Introduction
p. 1-16
Texte intégral
L’écrivain, sans transitions ni préparations, nous transporte du monde déjà dit à autre chose […]. Le sens du roman n’est d’abord perceptible que comme déformation cohérente imposée au visible […]. Il est essentiel au vrai de se présenter d’abord et toujours dans un mouvement qui décentre, distend, sollicite vers plus de sens notre image du monde1.
1Ce désir d’embrasser une vision inédite du monde, qui ne peut laisser indifférent le lecteur, habite les Greguerías de Ramón Gómez de la Serna depuis leur création au sein de la revue Prometeo, en 1912. Le mouvement de « déformation cohérente » à laquelle le roman soumet le réel selon Merleau-Ponty, et que l’on pourrait étendre à l’ensemble du discours littéraire contemporain, résume assez bien la sensation que provoque la lecture confondante et pourtant naturelle, voire logique2, des greguerías, qu’exprime à merveille la célèbre métaphore ramonienne du pendule : « Mon pendule oscille entre les pôles contradictoires, entre l’évident et l’invraisemblable, entre le superficiel et l’abîme, entre le grossier et l’extraordinaire, entre le cirque et la mort3 ». Il est d’ailleurs étonnant que l’on retienne si volontiers de Ramón l’image d’un monstre littéraire4, et de ses greguerías la nature radicalement incongrue5 — pour d’aucuns, précocement surréaliste6 —, sans prendre garde à la sensation d’évidence qui se dégage immanquablement du texte greguerístico. Car, il semble bien que l’image ramonienne recherche, tout autant que l’effet de surprise ou de décalage, cette invitation à « solliciter vers plus de sens » notre perception du réel, lancée par Merleau-Ponty7. Il n’est d’ailleurs pas anodin que nombre de greguerías soient construites sur le modèle énonciatif de l’explication (« Se ve que el viento no sabe leer porque cuando pilla un libro en su camino pasa las hojas al revés8 » ou « La poesía agujerea el techo para que veamos el cielo9 »).
2De ce premier constat est née ma curiosité pour le fonctionnement textuel de la greguería et pour l’effet que celle-ci produit sur son lecteur, comme approches nouvelles d’un texte que la critique a tenté à maintes reprises de rapprocher de genres littéraires existants (l’aphorisme, la maxime ou l’épigramme), mais qui s’est toujours montré rétif à ces assimilations. Ramón lui-même souligne, à juste titre, l’intérêt multiple que représente, à ses yeux, le terme de greguería10 : en premier lieu, il n’est pas transparent ; il s’agit d’un mot qui est, avant tout, métaphore et ne renvoie pas directement à un concept littéraire ou théorique qui en offrirait une première voie d’interprétation ; par ailleurs, ce n’est pas non plus un mot « usé11 », mais plutôt une dénomination originale dont le sens est ouvert12. À bien des égards, la greguería est un texte complexe. Forme brève, elle s’étend, tout d’abord, sur un ou plusieurs paragraphes courts, dépassant rarement une page, puis s’affine et se diffuse dans sa version définitive, beaucoup plus concise. Elle ne comporte alors, le plus souvent, qu’une seule phrase, parfois nominale, qui décline à l’envi une sorte de lecture au sens figuré du monde. Le principe de la greguería est d’établir une relation d’analogie entre deux réalités tout en jouant, au travers du langage, sur la tension de ressemblance-dissemblance qui existe entre elles. En quelques lignes, il s’agit de saisir (c’est-à-dire d’appréhender et de surprendre), sous un jour délibérément incongru, les rapports insoupçonnés entre les choses dont la réalité est tissée. C’est à l’analyse de cette forme littéraire et de sa pérennité dans le patrimoine culturel espagnol que sont consacrées les pages qui suivent, centrées plus particulièrement sur les premières greguerías, celles qui correspondent aux années 1912-1923 et qui, paradoxalement, font partie de l’œuvre la moins connue de l’auteur.
3À ce jour, on sait encore très peu de choses sur la formation littéraire ramonienne ou sur les possibles sources de la greguería. Traditionnellement, depuis l’époque de ses débuts éditoriaux, cette dernière a été présentée comme neuve, originale et sans équivalent en Espagne. Au contraire, et sans prétendre fondre Ramón dans un ensemble littéraire plus vaste qui gommerait sa singularité, il m’a semblé intéressant d’adopter une perspective comparatiste, afin de distinguer les traits caractéristiques du style greguerístico. Le plus remarquable d’entre eux est, sans conteste, l’élément fondateur de l’image analogique13. Celle-ci est, à mon sens, l’une des clefs de la « communicabilité14 » du texte ramonien envers son lecteur, ainsi que l’atteste la progressive acceptation des greguerías et de la prose ramonienne en général par le public espagnol, entre la fin des années dix et le début des années vingt.
4Ce dialogue, qui s’établit au fil du temps entre l’auteur et son public, prend place dans l’espace particulier de la presse, où les greguerías voient le jour bien avant d’être partiellement réunies sous la forme de volumes indépendants. Si ce contexte éditorial explique, en grande part, la connaissance très réduite que l’on peut avoir aujourd’hui de la version première des greguerías, il implique, par ailleurs, un certain nombre de contraintes formelles (limitant l’extension des articles remis, imposant une échéance et, parfois, une thématique propres au souci de l’actualité qui régit la plupart des publications périodiques) ou, au contraire, l’exploration de formes génériques nouvelles, comme la chronique. Il s’agit, en somme, de poser le problème de l’activité de Ramón Gómez de la Serna en tant que journaliste, qui coïncide précisément avec ses premiers pas d’écrivain professionnel, dans le champ littéraire madrilène des années dix. Ce, au travers d’un objet précis : celui de la greguería et de son évolution vers la formule définitive et à succès que l’on en retient aujourd’hui, au gré des lectures et des rencontres faites par l’auteur.
