de criterio de que disponía Ramón en la composición de sus números. Libertad que explotaba con aparente deleite62.
18Cette singularité de la revue, si elle est la probable cause de la maigre diffusion et, à terme, de la ruine de l’entreprise familiale des Gómez de la Serna, est aussi l’une des raisons pour lesquelles Prometeo est aujourd’hui considérée par certains comme la première revue d’avant-garde madrilène.
19Véritable jalon culturel pour d’aucuns, la revue publie, en particulier, le futuriste italien Marinetti et sa prose véhémente. Buckley et Crispin, Soria Olmedo et, plus récemment, Gallego Roca63 choisissent unanimement 1909 (en raison de la publication du Manifeste du futurisme, dans le numéro 6) ou 1910 (qui correspond à la parution du « Manifiesto futurista sobre España », dans le numéro 19) comme dates de fondation de l’avant-garde littéraire en Espagne. Anderson, tout en nuançant la tendance à appliquer le terme anachronique d’avant-garde à l’époque de Prometeo, résume assez bien le sentiment général de la critique envers la revue :
En 1910 la palabra « vanguardia » aún no había llegado a establecerse ni a difundirse en España con su sentido artístico-literario, y seguramente no se sentía tan nítidamente la distinción entre simbolistas y vanguardistas entonces como hoy en día. No obstante, queda claro que Gómez de la Serna había detectado algo, un cambio, una diferencia, una nueva corriente, y tenía motivos sobrados para abrazar simultánea y calurosamente tanto las postrimerías de una tendencia como los primeros balbuceos —gritos destemplados más que susurros— de la otra64.
20Parmi les prédispositions de Prometeo à accueillir de nouveaux courants, il faut signaler le cosmopolitisme remarquablement actif de la revue. Comme le revendique Baeza, « aquel no olvidado Prometeo […] en medio de su caos fue nuestra primera revista de ambiente europeo, tentativa no secundada hasta ahora65 ». Une dizaine d’années après la disparition de la revue, c’est au tour de Cansinos Assens, l’un de ses illustres contemporains et collaborateurs, d’en entonner le « répons lyrique » en ces termes :
Prometeo fue todavía una cumbre de juvenil anhelo. Fue la epístola ingenua y ardiente, el lírico mensaje de la juventud. En sus páginas cantó un ansia de modernidad libre y alada. […] Los colaboradores de Prometeo […] forman una pléyade de rosado optimismo, más constructiva que la pálida generación anterior, de una rebeldía no esquiva ni estática, sino democrática y activa. […] Prometeo fue una revista que marcó un hondo surco de renovación espiritual66.
21Mais le sens qu’il faut donner ici au terme de modernidad est celui de l’époque, celle de los Hermes, à l’articulation entre le xixe et le xxe siècle, à laquelle Cansinos consacre le premier tome de La Nueva Literatura. Dans le tome suivant de ce même ouvrage, le critique précise quelle est la tonalité de la revue et la place de celle-ci au sein du panorama littéraire de l’époque : « Después del 1900, hay algunos momentos interesantes en nuestra literatura. En primer lugar, la aparición de Prometeo, la revista de Gómez de la Serna, […] en la cual revive el fervor modernista y el amor a lo raro, ya apaciguado en los maestros67 ». Si Prometeo est une revue jeune, placée sous le signe de la nouvelle rébellion littéraire68, ses référents n’en appartiennent pas moins nettement au xixe siècle. De façon significative, Cansinos la situe dans la lignée des revues modernistas, Helios ou Renacimiento69.
Une revue plus fin de siècle qu’avant-gardiste
22Les jugements qui font de Prometeo l’une des premières tribunes d’avant-garde méritent d’être nuancés, car ils nous livrent un tableau par trop idyllique — tel que nous pouvons le percevoir depuis la distance oublieuse de notre xxie siècle — de la portée et des intentions réelles de la revue. Selon Bernard Barrère, la réalité de l’époque est bien autre :
Avant d’être dirigée par Ramón, voire asservie à ce prurit de publication, la revue se définit surtout comme une revue politique et sociale, et, qui plus est, au moins en ses débuts, comme une revue militante et non de réflexion sereine […] cette revue partisane passe aujourd’hui pour une revue « culturelle », le contre-sens allant jusqu’à lui assigner une place sans rapport avec sa diffusion ni avec sa nature70.
23Prometeo ne saurait en aucun cas être tenue pour une revue homogène, uniformément et esthétiquement marquée ou engagée. Une comparaison avec la revue Grecia, fondée en 1918 à Séville, permet de mesurer l’écart qui existe entre Prometeo et celle qui deviendra bientôt, à partir de son étape madrilène, « el órgano más autorizado del movimiento ultraísta en España71 ».
24Le cas de Grecia est tout particulièrement intéressant, dans la mesure où il permet d’observer l’articulation entre un premier temps qui se caractérise par une tendance nettement modernista (placée sous l’égide d’une citation de Rubén Darío, tout comme pour Prometeo) et un second temps qui correspond à l’adoption des principes (esthétiques, typographiques, plastiques) ultraïstes. De toute évidence, les affinités entre Prometeo et Grecia concernent la première étape de la revue, alors sévillane. En outre, Grecia présente l’avantage de proposer, tout comme le faisait Prometeo six ans auparavant, un large échantillon de traductions d’auteurs étrangers alors en vogue (essentiellement, des poètes français) ou des reproductions de poèmes d’auteurs latinoaméricains. Au cours de la première année d’existence de la revue, se côtoient dans les pages de Grecia, d’une part, des textes d’Amado Nervo (dans les numéros 4 et 18), Gabriele D’Annunzio (4), Rubén Darío (5, 13), Eugenio de Castro (8), Jean Richepin (9), Alfred de Vigny (11), Charles Baudelaire (12), Émile Verhaeren (15, 17), Henri de Régnier (19), Albert Samain (23) ainsi qu’une série consacrée aux auteurs classiques (Catulle, Marcial, Horace, Sophocle, Aristophane), de l’autre, des poèmes et des écrits de Vicente Huidobro (7, 19, 20), Max Jacob (8, 9, 16, 18), Pierre Reverdy (10, 22, 31), Apollinaire (11, 12, 22, 24, 26, 30), Philippe Soupault (14, 18), Blaise Cendrars (18, 23), Paul Morand (le célèbre calligramme sur la Puerta del Sol est reproduit dans le numéro 18), Tristan Tzara (22, 27) ou Paul Dermée (25).
25Les coïncidences avec les auteurs également traduits dans Prometeo sont significatives — sont concernés Darío, D’Annunzio, Verhaeren et Castro —, même si elles s’expliquent évidemment par les dates précoces de publication de la revue des Gómez de la Serna (1908-1912). Il n’en reste pas moins que les auteurs les plus traduits dans le cadre de Prometeo sont Gourmont, Rachilde, Colette, Maeterlinck ou encore Saint-Pol-Roux, alors que les premières œuvres d’Apollinaire, par exemple, datent des années 190072.
26C’est précisément avec la figure d’Apollinaire que Guillermo de Torre inaugure dans Grecia, le 1-IV-1919, la section « La novísima literatura ». À partir du 20-XI-1919, la rubrique se change en « Pequeña antología Dadá » : y paraissent périodiquement des poèmes de Birot, Cocteau, Picabia, Ribemont-Dessaignes ou encore Breton. Dès lors, la caractère ultraïste de Grecia s’affirme et s’affiche : (typo) graphiquement, en effet, la revue manifeste un souci d’innovation et d’expérimentation visuelles, que ce soit au travers des nombreux calligrammes qui la ponctuent à partir de la seconde moitié de l’année 1919 (pour l’essentiel, signés par Guillermo de Torre, Pedro Raida, Adriano del Valle, Antonio M. Cubero et Federico de Iribarne) ou des reproductions des gravures sur bois de Norah Borges, qui font leur apparition dans la revue en février 192073.
27Ce dernier aspect deviendra l’un des signes distinctifs de la revue Vltra (1921- 1922), dont les premières pages seront toujours ornées d’une gravure en bois, réalisée par Norah Borges, Rafael Barradas ou Wladystaw Jahl. Vltra consacre une large part à la poésie expérimentale et donne à voir, dans le panorama des lettres espagnoles, une rénovation du langage poétique en marche. Elle s’inscrit dans la filiation du Coup de dés mallarméen et de l’exhortation définitive des Mots en liberté futuristes de Marinetti (surnommé à l’époque la « caféine de l’Europe74 »). Apollinaire et Tzara sont deux autres modèles fondateurs de la revue, qui tend à une synthèse des divers courants d’avant-garde de l’époque : futurisme, cubisme littéraire, dadaïsme. Pour cela, le comité directeur prend soin de la beauté et de l’innovation typographique d’Vltra : grandes dimensions de la revue, papier parcheminé au toucher, illustrations et usage de la couleur sont autant de manifestations d’un souci formel. Vltra décline aphorismes (« Crear, crear y crear. El arte nuevo sólo ha de tener frente, no ha de tener espalda », 13), « Poèmes automatiques » (2) et calligrammes pour faire entendre une voix nouvelle « [que] cambia y se multiplica constantemente » (3), une voix qui cultive délibérément toutes les modulations du cri-manifeste et de la proclamation. En matière de traduction, et dans le prolongement de l’entreprise lancée dans Grecia, Vltra publie, à l’initiative de Guillermo de Torre, une « Antología crítica de la novísima lírica francesa » qui réunit Pierre-Albert Birot (4), Paul Morand (14), Jean Cocteau (15), Max Jacob (20) et Blaise Cendrars (22). Trois de ces traductions, celles de Birot, Jacob et Cendrars, s’accompagnent d’une présentation critique de Torre, qui souligne la modernité esthétique de chacun. Le nunisme d’un Birot75, par exemple, sert à démontrer que la rupture est définitivement consommée avec toute conception mimétique de l’art : la beauté est désormais autonome, née de la réalité pensée, imaginée par le poète, et non des apparences du réel. Le vitalisme de Cendrars, quant à lui, est « antirretórico. Acelerado. Simultaneísta. Desbordante76 ». Torre commente avec ravissement la fulgurance et la plasticité des Poèmes élastiques (1919) ou de La prose du Transsibérien (1913), illustrée par Sonia Delaunay. Max Jacob, enfin, ajoute à cette dimension visuellement suggestive du poème en prose d’avant-garde — Torre évoque ses « imágenes prismáticas » et « cuadros verbales » — l’énergie du jeu et de l’humour. Les pièces du Cornet à dés sont, pour Torre, des « cabriolas imaginativas » et « con Gómez de la Serna y Chesterton, [Jacob] es el inventor de una risa nueva, refrigeradora de la literatura solemne77 ». L’analogie avec Ramón est intéressante car, même si le Cornet à dés est publié cinq ans après la publication du dernier numéro de Prometeo, les premières œuvres de Jacob paraissent au tout début des années dix. Or, aucun texte traduit ni même un seul écho de La Côte ou de Saint-Matorel (1911), ni des Œuvres burlesques et mystiques de Frère Matorel (1911-1912) ne figurent dans les pages de la revue. Pas plus, d’ailleurs, que les premiers textes de Cocteau, qui publie La lampe d’Aladin en 1909, ou de Cendrars, l’auteur en collaboration avec Sonia Delaunay de La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, et dont Les Pâques paraissent en 1912.
28De toute évidence, une comparaison directe entre Prometeo et Vltra confronterait deux objets qui ne se situent certainement pas sur le même plan esthétique, ni même chronologique : Prometeo naît à la fin des années 1900, du statut hybride que l’on sait (social et littéraire) ; Vltra paraît au début des années vingt, alors que les premières voix de l’avant-garde ont eu le temps d’affirmer leur timbre, et se veut l’accomplissement du manifeste signé par Cansinos en 1918 et que prolongent, dans Grecia, deux manifestes publiés au printemps 191978. Pour autant, ce rapprochement rapidement esquissé par la médiation de la revue Grecia, n’en est pas moins instructif : on ne saurait tenir pour (pré) avant-gardiste la nature esthétique de Prometeo.
29Aussi est-il nécessaire de revenir sur l’attribution de ce statut à Prometeo, essentiellement due à la publication, dans les numéros 6 et 20 de la revue, de la traduction du manifeste du Futurisme — un peu plus d’un mois après sa parution en France, dans Le Figaro du 20 février 1909 — et de celle d’une « Proclama futurista » spécialement appliquée au cas espagnol79. Contrairement à ce que la critique a eu tendance à affirmer rétrospectivement, il semble que, dans le contexte de Prometeo, le futurisme soit, en réalité, considéré comme un mouvement parmi d’autres à la même époque, plutôt que comme l’émergence de quelque chose de radicalement nouveau. La chronique ramonienne « Movimiento intelectual » sur laquelle se referme le numéro offre un commentaire sur la portée du manifeste de Marinetti et sur le rôle des proclamations en général :
Las proclamas y no la proclama. La proclama debe ser efímera. Su influjo sólo de momento […].
El Futurismo ( ¡¡Viva el Futurismo!!) es una de esas proclamas maravillosas, que enseñan arbitrariedad, denuedo, y que son la garrocha que necesitamos para saltar. Es una garrocha ideal hasta que aparezca otra mayor80.
30Le futurisme est un cas ponctuel de rénovation esthétique, considérée ici comme nécessaire, mais non de façon permanente ; bien plutôt comme une première impulsion en marge des canons de la tradition, inscrite dans un processus dynamique81. Le futurisme n’est pas un cas singulier aux yeux de Ramón. C’est pourquoi, dans le numéro 20 de la revue, la « Proclama futurista » est précédée d’un texte de présentation signé du pseudonyme de Tristán qui, tout en faisant le panégyrique du mouvement récemment lancé par Marinetti, mêle sans marquer de distinction Futurismo, Modernismo et Wagner :
¡Futurismo! ¡Insurrección! ¡Algarada! ¡Festejo con música Wagneriana! ¡Modernismo! ¡Violencia sideral! ¡Circulación en el aparato venoso de la vida! ¡Antiuniversitarismo! ¡Tala de cipreses! ¡Iconoclastia! ¡Pedrada en un ojo de la luna! ¡Movimiento sísmico resquebrajador que da vuelta a las tierras para renovarlas y darlas lozanía!82
31Il faut dire que l’association de Marinetti avec le Modernismo n’est, à l’époque, peut-être pas si discordante qu’il y paraît. En février 1909, cinq jours avant la parution du manifeste futuriste, Marinetti est, par exemple, inclus dans la liste des collaborateurs de la revue parisienne Akademos, où il publie, dans le numéro 2, un poème intitulé « Le dompteur » aux fortes résonances symbolistes. Les deux premières strophes sont exemplaires de l’atmosphère (nocturne, onirique), des images et des réseaux sémantiques (des corps célestes, du corps féminin, ainsi que des suggestions aux sens de la vue, du toucher ou de l’odorat) présents dans tout le poème :
Mon bel ange sensuel, brûlant et trempé
Des voluptés du ciel de l’enfer !...
Je tends les bras éperdument vers toi
Dans la profonde solitude
De cette nuit étincelante qui m’inonde
D’un flot d’étoiles glacées !...
Je sens rôder encore autour de moi
L’odeur entraînante, affectueuse et pensive
De ton corps idéal que je caresse en rêve
Lentement, tout en suivant
Le vol de ta grande âme qui glisse
Ainsi qu’une prunelle
Sous les cils éternels de mon ciel83.
32On ne saurait oublier que, quelques mois après la parution du manifeste de Marinetti, deux des voix qui s’élèvent dans le monde hispanique, avec une relative bienveillance à l’égard du Futurisme ne sont autres que celles de Darío et de la comtesse de Pardo Bazán84. Assurément, l’attitude adoptée par Ramón et Prometeo à l’égard de Marinetti est remarquable au sein du panorama espagnol, l’accueil général du manifeste dans la presse étant plutôt hostile85. À y regarder de plus près cependant, le statut de rhétorique d’avant-garde esthétique attribué aux premiers manifestes de Marinetti parus en Espagne entre 1909 et 1910 est délicat.
33Le texte de la « Proclama futurista a los españoles » est, de ce point de vue, définitivement révélateur. Bien plus qu’une déclaration d’intentions esthétiquement innovatrice, la « Proclama » de Marinetti constitue un programme idéologique, que résume la notion fondatrice d’anticléricalisme, et qui s’inscrit pleinement dans le contexte de l’époque : celui de la campagne menée au cours de l’été par l’Église contre les positions prises par Canalejas en faveur de la liberté de culte ou afin de limiter l’emprise de l’Église sur l’État, au travers de lois comme celle qui est passée à la postérité sous le nom de Ley del Candado86. Le nom de Canalejas apparaît, d’ailleurs, explicitement dans les conclusions de la « Proclama87 » et il y a une indéniable correspondance de vues politiques entre Marinetti et les Gómez de la Serna, père et fils88.
34C’est ce que semble confirmer la correspondance entre Ramón et Baeza, qui contient trois lettres de l’été-automne 1910 démontrant que le jeune directeur de Prometeo a expressément écrit à Marinetti (par l’intermédiaire des traductions de Baeza) pour lui commander un manifeste portant spécifiquement sur l’Espagne. Au travers de ces lettres, se dégagent un certain nombre d’échos entre le contenu des invitations réitérées à écrire un manifeste dénonçant l’Espagne et ses problèmes — pour paraphraser le titre d’un recueil d’essais de Javier Gómez de la Serna89 — que lance Ramón à son interlocuteur italien et les termes employés par Marinetti dans le texte final de sa « Proclama futurista90 ». Au-delà, comme le souligne Eloy Navarro Domínguez, la réception de ce second texte dans Prometeo est significativement positive et explicite : « todo parece indicar que este otro manifiesto interesa lo suficiente a Prometeo, como para que Ramón intente congraciarse con Marinetti a toda costa, y, por ello, en esta ocasión, el joven director de la publicación hará un énfasis especial en sus coincidencias con éste91 », suggérant ainsi que la « Proclama » correspond exemplairement à la ligne sociale et politique qui s’incarne dans la revue espagnole, le programme libéral canalejista.
35Il faut préciser, en dernière instance, que le terme de futurisme n’est pas étranger au panorama culturel espagnol de l’époque, puisque l’écrivain majorquin Gabriel Alomar fut l’auteur d’une conférence intitulée El futurisme, présentée le 18-VI-1904 à l’Athénée de Barcelone et publiée, tout d’abord, en un volume l’année suivante, puis traduite en castillan dans la revue moderniste Renacimiento92. Si bien que l’on pourrait interpréter la présence du manifeste de Marinetti comme un prolongement de la publication de la conférence d’Alomar, dans la mesure où les deux textes se présentent comme la poursuite commune d’une certaine idée de la nouveauté, mue par une inquiétude politique qui s’inscrit pleinement dans la ligne éditoriale de Prometeo. Il y a divers éléments de convergence entre les futurismes qui circulent autour de Prometeo93, la principale caractéristique en étant l’orientation politique, ce qui doit nous inviter à reconsidérer le sens à donner au mouvement auquel la revue des Gómez de la Serna est traditionnellement associée. D’après Eloy Navarro Domínguez,
este futurismo de Prometeo no es exactamente el mismo futurismo que asimilarán después como propuesta estética las primeras vanguardias españolas, sino tan sólo una pieza más de una compleja operación lanzada por un político atípico que estaba contribuyendo con ella, sin saberlo, a sentar las bases, más intelectuales y políticas que propiamente estéticas, de la renovación de la literatura española de su época94.
36En 1920, Ramón aura beau jeu d’affirmer à propos du futurisme que « ya en 1909 me parecía rancio el movimiento95 »…
Des rémanences modernistas…
37En réalité, à la date de 1909 et jusqu’en 1912, l’essentiel des collaborateurs littéraires de Prometeo répondent aux canons de l’esthétique alors dominante : celle du modernismo en poésie et celle du costumbrismo pour la prose.
38Concernant la première, Cansinos ne fait pas erreur lorsqu’il présente Prometeo dans la lignée des revues Helios et Renacimiento. Même s’il s’agit d’un détail, la dimension symbolique des titres est remarquable. Certainement, les implications de Prometeo sont avant tout sociales et idéologiques, mais les trois titres connotent une idée de lumière, tout en désignant le moment de l’aurore, au sens propre comme au figuré. Renacimiento, en particulier, qui est la plus proche dans le temps de Prometeo puisqu’elle est publiée au cours de l’année 1907, possède, en outre, un certain nombre d’affinités avec la revue qui sert de tremplin à Ramón. De la quarantaine d’écrivains que compte Renacimiento dans sa rédaction, un peu plus de quinze entreront dans la rédaction de Prometeo, et non des moindres, puisque Juan Ramón Jiménez, Andrés González-Blanco et Emiliano Ramírez Ángel (qui sont, avec Eduardo Marquina, Gregorio Martínez Sierra, Rubén Darío et Santiago Rusiñol les noms les plus récurrents de Renacimiento) seront, dans l’ordre inverse pour Prometeo, les collaborateurs les plus fréquents de la revue, après Ramón et Javier Gómez de la Serna96. Si l’on considère en outre que Ramírez Ángel, González-Blanco et Francés sont des collaborateurs assidus de La República de las Letras (1905, 1907), aux côtés de Gregorio Martínez Sierra, Juan Ramón Jiménez, Rubén Darío, Antonio Machado ou de traductions de Verlaine et que, parmi leurs premiers ouvrages, Madrid sentimental, de Ramírez Ángel, et Guignol, de Francés, font l’objet d’un compte rendu de Martínez Sierra dans le dernier numéro de Renacimiento97, on mesurera alors aisément combien les principaux jeunes rédacteurs de Prometeo sont formés dans le cadre du modernismo et de ses publications en Espagne. Par ailleurs, il convient de signaler que trois des auteurs étrangers traduits dans le cadre de la section « Letras extranjeras » de Renacimiento, D’Annunzio, Gourmont et Maeterlinck, seront parmi les plus traduits dans les pages de Prometeo. Enfin, il est une section particulièrement révélatrice de la revue : celle des recensions d’ouvrages littéraires (« Libros », puis « Ex-Libris »), le plus souvent anonymes et probablement attribuables à Ramón, qui mettent en lumière les tendances littéraires ayant la faveur du principal rédacteur de Prometeo. Les premières recensions sont tout à fait symptomatiques : celle qui ouvre le numéro 1 de la revue, par exemple, place cette dernière sous la bannière de Salvador Rueda et de Rubén Darío, qui font l’objet d’un ouvrage critique d’Andrés González-Blanco intitulé Los grandes maestros98. Dans le numéro suivant, l’épigraphe de Baudelaire qui est placée en tête des Jaculatorias de Juan Pujol est présentée comme un élément de reconnaissance et de convergence de vues esthétiques avec la teneur de Prometeo : « El primer arranque del libro, la cita de Baudelaire y el prólogo, le hacen congregante de nuestra Santa congregación99 ». Enfin, le numéro 4 de la revue rend hommage à la figure d’Alejandro Sawa, « pauvre romantique », qui permet d’évoquer les figures d’Hugo et, surtout, de Verlaine100. Comme on le voit, il y a un mélange, voire une superposition des catégories et des étiquettes. Pour autant, l’attention critique des collaborateurs de Prometeo privilégie de façon très nette des sources ancrées dans le xixe siècle, qu’elles soient symbolisto-modernistas (Baudelaire, Verlaine ou Darío) ou même romantiques.
39Car, il ne faut pas oublier qu’outre Rubén Darío, dont les premiers vers de la « Salutación del optimista » servent d’épigraphe à la revue101, figure parmi les autorités tutélaires de Prometeo le très romantique Mariano José de Larra auquel toute la rédaction rend hommage dans le quasi-monographique numéro 5, prolongement du banquet organisé par la rédaction de la revue à cet illustre prédécesseur102. Le choix de la figure de Larra n’est pas anodin : l’écrivain et journaliste est également le symbole de l’intellectuel libéral qui prend position face à la situation sociale de l’Espagne de son temps103. D’un point de vue littéraire, il est tout de même intéressant de remarquer que, dans le discours ramonien qui est transcrit dans les pages de Prometeo, sont évoqués tour à tour Francis Jammes, Silverio Lanza ou bien le Semanario Pintoresco, sur le même plan que l’appel à se faire les émules du maître et à « être révolutionnaire en art », en usant d’une « force nouvelle104 » dans l’acte de création. Fígaro, sous la plume de Ramón, est à la fois homme du xixe siècle et radicalement moderne, synthèse du passé et de l’avenir105. Une fois encore, le mélange des genres est de rigueur, même si les reflets du siècle précédent sont problablement les plus nombreux. Ainsi que le fera remarquer Cansinos, avec l’acuité toute malveillante dont il sait faire preuve dans La novela de un literato, en réponse à un commentaire de Ramón sur le décor de Pombo où surgit le souvenir de Larra,
— Tiene carácter…, es una cosa de los tiempos de Fígaro… Ese reloj isabelino, ese espejo empañado, que quizá haya reflejado la efigie del glorioso suicida…
Yo asiento, sonriendo: —Sí, está bien, sólo que no me parece muy futurista…
Ramón frunce el entrecejo106.
40À l’image de la Sagrada Cripta, Prometeo est une tribune hybride, non seulement dans ses intentions, idéologiques mâtinées de littéraires et vice versa, mais au cœur même de son positionnement esthétique. Si l’on en croit Bonet, « Ramón, aunque tradujo y glosó a Marinetti en Prometeo, andaba rodeado de artistas de formación simbolista, y que buscaban nuevas salidas, oscilando entre el casticismo del 98, y actitudes más similares a las de los noucentistes catalanes107 ». Cette double inclination, entre fin de siècle et avant-garde, est par ailleurs symptomatique d’une époque : elle manifeste la rémanence du modernismo dans l’Espagne littéraire des années dix. Dans leur quête de la nouveauté, les rédacteurs de Prometeo adoptent le seul modèle anti-decimonónico encore en vigueur, en sélectionnant ce qu’il offre de plus novateur. Le problème est qu’au cours des années dix, le modernismo périclite ou s’académise, sans disparaître tout à fait108. Andrés Soria Olmedo met d’ailleurs en relation le « retard » de Prometeo avec l’esthétique à dominante moderniste qu’elle cultive :
¿Por qué este relativo retraso? Entre otras cosas por la vitalidad del modernismo, que se conserva hasta comienzos de los años veinte, hasta tal punto que en un primer momento el ultraísmo tiene la intención de ir más allá, pero no contra el modernismo. Cansinos Assens, de hecho, habla de « ultranovecentismo » (y con novecentismo se refiere al modernismo). El vitalismo finisecular forma el suelo sobre el que van a germinar las primeras tendencias de vanguardia109.
41C’est sur ce socle modernista un peu indistinct que se fonde Prometeo110.
42En parfait accord avec cette ligne éditoriale, les premières créations ramoniennes qui paraissent dans la revue attestent l’ascendant formel et thématique que le modernismo ou le symbolisme pouvaient, à l’époque, avoir sur la prose de Ramón. José-Carlos Mainer souligne par exemple, à propos de l’essai « Palabras en la rueca » publié dans le numéro 35, que
la llamada « rueca de las palabras » es un ejercicio pirotécnico en torno a las sensaciones que desprenden de forma espontánea una serie de términos entre los que, por cierto, abundan los de abolengo modernista (compárese la relación con el léxico de Rubén Darío): « granate », « esfinge », « nubilidad », « sarraceno », « ungir », « lunar », « honestidad », « diafanidad », « opalescencia », « grisáceo », « corita », « acuidad », « fatiguita », « impúber », « cárdeno », « lunático », « nigromancia », « pleamar », « cerúleo », « almo », « mate », « yacer » y « virgen»111.
43À bien des égards, il est vrai, « Palabras en la rueca » embaume le « parfum d’héliotrope diaphane112 » des poèmes symbolistes de la fin du xixe siècle. Il suffirait pour s’en convaincre de lire l’un des versets qui composent l’évocation du mot Diafanidad : « Diafanidad, limpieza y claror de las aguas de una piedra preciosa ; inmaculación de un lago quieto y narcísico que copia corrigiendo y que miente bellezas liliales en las mujeres siempre algo bermejas113 ». C’est dans cette atmosphère d’idéalisme floral, que s’insère un essai fondateur de la création littéraire ramonienne dans lequel l’auteur présente sa théorie de l’expression114 — une théorie tout à fait proche de la conception du langage à l’œuvre dans la poésie symboliste.
44L’essai se compose de quelques pages de réflexions théoriques, suivies d’une mise en pratique invitant le lecteur à assister au processus d’élaboration du texte poétique : la première étape en est, métaphoriquement, de dévider les mots qui seront ensuite placés sur le métier à tisser du discours, pour composer finalement les Tapices, qui donnent leur titre au recueil dans lequel est publié « Palabras en la rueca ». C’est l’étape initiale, trop souvent négligée à son goût, qui intéresse ici l’auteur : il s’agit d’observer la matière première du langage poétique. Pour Ramón-Tristán, toute parole est le foyer d’un rayonnement sensoriel complexe. C’est la notion essentielle de signifiant verbal qui est, ainsi, mise en jeu. Il y a, chez le créateur des Greguerías, une conception concrète et presque corporelle de la langue, comme « fuerza viva y terrestre115 », où chaque mot doit être goûté pour lui-même :
La palabra no es esa cosa directa y fácil que emplean con obscenidad los otros; la palabra tiene que originalizarse siempre y que serse todo lo indirecta a sí misma que la es necesario para su renovación y su integridad en cada momento116…
45Le langage tel que le conçoit Ramón, est nécessairement un verbe polysémique et auto-créateur : le mot est une entité réflexive que l’on ne doit pas prendre au pied de la lettre car elle ne cesse de se renouveler constamment. Il ne saurait être figé dans un sens unique et précis tant il a rompu le confort de l’univocité : « Las palabras deben ser siempre diferentes a sí mismas, valiéndose de su facultad de escorzarse y de desnudarse hasta enseñar con franqueza su sexo caliente117 ». Il y a ainsi chez Ramón un érotisme débridé des mots, un plaisir sensuel à dévoiler chaque signifiant. À ses yeux, les mots sont animés d’un eros, d’une force vitale qui les meut et les rend rétifs à tout ce qui serait susceptible d’opposer une limite à leur nature protéiforme. Les vingt-trois mots donnés en exemple dans « Palabras en rueca » servent à illustrer cette théorie au travers d’une série de versets qui jouent sur le pouvoir incantatoire du mot, qui y est répété à satiété. Chaque mot y est associé à un ensemble d’images, de sons et de sens, ainsi que de mots nouveaux, en accord (quasi musical) avec le premier.
46Il existe d’ailleurs un précédent à l’essai « Palabras en la rueca », mis à jour par Eloy Navarro Domínguez118. Il s’agit d’un article paru en 1907 dans La Región Extremeña :
47L’article se présente sous la forme d’une liste de mots, qui vise à recréer un ensemble de sensations et à communiquer au lecteur une « expérience », dans son « énergie » brute et autonome. Partant de l’idée que le mot se trouve appauvri dès lors qu’il est enserré dans une phrase ou dans une définition de dictionnaire univoque, Ramón donne à lire à son lecteur une série de mots, investis chacun d’une valeur en soi d’autant plus grande que son indépendance est marquée : « la extraña presencia de una palabra en su lugar […] debe ser siempre una cosa azarosa, dura y peregrina, de una individualidad sola y díscola en medio de la frase119 ». Eloy Navarro Domínguez analyse cette conception du langage comme une ébauche d’esthétique du fragment (extrême), vouée à un échec certain puisque la liste de mots, pour expressive qu’elle soit, reste en deçà du seuil de communication que, seule, peut assurer la phrase120 :
Esta visión de la palabra es el resultado de la aplicación de la misma concepción monista sobre la que se basaba El libro mudo, según la cual, el todo es infinita y arbitrariamente divisible en elementos que están dotados, en tanto tales, de un significado autónomo121.
48Mais en cela, le double essai que constituent « Noción del verano » et « Palabras en la rueca » porte aussi l’empreinte d’une pratique symboliste du langage, considérant le mot comme une entité autonome et suggestive en soi, capable de communiquer au lecteur une expérience ancrée dans la réalité matérielle de la langue et dans le système de correspondances créé par le procédé de la liste. Car, dans la liste de mots de « Noción del verano », par exemple, le désordre n’est qu’apparent puisqu’il est soumis au principe associatif d’un champ lexical fédérateur : les mots ne sont que relativement isolés, puisqu’ils composent, ensemble, une accumulation sémantique, sonore et rythmique122, autour de l’idée d’été. Le silence y est certainement important, mais l’absence de syntaxe vise surtout à ne pas construire de trame narrative, afin de se laisser guider par les associations. Le texte ainsi produit, comme un discours réduit à sa quintessence, révèle l’intérêt de l’auteur pour le pouvoir expressif du mot (au travers des réminiscences que ce dernier convoque123) et pour les effets de correspondances qui surgissent à la faveur de la juxtaposition des mots de la liste.
49Or, cette pratique n’est pas limitée aux deux seuls textes de 1907 et 1911. Ces derniers offrent, au contraire, un certain nombre de pistes vers des solutions textuelles qui seront reprises et explorées par la suite dans la prose ramonienne. On retrouve ainsi ponctuellement le procédé de la série de mots de Morbideces124 à Greguerías ou Caprichos125, en passant par les premières pages de « La cárcel (Misere) », paru dans Prometeo, qui sont une longue liste d’adjectifs qualifiant la prison126, par le jeu du « mosaico » pratiqué dans Pombo sous la forme de « un desahogo, perfectamente lírico […] ; un juego, al parecer, incoherente, pero con una coherencia emocionante127 », ou bien par certains articles parus dans la presse, comme l’atteste le texte suivant, où Ramón cherche à composer un poème pour une création de Sonia Delaunay :
A veces pienso que quizá sería mejor escribir una armonía de palabras, de bellas palabras, para distribuirlas a lo largo del traje, como colores distintos, como arlequinismo sin nexo ni sentido, como « sinfines » ideales, y apunto palabras tan bellas como estas: « novilunio », « auroral », « diáfana », « virgen », « ambrosía », « delectación », « madreperla », « nívea », « flordelisada », « polipétala»128.
50Les mêmes idées de désordre harmonieux et d’expressivité de la liste de mots, aux connotations éminemment symbolistes, sont ici présentes. Et c’est finalement une greguería qui explicite un peu ce rapport de l’auteur aux mots et donne un idée de ce que prétendent traduire les séries qui jalonnent son œuvre jusqu’alors : « El primer encuentro con algunas palabras fue inolvidable, como el noviazgo con aquellas jovencitas cuyos senos muy apuntados rozamos con el brazo… ¡Noviazgo con Añoranza, Lembranza, Ofrenda, Evocación, etc., etc.!129 ». Certains mots créent une forte impression, qui va au-delà du seul sens du mot : le signifiant même d’un terme comme evocación (le choix n’étant pas anodin) semble acquérir un pouvoir d’expression propre, capable de parler aux sens, comme le suggère la personnification sous la forme très charnelle des jeunes filles. C’est d’ailleurs l’une des significations du mot greguería que souligne en ces termes Valery Larbaud : « “L’objet et le son qu’il rend en nous” ; c’est ainsi que je traduis une de ses expressions familières : “El objeto y su greguería”130 ». Il s’agit de mettre au jour ce que les mots peuvent évoquer en nous : à l’image de « Palabras en la rueca », les premières greguerías consistent en une exploration des connotations subjectives que recèlent certains mots. Glosant un mot, une idée ou bien une image aperçue par l’auteur, elles se construisent comme une vocalise autour de ce point de départ. Au moyen de la réitération et de la multiplication des synonymes, elles semblent chercher à épuiser l’expressivité du langage autour d’un thème, d’une sensation. L’exemple probablement le plus patent du recueil de 1917 est celui de la greguería qui ouvre le volume, et offre une variation sur le motif de l’échiquier qui orne la couverture :
El ajedrezado blanco y negro es una obsesión para nuestros ojos… ¿Qué misteriosa persuasión y dominación hay en él?… Caza nuestras miradas, las liga a él, las marea, las fascina, las retiene… Los pisos ajedrezados distraen nuestras miradas, que se quedan fijas en el suelo largos ratos sin poder levantarse, aunque la pizarra de los suelos, ya un poco gris y descolorida, no logra el contraste que se necesita junto al blanco alternante… Así, en el juego de ajedrez también, lo que aficiona, lo que hace no levantar la cabeza del tablero, no es la pueril diversión de ese juego, sino el ajedrezado blanco y negro, la visualidad, la exaltación, la destreza, la emoción que hay en él… ¡El magnetismo, la clave, la gracia formidable que hay en el ajedrezado es algo misterioso y absorbente, cuyo obscuro dominio nos somete! Es el contraste de la vida y la muerte, es la absorbencia de las viudas blancas y negras, es el sí y el no131…
51Si cette greguería ne constitue pas, à proprement parler, une liste de mots, elle contient néanmoins, en filigrane, un tel champ lexical de la vision obsédante et de l’état d’hypnose que provoque l’échiquier, que se dégage naturellement de ces quelques lignes la série suivante : obsesión, misteriosa persuasión, dominación, cazar la mirada, ligar, marear, fascinar, retener, distraer, fijar, aficionar, visualidad, exaltación, destreza, emoción, magnetismo, clave, gracia formidable, absorbente, obscuro dominio, absorbencia. La greguería mobilise chacun de ces termes et leur pouvoir d’évocation dans un souci d’expressivité. Elle cherche ainsi à rendre sensible et communicable l’effet produit par un phénomène ou un objet — en l’occurrence, l’échiquier —, en accumulant les mots les plus expressifs pour dire cet effet. Elle se compose à partir d’une série de synonymes plus ou moins proches, qui visent l’exhaustivité afin de cerner la sensation à exprimer. Cela explique, en partie, l’extension des premières greguerías. Il s’agit là, en tout cas, d’une première étape, qui se fonde sur un processus associatif consistant à passer d’un mot à un autre, avant d’évoluer vers une forme plus concise et vers un procédé d’association de nature analogique. Il est intéressant de voir que, dès le volume de 1917, on peut observer certaines greguerías qui annoncent déjà cette évolution à venir :
« La mirada felina de los tornillos… », podríamos decir para acusar la expresión fija, fuerte, imperante con que se nos encara la cabeza de los tornillos, su ojo rayado132.
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¿Qué dirán los astrónomos de los otros planetas de los cohetes? Indudablemente escriben en sus cuadernos: « Nuevas constelaciones, luceros, estrellas de rabo, estrellas verdes y violetas. Estrellas efímeras ». Porque los cohetes son lo que nos queda de creación sideral… Los cohetes, los cohetes de paracaídas, los de llamas de bengala, los de enjambre, los de explosión de luces, dicen en su lenguaje disparado, con sus chisperías chinesas y eléctricas, con sus sierpecillas, con sus colas de pavo real, con su fuego blanco, con sus torbellinos, con sus relámpagos, con sus solecillos brillantes, con sus perlas de colores, con sus cintas de fuego dorado: […] « ¡Viva la noche de verbena!... » « ¡Soy un tiro loco en busca de un serafín!... » […] « ¡Soy un símbolo!... » « ¡Soy un suspiro de todas las almas!... » « ¡Soy una lluvia de lágrimas radiantes y dichosas!...»133.
52La tendance à l’énumération et à la série est toujours présente, mais le premier exemple suggère déjà les potentialités expressives et synthétiques de l’analogie. Dans l’immédiat, c’est encore le mot-symbole (« ¡Soy un símbolo !... ») et sa répétition-variation qui ont la prééminence : les premières greguerías attestent une certaine confiance dans la richesse du mot en soi, tout aussi éloquent que le « lenguaje disparado » des feux d’artifices.
53L’intuition du pouvoir de connotation que recèle le monde objectif est très forte chez Ramón : les mots ou les choses ne sont pas, pour lui, de simples objets inertes ; ils sont dotés de significations qui excèdent la pure dénotation. « Suggérer, voilà le rêve », aurait dit Mallarmé, dont le nom apparaît à maintes reprises dans l’œuvre de jeunesse de Ramón134, comme pour témoigner de l’héritage symboliste présent chez l’auteur. À l’instar de Mallarmé, Ramón recherche le signe capable de rendre l’impression laissée par les choses135. En ce sens, la « nouvelle littérature » ramonienne se rapproche de la « poétique très nouvelle » de Mallarmé, dont l’impératif esthétique est de « peindre, non la chose mais l’effet qu’elle produit136 ». Il ne s’agit plus de décrire ni de dénoter, mais de s’ouvrir à la possibilité de libres associations nouvelles, en cédant « l’initiative aux mots137 ».
… au costumbrismo littéraire
54Dans le contexte de la fin des années 1900, le milieu éditorial espagnol s’enrichit du phénomène des collections de nouvelles, auxquelles nombre de rédacteurs de Prometeo prennent part.