La « ramonería andante », aujourd’hui
Interrogo al visitante más próximo: — « Y a usted, ¿también le gustan las novelas de Ramón Gómez de la Serna? « . — « ¿De quién, de Ramón? ¿El de las greguerías de ABC? ¿El gran humorista, cronista de Madrid? ¿Aquel gordito rechoncho y simpático, que fumaba en pipa, el del retrato de Solana? Pertenecía a esa ilustre familia de políticos, periodistas y diplomáticos, los de la Serna. Allá por los años veinte, treinta dirigía una tertulia en el café de Pombo y organizaba unos banquetes insólitos, pronunciaba conferencias en París, Nápoles, Lisboa desde lo alto de un trapecio o encaramado al lomo de un elefante. ¿Sabía usted que tenía un despacho delirante —el Torreón de la calle Velázquez— con una muñeca de cera de tamaño natural, una auténtica lápida de muerta, espejos cóncavos de todos los tamaños, las paredes totalmente cubiertas de collages, el techo tapizado con mil bolas de cristal y por todas las esquinas mil cachivaches más traídos de sus paseos por el Rastro? Creo que se fue a Buenos Aires cuando estalló la guerra civil, se casó con una argentina y murió, enfermo, allí, en la soledad y la pobreza. A él se refiere, no? ». — « Sí, a él mismo. Pero yo le pregunto si le gustaban a usted sus novelas? ». — « ¡Ah, pues que quiere que le diga! Nunca leí ningún libro suyo»15.
5Si ce passant (idéal)16 interrogé dans les années 1980 semble très bien informé sur le parcours littéraire ramonien, il n’en reflète pas moins nombre des clichés — plus ou moins légitimes — répandus sur la figure de Ramón Gómez de la Serna. Humoriste dodu, maître de cérémonie des samedis de Pombo et conférencier farfelu, chineur bien connu des brocanteurs du marché aux puces de Madrid et créateur d’un « monde magique17 » dans son bureau-Torreón de la calle de Velázquez, « Ramón » est une personnalité littéraire entourée de mythes. Certains d’entre eux, comme l’idée que l’auteur aurait constitué à lui seul une « génération unipersonnelle18 », ont déjà commencé à faire l’objet de révisions critiques19, mais la légende ramonienne est tenace. Par ailleurs, ce serait une gageure que de prétendre dresser un bilan exhaustif et concis des différentes approches critiques de la greguería qui en ont été proposées depuis les années dix, tant la bibliographie ramonienne est colossale et disséminée dans une somme impressionnante d’articles ponctuels et un certain nombre de monographies fondatrices sur l’étude du ramonismo, dans l’acception la plus large du terme20.
6À tout le moins peut-on distinguer diverses phases, nettement marquées, dans la façon dont Ramón est appréhendé par ses critiques. En bonne logique, les années 1910-1930 sont l’époque des recensions, en nombre plus que remarquable, des ouvrages de l’auteur qui paraissent chaque année, ainsi que des réactions aux démonstrations parfois tonitruantes auxquelles se livre ce dernier21. Tous ces jugements sont émis par des acteurs du même champ littéraire dans lequel s’inscrit l’auteur, ce qui en explique l’inévitable partialité. En ce qui concerne plus précisément la greguería, une fois passée la période d’incompréhension générale, la critique s’efforce d’élucider la nature de cet objet unanimement qualifié d’original. Contre cette appréciation unique et inlassablement répétée à l’époque de la greguería comme indice ultime de la singularité et de l’excentricité ramoniennes, les commentaires les plus développés et approfondis sont probablement ceux de Rafael Cansinos Assens22, qui pointe le rapport entre la greguería et le costumbrismo, tout en rappelant que la greguería a partie liée avec le milieu de la presse, qui l’a vue naître23. Ce critique souligne également le point d’articulation que représente la greguería au sein de l’œuvre ramonienne, dans la mesure où l’auteur se rapproche, à travers elle, du (grand) public. Enfin, Cansinos soutient la thèse de l’analogie entre la greguería et la caricature moderne, comme sensibilité plastique et vision synthétique du réel. En cela, il inaugure l’un des principaux leitmotive de l’étude des greguerías, celui de l’interrogation qui porte sur la définition de ce texte, certes essentielle, mais qui oblitère d’autres possibles et nécessaires réflexions. Cansinos esquisse néanmoins diverses comparaisons entre les écrits ramoniens et ceux d’écrivains et poètes contemporains (comme Saint-Pol-Roux, Jules Renard, Max Jacob ou Guillaume Apollinaire), invitant à situer la figure de Ramón au sein d’un panorama culturel et littéraire plus vaste.
7Au cours de l’exil de l’auteur en Argentine et dans la mesure où l’intensité de la production ramonienne a considérablement diminué par rapport à celle des années vingt, l’attention de la critique se relâche24 et les premières tensions idéologiques affleurent : Ramón se revendique écrivain « pur », dans le sens d’apolitique25 ; on lui reproche de ne pas avoir pris le parti de la République et d’avoir fui l’Espagne. C’est surtout à compter de 1949, lorsqu’il revient à Madrid en quête des lieux et des réseaux d’amitiés qui ont marqué les débuts de sa carrière littéraire ainsi que d’un soutien financier, et qu’il s’entretient avec le général Franco, que l’auteur devient, pour une partie au moins de la critique, persona non grata dans le champ des Lettres espagnoles. Le malaise est sensible, notamment chez les écrivains et intellectuels de l’exil qui, malgré tout, ne renoncent jamais complètement à revendiquer certains aspects de la figure ramonienne26. Cependant, on ne parle plus de Ramón qu’en Espagne, le laissant, en quelque sorte, entre les mains des critiques les plus casticistas et conservateurs. Jusqu’en 1960, exception faite de la commémoration des noces d’argent de l’auteur avec la littérature, en 195527, ainsi que de la publication d’une remarquable monographie de Rodolfo Cardona, en 195728, la critique ramonienne devient alors partisane et oscille entre le rejet viscéral et l’hagiographie fervente, comme peuvent en témoigner les deux exemples de Josep Pla29 et d’Antonio Díaz-Cabañate30. Il s’agit, en quelque sorte, d’une phase de pré-critique, nécessaire à la connaissance des enjeux politiques de la figure ramonienne, mais qui, à mon sens, constitue surtout un témoignage sur le terme de la carrière d’écrivain professionnel de Ramón et sur les difficultés à vivre de sa plume, qui ont motivé certains choix de l’auteur31. Cela devrait nous inviter à reconsidérer comme un souci permanent de l’auteur celui de sa survie matérielle et à voir comment, dès ses débuts, la production littéraire ramonienne se fait dans le cadre de stratégies éditoriales précises.