55Là encore, le banquet offert à Fígaro sert d’avertissement, puisque parmi les figures qui se détachent au sein de l’assistance au banquet138, plus de la moitié sont d’importants collaborateurs des collections de nouvelles qui connaissent leur essor à partir de 1907 en Espagne : Colombine, Felipe Trigo, Prudencio Canitrot, José Francés, Emiliano Ramírez Ángel et Antonio de Hoyos. Si l’on compare alors de façon systématique l’index de Prometeo qui clôt le numéro 24 de la revue139 avec le recensement des Raros y olvidados effectué par Federico Carlos Sáinz de Robles140, il s’avère que quinze des trente-huit membres emblématiques de la « promotion du Cuento Semanal » sont également collaborateurs de Prometeo141. Les nouvelles et la revue sont publiées de façon quasi simultanée, puisque El Cuento Semanal paraît durant cinq ans, de janvier 1907 à janvier 1912. De fait, en 1908, au moment où il écrit son premier article pour Prometeo, Emiliano Ramírez Ángel est déjà — et le restera jusqu’en 1912 — un collaborateur assidu du Cuento Semanal142, où voit le jour De corazón en corazón, dès le numéro 22 de la collection (31-V-1907). Son nom réapparaîtra, par la suite, dans les listes de collaborateurs des grandes collections de nouvelles des années dix : Los contemporáneos, dès la première année, El Libro popular, à partir de 1913, la deuxième année de publication ou La Novela Corta, à partir de 1917. La première d’entre elles, El Cuento Semanal, fidèle à la déclaration d’intention qui accompagne le premier numéro de la collection, offre aux jeunes plumes la possibilité d’un premier contact avec le public : « El Cuento Semanal publicará […] no sólo las firmas ya consagradas de los maestros, sino también las de esos jóvenes que hoy luchan en la sombra todavía pero que están llamados a ser los conquistadores del mañana143 ». Ainsi, José Francés connaît son premier succès éditorial en 1907, au travers de la nouvelle El Alma viajera (numéro 10, 8-III-1907), et Gabriel Miró forge sa renommée en remportant le premier concours inauguré par El Cuento Semanal en janvier 1908144, grâce à la nouvelle Nómada145, publiée dans le numéro 62 (6-III-1908). L’un comme l’autre feront partie des principaux collaborateurs de Prometeo146 qui, à son tour, donne à connaître au travers de recensions régulières les ouvrages que ceux-ci publient : El teatro asturiano (9) et La guarida (21), de Francés, La novela de mi amigo (2) et Las cerezas del cementerio (30), de Miró.
56La conscience du phénomène éditorial que représente El Cuento Semanal est, par ailleurs, inscrite dans les pages de Prometeo. Les numéros 8 et 9, publiés en 1909, contiennent d’explicites allusions à la publication lancée par Eduardo Zamacois. Celle-ci semble être devenue un élément de définition de l’époque, ainsi qu’en témoignent les premières phrases de la recension de Madrigales de Marín-Baldo par Francés : « No voy a ver si el título está bien ó mal puesto — en la época de los sonetos de trece versos y de los cuentos semanales todo se permite en materia de títulos147 ». Sur un ton moins railleur, Ramón fait, au contraire, l’éloge de l’un des numéros du Cuento Semanal, dont Eugenio Noel, collaborateur de Prometeo, est l’auteur : « Ganando en el cambio excesivamente sobre nuestros treinta céntimos, hemos encontrado en el Cuento Semanal un cuento formidable. […] Es la revelación de un inédito. Por eso apuntamos estos comentarios en esta sección148 ». La qualité du texte, inédit et pour un prix modique, ainsi que celle des illustrations de Julio-Antonio, attirent l’attention du futur directeur de Prometeo et légitiment la présence du Cuento Semanal dans la rubrique « Movimiento intelectual », qui a accueilli, auparavant, des commentaires sur rien moins que le Mercure de France (1) ou Akademos (5), sur la Asociación de Escritores y Artistas ou le banquet en l’honneur de Larra (4). En retour, le sommaire du numéro le plus récent de Prometeo apparaît, de temps à autre, au revers de la couverture du Cuento Semanal, qui est l’emplacement réservé aux annonces d’intérêt pour les lecteurs de la publication149.
57Outre cette concomitance temporelle, du point de vue thématique, Prometeo partage avec les collections de nouvelles de la fin des années 1900 un goût certain pour le costumbrismo150, omniprésent jusque dans les articles critiques de la revue151. Pour ne citer que quelques exemples emblématiques, dans le premier numéro de Prometeo figure un extrait d’une œuvre à paraître, Cabalgata de horas de Ramírez Ángel, qui est alors collaborateur régulier du Cuento Semanal et de Los Contemporáneos. Dans ce texte judicieusement intitulé « Epílogo desolado », le narrateur, accoudé à sa fenêtre, s’abandonne à une rêverie mélancolique sur ce que lui réserve l’avenir :
En los pocos años de mi vida, asomado al balcón dorado de mi mocedad, he visto pasar, varias veces, esa lenta y alucinante Cabalgata de horas. […]
Madrid no habrá cambiado. Las calles, las alamedas, los cinematógrafos, seguirán como siempre. Pero yo seré otro y no podré conocer nunca más, esa pequeña delicia de tomar un coche, en la Puerta del Sol, con una mujer sin hijos, y decir al cochero: « Arrea hacia la verbena. » […]
Entonces querré más a mis padres, a estos viejos que ahora juegan al tute y creen, como nunca creyeron, en Dios… Y querré más a mi mujer, y alguna tarde, al regresar a la oficina, entraré en « La Mallorquina » a comprarla unos pasteles152.
58La divagation de l’esprit du narrateur est le prétexte d’une divagation géographique dans l’espace madrilène qui ébauche une véritable peinture de mœurs du Madrid des années 1900 : la Puerta del Sol et l’institution de La Mallorquina, la verbena, le tute ; en somme, l’atmosphère des rues et paysages urbains de la capitale. C’est ainsi une illustration paradigmatique du costumbrismo madrileñista qui nous est donnée à lire.
59Un autre morceau de bravoure en la matière est celui qu’offre Francés dans un texte intitulé « El regionalismo de los labios rojos153 ». L’intention et la tonalité de cette pièce en prose sont tout entières résumées dans ces paroles liminaires : « he recogido un ramo de estos claveles de mujer y quiero irlo deshaciendo sobre el oro de esta tarde inverniza, para que el sol y los besos rimen con gallardía de bandera española154 ». Lyrisme, étude de mœurs et évocation du génie (au féminin) du peuple espagnol sont les ressorts fondamentaux de ce texte. Ce mince échantillon est tout à fait représentatif des choix littéraires qui caractérisent les débuts de Prometeo. C’est pourquoi il n’est pas étonnant que José-Carlos Mainer évoque « todo el confuso mundo nietzscheano y decadentista que, con algunas notas de vanguardismo destemplado, dio [Ramón] su primeriza revista Prometeo155 ». En réalité, hormis les exceptions ponctuelles des textes ramoniens ainsi que de certaines traductions d’auteurs étrangers, l’ensemble des rédacteurs ressortit à une esthétique nettement plus décadente qu’avant-gardiste — ce qui laisse aussi présager des attentes du public de l’époque, encore peu enclin aux audaces d’une littérature trop nouvelle. Celle qui est pratiquée dans le plus proche entourage de Ramón s’inscrit pleinement dans les canons de l’époque, qu’elle ne saurait fondamentalement remettre en question, ayant à répondre au goût des lecteurs encore acquis aux accents costumbristas d’une écriture confortable, voire routinière, en tout cas narrative et continue.
60Pour sa part, Ramón ne publie pas de prose costumbrista dans Prometeo. Pourtant, dès 1912, c’est un programme esthétique clairement marqué que présente l’auteur pour celle qui deviendra sa création emblématique :
La Greguería es el género que se debe escribir en los bancos públicos, en los pretiles de los puentes, en las mesas de los cafés, al ir solos en los simones lentos acompañando a los entierros, en las mesas de las cocinas, en los fogones, etc.156.
61Il y a, dans la greguería, une dimension d’observation de la réalité quotidienne et castiza. C’est d’ailleurs sans ambages que Cansinos signale l’extraction réelle de ce mot-titre :
La palabra greguería pertenece al léxico de los costumbristas madrileños y es frecuente, sobre todo, en Ramírez Ángel. En Madrid sentimental, son exaltadas líricamente por este novelista, el más lírico de nuestros noveladores, las greguerías de los órganos Limonaire. No hay que olvidar que una suerte de fraternidad juvenil une los acres comienzos de Gómez de la Serna con las ingenuidades de estos costumbristas157.
62On peut aisément vérifier que la première occurrence du terme greguería dans Prometeo a lieu dès le premier numéro la revue, au beau milieu de l’épilogue de Cabalgata de horas de Ramírez Ángel158. Le mot greguería réapparaît, d’ailleurs, dans la recension critique de cet ouvrage qui est publiée dans le numéro 4159, dont Ramón est probablement l’auteur puisque le compte rendu s’ouvre sur ces mots : « Ramírez Ángel cumple muy aceptablemente el ideal de la nueva literatura160 ». Ce que Ramón retient du second recueil de proses madrileñistas de Ramírez Ángel161, c’est le portrait fidèle qui y est dressé de « las cosas de la vida factible y cuotidiana162 » et de la ville comme réalité matérielle et sociale163. La qualité de l’écrivain costumbrista que met en avant Ramón est sa capacité d’observation, la plus fine possible :
Ramírez Ángel, en Cabalgata de horas, cuida el detalle muy esmeradamente. A veces plantea un conjunto con sólo un detalle. El detalle […] es genial o fácil. La percepción del detalle es cosa capital. El hallazgo de un solo signo ha descubierto todo el enigma del Egipto164.
63Le signe, ici, n’est pas exactement un symbole (malgré la métaphore du hiéroglyphe qu’emploie Ramón), mais bien plutôt le détail révélateur, auquel achoppe le regard de l’observateur et qui lui permet d’incorporer à la littérature une tranche de vie. Ramón donne trois exemples de ces phénomènes concrets : « los bocadillos, los cines, el tute », empruntés à deux chapitres du livre, dont il fait l’éloge en conclusion de sa critique.
64Le premier de ces deux chapitres en particulier, la « Tercera divagación », compose une série de tableaux miscellanées et reconstitue l’atmosphère du Madrid de la fin des années 1900, qui baignera, à son tour, les premières collaborations de Ramón dans La Tribuna, España ou El Liberal, au cours des années dix. La Villa y Corte est pour, Ramírez Ángel, « el pueblo de las verbenas y de los toros », où l’on circule en taxis Simones ou bien dans des tramways bondés ; qui embaume « el perfume de nardos » et dont le rythme est ponctué par les célébrations annuelles du Carnaval (avec son cortège de masques, d’affiches, de musique, de confettis et qui se clôt sur la fête du Domingo de Piñata)165. À l’exception du cirque, qui est « cosa rancia » chez Ramírez Ángel166, alors que (ou, peut-être, pour cette raison même ?) Ramón prétend au titre de « Cronista oficial del Circo », on pourrait citer plusieurs articles ou greguerías publiés dans la presse des années dix qui correspondent exactement à la tonalité et aux détails relevés par l’auteur de Cabalgata de horas : les chroniques des verbenas de l’été 1919 dans La Tribuna167 ou encore, parmi tant d’autres, la série de greguerías parues dans El Liberal sur le Carnaval168.
65Ce parallèle entre Ramírez Ángel et Ramón est particulièrement révélateur du type de collaborations que publie le second dans la presse madrilène, une fois terminée l’expérience de Prometeo : ces proses madrileñistas, en prise directe avec le genre de textes les plus récurrents dans les journaux de l’époque et auxquels souscrit le public. Les vignettes costumbristas de Ramón sont peu souvent commentées par la critique et constituent, pourtant, une part importante de la production ramonienne dans la presse. José Benito Fernández, l’un des rares critiques qui, après Miguel Pérez Ferrero ou Tomás Borrás169, ont prêté attention au journalisme de Ramón, rappelle que, des chroniques madrilènes que l’auteur commence à publier dans La Tribuna, « saldrán buena parte de sus libros de Madrid. […] Ramón ya se revelaba un incondicional de la civilización urbana, un militante del casticismo, el mejor madridólogo170 ». Les collaborations ramoniennes dans la revue España au cours des années 1919-1920 sont, à cet égard, exemplaires. L’auteur y évoque les lieux emblématiques de la ville, à tous points de vue, depuis le « Palacio de Cristal » (21-II-1920) jusqu’aux « Cafés cantantes » (2-X-1919), ainsi que les temps et les espaces de changement, comme « La nueva puerta del Retiro » (27-III-1920).
66Ramón s’inscrit ainsi dans un cercle plus grand : celui des costumbristas de la presse quotidienne, avec lesquels il coïncide, au fil des ans, dans les diverses publications auxquelles il collabore. Ramón se trouve, par exemple, aux côtés de Pedro de Répide dans les pages de La Tribuna et du Liberal : dans ce dernier, c’est en réalité depuis 1907 que Répide publie, dans un premier temps, des poèmes, puis des chroniques costumbristas, consacrées au « Madrid viejo171 » (qui s’intitulent, à l’époque où Ramón entre à la rédaction du Liberal, « Rincones de Madrid ») ; dans La Tribuna, il est distingué comme « el notable cronista, el documentado historiador, el periodista enterado y sagaz172 ». Ce témoignage de reconnaissance m’intéresse d’autant plus qu’il apparaît dans le cadre d’une annonce d’une édition spéciale du journal, dans le prolongement de celle que Ramón avait consacrée à la Puerta del Sol, le mois précédent :
Nuestro reciente éxito conseguido con La Puerta del Sol, nos ha movido a preparar un nuevo extraordinario dedicado a
La calle de la Montera.
Historia, anécdotas y aspectos de esta típica vía madrileña, aparecerán en el citado número, completado con profusión de interesantísimos grabados de época.
Pedro de Répide
el notable cronista, el documentado historiador, el periodista enterado y sagaz, se ha encargado de la parte literaria e informativa.
El nombre de Répide es suficiente garantía de acierto para que necesitemos insistir acerca de la importanca de nuestro extraordinario173.
67Ramón et Répide sont ainsi placés sur le même plan : le premier, car il a été distingué par le récent succès de son reportage sur la Puerta del Sol ; le second, en tant qu’illustre chroniqueur de Madrid depuis des années.
68À partir de 1920, les articles de Ramón voisinent avec tout un ensemble de chroniques aux titres éloquents de « Aspectos pintorescos de Madrid » ou de « Tipos de la Villa y de la corte », comme celles de Nilo Fabra et de Pedro Ayras, dans La Voz. C’est surtout l’époque où Ramón fait un certain nombre de déclarations sur son regard de journaliste : « Soy enamorado de lo pintoresco y de lo esencial174 », affirme-t-il, par exemple, dans El Sol, où il définit également le geste de l’écrivain-chroniqueur en ces termes : « Quiero pintar esta cotidiana y callejera tragedia antes de que se me olvide una vez más, pues siempre fui a relatarla recién sucedido el hecho175 ». Ramón a mis sa capacité à observer le quotidien au service d’une écriture de l’actualité la plus immédiate. Tel est le discours du jour, propre au journaliste et ancré dans la réalité la plus anodine et quotidienne, que Ramón assume, en le glosant métaphoriquement, dans un de ses articles de 1920, où il compare le quotidien aux ardoises de menu des restaurants :
Hay unos carteles o banderines en que aparece con vistas a la calle el plato del día. Son una nota de actualidad como el transparente periodístico, como el libro del día, como la revista a la que toca la salida hoy. En el optimismo de la mañana, en las miradas que se cruzan con ella, figura como una de las miradas más vivaces la mirada a ese cartel, siempre fresco y recientes, del plato del día176.
69Aussi n’est-il pas étonnant qu’au seuil des années vingt, la perception critique de Ramón Gómez de la Serna que pouvait transmettre l’ouvrage d’histoire de la littérature le plus récemment paru, souligne la double tendance de la prose ramonienne, entre modernismo et costumbrismo madrileñista :
Ramón Gómez de la Serna es un continuador del modernismo: además de algunos dramas, es autor de libros de asuntos madrileños, tratados en forma original. Citemos entre sus obras: El drama del palacio deshabitado (1909), El Rastro (1914), La viuda blanca y negra (novela, 1917), Greguerías (1917), Disparates (1921), El doctor inverosímil (1921), etc.177.
70Ce jugement critique peut sembler étonnant à un lecteur actuel, tant l’image que l’on a aujourd’hui de l’œuvre ramonien est résolument différente et l’idée semble entièrement acquise que « en el principio de la vanguardia fue Ramón178 ». La prise en considération des écrits antérieurs au succès des années vingt et des origines de la greguería — qui est l’une des coupables de cette assimilation de la prose ramonienne avec les techniques du fragment et du collage cubistes, de la deshumanización del arte, voire de l’analogie surréaliste — doit nous mettre en garde contre le titre de premier écrivain d’avant-garde espagnol dont se voit nanti Ramón. De la même façon, il est temps de commencer à relire différemment Prometeo, non pas comme la revue qui publie Marinetti et ses manifestes futuristes, mais bien plutôt comme celle qui publie Ramírez Ángel, les frères González-Blanco, Francés ou Cansinos, aux côtés de Colombine, de Juan Ramón et de Silverio Lanza.
III. — L’ANTI- « GENERACIÓN UNIPERSONAL » DE RAMÓN GÓMEZ DE LA SERNA
Una vez ha dicho Ramón que él no es de ninguna generación, que él es el único de su generación. Creo más bien que se ha comido a sus compañeros y excusa su crimen diciendo que ha salido solo del puerto179.
Les collaborateurs de Prometeo et leur parcours éditorial
Toda labor solitaria es, pues, idealmente colectiva y su aislamiento no puede ser aducido nunca como una cimera de originalidad180.
71Melchor Fernández Almagro, dans son article aujourd’hui canonique (quoique fauteur de troubles et de confusions) sur la « génération unipersonnelle » de Ramón voit juste lorsqu’il analyse en ces termes la composition de Prometeo :
¿Dónde, pues, hemos de buscar la generación de Ramón Gómez de la Serna? […] Prometeo se nos presenta hoy como un colector de las más diversas aspiraciones estéticas. La nota más personal, ya la daba Ramón. Pero la dominante no era ciertamente la suya, sino la de otro grupo más denso de colaboradores. Colaboradores que, al propio tiempo, lo eran de El Cuento Semanal181.
72Pour autant, la réponse définitive que le critique apporte à la question initiale me semble, à tout le moins, nuançable :
¿En sus coetáneos o en los conmilitones de sus primeras armas? Porque adviértase que no coinciden en la cronología literaria los unos con los otros. Ramón fue un chico precoz, anticipado en su revelación, tempranero e impaciente, como surgido a las letras en Prometeo, cuando los muchachos de su edad apenas si tenían otra procupación que la de aprobar las asignaturas del Bachillerato182.
73Cette dernière affirmation est discutable à plusieurs titres. Tout d’abord, parce que les jeunes collaborateurs qui entourent Ramón dans le cadre de Prometeo s’engagent dans la carrière des lettres dès la fin des années 1900 et publient dans des revues littéraires et culturelles spécialisées (Nuestro Tiempo, La República de las Letras, Renacimiento), alors que les premières collaborations ramoniennes régulières dans la presse se font dans le cadre de La Región Extremeña (où Ramón publie en toute liberté en tant que cousin de l’ancien directeur du journal183), puis de Prometeo. Par ailleurs, s’il se distingue indéniablement par le style qui lui est propre et s’il ne prend pas part à l’entreprise du Cuento Semanal, Ramón n’en participe pas moins pleinement des réseaux et des milieux éditoriaux dans lesquels évoluent l’ensemble de ses collaborateurs de Prometeo.
74Grâce au sommaire de Prometeo établi par Pura Fernández, il est aujourd’hui aisé d’établir la liste des 122 rédacteurs de la revue, dont 38 auteurs étrangers. Afin de déterminer au sein de cet ensemble considérable quels sont les collaborateurs les plus présents et assidus dans la revue, il faut prendre en compte certains éléments complémentaires signalés par Eloy Navarro Domínguez : « la nómina de participantes en los llamados “diálogos triviales” y en las de los banquetes organizados por Prometeo en honor a Larra (5, 44-59) y a la Primavera (37, 138-144) y la dedicatoria colectiva du Drama del palacio deshabitado (12, 33)184 ». Il ressort du croisement de ces diverses données la liste suivante des auteurs de cinq textes ou plus : Ramón Gómez de la Serna, Javier Gómez de la Serna, Emiliano Ramírez Ángel, Andrés González-Blanco, Juan Ramón Jiménez, Carmen de Burgos, Ricardo Baeza, Rafael Cansinos Assens, Edmundo González-Blanco, Silverio Lanza, José Francés, Ramón Goy de Silva et Benito Buylla. Parmi ces collaborateurs les plus fréquents, je me suis intéressée aux figures mineures et peu connues de Ramírez Ángel185, González-Blanco et Francés, les « trois mousquetaires186 » du Madrid littéraire de l’époque187. Il conviendra de leur ajouter, ne serait-ce que ponctuellement, le nom de Tomás Borrás, car c’est lui qui, avec la complicité du rédacteur en chef Luis Gil Fillol, permet à Ramón d’accéder au quotidien La Tribuna, qui lui offre sa première expérience du métier de journaliste hors de Prometeo et où il publiera dix ans durant, de 1912 à 1922188. Il ne s’agit donc pas uniquement de pairs de Ramón, mais d’un cercle de proches de l’auteur, d’un réseau d’amitiés, dont Ignacio Soldevila Durante souligne l’importance, à propos de La Hoja de Parra, l’une des publications où ils seront, à nouveau, collaborateurs à partir de 1911 :
La relación de coetaneidad es elemento básico de los años formacionales y de la entrada en sociedad en general como en la literaria en particular. El grupo formado por Ramón, con Andrés y Edmundo González Blanco, Emiliano Ramírez Ángel, Tomás Borrás, Federico García Sanchiz, y artistas como Bartolozzi o Julio Antonio, aparece siempre aunado y codo con codo tanto en los rituales gestos de agresión contra los mayores como en las ceremonias de auto-afirmación. Desde la colaboración en torno a Prometeo, que es el primer lugar de convergencia importante, sus nombres aparecen unidos. En La Hoja de Parra ocurre, como ocurriera en Prometeo y sucederá luego en La Tribuna, bastando que uno ponga un pie en la empresa para que los nombres de los otros vayan aparenciendo en los números sucesivos. Unidos en el banquete a Fígaro, […] el « Club de los Terribles » hace los mismos gestos, abraza las mismas causas, manifiesta las mismas fobias189.
75Tous ont plus ou moins le même âge : Ramírez Ángel et Francés sont nés en 1883, González-Blanco en 1886, Ramón en 1888 et Borrás en 1891. Chacun, en outre, se caractérise par un type de production littéraire et culturelle bien précis : Ramírez Ángel est, en prose, un madrileñista des plus féconds, dont la production littéraire présente nombre d’affinités avec celle de Ramón ; González-Blanco est un critique littéraire et politique de renom dans les années dix, membre de l’Athénée de Madrid et conférencier ou organisateur de banquets (toujours sérieux, contrairement à ceux que promeut Ramón Gómez de la Serna)190 ; Francés, enfin, est un critique d’art (aux antipodes de l’avant-garde artistique) et initiateur des Salons des Humoristes (graphiques)191 — autant de voies particulières de professionnalisation en tant qu’hommes de lettres.
76Autre point commun : pour González-Blanco, Ramírez Ángel et Francés, les débuts littéraires et la promesse d’une reconnaissance par le public se font grâce à des concours de nouvelles. Francés, tout d’abord, remporte le premier prix du concours lancé par Blanco y Negro, en 1905, avec un récit intitulé Alma errante et, l’année suivante, le deuxième prix du concours du Liberal, avec Ley de amor ; il s’incorpore dès 1907 au phénomène des collections de nouvelles, El Cuento Semanal, Los Contemporáneos ou La Novela de Bolsillo192. Tout comme Francés, Ramírez Ángel et González-Blanco font leurs débuts dans El Cuento Semanal193, même si le premier sera ensuite plus volontiers associé au roman La Tirana, qui remporte le prix du concours ouvert par La Novela Ilustrada de Blasco Ibáñez, en 1907, et que, chez le second, la dimension critique se profile déjà au travers du premier volume de son histoire de la littérature intitulée Los Contemporáneos, également parue en 1907, à Paris, dans la maison d’édition Garnier et qui est le fruit des essais critiques que l’auteur publie depuis 1905 dans Nuestro Tiempo.
77En 1908, lorsque Prometeo voit le jour, Francés, González-Blanco et Ramírez Ángel ont tous à leur actif éditorial au moins un ouvrage publié : outre Los Contemporáneos, González-Blanco publie au cours de l’année 1908 Los grandes maestros. Salvador Rueda y Rubén Darío, ouvrage critique auquel est consacré une recension dans le premier numéro de Prometeo ; Ramírez Ángel est, lui, l’auteur de deux romans intitulés Madrid sentimental et Cabalgata de horas ; enfin, Francés a, à son actif, quatre ouvrages dans quatre maisons d’édition différentes : Dos cegueras, chez Fernando Fé, Abrazo mortal, chez Ramón Sopena, Miedo, chez Sempere, et Guignol, édité par Pérez Villavicencio en 1907, tout comme l’est Madrid sentimental. Par ailleurs, chacun des trois auteurs poursuit, pendant ou après l’expérience de Prometeo, son parcours éditorial auprès de maisons d’édition des plus prestigieuses ou célèbres, comme celle du très moderniste Gregorio Pueyo194, celle des Sucesores de Hernando (l’éditeur de Galdós)195 ou bien Renacimiento196 — vingt ans avant qu’Elucidario de Madrid (1931) de Ramón n’entre au catalogue de la « Biblioteca Renacimiento » —, Prometeo197 — où seront également publiés El Rastro (1914) et Greguerías (1917) —, Sempere198 — qui publie, quelques dix ans plus tard, El Chalet de las rosas (1922) et la réédition du Circo ainsi que le recueil de nouvelles La malicia de las acacias (1924) — et Biblioteca Nueva199 — où voient le jour, à la même époque, Muestrario (1918), puis tous les grands romans ramoniens : La viuda blanca y negra (1921), El secreto del acueducto (1923) et La Quinta de Palmyra (1925).
78Comme pour l’essentiel des co-rédacteurs de Promoteo, il est évident, malgré tout, que la principale activité éditoriale des trois auteurs ici considérés a pour support matériel la presse, essentiellement hebdomadaire ou mensuelle. Celle-ci est la principale voie de diffusion de leur œuvre ainsi que de leur production critique et il faut souligner combien leurs noms y sont omniprésents au cours des années 1910-1920. González-Blanco et Ramírez Ángel, par exemple, collaborent tous deux dans la revue Nuestro Tiempo à des dates précoces ; le premier au travers d’essais critiques littéraires développés, qui composent la section « La vida literaria », dès 1904, et le second, en tant qu’auteur de recensions ponctuelles, qui viennent nourrir la section « Revista bibliográfica » durant deux ans, 1907-1908. Chacun des romans de Ramírez Ángel fait, par la suite, l’objet d’un compte rendu critique dans la revue, souvent très favorable200. González-Blanco reste, lui, fidèle à Nuestro Tiempo, où son nom apparaît avec régularité jusqu’en 1922, toujours au bas de réflexions critiques sur les grandes figures littéraires de l’époque ou sur les conflits internationaux du moment (la guerre du Maroc et la première guerre mondiale). La revue apparaît, d’ailleurs, en tête des publications citées par l’auteur dans un entretien de 1919, où il relate ses débuts dans la presse :
Tenía 17 años cuando publiqué un artículo de crítica sobre Azorín en una revista que se editaba en Madrid con el título de Nuestro Tiempo. Simultáneamente publiqué un trabajo, de crítica también, en la Revista Contemporánea, y en Blanco y Negro una poesía titulada « Ante el San Bernardino del Greco ». En el año 1905, en la revista La República de las Letras, publiqué los « Poemas de provincia », versos recopilados más tarde en un volumen, e hice una verdadera campaña sobre el tema crítica literaria, firmando todos los artículos con el seudónimo de Luis de Vargas. En el año 1906 fui redactor del diario España, que dirigía Salvador Canals. En el año 11 entré en La Noche, que se publicaba bajo la dirección de Antonio Palomero, excelente amigo mío. En el año 18 fui redactor de El Fígaro; poco más tarde redactor de La Jornada, y en enero del año presente director de este diario. En el mismo 1918 dirigí la excelente revista literaria Cervantes, dejando este puesto al encargarme de La Jornada (En aquél me ha sustituido mi admirado amigo Rafael Cansinos)201.
79Le parcours ici remémoré par l’auteur dans ces quelques lignes est presque complet et l’importance du milieu et des accointances au sein du champ culturel y est patente : la présence d’amis est soulignée à plusieurs reprises et le réseau de connaissances de González-Blanco est d’autant plus étendu que ses frères aînés, Pedro et Edmundo, appartiennent, avant lui, à un certain nombre de rédactions de journaux ou de revues littéraires. Pedro fut l’un des fondateurs d’Helios avec Juan Ramón Jiménez202 ; il fit également partie de comité de rédaction de La Républica de la Letras, où entre Andrés dès la première époque de 1905, avant d’être rejoint par Ramírez Ángel, à partir de 1907. Par ailleurs, la signature d’Andrés se retrouve aux côtés de celle d’Edmundo dans Nuestro Tiempo. La presse des années dix est un petit monde, où les anciens rédacteurs de Prometeo coïncident très souvent203.
80C’est le cas, par exemple, dans les revues du groupe Prensa Gráfica, que sont Nuevo Mundo (1892-1933) et La Esfera (1914-1931), auxquelles González-Blanco oublie de mentionner sa participation en 1919. À la première, il contribue pourtant au travers d’une série d’articles publiés entre 1915 et 1916 autour de l’idée de « Lo antiguo y lo moderno », qui consistent en des impressions sur les villes et monuments des provinces espagnoles ou du Portugal. Au début des années vingt, ses articles seront centrés plus spécifiquement sur Tolède, où il fait un séjour de convalescence quelque temps avant sa mort, en 1924204. Le cas de La Esfera est plus intéressant, dans la mesure où González-Blanco y retrouve Ramírez Ángel et Francés. Si ses collaborations sont plus ponctuelles que celles de ses deux co-rédacteurs, González-Blanco est néanmoins présent dans la revue depuis le numéro 10 du 7-III-1914 et jusqu’en 1924. C’est toutefois le nom de José Francés et son pseudonyme, Silvio Lago, qui sont indéfectiblement associés à La Esfera. Francés en devient le critique d’art attitré dès le premier numéro, et sa section intitulée « De Norte a Sur : Movimiento artístico y literario » lui ouvre une brillante carrière placée sous le signe des Beaux-Arts. Ramírez Ángel est, lui aussi, un contributeur fidèle de La Esfera, où il publie à partir du numéro 11 (14- III-1914) des vignettes madrileñistas, qui sont en partie reprises, l’année suivante, dans le volume miscellanées Bombilla-Sol-Ventas. Entre 1915 et 1928, Ramírez Ángel publie, en moyenne, autour de dix articles par an dans La Esfera205. Il s’agit de chroniques, de contes et de poèmes, pratiquement toujours mis en valeur par une illustration — tantôt une photographie (parfois en couleurs), tantôt un dessin ou un paysage de Tovar, de Penagos, de Bartolozzi ou de Ricardo Verdugo Landi (le fondateur, avec son frère Francisco, de La Esfera). Au travers de ces collaborations à La Esfera se manifeste de façon évidente la particulière synergie qui existe entre les écrits de Ramírez Ángel et ceux que Ramón commence à publier dans la presse à la même époque. Malgré une présence notable dans les pages de La Esfera, la publication à laquelle le nom de Ramírez Ángel est associé de façon permanente est la revue hebdomadaire Blanco y Negro, où l’auteur publie un premier article en 1911, avant de devenir un collaborateur régulier à partir de 1916 et d’être finalement nommé rédacteur en chef le 1-I-1925, poste qu’il occupe jusqu’à sa mort, en 1928. Comme ceux de La Esfera, les articles que publie Ramírez Ángel dans Blanco y Negro comportent toujours un élément narratif, qui structure la vignette costumbrista, en prenant pour objet une situation (l’attente chez le barbier, le spectacle d’une corrida vue depuis un balcon206) ou un « type » de personne (comme « El timbalero », « El novio infatigable » ou « Los señores maceros207 »). Sans aucun doute, la dimension costumbrista est présente dans chacune de ces pièces : il s’agit bien de faire le portrait des mœurs et du quotidien de la société madrilène des années dix, pour rendre témoignage d’un temps et d’un espace qui est soumis à un changement dont l’observateur est pleinement conscient. L’article probablement le plus exemplaire des écrits de Ramírez Ángel dans Blanco y Negro est celui qui valut à son auteur le prestigieux prix Mariano de Cavia, en 1924 : « El balcón de los pájaros208 » présente la costumbre nouvelle de laisser, dans Madrid, les oiseaux se poser sur les balcons.
81Certains des articles de Ramírez Ángel sont chapeautés de l’étiquette générique « Madrileñerías » et, là encore, laissent transparaître une certaine ressemblance avec les textes que Ramón publiera dans la presse quelques années plus tard. Pour ne donner qu’un exemple, il est intéressant de comparer l’article de Ramírez Ángel intitulé « Los pregones callejeros », publié en 1917209, avec la série de « Variaciones » ramoniennes publiées dans La Tribuna, au cours de l’été 1920 : « Pregones desparecidos », « Los pregones de ayer, que aún viven hoy » et « Pregones de hoy210 ». Dans les deux cas, il s’agit de faire entendre la voix des crieurs de rues comme l’écho d’un monde qui change. La série d’articles de Ramón répond ainsi au projet, explicité dans les trois titres, de présenter « en tres capítulos la historia del pregón211 », ce que Ramírez Ángel suggérait déjà lorsqu’il invitait à considérer « ese grito […] que se pierde calle arriba […] canta con su modestia la historia cotidiana de la urbe, sus gustos, sus costumbres, su carácter, que, insensiblemente y al través del tiempo, van evolucionando212 ». Le cri des marchands ambulants acquiert ce statut de témoignage historique dans la mesure où il est, pour les deux auteurs, un élément de définition de la ville elle-même (Madrid) et de ses usages : « ¿Se concibe una calle sin pregones ? », interroge, incrédule, Ramírez Ángel ; Ramón répond sans ambages que « Madrid ha conseguido su identidad y continuidad gracias a los pregoneros. […] Gracias a ellos la ciudad se reconoce, se encuentra y persiste213 ». Chacun reproduit alors, dans le texte de son article, plusieurs exemples de ces cris-annonces (« ¡Melonero, melones…! » et « ¡Moras, moritas, moras…! » apparaissent tant chez l’un que chez l’autre). Mais l’aspect le plus frappant de la comparaison entre les deux corpus de textes est d’ordre stylistique, puisque les deux auteurs proposent plusieurs définitions imagées tout à fait greguerísticas de l’activité des crieurs de rue. Gourmandises (golosina) pour les deux auteurs, les cris des marchands ambulants sont, plus spécifiquement chez Ramírez Ángel, des « aves sonoras […], son pintorescos, persuasivos y de eficacia indiscutible », comme la « gaceta viva del rodar de las estaciones » ou encore « son como la “cuarta plana” de la calle », tandis que Ramón évoque « esos cohetes de la voz que son los pregones », dont il imagine graphiquement l’efficacité de la façon suivante : « el éxito del pregón es lanzar la voz en forma de gancho214 ».
82De tous les co-rédacteurs de Prometeo ici considérés, Ramírez Ángel est, sans aucun doute, le plus proche de Ramón ; de toute évidence, parce qu’il écrit principalement des chroniques et des récits ou nouvelles, plutôt que des critiques (domaine dans lequel sont spécialisés González-Blanco pour la littérature, Francés pour les arts graphiques et plastiques et Borrás pour le théâtre). En outre, Ramírez Ángel partage avec Ramón la caractéristique d’être un écrivain prolifique notoire. Dans la nécrologie qu’il rédige pour Blanco y Negro, Marciano Zurita, poète nationaliste et proche de Ramírez Ángel, souligne cet aspect du parcours de l’auteur de La Tirana :
Dentro de la moderna generación literaria, que tanto y tan bien escribe, era Ramírez Ángel uno de los literatos que más y mejor escribían. Cuarenta tomos de novelas, de crónicas, de ensayos, de biografías y de versos, amén de doscientos artículos anuales, demuestran lo primero. Una cualquiera de sus páginas atestigua lo segundo215.
83Ce sont des mots et des calculs tout à fait similaires que l’on peut lire à propos de Ramón à la même époque. Dès 1918, Luis Gil Fillol consacre une page entière de La Tribuna à la figure de « Ramón », collaborateur original, qui s’ouvre sur ces mots : « Hasta ayer había publicado Ramón Gómez de la Serna cuarenta libros, algunos de un tamaño gigantesco y en tipo imperceptible216 ». Il est, cependant, une différence remarquable entre les deux auteurs dans la mesure où Ramírez Ángel atteint la reconnaissance, en tant que madrileñista, que Ramón n’obtient pas : tout d’abord, au travers du prix Mariano de Cavia en 1924217 puis, trois ans plus tard, en recevant le prix Castillo de Chirel de la Real Academia Española, spécialement attribuée à « una colección de artículos de costumbres218 ».
84La précision a son importance, car c’est bien du travail de journaliste de Ramírez Ángel dont il s’agit. Celui-ci gagne, en quelque sorte, le titre de « Cronista de Madrid » auquel Ramón a longtemps prétendu219, mais il le fait dans le strict cadre du milieu journalistique. Ramón, au contraire, passe à la postérité grâce à son style, diffusé dans une œuvre publiée abondante220, et il est évident que le patient labeur journalistique qui fut son activité quotidienne à partir de la fin des années dix est, à ce jour, tombé en complète désuétude. Il est pourtant nécessaire de le replacer dans ce panorama-là, celui des conditions de production et de consommation de l’époque dans lesquelles il se forme et selon lesquelles le public commence à avoir accès à sa prose.
85Si la construction canonique de l’histoire de la littérature espagnole a donné a posteriori une place précise à Ramón, en prenant en considération les livres qu’il a publiés, elle a laissé de côté l’œuvre journalistique de l’auteur et, par conséquent, ne saurait refléter l’écho ou la renommée qu’il put avoir entre la fin des années dix et les années vingt — une renommée que Ramón conquiert de l’intérieur du marché éditorial. « L’auteur des Greguerías » est reconnu aujourd’hui comme un précurseur des avant-gardes littéraires en Espagne (identifié comme tel par certains des poètes qui déterminent le canon dominant du xxe siècle, ceux dits del 27, comme José Bergamín, Luis Cernuda ou Juan Chabás221) et comme l’unique membre de sa « génération unipersonnelle ». Pourtant, on pourrait trouver un contre-exemple de cette idée communément associée à la situation littéraire de Ramón dans l’œuvre théâtrale qu’il compose à l’époque de la revue Prometeo. Sans être précisément avant-gardiste, le théâtre ramonien pouvait être perçu à l’époque comme expérimental222. Pour autant et pour tout « moderne » qu’il fût, il ne reçoit pas d’écho spécifique au sein du public de l’époque. Ce n’est que lorsque Ramón parvient à s’établir dans le cadre du marché éditorial et culturel de l’époque — au travers de ses collaborations omniprésentes dans la presse des années 1910-1920 ou bien au travers des conférences-spectacles qu’il entreprend de donner à la même période — qu’il est lu, qu’il devient progressivement une figure remarquable et qu’il commence à travailler à sa postérité223
86En ce qui concerne plus précisément le mythe de la « génération unipersonnelle de Gómez de la Serna » (Fernández Almagro), que ce dernier conforte dans ses premiers Mémoires autobiographiques de 1924224, sa simple existence suggère que l’entrée de Ramón dans le champ littéraire espagnol ainsi que sa situation par rapport à ses contemporains sont mal connues. Car, ce qui se dégage des trajectoires de González-Blanco, de Ramírez Ángel ou de Francés que l’on vient de suivre à distance, c’est qu’au cours des années dix, les anciens co-rédacteurs de Prometeo évoluent dans le panorama des Lettres espagnoles et se professionnalisent précocement, bien avant Ramón. Ce dernier, au contraire, s’incorpore progressivement au milieu des Lettres espagnoles, dans lequel il entre grâce à un réseau d’amitiés déjà établies (qui compte les figures de Carmen de Burgos ou d’Ortega, mais également des figures mineures comme celle de Tomás Borrás225).
87Il est vrai que tous ne se consacrent pas exclusivement à la littérature ou à la critique (Francés est employé des Postes et Ramírez Ángel est clerc dans diverses institutions publiques226), mais ils franchissent néanmoins les étapes de leur cursus honorum littéraire. Francés, par exemple, bénéficie de plusieurs témoignages de reconnaissance de ses écrits : tout d’abord, il voit sa pièce Cuando las hojas caen interprétée en 1908 dans le cadre de la programmation du Teatro de Arte. Puis, après avoir été rédacteur en chef de Revista Crítica — la revue fondée par Carmen de Burgos en septembre 1908 et où Ramón collabore pour la première fois hors de Prometeo —, il conduit plusieurs campagnes de conférences sur des thématiques artistiques aussi diverses que l’humour graphique, l’œuvre de Goya, de Zuloaga ou de Castelao227. En décembre 1914, il inaugure la première Exposición de Humoristas228, qui deviendra bientôt un Salon annuel, renommé et salué par la critique. À partir de 1916, Francés édite la série des volumes annuels intitulés El Año Artístico, qui lui vaut un hommage par ses pairs, en 1917, célébré sous la forme d’un banquet au Ritz229. La consécration définitive a lieu en décembre 1922, lorsque Francés entre à la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando230. À bien des égards, González-Blanco suit, lui aussi, une voie académique : jeune critique littéraire spécialiste de Clarín, Campoamor, Darío ou encore de la poésie portugaise et latino-américaine, il délivre nombre de conférences dès le début des années dix. En 1914, par exemple, il prépare une série de conférences pour le compte du Ministerio de Instrucción Pública sur la figure de Juan de Valdés231. Il devient ensuite membre actif de l’Athénée de Madrid (qui lui remet un prix en janvier 1917 pour la monographie Galdós, su vida y su obra232). Par ailleurs, il participe, souvent depuis le comité d’organisation, à de nombreux banquets en l’honneur de poètes, d’écrivains ou de personnalités politiques233. Il est également rédacteur en chef de Cervantes en 1918 et directeur de La Jornada en 1919. Borrás, quant à lui, est rédacteur de La Tribuna dès sa création en 1912, où il introduit Ramón. Il devient, par la suite, critique théâtral, un critique théâtral alors reconnu, voire redouté, si l’on en croit les reproches publiés dans la presse de l’époque234. Enfin, en 1917, Ramírez Ángel est directeur d’Informaciones et de la « Sección literaria » de la revue Música. Il est également, aux côtés de González-Blanco et de Francés, à la tête de la Commission chargée de l’édification du monument à Pérez Galdós, qui est inauguré dans les jardins du Retiro en janvier 1919235.
88L’année 1919 représente précisément un moment d’articulation pour Ramón, qui devient alors pleinement écrivain professionnel. C’est à la fin de cette année-là qu’il commence à publier hors de La Tribuna un nombre significatif de collaborations rémunérées (plus de 150 pour l’année 1920236), dans des publications aussi importantes qu’El Liberal ou España. Exception faite de la monographie sur El Rastro, ses premiers livres publiés par des maisons d’édition et non plus à compte d’auteur, paraissent à partir de 1917237. Par ailleurs, Ramón publie seulement après 1920 des ouvrages qui ne sont plus uniquement des collections d’articles publiés dans la presse : La Viuda blanca y negra, El Gran Hotel, El Incongruente, El Chalet de las Rosas238. Le début des années vingt marque également le temps des premières proses narratives : Gómez de la Serna entre réellement dans le système des collections de nouvelles, après deux tentatives ponctuelles au cours des années dix239, au travers de la collection La Novela Corta, où il publie non moins de douze nouvelles entre 1921 et 1925, avant d’intégrer d’autres collections comme La Novela Semanal ou La Novela Mundial. Assurément, dès 1915, il joue son rôle dans la sociabilité littéraire de l’époque, au travers des réunions du samedi dans le Café y Botillería de Pombo240, ainsi que des nombreux banquets dont il devient l’organisateur attitré au début des années vingt241. Mais son incorporation au marché littéraire proprement dit, comme entité commerciale et de diffusion auprès du public, est finalement tardive. Car, à hauteur de l’année 1919, ses anciens collaborateurs de Prometeo ont déjà collaboré dans Nuestro Tiempo (dès 1905, pour González-Blanco et en 1907-1908 pour Ramírez Ángel), dans La Esfera (depuis 1914, tant pour Francés que Ramírez Ángel ou pour González-Blanco), dans Nuevo Mundo, Por esos mundos (pour Borrás, en 1914-1915 et pour Francés, en 1916), dans La Lectura (où Francés rédige alors la rubrique « Vida artística »), dans Blanco y Negro (pour Francés et Ramírez Ángel) ou encore dans La Ilustración Española y Americana (où Ramírez Ángel et González-Blanco publient une série d’articles entre 1915 et 1916, tandis que Borrás est, à la même époque, le critique théâtral de la revue).
89Ces quelques données comparatives invitent à relativiser l’« unipersonnalité » ramonienne. Ainsi que le suggère Morris, « esa “generación unipersonal” que le asignó Melchor Fernández Almagro [a Ramón] no le hizo justicia ni a él ni a los que le rodeaban242 ». Au fil des années dix, Ramón est entouré de ses anciens collaborateurs de Prometeo, qui lui montrent en quelque sorte la voie journalistique à suivre. Il les rejoint, de fait, dans La Esfera et dans Nuevo Mundo, respectivement à partir de 1920 et de 1922. Ces auteurs, aujourd’hui oubliés243, sont ceux qu’il côtoie alors, auprès desquels il fait ses débuts dans la presse et avec qui il a plus en commun qu’il n’y paraît.
Le (tardif) processus de professionnalisation ramonien
90Une fois sorti du giron de Prometeo, Ramón s’adapte à l’expérience de la presse quotidienne à travers la collaboration régulière qu’il inaugure dans le journal La Tribuna, à partir de janvier 1913. Dans cette initiation au métier de journaliste, l’auteur apprend à cultiver une prose à mi-chemin entre l’écho de l’actualité immédiate et le style qui fait le propre du ramonismo. Ainsi, les rubriques que Ramón crée dès 1913, sous le titre de « Variaciones », « Poliorama » ou « La vida », constituent une sorte de transition ou de consensus entre les ambitions de la nouvelle littérature et les goûts du public :
Hay un público de masas. A ellas va lo castizo y fisgón del costumbrismo, que llega despiezado a la prensa de primeros de siglo: rápidos apuntes (ráfagas, alfilerazos, volanderas) que distraen al lector y reflejan la actualidad. En ellos se inspira la greguería. […] No sólo la greguería; por la vía de ese pintoresquismo insólito discurren también su madrileñismo, gollerías y parte de su ramonismo y miscelánea244.
91Ce sont ces « notes rapides » que Ramón égrènera surtout dans la presse des années vingt et qui feront le succès de son travail de journaliste. Avant cela, il passe par une phase d’adaptation au milieu de la presse quotidienne à grand tirage et c’est la période 1912-1914 qui constitue un moment de transition déterminant pour son œuvre future. Les deux ans qui séparent le dernier numéro de Prometeo, où paraissent les premières greguerías, et l’inauguration dans La Tribuna de la section « Variaciones » ainsi que des chroniques de la guerre du « Diario de un lector » ou encore la publication du Rastro245, supposent, pour Ramón, une série de changements radicaux dans le style et dans la conception du métier d’écrivain-journaliste. C’est Tomás Borrás qui fait entrer son ami d’enfance dans le cénacle de La Tribuna, afin d’« airear su nombre, popularizarle después de sus conatos y logros secretos de círculo estrechísimo246 ». Comme le suggère Bernard Barrère, la création de la greguería coïncide avec l’entrée de Ramón dans le milieu de la presse quotidienne, hors du cercle étroit de Prometeo :
Ramón enrageait de constater qu’il atteignait uniquement le public qu’il haïssait le plus, celui des auditeurs de complaisance, politiquement liés au clan familial. La greguería se produit désormais dans un champ d’expérimentation plus authentique, qui n’admet plus la complaisance des subordinations et qui expose aux risques de l’incompréhension, du dénigrement. La greguería signifie l’entrée en littérature ou, du moins, la prise de risque dans le journalisme247.
92Et la prise de risque est réelle puisque Ramón doit faire face à la polémique que déclenche la parution des greguerías dans le quotidien La Tribuna, entre janvier et septembre 1913248. Dans la nécrologie que lui consacre Borrás en 1963, l’épisode est relaté dans le plus grand détail : les greguerías suscitent l’irritation générale et les abonnés de province commencent à faire défaut au journal. Avec le soutien de Borrás (qui publie plusieurs séries de « Greguerías249 » en témoignage de sa solidarité à leur créateur) et celui du rédacteur en chef, Gil Fillol, Ramón parvient à conserver sa collaboration à La Tribuna. Il procède toutefois à un certain nombre d’ajustements dans le type de collaborations qu’il propose à partir de la fin de l’année 1913. Hormis trois ultimes tentatives de popularisation de la greguería, au travers d’une série d’articles didactiques visant à expliquer les intentions esthétiques de cette modalité particulière d’écriture en prose et proposant même plusieurs exemples commentés de greguerías, les articles ramoniens changent de ton et d’objet et les greguerías disparaissent des pages de La Tribuna de 1915 à 1919. La relation avec l’actualité devient de plus en plus évidente et l’adaptation au co-texte immédiat du journal se fait patente. Ramón lance, en effet, plusieurs sections « nouvelles » : les « Variaciones » madrileñistas ; les chroniques d’un observateur à distance de la guerre, intitulées « Diario de un lector », ou encore les récits de ses voyages en Europe, « Andanzas ». En réalité, chacune de ces sections correspond — à l’exception du style ramonien, qui reste le trait distinctif de la production littéraire de l’auteur —, à d’autres séries d’articles rigoureusement contemporains : Tomás Borrás, en 1914, publie certains de ses articles sous l’étiquette générique de « Aspectos » et l’on doit, entre autres, à Julio Romano les vignettes costumbristas sur Madrid ; à partir de l’été 1914, le journal publie de façon périodique une double page centrale intitulée « Nuestros cronistas en la guerra », à laquelle Ramón participe à plusieurs reprises250, et l’on pourrait citer également les chroniques ponctuelles d’Antonio Gullón, « Glosas neutrales », qui paraissent à l’automne 1914 ou encore, légèrement postérieures, mais très proches dans la tonalité, les « Observaciones en el teatro de la guerra » de Vicente Gay.
93Il faut alors citer un article essentiel dans l’appréhension de ce processus de mutation de la prose journalistique ramonienne, publié par l’auteur le 10-VII- 1914 et dédié à « Tomás Borrás el noble », qui l’a soutenu l’année précédente. Ramón y explique qu’il doit se plier, malgré lui, aux règles de l’actualité :
Ocuparse de la actualidad nos descontenta. Sabemos que es algo ingrato, aun para los que profesionalmente lo hacen a diario […].
Nosotros oímos, sabemos, olemos, vemos, tocamos quizás la actualidad, pero nos sentimos inactuales dentro de ella, llenos de otra actualidad más densa. Sólo los que no tienen esa actualidad íntima son los que « hacen » esa actualidad terrible y excesiva, que suena a hueco […].
Sin embargo, a veces hay que referirse a esa actualidad, a la que nos habíamos propuesto no aludir, por cierto pudor un poco superfluo251.
94L’article est, du reste, consacré à la corrida, thème qui fait l’objet d’une section hebdomadaire spécifique dans le journal et par lequel Ramón prétend montrer qu’il prend ici position en tant que journaliste. Comme dans une corrida, cependant, la reddition n’est pas instantanée et doit être précédée d’un certain nombre de passes plus ou moins spectaculaires. L’auteur en profite pour gloser sa propre situation :
La belleza en los toros es sólo belleza en el artista, en el hombre de corazón revelador y transformador. […] Esto hay que dejarlo entrever en toda crítica de los toros hecha por un artista. Que la belleza y el placer de la fiesta son un producto de la arbitrariedad, de la sensibilidad, de la individualidad, de la soledad, de la paradoja, de la voluntad personal del artista que se valió de seres embotados y espesos, de seres incompletos, de cosas plásticas medio incongruentes y demasiado macizas y bastas, elementos todos que necesitando completarse en el conjunto de la diesta [sic], sólo se completan definitivamente en él que es el único, que se basta a sí mismo, que se completa en sí, que se profundiza en sí252.
95Outre l’incompréhension du public, qui est longuement et explicitement critiquée, c’est la suprématie de l’artiste qui est ici revendiquée. Celui-ci, d’après Ramón, n’existe pas pour le public mais pour lui seul. On perçoit, d’ailleurs, à la fin du passage cité, certains accents du solipsisme radical qui imprégnait les écrits de Prometeo, ce qui explique en partie les fortes réticences auxquelles se heurtent les premiers articles que Ramón publie dans La Tribuna. La corrida sert d’ailleurs de métaphore de la lutte qui s’est livrée au sein de La Tribuna à propos des greguerías. Ramón tient à affirmer sa distance, même s’il ne peut s’empêcher de rappeler que son ambition est (ou était) autre :
El exaltador de toros, su alabador, ha de demostrarse […] superior a su espectáculo, y lejano, y extraño, y enemigo de él, entre otras muchas razones, en defensa de su libertad y de su categoría, porque en los toros se ensaya un gobierno de la plebe […]. El magnificador de los toros ha de inscribir el redondel de su plaza ideal lejos, fuera de la ciudad y en perfecta independencia de otros temas, de otros espectáculos y de otras categorías253.
96Si Ramón se soucie de la « gloire éternelle » qui peut rejaillir sur le torero, et réaffirme la supériorité de la jeunesse pensante ou artistique au travers de ce pamphlet contre ses détracteurs — qui vise à racheter son image tout autant qu’à « plantear una cuestión de orden, de principios, pues se están vulnerando todos los principios de la probidad de la crítica254 » —, depuis octobre 1913, il a déjà commencé à diversifier ses collaborations dans le quotidien La Tribuna : les « Variaciones » et les « Bocadillos » se présentent comme des chroniques centrées sur certains phénomènes d’actualité et comme une série de portraits des figures marquantes du moment, dans le domaine des arts et des lettres. Peu à peu, les collaborations ramoniennes adoptent le rythme du journal et la périodicité au fil des saisons, en accord avec le calendrier civil et religieux : elles traitent des festivités de Noël255, de l’ouverture de la saison du cirque (dont Ramón fera bientôt sa spécialité256), ou encore des commémorations de la Toussaint257. L’été est, par ailleurs, le moment privilégié des articles costumbristas ou de brefs contes, à un moment où la rédaction s’est réduite avec les congés estivaux et que Ramón peut ou doit alors combler certaines lacunes des journaux dans lesquels il collabore, en laissant libre cours à la veine plus narrative de sa prose258.
97Le changement de style et de registre s’amorce, en réalité, à la fin de l’été 1914, lorsque Ramón entreprend une série qu’il poursuit tout au long de l’année 1915 sur les impressions de la guerre, tirées des informations que livrent les télégrammes en provenance du front ou les photos publiées dans la presse259. Significativement, cette rubrique s’intitule « Journal d’un lecteur » : il s’agit d’adopter le point de vue de l’homme de la rue, du lecteur moyen du journal dont l’auteur se rapproche ainsi symboliquement, et auquel il donne à lire des articles que tout un chacun peut aborder et comprendre260. Ramón applique de la sorte les déclarations d’intention qu’il avait formulées dans son essai « El concepto de la nueva literatura ». « Somos de nuestra calle y nuestra casa261 », clamait-il alors pour dire combien l’écrivain-journaliste doit être capable de communiquer à son lecteur l’actualité telle qu’il la vit, dans le temps et l’espace. La référence à la vie quotidienne sert de guide et Ramón suit la voie ouverte par Ramírez Ángel, qu’il érigeait, dans une recension critique de Prometeo, en modèle d’écrivain ayant su adopter ce point de vue de l’homme de tous les jours :
Ramírez Ángel cumple muy aceptablemente el ideal de la nueva literatura, dispuesta a que lo escrito responda fielmente al sentido de la vida chez del [sic] autor.
No hay en él […] sino cosas de la vida factible y cuotidiana. […]
El pobre hombre que ha creado Ramírez Ángel es un personaje social, asaz representativo. Todos somos pobres hombres262.
98Faire entendre la voix de ce « pauvre homme », sorte de représentant universel, permet aux livres de Ramírez Ángel de « coloca[r] al autor vis a vis [sic] del lector263 », comme dans une conversation de la vie courante. Le travail de journaliste de Ramón dans les années dix est consacré à l’expérimentation de diverses formules dérivées de ce parti pris et c’est finalement dans une chronique de La Tribuna que l’auteur présente, en 1920, ses premières réflexions sur les choses de la vie264. « La vida » est la notion essentielle autour de laquelle s’articulera dorénavant son œuvre journalistique : c’est sous ce titre générique que Ramón publiera ses chroniques quotidiennes dans El Liberal, à partir de 1921, puis dans El Sol.
99Stylistiquement, donc, la période de collaboration dans La Tribuna est fondamentale, tant elle suppose un changement dans l’écriture ramonienne. C’est la fin des proses longues et du théâtre symboliste. Ramón se voit obligé de construire son style en fonction du milieu qui l’accueille et adopte une dynamique d’écriture qui lui ouvre la voie du succès journalistique qu’il connaîtra dans les années vingt. Outre les échos des événements culturels ainsi que de certains phénomènes sociaux qui rythment la vie de la capitale espagnole265, Ramón commente parfois les faits divers qui défraient la chronique266, et adopte surtout un style de proses fragmentaires qui servira de base à sa production littéraire (tant journalistique que livresque) ultérieure. Car, c’est bien dans la presse que naît le ramonismo, aujourd’hui (re)connu comme la production littéraire proprement caractéristique de l’auteur267. La première monographie de l’auteur qui paraît dans une maison d’édition professionnelle, intitulée El Rastro, est d’ailleurs proche du format de l’article de presse, aussi bien thématiquement (dans la mesure où elle ressortit au réalisme madrileñista) que formellement (puisqu’elle se compose de textes courts). À son exemple, les livres que publie Ramón jusqu’au début des années vingt sont des livres reconnaissables à leur écriture fragmentaire268 et formés par une reprise au moins partielle d’articles parus dans la presse au cours des années précédentes : de Greguerías (1917) à Ramonismo (1923), en passant par Pombo (1918) ou Variaciones (1922269).
100Il est vrai, malgré tout, que Ramón ne perçoit aucune rétribution pour sa collaboration à La Tribuna. Celle-ci ne peut donc être considérée que comme une première étape vers la professionnalisation de l’écrivain : une étape de formation de l’écrivain-journaliste, comme le souligne Eduardo Hernández Cano.
Entre 1912 y 1914 se produce en Ramón una transición de medios, tanto periodísticos como editoriales, de temas y de escritura, que nos permite considerar estos años tan decisivos como los más conocidos de Prometeo […], en este caso de enorme importancia para la constitución de la escritura ramoniana como marca y estilo reconocibles y disfrutables por el público. En adelante, Ramón irá puliendo ese estilo propio que hoy identificamos como específicamente ramoniano, pero que se ha forjado en el espacio literario de la crónica a través de un proceso de adaptación a los medios periodísticos y a su público270.
101Au sortir de La Tribuna, la prose de Ramón est devenue un produit digne de l’intérêt du public et des professionnels de la presse : ses articles journalistiques sont recherchés et, désormais, pleinement rétribués. Dans El Liberal, Ramón dit avoir été payé 200 pesetas par mois pour une collaboration journalière à partir de 1919, et il parviendra à gagner, en 1923, 750 pesetas pour la même production, dans le prestigieux quotidien El Sol271. Au fil du temps, Ramón lui-même présente tout autrement son activité de journaliste. Alors qu’en 1914, au plus fort de la polémique autour de la greguería, il rejetait encore fermement l’empire de l’actualité, en affirmant que
sobre la platina en que se ajustan los periódicos rige una ley inexorable: la ley de la actualidad más universal. Contra esa ley inflexible protestan casi todas las cosas que se disponen a « salir » en el periódico, porque cada cosa es ella, sola, absolutamente ella sola, personal, ajena a las demás, dentro de un egoísmo obcecado, deseosa de triunfar ella sola, por lo que grita cada cosa: « ¡Yo! ¡Yo!… ¡Yo ahora!272».
102Dix ans plus tard, au contraire, tout en se dédisant d’avoir travaillé à son incorporation au milieu du journalisme (« Yo no he ido al mercado. El mercado es el que ha venido a mí. Yo hacía mis cosas sin saber que las iba a llegar su hora de actualidad273 »), il déclare de façon programmatique : « Mi ideal […] son dos artículos diarios en dos periódicos vitales, uno por la mañana y otro por la noche. En dos grandes diarios he realizado ese ideal algún tiempo274 ». Il peut alors définir son métier d’écrivain-journaliste de la façon suivante :
Mi periodismo es una cosa hija de mi convicción de que la literatura es una profunda hermana de la actualidad, aunque también puede serlo de la inmortalidad. Creo en los periodistas y admiro sencillamente al director que, honesto y humano, sabe infundirle vida conjuntiva con intrazado soplo creador. Los clásicos fueron actuales. Es una lepra vieja esa de los que arcaizan el periodismo y, sobre todo, es inaguantable ese espectáculo dado desde los periódicos de los días cada vez más modernos275.
103On sera sensible au touchant hommage rendu ici à la figure directeur de journal, qui reflète, de façon exemplaire, l’inversion complète des arguments formulés dans la décennie précédente276. On ne saurait donc s’étonner que Ramón, dans l’entretien que lui consacre Lefèvre, en 1928, n’hésite pas à qualifier son travail de journaliste de « peut-être [s]on meilleur titre de gloire277 ». Il n’est, en réalité, pas de style ramonien hors de la presse : c’est dans ce milieu éditorial précis et en lien étroit avec les contraintes qu’exige ce support que naît le ramonismo. Contrairement à l’idée reçue que l’on a de Ramón, le témoignage de Miguel Pérez Ferrero ne laisse aucun doute sur le fait qu’il devient une figure littéraire promise à la postérité, dès lors qu’il accepte les conditions de publication de la presse :
Ramón es fiel a su idea: hay que ir al público y conquistarle. […] Él necesita su nombre; un nombre que nadie, al verlo escrito o al escucharlo, pueda hacerse de nuevas y preguntar: ¿quién es? Al escritor le domina la fiebre de escribir y de describir las cosas y los sucesos. […] Es ésta una época violentamente constructora de Ramón278.
Le texte ramonien dans la matrice du journal
La Greguería es ultravertebrada, y está bien en los libros y en los periódicos y se ajusta en las máquinas de imprenta ella sola, buscando y encontrando en ellas la ranura precisa279.
104La greguería elle-même, l’emblème littéraire de l’auteur, est un produit de la presse, pensé pour répondre aux exigences formelles de l’article quotidien à livrer au journal ou à la revue qui l’accueille. Dès l’instant où Ramón crée la formule greguerística et où il la présente publiquement depuis la tribune de Prometeo, il est indéniable qu’un véritable programme de professionnalisation de son écriture est en jeu :
La greguería […] es el género de los bancos públicos, en los que yo le desarrollaría si no tuviera que afrontar la impertinencia de las multitudes que me mirarían creyendo verme hacer literatura de aficionado ¡esa horrible literatura280!
105Ramón n’est pas et ne souhaite pas être perçu comme un écrivain dilettante. Même s’il devra apprendre à maîtriser « ese trazado irregular de la escritura rápida del escritor de las urgencias281 », l’auteur aspire à se donner les moyens d’être reconnu comme professionnel. Il n’est alors sûrement pas anodin que la création de l’étiquette greguería réponde à la tendance d’une époque où chaque chroniqueur dispose d’un espace qui lui est propre et qui se distingue par un nom de rubrique qui l’identifie. Sans conteste, la pratique n’est pas nouvelle. Le modèle des paliques clariniens est illustre, même si formellement la greguería ressemblerait davantage à la rubrique « Cavilaciones » des Solos de Leopoldo Alas282. Strictement contemporains de la création des greguerías, les « Psalmos » de Cansinos Assens paraissent dans les numéros 18 et 36 de Prometeo283 : Ramón s’en fera l’écho dans la dédicace à Cansinos de ses Danzas de pasión284. Le premier de ces psaumes parus dans Prometeo permet d’établir certains parallèles entre les deux « genres » :
El enigma de la vida ha cautivado mis ojos desde la niñez; y mis ojos se han hecho ciegos y no he podido descifrarlo.
Durante mucho tiempo, mis labios han dicho palabras insensatas; y he afirmado o he negado, según el tiempo que hacía en mi corazón; y al final me he convencido de que no había hecho otra cosa que crear nombres y que el enigma continuaba indescifrable.
Y al fin he dicho: dejemos que los locos disputan; todo lo que el hombre dice, sólo es bueno para él285.
106Le thème du regard et du langage indéchiffrable — rémanence de la quête symboliste de l’ineffable ? — seront également fondamentaux pour la greguería (dont l’étymologie fait signe vers cette idée d’un langage incompréhensible) et pour l’œuvre ramonien en général. C’est d’ailleurs en des termes assez proches que Ramón décrit sa naissance (simultanément, au monde et à la littérature) : « Todo yo era como una mirada sensible, que recogía cosas imprecisas, pero realmente cercanas a mí ; sombras largas y difusas, sombras vagas286 ». Il est vrai, cependant, qu’à la différence de celle des greguerías, l’écriture des psaumes de Cansinos est encore éminemment personnelle et ponctuée par la réitération du pronom yo et qu’il ne s’agit pas, ici, de confondre la prose de Cansinos avec celle de Ramón.
107Tout au plus faut-il signaler que la naissance de la greguería présente une notable cohérence avec certaines tendances manifestes dans la revue Prometeo. Les formes brèves, en particulier, y sont omniprésentes, depuis les « Consideraciones inconsistentes » de Ramírez Ángel dans le numéro 3287, qui ont la forme des paliques clariniens ou des futurs caprichos de Ramón (c’est-à-dire qu’elles se composent de plusieurs courts paragraphes, constituant chacun une unité associée à un titre) jusqu’aux « Divagaciones » de Javier Ruiz Almansa288, en passant par une série de pensées de quatorze auteurs (poètes, écrivains, dramaturges) écrites à l’occasion d’une réunion de l’Asociación de Escritores y Artistas289 ou encore par les conseils matrimoniaux de Ramírez Ángel, « El perfecto casado (Cincuenta párrafos para ser feliz)290 ». Parmi les auteurs étrangers traduits dans la revue, certains comme Wilde ou Shaw, sont auteurs d’aphorismes291. L’un des critères que Ramón impose à Baeza est d’ailleurs la brièveté des textes étrangers traduits pour Prometeo292. Eloy Navarro Domínguez souligne également cette tendance générale de la revue, pour conclure que « antes de la “invención” de la greguería, Ramón se encontraba ya predispuesto hacia las formas breves como […] manifestación de una concepción fragmentaria de la literatura293 ».
108Il existe, au cours des années dix, d’autres phénomènes d’échos ponctuels294. À leurs débuts les greguerías sont, un temps, une sous-rubrique de la chronique « Día tras día », que se partagent Ramón, Borrás et d’autres auteurs festifs comme Manuel R. Álvarez Puente. Le fait que Borrás publie lui-même plusieurs séries de « Greguerías » montre que le texte ramonien conquiert progressivement le statut de section autonome. Mais avant cela, le cas d’Álvarez Puente est intéressant car, au cours du printemps 1915, il publie une série d’articles intitulés « Día tras día. Momentos » ou « Superficies295 ». La proximité avec les collaborations de Ramón dans La Tribuna est alors double : par le titre (Ramón a publié un article sous cette étiquette le 19-VIII-1914 et il la reprendra le 28-VIII-1915, trois mois après son usage par Álvarez Puente) et par le voisinage immédiat sur la page du journal296. La rubrique d’Álvarez Puente est une rubrique très explicitement festive, où l’auteur propose une série de bons mots qui, au premier abord, ont assez peu à voir avec les greguerías ramoniennes. La coïncidence invite tout de même à prendre garde au fait que les articles ramoniens, jusqu’en 1919297, sont publiés dans les dernières pages, réservées aux annonces et à la rubrique des divertissements. En outre, à y lire de plus près, le ton des greguerías ramoniennes n’est parfois pas si éloigné des sections de plaisanteries ou bons mots qu’elles côtoient dans l’espace du journal. Voici, par exemple, comment s’ouvre, en 1916, un article précisément intitulé « Momentos » : « A quienes primero ha matado de frío el otoño es a los helados… ¡Parece mentira ! »298. Et cet exemple n’est aucunement un cas unique299, au point que l’on ne peut négliger ce phénomène d’échos, qui complète peut-être la stratégie de rapprochement de l’écrivain-journaliste envers le lecteur moyen.
109En ce qui concerne plus précisément la question des titres de rubriques journalistiques, le plus bel exemple de la recherche systématique d’une étiquette générique est celui de l’hebdomadaire satirique Buen Humor, fondé en 1921 à Madrid et dans lequel collabore Ramón dès le premier numéro300. Cette revue compte parmi les rubriques qui reviennent avec une certaine périodicité plusieurs titres qui rappellent ceux qu’utilise, à la même époque, ou que reprendra par la suite Ramón : « Curiosidades y rarezas », « Titirimundillo », « Bagatelas », ou encore, à partir de 1923, « Quisicosas301 ». Toutefois, l’inventaire le plus complet de titres (pour l’essentiel, inventés) est celui que l’on peut glaner au fil des numéros dans la section de réponse au courrier des lecteurs, la « Correspondencia muy particular » de Buen Humor, où l’on rencontre, notamment : « Mosaico », « Astronómicas » (dans le numéro 139), « Reflexiones de un hombre frívolo » (141), « Hojas de almanaque » (145), « Incorregibles » (151), « Mentiras convencionales » (158), « Cosquillas » (230), « Bocadillos » (235), « Fruslerías » (290). On reconnaît, parmi ce large échantillon, les « Mosaicos » de Pombo, les « Astronómicas » et les « Mentiras » des Greguerías de 1917, les « Bocadillos » de La Tribuna ou encore les « Fruslerías » que Ramón publie dans El Sol en 1923. Ainsi, la greguería, depuis son titre même, s’inscrit pleinement dans les tendances du milieu journalistique auquel elle prend part.
110Elle fonctionne, en cela, à l’image de la prose ramonienne en général, ancrée dans un temps (une série d’héritages littéraires encore présents) et un milieu (celui de la presse) qui imposent certaines exigences, tout en favorisant une forme d’éclectisme. Ramón, pour satisfaire la direction et le public de tel ou tel journal, apprend l’art de la variation (qui donne son nom aux articles qu’il publie dans La Tribuna, dès l’automne 1913). Le mélange des genres caractérise ses débuts hétéroclites dans la presse — l’une des facettes méconnues de la figure de l’auteur, qui s’insère à la perfection dans le cadre des années dix.
La question du syncrétisme esthétique
Ideal artístico, ninguno. (Ninguno, por no incurrir en uno.) Quizás nace todas las mañanas y muere todas las noches302.
111La vision que l’on a aujourd’hui de Ramón est celle d’un auteur dont l’unité de l’œuvre est résumée dans la succession des livres qui composent les vingt tomes de ses Obras completas. Toutefois, cette vision ne prend en compte ni le contexte dans lequel il se forme en tant qu’écrivain ni son travail de journaliste, pourtant essentiel à sa formation littéraire et qu’il poursuit, en réalité, jusqu’à la veille de sa mort303. Au début des années vingt encore, Ramón dépend des différents milieux éditoriaux où il publie et du marché auquel est destinée sa production littéraire. Or, les lignes éditoriales des journaux et des revues auxquels il collabore sont extrêmement diverses et chacune s’adresse à un public déterminé et distinct : du lecteur de quotidiens, essentiellement en quête des informations du moment (La Tribuna, El Día, El Liberal, El Sol, La Voz, avec toutes les nuances idéologiques et plus ou moins intellectuelles qui distinguent ces différents titres) au lecteur de revues spécialisées, des plus intellectuelles (España, Revista de Occidente) ou avant-gardistes (Reflector, Vltra, Horizonte, Tableros) aux plus festives (Buen Humor), en passant par les revues graphiques (La Esfera, Nuevo Mundo). Aussi la production ramonienne des années dix est-elle nécessairement syncrétique. Loin de se composer uniquement de greguerías, elle comprend des proses madrileñistas, des récits de voyages, des contes, des textes de critique artistique ou des réactions aux divers phénomènes qui occupent l’actualité du moment. La greguería elle-même a été interprétée, à l’époque, par Cansinos comme un amalgame de divers genres et modèles d’écriture existants :
Encontraréis aquí los pimientos rabiosos de Rachilde, las utopías de Wells, algún rasgo que os recordará el cáustico estilo balzaquiano, letanías líricas que os harán pensar en Remy de Gourmont, menudas observaciones que estarán mentando a « Azorín », paradojas literarias que se acordarán de Unamuno y ternuras pasajeras que hablarán de Juan R. Jiménez y de Rabindranat. Alguna vez, como en Las chimeneas dramáticas, apunta el salmo patético. […] Os asombrará siempre tanto elemento diverso, tan bien casado y avenido, en el equipaje del autor304.
112Il est patent que, dès la publication des premières greguerías, la critique en général a cherché à établir une analogie avec un genre existant, qui rendrait la prose ramonienne plus « acceptable », car identifiable, reconnaissable. On en vient même à chercher des modèles hors de l’Espagne, essentiellement du côté de Jules Renard et de Max Jacob, mais sans réel succès, car la littérature ramonienne ne ressemble apparemment à aucun genre singulier stricto sensu. Dans le passage qui vient d’être cité, toutefois, Cansinos va plus loin, dans la mesure où il se propose d’identifier les différents modèles de l’écriture ramonienne et démontre que celle-ci fonctionne comme une sorte de synthèse d’une multitude de courants alors en vigueur, sans se confondre réellement avec aucun d’entre eux. Il s’agit d’un alliage diverso, d’une écriture syncrétique forgée au sein d’un creuset journalistique particulièrement propice à cette diversité. Ainsi que l’affirme César Nicolás, le « premier » Ramón est « simultáneamente “raro” y costumbrista, poeta y humorista, vanguardista y excéntrico305 ». Les racines de la greguería sont celles-là : réalisme, costumbrismo, modernismo ; subtil équilibre entre l’observation du quotidien et le filtre de l’imagination, qui sera synthétisé par la suite en une formule concise, qui fonctionnera davantage auprès du public306.
113Pour comprendre cette notion de syncrétisme esthétique, il faut en revenir à l’époque de Prometeo et interroger la pertinence de l’idée d’une nouvelle littérature syncrétique dans le cadre des années dix. D’après Eloy Navarro Domínguez, en effet, « El concepto de la nueva literatura », le premier des essais ramoniens qui voient le jour dans la revue, « pretende ser […] la constatación del carácter plural y sincrético de la “nueva literatura”307 ». Ramón y affirme que « El concepto de la nueva literatura no obedece al simplicismo de las preceptivas : es algo mucho más complicado, que entrelaza otros muchos conceptos. La condición de la literatura es excepcionalmente conjuntiva308 ». Il est vrai que le discours ramonien, dans cet essai de 1909, est d’ascendance essentiellement philosophique, avec quelques emprunts annexes à la théorie de l’évolution, et que le monisme littéraire que l’auteur appelle de ses vœux a finalement assez peu à voir avec la situation littéraire concrète de l’Espagne d’alors. Il s’agit, avant tout, d’une invitation à rendre par la création littéraire l’« atomisme » de la vie. Le critique précise, néanmoins, que
la tesis, central al monismo, de la unidad material de la realidad y, a la vez, de la función espiritual o psíquica de esa misma realidad hace posible la confluencia en obras y autores de orientación monista de elementos aparentemente contradictorios entre sí, permitiendo cierta permeabilidad o reversibilidad entre ellos, lo que explicaría la coexistencia del simbolismo literario, con el evolucionismo científico o el vitalismo irracionalista, de tal manera que, en ocasiones, el término monismo llega a adquirir por sí mismo un tercer significado, el de conjunción sincrética de tendencias diversas entre sí309.
114Il est alors intéressant de voir quels sont les modèles littéraires présents dans Prometeo et comment ils y sont présentés. González-Blanco, par exemple, est considéré comme le paragon des jeunes écrivains de sa génération par Ramírez Ángel, qui insiste tout particulièrement sur le fait que son co-rédacteur et ami est, à la fois
sesudo, culto y sagaz cuando habla de crítica; emocionante, sugestivo y encantador, cuando hace versos. Es, ya, actualmente, tan compleja, abundante y maravillosa su labor que cuando vemos por la calle a González-Blanco […] nos dan tentaciones […] « de quitarnos el cráneo ».
Tiene la ductilidad fiera de un artista del Renacimiento; exceptuando el teatro, no quedó jardín que no curioseara ni horizonte que no explorase310.
115Romancier, poète et critique, González-Blanco est un cas exemplaire de polygraphe de l’époque, qui s’efforce d’explorer l’ensemble des genres et des thèmes qui sont alors à sa disposition : Luz Fanjul, tout comme Un amor de provincias, paru dans El Cuento Semanal, allient le récit sentimental à la peinture de la vie locale et des mœurs quotidiennes. Il s’agit certainement d’une combinaison des plus fréquentes, mais Ramírez Ángel n’en souligne pas moins, dans sa recension critique, la maestria de González-Blanco lorsqu’il conjugue les « spécialités311 » littéraires. Le maître mot est celui d’éclectisme, reflet d’une époque sous le signe de la complexité, à tel point qu’il semble légitime de se demander si l’une des valeurs nucléaires de la littérature espagnole des années dix ne reposerait pas sur cette idée de syncrétisme esthétique.
116Le mot est présent sous la plume ramonienne, dès le printemps 1909, comme élément de définition de la nouvelle littérature : « La nueva literatura […] aparece con un criterio sincrético y sincero completamente inédito312 ». L’éclectisme est perçu comme l’un des points forts de la jeunesse littéraire de l’Espagne d’alors. C’est ce que souligne, par exemple, la recension que signe Martínez Sierra de Guignol, de Francés, dès 1907 : « envidio esa facultad ecléctica que es como si dijéramos un sibaritismo intelectual313 ». Aux yeux du directeur de Renacimiento, Francés est capable de mêler les genres et les styles, de même que les goûts littéraires, partagés dans son cas entre l’admiration pour la prose de Martínez Sierra et celle de Blasco Ibáñez. Indéniablement, les textes que publie alors Francés juxtaposent descriptions lyriques, tranches de vie costumbristas et tableaux érotiques, dans un alliage parfois étonnant. Ainsi, dans la première nouvelle de Francés qui paraît dans El Cuento Semanal l’année de la recension critique de Martínez Sierra, chaque protagoniste incarne un point de vue sur le monde qui se traduit dans un style particulier (l’idéalisme / le lyrisme modernista de Paloma face au prosaïsme bourgeois / à la prose costumbrista de Juan) :
Hoy necesitaba el campo; airear un poco esta cabeza mía y ver si se me marchan algunos pensamientos que me dan mucho miedo, o quién sabe para que el aire me traiga plantas raras. Yo soy un jardín donde pueden florecer todas las flores.
Juan Pérez, que añoraba en aquel momento la tortilla de escabeche, las patatas fritas, la botella de cerveza y el baile en torno del organillo, no pudo contenerse.
— ¿Ya empiezas, Paloma314?
117La nouvelle tout entière est structurée par cette alternance entre des fragments lyriques et des proses costumbristas. Il n’est pas d’ailleurs pas anodin que ce soit en termes de « fusion » remarquable et inattendue que González-Blanco résume la figure littéraire de Francés :
Imaginad que os diesen a elegir entre una novela de Mirbeau (L’Abbé Jules, por ejemplo) y unos poemas de Rodembach [sic] (Le Règne du silence). […] Mas ¡cuál no será vuestro regocijo si os dijesen que un poeta os iba a dar hecha esta fusión maravillosa, que un prosista tejía sus períodos con frases aceradas como puñales y suavísimas como el terciopelo! […]
José Francés, el joven prosador de que hablo, es uno de estos casos de artistas literarios que alían una agresividad roja y una amarillenta languidez. […] Poeta sin el auxilio de la rima; poeta sin metro y sin acentos secundarios; pero dotado de un estro lírico rara vez superado en quienes, como él, han iniciado su carrera literaria con agresividades, polémicas y con tumescencias naturalistas. José Francés es un artista para el cual ningún coto del Arte está cerrado315.
118Francés incarne, aux yeux de González-Blanco, une écriture capable d’embrasser sans limites des formes et des genres divers. Au-delà du simple effet de style, il faut signaler que la pratique du pastiche a été reconnue et étudiée chez certains auteurs, comme Ricardo León ou Concha Espina. Juan Carlos Ara Torralba et Eduardo Hernández Cano ont montré dans leurs analyses que le pastiche servait le succès du roman Casta de hidalgos de Ricardo León316 et la reconnaissance académique, au travers du prix Fastenrath de la Real Academia Española, de l’auteur de La esfinge maragata317. Car, le pastiche met en jeu un certain nombre d’implicites et de références tacites qui dotent le texte d’une signification qui va au-delà de la pure signification littérale. Il s’agit d’offrir au lecteur des morceaux de bravoure dont il peut spontanément identifier le sens et la fonction, tant ils sont à l’époque diffusés dans la presse ou les collections populaires. Par cet effet de répétition, le lecteur reconnaît certains passages du texte et accueille favorablement ce dernier. L’auteur, lui, construit son œuvre à partir de ces jalons textuels : lorsqu’il s’agit, comme dans le cas de Ricardo León et de Concha Espina, d’un pastiche multiple au sein d’un même ouvrage, cette pratique d’écriture lui permet d’occuper simultanément plusieurs espaces spécifiques au sein du système littéraire ou encore, comme le montrait la critique de González-Blanco sur Francés, d’être assimilé à tel ou tel autre modèle. À bien des égards, comme le remarque Juan Carlos Ara Torralba, le pastiche est une pratique généralisée à l’époque :
Para la comprensión del pastichismo literario […], bueno es recordar aquel espíritu sintético que animaba a los artistas finiseculares europeos, espíritu plasmado, según sabemos, en las Exposiciones. No está de más, tampoco, ponderar en su justo término la repercusión que tenía sobre esos artistas la aceleración de las modas y de la velocidad de la información. […] Si añadimos a lo dicho que el coleccionismo, la pasión por reunir y el menudeo por bazares y anticuarios son uno mismo, se nos antoja que estamos acercándonos a la formulación ideológica implícita, y « de época », que genera estos pastiches o bazares literarios318.
119À l’image des milieux artistiques de la fin de siècle, la prose des années dix a ses thèmes, ses sections, ses techniques ou ses mouvements de prédilection, et s’intègre à l’esprit de synthèse décrit par Ara Torralba.