8En rupture avec cette critique éminemment subjective, une nouvelle césure se situe en 1963, l’année de la mort de l’auteur, qui coïncide avec la parution des monographies de Luis Sánchez Granjel et de Gaspar Gómez de la Serna. Chacun présente sa propre version de la traditionnelle étude sur la vie et l’œuvre de l’auteur. En ce qui concerne plus précisément les premières greguerías, Granjel, qui établit ses recherches sur la consultation minutieuse de sources primaires comme la revue Prometeo, prête une attention toute particulière aux débuts de Ramón dans la presse comme milieu de formation de l’écrivain32 et propose la première définition critique du ramonismo33. Gaspar Gómez de la Serna, quant à lui, parcourt la vie de son parent avec une ouverte intention apologétique (signifiée, dès le titre de l’ouvrage, par les majuscules que Ramón aimait à ajouter à son prénom et que Gaspar reprend), tout en apportant, cependant, une quantité d’informations ressortissant à la documentation familiale dont il a pu disposer34. Deux autres monographies, parues au cours des années soixante-dix, viennent compléter ces deux ouvrages. Celle de José Camón Aznar, à la prose quasiment mimétique du style ramonien par son maniement quasi euphorique de la métaphore et son ludisme verbal, propose un parcours au travers de l’ensemble de l’œuvre publiée par l’auteur35. Celle de Francisco Umbral36, explore sur le mode de l’essai de multiples voies d’interprétation de l’œuvre ramonienne : outre le rapport de Ramón aux avant-gardes et sa situation, entre classiques et modernes, l’expérience formatrice du journalisme37, l’importance de la dimension plastique (les greguerías sont, pour Umbral, « la escritura ideográfica38 »), l’optimisme et le jeu comme constantes de la poétique ramonienne. Enfin, Umbral voit en Ramón « un escritor sin género » et en sa production littéraire une variation sur des « géneros fingidos39 », théorie qui sera contestée par la suite. Il s’agit là de deux approches, pour ainsi dire, plus impressionnistes mais qui auront une influence certaine sur la critique postérieure, car elles ont le grand mérite d’offrir un panorama complet de l’œuvre ramonien, tant dans son contenu que dans ses axes thématiques, dans ses partis pris esthétiques ou encore dans les principales caractéristiques de son style.
9Au cours des années 1970-1980, la production critique sur la figure de Ramón augmente, à la faveur des premières thèses depuis celle de Cardona, et des nombreux hommages rendus à l’occasion du centenaire de la naissance de l’auteur (1888-198840). La critique affiche désormais ses prétentions scientifiques, et se fait plus rigoureuse ou, à tout le moins plus distanciée que celle de l’étape précédente. Significativement, nombre des thèses entreprennent alors de récupérer la figure de l’auteur en se consacrant aux greguerías, considérées depuis toujours comme le fondement du style ramonien : Richard L. Jackson, en 1967, est l’un des premiers à défendre la théorie de la greguería comme genre littéraire nouveau et à interroger l’étymologie du titre donné par Ramón à sa création ; il souligne également l’importance de la dimension métaphorique comme élément fondateur de l’écriture greguerística41. Dans un article postérieur, Jackson propose, par ailleurs, une classification thématique des greguerías, alors qu’à la même époque Ricardo Senabre inventorie les procédés stylistiques mis en œuvre dans ce même corpus42. Miguel González-Gerth, en 1973, prend le parti de définir la greguería comme une variation de l’aphorisme, avant de s’intéresser aux romans dits de la nebulosa, définis comme tels par Ramón à la fin des années quarante43. On le voit, le souci de caractérisation générique de la greguería est omniprésent chez ces spécialistes. L’autre enjeu important des ramonistas, dès lors que la figure de Ramón commence à faire l’objet d’une certaine réhabilitation littéraire, est de redécouvrir en lui une figure de promoteur et d’anticipateur de l’art d’avant-garde. Ce sont ces deux axes qu’explore César Nicolás, tout juste dix ans après la thèse de González-Gerth. Il s’intéresse à la morphologie de la greguería, qu’il définit comme un nouveau genre, identifiable au travers d’un certain nombre de traits caractéristiques44 et, semble-t-il, pérenne, puisque Nicolás démontre la postérité de l’image greguerística chez les poètes de la décennie des années trente. Deux des volumes de son étude portent sur les réminiscences ramoniennes dans l’image poétique d’avant-garde en Espagne45, faisant de Ramón un précurseur. Nicolás n’hésite d’ailleurs pas à qualifier la prose ramonienne de cubiste, en raison de son maniement de l’image poétique et de la forme de fragment. Cependant, le critique se fonde, avant tout, sur les textes publiés par l’auteur sous forme de livres et ne prend pas en considération le contexte matériel de la presse dans lequel se développe alors la prose ramonienne.
10C’est précisément cet aspect que privilégient deux thèses de doctorat, présentées en 1980 et fondamentales pour le présent ouvrage : celle de Teodoro Llanos Álvarez, sur l’origine et l’évolution de la greguería, qui offre une bibliographie génétique partielle des premières publications de greguerías dans les journaux madrilènes des années 1910-1960 ainsi qu’un commentaire des premiers essais ramoniens sur la question de la littérature (« El concepto de la nueva literatura » et « Palabras en la rueca ») et celle de Bernard Barrère, centrée sur le journalisme de Ramón, qui apporte une documentation précieuse et une analyse sociologique de la première production de l’auteur. Barrère propose également une étude stylistique de la greguería, qu’il présente comme le fruit du laboratoire ramonien de Prometeo, en réaction à « deux longues œuvres, relativement inclassables selon les critères des préceptives, El Libro mudo et Tapices46 ». En revanche, il laisse délibérément de côté l’analyse de la réception critique des premières greguerías, ainsi que la question de leurs sources littéraires47.
11Parmi l’abondante production critique des années quatre-vingt, il faut encore signaler les contributions ponctuelles de trois critiques. La première, qui amorce, en réalité, une série d’articles sur la greguería est celle de Luis López Molina48, qui complète en quelque sorte le projet de classification thématique de la greguería, en en proposant une classification fonctionnelle. Cette typologie, à présent bien connue, consiste à distinguer les greguerías discursives des greguerías associatives et verbales, quoique López Molina lui-même mette en réalité l’accent sur la deuxième catégorie, au point que le système qu’il présente pourrait être encore affiné, jusqu’à formuler une des caractéristiques essentielles du fonctionnement textuel de la greguería : le principe associatif49. En 1998, López Molina reprendra cette classification pour établir sa définition, fonctionnelle, elle aussi, de la greguería50. Pour sa part, Werner Helmich consacre un article à la réflexion sur la conception ramonienne du langage qui sous-tend les greguerías : il revient sur la façon dont l’analogie structure le texte et la pensée greguerísticos et propose, pour la première fois, une réflexion sur la fonction épistémologique de la greguería51. À son tour, Alan Hoyle analyse la greguería comme un jeu sur la perception rationnelle du réel. Il introduit également l’idée que la greguería obéit à un double mouvement, « entre lo hermético y lo popular », — idée qu’il reprendra, en la développant, dans son étude sur l’humour ramonien de 199652.
12Les thèses53 et les hommages54 ou colloques55 autour de la figure de Ramón se poursuivent au cours des années 1990-2000, qui sont également marquées par d’importantes rééditions des ouvrages de l’auteur. C’est le cas, par exemple, en 2002, lors de l’exposition commémorative du Museo Nacional y Centro de Arte Reina Sofía sur le thème Ramón y los ismos, qui s’accompagne de deux rééditions en fac-similé d’ouvrages essentiels pour connaître la personnalité de Ramón Gómez de la Serna et la nature de ses choix et préférences esthétiques : sa toute première autobiographie, intitulée « Ramón. Mi autobiografía », parue en 1924 et la monographie sur les Ismos, de 193156. Aux côtés de la monumentale édition des Obras completas en vingt volumes57, une série d’éditions critiques ponctuelles ont permis au public actuel de connaître l’œuvre ramonienne dans sa plus grande diversité. En effet, après la sélection de greguerías éditée par César Nicolás en 1991 et la nouvelle édition de la monographie Senos établie par José-Carlos Mainer en 200558, ce sont les romans de l’auteur qui font l’objet d’un regain d’intérêt de la part des spécialistes59 : il faut signaler, à ce titre, l’édition du Novelista, par Domingo Ródenas de Moya, paradigmatique de la récupération de Ramón dans le cadre de la production romanesque d’avant-garde60. Ce même critique est également l’éditeur d’une récente sélection de textes du Ramón des années vingt, Greguerías, relatos, ensayos y otros textos, que l’on pourrait rapprocher du souci tout récent que manifestent les spécialistes envers la forme du micro-récit. On trouve ainsi, dans un numéro récent de la revue Ínsula61 auquel ont collaboré Domingo Ródenas de Moya, Luis López Molina62 et Antonio Rivas63, plusieurs articles consacrés à l’auteur. Après avoir porté une attention quasiment exclusive à la greguería, la critique analyse donc de façon plus diversifiée l’ensemble de l’œuvre romanesque, autobiographique ou théorique (essayiste) de Ramón. L’auteur semble avoir définitivement retrouvé ses lettres de noblesse dans le milieu universitaire et on s’intéresse à la complexité de son œuvre et de sa personnalité littéraire. Parmi les travaux les plus récents de récupération et de réévaluation de l’œuvre ramonien, on ne manquera pas de signaler le travail fidèle du Boletín Ramón qui, depuis son premier numéro en 2000, coordonne et recense, en Espagne et à l’étranger, les recherches actuellement menées sur la figure de Ramón.
13Il reste que, dans l’extrême majorité des cas, l’étude critique des Greguerías s’intéresse à la version la plus tardive du texte, celle des années 1930-1960, créant ainsi une dichotomie au sein de la production ramonienne entre la diffusion de l’œuvre de maturité, largement commentée, et l’analyse de ses sources, beaucoup plus ponctuelle. En quelque sorte, la greguería a été étudiée comme un genre atemporel, ce qui en a oblitéré l’histoire textuelle et a eu pour conséquence que l’on conçoive la greguería comme un tout monolithique : celui de la formule consacrée par le Total de greguerías de 1955, plutôt que comme une évolution vers ce résultat. De façon générale, l’image qui est donnée de l’auteur tend à privilégier le champ d’un ramonismo quelque peu exclusif et qui semble né ex nihilo, sans rapport direct avec la vie culturelle des années dix, moment d’élaboration de la greguería. C’est dans cette perspective qu’il faut lire la conclusion de l’essai sur La Edad de Plata, où Mainer regrette : « Se echa de menos algún trabajo sobre los orígenes literarios del escritor en su primera época, con su atractiva mezcolanza de modernismo y primer vanguardismo64 ». Malgré les quelque trente ans qui nous séparent de ce constat, le bilan reste pratiquement inchangé, à quelques notables exceptions près. Par exemple, on connaît à présent très bien la formation intellectuelle de l’auteur grâce à l’étude d’Eloy Navarro Domínguez, El intelectual adolescente65, et le premier théâtre ramonien a, lui aussi, fait l’objet de diverses révisions critiques66. En revanche, dans le domaine de la greguería, la thèse minutieuse de Llanos Álvarez se consacre avant tout à l’évolution du genre au fil de ses publications, pour démontrer comment la greguería originelle tombe en désuétude et disparaît des rééditions anthologiques successives. Mais aucune étude n’envisage en détail la question des sources littéraires de la greguería ou de l’inscription de cette dernière dans le panorama de son temps.
14Se pose également le problème du corpus, qui ne se limite pas aux deux recueils de 1917 et 1919, car les greguerías paraissent presque exclusivement dans la presse des années dix, sans nécessairement avoir été compilées par la suite de façon ordonnée. Cela implique un travail de dépouillement et d’inventaire des principaux quotidiens et revues madrilènes dans lesquels étaient publiées périodiquement les greguerías67 : Prometeo (1912), La Tribuna (1912- 1921), España (1919-1924), El Liberal (1919-1923), El Sol (1923-1930) et bien d’autres68. En outre, on ne dispose pas, à ce jour, d’une étude sur les débuts de Ramón comme écrivain professionnel dans ce cadre, ce qui inviterait à reconsidérer l’assimilation sans nuance du ramonismo à l’avant-garde littéraire. Car, la conceptualisation historiographique de la situation ramonienne a eu tendance à laisser de côté les années dix. Et les études sur le journalisme ramonien de Granjel, Barrère, Dennis, Zlotescu ou Barrera López69, si elles se sont livrées à un patient travail de recensement des collaborations ramoniennes dans les journaux et revues des années 1910-1930, n’ont pas cherché à voir comment la presse construit l’écriture de Ramón, tout en la diffusant. C’est dans ce cadre que la formule de la greguería se définit progressivement jusqu’à être consacrée par le succès auprès du public.