120Lorsqu’on parcourt les œuvres que publient au cours des années dix les proches et les jeunes écrivains de l’entourage de Ramón, on s’aperçoit ainsi qu’il existe une sorte de répertoire des thèmes littéraires récurrents, auxquels correspondent autant de styles et de leitmotive, convoqués tour à tour ou simultanément dans la composition du texte. Le premier de ces motifs est assurément celui de l’adultère, avec ses variantes d’amours impossibles, heureuses ou contrariées ; viennent ensuite le crime ou la nouvelle à suspens ; les « scènes pittoresques », toujours urbaines, essentiellement madrilènes ou andalouses ; les nouvelles d’aventures (dont le paradigme est sans aucun doute Prudencio Iglesias Hermida) et de voyages (dans La Novela Corta, paraissent des récits de voyages en Suisse, en Corce, à Paris, à Buenos Aires, au Japon ainsi que des nouvelles du front, durant la première guerre mondiale) ; enfin, les thèmes de la morale et des tentations du vice, des mésententes familiales, de la science et du progrès ou encore de l’injustice (sociale)319. On remarquera l’héritage naturaliste encore bien présent dans la répétition insatiable du motif de l’adultère, ce qui n’empêche pas des variations marquées de style et l’usage parfois immodéré de métaphores ressortissant plutôt à une esthétique modernista. Naturellement, un même auteur publie dans une même collection des textes de différentes natures. Federico García Sanchiz, par exemple, publie dans La Novela Corta le récit d’une fête populaire du Quartier latin (El baile, 11-III-1916), plusieurs nouvelles d’amours contrariées (Al oído, 11-XI-1916 et Escenas pintorescas, sur fond de Madrid castizo, 28-IV-1917), une nouvelle sur la prostitution (Paloma, 18-VIII-1917) ou encore une nouvelle de jalousie et d’amours déçues qui met en scène un jeune écrivain (Fémina, 16-III-1918). Carmen de Burgos est un autre exemple de la remarquable variété des contributions de chaque auteur, puisqu’elle publie à la fois une nouvelle sur l’unité de la famille (Villa María, 4-III-1916), un texte sur la violence conjugale (El hombre negro, 8-VII-1916), plusieurs nouvelles sur l’amour (par exemple, El perseguidor, 17-II-1917), une nouvelle sur la violence liée à une révolte de mineurs en Andalousie (Venganza, 17-VIII-1918) ou bien sur un accident lors du tournage d’un film dans un village (El mejor film, 21-XII-1918). On a en quelque sorte l’impression que les auteurs des années dix ne cherchent pas à se cantonner à un courant, à un genre ou à une forme littéraire uniques et prédéterminés, mais composent, au contraire, avec un répertoire de formes et de formules littéraires auxquelles le public est habitué (les plus couronnées de succès étant probablement les tableaux costumbristas, les récits sentimentaux ou érotiques ainsi que les romans-feuilletons à intrigue) et utilisent simultanément l’un ou l’autre de ces niveaux d’écriture pour alimenter un marché qui, de cette façon, les reconnaît. Il s’agit d’exploiter les formules existantes dans des combinaisons diverses qui permettent d’ouvrir le champ du marché éditorial, tout en restant dans le cadre « acceptable » des goûts du public. Ce serait là une possible explication de la variété thématique, que la critique a souligné à maintes reprises au sujet de la « promotion du Cuento Semanal », et qui est inscrite dans le texte fondateur de la collection originelle : « todos las tendencias y también todas las formas literarias caben en esta Revista320 ».
121Le rôle de la presse est, en cela, déterminant. Celle-ci est, en effet, la principale voie de professionnalisation pour les écrivains de l’époque et elle conditionne un nouveau type d’écriture : essentiellement, des proses brèves et, pour le milieu journalistique tout particulièrement, les formes littéraires de la chronique et de l’essai, parfois agrémentées de la pratique réitérative du refrito, c’est-à-dire de l’auto-pastiche. Symptomatiquement, à la fin des années dix, José Ruiz-Castillo crée la maison d’édition Biblioteca Nueva dans le but précis d’« explotar discriminadamente en libro los ensayos y otras colaboraciones periodísticas, sacrificados literariamente a la efímera vida cotidiana321 ». L’étiquette générique donnée par Ruiz-Castillo aux proses qui constituent le marché de Biblioteca Nueva est celle d’essai. Sous ce label, seulement unitaire en apparence, Biblioteca Nueva veut offrir à ses lecteurs « una muestra del pensamiento español contemporáneo en toda su variedad y diversidad322 ». C’est cette diversité, née de la nature journalistique de l’entreprise de Biblioteca Nueva à ses débuts, qui doit être retenue comme caractéristique principale de la « nouveauté » de ce projet éditorial323. Les dix premiers volumes de la collection littéraire de Biblioteca Nueva référencés, en 1918, à la fin de Muestrario, comptent des signatures et des contenus aussi différents que des recueils de proses miscellanées de Salaverría (Espíritu ambulante, le premier volume de la collection, qui en donne le ton), de Belda (La pregunta de Pilatos) ou de Ramón (Muestrario, premier recueil de proses brèves de l’auteur, de type récits et non greguerías, comme si les Intermedios du volume de 1917 s’étaient émancipés), les chroniques de voyage à New York de Camba (Un año en el otro mundo), l’une des nombreuses monographies de Castro sur les femmes (Las mujeres), un ensemble d’articles polémiques de Noel sur le flamenquismo et l’Espagne castiza, accompagnés de recensions critiques (Piel de España), une série d’entretiens réalisés par López Pinillos (Hombres, hombrecillos y animales), les « páginas delicadísimas de crítica y de comentarios poéticos324 » d’Alomar (Verba, qui contient notamment les écrits de l’auteur sur le futurisme), les critiques théâtrales d’une année de Manuel Machado (Un año de teatro), deux volumes d’hommage compilés par Ruiz-Castillo et par Gómez de la Serna en l’honneur de Rodó (Páginas escogidas) et de Silverio Lanza (Páginas escogidas e inéditas) ou encore une anthologie de Queiroz traduite par González-Blanco (La decadencia de la risa). Le seul dénominateur commun de tous ces ouvrages est leur provenance — la presse — et leur nature fragmentaire.
122Comme l’analyse minutieusement Domingo Ródenas pour la prose des années vingt, il existe une « estética de la brevedad que subyace en toda la literatura de la época325 ». Et l’on ne peut s’empêcher de remarquer que les multiples exemples que donnent le critique, de l’« Intencionario » de Diego aux « Ventoleras », « Florinatas » et autres « Airecillos » de Guillén, voient le jour en tout premier lieu dans la presse : ils sont publiés dans la revue España ou dans les revues de nature avant-gardiste Grecia, Vltra, Ronsel, Alfar, Tobogán, avant d’être, parfois édités sous la forme d’un recueil, suivant notamment l’exemple précoce des gloses de D’Ors. Outre le programme esthétique d’avant-garde que mettent en œuvre ces textes de façon indéniable, il semble intéressant de prendre en compte cette donnée du milieu éditorial qui les accueille.
123Au cours des années dix, la chronique est certainement l’exemple paradigmatique de formule littéraire en essor dans la presse. Déterminée par un nouveau type d’écriture, brève et se constituant comme un espace de négociation, au sein de la presse, entre l’autonomie de l’art et les exigences du milieu journalistique, on pourrait la résumer au travers de ces mots : concilier l’actualité et le style326. Rafael Alarcón Sierra la définit ainsi comme « una breve e instantánea reflexión sobre hechos inmediatos — el diario impone las limitaciones de tiempo y espacio — desde el punto de vista de una original conciencia creadora, que aprovecha los fugaces temas de actualidad para escribir libremente lo que en realidad le interesa327 ». Elle permet à son auteur une certaine liberté, à la fois thématique et, surtout, esthétique. À la seule condition qu’elle parte d’une observation de la réalité immédiate, elle offre, en réalité, la possibilité de pouvoir dire ce que l’on veut sur presque tout et de le publier ensuite dans un journal, pour gagner — un peu — de quoi vivre de sa plume.
124Or, en 1913, dans les premières déclarations théoriques qu’il fait sur ce qu’est la greguería, Ramón souligne le rapport étroit qui unit cette dernière à la chronique :
La greguería […] es el género periodístico que simplifica la crónica, que, cuando más, es una greguería inflada, infatuada y obesa, y en la imprenta tiene la ductilidad que necesitan las máquinas modernas ; es idónea con ellas, conoce su complicación y su secreto, se ajusta por sí sola en la ranura precisa y sutil, obviando todo trabajo en la platina328.
125La greguería se présente ainsi comme une sorte de quintessence de la chronique journalistique. Périodiquement, Ramón revient sur ce point et définit, par exemple, sa rubrique quotidienne dans El Sol comme la chronique de tous les jours : « Hace tiempo que quiero titular así una de mis crónicas de todos los días. Hoy realizo, por fin, el título eufónico y divertido que da gusto leer y saborear329 ». La notion d’aménité, ici, soulignée par l’auteur, est l’autre garantie du succès de la chronique, qui doit trouver son public au sein de l’espace du journal. C’est l’alliance d’une écriture attrayante et d’une évocation phénoménologique de la réalité quotidienne qui constitue la chronique et c’est dans cette lignée que Cansinos situe la greguería : « No constituye ciertamente un género literario nuevo, pues genealógicamente se incorpora a la progenie de aquellas composiciones breves — Ráfagas, Al vuelo, Alfilerazos, Volanderas — que reflejaban en los periódicos de antaño la inquietud del momento330 ».
126La greguería, si elle a pu être considérée comme un écrit « à part », dans le sens où elle ne ressortissait ni à la colonne de poésie, ni au folletín, ni à la rubrique théâtrale, c’est-à-dire à aucune des grandes catégories littéraires identifiables d’un journal de l’époque, fut pourtant indéniablement informée par le support périodique où elle est née et, plus précisément, par l’écriture de la chronique, relativement libre et ouverte au sein de ce support.
127Très probablement, grâce à la latitude qu’elle laisse à la création littéraire, la chronique est à la presse en général ce que les revues graphiques pouvaient être, à l’époque, à la presse quotidienne : un espace ouvert à la culture dans sa diversité ou, parfois, centré sur certains thèmes spécialisés (la mode ou les loisirs), qui n’est pas strictement une publication d’actualité, comme le quotidien, à la visée essentiellement informative. Ramón évoque à maintes reprises, au fil des années dix, la presse graphique, dont il ne deviendra un collaborateur régulier qu’en 1921. Tout d’abord, il en critique l’hétérogénéité : les revues sont, à ses yeux, comme un bazar, où se mêlent tous les thèmes et les genres qui plaisent au public. C’est ce qu’il déclare à Santiago Vinardell dans un entretien publié en 1916 :
¡Las revistas! Es que rehuyo la complicidad que supone el colaborar en esos objetos de bazar formados por aluvión, que únicamente tienden a halagar los gustos de la plebe. Son revistas fabricadas para satisfacer la cordura vacía de un público banal, plácido e indeciso, que las ojea antes de la siesta331.
128Sans conteste, ce que Ramón critique de façon virulente dans ces lignes est probablement la clef du succès de la presse graphique : il s’agit de jouer sur un ensemble de registres qui s’avèrent familiers aux yeux du public, pour obtenir l’adhésion de ce dernier à la revue. Créer « un produit reconnaissable », c’est bien l’enjeu commun de publications graphiques comme Nuevo Mundo ou Blanco y Negro et de la collection de nouvelles intitulées El Cuento Semanal, ainsi que le souligne Mainer, à partir d’une remarque attribuée à Ramón Sopena et reproduite dans les Mémoires de Zamacois, Un hombre que se va :
A la masa no le gusta leer. La gente es rutinaria. A la gente dale informaciones, cuentos cortos, crónicas ligeras, fotografías de lugares y de personas… Nuevo Mundo y Blanco y Negro han triunfado porque supieron cultivar la actualidad. Pero tanta insistencia negativa realza todavía más la importancia que la revista gráfica —como horizonte formal y hábito lector— ha de tener en la configuración de El Cuento Semanal: en aquellos holgados formatos, en la tersura del couché, en la grata promiscuidad de los magazines al modo francés, es donde El Cuento Semanal quiere aliar la « nueva literatura » y aquel ambiente de boudoir que transpira la época.
Fácilmente se advierte que el primer imperativo de Eduardo Zamacois era conseguir un producto reconocible por un público potencial332.
129Dans la mesure où elle prend place au sein d’un ensemble de publications périodiques, la littérature des années dix doit concilier la création littéraire avec les impératifs du marché éditorial (c’est-à-dire le goût du public consommateur) et mettre en œuvre de façon variée, mais toujours reconnaissable, les genres, les thèmes et les formules à succès du moment. Le syncrétisme esthétique serait alors le fruit de cette contrainte qui offre, malgré tout, la possibilité d’un certain nombre de variations.
130Il existe, d’ailleurs, un texte ramonien — paru tout d’abord dans La Pluma, sous la forme d’un feuilleton, entre décembre 1921 et octobre 1922 — exemplaire de cette idée de syncrétisme : El Novelista333. Dans son édition du texte ramonien, Domingo Ródenas définit Andrés Castilla, le protagoniste du roman et alter ego partiel de l’auteur, comme appartenant au groupe des écrivains « que necesitan ejercitarse en los distintos modelos y códigos que les brinda el horizonte estético de su tiempo, incluidos los más bajos y desprestigiados334 ». C’est ce jeu sur les codes existants et repérables par le public qui m’intéresse ici. Ródenas inventorie les différents modèles de romans que Ramón manipule dans El Novelista335, et dégage trois des titres développés par Castilla : Pueblo de adobes, « novela casi indigenista, de un erotismo primario y bárbaro, que refleja las costumbres intemporales de un poblachón castellano336 » ; El inencontrable, variation sur le roman policier, dont l’action est située dans la capitale portugaise, à un moment précis où Ramón séjourne encore à Estoril ; enfin, El biombo, que Ródenas définit comme « una pieza maestra del simbolismo narrativo337 ». Il est alors intéressant de voir que c’est avec la première de ces formules, celle de la prose castiza et costumbrista, tout entière résumée dans le nom Castilla du protagoniste du roman ramonien, que Ramón s’identifie en 1921338. C’est en ces termes que le personnage se présente à Remy Valey — l’adaptation romanesque de Gourmont/ Larbaud : « Yo soy el escritor más indígena de España… Más que clásico o imitador solapado de los clásicos, indígena con todo lo que de añadido por el tiempo hay en eso y con la misma degeneración del tiempo que hay en ello. Mi mejor novela se llama Pueblo de adobes339 ». C’est cette image de lui-même que Ramón souhaite refléter depuis les pages de La Pluma en 1922, même si cette (auto) présentation évoluera sensiblement dans la version « définitive » de 1925340. Une fois complétée par la réécriture du roman policier (El inencontrable) et par la pièce symboliste autour d’un objet, le paravent (El biombo), qui est probablement l’un des textes les plus métatextuels du novelario341 que constitue le roman, cette image permet de se faire une idée de « la diversidad de subgéneros novelísticos » mise en œuvre par Castilla342.
131Il semble ainsi que le marché éditorial des années dix, immédiatement antérieur à El Novelista et dont ce dernier est en quelque sorte le fruit, ait été capable de soutenir une gamme de genres et de thèmes distincts, tout en étant irréductible à un seul d’entre eux. Ce pourrait être là une explication de la difficulté manifeste au sein des histoires de la littérature espagnole à cerner historiographiquement la période, qui s’étend pratiquement à l’arc chronologique 1907-1927, entre les étiquettes de modernismo et de generación del 27. Cette irreductible diversité rend invisible la littérature des années dix aux yeux de la postérité historiographique, dans la mesure où celle-ci ne s’identifie à aucun patron-modèle homogène et défini. Elle est marquée par une gamme plus vaste de genres et de thèmes, où puise indifféremment un même auteur, pour être publié dans un même groupe de publications périodiques ou de maisons éditoriales. Il est donc extrêmement difficile de dégager, parmi la production narrative des années dix, une unique tendance.
132Là se noue également la fortune historiographique de la théorie de la « génération unipersonnelle » ramonienne. La tentative d’appréhension au cas par cas est l’une des possibles voies de conceptualisation des années dix. Néanmoins, il est grand temps, à présent, de réévaluer la situation de Ramón Gómez de la Serna dans le cadre d’une époque, dont il sait mettre en usage tous les ressorts, et au sein de laquelle, il est vrai, il sera l’une des rares figures à se distinguer aux yeux de la postérité.
La importancia de llamarse Ramón ou la volonté d’auto-définition
Fue época de estar muy asomado a los cristales del balcón, a los que lanzaba un halo de vaho como disco de mi personalidad343.
133La dernière étape du processus par lequel, à la faveur du contexte culturel de l’époque, le « pré-Ramón » évoqué par Gaspar Gómez de la Serna344 devient Ramón, en majuscules et à l’encre rouge, correspond à la seconde moitié des années dix et au début des années vingt. Comme souvent, c’est Cansinos Assens qui souligne, très précocement, l’évolution et les changements significatifs dans l’œuvre ramonienne. En 1919, il montre ainsi que l’auteur a inauguré, avec la triade de 1917, Senos, El circo et Greguerías, « una nueva manera más libre y demagógica », qu’il critique et décrit de la façon suivante : « La manera de Ramón en estos últimos libros es como una transcripción demótica de su hermetismo primitivo. La greguería marca una disociación demagógica en la fuerte hilazón [sic] de sus cerebraciones345 ». L’auteur, une fois intégré au milieu de la presse et connu du public, est soucieux de se faire reconnaître en tant que figure et en tant que style d’exception au sein du panorama des Lettres espagnoles. Dans un récent article, Nigel Dennis montre que les débuts ramoniens sont étroitement liés à une véritable campagne d’auto-propagande, orchestrée par l’auteur dans le but d’affirmer « la envergadura de su personalidad y la significación de su firma » :
La condición esencial del artista moderno […] no tiene más remedio que ir navegando lo más ágilmente posible esa zona fronteriza en que la « apartada orilla » de la creación se enfrenta con las expectativas y exigencias del público de consumidores. […]
[Ramón] recurre constantemente a la publicidad […] para conquistar un público de lectores o admiradores, hacer que los productos de su imaginación estén siempre presentes en el mercado y así conseguir el reconocimiento público que quiere346.
134Ce passage de l’analyse de Nigel Dennis m’intéresse tout particulièrement, dans la mesure où il souligne que la création du personnage de Ramón est indéfectiblement liée aux conditions du marché347. Étonnamment, c’est par l’étude de la supposée singularité ramonienne, telle qu’elle est revendiquée et affichée par l’auteur, que l’on mesure combien il se crée alors une personnalité, une écriture et un ensemble de signes particuliers qui ne rompent à aucun moment avec les institutions culturelles en vigueur. Ramón ne fait autre chose qu’un usage intelligent des référents qu’il emprunte à la culture de l’époque et ancre sa légitimité dans les milieux et le système de référence existants.
135Les années vingt marquent alors sa consécration comme écrivain « public ». Déjà membre de l’Athénée de Madrid depuis la fin des années 1900348, il intègre simultanément différents réseaux ou espaces de sociabilité culturelle, comme le PEN Club dont il est le sumiller en 1922349. Par ailleurs, depuis la « barricade » de l’Antiguo Café y Botillería de Pombo350, qu’il découvre à l’automne 1914 et d’où il lance ses premières proclamas en 1915 et 1916, il apprend les vertus du spectacle et commence à faire de sa personne un produit commercial351 :
Pombo era, ni más ni menos, que un espectáculo de primer orden en el mundo intelectual. […] De todo el riquísimo y variopinto anecdotario de Pombo, contado tantas veces, se surtió en enorme proporción la vida literaria madrileña de los años veinte […]. Porque, además, Pombo cumplía también, con otra medida y de modo casi tribal y colectivo, la preocupación del escritor de componer su figura, es decir, de exhibirse a sí mismo ante el público como personaje literario352.
136Pombo offre, pour cela, le cadre d’un lieu emblématique du Madrid castizo353. La postérité, qui a assigné à Ramón la position de précurseur des avant-gardes a tout naturellement projeté cette même image de nouveauté avant-gardiste sur la tertulia des samedis de Pombo. En réalité, le café fut sans doute choisi précisément parce qu’il était une institution madrilène354. Remplaçant en quelque sorte la revue Prometeo, Pombo devient la tribune personnelle de Ramón. L’auteur y convoque très régulièrement des banquets, dont la presse se fait l’écho pour l’originalité qu’ils manifestent : le banquet à Tous par ordre alphabétique ou encore le banquet à Don Nadie rendent hommage au petit monde des Lettres dans son ensemble, et prétendent lui donner une visibilité plus grande au sein de l’espace public. Ainsi, tout naturellement, c’est depuis Pombo qu’en 1923 Ramón prendra la tête des probanquetistas, en réponse aux provocations de la Liga Antibanquetista fondée par Mariano Benlliure y Tuero, en mars de cette même année355.
137C’est également à Pombo qu’est célébré un banquet en l’honneur de José Ortega y Gasset, en novembre 1921. Le long discours prononcé par Ortega à cette occasion est aujourd’hui célèbre, car le philosophe y réaffirme que « el concepto más importante de la historia, el gozne de su rodaje es la idea de las generaciones » et prophétise, à l’attention des contertulios de Pombo réunis pour l’occasion : « son ustedes la última generación liberal, y esta Sagrada Cripta, donde se alojan, la última barricada356 ». L’accueil du discours fut des plus réservés, mais Ramón prit soin de le diffuser, et de lui redonner « tout son rang » en le publiant intégralement dans le volume de La Sagrada cripta de Pombo. L’amitié avec Ortega, que Ramón cultive depuis le début des années vingt, lui ouvre les portes du prestigieux quotidien El Sol, ainsi qu’en témoigne cet extrait d’une lettre datant de la fin janvier 1923 :
Como sabrá vd. he dimitido de El Liberal porque el único obstáculo romántico que existía para que me fuese, ha desaparecido. Con mi franqueza y mi lealtad de toda la vida se lo había dicho a vd. siempre que esbozó la halagüeña idea de mi ida al Sol o a La Voz y eso fue también lo que escribí a Tomás Borrás cuando por indicación de ustedes seguramente, me escribió con propuesta que no rechacé ni por lo honrosa y lo inverosímil que era en todas sus partes, ni por nada sino por dar una lección de desinterés a algunos malos hombres.
¿Todo eso sigue en pie? ¿No habrán variado las cosas hasta hacerse difícil mi entrada en dichos periódicos? Le ruego me conteste francamente y con la seguridad de que mi afecto y mi admiración no acabarán nunca, por que son muy anteriores a toda eventual autoridad.
Yo aspiro a llevar « La Vida », la misma sección « La Vida », al periódico donde vaya, diariamente hasta que yo me canse y después más entreveradamente pero siempre con asiduidad. Como siempre también quisiera que fuera de alguna que otra visita cordial a la redacción, pudiese yo enviar en un sobre mi artículo y dejarlo sigilosamente, marchándome enseguida a seguir trabajando y preparando de modo especial y muy amplio el artículo del día siguiente.
También quisiera contar con la posibilidad de ausentarme en el extranjero, pues con cierto don periodístico se puede hacer eso y ver mejor la actualidad, más en perspectiva que estando aquí. […]
¿Convienen estas condiciones de trabajo e independencia a los nuevos periódicos a que aspiro?
Le ruego me conteste lo antes que pueda. Esta hemofilia que padezco, quizás sea por hábito inveterado —una crónica diaria en La Tribuna, después dos diarias, una en La Tribuna y otra en El Liberal, y por fin tres años de una todos los días también, dejando los Lunes, en El Liberal— tiene mi mano desangrándose inútilmente, con hormigueo especial, con ansia de recoger el asunto inactual que se me ocurrió ayer y el actual que ha surgido hoy.
Mi unica gestión después de mi telegrama dimitiendo, es ésta que realizo con vd., tomándome una confianza que me han producido sin ir más lejos, las últimas palabras de su última conversación conmigo357.
138Ce texte annonce le processus de transfert de Ramón du Liberal, qu’il abandonne à la fin du mois de janvier 1923, pour gagner El Sol et La Voz358. Ramón expose à Ortega ses conditions idéales de travail et s’engage, en retour, à apporter aux deux quotidiens fondés par son interlocuteur la rubrique « La vida », qu’il a inaugurée et définie dans El Liberal359. C’est pratiquement comme un produit commercial que l’auteur présente à Ortega sa prose, identifiée à un type de collaboration déjà expérimentée dans un autre journal. Le dernier paragraphe cité souligne, par ailleurs, l’exceptionnelle capacité productrice de Ramón, garante d’une future collaboration fidèle et nourrie. Muni de ce double argument, l’écrivain-journaliste entend convaincre définitivement le directeur du Sol et de La Voz de l’atout que peuvent représenter sa signature, son style et sa fécondité créatrice pour les deux quotidiens. Quelques semaines plus tard, la rubrique ramonienne « La vida » y fera sa première apparition360.
139Outre El Sol et La Voz, la sympathie d’Ortega pour Ramón est une voie d’accès à tout un appareil de diffusion de la littérature et du savoir : des pages de l’intellectuelle Revista de Occidente, à laquelle il collabore dès sa fondation en 1923, aux portes de la maison d’édition Calpe, où il a déjà publié plusieurs tomes dans la collection « Los humoristas » ou encore, quelques années plus tard, aux émissions de la madrilène « Unión Radio », dont il deviendra l’un des animateurs privilégiés (primé pour son reportage sur la Puerta del Sol et doté de son propre microphone, installé chez lui, à partir de 1930). Toutes ces instances de diffusion de l’œuvre et de la personnalité ramoniennes sont évoquées dans la correspondance avec Ortega. Ainsi, dans cet autre fragment de lettre, datant de 1924, Ramón expose ses projets éditoriaux dans le cadre des éditions de la Revista de Occidente et conclut :
¿Que van muchos libros míos? En secreto le repito como anoche que en verdad la historia de mi publicidad no era muy verdadera y auténtica siendo por eso por lo que ahora me apresuro a publicar unos cuantos tomos legibles que poner en las manos de la curiosidad que nace ahora por mi obra y que afortunadamente no ha existido hasta este punto en el tiempo.
Con todo lo expuesto mi querido Don José […] usted me devuelve el dia 1º o 2 de Junio esos dos originales y yo le haré en lo futuro otra novela en el momento que la pida, entregando estos a la imprenta porque tengo verdadera prisa para que cualquier arrebato inopinado de curiosidad en el público no me coja desnudo361.
140Cette allusion explicite aux campagnes d’auto-promotion de son œuvre est rare sous la plume de Ramón, tout autant que l’est le constat du décalage existant entre les stratégies publicitaires lancées par l’auteur et la réalité des ouvrages qu’il a publiés, au moment où il écrit cette lettre. Il est étonnant de voir Ramón si conscient du changement qu’il doit opérer dans son écriture et dans ses critères éditoriaux, en fonction de la réception de son œuvre par le public de l’époque. Cet aveu à Ortega montre combien Ramón est lucide sur sa situation au sein du marché éditorial et œuvre à tout moment à ce qu’elle évolue.
141C’est ce que montrent les temps forts de l’auto-publicité ramonienne, qui correspondent précisément au début des années vingt : l’étiquette « Ramonismo » se diffuse dans la presse, à partir du 15-IX-1920, où elle apparaît en première page de la revue Grecia362, annonçant fièrement et publiquement, comme le dit Nigel Dennis, que « no hay más Ramones que éste : éste es el más grande y el más inconfundible de todos363 ». Le prologue de l’ouvrage Ramonismo (1923) est on ne peut plus explicite à cet égard364. L’affirmation de la distinction ramonienne est totale et est associée, par l’auteur, à un mouvement vers le public365. Ce que Dennis appelle le nouvel acte de naissance de Ramón est, en réalité, annoncé dès la couverture du Libro nuevo — titre éloquent, s’il en est —, publié en 1920, et autre jalon fondamental de l’auto-propagande ramonienne :
El ejemplo más extraordinario de esta práctica auto-publicitaria de RAMÓN se da en Libro nuevo y conviene dedicarle un breve comentario. […] Lo veo como un gesto cuidadosamente calculado con un objetivo bien definido: el de subrayar de nuevo la categoría del escritor, responder a la aparente indiferencia u hostilidad del mercado, ampliar y difundir el prestigio del autor. Es decir, que como en tantas otras ocasiones, RAMÓN no hace sino pedir encarecidamente que se le preste atención y se le reconozca. […] El conjunto del libro equivale a una afirmación contundente —y muy hábilmente configurada— de sus méritos. El lector pasa de texto de RAMÓN a texto sobre RAMÓN en el que el juicio favorable sobre lo que acaba de leer o lo que está a punto de leer ha sido preparado de antemano366.
142C’est dans le cadre de cette stratégie publicitaire et éditoriale qui guide la production littéraire ramonienne à partir de 1920, qu’il faut situer la pleine conscience que l’auteur exprime face à Ortega de la nécessité de publier au plus vite des œuvres intelligibles par le grand public. La lettre précédemment citée est, en cela remarquable, car elle signale la date de 1924 comme celle de la reconnaissance sensible de l’œuvre ramonienne par le public de l’époque, dans un premier temps sous la forme d’une « curiosidad que nace ahora por mi obra ».
143C’est en réalité 1923, déjà, qui constitue l’annus mirabilis de Ramón. Ainsi que l’a signalé José-Carlos Mainer367, cette date symbolique marque un palier dans l’œuvre de l’auteur : celui des premières collaborations dans El Sol, de l’installation dans le Torreón de Velázquez et des voyages à Estoril, dans l’ambition de se consacrer uniquement à la littérature dans une « tour d’ivoire et de papier368 », celle des banquets célébrés en son honneur (et non des moindres, puisque l’un de ceux que la postérité a retenus comme les plus spectaculaires, l’hommage du Circo Americano à son « chroniqueur officiel », juché sur un trapèze, a lieu en 1923). C’est également et surtout l’année de la fondation du Ramonismo, au travers d’un livre qui paraît sous ce titre, donnant un caractère officiel au baptême de l’isme ramonien qui, dès lors, se définit en tant que système. C’est ce que sanctionne, d’ailleurs, l’article de Fernández Almagro paru dans la revue España pour consacrer la « generación unipersonal de Gómez de la Serna ». La date de 1923 marque par ailleurs, du point de vue de la production journalistique, un palier significatif dans le nombre d’articles publiés et l’audience qu’ils représentent : Ramón publie désormais autour de 400 articles par an et il est présent simultanément dans non moins de douze publications. Du reste, la greguería s’exporte avec succès, puisque les Échantillons traduits en France par Larbaud et Pomès sont présentés chez Grasset et s’affichent dans les vitrines des librairies parisiennes, offrant ainsi Ramón une promesse de renommée européenne. Enfin, 1923 est l’année de rédaction de la première d’une longue série d’autobiographies ramoniennes, parue sous la forme d’un fascicule tiré-à-part de La Sagrada cripta de Pombo et dont la couverture est ornée du titre Ramón et d’une reproduction du portrait cubiste de l’auteur par Rivera369. La première phrase de l’autobiographie ramonienne est tout à fait explicite : « Yo tenía que hacer mi autobiografía alguna vez, para poder ofrecer así algunos datos impresos y profusos a todos los que quieren saber algo de mí370 ». L’auteur s’adresse à son public (potentiel) et inaugure ainsi une tradition au sein de l’œuvre ramonienne, celle des Mémoires, toujours savamment auto-publicitaires.
144Le personnage de Ramón est né : au-delà de son statut de journaliste, désormais incontestable, c’est ainsi que Gómez de la Serna se présente au public à partir des années vingt.
IV. — AUX SOURCES DE L’INSPIRATION RAMONIENNE
145Si l’initiation au métier de journaliste comme voie de professionnalisation est indispensable pour comprendre la formation littéraire ramonienne, elle ne l’est pas seulement d’un point de vue humain (la presse et le milieu éditorial en général étant constitués en divers réseaux), stylistique (le format de l’article imposant des contraintes formelles directes sur l’écriture ramonienne) ou « publicitaire ». Elle offre également au jeune auteur et directeur de revue un certain nombre de modèles potentiels — en particulier, de modèles étrangers. À la faveur de la circulation des textes inhérente au support de la presse, l’écriture syncrétique de Ramón puise dans les multiples sources de la littérature européenne de son temps, afin de parfaire son éducation littéraire. Après la présence déterminante aux côtés de Ramón de Ramírez Ángel, Francés ou González-Blanco, c’est celle de Baeza, le principal traducteur littéraire de Prometeo, qui mérite à présent d’être examinée.
146Car, la critique est unanime à reconnaître le cosmopolitisme ramonien et la seule mention du « genre » de la greguería suffit, le plus souvent, à convoquer un certain nombre d’équivalents, tous étrangers : des diapsalmata de Kierkegaard aux fragments du Cornet à dés de Jacob, en passant par les aphorismes de Wilde ou les notes du Journal de Renard. Mais les sources précises de ces possibles lectures formatrices de l’auteur ne sont quasiment pas évoquées, pas plus que n’est posé le problème — pourtant essentiel, car problématique — de la maîtrise des principales langues européennes dont pouvait faire preuve l’auteur des Greguerías. Or, on ne saurait comprendre la formation littéraire ramonienne sans revenir sur les sources de son inspiration.
La figure essentielle du traducteur
147Selon Julio, le frère cadet de Ramón, l’habileté linguistique de son aîné était, pour le moins, haute en couleurs :
Ramón conoce el francés, el italiano y el portugués. Puede expresarse incluso —y lo ha hecho en público varias veces en cualquiera de esas lenguas— pero siempre re-creando la pronunciación y hasta el léxico extranjero, en una invención arbitraria y osada. Por eso, Cocteau, en una cena que dio en sus salones de París la fina escritora Victoria Ocampo, y en la que reunió a la poetisa madame de Noailles, a don José Ortega y Gasset, al propio Cocteau y a mi hermano, exclamó cuando alguien intentó rectificar una palabra pronunciada por él: « Je vous défends de toucher le français de Ramón… Ne le corrigez jamais! Son français est un français plastique que j’aime ». Yo le he oído hablar en Lisboa y en Estoril el portugués más innovador y desconcertante pero que los naturales del país entendían perfectamente. Y estoy seguro de que lo mismo le sucedería en Inglaterra y en Alemania, cuando visitó esos países. Recuerdo igualmente haber oído muchas veces, en mi adolescencia, a Ramón, cuando salía de su cuarto y se adentraba por los pasillos de nuestra casa, recitar, por ejemplo, los célebres versos de la « Canción otoñal » verlainiana, con gran empaque de actor y con una voz y una pronunciación impresionantes:
Les sanglots longs
Des violons De l’automne371.
148Malgré la présentation initiale de Ramón comme polyglotte, il semble que le qualificatif le plus à même de décrire, chez cet auteur, la connaissance des langues étrangères soit, en réalité, l’adjectif desconcertante et qu’une fois l’exercice de la récitation terminé, le passage à la pratique soit délicat. L’exemple de la présentation des Échantillons à Paris est d’ailleurs inscrit dans les annales d’Automoribundia et c’est par une pirouette clownesque que Ramón se dérobe à l’épreuve du discours en français372. Un article anonyme publié dans El Sol est même plus explicite encore sur le sujet, puisque, selon l’auteur, « esta vez Ramón nos amenaza con una estancia muy larga. […] Ramón dice que su establecimiento en París responde a uno de sus sueños más largo tiempo acariciados. Por nuestra parte, lo dudamos mucho, porque, de haber sido así, se habría preocupado, por lo menos, de aprender francés373 ».
149Sans sarcasme aucun cette fois, il semble légitime d’émettre ici de sérieux doutes sur la connaissance directe du français et de l’anglais que pouvait avoir Ramón jusqu’au début des années vingt. Innombrables (et célèbres) sont, par exemple, les erreurs commises dans la transcription de noms des auteurs étrangers cités dans Prometeo : Schwob, Shaw ou Whitman sont immanquablement écorchés en Swob, Saw, Witman. Quant aux citations littéraires, il suffira de rappeler le sort de Shakespeare et son inattendu « Vorms, vorms, vorms » dans le texte de « El concepto de la nueva literatura » pour mesurer combien le « cri tragique de Hamlet374 », involontairement revisité par Ramón, a perdu de sa superbe.
150Dès lors qu’il s’agit d’apprécier les possibles sources étrangères de la prose ramonienne, il semble donc raisonnable de formuler l’hypothèse du rôle fondamental des traducteurs qui entouraient l’auteur dans les années dix. Cette fois encore, Ramón se trouve au centre d’un réseau, à la fois professionnel et amical, qui lui permet l’accès aux textes qui alimenteront sa bibliothèque idéale. Milieu ramonien par excellence, la revue Prometeo compte un certain nombre de traducteurs : Edmundo González-Blanco, Fernando Calleja, ou encore Enrique Díez-Canedo et Fernando Fortún, qui passeront à la postérité comme les éditeurs et traducteurs principaux de l’anthologie La poesía francesa moderna375. Julio Gómez de la Serna fait également ses premières armes de traducteur dans les pages de la revue et devient la seconde figure d’importance de Prometeo dans ce domaine, auteur de la majorité des traductions publiées à partir du printemps 1911. Carmen de Burgos, la compagne intellectuelle et sentimentale de Ramón durant les années 1910-1920, est l’auteur de la traduction de The Stones of Venice de John Ruskin, publiée en 1913 chez Sempere avec un prologue de Ramón. Toutefois, celui qu’il est légitime de considérer comme le traducteur officiel de la revue est Ricardo Baeza, ami intime de Ramón depuis l’enfance376 et rapidement affublé par ses co-rédacteurs de Prometeo d’un amical Traduxit qui dit bien sa condition, tout en lui octroyant une certaine reconnaissance. L’importance de sa contribution au projet éditorial et littéraire de la revue est décisive, de sorte que Baeza est l’un de ces membres aujourd’hui oublié du cénacle de Prometeo sans lequel on ne saurait comprendre la formation littéraire ramonienne. C’est par son intermédiaire que Ramón entre en contact avec les œuvres les plus récemment publiées à l’étranger, qui n’ont pas encore été traduites en espagnol.
151C’est à tout le moins ce qu’indique une partie de la correspondance conservée dans le fonds privé inestimable des archives de la famille Baeza377. Il s’agit d’un ensemble cohérent de trente-cinq lettres envoyées par Ramón au cours de la période 1909-1912 à son ami et proche collaborateur378. Ces lettres reflètent l’échange quasiment d’égal à d’égal entre les deux écrivains et le rôle actif de Baeza dans les critères éditoriaux de la revue. Le choix des auteurs à traduire, en particulier, semble incomber, dans la pratique, tant à Ramón qu’à Baeza, qui impose ses choix et ses réticences379. On lit, par exemple, dans la deuxième des lettres conservées, « Mi optimismo respecto a ti esperaba la selección que has demostrado ». La sélection est pleinement partagée, au point que l’on a la sensation que Baeza communique tout ou partie de ses affinités littéraires à Ramón. Depuis le « Prepárame una cosa formidable de quien quieras » (12-VI-1909)380 jusqu’à un impératif « necesito […] esa traducción que te pedí » (17-IX-1909), Ramón passe par une série d’indications plus ou moins floues, qui laissent à Baeza la liberté de retenir l’auteur de son choix. De fait, la singularité du jeune directeur et celle du traducteur se confondent bientôt en un nous collectif qui régit le destin de Prometeo : « Envíame nuevas cosas en ese sentido por el que nos guíamos al hacer aquella lista aquella tarde » (1910).
152Ainsi, trente-cinq des quelques soixante traductions parues Prometeo sont attribuables à Baeza et, ce, dans les trois langues principales : l’anglais, le français et l’italien, auxquels il faut ajouter une traduction portugaise du poète Eugenio de Castro. La confiance dont Ramón fait preuve envers les choix esthétiques de son ami est un élément fondateur de la collaboration entre les deux hommes puisque, dès la première année de publication de la revue, Ramón exprime très explicitement à la fois l’admiration et l’enjeu que représente, à ses yeux, la présence lettrée de Baeza parmi les rédacteurs de la revue et la teneur de la bibliothèque de ce dernier :
Ricardo Baeza es un muchacho muy joven, fantástico. […] En pocos espíritus se puede tener la confianza que en él tenemos confiada.
Su cultura literaria vale por casi todas las culturas de los otros, porque sabemos a qué admirable selección corresponde […].
Su biblioteca, es una biblioteca que ha llegado a ser para nosotros una obsesión, tan bien representado está en ella, nuestro ideal de lecturas y admiraciones381.
153Modèle de lectures cosmopolites revendiqué par Ramón, la bibliothèque personnelle de Baeza est aujourd’hui inaccessible aux chercheurs. Pour autant, il est possible d’en reconstituer la teneur partielle au travers de divers autres témoins de l’époque et d’évaluer ainsi le canon suivi par Baeza et partagé avec Ramón, afin d’identifier les figures tutélaires de ce dernier, alors qu’il achève sa lente métamorphose d’intelectual adolescente382 en « figure de tout premier plan » des Lettres espagnoles383. Car, si l’on en croit Bernard Barrère, Prometeo est pour Ramón un authentique laboratoire cosmopolite, lieu d’apprentissage oscillant entre allégeance et émancipation, permettant l’articulation entre la formation par la lecture et la création proprement dite : « 1908, 1909 et 1910 furent trois années cruciales pour le jeune écrivain qui, à travers les essais, manifestes, communiqués et comptes rendus procède à l’accumulation d’un capital critique »384. Ramón publie, au cours de cette période, ses premiers écrits théoriques sur la littérature — « El concepto de la nueva literatura », « Mis siete palabras », « Palabras en la rueca » — et met à profit l’outil que constitue la revue pour faire de ponctuelles incursions dans le domaine des poétiques et des expérimentations européennes se revendiquant de la modernité. Lorsque, dans les années cinquante, Baeza décrit en quoi consistait son activité au sein de Prometeo, il évoque
algunas páginas críticas y poemas en prosa [entreverados] con una labor de traducción sostenida, dando a conocer nuevos autores extranjeros, hasta entonces totalmente ignorados en España: Swinburne, Marcel Schwob, Lautréamont, Colette, Francis Jammes, Remy de Gourmont, Rodenbach385.