15Enfin, demeure la question de la formation strictement littéraire de Ramón, des possibles lectures ou modèles de l’auteur, au moment où il se lance dans la carrière des Lettres. Très peu d’ouvrages, en réalité, ont tenté de re-situer l’auteur dans le contexte de ses premiers écrits, pour proposer, par exemple, non plus une définition de son œuvre, mais une étude des « seuils » de cette dernière70. On pourrait, en quelque sorte, distinguer trois étapes dans l’œuvre de jeunesse de Ramón : la formation intellectuelle, tout d’abord (essentiellement, philosophique et idéologique, qui a fait l’objet de l’étude d’Eloy Navarro Domínguez déjà citée) ; la formation plus précisément littéraire ; enfin, le passage à une création personnelle qui se caractérise dans les premières années par une rare fécondité et par la diffusion massive de la formule des Greguerías. Si la dernière de ces étapes a été la plus étudiée par l’ensemble de la critique et a donné lieu à l’image du « Ramón » aujourd’hui reconnu par la postérité, la deuxième, en revanche, intimement liée au support et au format de la presse, est pratiquement inconnue, étant donné qu’elle s’enracine dans le b(r)ouillon de culture des années dix, que l’historiographie littéraire a du mal à appréhender de façon cohérente et homogène. Il existe pourtant un certain nombre de sources disponibles pour tenter de l’appréhender, qu’il s’agisse de la consultation de la presse des années dix — lieu de publication des écrits ramoniens mais aussi de circulation de textes littéraires étrangers — ou du témoignage apporté par les échanges épistolaires conservés à ce jour, comme c’est le cas de la correspondance entre Ramón et le traducteur Ricardo Baeza, par exemple. C’est cette phase de formation littéraire ramonienne et, plus largement, l’époque dans laquelle celle-ci s’inscrit, qui feront l’objet de cet ouvrage.
16Il s’agit de démontrer que Ramón Gómez de la Serna est un écrivain qui s’inspire et participe pleinement de la communauté intellectuelle et littéraire des années dix, en Espagne. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle l’auteur évolue au sein de l’espace étroit de sa « génération unipersonnelle », je voudrais reconstruire le parcours que suit le jeune écrivain-journaliste, aux côtés de ses co-rédacteurs de la revue Prometeo (1908-1912), au cœur du milieu et des réseaux de la presse espagnole, à partir de l’année 1908. La presse étant un support de publication qui comporte un certain nombre de contraintes, formelles et thématiques, il me faudra, par ailleurs, voir comment le style ramonien prend forme dans ces conditions matérielles. Les premières greguerías ayant paru dans le dernier numéro de Prometeo, en 1912, c’est dans cette revue, fondée par Javier Gómez de la Serna — homme politique et intellectuel de tendance libérale, proche du gouvernement de Canalejas et père de l’auteur —, que je chercherai les origines de la carrière littéraire de Ramón. Sauvée de l’oubli historiographique parce qu’elle a publié deux manifestes futuristes de Filippo Tommaso Marinetti, la revue des Gómez de la Serna gagnerait, aujourd’hui, à être récupérée comme la publication où collaboraient aussi et avant tout de jeunes auteurs et critiques, comme Emiliano Ramírez Ángel, Andrés González-Blanco, Rafael Cansinos Assens, ou José Francés. En suivant le parcours de ces principaux collaborateurs de Prometeo, en miroir de celui de Ramón, je voudrais tenter de cerner un peu mieux le champ littéraire des années dix au travers du reflet qu’en donne la presse, afin de comprendre le contexte matériel et les tendances esthétiques au sein desquels l’auteur fait son entrée publique dans la littérature.
17L’une des caractéristiques fondamentales de Prometeo est, par ailleurs, son souci de la littérature étrangère (essentiellement française et anglaise ou italienne dans une moindre part), qui se manifeste dans la rubrique de traductions littéraires que contient pratiquement chaque numéro, durant les quatre ans d’existence de la revue. Or, la presse est non seulement le lieu où Ramón fourbit ses premières armes en tant qu’écrivain professionnel, mais est également une source fondamentale de lectures et de modèles génériques ou éditoriaux pour le jeune auteur et directeur de Prometeo, entre 1909 et 1912. À cette époque, Ramón revendique très ponctuellement certains modèles, comme ceux de Remy de Gourmont et du très prestigieux Mercure de France. Il reste que la critique a souvent proposé de comparer l’auteur des Greguerías à tel ou tel écrivain (par exemple, à Jules Renard ou à Max Jacob), sans jamais réellement confronter aux textes cette hypothèse. En me fondant sur les témoignages existants, comme la précieuse correspondance entre Ramón et Baeza, je tenterai d’établir l’inventaire des possibles modèles de Ramón, au moment de sa formation littéraire.
18Cela me permettra de proposer une série d’études comparées entre les écrits de jeunesse de Ramón Gómez de la Serna et ceux de Remy de Gourmont, de Saint-Pol-Roux, de Jules Renard, de Marcel Schwob, de Francis Jammes, de Max Jacob, de Jean Giraudoux et de Guillaume Apollinaire. Il s’agira, d’une part, de porter sur l’œuvre ramonienne une série de regards croisés, afin d’étudier comment la greguería, dans son écriture, entre en résonance avec les pratiques textuelles d’auteurs qui proposent alors une réflexion théorique sur la création poétique et son matériau ; de l’autre, de faire ressortir les principales caractéristiques, formelles et stylistiques, qui s’affirment progressivement comme inhérentes au texte greguerístico.
19La dernière étape de la formation littéraire ramonienne qu’il me faudra alors analyser, est celle de la première confrontation entre les greguerías et leur public. Les témoignages des critiques littéraires de l’époque offrent une idée assez précise du trouble généralisé qui accueillit les premières proses ramoniennes dans le quotidien madrilène La Tribuna, en 1913. Pourtant, en quelques années, la greguería devient un produit reconnu et même prisé, qui arrive à être diffusé dans plus de dix journaux ou revues, dès le début des années vingt. Je voudrais démontrer que ce processus de réception suit une évolution parallèle à celle de la forme littéraire de la greguería, qui s’adapte progressivement, pour trouver un accord entre la volonté de style propre à Ramón et la nécessaire conquête du public qui suppose, à son tour, un certain apprentissage des mécanismes du marché éditorial. Je crois qu’envisager la greguería du point de vue du lecteur qui l’agrée permettra d’en analyser plus précisément le fonctionnement textuel et de comprendre la nature de l’effet que produit le texte ramonien sur son public et, peut-être, la clef du « regard fécond71 » de Ramón Gómez de la Serna.