154Une volonté critique accompagne l’œuvre de traduction inédite. Il s’agit d’élargir l’horizon de curiosité et de connaissance du lecteur espagnol et, de fait, parmi les ouvrages retenus dans cette liste, Les chants de Maldoror de Lautréamont (bientôt revendiqués par les surréalistes) ou Le livre de Monelle de Schwob (dont la préface offre une sorte d’art poétique de la modernité, fondé sur les notions d’autonomie de la littérature, de refus des conventions et de recherche de l’actualité) comptent parmi les textes les plus subversifs traduits dans Prometeo. La revue cherche à suivre et à présenter à ses lecteurs le modèle de l’Europe moderne : « Prometeo “una revista de Europa” », c’est ainsi que Ramón la définit, dans une lettre de l’été 1911. Pour ce faire, les traductions incluent progressivement un apparat critique minimum, qui reprend à grands traits la biographie de l’auteur et y ajoute une bibliographie précise de ses œuvres (en langue originale et, le cas échéant, dans les traductions espagnoles existantes). Dès la fin de l’année 1910, Ricardo Baeza Traduxit signe un portrait liminaire de l’auteur traduit par ses soins : c’est notamment le cas pour Gourmont386, puis Rachilde387. Ces descriptions sont généralement succinctes et la préoccupation formelle, toute moderniste, y est l’un des points de mire de Baeza, mais le traducteur-critique est tout de même soucieux de présenter la singularité et la nouveauté des œuvres qu’il traduit. À son tour, Ramón, sous le pseudonyme de Tristán, signe en 1911 le premier d’une longue série de Retratos, celui qu’il consacre à Wilde, dans le numéro 26388. Il y retrace les influences de l’auteur, ses tendances esthétiques et prétend ainsi faire que le lecteur considère le texte qu’il s’apprête à lire avec un certain recul critique. Aussi la traduction dans le cadre de Prometeo s’inscrit-elle dans une volonté de réflexion sur la littérature.
155Enrichie de cette dimension critique, la pratique constante de la traduction devient l’une des caractéristiques de la revue. Avec une à quatre traductions par numéro au cours de ses quatre ans d’existence, Prometeo ne cesse de proposer à ses lecteurs des textes étrangers inédits en espagnol389 et d’en revendiquer les vertus. La traduction est rapidement brandie comme argument de nouveauté et d’audace, ainsi qu’en témoignent chacun des bilans ou des professions de foi pour les parutions à venir (dans une orthographe fantaisiste imputable à Ramón) :
Recordemos que […] se han publicado cosas de toda la Juventud, la más expansiva y la más rebelde y se han traducido las cosas más personales y menos editoriales pero más artísticas de hombres por primera vez traducidos en España como el Conde Lautréamont, Marcel Swob [sic], Rodenbach y de otros casi tan desconocidos en castellano como Gourmont, Rachilde, Wilde, Maeterlinck, Witman [sic], Novicow, Paul-Luis [sic], etc.390.
Persistiremos mientras tanto en nuestra labor cada vez más nueva y más audaz. […] Todos han hecho obra personal e independiente sin que tuviéramos en cuenta al seleccionar los originales más que su fuerza. De los grandes hombres extranjeros desconocidos plenamente aquí, hemos dado sus cosas más recias.
Y las que daremos391.
156Les traductions participent d’un projet idéologiquement avant-gardiste et novateur, pour lequel il semble nécessaire de se tourner vers l’étranger, présenté ici comme plus radical. Les lettres écrites durant cette période en manifestent clairement l’enjeu puisque, dès le tout début de cet échange épistolaire, Ramón confie à Baeza le soin d’une rubrique pour laquelle il porte, d’ores et déjà un vif intérêt : « Traducción de Ricardo Baeza será la rúbrica impresa del trabajo », lit-on dans une lettre du 20-II-1909, juste avant la prière, plus définitive encore, de « proteger a Prometeo de esa manera ». La reconnaissance de Ramón envers le travail effectué par son ami se traduit par la suite dans les récurrents compliments qui ponctuent l’ensemble de la correspondance, cachant parfois à peine l’insistance avec laquelle Ramón incite Baeza à poursuivre la tâche entreprise : « me alegraré que […] traduzcas para ese Prometeo a quien tan feliz hacen tus traducciones » (30-VI-1909). Au cours de l’été, Ramón signifie l’importance croissante que revêt la traduction dans la revue, jusqu’à la consécration définitive de la figure de Baeza à ce titre, sous la forme d’une « loa a [s]us traducciones » (4-VII-1910), publiée dans le numéro 18. Il s’agit pour Ramón, qui en est « anonymement » l’auteur, de vanter les mérites de l’introduction de textes étrangers dans la culture hispanique, au moyen de la traduction :
La traducción de los escogidos es lo único que hace inefable la vida. Porque lo fuerte con « su » fortaleza, lo excesivo, lo supremo, […] no ha existido en nuestra tierra. Sólo se inicia en esta juventud. […]
No hemos tenido un France, un Marcel Swob [sic], un Mallarmée [sic], un Gourmont, un Nietzsche, un Maeterlinck, una Rachilde, una Colette, un Wilde, un Jammes, un Fort, un Bloy, etc., etc.
Prometeo quiere, como lo ha querido ya durante toda su vida — ¡admirable Ricardo Baeza!— que una vez por lo menos se salga de la idiosincrasia consabida, mortal, pintoresca y mediocre y se salve el alma en esa libertad rara, personal, ascendente, en ese desconocido en el que después de perdidos, comenzamos la verdadera posesión de nosotros mismos392.
157Ces lignes témoignent de l’une des préoccupations ramoniennes qui deviendra l’axe directeur de la revue : la recherche de l’altérité et de l’émulation qui en est le corollaire. Par cet éloge de la traduction, Ramón fait, en creux, le portrait des pairs (et des « pères » littéraires) des collaborateurs de Prometeo, assemblés en un « doloroso yermo español ». La critique est d’autant plus dure (« brota una terrible agresividad parricida ») qu’elle veut signifier l’indépendance radicale qui a été conquise grâce à la traduction :
Sin esos hombres [les auteurs traduits], hubiéramos estado secuestrados, hubiéramos padecido algo como una terrible enfermedad, de incuria […]. Nos sentimos menos solos, menos hijos únicos de padres […] abúlicos y conservadores. Tenemos ya hermanos que nos creen, pues la verdadera creación es de hermano a hermano, de amigo a amigo, de insurgente a insurgente. Creación que pone después en camino de independencia […].
Nuestro clamor es el clamor de los que se han salvado de un peligro mortal que espontáneamente hace gritar la blasfemia393.
158On le voit, au travers du clamor final, le ton est celui du manifeste : un manifeste qui repose sur l’acte de traduction, présenté comme un élan subversif dans la mesure où il fait entendre une autre voix et où il bâtit une nouvelle communauté culturelle, au sein de laquelle s’intègre la jeunesse insurgente des co-rédacteurs de Prometeo. La tâche du traducteur est donc de la plus haute importance : ses traductions ont une fonction clairement identifiées ; il s’agit d’intégrer à la revue les signatures prestigieuses d’autorités internationales. Ramón ne s’y trompe pas et leur confie une place de choix : « En todos los números irán lo primero de todo y ya tengo puntualizados los números con sitio para dos en cada uno » (3-VII-1910), car les traductions constituent pour le lecteur « una irrupción exótica y admirable » (13-VII-1910), dont la direction de la revue recherche l’effet. Dès 1909, un compte rendu de la traduction du Sogno d’un mattino di primavera de Gabriele d’Annunzio témoigne de l’enjeu que représente la figure de Baeza pour la revue :
[Ricardo Baeza] se nos representa como dentro de uno de esos sobres —en que recibimos sus cosas— que él lacra con lacre dorado, y en los que grava la figura enhiesta, y hermética de la Esfinge; como si tal fuese su blasón.
Esperemos que quiebre la esfinge de lacre y rompa el sobre si es que se decide al fin, porque de eso ha de provenir lo nuevo, lo inaudito, ese algo que es toda nuestra inquietud394.
159Quebrar, romper, inquietud : autant de termes qui disent combien Baeza, figure à part entière de Prometeo395, participe pleinement de la dynamique de rénovation et de quête effrénée de la nouveauté et de l’inédit, qui oriente l’expérience de la revue depuis ses débuts. Comme l’affirme Gallego Roca,
La traducción fue puerta de entrada de las novedades europeas en un tiempo, los años veinte, en que lo « nuevo » obsesionaba a los literatos. La traducción se convierte en instrumento de actualización de las tradiciones remotas e inmediatas y en canal de diálogo entre los movimientos artísticos nacionales. Desde las revistas y a partir de la segunda década del siglo se intenta renovar el canon nacional e internacional. En ese momento las traducciones desempeñan un importante papel en la formación crítica y estética de las vanguardias396.
160Sans arriver encore au seuil de l’avant-garde, il est indéniable qu’en se fondant sur la collaboration de Baeza, Ramón fait preuve, dans les pages de Prometeo, d’une attitude de définition d’un canon futur : « Dedícame cinco días. El porvenir te amará atrozmente. Esta España se inquietará sísmicamente » (4-VII-1910), prédit-il à son traducteur. Dans une autre lettre, apparaissent en termes plus explicites encore les notions d’engagement ou de mission et de résonance : « Todas esas palabras que tú digas y que tú traduzcas, tienen un cometido a través de las muchas generaciones y las muchas ondas que crearán » (1911). Il s’agit, ainsi que le suggère la métaphore ondulatoire, de frayer la voie de la nouveauté, d’ébranler ce qui est perçu comme l’immuabilité ambiante. Dès la fin 1909, Ramón affirme dans diverses lettres à Baeza son dessein de publier des « choses définitives » et évoque Prometeo comme une revue « unique ». Il lui assigne une mission, dont l’ambition se mesure à l’hyperbole de deux adjectifs qui en disent l’exception : « Pocas veces habrá una revista en que podamos hacer tan arbitrarias campañas artísticas, tan extraordinarias » (13-VII-1910). Ces campagnes auxquelles aspire Ramón confirment le souci de l’auteur de faire acte de sa présence singulière en prenant position dans le panorama du Madrid culturel des années dix, suivant le modèle des revues modernistas. Les termes en lesquels Ramón définit à l’attention de Baeza l’entreprise de Prometeo rappellent, par exemple, la déclaration d’intention qui ouvre Helios, celle de fonder un « grupo juvenil — si flaco en número, fuerte en amistad397 ». Quant au corpus des auteurs étrangers réunis dans les traductions de Prometeo, il vient enrichir la liste des collaborateurs de la revue et compose ainsi une sorte d’album amicorum, à l’image des portraits publiés dans Renacimiento398.
161La volonté de rénovation au sein du champ littéraire passe, ainsi, par la recherche de modèles de structures littéraires ou de communautés esthétiques, avec leur revue comme organe de diffusion. Dans le passage de la formation intellectuelle à la formation littéraire, on observe, en quelque sorte, une phase de transition au cours de laquelle Ramón, avant de chercher à s’affirmer en tant qu’écrivain — processus qu’il entreprendra au fil des années 1908-1912 —, cherche à fonder son école au travers de la Rédaction de Prometeo. C’est pourquoi, lorsqu’on s’interroge sur les sources littéraires ramoniennes, c’est vers les revues de l’époque qu’il faut en premier lieu se tourner, suivant les préférences formulées par l’auteur dans les pages de Prometeo :
Una revista va a veces más allá que un libro, o si no más allá en muchas más direcciones que un libro. El libro es una línea recta, porque por muchas sinuosidades que tenga va en una sola dirección, y esto le da un carácter rectilíneo. La revista quizá carece de toda la extensión del libro, pero utiliza la suya en tan cambiantes y pintorescos sentidos, que resulta una cosa radiada399.
162La richesse de la revue lui vient de sa capacité à explorer des horizons divers et à proposer différents points de vue sur le réel, condition indispensable à la structuration d’un authentique « mouvement intellectuel » (que le titre de la chronique mensuelle appelle de ses vœux).
163Hormis les deux antécédents nationaux que je viens d’évoquer, et puisque l’un des noyaux de l’école prométhéenne est, de toute évidence, formé par le groupe des traducteurs, il est légitime de se tourner vers l’étranger pour trouver un modèle susceptible d’avoir exercé une influence dans la définition des critères esthétiques de Prometeo. La nature même de ces critères indique, sans équivoque, une source possible. Tel est en effet, selon Gallego Roca, l’un des canons qui se dessine au sein de Prometeo :
Los traductores de la revista Prometeo establecen un corpus de poesía extranjera al que se recurrirá con frecuencia y que será reeditado y antologado en numerosas ocasiones: es el « canon accesible » (Fowler) que fluye desde el fin de siglo hasta los primeros años veinte. La antología de poesía extranjera que tuvo una más amplia difusión y una recepción crítica y productiva más importante se fragua en las páginas de Prometeo400.
164Il s’agit de La poesía francesa moderna, publiée en 1913 sous la direction d’Enrique Díez-Canedo et de Fernando Fortún. Recueil de textes essentiellement symbolistes, cet ouvrage est, à mon sens, primordial en ce qu’il est strictement contemporain des premières greguerías, et qu’il reflète les engouements littéraires de l’époque. Vingt-huit traducteurs concourent au succès de l’anthologie. On recense parmi eux huit collaborateurs de Prometeo : Baeza, Carrère, Díez-Canedo, Fortún, González-Blanco, Juan Ramón, le jeune Salinas et Vegue y Goldoni. Gallego Roca note la coïncidence entre la sélection de cette anthologie et la double « grille de lecture401 » de La Nueva Literatura de Cansinos Assens et de Los raros de Darío. Il est, néanmoins, une autre influence à signaler, avec José Luis García Martín :
Tomando como modelo algunas antologías francesas, especialmente la que prepararon Adolphe Van Bever y Paul Léautaud para el Mercure de France, […] Díez-Canedo y Fortún seleccionaron más de medio centenar de poetas desde los precursores románticos de la sensibilidad simbolista, hasta los estrictamente coetáneos402.
165La prédilection des rédacteurs de Prometeo pour le Mercure de France — cette revue fondée par « le vivier de la génération symboliste403 » — est connue dans le domaine des traductions étrangères. Anderson conclut par ces mots son étude sur le sujet : « Lo que sí se desprende de este análisis es una gran preferencia por parte de Gómez de la Serna — y de Baeza — por los escritores franceses relacionados con la revista Le [sic] Mercure de France404 ». Mais l’influence de la revue parisienne est, à mes yeux, plus grande encore. Elle sous-tend les fondements du discours prométhéen. Dès le premier numéro, on peut lire comme une déclaration de principes l’article intitulé « Movimiento intelectual. El Mercure de France », qui commente la publication d’Ecce homo de Nietzsche dans les pages de la revue parisienne405. Le Mercure y est affiché comme une lecture de référence des prométhéens et un modèle de revue moderne.
Ramón, messager entre Mercure et Prometeo
166Lors du banquet en l’honneur de Larra, que Prometeo organise le 24 mars 1909, à l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain, Ramón énonce une filiation très nette : « [Larra] piensa tan nihilístamente como nosotros. Ha evolucionado. Está al corriente de nuestras quimeras y de nuestras rebeldías. Recibe Le Mercure [sic], Akademos y Prometeo406 ». Consignée par écrit dans l’un des premiers numéros de la revue, cette déclaration est d’autant plus significative qu’elle survient à un moment où Prometeo cherche à fonder sa légitimité en se plaçant sous l’égide d’illustres modèles.
167Dernière publication parisienne remarquée par les rédacteurs de Prometeo, Akademos est à la fois jeune et approuvée par l’autorité du Mercure de France, qui commente longuement sa première apparition dans le numéro du 16-II-1909407. Animée d’un enthousiasme dans le sens étymologique du terme, « l’enthousiasme qui vient d’Athènes408 », Akademos revendique « les traditions de la pureté latine et les… innovations de la simplicité grecque409 ». La revue ne s’annonce donc pas des plus subversives, esthétiquement parlant. Notable, en revanche, par la qualité très soignée de son impression, elle se présente comme « une tribune libre », où tout un chacun est invité à collaborer, et se définit comme « la plus indépendante des Revues410 ». D’une existence éphémère, Akadamos ne passera finalement à la postérité qu’à travers la personnalité de son fondateur, le baron Jacques d’Adelswärd-Fersen, plus volontiers associé à l’affaire des messes noires de 1903 qu’à une œuvre poétique qui fera pourtant parler d’elle à l’époque, notamment à travers L’Hymnaire d’Adonis, à la façon de M. le Marquis de Sade (1902)411. Du point de vue littéraire, la liste des collaborateurs, publiée en fin de numéro, est fort intéressante : on y reconnaît un certain nombre de poètes symbolistes (Adam, Eekhoud, Maeterlinck, Montesquiou, Moréas, Tailhade, Verhaeren ou encore le théoricien du symbolisme Tancrède de Visan) et de prosateurs qui seront également présents dans les pages de Prometeo (d’Anatole France à Colette, en passant par Charles Callet). Antonio de Hoyos, rédacteur de Prometeo, est le seul Espagnol à figurer au titre de collaborateur de la revue parisienne.
168Les coïncidences avérées dans le contenu des deux revues restent, cependant, assez sporadiques. Dans le compte rendu publié par Prometeo, qui porte sur le numéro 3 de la revue d’Adelswärd, Ramón fait ressortir les noms de Laurent Tailhade (à qui sera, entre autres, dédié le recueil Tapices412), d’Ernest La Jeunesse et de Colette Willy413. On comprend aisément que ces deux derniers auteurs aient attiré l’attention du futur créateur des Greguerías, car les poèmes du premier et les fragments de la seconde sont fondés sur deux des procédés caractéristiques de la prose ramonienne : le point de vue du flâneur et le recours à l’analogie poétique. Le cas de Charles Callet est plus étonnant. Après une première collaboration — précisément dans le numéro 3 d’Akademos qui fait l’objet de la recension de Prometeo —, il publie un texte intitulé « Le coffre de cèdre », portant le sous-titre de « conte ancien ». C’est ce même texte que choisira de traduire intégralement Julio Gómez de la Serna dans le numéro 29 de Prometeo. Or, ce conte de facture classique ne figure pas dans le recueil de Contes anciens de 1904414, ce qui suggère qu’il aurait été publié pour la première (et unique ?) fois au sein d’Akademos, faisant dans ce cas de la revue parisienne une source indispensable pour son homologue espagnole. À cette notable exception près, on ne recense aucun commentaire ni critique explicites d’Akademos au-delà du numéro 5 de Prometeo, où la chronique « Movimiento intelectual » est consacrée à la revue d’Adelswärd. Du reste, cet article, qu’il est raisonnable d’attribuer à Ramón, se présente comme une simple copie de la note du Mercure de France. Si bien que les coïncidences s’expliquent peut-être par le fait que les deux jeunes revues puisent, en réalité, à une source commune, celle du Mercure de France.
169Lorsqu’il évoque les années de formation de Ramón, Juan Manuel Bonet décrit en ces termes le milieu culturel dans lequel s’inscrit le jeune directeur de Prometeo :
Los años en que Prometeo, en buena medida gracias a la labor traductora de Ricardo Baeza, remedaba al Mercure de France, y en que [Ramón] fue el más consecuente admirador español de los « malditos » verlainianos, de los « raros » rubenianos415.
170Modèle de l’époque en Espagne, le Mercure de France est, selon Barrère, la « Bible littéraire » de Ramón416. Les analogies avec Prometeo sont nombreuses et parfois aussi curieuses que symboliques. Les deux revues sont, par exemple, placées sous l’égide respective du messager des dieux et de celui qui apporta la connaissance aux hommes, ce qu’elles signifient dans la représentation graphique qu’elles ont adoptée. Après avoir arboré dans ses premiers numéros une lithographie de Benlliure, la couverture de Prometeo s’orne d’une vignette représentant un personnage mythologique — probablement un griffon — surplombant la devise latine « Ad-metam et ultra417 », qui rappelle l’idée de mouvement contenue dans celle du Mercure : « Vires adquirit eundo418 ». La composition des deux emblèmes est proche, tant par l’orientation de la figure, vers le côté gauche, que par la position de la devise (en trois mots dans les deux cas, puisque l’ad metam prométhéen est accolé).
171Naturellement, on ne peut s’empêcher de noter que les deux figures présentent aussi la ressemblance de leurs dissemblances : celle d’un modèle très classique dans le cas du Mercure, opposé au trait moderne de l’emblème prométhéen. Ainsi que le suggère la devise, il s’agit probablement, pour Prometeo, de prétendre surpasser le modèle et s’affirmer comme résolument moderne.
172Dans les textes cependant, la tutelle du Mercure de France sur Prometeo est aisément observable. On en citera ici deux exemples dont l’exotisme semble pouvoir garantir que la revue parisienne était bien l’une des sources de la section des Lettres étrangères retenue dans Prometeo par Ramón, en étroite collaboration avec Baeza. Dans les numéros 20 et 28 de Prometeo, sont traduites deux séries de « Kásidas moriscas del siglo x ». La première livraison, correspondant au mois d’août 1910, est tout entière tirée de deux anthologies publiées par Franz Toussaint dans les numéros du Mercure de France des 1-II-1909419 et 16-XII-1909420. Sélectionnés et ré-ordonnés par Baeza, les textes parus dans Prometeo reprennent jusqu’au titre général donné par Toussaint et aux indications bibliographiques sur les auteurs des diverses kacidas. L’autorité du Mercure est, au demeurant, à peine cachée, puisqu’il existe un compte rendu de la première livraison parisienne dès le numéro 4 de Prometeo. Quant à la deuxième série de kacidas, publiée dans le numéro 28421, elle est identique à la sélection du Jardin des caresses proposée par Toussaint dans le Mercure du 16-II-1911422. Cette fois-ci, Baeza ne précise pas la source exacte à partir de laquelle il traduit, et se contente de reprendre le sous-titre de Toussaint, « Kacidas mauresques du xe siècle », en ré-ordonnant les poèmes publiés dans le Mercure423.
173Une seconde référence susceptible d’établir le rôle du Mercure de France comme source littéraire des collaborateurs de Prometeo concerne l’auteur d’origine grecque Lafcadio Hearn. Quoique non retenu finalement dans les pages de la revue, Hearn est présent dans la correspondance entre Ramón et Baeza. Deux lettres quasiment successives datant de l’automne 1910424 font allusion à d’énigmatiques « cosas japonesas » que Baeza aurait soumis à Ramón parmi d’autres textes pour la section de traductions de Prometeo, puis explicitement au nom de Hearn425. Or, ce dernier, qui s’installe au Japon à partir de 1890, est publié à deux reprises dans le Mercure de France en 1909, et fait l’objet d’un article critique de Marc Logé, son traducteur. Ses deux contributions littéraires, intitulées « Papillons du Japon » et « Fourmis426 », sont placées dans une atmosphère japonisante, que Logé commente dans une minutieuse biographie de l’écrivain qui paraît dans le numéro du 1-XII-1909427. Le critique et traducteur ne se contente d’ailleurs pas de présenter la vie et les errances de Hearn de continent en continent, mais cite divers fragments de son œuvre, en particulier ses études sur les « insectes-musiciens » du Japon. On comprend, à la lecture de ces articles, que les « cosas japonesas » de Hearn aient attiré l’attention de l’auteur des Greguerías. Hearn collige, en effet, de nombreuses légendes et poèmes japonais, par exemple sur les papillons, qui deviennent « les fleurs tombantes remont[a]nt aux branches » ou inspirent les images suivantes : « L’écume est la fleur de la vague… Le papillon tente en vain de s’y poser ! » ; « Le papillon poursuit un voleur de fleurs !428 ». Il faut signaler, par ailleurs, que la présence de Hearn dans la correspondance entre Ramón et Baeza n’est pas anodine, puisque la lettre où est cité le nom de l’écrivain grec est l’une de celles où Ramón manifeste avec précision et détermination ses critères de sélection des prochains textes à traduire pour la revue :
Envíame traducciones pero traducciones arbitrarias de hombres magníficos. Algo de Hearn […]. Debes encargar inmediatamente, tú gran bibliófilo, esos libros sino [sic] los tienes. Es lo que tengo más interés en dar y te lo agradeceré mucho. En la revista pienso hacer mejoras y me ocupo mucho de ella. Será aún más de combate, de excepción (1910).
174La brièveté et la « magnificence » de la prose de Lafcadio Hearn ont visiblement séduit l’auteur, au point de pouvoir prétendre à intégrer l’anthologie d’auteurs étrangers d’exception dont Ramón rêve pour Prometeo. Au-delà, la mention de la commande d’ouvrages étrangers est remarquable, car elle suggère que le jeune directeur de Prometeo connaît ces auteurs au travers d’une source bibliographique, qui pourrait bien être le Mercure de France. De fait, la lecture des premiers numéros de Prometeo montre que la section critique de la revue madrilène, intitulée « Movimiento intelectual », se structure initialement comme une reprise partielle de la « Revue de la quinzaine » mercurielle429.
175Au-delà de Prometeo, l’influence directe du Mercure de France sur Ramón est par ailleurs mesurable à la lecture de l’essai « El concepto de la nueva literatura ». Présenté à la tribune de l’Athénée de Madrid en mars 1909430, cette conférence comporte un certain nombre de références littéraires préalablement empruntées au Mercure. Par l’intermédiaire d’un commentaire ou d’une citation, Ramón insiste tout particulièrement dans son exposé sur huit auteurs : Adam, Shaw, Retté, Jammes, Keller, Wilde, Mallarmé et Gourmont431. Or, cinq d’entre eux font l’objet d’un article critique dans les pages du Mercure du France, au cours des mois précédents la conférence ramonienne. Le « cas de Miss Helen Keller » est probablement le plus inattendu sous la plume de Ramón. Il s’avère toutefois moins incongru dès lors qu’on le rapproche de la minutieuse étude publiée, sous ce même titre, par Marie Lenéru en août 1908 dans le Mercure de France432. Entre octobre 1908 et janvier 1909, Adam et Gourmont sont, quant à eux, présents à de multiples reprises dans la section des comptes rendus critiques433. La deuxième série des Promenades philosophiques de Gourmont, en particulier, est longuement commentée dans le numéro du 1-X-1908 du Mercure. Immanquablement le critique y évoque, entre autres, le chapitre « L’insurrection du vertébré », d’où est tiré le fameux apophtegme sur lequel Ramón clôt — impérativement et en majuscules — son essai : « La civilisation n’est qu’une série d’insurrections434 ». Les sources de la mention d’Adolphe Retté, cité pour un texte précis intitulé L’archipel en fleurs, sont plus complexes à déterminer. Si le Mercure de France publie, en juillet 1908, le compte rendu critique d’une autre œuvre de l’auteur435, c’est, en réalité, dans Le livre des masques de Gourmont que l’on trouve une référence plus complète, tant à l’auteur qu’à l’œuvre citée dans « El concepto de la nueva literatura436 ». Il en va de même pour Jammes, que Ramón évoque en ces termes :
Después de tantos versos de almanaque y de tantos panegíricos sobre la primavera, nadie como Francis Jammes —que ha hecho tantas cosas para acercarnos a la naturaleza— nos ha dado su sensación simplemente.
« Para las bestias la comida de invierno acaba... el día aumenta una hora y cincuenta minutos»437.
176Si le commentaire placé en incise rappelle fortement le titre de l’ouvrage alors récemment publié par Edmond Pilon sur Francis Jammes et le sentiment de la nature et commenté dans la revue bibliographique du Mercure — tout juste deux mois avant la conférence de Ramón à l’Athénée438 —, c’est de nouveau dans Le livre des masques, que se trouve cité le poème dont Ramón a extrait les deux vers qui l’intéressaient. Gourmont, dans son portrait de Jammes, en indique, d’ailleurs, la source dans une formule à laquelle semble faire écho la présentation ramonienne : « Cela fait partie d’un “mois de mars” raconté par Francis Jammes (pour l’Almanach des Poètes de l’an passé)439 ».
177L’irruption de Remy de Gourmont à ce stade de l’argumentation n’est en aucun cas fortuite. Associé dès 1890 au groupe fondateur du Mercure de France, il est à la fois précocement connu de Ramón et important à plus d’un titre pour l’étude de ses écrits de jeunesse. Si la critique souligne la « vénération440 » de Ramón pour Gourmont, Gómez de la Serna lui-même reconnaît pleinement l’influence que l’écrivain polygraphe français exerça sur lui au cours des années dix. Il l’exprime dans certains textes ponctuels, comme l’hommage qu’il rend, par exemple, dans l’une de ses chroniques quotidiennes de La Tribuna, à celui « que ha sido el espíritu más dilato de la novedad, que ha dibujado con afán, con fe, con veneración, las máscaras de los escritores franceses, que nuestros lectorcitos de por acá tienen en el mayor desprecio441 ».
178L’allusion au Livre des masques est ici transparente et d’autant plus significative que ce recueil de biographies littéraires — genre que Ramón cultivera abondamment — est l’une des références privilégiées de l’auteur, dès lors qu’il s’agit d’évoquer la figure de Gourmont. C’est ce que permet de mesurer l’étude la plus approfondie de l’écrivain menée par Ramón, « Remy de Gourmont, el obispo espúreo », qui voit le jour en 1920 comme prologue à la traduction espagnole d’Une nuit au Luxembourg. Hormis le texte qui fait l’objet du prologue, seuls deux titres de l’œuvre de Gourmont y sont retenus et commentés : les Litanies de la Rose (1892), connu de Ramón puisque le texte fut traduit dans son intégralité par Baeza dans Prometeo, et Le livre des masques442. Ce dernier est une source fondamentale à la connaissance des Lettres francophones que l’auteur de « El concepto de la nueva literatura » pouvait avoir à la veille des années dix443. Publié en 1896-1898, par l’imprimerie du Mercure de France, Le livre des masques présente cinquante-trois figures remarquables de la littérature française et francophone des xixe et xxe siècles, accompagnées d’une bibliographie complète de leur œuvre. Il semble fort possible que tant Ramón que Baeza aient eu une connaissance assez précise de cet ouvrage, dans la mesure où, sur l’ensemble des vingt auteurs francophones traduits dans Prometeo outre Gourmont lui-même (à savoir : Bertrand, Bois, Bonnard, Callet, Fort, France, Jammes, Lautréamont, Lorrain, Klingsor, Maeterlinck, Mauclair, Rachilde, Rodenbach, Saint-Pol-Roux, Schwob, Tailhade, Verhaeren et Colette444), la moitié se trouvent réunis dans les différents masques de Gourmont445. Et les citations coïncident parfois de façon très précise, trop précise, sans doute, pour être fortuite. La concordance se révèle plus explicite encore lorsque l’on ajoute à l’inventaire des auteurs francophones traduits dans Prometeo cinq autres noms qui apparaissent dans la correspondance de Ramón à Baeza : Adam, Rimbaud, Laforgue, Bloy et Claudel, tous présents dans le sommaire général du Livre des masques.
179Aussi est-il manifeste que le modèle de Gourmont est étroitement associé à l’époque de la publication de Prometeo et à la préoccupation ramonienne pour l’ouverture sur une certaine modernité littéraire venue de l’étranger. C’est en tant que figure exemplaire que l’évoque Baeza dans sa notice introductive à la traduction du Fantôme. Gourmont y est présenté comme le « representative man » de l’époque, l’intellectuel aux multiples facettes, à la fois singulier446 et incarnant un rôle de modèle :
Cuando lo miramos desde aquí, donde las mentalidades parecen cristalizarse en moldes, nos asombra y desconcierta esa variedad, esa fusión milagrosa de elementos, y se nos antoja un polígrafo absurdo en esta época de especialistas.
Sin embargo, su influencia se ha hecho sentir algo aquende la cordillera, y ya hasta le citamos de cuando en cuando447.
180Cette influence est mesurable dans Prometeo, où paraissent non moins de six traductions de Gourmont, réparties de façon homogène sur l’ensemble de la revue448. Dans son portrait de 1920, Ramón consigne précisément ce souvenir de l’époque de Prometeo :
Hace ya muchos años, di un aspecto moderno a una revista, la revista Prometeo. […]
Recuerdo que en el despacho lleno de luces y sombras de Ricardo Baeza Traduxit, como ya le llamaban dándole ese apellido que era el remoquete latino que él colocaba entre paréntesis, yo le decía siempre tuteándole como a compañero de estudios desde el Instituto a la Universidad: « Tradúceme Gourmont, más Gourmont»449.
181Le nom de Gourmont apparaît effectivement de façon récurrente dans la correspondance entre Ramón et Baeza, qui démontre l’intérêt que manifeste le jeune directeur de Prometeo pour la figure de l’écrivain français, dès le début de l’année 1909450. La première lettre de Ramón que l’on conserve aujourd’hui, datée de février 1909, mentionne trois noms, ceux d’Adam, de Gourmont et de Lorrain. Si Adam et Lorrain ne sont plus nommés par la suite, en revanche, l’insistance avec laquelle Ramón sollicite le concours de Baeza pour traduire Gourmont est telle que le nom de l’écrivain français peut apparaître jusqu’à trois fois dans une même lettre.
182En réalité, l’intérêt de Ramón va bien au-delà de la simple curiosité documentaire, puisque, rétrospectivement, Gourmont est décrit comme le modèle des aspirations ramoniennes. Le moment de la découverte de son œuvre et de l’enjeu qu’elle représente dans la formation littéraire et journalistique de Ramón est ainsi évoqué, en 1920 :
Acababan de llegar sus primeros libros al Ateneo. […] Apenas había podido repasarlos en el frenesí de aquellos días, en la necesidad de hacer una carrera, de hacer una obra y de orientar y orientarme hacia lo nuevo.
Yo sólo atisbé en aquel momento que Gourmont era el indicado […]. Habiendo muchos directores de revistas a nadie se le había ocurrido incurrir en lo moderno451.
183Aux yeux de Ramón, Gourmont ouvre une voie esthétique, qu’il a pris le soin de définir au préalable par l’intermédiaire de ses écrits théoriques sur le symbolisme, de la sélection anthologique des deux volumes du Livre des masques et de son activité constante dans la presse de l’époque452. À l’image des autres biographies littéraires ramoniennes, qui contiennent toujours une dimension d’autobiographie453, le portrait de Gourmont publié en 1920 souligne un certain nombre de caractéristiques esthétiques communes aux deux auteurs. Par exemple, le don de « mirador », attribué à Tristán, l’alter ego de Ramón, est partagé par Gourmont, en des termes qui font écho à un autre essai de jeunesse ramonien, « Palabras en la rueca » : « Lo miraba todo y “lo veía” ¡cosa extraña y maravillosa ! Porque Gourmont era el gran enhebrador, y componía enhebrando en el largo hilo las cuentas distintas, los más variados collares de cosas, de ideas, de anécdotas, de bellas palabras454 ». Du symbolisme, Ramón retient divers fragments de la définition liminaire du Livre des masques, et compose ainsi un tableau cohérent avec sa propre situation esthétique455 : s’y conjuguent « individualisme en littérature, liberté de l’art, abandon des formules enseignées, tendances vers ce qui est nouveau, étrange et même bizarre ; […] antinaturalisme, […] tendance à ne prendre dans la vie que le détail caractéristique456 ». Il est intéressant de voir, au travers de Prometeo, l’articulation entre ces rapprochements d’ordre théorique et leur traduction pratique dans les textes ramoniens. La critique a signalé plusieurs cas d’influence directe de l’écriture de Gourmont sur les premiers textes ramoniens publiés dans la revue. C’est le cas notamment des Litanies de la rose qui, selon Agustín Muñoz-Alonso López, sont reprises en filigrane dans la pantomime intitulée Las rosas rojas457. À son tour, Eloy Navarro Domínguez458 analyse la structure de « La cárcel (Miserere) » de Ramón en miroir des Litanies de Gourmont ainsi que d’un autre texte traduit dans Prometeo et qui présente une variation sur la forme de la litanie, « Las santas del paraíso » ; plus généralement, le chercheur rapproche le sous-titre ramonien, Miserere, de l’étude de Gourmont intitulée Le latin médiéval (1892)459. Enfin, Ignacio Soldevila Durante considère que Le fantôme de Gourmont est l’une des possibles sources du Drama del palacio deshabitado460.
184Il est une autre analogie qui n’a pas retenu l’attention de la critique, et qui m’intéresse ici tout particulièrement car elle est spécifique de la relation qui unit Prometeo et le Mercure de France. Il s’agit de la parenté entre les chroniques de Gourmont intitulées « Dialogues des Amateurs », publiées par le Mercure de façon bimensuelle entre juillet 1905 et avril 1910, et les « Diálogos triviales » inaugurés dans le numéro 15 de Prometeo, correspondant à ce même mois d’avril 1910 et qui paraissent de façon irrégulière jusqu’en 1912. Transcriptions de conversations fictives entre M. Desmaisons et M. Delarue, les collaborations de Gourmont dans le Mercure portent sur les débats de l’actualité du moment. Elles apparaissent en guise d’épilogue de chaque numéro, à l’ouverture de la « Revue de la quinzaine » — section du Mercure qui reçoit l’attention toute particulière des rédacteurs de Prometeo. Ramón témoigne, dans l’un des premiers numéros de la revue, de la pleine connaissance qu’il en a :
Remy de Gourmont, frívolamente en sus Epílogos, dice la última palabra de la sabiduría todas las quincenas. Y estoy seguro de que no conoce a Gourmont ningún profesor de Universidad, ningún académico o cualesquiera otro sabio de los oficiales461.
185Présenté en ces termes, Gourmont peut être considéré comme un précédent des « Diálogos triviales » publiés dans Prometeo sur l’initiative de Ramón, qui veut en faire une rubrique originale, authentique reflet du caractère dont se réclame l’ensemble de la revue : « En esta sección sin precedentes, en que se ensaya el mejor procedimiento de consignar conceptos definitivos, se oirán más que nada voces jóvenes462 », lit-on dans le texte de présentation initiale, où l’expression d’idées définitives sous une forme triviale semble répondre à la « sagesse frivole » prêtée aux épilogues de Gourmont. Malgré l’accent mis sur l’aspect expérimental dans le cas des « Diálogos triviales » — c’est-à-dire sur le pari d’une innovation « sans précédents » —, la concordance des titres souligne l’analogie formelle entre les deux corpus. Certes, les « Dialogues » de Gourmont sont à entendre dans le sens strict d’un échange entre deux personnages qui composent un alter ego dédoublé de l’auteur, tandis que les « Diálogos » prométhéens s’apparentent plutôt à la transcription d’une tertulia au café, entre plusieurs interlocuteurs (de cinq à dix). Pour autant, dans les deux cas, il s’agit bien de donner au lecteur l’illusion qu’il assiste — et participe silencieusement — à une conversation spontanée. Les marques d’oralité sont omniprésentes, tant au travers de la ponctuation expressive (la multiplication des points de suspension et des exclamations, par exemple) que de formulations du type : « Et pourquoi donc ? », « Mais encore ? », « Hein ? » ou bien « Yo creo », « ¿De qué se habla ? », « Callad »463 C’est, en fin de compte, par leur dimension triviale, pour les uns, ou d’amateurs, pour les autres, que les dialogues du cénacle de Prometeo et ceux de Gourmont se rapprochent le plus. Cette dimension s’illustre, dans le premier cas, par les sujets banals sur lesquels débattent Delarue et Desmaisons464 ; dans le second, outre ce premier aspect, par la forme même du texte qui est définie, dans une notice introductive, par une série de termes qui en disent la nature improvisée et dilettante : « improvisaciones », « en cualquier parte, sin mise en scene [sic] ni maquillage », « alrededor de una mesa de café », « sin preparación », « infraganti465 ».
186En cela, les « Diálogos triviales » diffèrent du modèle de Dialogues alors en vigueur, en général d’une nature philosophique, et qui rencontrent un notable succès dans l’Espagne du début du xxe siècle466. La modalité retenue par Gourmont et Ramón ne se veut pas transcendante ni, encore moins dans le cas ramonien, maïeutique. Ainsi que l’affirme Gide dans une critique des collaborations de Gourmont au Mercure de France, il s’agit plutôt de dialogues « mi-confidentiels, mi-badins », aux prétentions encyclopédiques tout au plus467. Ainsi que le résume Tristán dans le deuxième des « Diálogos triviales » : « Hablábamos de todo468 », comme dans un écho à l’invitation lancée par Delarue dans le dernier « Dialogue des Amateurs » : « Cela engage tout de même à de certaines réflexions469 ». Bien plus que la progression du discours en une argumentation raisonnée, ce qui compte ici c’est la manière d’énoncer un certain nombre d’idées, qui sont autant de jalons divers à partir desquels se déploie le texte en notes et réflexions fragmentaires470. Ce qui est en jeu, c’est une esthétique de la divagation, que Ramón formule dès le premier dialogue prométhéen (« Quizás distrayéndose de su tema, como ustedes ahora, es como se logra ir viviendo menos mal471 »), reprenant peut-être un échange entre Delarue et Desmaisons, paru le mois précédent dans le Mercure :
M. Del. — Vous ne ressentez pas le besoin de divaguer un peu ?
M. Desm. — Mais si, mais si.
M. Del. — Vous dites cela sans entrain.
M. Desm. — J’aimerais mieux ne plus penser que de penser de travers.
M. Del. — Divaguer, c’est seulement prendre le chemin le plus
long. On arrive tout de même472.
187Il s’agit de louer les vertus du détour, en laissant la conversation s’y attarder plutôt que de la faire suivre un cours linéaire. Ainsi, les « Dialogues des Amateurs » conduisent souvent à des conclusions qui n’en sont pas, comme l’illustre le « Au vrai, que nous importe ! » de l’échange à propos des philanthropes473. Si bien que ce qui importe réellement, c’est le cheminement et la forme que celui-ci adopte, plutôt que l’énoncé de conclusions conséquentes à une réflexion homogène et régulière. Il y a là un jeu sur une forme académique, celle du dialogue socratique autour d’une notion générale, dont on feint de respecter les règles, tout en s’en écartant insensiblement. Par exemple, les Amateurs ne respectent pas la situation d’opposition dialectique et le contenu des dialogues est bien plus proche de la chronique journalistique née avec le xixe siècle, que du genre des dialogues philosophiques474.