20Il s’agit ainsi contribuer à réévaluer la situation littéraire de l’auteur dans son contexte de formation, celui des années dix, où les modèles d’écriture et de professionnalisation, au travers d’une collaboration quotidienne aux journaux et revues de l’époque, sont les fondements esthétiques essentiels de l’œuvre future de l’écrivain.
Notes de bas de page
1 M. Merleau-Ponty, Signes, p. 97.
2 Ramón lui-même souligne que les greguerías « tienen una lógica intricada », R. Gómez de la Serna, Total de greguerías, p. 46.
3 F. Lefèvre, « Ramón Gómez de la Serna », pp. 192-193.
4 Voir, à ce sujet, les critiques d’I. Soldevila Durante, « Para la recuperación de una prehistoria embarazosa », p. 24.
5 On trouvera une analyse de l’incongruité comme élément fondateur de la greguería chez A. Hoyle, « El problema de la greguería ».
6 Les défenseurs les plus loyaux de cette thèse sont, très probablement, R. Cardona, « Introducción a la greguería » et C. Nicolás dans sa thèse, Ramón Gómez de la Serna y la generación del 27, ainsi que dans plusieurs travaux récents, comme « La cornucopia vanguardista » ou « Ramón Gómez de la Serna ». Au contraire, M. Hernández, par exemple, souligne que « Ramón, inventor y adelantado de los ismos, es el realista de lo humilde y lo arbitrario, pero nunca de lo puramente absurdo o puramente inverosímil, que sería lo exaltado por alguno de sus seguidores », M. Hernández, « Ramón lunar », p. 22.
7 « Ramón is aiming at a superior intelligibility » est la conclusion de la monographie pionnière de R. Cardona, Ramón : a Study, p. 135.
8 R. Gómez de la Serna, Total de greguerías, pp. 809-810, je souligne.
9 Greguería inédite, Ramón Gómez de la Serna Collection, b. 46 B, fº 42, je souligne.
10 Ce mot n’est pas un néologisme forgé par l’auteur. Il existait déjà auparavant et servait originellement à désigner les cris des jeunes animaux ou, en général, toute forme de rumeur confuse (comme celle qui s’échappe d’une cour de récréation). Il s’agit, en somme, d’une sorte de saturation sonore chaotique, fruit d’un langage non articulé : « Confusión de voces, que no se perciben clara y distintamente », indique la première définition du Diccionario de la lengua castellana, p. 79. Voir la remarquable étude de F. González Ollé, « Nomen, omen ».
11 Dans un essai intitulé « Palabras en la rueca », Ramón réprouve tout usage pragmatique d’un langage purement « vain et commercial », qui entretient les mots dans la fadeur des conventions et des lieux communs, qui les figent dans un usage monotone. Pervertis par cette utilisation réductrice, les mots deviennent l’ombre d’eux-mêmes, et Ramón emploie alternativement les qualificatifs « usé » et « amaigri » pour en désigner l’érosion progressive.
12 « Al encontrar el género me di cuenta de que había que buscar una palabra que no fuese reflexiva ni demasiado usada, para bautizarla bien », R. Gómez de la Serna, Total de greguerías, p. 22.
13 Au point que G. Gómez de la Serna définisse l’entreprise de la greguería comme l’ambition de « convertir la metáfora en género literario », G. Gómez de la Serna, Ramón (obra y vida), p. 122.
14 Le terme est employé par G. Bachelard pour décrire l’adhésion spontanée du lecteur à certaines images poétiques : « Le caractère vraiment inattendu de l’image nouvelle, non plus que l’adhésion qu’elle suscite dans une âme étrangère au processus de sa création. Le poète ne me confère pas le passé de son image et cependant son image prend tout de suite racine en moi. La communicabilité d’une image singulière est un fait de grande signification ontologique », G. Bachelard, La poétique de l’espace, p. 3.
15 M. Embarek Jedidi. « Deambular por Ramón », pp. 32-33.
16 J. L. Rodríguez de la Flor, « Introducción », p. 18.
17 Ce monde magique évoqué par la plaque commémorative qui orne aujourd’hui l’emplacement de l’ancien Torreón, au numéro 4 de la calle Velázquez : « Aquí se levantaba el Torreón literario donde Ramón Gómez de la Serna instaló su mundo mágico de 1922 a 1936 ».
18 Titre que la postérité lui a attribué — et qu’il a lui-même contribué à nourrir — après la parution de l’article de M. Fernández Almagro, « La generación unipersonal de Gómez de la Serna », dont la conclusion, p. 11, est la suivante : « Sin antecedentes ni concomitantes, Ramón fía la sustantividad de su obra personalísima a su carácter de precedente : precedente de forzosa enunciación en orden a las letras de hoy del mañana próximo ».
19 Parmi les travaux les plus récents, voir les analyses de : I. Soldevila Durante, « Bajo la hoja de parra » et « Para la recuperación de una prehistoria embarazosa » ; de J.-C. Mainer, « Sobre el canon de la literatura española del siglo xx » ; d’E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente ; ou encore de N. Dennis, « Ramón y la (auto) publicidad ».