188Formellement, les « Diálogos » prométhéens ressemblent en tous points au modèle du Mercure. S’ils ne portent pas de titre comme c’est le cas pour leur analogue français, un sujet général est d’ordinaire lancé par le premier interlocuteur, le débat prenant ensuite de l’ampleur au fil des réactions désordonnées des autres participants. Cette tâche d’ouverture revient le plus souvent à Ramón-Tristán qui, au cours des cinq dialogues publiés dans Prometeo, mène et oriente la conversation vers les thèmes du bonheur, de l’amour, de l’alcool et des paradis artificiels, enfin, de la féminité et de ses accessoires475. Ponctuellement, comme chez Gourmont, certains faits de l’actualité récente sont évoqués. Le troisième dialogue476, par exemple, est entièrement consacré au commentaire de ce qui fut baptisé dans les journaux de l’époque « La rifa de un beso », en référence à une kermesse organisée par la Croix Rouge le 8 juillet 1910, au cours de laquelle le prix offert par tirage au sort fut un baiser de la danseuse de variétés Luisa (de) Bigné477. Certains échos de l’actualité littéraire et culturelle se font également entendre dans le premier (qui traite du succès de Felipe Trigo auprès du public), le deuxième (qui évoque le travail de traduction effectué par Edmundo González-Blanco) et le dernier des « Diálogos » (où les interlocuteurs commentent les apparitions de La Manón sur la scène).
189Par ailleurs, tout comme les Amateurs de Gourmont, les participants aux « Diálogos triviales » jouent sur l’ambivalence entre fiction et réalité. S’ils sont les « personajes auténticos », auteurs de « palabras auténticas », ainsi que le rappelle la liste de dramatis personae qui annonce chacun des dialogues, ils se rallient néanmoins, dès la fin du premier dialogue, au constat d’Andrés González-Blanco :
Colombine —A veces la felicidad está en renunciar a ella […].
Tristán —No está bien que usted, Carmen, diga eso.
Carmen —Eso es literatura.
Andrés —Todo esto ha sido literatura…
Valcarce —Cierto, señores, vámonos a la calle478…
190Car, les « Diálogos triviales » relèvent l’ambivalent défi d’être des « improvisaciones escritas en la intimidad479 », mêlant la conversation privée à un texte rédigé en vue d’une publication. Cette confusion entre les deux niveaux de la vie (ou l’illusion de la vie dans son « escrupulosa veracidad480 ») et de la littérature tend à rapprocher encore les deux corpus de dialogues de Prometeo et du Mercure de France.
191D’un point de vue thématique, il est curieux de noter que les principaux sujets abordés au cours du premier « Diálogo » sont, en quelque sorte, annoncés dans la conversation déjà citée entre Desmaisons et Delarue autour de la notion de « Printemps » : le bonheur, tout d’abord, puis l’imagination et l’amour481. De même, les deux dialogues envisagent tour à tour la question de la distinction entre les idées et les sensations, entre l’inerte et le sensible. À l’instar de Desmaisons, qui énonce clairement sa méthode (« Je connais les choses par leurs différences482 »), les contertulios prométhéens envisagent le bonheur sous le jour contrastant de la souffrance, afin de mieux cerner la notion. Ramón reprend ainsi l’idée de dissociation chère à Gourmont, peu après avoir fait une allusion explicite à l’écrivain français :
Valcarce —El no ser comprendido tiene toda la felicidad de un halago. La única medida que tenemos de nuestra altura, de nuestra distancia, es el número de los que no nos comprenden…
Tristán —Ya lo dijo Remy de Gourmont, que ése era el mayor placer hablando del Simbolismo483.
192C’est encore l’influence de Gourmont que l’on peut déceler dans une autre réplique de Ramón, d’autant plus remarquable qu’elle fait irruption dans la discussion sans réelle pertinence avec les considérations qui la précèdent :
Valcarce —La felicidad consiste en no llegar nunca a perder el deseo.
Tristán —Por eso los académicos son unos fracasados484.
193Cette assertion rappelle la virulence de Gourmont à l’égard de l’Académie sous toutes ses formes. Le dialogue du 16-IV-1909 lui est entièrement consacré et les deux Amateurs en sanctionnent alternativement la dégradation, la déchéance, enfin l’agonie.
194Quant aux deux autres thèmes de prédilection de Gourmont, ses « deux passions, deux haines : celle du christianisme, celle de la pudeur », selon Gide485, on les retrouve également en filigrane des « Diálogos » successifs. Dès l’inauguration de la rubrique, Romera Navarro affirme : « Yo detesto profundamente la fe o la esperanza486 ». À son tour, Tristán tient à la fin du troisième « Diálogo » un discours sur le hasard dans une rhétorique toute ramonienne qui, en même temps, rappelle étonnamment une arabesque verbale de Desmaisons sur le passé :
Andrés —El azar nos elige siempre.
Tristán —No nos elige, nos tropieza por azar, por [que] el azar tiene su azar como el azar del azar su azar y así sucesivamente nos empuja487.
★
M. Desm — Je sais que le présent, dès qu’on le pense, est le passé, mais il y a le passé récent et le passé ancien, le passé qui peut revenir et le passé qui ne le peut pas. Le passé qui peut revenir, c’est encore le présent488.
195La dimension matérielle de l’amour sans fausse pudeur fait, elle aussi, l’objet de plusieurs « Diálogos triviales », notamment le dernier de la série, dont les considérations finales portent sur la sensualité féminine au travers de ses accessoires intimes : corsets, chapeaux, chevelure, bijoux489. La conclusion revient à Ramón, en ces termes suggestifs :
Lo definitivo de estas cosas artificiales, acogidas de un modo tan cuotidiano, es que se hacen tan carnales como unos senos, como una boca muy pequeña o como un sexo ardiente490.
196L’intérêt de ce dernier « Diálogo » — publié dans le numéro antérieur à celui de l’apparition des Greguerías — est que Ramón y publie un certain nombre de formulations de nature greguerística : « Las cintas de los corsés son tan interminables como los cordones metálicos de los funiculares alpinos » ; « es importante hablar de los corsets porque artísticamente son hoy los torsos de Praxiteles » ; enfin, la longue variation finale, presque comme un blason en prose, sur le chapeau de La Manón491, qui rappellera au lecteur d’aujourd’hui les monographies ramoniennes de la fin des années dix, comme Senos.
197Au fil des « Diálogos triviales », on assiste donc à la lente évolution de l’intelectual adolescente492, pétri par le modèle d’un Gourmont polygraphe, qui s’efface progressivement pour laisser place à l’écrivain novice, déjà auteur de trois livres, sans compter les pièces de théâtre parues sous la forme de tirés-à-part de Prometeo493.
198Il est intéressant de voir que ce processus s’accompagne, dans les « Diálogos » comme dans le reste de la production littéraire ramonienne, de l’apparition de la figure de Tristán. Cet alter ego à peine dissimulé de Ramón est présent dans Prometeo à partir du numéro 3 de la revue, où il signe dans un premier temps la rubrique de la critique d’art, puis celle de la critique littéraire. L’origine de ce pseudonyme est très probablement wagnérienne, le compositeur allemand étant alors la référence unanime d’une théorie de l’œuvre d’art totale parmi les artistes et écrivains espagnols494. Dans le champ plus précis de la littérature, Tristán est également le notable introducteur de « Proclama futurista a los españoles », par l’intermédiaire d’un texte que l’on ne saurait ignorer puisqu’une dizaine d’années plus tard, Ramón le présentera avec d’autres comme la source primitive des Greguerías :
En 1910 […] publiqué, en el número 20 de Prometeo, las proclamas futuristas de Marinetti a los españoles, en cuyo prólogo vertía yo ya frases como éstas: « ¡Pedradas en un ojo de la luna! » […] « ¡Voltio más que verbo! » […]
Yo ya decía también, en 1911, en el epílogo de Tapices: « ¡Qué hermosa lagartija espera mi silencio en mi ombligo para tomar el sol! »
También por aquella fecha, en el respaldo de Tapices, aparecieron las primeras « greguerías»495.
199La citation confond dans un même élan d’« invenciones y anticipaciones » ramoniennes le prologue que l’on vient d’évoquer, les premières greguerías attribuées à Tristán dans l’anonyme « Propaganda al libro Tapices » et l’essai « Palabras en la rueca », à la fois théorie et mise en pratique de la nouvelle littérature définie par Ramón en 1909, et qui paraît, lui aussi, sous le pseudonyme de Tristán dans le recueil Tapices. Ce que l’on retiendra est que la vocation littéraire ramonienne s’affirme sous le signe de ce dédoublement entre Ramón et Tristán496 et que, précisément, l’une des premières tribunes où ce dernier se voit reconnaître le statut de « personaje auténtico » est celle des « Diálogos triviales », qu’il est pour autant légitime de considérer comme une étape à part entière dans la formation littéraire de Ramón au sein de Prometeo.
200Ce qui est alors frappant, c’est le mélange des genres qui caractérise cette rubrique (en cela aussi emblématique de la revue). Avant même de devenir la tribune des premières formulations greguerísticas de Ramón, elle se présente comme un texte expérimental, actualisant sous une forme moderne une tradition ressortissant à la littérature philosophique. L’« inédit absolu » de ces tertulias à bâtons rompus, fidèlement retranscrites, est explicitement souligné497. L’ambition est d’inaugurer une écriture de l’instant, de l’actuel et du quotidien, absolument libre de toute contrainte formelle académique et capable de faire entendre une voix de la jeunesse dans ses divagations esthétiques. Le résultat peut paraître un brin décousu, mais c’est l’effet recherché, ce même effet d’« atomisation » que cultiveront ces deux autres œuvres-tertulias de Ramón que sont Pombo (1918) et La Sagrada cripta de Pombo (1924). Pour autant, l’inventaire des références littéraires mentionnées au cours des « Diálogos » incite à nuancer cette perception univalente de la rubrique. Y sont convoqués, en effet, de la bouche de Ramón, d’Andrés et d’Edmundo González-Blanco, de Colombine ou encore de Cansinos : Heine, Campoamor, Baudelaire, Verlaine, Herrera y Reissig, Gourmont et Martínez Sierra. La tutelle littéraire du romantisme et du symbolisme est patente, comme en écho aux « Dialogues des Amateurs » du Mercure de France qui sont, eux, inaugurés sous l’égide de Samain pour se refermer avec les « Funérailles » de Moréas498. L’ambivalence est donc, plus que jamais, de mise dans ces « Diálogos » qui, tout en affichant une ambition de nouveauté, portent en filigrane l’empreinte de leur probable source immédiate, les « Dialogues » de Gourmont.
201C’est dans cette profonde ambiguïté que se noue la relation entre le Mercure de France et Prometeo. Source bibliographique fondamentale pour la Rédaction madrilène, le modèle français est surtout présent dans les premiers numéros de la revue, alors que Ramón publie encore anonymement la chronique intitulée « Movimiento intelectual », qui est souvent une sorte de compte rendu des contenus récents de la « Bible littéraire » parisienne. Il convient de remarquer, toutefois, que l’intertextualité entre Prometeo et le Mercure évolue, à tout le moins dans le discours explicite qui s’y rapporte. La rubrique « Movimiento intelectual » disparaît à partir du numéro 11, précisément lorsque Ramón remplace son père à la direction de la revue, et ne fait qu’une sporadique réapparition dans le numéro 22, significativement pour reproduire une lettre de Rachilde où il est question du Mercure de France. Ce fléchissement dans l’affinité revendiquée entre les deux revues est certes équivoque, mais il suggère la construction d’un discours nouveau, par le repli sur les représentants et interprètes du prometeismo, en même temps que l’ouverture d’une large tribune aux premiers écrits ramoniens. Prometeo passe de l’allégeance affichée à une indépendance, certes relative, mais qui prétend apparaître comme telle. À cette articulation entre mercurismo et prometeismo se joue la formation littéraire de Ramón.
Le « catalogue de lectures » ramonien
202Au moment de reconstituer plus précisément les goûts littéraires qui ont présidés à la genèse de la greguería, une hypothèse se dessine. Si les années 1905-1908 sont marquées essentiellement par les influences allemandes et la prédominance des textes philosophiques et idéologiques, il semble que le passage de la formation intellectuelle à formation littéraire proprement dite s’accompagne, chez Ramón, d’un glissement vers le français et, dans une moindre mesure, vers l’anglais et l’italien (qui sont les langues des deux auteurs de prédilection de Baeza : Wilde et d’Annunzio499).
203C’est ce que semble indiquer l’index onomastique établi par Bernard Barrère, qui recense toutes les occurrences de noms propres dans les écrits ramoniens, de Morbideces à Prometeo, en dehors de la correspondance de Ramón à Baeza500. Ainsi que l’explique son auteur, pour en résumer l’intérêt considérable,
cette liste compense, dans une certaine mesure, l’absence d’un inventaire de bibliothèque et forme donc une sorte de catalogue de lectures […] cette liste est provisoire, car, outre l’absence de Claudel et de Rimbaud, décelée grâce aux lettres, on notera celle de Strindberg ou la simple mention d’un Ibsen qui fut l’un des auteurs de chevet de Ramón501.
204Après l’ordonnancement des noms suivant leur fréquence d’apparition, on remarquera ainsi que les trois premiers noms étrangers ressortissent significativement aux trois domaines littéraires français, anglais et italien :
20 occurrences
J. R. Jiménez
18 occurrences
R. de Gourmont
15 occurrences
O. Wilde
12 occurrences
G. D’Annunzio, R. Cansinos Assens, Colette
11 occurrences
F. Nietzsche
10 occurrences
M. Maeterlinck, S. Lanza
8 occurrences
H.F. Amiel, C. de Burgos
7 occurrences
A. France, M. Gorki, G.B. Shaw
6 occurrences
C. Baudelaire, R.W. Emerson, P. Fort, F. Jammes
5 occurrences
M. Barrès, V. Hugo, F. T. Marinetti, E. Noel, Rachilde, M. Stirner
4 occurrences
H. Albert, J.-M. Guyau, Napoléon, M. Schwob, H. Taine, Willy, W. Whitman
3 occurrences
L. van Beethoven, F. Engels, T. Gautier, G. Hauptmann, S. Mallarmé, K. Marx, C. Mauclair, G. de Maupassant, C. Mendès, O. Mirbeau, G. Miró, T. de Quincey, G. Rodenbach, J. Ruskin, Saint-Pol-Roux, H. Spencer, L. Tolstoï, M. de Unamuno, R. del Valle-Inclán, É. Verhaeren, É. Zola
2 occurrences
P. Adam, L’Arétin, Azorín, P. Baroja, Boccace, A. Boschort, A. et B. Buylla, A. Comte, Dante, R. Darío, J. Dicenta, Fernández Navarro, C. Fourier, P. Gavarni, W. Godwin, Gouyot, F. de Goya, J. Grave, E. Haeckel, E. von Hartmann, I. Kant, P. Lebesgue, L. Michel, F. Mistral, M. de Montaigne, A. de Musset, Platon, É. Reclus, E. Renan, A. Retté, J.-J. Rousseau, S. Rueda, A. Schopenhauer, R. Schumann, Swinburne, F. Trigo, Voltaire
1 occurrence
A. Bonnard, B. Brentano, G. A. Bécquer, J. Bentham, C. Borgia, Buffon, Lord Byron, T. Carlyle, E. Carrère, Chabaneix, J.-M. Charcot, F.-R. de Chateaubriand, F. Chopin, Le Corrège, C. Darwin, C. Desmoulins, J. M. Eça de Queiroz, J. Echegaray, V. É. Egger, J. de Espronceda, S. Faure, L. Feuerbach, J. G. Fitche, G. Flaubert, A. Fouillée, J.-H. Fragonard, El Greco, Guardiola, P. Hervieu, Hervé, Archiprête de Hita, E. T. Hoffmann, J.-K. Huysmans, I. de Loyola, H. Keller, C. P. de Kock, J. Lorrain, T. Klingsor, F. A. Lange, M. J. de Larra, Lautréamont, N. Lemercier, C. Lombroso, P. Louÿs, Machiavel, K. Menger, Michel-Ange, B. E. Murillo, J.-M. Nattier, M. Nordau, J. Novicow, Ortas, G. Papini, Papus, B. Pascal, P.-J. Proudhon, P. Puvis de Chavanne, H. de Régnier, T. Ribot, J. Richepin, C. Richet, J. de Ruysbroek, C.-A. Sainte-Beuve, A. Sawa, J. Simon, A. Smith, Solnes, Stendhal, L. Tailhade, G. Tarde, D. Teniers, T. de Ávila, T. d’Aquin, Van-Beers, J.-B. van Loo, D. de Velázquez, P. Verlaine, R. Wagner, J.-A. Watteau, I. Zuloaga, F. de Zurbarán
205De toute évidence, on voit à l’œuvre dans cette liste la formation intellectuelle de Ramón, au travers des philosophes et en particulier des théoriciens de la psychologie physiologique, tels Jean-Marie Guyau, Henri Albert, Herbert Spencer, Ernst Haeckel ou encore Eduard von Hartmann502. Néanmoins, une fois ce corpus mis à part, se détachent environ soixante-quinze noms de figures de la littérature contemporaine, dont une cinquantaine sont étrangers au patrimoine hispanique. Parmi ceux-là, on dénombre plus de trente-cinq auteurs francophones et six auteurs anglophones. La revue bibliographique du premier numéro de Prometeo, à propos du Madrid de los abuelos, de Pedro de Répide, résume alors la position symbolique de ces deux langues dans le panorama littéraire de la veille des années dix : « Répide es de su tiempo. Por eso usa en vez del binóculo de concha de nuestros tatarabuelos, un monóculo afrancesador o anglosajonador503 ». Ce monocle, qui deviendra bientôt l’emblème ramonien (une fois le verre retiré), est le signe de ce que l’on considère alors comme moderne. À l’image des choix littéraires affirmés dans les pages de Prometeo, Ramón se forme dans cette ambivalence : « Todo el sentimentalismo y el encariñamiento pagano […] hacia el pasado, son modernísimos en cuanto que son la característica de la literatura nueva504 ».
206De ce point de vue, l’inventaire des exigences requises pour le choix des textes à traduire est significatif. Il se précise dans le temps, au fil de la correspondance entre Ramón et Baeza, où l’on passe de « una cosa de una originalidad maravillosa », « un tanto filosófica », « una cosa formidable », « con cierta entraña filosófica, rebelde y apostólica » à « alguna [traducción] álgida y abracadabrante », « traducciones “feeriques” », « de lo más exquisito y lo más supremo », « tres [autores] herméticos, epatantes y distintos y admirables », « los más decadentes de los decadentes », « los más extraordinarios », « algo más decadente y mas exótico », puis à la requête de « cosas complicadas y abstrusas », « traducciones arbitrarias de hombres magníficos » ou encore, dans l’une des dernières lettres, « de combate, de excepción ». Si les premières indications sont imprécises, les critères ramoniens se définissent suivant plusieurs étapes : tout d’abord, une orientation vers des textes de nature philosophique et subversive, puis une progressive inclination pour le décadentisme, à entendre ici dans un sens large, proche de l’acception française du terme symbolisme505 ; enfin, l’omniprésence de l’aspiration decadente est parachevée par l’affirmation militante finale.
207Cette association peut sembler étrange pour un lecteur contemporain. Elle est pourtant manifeste chez Ramón qui, dans ses lettres, associe de façon récurrente les deux adjectifs « décadent » et « nouveau », comme ici : « Habías pensado en algún italiano y en algún alemán contemporáneo de los nuevos y jóvenes y me parece extraordinariamente bien, interpolados en primer término entre los maravillosos decadentes » (3-VII-1910). Outre le phénomène d’interpolation entre « los nuevos y jóvenes » et « los decadentes506 », on peut observer dans cette lettre de Ramón la répartition des affinités littéraires et linguistiques entre les deux collaborateurs : l’italien et l’allemand, associés à la nouveauté pour Baeza ; le français, « merveilleusement » décadent pour Ramón. La lettre suivante reprend cette même bipartition : « [Quiero publicar en el próximo número] algún alemán, inglés o italiano de los nuevos, y otro francés de los malditos » (4-VII-1910). Ramón ne cache pas ses affinités électives avec la littérature française et on ne saurait négliger le fait qu’il séjourne en France au cours des années 1909-1911. Il se trouve donc en contact privilégié, direct ou non, avec les auteurs en vogue dans le Paris de cette époque. Comme le résume Juan Manuel Bonet,
[Ramón] fue el más consecuente admirador español de los « malditos » verlainianos, de los « raros » rubenianos. De estos escritores, sólo alcanzó a conocer a Maeterlinck, a Gourmont, a Nathalie Clifford Barney, mientras a Colette sólo la vio actuando en un escenario507.
208Ainsi s’articulent les lectures françaises de Ramón et leur présence dans ses premiers écrits. La formation littéraire ramonienne puise à la fois dans les rencontres ou les circonstances matérielles de son initiation au métier de journaliste et dans la découverte qu’il fait d’un certain nombre de textes et de formes littéraires alors diffusées à l’étranger. Plus particulièrement, c’est l’hypothèse d’une influence française sur la genèse des Greguerías qu’il faut, à présent, examiner.
Notes de bas de page
1 R. Basterra, « Verhaeren. El poeta de Europa », Prometeo, 37, 1912, p. 116.
2 C. Serrano, « Les passeurs de siècle », p. 399.
3 Il s’agit du sous-titre de l’ouvrage de F. C. Sáinz de Robles, La Promoción de « El Cuento Semanal ».
4 J. Urrutia, El novecentismo y la renovación vanguardista, p. 18, je souligne.
5 F. B. Pedraza Jiménez et M. Rodríguez Cáceres, Manual de literatura española, p. 15.
6 L. S. Granjel, « La novela corta en España » (I) et (II).
7 Voir J. Marías, Generaciones y constelaciones, pp. 176-178, 188 et 269-270.
8 Sur les sérieuses limites de l’application du concept de generación, voir notamment V. Cacho Viu, Repensar el 98 ; S. Salaün, « La “génération de 1927” : une appellation mal contrôlée » ; J. Talens, « De la publicidad como fuente historiográfica », ainsi que l’essai qu’E. Mateo Gambarte consacre entièrement au sujet, El concepto de generación literaria. Ce dernier souligne, notamment, qu’outre les problèmes inhérents à l’histoire de littérature, la notion de generation implique une systématisation et une simplification de l’objet considéré : elle aboutit à des formules imprécises, qui comportent souvent une média (tisa) tion idéologique, pp. 9-16.
9 Partiellement au moins, dans la mesure où je traiterai essentiellement de la prose narrative des années dix. Il est à signaler que le théâtre de cette époque est de mieux en mieux connu et a fait l’objet de plusieurs ouvrages scientifiques : J. Rubio Jiménez, El teatro poético en España : del modernismo a las vanguardias, Murcie, Universidad de Murcia, 1993 ou, plus récemment, Serge Salaün, Évelyne Ricci et Marie Salgues (éd.), La escena española en la encrucijada (1890-1910), Madrid, Fundamentos, 2005.
10 D’après le titre de la monographie de G. Michaud (Message poétique du symbolisme).
11 Ainsi que le signale le sous-titre de l’ouvrage : La Edad de Plata (1902-1931) : ensayo de interpretación de un proceso cultural.
12 J.-C. Mainer, La Edad de Plata, p. 111.
13 Voir l’analyse de ce discours et des enjeux que pose, de façon plus globale, la notion de génération intellectuelle dans l’article de P. Aubert, « “Vieille et nouvelle politique” ».
14 M. Tuñón de Lara, Medio siglo de cultura española. On retrouve une semblable approche chez J. Urrutia, qui affirme, par exemple, que « la erudición y el trabajo intelectual son definitorios de la generación de 1914 » et qu’il est impossible de « marcar una clara diferencia entre novecentismo y vanguardia. Muchas veces, los autores son los mismos y, por ello, más conveniente parece buscar cuáles pudieran ser los rasgos comunes. El rasgo unificador más claro es la postura intelectual ante el hecho artístico, así como el convencimiento de que es preciso un cambio estético y ético », J. Urrutia, El novecentismo y la renovación vanguardista, pp. 21 et 49.
15 Ibid., pp. 188-224.
16 M. Tuñón de Lara prend l’exemple de la Agrupación al Servicio de la República (fondée par Ortega, Marañón et Pérez de Ayala, le 10 février 1931) comme aboutissement symptomatique de cette relation problématique au public : « la labor de élite de su grupo director carecía de base social suficiente, una burguesía moderna y liberal capaz de arrastrar a otras clases », ibid., p. 239. Il est à noter, toutefois que, dans le domaine littéraire, il existe à la même époque une production de grande diffusion.
17 G. Díaz-Plaja, Estructura y sentido del Novecentismo español.
18 Ibid., p. 18.
19 J.-C. Mainer, Historia, literatura, sociedad y una coda, pp. 324-330.
20 Ibid., p. 327.
21 Ibid., p. 327.
22 Voir, entre autres travaux de l’auteur, J.-C. Mainer, « El Cuento Semanal » et « Nueva literatura, nuevos públicos ».
23 « Todos los datos que nos proporciona la historiografía entre 1890 y 1910 conducen, en efecto, a afirmar la existencia — cuando menos potencial — de un nuevo público en España », J.-C. Mainer, La doma de la quimera, p. 196. Le critique décrit, par ailleurs, le contexte dans le cadre duquel se produit ce phénomène : « la crisis de un cierto mercado literario (los grandes valores de la Restauración están en declive y diversos motivos aceleran la obsolescencia de algunas formas anticuadas de lectura popular) y la decidida comparecencia de otro mercado nuevo que potencian aquellos que todo el mundo reconoce como modernistas », Id., « El Cuento Semanal », p. 208.
24 J.-C. Mainer, La doma de la quimera, p. 195.
25 Ibid., p. 195.
26 Ibid., p. 196.
27 D’après le titre de l’essai de J. Marías, El método histórico de las generaciones.
28 C’est sur ce constat, dans les termes qu’employa Ortega en 1923, que s’ouvre l’article de J. F. Fuentes, coordinateur du numéro monographique de la revue Ínsula, consacré à « La generación de 1914 : la rebelión de las élites », p. 7. L’auteur précise que « esa “generación desertora”, refractaria a su destino, no lo es tanto por su falta de compromiso con la política y con la historia como por la impotencia de sus miembros para llevar a término el proyecto de cambio propuesto al país en torno a 1913-1915, es decir, a partir de la creación de la Liga de Educación Política y de la aparición de la revista España », p. 8. Or, la « generación de 1914 » est généralement considérée comme la plus consciente d’elle-même.
29 F. C. Sáinz de Robles, La promoción de « El Cuento Semanal ». Voir pp. 40-49 pour la définition de l’extension du groupe et la classification des promocionistas.
30 C’est en tout cas le bilan que dressent aussi bien les auteurs du numéro monographique d’Ínsula coordonné par J. F. Fuentes qu’E. Mateo Gambarte, dans El concepto de generación literaria.
31 Cette étape fondatrice fait l’objet du livre d’E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente.
32 Pour toutes ces raisons, je nuancerais la présence de Gómez de la Serna au sein de la liste des membres de la génération de 1914 établie par M. Menéndez Alzamora, La generación del 14, p. 5.
33 Voir L. S. Granjel, « La novela corta en España » (I), pp. 498 et 505 ; Id., « La novela corta en España » (II), pp. 22 et 29.
34 C. Rivalan Guégo, « Edición y literatura de gran divulgación ».
35 Sur ce premier point, l’auteur cite la première synthèse de F. C. Sáinz de Robles, La novela corta española et l’ouvrage de L. S. Granjel, Eduardo Zamacois y la novela corta. La collection El Cuento Semanal a également fait l’objet de plusieurs études monographiques, que commente C. Rivalan Guégo : B. Magnien (éd.), Ideología y texto en « El Cuento Semanal » ou encore, à l’occasion du centenaire de la publication du premier numéro de la collection, M. Martínez Arnaldos (coord.), Centenario de « El Cuento Semanal » et C. Rivalan Guégo (coord.), « Cien años más tarde ». On notera, enfin, que la thèse de 1987 de L. Íñiguez Barrena, « El Cuento Semanal », 1907-1912, a fait l’objet d’une récente édition, en 2005.
36 Parmi les travaux les plus récents dans ce domaine, l’auteur de l’article cite les travaux de J.-F. Botrel, S. Salaün et F. Étienvre (éd.), « Pratiques culturelles dans l’Espagne contemporaine » ; de J. Migozzi, Boulevards du populaire et de J. Migozzi et P. Le Guern (coord.), Production(s) du populaire.
37 Les principales études dans ce domaine sont celles de L. Litvak, Erotismo fin de siglo et Antología de la novela corta erótica española de entreguerras.
38 Les livres que publie Ramón au cours des années dix sont Tapices (1913), El Rastro (1914), El circo, Senos et Greguerías (1917), Muestrario et Pombo (1918), Greguerías selectas (1919) et Libro nuevo (1920).
39 Il existe également plusieurs monographies critiques sur ce thème, depuis celle de F. López Criado, El erotismo en la novela ramoniana, où l’auteur relit, à la lumière du récit biblique de la Genèse et des figures-modèles d’Adam et Ève, un certain nombre de nouvelles et de romans des années vingt (« La tormenta », El Gran Hotel, La Quinta de Palmyra, « La malicia de las acacias » ou La Nardo) jusqu’à l’édition plus récente de la thèse de R. Cabañas Alamán, Fetichismo y perversión.
40 On peut lire une reproduction de la sentence prononcée, entre autres, à l’encontre de Ramón dans l’article d’A. de Mirabal, « Crónica social », Revista Católica de Cuestiones Sociales, 402, 1928, pp. 284-285 : « El Tribunal Supremo acaba de dictar una sentencia que condena varias novelas pornográficas de los siguientes autores : Alonso de Santillana […], Ramón Gómez de la Serna […], Enrique Jardiel […] y Artemio Precioso. En las obras de estos dice el Tribunal Supremo que se “describen descaradamente escenas de la prostitución más grosera y desenfrentada, mostrándose en algunas de ellas el empleo de drogas alucinatorias, todo en forma directamente encaminada a la exacerbación de las pasiones” ».
41 D’après le titre de la monographie de L. Litvak. Il faut signaler ici une exception dans cette approche de la prose ramonienne des années dix : E. Navarro Domínguez, dans El intelectual adolescente, pp. 191-200, rapproche Gómez de la Serna de Trigo.
42 L. S. Granjel, reprenant le qualificatif de l’époque, galante, signale que les auteurs qui cultivent cette tendance représentent 20 % du total des collaborateurs, « La novela corta en España » (II), p. 43.
43 La citation de Torre est célèbre : « Deberíamos, pues, tender a considerar siempre las revistas como fuentes de conocimiento esencial. Aludo, claro es, no a los magazines plurales — que cada día van suplantando más lastimosamente a las auténticas revistas de expresión literaria — sino a las publicaciones de ámbito todo lo minoritario que guste reprochárselas, pero de espíritu muy individualizado. Aludo a las revistas que son órganos de un grupo, alma de una generación, vehículo de nuevas aportaciones. Particularmente a las que reflejan el espíritu de “los años bisagras” ; y año bisagra, por excelencia, es 1898, son los finales del siglo xix », G. de Torre, Del 98 al barroco, p. 13. J.-C. Mainer insiste également sur le fait que « Por encima de los libros, que ya hemos visto escasos y minoritarios, el lugar físico donde la nueva literatura va a intentar la captura de su público es el periódico, como beneficiaria — y, a la vez, como consecuencia — de la gran expansión alcanzada por la prensa española durante la Restauración », J.-C. Mainer, La Edad de Plata, p. 60. Pour l’analyse de ce phénomène, voir C. Serrano et S. Salaün (éd.), 1900 en España, la monographie de J.-M. Desvois, La prensa en España, ou celle de M. Tuñón de Lara, Medio siglo de cultura española, en particulier, pp. 106-107.
44 Exception faite de l’étude de P. Aubert, « Les intellectuels et le journalisme en Espagne (1898-1936) ».
45 J.-C. Mainer, La Edad de Plata, p. 147.
46 Cosmópolis, 2, II-1919, pp. 262-267.
47 F. C. Sáinz de Robles, La promoción de « El Cuento Semanal », pp. 80-83.
48 Ramón publie plusieurs ouvrages dans chacune de ces maisons d’édition : son édition de Las piedras de Venecia de John Ruskin (1912) et El Chalet de las rosas, chez Sempere (1922) ; El Rastro (1914) et Greguerías (1917), chez Prometeo ; Muestrario (1918), l’édition de Páginas escogidas e inéditas de Silverio Lanza (1918) et La viuda blanca y negra (1921), chez Biblioteca Nueva ; Greguerías selectas (1919) et El alba y otras cosas (1923), chez Saturnino Calleja ; Disparates (1921) et El incongruente (1922), chez Calpe ; El drama del palacio deshabitado (1921) et El Gran Hotel (1922), chez Editorial América.
49 F. C. Sáinz de Robles choisit de considérer la nature « professionnelle » de chacun des auteurs étudiés : « novelistas cien por cien », « periodistas-novelistas », « críticos y ensayistas-novelistas », « autores teatrales-novelistas », « poetas novelistas » et finalement « Ramón Gómez de la Serna, quien lo fue todo y excepcional en todo », F. C. Sáinz de Robles, La promoción de « El Cuento Semanal », pp. 48-49.
50 Ibid., pp. 41-43.
51 C. Alonso, « Sobre la categoría canónica de “raros y olvidados” », p. 12.
52 H. Torres-Varela, « 1900-1914 en Espagne », pp. 1055 et 1053, respectivement.
53 De toute évidence, la revue España (1915-1924), quoique hors du champ chronologique envisagé dans l’ouvrage cité précédemment, représente un autre des jalons fondamentaux pour la presse de l’époque.
54 J.-C. Mainer, « Ramón en Prometeo », p. 108.
55 Voir, sur ce point, E. Navarro Domínguez, « Vieja y nueva política en Prometeo ».
56 Sur ces paroles s’achève la déclaration d’intentions prométhéenne : « Y ahora a la lucha. En frente de tantas revistas de la derecha, es esta una que quiere ser del campo de todas las izquierdas », Prometeo, 1, 1908, p. 3.
57 Quant aux autres collaborateurs, pour ne citer que quelques-unes des figures marquantes de Prometeo, le cadet, avec R. Baeza, est P. Salinas (né en 1891). Viennent ensuite T. Borrás (1891), F. Fortún (1890), S. Bartolozzi (1882), R. Cansinos Assens (1882), E. Carrère (1881) ou E. Díez-Canedo (1879).
58 B. Barrère, Jeunesses de Ramón Gómez de la Serna, t. I, p. 80.
59 Exception faite du chiffre — tout aussi important pour la revue qu’imprécis dans sa formulation — annoncé dans le numéro qui précède la parution de la « Proclama futurista a los españoles » de Marinetti. Cette annonce, intitulée « Un manifiesto futurista sobre España », est présentée de la façon suivante : « Marinetti […] se prepara a hacer un manifiesto sobre España para Prometeo, del que haremos una tirada especial de miles de ejemplares para inundar de luz de bengala la sordidez de nuestro ambiente », Prometeo, 19, 1910, pp. 473-474.
60 R. Baeza, « Tal como viene. Un pleito literario ».
61 Dans une lettre datée du 13-VII-1910. La dernière partie de ce chapitre sera consacrée à l’analyse de cette correspondance, aujourd’hui conservée dans les fonds de la Residencia de Estudiantes de Madrid.
62 A. A. Anderson, « Decadentes y jóvenes », p. 10.
63 R. Buckley et J. Crispin, Los vanguardistas españoles ; A. Soria Olmedo, Vanguardismo y crítica literaria en España, p. 10 ; M. Gallego Roca, Poesía importada, p. 21.
64 A. A. Anderson, « Decadentes y jóvenes », p. 14.
65 R. Baeza, « Tal como viene. Un pleito literario ».
66 R. Cansinos Assens, La Nueva Literatura, t. I, pp. 271-273.
67 Id., « La novísima literatura », dans Id., La Nueva Literatura, t. II, p. 285.
68 Id., La Nueva Literatura, t. I, p. 272. Par la suite, Cansinos revient sur la figure de Ramón, dont il résume ainsi la complexité : « Ramón Gómez de la Serna es el continuador auténtico de las intenciones modernistas, el joven en quien esas intenciones, ya cansadas, vuelven a hacerse prolíficas con nuevo y acrecido vigor […]. Con Ramón Gómez de la Serna, se anuncian las nuevas promesas y presagios. El sentido estético en que se quietan los primeros furores de los novecentistas se enriquece en la obra de este escritor con nuevas voluntades. Él nos anuncia las últimas veleidades literarias », R. Cansinos Assens, La Nueva Literatura, t. II, p. 292.
69 « Después de Helios y de Renacimiento […], Prometeo fue todavía una cumbre de juvenil anhelo », ibid., t. I, p. 270.
70 B. Barrère, Jeunesses de Ramón Gómez de la Serna, t. I, pp. 76 et 85.
71 I. del Vando-Villar, « La trasmigración de Grecia », Grecia, 42, 20-III-1920, p. 9.
72 Outre les romans érotiques, comme Les Onze Mille Verges, antérieur à 1907 d’après la notice bibliographique de la BNF (FRBNF36711641), paraissent entre 1909 et 1919 L’Enchanteur pourrissant (1909), L’Hérésiarque et Cie (1910) et Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée (1911).
73 « El Pomar » et « El Ángel del violoncello », Grecia, 41, 29-II-1920, pp. 3 et 8.
74 Ainsi que le rappelle J. A. Sarmiento dans le prologue de son édition en fac-similé de la revue Vltra.
75 Nunisme que Birot définit en 1916 dans la revue Sic [fac-similé], p. 43.
76 G. de Torre, « Antología crítica de la nueva lírica francesa. Blaise Cendrars », Vltra, 22, 15-I- 1922, p. 2.
77 Id., « Los nuevos valores literarios de Francia. Max Jacob », Vltra, 20, 15-XII-1921, p. 4.
78 X. Bóveda, C. A. Comet, F. Iglesias, G. de Torre et P. Iglesias Caballero, « Un manifiesto literario », Grecia, 11, 15-III-1919, p. 11 et I. del Vando-Villar, « Manifiesto ultraísta », Grecia, 20, 30-VI-1919, p. 9.
79 F. T. Marinetti, « Fundación y manifiesto del Futurismo » et « Proclama futurista a los españoles escrita expresamente para “Prometeo” ». Eloy Navarro Domínguez souligne l’écart entre la réalité de la publication des manifestes futuristes dans Prometeo et l’interprétation qui en est faite d’ordinaire : « creemos que la comprensión de la recepción inicial del futurismo por parte de Ramón se ha visto distorsionada por una visión de Prometeo que, inducida en gran medida por el propio autor, ha venido presentando la publicación, fundada por su padre, el dirigente liberal Javier Gómez de la Serna, como una revista casi exclusivamente literaria o, a lo sumo, “cultural”, con algún tributo ocasional a los intereses políticos del fundador. Sin embargo, un análisis mínimamente detenido de Prometeo nos muestra que la revista tuvo en realidad un significado político mucho mayor de lo que Ramón intentó hacer creer posteriormente », E. Navarro Domínguez, « Ramón, Marinetti y el contexto político de Prometeo », p. 132.
80 [R. Gómez de la Serna], « Movimiento intelectual. El Futurismo », Prometeo, 6, 1909, pp. 90-91.
81 Sur le rapport entre l’art d’avant-garde et le rythme de la mode, voir R. Poggioli, Teoría del arte de vanguardia, pp. 91-95.
82 Prometeo, 20, 1910, p. 517. Pour une analyse de ce texte en tant que « singular refundición (en la que no es difícil detectar un doble sentido paródico) del repertorio de imágenes y consignas incluidas en los manifiestos futuristas publicados hasta la fecha », voir E. Navarro Domínguez, « Ramón, Marinetti y el contexto político de Prometeo », pp. 162-163.
83 F. T. Marinetti, « Le dompteur », Akademos, 2, 15-II-1909, p. 176.
84 Voir le chapitre que L. Fernández Cifuentes consacre à la réception du Futurisme de Marinetti en Espagne dans Teoría y mercado de la novela, pp. 104-110.
85 Voir les différentes réactions qui se manifestent dans la presse espagnole : le sarcasme d’un Á. Guerra, « Diario de París. El futurismo », La Correspondencia de España, 28-II-1909, p. 4 ; la condamnation outrée de M. R. Blanco-Belmonte, dans El Imparcial, 11-III-1909, p. 4 ; la réponse de M. de Unamuno, « El trashumanismo », Los Lunes de El Imparcial, 29-III-1909, p. 3 ; la lecture ironique faite par El Globo, 28-IV-1909, p. 2 et par M. de Sandoval dans La Ilustración Española y Americana, 30, 15-VIII-1909, pp. 95-97 ou la définition concise du mouvement comme « la tontería pluscuamperfecta », donnée par Marcial, « El futurismo », El Siglo Futuro, 6-IV-1909, p. 1.
86 Pour plus de précisions sur ce contexte historique et politique fondamental pour la compréhension de la « Proclama », voir E. Navarro Domínguez, « Ramón, Marinetti y el contexto político de Prometeo », pp. 158-159.
87 F. T. Marinetti, « Proclama futurista a los españoles escrita expresamente para “Prometeo” », p. 527.
88 Dans son article « Ramón, Marinetti y el contexto político de Prometeo », pp. 160-161, E. Navarro Domínguez la souligne à propos d’un autre texte de l’auteur italien, « Il cittadino eroico ».
89 J. Gómez de la Serna, España y sus problemas.
90 Voir la démonstration d’A. A. Anderson, « Ramón Gómez de la Serna y F. T. Marinetti », pp. 38-40.
91 E. Navarro Domínguez, « Ramón, Marinetti y el contexto político de Prometeo », p. 162.
92 G. Alomar, El futurisme, puis « Futurismo », Renacimiento, 7 et 9, 1907, pp. 257-276 et 575-597.
93 D’après E. Navarro Domínguez, « algo similar a lo que intentarán hacer después los Gómez de la Serna en Prometeo, presentando la novedosa operación de confluencia y redefinición de la izquierda defendida por Canalejas no sólo como progresista desde el punto de vista político, sino, además, como “futurista” desde un punto de vista intelectual », E. Navarro Domínguez, « Ramón, Marinetti y el contexto político de Prometeo », p. 153.