20 On trouve des bibiographies commentées et des états des lieux partiels de la question ramonienne chez L. S. Granjel, Retrato de Ramón ; R. L. Jackson, « The Status of the “Greguería” » ; M. González-Gerth, qui offre un panorama de la critique spécifique de la greguería de 1915 à 1968, Aphoristic and novelistic structures ; V. García de la Concha, « Ramón y la Vanguardia » ; F. Rodríguez Lafuente, « Ramón como argumento » ; D. ródenas de Moya, « Introducción » ; J.-C. Mainer, « Ramón y sus críticos ». En ce qui concerne les monographies incontournables consacrées à la figure littéraire de Ramón, il faudrait citer ici les ouvrages de : R. Cardona, Ramón : a study ; J. Camón Aznar, Ramón Gómez de la Serna en sus obras ; G. Gómez de la Serna, Ramón (obra y vida) ; L. S. Granjel, Retrato de Ramón ; R. Mazzatti Gardiol, Ramón Gómez de la Serna ; F. Umbral, Ramón y las vanguardias ; J. M. Bonet, Ramón en cuatro entregas ; N. Dennis (coord.), Studies on Ramón Gómez de la Serna ; C. Nicolás, Ramón y la greguería ; M. del C. Serrano Vázquez, El humor en las greguerías de Ramón ; É. Martin-Hernandez (éd.), Ramón Gómez de la Serna ; E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente ; ainsi que les thèses inédites de R. L. Jackson, The greguería of Ramón Gómez de la Serna ; M. González-Gerth, Aphoristic and novelistic structures ; C. Nicolás, Ramón Gómez de la Serna y la generación del 27 ; T. Llanos Álvarez, Aportación al estudio de las greguerías ; B. Barrère, Jeunesses de Ramón Gómez de la Serna ; et O. Elwes Aguilar, Francia y lo francés en Ramón Gómez de la Serna.
21 L’inventaire des anecdotes ramoniennes est riche et nourri. On le retrouve égrené au fil des pages de R. Gómez de la Serna, Automoribundia. Voir également N. Dennis, « The Avant-Garde Oratory ».
22 J’orthographie ainsi le nom de l’auteur, conformément au souhait exprimé par la Fundación-Archivo Rafael Cansinos Assens (http://www.cansinos.org/prensa/informacion.php).
23 Voir, plus particulièrement, les deux articles suivants : R. Cansinos Assens, « Gómez de la Serna » et « Ramón Gómez de la Serna ».
24 F. Rodríguez Lafuente commente, par exemple, dans son état des lieux de la question ramonienne, au moment du centenaire de la naissance de l’auteur, « el enorme vacío en la crítica académica y universitaria » à partir de 1936, qu’il explique par l’assimilation de la figure ramonienne au régime franquiste, par l’application qui est faite de l’ (anti) méthode des « generaciones » pour expliquer les premières années de sa carrière littéraire et, finalement, par la disparition d’une critique fondée et pertinente au profit d’un « centón de anécdotas », F. Rodríguez Lafuente, « Ramón como argumento ».
25 C’est l’une des deux grandes lignes au travers desquelles J.-C. Mainer résume le parcours de Ramón dans la littérature espagnole du xxe siècle : « Ramón abraza resueltamente la pureza de la literatura en un país donde su ejercicio anda tan entreverado de pedagogía y política », J.-C. Mainer, « Ramón y sus críticos », p. 17.
26 C’est le cas chez A. Espina et G. de Torre, par exemple. Dans deux lettres du premier au second, on peut lire, d’une part cette inclusion du nom de Ramón parmi les amis communs des deux écrivains : « Abrazaría { Paco Ayala (muy fuerte) / Federico Ribas / Casona } y Ramón » ; de l’autre, dans une lettre postérieure, ce jugement critique qui montre une gêne manifeste face à la figure de Ramón, probablement en réponse à un commentaire de Torre : « No creía que la avariosis falangista de Ramón fuese tan grave. El pobre siempre tuvo hecho polvo el artilugio de la sindéresis. ¡Lástima en tan gran escritor ! », lettres datant du 21-VI-1946 et du 4-XI-1946, reproduites dans A. Espina, Poesía completa y epistolario, pp. 424 et 432.
27 Cet événement donne lieu à diverses publications : celle de l’anthologie sélectionnée et préfacée par G. de Torre, Antología. Cincuenta años de vida literaria, et celle d’un numéro monographique de la revue Índice de Artes y Letras, « Intimidades de Ramón Gómez de la Serna », que prolongeront, en 1956-1957, l’édition de deux volumes d’Obras completas.
28 L’ouvrage de R. Cardona, Ramón : a Study, propose une lecture plus analytique de l’œuvre ramonienne. La perspective générale est de démontrer le rôle essentiel qu’a joué l’auteur dans la modernité littéraire espagnole. Cardona distingue comme grandes lignes de la production littéraire ramonienne l’españolismo (évident dans les années cinquante, si l’on pense, notamment à la parution d’Automoribundia, mais qui a ensuite été relativement oblitéré par la critique), l’humour, l’attention portée aux choses et la relation aux avant-gardes (problématique, à mon sens). À propos de la greguería, à laquelle l’auteur consacre un chapitre, Cardona vise à démontrer qu’elle ressortit au domaine de la poésie et qu’elle témoigne des « surrealist tendencies » de Gómez de la Serna, p. 135.
29 Telle est la lecture burlesque, voire triviale, que fait J. Pla des mythes ramoniens canoniques du torreón ou de la greguería : « La gente dice que en su despacho hay animales disecados, relojes parados, aparatos de astrología y nigromancia y objetos del Rastro. En este ambiente dedica setenta horas a la semana a hacer greguerías. Escribe en un rollo de papel higiénico. El rollo se va desenrollando y él va escribiendo, siempre con tinta encarnada. A estas alturas lleva ya hechos tres o cuatro millones de greguerías. ¿Cuántas hará aún ? ¡Asusta pensarlo ! », J. Pla, « Ramón Gómez de la Serna », p. 32.
30 Ramón devient une figue démiurgique sous la plume d’A. Díaz-Cañabate : « Madrid ha sido creado por Ramón Gómez de la Serna. En sus libros, en sus artículos, está todo Madrid contenido hasta sus reconditeces más insospechadas. Ramón fue, no recogiendo, sino creando un Madrid que él ha hecho inmortal », A. Díaz-Cañabate, « El Madrid de Ramón ».
31 Depuis 1944, Ramón collabore au journal franquiste Arriba, où l’a introduit son ami T. Borrás. Le retour en Espagne, en 1949, orchestré là encore par ceux de ses amis phalangistes devenus membres actifs du Régime après la Guerre civile, vise à célébrer les retrouvailles de l’auteur avec un Madrid qui a, en réalité, disparu. Au-delà, Ramón est dans l’attente d’une pension sous la forme d’un prix — qui ne lui sera concédé qu’en 1962 —, qui lui assurerait ses dernières années. On pourra relire à la lumière de ce double espoir (de retrouver Madrid et d’obtenir un soutien matériel de l’Espagne) le prologue d’Automoribundia.