94 Ibid., p. 170.
95 R. Gómez de la Serna, « Variaciones. Marinetti », La Tribuna, 16-I-1920, p. 9.
96 Voir E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, pp. 133-134. Les autres rédacteurs communs à Renacimiento et à Prometeo sont : G. Alomar, R. Cansinos Assens, R. Darío, E. Díez-Canedo, J. Francés, F. García Sanchiz, E. Gómez-Carrillo, R. Leyda, J. Ortiz de Pinedo, P. de Répide, R. Urbano et F. Villaespesa.
97 Dans les deux cas, le directeur de la revue présente les jeunes auteurs dont il fait l’éloge comme deux amis : Renacimiento, 10, 1907, pp. 750 et 754.
98 Prometeo, 1, 1908, pp. 97-98. Ce paragraphe de la rubrique est signé par J. del Busto-Solís.
99 Ibid., 2, 1908, p. 101.
100 Ibid., 4, 1909, pp. 94-96.
101 Ramón continue à revendiquer cet héritage et à manifester la connaissance qu’il a de l’œuvre de Darío au début des années vingt, comme le suggère un article du Liberal, « La vida. Glorieta de Rubén Darío », 6-X-1921, p. 3.
102 Prometeo, 5, 1909, pp. 29-62.
103 On consultera, sur ce point, E. Navarro Domínguez, « El concepto de la nueva literatura ¿un manifiesto vanguardista ? », pp. 48-51. L’hommage de la revue à Larra y est présenté en ces termes : « Entre el invierno y la primavera de 1909, cuando se encontraba en un momento crítico de su trayectoria (en plena campaña liberal contra Maura), la recién inaugurada revista encontró un acontecimiento particularmente propicio para llamar la atención de los jóvenes intelectuales a los que iba dirigida : la conmemoración, en marzo de 1909, del primer centenario del nacimiento de Mariano José de Larra », p. 48.
104 « Ágape organizado por Prometeo en honor de “Fígaro” », Prometeo, 5, 1909, pp. 44-59, respectivement, p. 50 (Jammes et Silverio Lanza), p. 53 (Semanario pintoresco), pp. 53-54 et 56-57. L’hommage est annoncé dans le numéro 4 de la revue, où il est présenté comme la célébration du centenaire de la naissance d’un écrivain éternellement jeune, auquel l’actuelle génération se doit de faire honneur « derroch[ando] un poco de locura », [R. Gómez de la Serna], « Movimiento intelectual. Banquete a Larra », Prometeo, 4, 1909, p. 90.
105 « Ágape organizado por Prometeo en honor de “Fígaro” », Prometeo, 5, 1909, pp. 44-59, voir p. 56.
106 R. Cansinos Assens, La novela de un literato, t. II, p. 8.
107 J. M. Bonet, « Ramón y los cubistas ».
108 La particularité du symbolisme en Espagne et plus spécifiquement du théâtre symboliste, représenté par Villaespesa ou Marquina, est qu’au cours des années dix, il devient nettement national et conservateur. C’est en cela qu’il « s’académise ». Il reste donc présent sur la scène des Lettres espagnoles, mais, au fil des années dix, la « jeune » littérature prendra ses distances et manifestera son désir d’aller de l’avant (-garde).
109 A. Soria Olmedo, Vanguardismo y crítica literaria en España, pp. 20-21.
110 On trouvera des exemples illustrant cette affirmation dans mon article « La revue Prometeo et son traducteur Ricardo Baeza ».
111 J.-C. Mainer, « Ramón en Prometeo », p. 130.
112 La citation est extraite d’un vers de « Keepsake » d’Albert Samain, Au jardin de l’Infante [1893], Paris, Mercure de France, 1924, p. 68.
113 Tristán [Ramón Gómez de la Serna], « Palabras en la rueca », p. 1045.
114 T. Llanos Álvarez, Aportación al estudio de las greguerías, p. 156, voit dans cet essai une œuvre présentant une doctrine de l’expression, concomitante à la doctrine de la réalité et de la pensée présentée dans El libro mudo, en 1910.
115 Tristán [Ramón Gómez de la Serna], « Palabras en la rueca », pp. 1035-1036.
116 Ibid., p. 1034.
117 Ibid., p. 1035.
118 Voir E. Navarro Domínguez, La formación de las teorías literarias de Ramón Gómez de la Serna, pp. 76-77.
119 Tristán [Ramón Gómez de la Serna], « Palabras en la rueca », p. 1033.
120 E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, p. 262.
121 Ibid., p. 261.
122 On pourrait presque noter certaines cadences récurrentes dans cet ensemble. Par exemples, la rime « Sofocación / Dispersión » délimite deux composés d’hexamètre et d’octosyllabe (« Mogango — Indolencia [6] Dejadez — Sofocación [8] // Asfixia — Mustiez [6] Febrilidad — Dispersión [8] ») ; la rime suivante, « Banalidad / Ambigüedad », deux octosyllabes (« Inepcia — Banalidad [8] // Inquietud — Ambigüedad [8] »).
123 Voir T. Llanos Álvarez, Aportación al estudio de las greguerías, pp. 172-180. Le critique considère cette notion de réminiscence comme l’un des fondements de l’expressivité du mot chez Ramón.
124 Où, significativement, la littérature est « définie » de la façon suivante : « Ésta es la literatura : disparate, trampolín, albur, fuego, bagatela… », R. Gómez de la Serna, Escritos de juventud, p. 493.
125 L’exemple le plus pertinent des Caprichos est celui de « Vaniloquio de las palabras », originellement publié dans la revue España, 16-IX-1922, pp. 13-14.
126 Prometeo, 9, 1909, pp. 58-59.
127 R. Gómez de la Serna, Pombo, pp. 80-81.
128 Id., « Los trajes poemáticos », Nuevo Mundo, 1-XII-1922. Sonia Delaunay, qui fait l’objet de cet article, est, par ailleurs, la destinataire d’un éventail de mots créé par Ramón, qui fut présenté lors du Grand Bal des artistes de Paris, le 23-II-1923.
129 Id., Greguerías (1917), p. 233. Lembranza, le souvenir, est emprunté au galicien.
130 V. Larbaud, « Présentation », p. xvi.
131 R. Gómez de la Serna, Greguerías (1917), p. 17.
132 Ibid., p. 19.
133 Ibid., p. 24.
134 Voir R. Gómez de la Serna, Escritos de juventud, respectivement, pp. 155, 175, 473, 199. Si l’on en croit l’étude d’A. Rivero Potter, La estética mallarmeana, Ramón eut une connaissance assez précise de l’œuvre mallarméenne, avec laquelle il partageait une recherche de l’autonomie de l’œuvre littéraire et de la fonction créative du lecteur et de l’auteur dans une narration évocatrice, et non plus descriptive.
135 Dans un essai des années trente, intitulé « Las palabras y lo indecible », qui se présente comme le prolongement de la réflexion amorcée dans « Palabras en la rueca », c’est précisément en citant Mallarmé que Ramón tente de définir la nouvelle poésie comme ce « mystère dont le lecteur doit chercher la clef ». Il affirme alors : « No hay necesidad de mostrar las cosas sino señalar el sitio que debían ocupar con una cifra, con un punto, con una síntesis mágica. Este azar de las palabras, este automatismo de la expresión que no es un juego, este descubrimiento de las frases más extrañas saca alma del purgatorio de lo subconsciente », R. Gómez de la Serna, « Las palabras y lo indecible », pp. 70-72.
136 S. Mallarmé, « Correspondance choisie. À Henri Cazalis », dans Id., Œuvres complètes, t. III, p. 662.
137 « L’œuvre pure implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l’initiative aux mots, par le heurt de leur inégalité mobilisés », S. Mallarmé, « Crise de vers », dans Id., Igitur, p. 248.
138 Sont évoqués au début du texte de l’« Ágape organizado por Prometeo en honor de “Fígaro” », « sin orden ninguno » : Colombine, Ramón, R. Baroja, F. Trigo, L. Ruiz-Contreras, P. Canitrot, J. Francés, E. Ramírez Ángel, A. de Hoyos, J. Bueno et A. Guerra, Prometeo, 5, 1909, pp. 44-59, voir pp. 44-45.
139 Ce recensement est repris et complété par J. Gómez de la Serna, España y sus problemas, pp. 303-304.
140 F. C. Sáinz de Robles, Raros y olvidados.
141 Il s’agit de J. Belda, R. Cansinos Assens, C. de Burgos (« Colombine »), E. Carrère, J. Francés, F. García Sanchiz, A. González Blanco, A. de Hoyos y Vinent, R. López de Haro, A. Martínez Olmedilla, L. Antón del Olmet, E. Ramírez Ángel, C. Rivas Cherif, R. Urbano et F. Villaespesa.
142 L. S. Granjel, « La novela corta en España » (I), p. 486.
143 La Dirección, « Nuestro propósito », El Cuento Semanal, 1, 4-I-1907.
144 La liste des participants et le titre des nouvelles proposées sont publiés dans le numéro 55 du 17-I-1908 : « Nuestro concurso. Relación de los originales recibidos », revers de la couverture et p. 20.
145 Voir F. C. Sáinz de Robles, La promoción de « El Cuento Semanal », p. 57
146 Voir E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, p. 134.
147 F., « Libros », Prometeo, 19, 1909, p. 94.
148 [R. Gómez de la Serna], « Movimiento intelectual. Alma de Santa », Prometeo, 8, 1909,pp.94-95. Le commentaire final sur Julio-Antonio (« Julio-Antonio ilustra este cuento. Nos basta consignar esto, después de haber consignado en otras ocasiones lo esotro », p. 95), auquel Ramón a consacré plusieurs paragraphes de l’étude « Arte. Chicharro y sus discípulos » dans le numéro précédent, Prometeo, 7, 1909, p. 89, confirme qu’il est bien l’auteur de cette recension critique de la nouvelle de Noel.
149 C’est le cas, par exemple, dans le numéro 200 du 28-X-1910, où paraît la nouvelle Juventud, ilusión y compañía d’E. Ramírez Ángel.
150 Voir les pages que J. C. Mainer consacre au costumbrismo dans « La edad contemporánea », pp. 502-507.
151 C’est le cas d’un article de Colombine sur « Las mujeres de Blasco Ibáñez » où l’on peut lire : « Creo en la influencia que la novela, diosa de la literatura, ejerce sobre la sociedad cuyas costumbres retrata. […] he procurado recoger la síntesis del sentir femenino en los tipos dibujados en sus libros, y […] tracé la silueta de las mujeres que retrata […] en la mayor parte de las cosas permanecen fiel a la realidad, escogiendo ese tipo de mujer sencilla », Prometeo, 4, 1909, pp. 69-71, je souligne.
152 Prometeo, 1, 1908, pp. 32-34.
153 J. Francés, « El regionalismo de los labios rojos », Prometeo, 2, XII-1908, pp. 13-17.
154 Ibid., p. 14.
155 J.-C. Mainer, La Edad de Plata, p. 205.
156 R. Gómez de la Serna, « Prólogo », Greguerías (1917), p. xii. La présentation, telle qu’elle apparaissait dans le texte « Tristán », était la suivante : « La greguería — según él [Tristán] la define — es el género más humano y de más cabida, el género de los bancos públicos […] y es el género de los cafés, bancos públicos al fin, sólo que llenos de discreción y de resguardo ».
157 R. Cansinos Assens, « Gómez de la Serna », p. 249.
158 E. Ramírez Ángel, « Epílogo desolado », Prometeo, 1, 1908, p. 31.
159 [R. Gómez de la Serna], « Libros », Prometeo, 4, 1909, p. 98.
160 Ibid., p. 97. La lecture de la conférence « El concepto de la nueva literatura », qui eut lieu le mois suivant à l’Athénée de Madrid, est précisément annoncée dans ce même numéro de la revue. Ramón est très vraisemblablement en train de travailler à son discours lorsqu’il rédige le compte rendu critique de l’ouvrage de Ramírez Ángel.
161 C’est ainsi que sont désignés Madrid sentimental et Cabalgata de horas dans les listes d’ouvrages du même auteur (par exemple, dans El Cuento Semanal), par opposition à La Tirana ou De corazón en corazón, qui sont définis comme novelas.
162 [R. Gómez de la Serna], « Libros », Prometeo, 4, 1909, p. 97. Et l’on sait que cette idée de l’importance du « cuotidianismo de la vida » est également présente dans « El concepto de la nueva literatura », p. 16.
163 « Nadie — a no ser Larra — ha entendido como Ramírez Ángel el espíritu casero, frívolo, buenazo, de este Madrid que es un infelizote y un alma de Dios. […] Madrid tenía que ser interpretado así, de manera distinta, menos solemne, menos refinada que Brugas. El pobre hombre que ha creado Ramírez Ángel es un personaje social, asaz representativo. Todos somos pobres hombres », ibid., 4, 1909, p. 98.
164 Ibid., 4, 1909, p. 99.
165 E. Ramírez Ángel, Cabalgata de horas, respectivement, pp. 103, 127, 186 et 74-76.
166 Ibid., p. 83.
167 « Variaciones. La nueva verbena de San Juan », 3-VII-1919, p. 4, « Variaciones. La verbena del Carmen », 26-VII-1919, p. 4 et « Variaciones. Más de las verbenas », 14-VIII-1919, p. 7 ; « Variaciones. Los tranvías llenos », La Tribuna, 10-XII-1920, p. 7 ; « Poliorama. El morir de los nardos », El Liberal, 23-X-1919, p. 3.
168 « Poliorama. Greguerías de Carnaval », 15-II-1920, p. 3, « Poliorama. Más greguerías de Carnaval », 17-II-1920, p. 3, « Poliorama. Últimas greguerías del Carnaval », 18-II-1920, p. 3 et « Poliorama. Domingo de Piñata », 22-II-1920, p. 3.
169 Sans oublier les travaux minutieux de Granjel, Zlotescu ou Dennis. Voir, en particulier, L. S Granjel, Retrato de Ramón, « Prometeo I. Biografía de Prometeo » et « Prometeo II. Ramón en Prometeo ». D’Ioana Zlotescu, on consultera les prologues et les notes à l’édition des vingt volumes d’Obras completas de Ramón, qui prêtent une attention toute particulière aux sources dans la presse des livres ramoniens. Enfin, Dennis est l’un des premiers à avoir réuni en un volume un ensemble cohérent d’articles ramoniens parus dans le quotidien El Sol, en 1930, au cours d’un séjour de l’auteur à Paris : N. Dennis, « Prólogo : El ir y venir de Ramón Gómez de la Serna ».
170 J. B. Fernández, « Ramón periodista ».
171 En 1911, Répide donne une conférence sur ce thème au cours d’une « Fiesta literaria » tenue en hommage à l’ambassadeur du Mexique, « Fiesta literaria », El Liberal, 24-II-1911, p. 1.
172 La Tribuna, 24-V-1920, p. 11.
173 Ibid., p. 11. La référence bibliographique de l’édition spéciale ramonienne est : « La Puerta del Sol », La Tribuna, 17-IV-1920, pp. 7-21.
174 R Gómez de la Serna, « La vida. En el tranvía », El Sol, 4-V-1923, p. 1.
175 Id., « La vida. El paraguas caído. Los suicidas. Los detallistas », El Sol, 3-XI-1923, p. 1.
176 Id., « La vida. Pote gallego », El Sol, 8-VI-1923, p. 1.
177 J. Hurtado y Jiménez de la Serna et Á. González Palencia, Historia de la literatura española, p. 1070. Voir également ce jugement de Cejador : « Ramón Gómez de la Serna, espíritu inquieto, curioso y siempre a caza de novedades y maneras artísticas desusadas y raras […] fue el último modernista dirigiendo Prometeo, cuando todos habían abandonado sus torres de marfil. Hoy es excelente escritor, suelto, humorístico, que describe aspectos madrileños con novedad y gracia original », J. Cejador y Frauca, Historia de la lengua y literatura castellana, p. 137.
178 C’est ce qu’affirme V. García de la Concha, dans la synthèse qu’il propose sous le titre, en soi éloquent, de « Ramón y la vanguardia », p. 206.
179 F. Vela, « La tertulia de Pombo. Una “subversión” », Índice de Artes y Letras, 76, 1955, p. 20.
180 Rafael Cansinos Assens, « Las nuevas escuelas », dans Id., Obra crítica, t. I, p. 224.
181 M. Fernández Almagro, « La generación unipersonal de Gómez de la Serna », p. 10.
182 Ibid. p. 10.
183 Voir E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, pp. 40-41.
184 Ibid., p. 134.
185 Sur cet auteur, on pourra consulter J. Menéndez y Arranz, « Emiliano Ramírez Ángel », article formant partie d’une série symptomatiquement intitulée Antología olvidada.
186 F. C. Sáinz de Robles, Raros y olvidados, pp. 129 et 161.
187 Les figures de Juan Ramón, Colombine ou Silverio Lanza sont trop singulières et trop affirmées déjà dans leur propre position au sein du champ littéraire, pour être considérées comme de possibles référents de comparaison avec les débuts littéraires de Ramón. Voir sur ce point E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, pp. 134-135. Les autres collaborateurs constituent, selon l’auteur, « una masa anónima o semianónima de autores de poca importancia », ibid., p. 135. Il est rigoureusement exact que la postérité de la grande majorité des rédacteurs de Prometeo fut médiocre. Pourtant, la revue réunit des personnalités diverses qui composent un certain réseau éditorial, à mon sens fondamental dans l’entourage ramonien.
188 Voir le récit que fait l’intéressé des premiers pas en tant que journaliste de Ramón dans le cadre de La Tribuna, dans l’article nécrologique « Ramón de periódicos ».
189 I. Soldevila Durante, « Bajo la hoja de parra ».
190 On pourra consulter la monographie de J. M. Martínez Cachero, Andrés González-Blanco, ainsi que l’article de J. Menéndez y Arranz, « Andrés González-Blanco ».
191 Au début des années vingt, un ouvrage anonyme est consacré à José Francés y su obra literaria, Madrid, Imp. de G. Hernández y Galo Sáenz, 1923, qui présente une brève bio-bibliographie de l’auteur, pp. 3-14, puis reproduit un certain nombre de jugements critiques de l’époque, pp. 14-30. La monographie la plus complète sur l’auteur est la thèse récente de M. P. Villalba, José Francés, crítico de arte.
192 L’ouvrage anonyme cité précédemment, José Francés y su obra literaria, indique que Francés a publié dans ces diverses collections de nouvelles et jusqu’à la date de publication de l’ouvrage, 1923, « hasta veintitrés novelas cortas », p. 12.
193 Francés publie en tout cinq nouvelles dans la collection (numéros 10, 61, 201, 223 et 252, 1907-1911). Ramírez Ángel est l’auteur de quatre nouvelles (numéros 22, 200, 215 et 236, 1907- 1911). González-Blanco, dont la première nouvelle, Un amor de provincia, est distinguée comme « Cuento recomendado », est l’auteur de trois collaborations (numéros 100, 142 et 199, 1908- 1910). Tous collaboreront ensuite dans Los Contemporáneos, La Novela de Bolsillo, El Libro Popular, La Novela Corta, La Novela Mundial (à l’exception de González-Blanco) et même dans la collection catholique Biblioteca Patria. Ramón coïncide avec eux dans la liste des collaborateurs du Libro Popular, de La Novela Corta et La Novela Mundial. Pour éviter un long catalogue superflu, je renvoie ici aux articles de L. S. Granjel, « La novela corta en España » (I) et « La novela corta en España » (II), de L. Urrutia « Una colección nueva : Los Contemporáneos » et à quatre volumes de la collection « Literatura breve » du CSIC : 2, La Novela Mundial, 4, La Novela Corta, 5, La Novela Semanal et 7, El Libro popular.
194 Où Ramírez Ángel publie Cabalgata de horas, en 1908.
195 Où González-Blanco publie Doña Violante : novela de la vida pícara y estudiantil, La eterna historia, Poemas de provincia y otros poemas (1903-1909), l’édition de Rubén Darío, obras escogidas, en 1910, et Marcelino Menéndez y Pelayo. Su vida y su obra, en 1912.
196 Où publient Francés (La garida, en 1911, et El misterio del Kursaal, en 1916) et Ramírez Ángel (Los ojos abiertos : escenas de la vida de un pobre hombre, en 1916).
197 Où Ramírez Ángel publie El príncipe sin novia, en 1909.
198 Où, après Miedo de Francés, Ramírez Ángel publie Después de la siega, en 1909, et Penumbra : novelas de sentimentalismos y zumbonerías, en 1914.
199 Où Ramírez Ángel publie La villa y corte pintoresca : escenas y momentos madrileños, en 1924.
200 Sur cette phrase se conclut, par exemple, la recension du premier ouvrage de Ramírez Ángel : « La Tirana es una de las mejores novelas que se hayan publicado en estos tiempos, y su autor uno de los escritores mejor dotados para honra de la literatura española contemporánea », L. de Terán, « Noticia bibliográfica », Nuestro Tiempo, XII-1907,p. 390. Les autres comptes rendus critiques, tous publiés dans la section « Noticia bibliográfica », concernent les livres suivants : Madrid sentimental (L. de Terán, Nuestro Tiempo, III-1908, pp. 407-408), Después de la siega (L. de Terán, Nuestro Tiempo, VI-1910, pp. 415-416) et Bombilla-Sol-Ventas (J. Subirá, Nuestro Tiempo, VI-1915, pp. 405-406).
201 Cité dans J. M. Martínez Cachero, Andrés González-Blanco, pp. 19-20.
202 Voir l’article de J. L. Cano, « Juan Ramón Jiménez y la revista Helios », de 1956, cité par J. M. Martínez Cachero, Andrés González-Blanco, p. 18.
203 Francés est l’un des autres critiques littéraires de Nuestro Tiempo.
204 Voir J. M. Martínez Cachero, Andrés González-Blanco, p. 38.
205 L’année probablement la plus fructueuse est celle de 1923, où Ramírez Ángel publie un total de 23 articles.
206 Respectivement, « La tarde del sábado », Blanco y Negro, 1351, 8-IV-1917 et « Los toros desde el balcón », Blanco y Negro, 1363, 1-VII-1917.
207 Respectivement dans Blanco y Negro, 1401, 24-III-1918, 1407, 5-V-1918 et 1411, 2-VI-1918.
208 Blanco y Negro, 1669, 13-V-1923, [s. p.].
209 Ibid., 1384, 15-XI-1917, [s. p.].
210 Parus, respectivement, dans La Tribuna, le 17-VIII-1920, pp. 6-7, le 18-VIII-1920, p. 6 et le 19-VIII-1920, pp. 8-9. Quelques semaines auparavant, le 30-V-1920, Ramón avait également fait paraître un article intitulé « Los gritos de Madrid », illustré des mêmes gravures que la série de La Tribuna, toutes empruntées à l’ouvrage dont Ramón reprend ici le titre, dans Los Lunes de El Imparcial.
211 R. Gómez de la Serna, « Pregones desparecidos », La Tribuna, 17-VIII-1920, p. 6.
212 E. Ramírez Ángel, « Los pregones callejeros », Blanco y Negro, 15-XI-1917, [s. p.].
213 Respectivement, E. Ramírez Ángel, « Los pregones callejeros », Blanco y Negro, 15-XI-1917, [s. p.] et R. Gómez de la Serna, « Los pregones de ayer, que aún viven hoy », La Tribuna, 18-VIII- 1920, p. 6.
214 Respectivement, E. Ramírez Ángel, « Los pregones callejeros », Blanco y Negro, 15-XI- 1917, [s. p.] et R. Gómez de la Serna, « Los pregones de hoy », La Tribuna, 19-VIII-1920, p. 8 ; « Pregones desparecidos », La Tribuna, 17-VIII-1920, p. 6. Sur les crieurs de rue, on pourra lire un autre morceau de bravoure costumbrista : Tristán [Ramón Gómez de la Serna], « Poliorama. El amanecer de “El Liberal” », El Liberal, 22-I-1920, p. 3.
215 M. Zurita, « “Blanco y Negro” en duelo. Emiliano Ramírez Ángel ».
216 L. Gil Fillol, « Artes y Letras. Ramón », La Tribuna, 5-IX-1918, p. 7. Sur un ton plus narquois, M. Benlliure y Tuero commence en 1922 sa recension critique du Gran Hotel de la façon suivante : « Empezaría diciendo que voy a poner unos comentarios al margen del último libro de Ramón Gómez de la Serna, si no fuera por el temor de que mientras concluyo este artículo pudiera Gómez de la Serna escribir dos o tres libros más », El Liberal, 1-V-1922, p. 3.
217 Voir la reproduction du « Fallo del Tribunal » ainsi que de l’article original primé dans ABC, 6-III-1924, p. 1.
218 Voir la une de La Época du 11-VI-1927 et le paragraphe plus développé qu’ABC consacre à l’information ce même jour et où l’on peut lire que « la docta Corporación, al premiar a Ramírez Ángel como escritor costumbrista, galardona sólo uno de los diversos aspectos de su mentalidad », p. 26.
219 Ramón s’est, en effet, présenté sans succès aux mêmes concours que Ramírez Ángel. L’un des chapitres de son autobiographie de 1924 est d’ailleurs intitulé « Desgraciado en concursos », en l’honneur de ce phénomène, « Ramón. Mi autobiografía », pp. 505-506. Il est significatif qu’au début des années vingt Ramón recherche une forme de légitimation en tant que journaliste.
220 La réédition actuelle des Œuvres complètes de l’auteur compte vingt tomes de huit cents pages en moyenne chacun.
221 Voir les travaux suivants : J. Bergamín, « Literatura y brújula », L. Cernuda, « Gómez de la Serna y la generación poética de 1925 » et J. Chabás, « Ramón Gómez de la Serna », p. 375.
222 Sans aucun doute, le théâtre ramonien est en grande partie influencé par l’œuvre des dramaturges symbolistes (celle de Maeterlinck, en particulier). Il comporte, pour cette même raison, une dimension de modernité littéraire, qui se reflète dans l’attitude réflexive ou métapoétique de nombre des pièces. El teatro en soledad est, sans conteste, la pièce qui réunit le mieux les grandes directions de l’expérimentation théâtrale ramonienne. À travers elle, Ramón revendiquera fièrement une sorte de paternité putative des futurs Sei personaggi in cerca d’autore de Pirandello. La structure en miroir de la pièce applique le postulat sur lequel se referme la longue digression iconoclaste de prologue : « Todo lo que se escribe debe descomponerse », R. Gómez de la Serna, « El teatro en soledad (Drama en tres actos) », Prometeo, 36, 1912, pp. 49-96 et 37, 1912, pp. 161-191.
223 Sur ce point, voir N. Dennis, « Ramón y la (auto) publicidad ».
224 « No tengo generación. No soy de ninguna generación. Tanto he luchado solo, que tengo que hacer esta declaración », R. Gómez de la Serna, « Ramón. Mi autobiografía », p. 486.
225 Il est une coïncidence curieuse à ce propos : Carmen de Burgos, Ortega et Ramón se retrouvent dans l’éphémère supplément « Los Domingos literarios » du Globo (16 janvier - 13 février 1916), où apparaissent également d’autres anciens collaborateurs de Prometeo : Abril, García Sanchiz, Francés, Cansinos et Bartolozzi.
226 « Había trabajado, como dependiente, en una tienda de sombreros de señora, en la calle del Carmen — cosa de la que nunca se avergonzó ; por el contrario, lo dice así en su novela Los ojos cerrados, y como escribiente, en un Juzgado municipal y en la secretaría particular de la Dirección de Obras públicas », M. Zurita, « “Blanco y Negro” en duelo. Emiliano Ramírez Ángel ». Les premières pages du Dietario de un pobre, qui paraît à la suite de La Tirana, dans La Novela Ilustrada, en 1907, font également référence au métier d’escribano, dont ce court récit vise à décrire le quotidien.
227 Un exemple parmi tant d’autres pourrait être la conférence sur « El humorismo y la caricatura », qui est publiée dans la revue Por Esos Mundos, le 1-III-1916, pp. 283-292, richement illustrée.
228 Voir l’annonce de l’inauguration de l’exposition et du programme dans El Globo, « Exposición de humoristas », 9-XII-1914, p. 3, et les premiers échos critiques dans El Imparcial, « Notas de arte », 11-XII-1914, p. 3 ou La Correspondencia de España, « De arte. Exposición de humoristas », 16-XII-1914, p. 4.
229 Le banquet a lieu le 14-V-1917. On peut en lire le compte rendu dans El Imparcial ou El Liberal du 15-V-1917, p. 3. À la table d’honneur, Francés est entouré de Benlliure — l’un des artistes qui proposera, en 1922, sa candidature à la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando —, mais aussi de Ramírez Ángel et de González-Blanco.
230 Sur tous ces éléments, on consultera la thèse de M. P. Villalba, José Francés, crítico de arte.
231 Voir « En el Ateneo », El Imparcial, 15-IV-1914, p. 3 et « Conferencias del Ateneo », El País, 16-IV-1914, p. 5.
232 À cette occasion, La Correspondencia de España — qui a annoncé la nouvelle du prix dans son édition du 26-I-1917, p. 5 — consacre un article aux trois frères González-Blanco : « Semana literaria. Pedro, Edmundo y Andrés González-Blanco », 29-I-1917, p. 5. Un banquet est organisé en l’honneur du plus jeune, trois jours plus tard.
233 Pour ne citer que quelques exemples glanés dans la presse quotidienne madrilène, A. González-Blanco est présent lors des banquets offerts au poète Fernández Valleja en juin 1918, à l’écrivain J. Más en avril 1918, au consul de Mexico à Madrid en février 1919, au banquet de la Asociación de la Prensa en mars 1919 et à la velada Clarín qui se tient à l’Athénée en 1923.
234 Par exemple, [Anonyme], « Mentidero teatral », El Mentidero, 350, 8-XI-1919, p. 10.
235 Voir l’annonce de l’inauguration, « Para el domingo. La inauguración del monumento a Galdós », El Imparcial, 18-I-1919, p. 4.
236 Pour les chiffres précis, voir le tableau 1A-1B, pp. 430-431, présenté en annexe.
237 Significativement, il s’agit du volume de Greguerías, chez Prometeo, en 1917, qui sera suivi de Muestrario chez Biblioteca Nueva, des Greguerías selectas, chez Saturnino Calleja, avant l’essor des années 1921-1922, où paraissent non moins de huit ouvrages. Voir le tableau 2, pp. 432-438, en annexe.
238 Sur la facette finalement peu étudiée de Ramón-journaliste et sur l’importance de la matrice de la presse dans l’écriture de l’auteur et dans son œuvre publiée, voir l’article pionnier d’E. Hernández Cano, « “Un puro estilo del presente” ».
239 « El Ruso » est publié dans El Libro Popular, 10, 11-III-1913 et, l’année suivante, la première version brève de « El Doctor Inverosímil », dans La Novela de Bolsillo.
240 On pourra consulter, pour s’en assurer, les deux monographies que l’auteur consacre à ce lieu emblématique : Pombo et La Sagrada cripta de Pombo.
241 Cette « manie » des banquets littéraires culmine dans la polémique qui oppose en 1923 Ramón et M. Benlliure y Tuero, à laquelle j’ai consacré un article, « La cuestión palpitante y manducante ».
242 C. B. Morris, « Ramón y la Vanguardia », p. 135.
243 D’après I. Soldevila Durante, « el protagonismo que la generación de 1923 acabó teniendo en nuestra historia de la literatura contribuyó a ensombrecer el hecho indiscutible de que su triunfo había sido facilitado por el sacrificio de una generación de choque que en los combates primeros había contribuido a despejar de la institución literaria a cohortes primeros de escribidores y gloriosos epígonos. Los pocos supervivientes aparecieron luego como extemporáneos fenómenos que no parecían encajar en la nueva situación », I. Soldevila Durante, « Para la recuperación de una prehistoria embarazosa », p. 24.
244 C. Nicolás, « Ramón Gómez de la Serna », p. 9.
245 La coïncidence entre le rapprochement de Ramón et du (grand) public et l’orientation nouvelle de ses écrits vers la thématique madrileñista est soulignée aussi bien par T. Borrás, « Ramón de periódicos » que par J. B. Fernández, « Ramón periodista ».
246 T. Borrás, « Ramón de periódicos ».
247 B. Barrère, Jeunesses de Ramón Gómez de la Serna, t. I, p. 496.
248 La polémique qui oppose deux factions de la rédaction du journal — Atenas (composée de S. Bartolozzi, T. Borrás, E. de Mesa, L. Bagaría et R. Gómez de la Serna) et Beocia (qui désigne « el cuerpo de la redacción que hace lo que se llaman las tripas del periódico ») — est décrite par M. Pérez Ferrero, « Vida de Ramón », pp. 20-21.
249 T. Borrás, « Día tras día. Greguerías », La Tribuna, 27-VI-1914, p. 7 et 20-VII-1914, p. 7.
250 Voir les articles suivants, tous intitulés « Nuestros cronistas en la guerra. Diario de un lector », et qui correspondent aux dates du 14-XI-1914, pp. 8-9, du 23-XI-1914, p. 6 et du 4-XII-1914, pp. 6-7.
251 R. Gómez de la Serna, « Sobre los toros ».
252 Ibid.
253 R. Gómez de la Serna, « Sobre los toros ».
254 Ibid. Au passage, Ramón cite les références de la critique anti-taurine et taurine, que sont E. Noel et F. García Sanchiz, avec une certaine reconnaissance (pour la position que l’un et l’autre ont conquise au sein du champ culturel de l’époque), empreinte de cette même supériorité, voire de cet orgullo, qui anime l’article tout entier.
255 R. Gómez de la Serna, « La noche vieja », La Tribuna, 5-I-1916, p. 5.
256 Id., « Del circo inefable », La Tribuna, 22-IV-1916, pp. 9-10 et « Comienza la temporada de primavera. El circo », La Tribuna, 23-IV-1916, pp. 2-3.
257 Id., « La festividad de hoy. Día de Difuntos. Meditación », La Tribuna, 1-XI-1916, pp. 8-9 et « Día de Difuntos. Epílogo », La Tribuna, 2-XI-1916, pp. 8-9.
258 En 1916, Ramón participe par exemple au concours de nouvelles de La Tribuna, où il présente non moins de cinq textes, qui seront tous primés dans la catégorie hors-concours (sur demande expresse de l’auteur, alors membre de la rédaction du journal). Voir les résultats du concours publiés dans le journal : « Concurso de cuentos de “La Tribuna”. Fallo del jurado », La Tribuna, 20-V-1916, p. 2. Le jury est composé de T. Borrás, V. Gay et E. Zamacois. Les cinq récits ramoniens sont publiés par le quotidien dans les semaines qui suivent.
259 Un an tout juste après la parution du premier article de la série « Diario de un lector », Ramón publie cette déclaration d’intention rétrospective : « El lector — pienso muchos ratos — es el que ve la guerra, o si no, el soldado que pasa todos los peligros, y quizá no tanto como el lector lejano… El cronista que se acerca a la guerra para ver la guerra, es el que no ve nada de ella. Nada. Es un fenómeno de óptica extraño, pero cierto. Allí, los pequeños focos de la guerra están intermediados por grandes extensiones, por vastos vacíos, por abrumadores silencios, por un secreto impenetrable, por una falta de perspectiva atroz », La Tribuna, 4-VIII-1915, p. 6.
260 Je tiens, ici, à remercier Eloy Navarro Domínguez pour toutes ses suggestions à ce propos.
261 R. Gómez de la Serna, « El concepto de la nueva literatura », p. 23.
262 [R. Gómez de la Serna], « Libros », Prometeo, 4, 1909, pp. 97-98.
263 Ibid., p. 97.
264 R. Gómez de la Serna, « Variaciones. Cosas de la vida », La Tribuna, 29-XI-1920, p. 8.
265 Plusieurs artistes font l’objet d’articles ramoniens dans les années dix, en particulier, au travers de la série de portraits, parus dans Gil Blas au cours de l’année 1915 : Salvador Bartolozzi, Angelina Beloff, Colombine, Juan Ramón Jiménez, Diego M. Rivera ou Luis Bagaría. De façon systématique, à partir des années vingt, Ramón commente l’Exposition annuelle des beaux-arts et le Salon des Humoristes. Plus ponctuellement, on rencontre par ailleurs des articles traitant des problèmes sociaux du moment, aussi divers que les épidémies de rhume des foins (« Todo Madrid constipado », La Tribuna, 30-IV-1919, p. 3), la censure de la presse (« Los periódicos y la censura », La Tribuna, 17-III-1916, p. 5) ou la crise du logement (« El peligro », El Liberal, 1-V-1921, p. 1).
266 L’exemple le plus pertinent est légèrement postérieur (mai-juillet 1922), mais particulièrement impressionnant par le retentissement qu’il a dans la presse madrilène durant plusieurs mois : il s’agit de l’affaire Lefevre, qui revêt une dimension tout à fait romanesque à partir de l’intervention de Ramón. L’auteur s’y présente comme un véritable détective-reporter, s’appuyant à la fois sur son expérience de romancier et sur celle de journaliste : « Aunque el suceso de la muerte misteriosa de Lefevre va muy bien llevado por mi querido compañero Barberán, el novelista y el cronista diario de “la vida” tenía que buscar su pista y hacer sus comentarios », R. Gómez de la Serna, « La Vida. El tétanos y la princesa polaca ».
267 C’est une réévaluation du concept de ramonismo, à la lumière de la production journalistique de Ramón Gómez de la Serna dans les années vingt, que propose E. Hernández Cano, « “Un puro estilo del presente” ».
268 Style emprunté au milieu journalistique, comme le démontre E. Hernández Cano, qui met en lumière la finalité pragmatique de ce type d’écriture : « Los géneros del ramonismo resultan ser géneros modulares, unidades textuales básicas diseñadas para la construcción rápida y económica de textos más extensos, […] pensadas con capacidad para facilitar su reestructuración, pudiendo aparecer un mismo módulo en combinaciones diversas, pero siempre organizados alrededor de centros temáticos. Los libros del ramonismo no son producidos como texto unitario, en definitiva, sino armados a partir de unidades modulares », E. Hernández Cano, « “Un puro estilo del presente” », p. 150.
269 Pour ne donner qu’un exemple de source journalistique de chacun des livres cités : parmi la toute première série de greguerías publiées dans La Tribuna, le 7-I-1913, p. 1, une est retenue dans le recueil de 1917 (« No hay nada que anonade tanto al pensamiento como ese hombre que toca el acordeón », p. 145) ; le premier texte de Ramonismo, « Teoría y estética de los cuellos de pajaritas », était paru l’année précédente dans la revue Buen Humor (19-III-1922, p. 6) ; l’article intitulé « El café recóndito » paru dans Por Esos Mundos (1-II-1915, pp. 142-151) est augmenté pour composer les premiers chapitres de Pombo en 1918 ; enfin, le texte qui ouvre les Variaciones de 1922, « El mejor reclamista del mundo », était originellement un « Poliorama » paru dans El Liberal, 1-XII-1920, p. 3.
270 E. Hernández Cano, « “Un puro estilo del presente” », p. 134.
271 R. Gómez de la Serna, Automoribundia, pp. 330 et 334. Dans ce même chapitre d’Automoribundia, Ramón ajoute, p. 330, que, par l’entremise de T. Borrás, on lui proposa un salaire tout à fait avantageux de 1500 pesetas pour lancer une section journalière — la future « Cena de las burlas », confiée finalement à Enrique Díez-Canedo —, dans La Voz.
272 Id., « Ejemplos ».
273 Id., « Ramón. Mi autobiografía », p. 508.
274 Ibid., p. 508.
275 Ibid., p. 538.
276 Voir, sur ce point l’analyse que propose E. Hernández Cano du renversement, terme à terme, que représente le chapitre « Mi periodismo », de 1924, par rapport à la position ramonienne manifestée dans la « Proclama de Pombo » : si, dans Pombo, « Más aún, el periodismo forma parte para el joven Ramón de las limitaciones materiales que merman la capacidad de creación en libertad, cuyo idealismo llevaba entonces al límite de no cobrar por sus colaboraciones. Una libertad que había encarnado su revista Prometeo y que en ese momento representaba la capilla de independencia que era su tertulia de Pombo, que esta proclama venía a celebrar », dans La Sagrada cripta de Pombo, « Ramón, sencillamente, ha invertido todos sus argumentos tempranos y ahora la actualidad es hermana de la literatura y se alaba la labor de la dirección. Si antes el ideal artístico lo era todo, ahora la profesionalización ha supuesto un cambio de valores », E. Hernández Cano, « “Un puro estilo del presente” », pp. 120-121.
277 F. Lefèvre, « Ramón Gómez de la Serna », p. 200. L’entretien avec Ramón est daté du 7-I-1928.
278 M. Pérez Ferrero, « Vida de Ramón », p. 21.
279 R. Gómez de la Serna, Greguerías, p. xiv.
280 Id., « Tristán ».
281 C’est ce que Ramón avoue sous les traits de Tristán : « (Ahora la pluma muchas veces no sólo tiene que escribir, sino diseñar la cosa con ese trazado irregular de la escritura rápida del escritor de las urgencias) », dans « Posdatas. Los nuevos tejados », La Tribuna, 29-VI-1920, p. 5.
282 Pour une réédition récente, voir L. Alas, Solos de Clarín, Madrid, Alianza Editorial, 1971, pp. 79-89. Voir également la distinction établie au sein de la critique d’actualité par Azorín (alors José Martínez Ruiz), en 1893, entre, d’une part, la critique sérieuse, représentée par les « Lecturas » de Clarín et réservée à un nombre infime de lecteurs, de l’autre, la critique satirique, emblématisée par les « Paliques » du même Clarín, au public bien plus nombreux, et dont la visée est, avant tout, de faire (sou) rire, plutôt que réflechir, L. Alas, « La crítica literaria en España », article cité à partir d’une réédition récente dans l’anthologie préparée par D. Ródenas de Moya, La crítica literaria en la prensa, pp. 254-259. La greguería se situerait entre ces deux formules.
283 R. Cansinos Assens, « Psalmos » et « Salmos ».
284 Tristán [Ramón Gómez de la Serna], « Las danzas de pasión », Prometeo, 30, 1911, p. 509.
285 R. Cansinos Assens, « Psalmos », p. 315.
286 R. Gómez de la Serna, La Sagrada cripta de Pombo, p. 476.
287 Prometeo, 3, 1909, pp. 53-58.
288 Prometeo, 26, 1911, pp. 187-189.
289 « Movimiento intelectual. Pensamientos inéditos de Jacinto Benavente, Linares Rivas, Ramos Carrión, Álvarez Quintero, Répide, etc., etc. », Prometeo, 4, 1909, pp. 84-96.
290 Prometeo, 20, 1910, pp. 555-559.
291 O. Wilde, « Frases y filosofías para el uso de jóvenes », Prometeo, 33, 1911, pp. 807-810 et B. Shaw, « Máximas para revolucionarios », Prometeo, 37, 1912, pp. 97-108.
292 On trouve, dans la correspondance entre Ramón et Baeza, plusieurs indications allant dans ce sens : « Yo espero […] otra traducción corta y un tanto filosófica de pocas cuartillas » (12-VI-1909) ou « Envíame […] cosas cortas sobre todo y variadas. De Claudel alguna cosa dramática y la más breve de [las] cosas suyas » (1910).
293 E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, pp. 264-265.
294 Les mentiras — l’une des variations génériques de la prose ramonienne des années 1910- 1920, avec les miradas ou les parecidos — pourraient rappeler, par exemple, la section « Letanías. No estamos conformes » qui paraît dès le premier numéro de La Gacetilla de Madrid, 20-IV-1915.
295 Respectivement, « Día tras día. Momentos », La Tribuna, 13-IV-1915, p. 9 et 17-IV-1915, p. 6 ; « Día tras día. Superficies », La Tribuna, 27-IV-1915, p. 6 et 8-V-1915, p. 7.
296 En effet, la rubrique de Manuel R. Álvarez Puente apparaît d’ordinaire aux pp. 6-7, où sont également publiées les chroniques du « Diario de un lector » de Ramón. Le 17-IV-1915, par exemple, les deux auteurs coïncident sur la même page.
297 À cette date, ils commencent à paraître en une du Liberal.
298 R. Gómez de la Serna, « Momentos », La Tribuna, 26-X-1916, p. 8.
299 L’un des plus remarquables, au cours des années suivantes, car il est identifié par son titre, est le capricho « El colmo de la Antigüedad » : « Tan antiguo era el templo, que se le habían desrizado las volutas a sus columnas », España, 27-I-1923, pp. 4-5.
300 Avec un article intitulé « Cosas de los cafés », 4-XII-1921, p. 10.
301 On remarquera que les trois derniers titres réapparaissent dans plusieurs des fiches du Diccionario manual ramonien, dont les manuscrits sont actuellement conservés à l’université de Pittsburgh. Pour ne citer qu’un exemple de chacune des occurrences, voir « Titirimundi (Yo digo titirimundo) : Mundo nuevo = Cajón que contiene un cosmorama portátil o una colección de figuras de movimiento » ; « Bagatelas : ¡viva la bagatela ! » et « Quisicosas : (Título) », respectivement dans Ramón Gómez de la Serna Collection, b. 63, fos [I-D 345], [I-B 151] et [II-C 98a].
302 R. Gómez de la Serna, cité dans J. Cejador y Frauca, Historia de la lengua y literatura castellana, t. XII (1920).
303 Revenant sur l’idée de la singularité que la postérité a attribué à « Ramón », I. Soldevila Durante s’efforce, au contraire, d’incorporer la prose ramonienne au sein du panorama des premières décennies du xxe siècle : « A las alturas de 1987, cuando ya se ha aclarado […] que la característica básica del siglo ha sido la integración de los géneros tradicionales y nuevos (incluyendo el periodismo ensayístico), es necesario restituir a sus papeles respectivos a los diferentes autores que, junto a Ramón Gómez de la Serna, Gabriel Miró y Ramón Pérez de Ayala, asumieron en las tres primeras décadas del siglo la evolución de la prosa narrativa », I. Soldevila Durante, « Para la recuperación de una prehistoria embarazosa », p. 24.
304 R. Cansinos Assens, « Gómez de la Serna », pp. 256-257.
305 C. Nicolás, « La resaca antivanguardista ».
306 Dans le prologue à sa réédition des Greguerías, C. Nicolás insiste sur ce « constante vaivén entre lo real y lo imaginario », « (Al margen) de la greguería », pp. 25-27.
307 E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, p. 167.
308 R. Gómez de la Serna, « El concepto de la nueva literatura », p. 3.
309 E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, p. 187.
310 E. Ramírez Ángel, « Libros. El verano de Luz Fanjul », Prometeo, 14, 1910, pp. 97-98. C’est un jugement similaire que l’on trouvera sous la plume de D. San José : « Hombre proteico en grado sumo, simultaneaba el trabajo en todos los momentos de su vida : charlando en el café, sin dejar de escribir o de tomar apuntes ; en el paseo, en el teatro y hasta conjugando el verbo universal que es semilla constante de la vida », Gente de ayer, pp. 202-203.
311 Ibid., pp. 99-100.
312 R. Gómez de la Serna, « El concepto de la nueva literatura », p. 7.
313 G. Martínez Sierra, « Guignol, por José Francés », Renacimiento, 10, 1907, p. 151.
314 J. Francés, El alma viajera, El Cuento Semanal, 10, 8-III-1907, [s. p.].
315 A. González-Blanco, Los contemporáneos (1909), pp. 211-214.
316 Voir J. C. Ara Torralba, Del modernismo castizo, en particulier cette analyse de l’auteur, p. 247, sur la raison du succès editorial de Casta de hidalgos : « Su novela, moderna y castiza, centón donde había recogido gran parte de los temas que habían obsesionado a los modernistas, había contentado prácticamente a todos, a la ya vieja “gente nueva” y a los saboreadores de su nuevo “estilo español”, muy español ». Je souligne le terme de centón qui identifie l’œuvre de León comme une miscellanées de citations plus ou moins textuelles de modèles étrangers au texte, à partir desquels ce dernier se compose de façon syncrétique. L’idée de bazar, que l’on verra apparaître chez Ramón en 1916, est également significative.
317 Voir E. Hernández Cano, « El huso y las letras. La problématique du genre et des genres dans l’écriture syncrétique de Concha Espina ».
318 J. C. Ara Torralba, Del modernismo castizo, p. 191.
319 Ce répertoire a été effectué grâce aux lectures des différents auteurs évoqués plus haut, au dépouillement de la presse des années dix et aux divers catalogues de collections de nouvelles publiés dans le cadre de la collection CSIC Literatura breve. Voir Ideología y texto en « El Cuento Semanal », El Libro popular, La Novela Corta, ainsi que L. Urrutia, « Una colección nueva : Los Contemporáneos ».
320 La Dirección, « Nuestro propósito », El Cuento Semanal, 4-I-1907.
321 J. Ruiz-Castillo Basala, El apasionante mundo del libro, p. 93.
322 Extrait du texte publié en quatrième de couverture du premier numéro de la collection : J. M. Salaverría, Espíritu ambulante, Madrid, Biblioteca Nueva, 1917.
323 « A lo largo de los años en que José Ruiz-Casillo dirigió la editorial, la producción de Biblioteca Nueva fue muy diversa, precisamente porque en la variedad estaba su mejor baza », R. Sánchez García, « José Ruiz-Castillo », p. 127.
324 D’après la préface d’Azorín, dans Gabriel Alomar, Verba, Madrid, Biblioteca Nueva, 1917, p. 13.
325 D. Ródenas de Moya (éd.), Prosa del 27, p. 48.
326 Voir, sur ce point, la thèse de J. Ramos sur la chronique dans le cadre de la littérature latino-américaine et le commentaire qu’en fait E. Hernández Cano, en l’appliquant au cas ramonien, dans le cadre de la presse et du marché éditorial espagnols : « La crónica da al periódico, como ha señalado Julio Ramos, su papel en la modernización literaria, posibilitando el desarrollo del estilo, a la vez que establece los límites de la autonomía literaria proporcionando un marco editorial y una difusión pública que delimitan el espacio de posibilidades a desarrollar a través de ese estilo », E. Hernández Cano, « “Un puro estilo del presente” », p. 128.
327 R. Alarcón Sierra, « Introducción », p. 19.
328 R. Gómez de la Serna, « Greguerías ».
329 Id., « La vida. Pirandello y Pitigrilli. Los mártires de la pirotecnia », El Sol, 4-X-1923, p. 1.
330 R. Cansinos Assens, « Gómez de la Serna », p. 249.
331 S. Vinardell, « La juventud española ».
332 J.-C. Mainer, « El Cuento Semanal », p. 211.
333 L’édition sous forme de livre, qui comporte un certain nombre de remaniements par rapport au feuilleton de 1921-1922, date de 1925, et voit le jour chez Sempere.
334 D. Ródenas de Moya, « Introducción », p. 54.
335 Le répertoire de la production d’Andrés Castilla va du mélodrame à l’eau de rose, aux textes naturalistes, en passant par un drame rural, un roman social, une nouvelle psychologique, sans oublier l’indispensable roman érotique ou encore le roman à suspens. Ibid., pp. 54-55.
336 Ibid., p. 54.
337 Ibid., p. 55.
338 Ibid., p. 51.
339 R. Gómez de la Serna, El Novelista, p. 268.
340 Voir D. Ródenas de Moya, « Introducción », pp. 51-52.
341 Ibid., p. 54. Voir l’analyse que fait le critique du texte El biombo, pp. 58-59.
342 Ibid., p. 54. Il faut également préciser qu’en dehors du roman El Novelista, Ramón a publié, depuis le début des années vingt, une parodie de roman noir, El Chalet de las rosas ; une nouvelle érotique, « La virgen pintada de rojo » dans La Novela pasional ; un roman tauromachique, El torero Caracho ou encore les Seis falsas novelas : Rusa, China, Tártara, Negra, Alemana, Americana.
343 R. Gómez de la sErna, Automoribundia, p. 27.
344 Id., Ramón (obra y vida), pp. 37-80.
345 R. Cansinos Assens, « Gómez de la Serna », p. 247. Autrement dit, le style littéraire ramonien identifiable (reconnaissable par le public) est né.
346 N. Dennis, « Ramón y la (auto) publicidad », pp. 201-203.
347 Voir également ce paragraphe de synthèse, toujours emprunté à l’article de N. Dennis : « Ramón se mueve en un ruidoso paisaje urbano poblado de escaparates y anuncios, letreros y ofertas, teatros y cines, todos ellos signos de la “cultura de la publicidad” que se va formando en España en las primeras décadas del siglo xx. Para abrirse un camino en ese ámbito, emprende una constante campaña de auto-promoción, adaptándose ágil e interesadamente a las nuevas posibilidades que le ofece una incipiente sociedad de consumo, afirmándose como artista moderno, siempre atento a los altibajos del mercado », N. Dennis, « Ramón y la (auto) publicidad », p. 225.
348 Il y est secrétaire de la section de Littérature, en 1909, lorsqu’il présente publiquement son mémoire « El concepto de la nueva literatura ».
349 Voir R. Gómez de la Serna, « La vida. P.E.N. Club », El Liberal, 25-IV-1922, p. 3 et « La vida. Los periodistas », El Liberal, 6-VIII-1922, p. 3.
350 Voir Id., La Sagrada cripta de Pombo, pp. 466-468.
351 Sur la nature et la portée de ces proclamas, voir G. Gómez de la Serna, Ramón (obra y vida), pp. 85-87.
352 Ibid., Ramón (obra y vida), pp. 86-87.
353 C’est de cette façon, comme « el viejo café de Pombo », qu’il est présenté sous la plume d’E. Ramírez Ángel, Cabalgata de horas, p. 93. Voir également A. Velasco Zazo, qui le présente comme l’un des derniers cafés madrilènes authentiques, « de grato e imperecedero recuerdo », dans La Esfera, 25-X-1924.
354 On pourrait citer également ce commentaire de l’écrivain portugais Leal da Camara, en l’honneur duquel est célébré un banquet à Pombo, en 1917, et dont l’auteur du compte rendu retient cette citation tout aussi explicite que significative : « En Pombo buscavase o silêncio para melhor pensar entre o chapeus afurrilados dessa época romântica a cavalheirosa », La Tribuna, 23-IV- 1917, p. 7.
355 Voir mon article « La cuestión palpitante y manducante ».
356 Voir R. Gómez de la Serna, La Sagrada cripta de Pombo, p. 467. Avant d’être recueilli par Ramón, le discours d’Ortega paraît sous le titre « Cuartillas de Ortega y Gasset », dans la revue Vltra, 20, 15-XII-1921, pp. 2-3.
357 Lettre conservée à la Fundación Ortega y Gasset, sous la côte C-10444.
358 La dernière collaboration de Ramón au quotidien El Liberal paraît le 26-I-1923, p. 1. R. Castrovido devient le nouveau directeur du journal à partir du 31-I-1923.
359 La première apparition de cette section date de novembre 1921 : R. Gómez de la Serna, « La vida. La vida inquieta del embajador de los EE. UU. », El Liberal, 3-XI-1921, p. 3.
360 Le premier article de Ramón dans El Sol est publié le 6-III-1923 et inaugure une collaboration quotidienne de plusieurs années. Quatre jours plus tard, Ramón inaugure une collaboration hebdomadaire avec La Voz.
361 Lettre conservée à la Fundación Ortega y Gasset, sous la côte C-8113. L’en-tête indique : « Ramón Gómez de la Serna / (Portugal) / “El Ventanal” / Estoril ».
362 Il faut, d’ailleurs, signaler à ce propos la belligérance toute particulière de Ramón à l’encontre des avant-gardes naissantes. Tout en collaborant dans les principaux organes de diffusion ultraïstes, il y adopte une attitude d’auto-promotion manifeste, notamment par l’intitulé de ses articles, essentiellement réunis dans une rubrique « Ramonismo » ou sous le titre de « Disparates ».
363 N. Dennis, « Ramón y la (auto) publicidad », p. 211.
364 Ramón y affirme : « Este libro muestra mi espíritu con resueltas plumadas. He intentado en él dar fuerte expresión a las cosas para oponer mi ismo a todos los ismos », R. Gómez de la Serna, Ramonismo, p. 5.
365 Ibid., p. 5.
366 N. Dennis, « Ramón y la (auto) publicidad », p. 211.
367 J.-C. Mainer, « Nueve años de novelismo », pp. 11-13.
368 G. Gómez de la Serna, Ramón (obra y vida), p. 142.
369 La rédaction est datée dans le texte de septembre 1923 : « Para completar esta biografía que acaba en este primero de septiembre de 1923 », R. Gómez de la Serna, « Ramón. Mi autobiografía », p. 552.
370 Ibid., p. 473.
371 J. Gómez de la Serna, « Mi hermano Ramón y yo », dans Id., El Rastro. El circo. Senos, pp. 274-275. Reprenant cette anecdote, B. Barrère définit le mode de communication si singulier de Ramón lors de ses séjours à l’étranger : « Dans quelle langue s’exprimait-il ? Vingt ans plus tard les témoignages de J. Cocteau, d’Anna de Noailles confirment que Ramón s’exprimait dans une sorte de piapiamento, jargon mâtiné de toutes les langues », B. Barrère, « Une querelle de paternité », p. 268.
372 R. Gómez de la Serna, Automoribundia, p. 365.
373 « Ramón se marcha a París », El Sol, 5-I-1930, p. 12. Cette soudaine fuite de Ramón à Paris survient après le scandale de la première des Medios seres et la découverte par Carmen de Burgos des frasques amoureuses — réelles ou supposées — de Ramón avec sa fille, Carolina.
374 R. Gómez de la Serna, Escritos de juventud, pp. 158-159.
375 Le titre exact de l’ouvrage est La poesía francesa moderna. Antología ordenada y anotada por Enrique Díez-Canedo y Fernando Fortún.
376 Dans ses mémoires de 1924, Ramón l’évoque comme « Ricardo Baeza, mi condiscípulo […] del Instituto y después de la Universidad », R. Gómez de la Serna, « Ramón. Mi autobiografía », p. 483.
377 Récemment acquises, pour ce qui concerne la correspondance, par la Residencia de Estudiantes de Madrid.
378 On consultera avec profit l’analyse remarquable de ces lettres que fait A. A. Anderson, « Decadentes y jóvenes ».
379 Il se refusera, par exemple, à traduire Rimbaud ou Claudel que Ramón lui réclamait pourtant. Voir, sur ce point, A. A. Anderson, « Decadentes y jóvenes », pp. 8-9 et 11-13.
380 Dorénavant chaque citation de ce fonds sera suivie de la seule date de rédaction de la lettre citée.
381 [R. Gómez de la Serna], « Libros. El sueño de una tarde de primavera, por Gabriele D’Annunzio (traducción por Ricardo Baeza) », Prometeo, 5, 1909, pp. 96-97, je souligne.
382 E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente.
383 V. Larbaud, « Présentation », p. xii.
384 Sur ce point, voir, B. Barrère Jeunesses de Ramón Gómez de la Serna, t. I, p. 338.
385 R. Baeza, « En el Prado. Recuerdos de infancia ».
386 Prometeo, 22, 1910, pp. 728-731.
387 Prometeo, 24, 1910, pp. 926-929.
388 Prometeo, 26, 1911, pp. 97-106.
389 On peut ainsi lire cet « Avis » à la p. 56 du numéro 9 de la revue, de 1909 : « Todo lo que publica Prometeo es inédito, y lo expresamente traducido para él, inédito en castellano ».
390 Prometeo, 11, 1909, pp. 1-2.
391 Prometeo, 14, 1910, [s. p.].
392 [R. Gómez de la Serna], « Loa ».
393 Ibid.
394 Prometeo, Madrid, 5, 1909, pp. 96-97.
395 A. Soria Olmedo affirme symptomatiquement que « por las páginas de Prometeo desfilan Mistral, Wilde, Schwob, Fort, Rodenbach, D’Annunzio, Whitman, Maeterlinck, Gourmont, Jammes, Rachilde, Verhaeren, Colette, Willy, y, entre los españoles, Trigo, Colombine por supuesto, Hoyos y Vinent, Juan Ramón Jiménez, Villaespesa, Ramírez Ángel, Andrés y Edmundo González Blanco, Cansinos Assens, Ricardo Baeza como traductor », A. Soria Olmedo, Vanguardismo y crítica literaria, pp. 30-31. C’est Baeza, arborant son titre de traducteur, qui ferme ce cortège un peu pêle-mêle et devient une personnalité de la revue.
396 M. Gallego Roca, Poesía importada, p. 32.
397 Helios, 1, IV-1903, p. 3.
398 Voir J. Rubio Jiménez, « Un marco para el retrato literario modernista ».
399 Prometeo, 5, 1909, p. 84.
400 M. Gallego Roca, Poesía importada, p. 155.
401 Ibid., p. 156.
402 J. L. García Martín, « Retórica de ayer, poesía de hoy ». L’anthologie française dont il est question s’intitule Poètes d’aujourd’hui. Le Mercure en présente une nouvelle édition corrigée et augmentée, en deux volumes, à la fin de l’année 1908. Voir l’annonce parue dans le numéro du 16-XII-1908, p. 759 et le compte rendu de lecture par J. de Gourmont dans le numéro du mois suivant, pp. 306-307.
403 Ainsi qu’elle le revendique elle-même. Voir l’historique de la revue tel qu’il est présenté sur le site internet de la maison d’édition : http://www.mercuredefrance.fr/historique.htm.
404 A. A. Anderson, « Decadentes y jóvenes », p. 13.
405 Prometeo, 1, 1908, pp. 92-94.
406 [R. Gómez de la Serna], « Ágape organizado por Prometeo en honor de “Fígaro” », Prometeo, 5, 1909, pp. 44-59, voir p. 50.
407 « Revue de la quinzaine. Les Revues », Mercure de France, 16-II-1909, pp. 173-715.
408 « Inaugural », Akademos, 1, 15-I-1909, p. 1.
409 « Notre but », Akademos, 1, 15-I-1909, p. 113.
410 Car, la revue est fondée au nom de la « cause homosexuelle ». Voir l’anthologie critique éditée à partir des textes de la revue par M. Lucien, Akademos. Jacques d’Adelswärd-Fersen et « la cause homosexuelle ».
411 Avant ce recueil, sont publiées trois œuvres aux titres suggestifs de Contes d’amour (1898), Chansons légères et Ébauches et débauches (1901). Voir W. H. L. Ogrinc pour le commentaire des références bibliographiques, « Frère Jacques. A shrine to love and sorrow », 2006 [disponible sur Internet : http://semgai.free.fr/doc_et_pdf/Fersen-engels.pdf].
412 Voir la dédicace générale, intitulée « Accesos del silencio », qui ouvre le recueil : « A Laurent Tailhade, el anárquico, le dejó sin un ojo una bomba insospechable, y continúa tuerto y desfigurado, amancebado, con su ideal », Tristán [Ramón Gómez de la Serna], Tapices, [s. p.].
413 [R. Gómez de la Serna], « Movimiento intelectual. Akademos », Prometeo, 5, 1909, pp. 82-83.
414 Charles Callet, Contes anciens, Paris, A. Lemerre, 1904.
415 J. M. Bonet, « Retrato de Ramón en sus Retratos », p. 12.
416 « [Ramón] lisait assidûment, depuis des années Le Mercure de France, sa Bible littéraire et Baudelaire, Saint-Pol-Roux, Verlaine, Verhaeren, Jammes, Colette », B. Barrère, « Une querelle de paternité », p. 268.
417 Pour la première fois dans le numéro 10, puis à partir du numéro 15, selon la description de P. Fernández Rodríguez dans « Sumario », p. 1180. Une traduction très approximative de cette devise serait « vers le but et au-delà ».
418 Citation de Virgile, empruntée au livre IV de l’Énéide, v. 175, et qui consiste en un portrait de la renommée, qui « acquiert une plus grande force en cheminant », d’après le Dictionnaire Gaffiot Latin-Français, Paris, Hachette, 1934, p. 24.
419 « Kacidas mauresques du xe siècle », Mercure de France, 1-II-1909, pp. 404-407.
420 « Kacidas mauresques du xe siècle », Mercure de France, 16-XII-1909, pp. 609-612.
421 Troisième numéro de l’année 1911, qui en compte onze au total, et qui doit correspondre au mois de mars ou avril de cette année-là.
422 F. Toussaint (trad.), « Le jardin des caresses. Kacidas du xe siècle », Mercure de France, 16-II- 1911, pp. 252-258.
423 Une seule variante est à noter, dans le titre de l’un des fragments : « Ma main, ce sceau frémissant… », chez Toussaint (qui reprend les premiers mots du fragement) devient « El fruto » dans la traduction de Baeza. Il est à noter, par ailleurs, que Toussaint publie sous forme d’ouvrage sa traduction du Jardin des caresses cette même année : Paris, H. Piazza, 1911.
424 Selon l’ordonnancement et la datation d’A. A. Anderson, « Decadentes y jóvenes », pp. 7 et 12.
425 « Gran Ricardo, […] encuentro todas esas cuartillas tuyas inéditas y de los traducidos […] ¡Oh, esas cosas japonesas ! » ; « Envíame […] algo de Hearn » (1910).
426 Respectivement, dans les numéros du 16-V-1909, pp. 250-259 et du 1-IX-1909, pp. 5-18.
427 M. Logé, « Lafcadio Hearn », Mercure de France, 1-XII-1909, pp. 385-402. Le second article, au titre moins explicite que le premier, « Fourmis », s’ouvre sur ces mots, sans équivoque possible : « Dans le bosquet de bambous j’entends l’appel flûté de l’oiseau qui chante les louanges des Sûtras des Lotos. […] Les papillons aux bizarres couleurs japonaises voltigent çà et là », Mercure de France, 1-IX-1909, p. 5.
428 L. Hearn, « Papillons du Japon », Mercure de France, 16-V-1909, pp. 253-254. Le dernier hokku cité pourrait même être rapproché de la greguería ramonienne : « Hay una nube que se ve que viene huyendo de la Policía », R. Gómez de la Serna, Total de greguerías, p. 277.
429 L’exemple le plus patent est probablement celui du numéro 3 de Prometeo (pp. 82-83) qui commente un article de John H. Ingram sur « Edgar Poe et ses amis », paru dans le Mercure du 16-I-1909, pp. 208-219.
430 La conférence est annoncée dans le numéro 4 en ces termes militants : « MEMORIA DE BATALLA. En los primeros días de Marzo nuestro compañero de redacción Ramón Gómez de la Sema, como secretario que es actualmente de la sección de literatura, leerá para que sea discutida su anunciada memoria sobre “El concepto de la nueva literatura” », Prometeo, 4, 1909, p. 91.
431 La liste complète des écrivains mentionnés dans l’essai ramonien, le plus souvent de façon fugace, est la suivante : P. Adam, C. Baudelaire, Colette, A. France, T. Gautier, R. de Gourmont, H. Ibsen, F. Jammes, G. Kahn, H. Keller, S. Mallarmé, C. Mendès, O. Mirbeau, Montaigne, J. M. Eça de Queiroz, A. Retté, J.-J. Rousseau, G. B. Shaw, O. Wilde, É. Zola.
432 Mercure de France, 16-VIII-1908, pp. 598-622.
433 P. Adam, pour ses ouvrages Les Disciplines de la France, Le Taureau de Mithra, La Morale de la France et La Morale des sports : voir Mercure de France, 1-I-1909, pp. 113-114, 16-I-1909, p. 324, 1-IX-1908, pp. 124-125 ; R. de Gourmont, pour Promenades philosophiques (2e série) et Couleurs : voir Mercure de France, 1-X-1908, pp. 494-495 et 16-I-1909, pp. 301-302.
434 R. de Gourmont, Promenades philosophiques (2e série), Paris, Mercure de France, 1908, pp. 122-123.
435 Il s’agit d’une critique du roman Le Règne de la Bête, Mercure de France, 1-VII-1908, pp. 100-102.
436 Le livre des masques parut originellement sous la forme de deux volumes, aux éditions du Mercure de France, datant de 1896 et de 1898. Je cite cependant cet ouvrage à partir de l’édition réunie en un unique volume, de 1963. Voir pp. 53-56, pour le portrait consacré à Adolphe Retté.
437 Prometeo, 6, 1909, p. 16.
438 Mercure de France, 1-I-1909, pp. 114-115. Par ailleurs, entre 1908 et 1909, sont publiées plusieurs séries de poèmes de F. Jammes, « Poèmes mesurés », Mercure de France, 1-III-1908, pp. 25-32 et « Pages détachées », Mercure de France, 16-II-1909, pp. 600-602.
439 R. de Gourmont, Le livre des masques, p. 148. Le poème original s’intitule « Le calendrier utile ». Paru dans De l’angélus de l’aube à l’angélus du soir, il est dédié à Gourmont.
440 E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, p. 224.
441 R. Gómez de la Serna, « Variaciones. Los hermanos Álvarez Quintero », La Tribuna, 22-XI- 1920, p. 6.
442 Id., « Remy de Gourmont, el obispo espúreo », pp. xxxiv et xxiii-xxiv. La traduction de Ricardo Baeza paraît sous le titre « El Libro de las letanías, por Remy de Gourmont. Las letanías de la rosa » dans Prometeo, 11, 1909, pp. 3-9.
443 Voir la notice que Baeza publie dans Prometeo et qui permet de mesurer, plus généralement, ce que peut représenter Gourmont pour les collaborateurs de la revue, Prometeo, 22, 1910, pp. 728-731.
444 Pour un inventaire détaillé, on pourra se reporter à L. López Molina, « La literatura francesa en Prometeo ».
445 En l’occurrence, il s’agit du premier des Chants de Maldoror de Lautréamont, des Serres chaudes de Mæterlinck, du Démon de l’absurde et de « La panthère » de Rachilde, des Reposoirs de la procession de Saint-Pol-Roux, du Livre de Monelle ainsi que des Vies imaginaires de Marcel Schwob, enfin, des Ballades (élégiaques) de Laurent Tailhade. Sont également évoqués par Gourmont, Paul Fort, Francis Jammes, Jean Lorrain et Camille Mauclair.
446 Gourmont est qualifié de « hierofante de rebeldías […] individualista » et d’esprit « huyendo toda estratificación, siempre inquieto y audaz », R. Baeza, « Remy de Gourmont », Prometeo, 22, 1910, pp. 728-730.
447 Ibid., p. 731. Voir également un passage de l’article de M. S. Fuentes, « Mentalidades nuevas » : « Los representantes de la generación actual parecen inspirarse en uno de sus maestros más amados, en el francés Remigio de Gourmont », Prometeo, 13, 1910, p. 88.
448 « Las santas del paraíso », Prometeo, 4, pp. 43-52 [trad. de Ricardo Baeza] ; « Manos de reina », 7, pp. 83-86 [Ricardo Baeza] ; « El libro de las letanías… », 11, pp. 3-9 [Ricardo Baeza] ; « El fantasma », 22, pp. 732-774 [Ricardo Baeza] ; « Irmina », 30, pp. 539-542 [Fernando Calleja Gómez] ; « El infierno », 33, pp. 736-738 [Julio Gómez de la Serna].
449 R. Gómez de la Serna, « Remy de Gourmont, el obispo espúreo », p. v.
450 On trouve des allusions à Gourmont ou à son œuvre dans huit des trente-cinq lettres que compte la correspondance entre Ramón et Baeza, au cours des années 1909-1912.
451 R. Gómez de la Serna, « Remy de Gourmont, el obispo espúreo », pp. v-vi.
452 En plus d’être collaborateur très régulier du Mercure de France, Gourmont est le fondateur de diverses revues : Ymagier (1894), aux côtés de Jarry ; dix ans plus tard, avec Dujardin, La Revue des idées, dont il sera tout d’abord rédacteur en chef, avant d’en assumer la direction de 1908 à 1912. De 1904 à 1906, il est également invité à partager avec Gide la direction littéraire de L’ermitage, où seront publiés, tout comme dans Prometeo : Bonnard, Jammes, Symons, Verhaeren, Whitman ou Wilde.
453 Voir, parmi les articles les plus récemment publiés sur ce sujet, celui d’E. Serrano Asenjo, « Las biografías de escritores ».
454 Voir R. Gómez de la Serna, « Tristán », Prometeo, 38, 1912, p. 211 et « Remy de Gourmont, el obispo espúreo », p. viii.
455 Voir le détail de la définition dans R. Gómez de la Serna, « Remy de Gourmont, el obispo espúreo », pp. xxxii-xxxiv.
456 R. de Gourmont, Le livre des masques, pp. 9-10. On notera, avec O. Elwes Aguilar, que le passage concernant le vers libre chez Gourmont donne lieu à une intéressante traduction en espagnol : « la juventud corporal », qui n’est pas sans rappeler « el estado de cuerpo » et les théories vitalistes de Nietzsche exposés dans « El concepto de la nueva literatura », O. Elwes Aguilar, Francia y lo francés en Ramón Gómez de la Serna, p. 191. À propos de l’influence philosophico-esthétique de Gourmont sur Ramón, notamment au travers de la notion d’incongruité, voir également A. Hoyle, « Ramón Gómez de la Serna and the avant-garde », p. 9.
457 Pièce extraite des « Accesos de silencio » signés par Ramón sous le pseudonyme de Tristán dans Prometeo, 29, 1911, pp. 431-441. Voir A. Muñoz-Alonso López, Ramón y el Teatro, p. 178.
458 Prometeo, 9, 1909, pp. 57-68.
459 R. de Gourmont, « Las santas del paraíso », Prometeo, 4, 1909, pp. 43-52.
460 I. Soldevila Durante, « El gato encerrado », p. 61.
461 Prometeo, 2, 1908, p. 84. Plus explicitement encore, Ramón cite littéralement le « Dialogue » du 16-XI-1908 sur « L’aérobus », dans son essai « Mis siete palabras », p. 71 : « La civilización ha hecho un daño atroz a las reivindicaciones porque ha llenado de enervaciones la vida, […] la ha colmado de bagatelas que, como dice Gourmont de los aeroplanos, no pueden ser populares ».
462 Prometeo, 15, 1910, p. 19.
463 Respectivement, dans « Dialogues des amateurs. Printemps », Mercure de France, 16-III-1910, pp. 296 et 298, « Philanthropes », 1-III-1910, p. 121 ; « Diálogos triviales », Prometeo, 15, 1910, passim, 16, 1910, p. 182 et 17, 1910, p. 264.
464 R. de Gourmont, « Dialogues des Amateurs. Liquidations », Mercure de France, 1-IV-1910, p. 483.
465 Prometeo, 15, 1910, p. 19.
466 On en voudra pour preuve la liste des œuvres de ce type publiées au cours des années qui précèdent la parution des « Diálogos triviales » : El huerto de Epícteto d’A. Zozaya (1907) ; El libro de las victorias d’I. Muñoz (1908) ; Diálogos del escritor y el político de M. de Unamuno, dans Los lunes de El Imparcial, en novembre-décembre 1908 ; Aspectos d’E. Gómez de Baquero (1909) ; enfin, immédiatement contemporains des « Diálogos triviales », La escuela de los sofistas de R. León (1910). Voir le commentaire de cette modalité dialogique de la prose espagnole au seuil des années dix ainsi que de ses sources dans J. C. Ara Torralba, Del modernismo castizo, pp. 294-296. L’une des sources étrangères citées par le critique, p. 295, outre le Renan des Dialogues philosophiques ou l’Anatole France du Jardin d’Épicure, est précisément Gourmont et ses Dialogues des Amateurs sur les choses du temps.
467 A. Gide, « L’amateur de M. Remy de Gourmont », p. 427.
468 Prometeo, 16, 1910, p. 182.
469 R. de Gourmont, « Dialogue des Amateurs. Funérailles », Mercure de France, 16-IV-1910, p. 674.
470 On pourra penser à la métaphore de la frondaison qui sert de préface générale aux Épilogues de Gourmont, dont les « Dialogues des Amateurs » constituent les ive et ve séries : « Il y a au Thibet un arbre magique dont chaque feuille porte, écrite en caractères sacrés une sentence bouddhiste. Je pense qu’on a voulu, par cette fable, donner l’image du philosophe et insinuer qu’il est pareil à un arbre qui serait chargé d’opinions autant que de feuilles », Paris, Mercure de France, 1903, p. 7. C’est cette même métaphore qui est reprise dans le prologue du Libro mudo : « Gómez de la Serna se ha hecho un ciprés y vive con toda indiferencia en medio del campo […] Tiene ramas, tiene hojas […] Sí. Él quisiera hojas en vez de palabras, ramificaciones en fibrina », R. Gómez de la Serna, Escritos de juventud, p. 547.
471 Prometeo, 15, 1910, p. 20.
472 R. de Gourmont, « Dialogue des Amateurs. Printemps », Mercure de France, 16-III-1910, pp. 297-298.
473 Mercure de France, 1-III-1910, p. 123.
474 Voici, à titre d’exemple, un échantillon des titres des collaborations de Gourmont, entre juin et octobre 1909 : « Grèves », « Les cousins de Jésus-Christ », « Le Magistrat », « La pluie », « La Tradition », « Menus », « Température », « Les mœurs », « Civilisation », « Paysages ».
475 Le cas du premier des « Diálogos triviales » est exemplaire, puisqu’il commence par ces mots : « Tristán. ¿Dónde está la felicidad, mis buenos amigos ? », Prometeo, 15, 1910, p. 20.
476 Prometeo, 17, 1910, pp. 260-266.
477 Si la date du 8 juillet ne correspond pas à celle du dialogue de Prometeo (daté du 6), c’est celle qu’indique la presse de l’époque, en particulier la légende de la photographie de Luis de Vigné [sic] publiée dans Nuevo Mundo, 14-VII-1910, p. 18 : « Célebre bailarina que rifó un beso el viernes último en la kermesse de la Cruz Roja establecida en la calle de Alberto Aguilera ». Sur ce curieux événement, voir aussi l’article satirique « El beso de la Bigné », Gedeón, [Madrid], 10-VII-1910, p. 4 et la photographie publiée dans ABC, assortie d’une savoureuse légende : « La rifa de un beso en Madrid. El agraciado en el sorteo, Sr. Díaz Agero, cambiando galantemente el beso que le correspondió por un respetuoso ósculo en la mano de Luisa de Bigné », ABC, 10-VII-1910, p. 2.
478 Prometeo, 15, 1910, p. 29.
479 Prometeo, 15, 1910, p. 19.
480 Prometeo, 35, 1912, p. 974.
481 Mercure de France, 16-III-1910, pp. 296-297.
482 Ibid., 16-III-1910, p. 297.
483 Respectivement, dans Prometeo, 15, 1910, p. 25 pour l’allusion au phénomène de dissociation et p. 23 pour la citation. L’allusion qui est faite ici est probablement une référence au « masque » de Stuart Merrill, dans lequel Gourmont affirme : « il s’agit non de capter la Vérité — ce reflet de lune dans un puits —, mais de mesurer par approximation, comme on fait pour les étoiles, la distance ou la différence qu’il y a entre le génie d’un poète et l’idée que nous en avons », R. de Gourmont, Le livre des masques, pp. 125-126.
484 Prometeo, 15, 1910, p. 21.
485 A. Gide, « L’amateur de M. Remy de Gourmont », p. 431.
486 Prometeo, 15, 1910, p. 28.
487 Prometeo, 17, 1910, p. 266.
488 R. de Gourmont, « Dialogue des amateurs. Printemps », Mercure de France, 16-III-1910, p. 296.
489 Sur ce thème de la mode vestimentaire féminine, voir le « Dialogue des amateurs », précisément intitulé « Chapeaux », Mercure de France, 1-IX-1908, pp. 103-105.
490 Prometeo, 37, 1912, p. 135.
491 Ibid., pp. 133-134.
492 E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente.
493 Il s’agit d’Entrando en fuego (1905), de Morbideces (1908) et du Libro mudo (1911), tous trois publiés à compte d’auteur.
494 C’est ce que semble indiquer la lecture de la Revista Crítica, fondée et dirigée par C. de Burgos, alors compagne de Ramón. Dans le troisième numéro de novembre 1908, C. de Burgos publie, en effet, une critique admirative, intitulée « Símbolo y carne », de l’opéra de Wagner Tristan et Isolde. Ramón fera son apparition dans la revue peu de temps après, puisqu’il publie dans le numéro 6 un récit intitulé « La hija fea ».
495 R. Gómez de la Serna, « Ramón. Mi autobiografía », p. 485.
496 On signalera brièvement le jeu de miroir qui s’instaure, à partir de 1911, entre le préfacier et l’auteur. Le premier signe « Los somnámbulos » et El libro mudo, respectivement postfacé dans Prometeo, 25, pp. 65-96 et préfacé sous le titre de « Ramón Gómez de la Serna » par le second (on remarquera ainsi que la première de la longue série de biographies littéraires ramoniennes n’est autre qu’une autobiographie). Les rôles sont inversés dans le cadre de Tapices. On notera, par ailleurs, que cette pratique du dédoublement est antérieure chez Ramón, puisque Morbideces est déjà présenté comme attribuée à un « innominado autor », dont Ramón n’est que le préfacier.
497 « Reanudamos esta sección de un inédito completo », lit-on dans le numéro 35 de Prometeo, 1912, p. 974.
498 Respectivement dans R. de Gourmont, « Dialogue des Amateurs », Mercure de France, 15-VII-1905, pp. 257-260, où M. Desmaisons et M. Delarue récitent un poème de Au Jardin de l’Infante et « Dialogues des amateurs. Funérailles », Mercure de France, 1-IV-1910, pp. 674-677.
499 Le jeune traducteur entreprend, dès les années dix, la traduction des œuvres complètes de ces deux auteurs. Le projet est tel qu’il retient l’attention de J. Cassou, alors rédacteur des « Lettres espagnoles » pour le Mercure de France. En 1921, il consacre une page aux éditions Atenea et aux traductions de Baeza : « La maison Atenea a déjà donné des éditions parfaites à tous points de vue […]. Elle a commencé la publication des Œuvres Complètes de Wilde et du théâtre de D’Annunzio. Tout cela excellemment traduit. En outre, elle annonce à son catalogue : Dostoïevsky, Thomas Hardy, Jammes, Bloy, etc. Ce choix prouve chez Ricardo Baeza, qui est l’âme d’Atenea, une haute aristocratie d’idées et de sentiments et fait de lui un beau type de Bon Européen », Mercure de France, 15-I-1921, p. 519.
500 B. Barrère, Jeunesses de Ramón Gómez de la Serna, t. I, pp. 377-378.
501 Ibid., t. I, p. 353.
502 Voir à ce sujet les références philosophiques de l’époque identifiées par E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, pp. 103-105.
503 « Libros », Prometeo, 1, 1908, pp. 99-100.
504 Ibid., p. 99.
505 On y reconnaît le concile féerique d’un Laforgue, l’invitation à épater le bourgeois d’ordinaire associée à Baudelaire et, peut-être, l’adjectif magnifique qui servait à désigner Saint-Pol-Roux.
506 Voir à ce sujet A. A. Anderson, « Decadentes y jóvenes », pp. 11-14.
507 J. M. Bonet, « Retrato de Ramón en sus retratos », p. 12.
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