32 Voir L. S. Granjel, « Prometeo I.Biografía de Prometeo » et « Prometeo II. Ramón en Prometeo ».
33 Id., Retrato de Ramón, pp. 171-192 ; voir, en particulier, p. 172.
34 La jaquette de l’ouvrage reproduit une citation de Ramón, encourageant Gaspar à écrire sa biographie, précisément pour ce motif : « A nadie le he permitido mi biografía, sobre todo después de publicar mi Automoribundia. Tú mismo me recomendaste a alguien que quería hacerla y al que disuadí rotundamente. Tienes elementos propios para hacerla ». Dans son prologue à l’ouvrage, le critique évoque également les quatorze années de correspondance « muy nutrida » qu’il entretint avec « el primo Ramón », G. Gómez de la Serna, Ramón (obra y vida), p. 15.
35 J. Camón Aznar, Ramón Gómez de la Serna en sus obras.
36 F. Umbral, Ramón y las vanguardias.
37 Ramón est « cronista del tiempo y cronista de su tiempo », d’après F. Umbral, Ramón y las vanguardias, p. 213.
38 Ibid., p. 53. Le critique évoque également l’estampario ramonien, preuve à ses yeux que « el mundo, para él, tiene que entrar por los ojos, que sólo entiende las ideas mediante imágenes », p. 216.
39 Ibid., p. 80.
40 Sur ce dernier point, voir la bibliographie commentée par D. Ródenas dans son édition du roman El novelista, ainsi que la liste des numéros monographiques de revues consacrés à Ramón dans la bibliographie de ce travail. Il faut leur ajouter, d’une part, les quatre volumes de l’hommage du Museo Municipal de Madrid dirigés par J. M. Bonet de Ramón en cuatro entregas, qui permettent de récupérer de nombreux textes de Ramón ou de ses critiques qui étaient alors de consultation difficile ; d’autre part, les actes du colloque édités par N. Dennis, Studies on Ramón Gómez de la Serna, qui comprend deux collaborations sur la greguería de M. Durán et C. Nicolás. Sur ces différents volumes d’hommage, voir la synthèse de J.-C. Mainer, « Ramón y sus críticos ».
41 R. L. Jackson, The Greguería of Ramón Gómez de la Serna. L’auteur définit notamment les greguerías comme de « metaphorical redefinitions based on resemblances », p. 91.
42 Voir R. L. jackson, « Towards a Classification of the “Greguería” » et R. Senabre, « Sobre la técnica de las greguerías ». Dans l’édition qu’il propose, en 1988, d’une anthologie de greguerías, Senabre ordonne suivant une classification thématique les textes qu’il a séléctionnés.
43 M. González-Gerth, Aphoristic and novelistic structures. L’auteur se fonde sur une version amendée de l’équation ramonienne, « Humorismo + metáfora + metafísica = greguería », imprimée sur la jaquette des Cartas a mí mismo, qu’il rapproche de l’équation de l’aphorisme : « Metaphor + Wit + Metaphysics = Literary aphorism », pp. 134-137.
44 Le premier volume de la thèse de C. Nicolás est publié sous le titre Ramón y la greguería : Morfología de un género nuevo. L’auteur y dresse l’inventaire des principales caractéristiques formelles, à ses yeux, de la greguería : l’analogie, l’expérimentation verbale, l’animisme (ou la personnification des objets), la chosification, l’humour, la surprise, l’esprit, la gravité / la trivialité, le lyrisme, l’innocence, l’irrationalité et l’absurde. L’une des hypothèses que formule le critique est celle, traditionnelle en fin de compte, de la greguería comme structure élémentaire et fondatrice du style ramonien, mais il lui ajoute une nuance en précisant que la greguería allie un double mouvement « disgresivo » et « conectivo », C. Nicolás, « (Al margen) de la greguería », p. 34. Voir également G. Gómez de la Serna, « Prólogo », p. 14. On retrouve l’idée de « déformation cohérente » glosée par M. Merleau-Ponty.
45 Le titre original de la thèse de C. Nicolás est, en effet, Ramón Gómez de la Serna y la generación del 27.
46 B. Barrère, Jeunesses de Ramón Gómez de la Serna, t. I, p. 159.
47 B. Barrère affirme, à ce propos, qu’« à multiplier ainsi les emprunts, dans une frénésie d’innovation provocatrice, Ramón a pu subir des influences qui ne sont pas perceptibles ; mais ce serait un vain travail que d’essayer de les évaluer », ibid., t. I, p. 355.
48 L. López Molina, « Nebulosa y sistema en las greguerías ramonianas ».
49 La lecture même que le critique donne des exemples qu’il cite est révélatrice : « He aquí algunas muestras : “El arte no sólo es no admitir lo inadmisible, sino exigir lo inexigible” (interpreto : el arte tiene la doble misión de arrinconar lo caduco y de dilatar la realidad con bellos añadidos). “De pronto se ve una cometa alta en el cielo y no se nota quien la tiene agarrada por el hilo ; ese es el poeta” (o sea : la técnica no debe notarse, lo meritorio no es exhibir la dificultad sino vencerla) », ibid., p. 111. Ce geste même de l’interprétation, du déchiffrement de la greguería montre qu’il s’agit, pour le critique, de mettre en évidence le cheminement poétique de l’auteur et, pour ce faire, d’énoncer la trame analogique qui sous-tend le texte de la greguería.
50 « La greguería es un texto brevísimo, por lo general, una oración sintácticamente completa, sin contexto, donde el autor hace alguna observación sobre la realidad (greguerías discursivas), establece asociaciones — las más veces metafóricas — sorprendentes y/o humorísticas entre elementos de aquélla (greguerías asociativas) o juega con las posibilidades internas del lenguaje (greguerías verbales) », L. López Molina, « El ramonismo : género y subterfugio », p. 42.
51 W. Helmich, « Ideología literaria y visión del mundo ».
52 A. Hoyle, El humor ramoniano.
53 Comme celle de M. del C. Serrano Vázquez, qui envisage la greguería par le biais d’une étude linguistique, El humor en las Greguerías de Ramón. Partant de l’équation ramonienne « Humorismo + metáfora = greguería », l’auteur s’intéresse plus particulièrement aux mécanismes de l’humour dans la greguería, favorisés, en quelque sorte, par le recours à la métaphore que Serrano Vázquez présente comme mode de transgression des lois du langage et comme moyen de rénovation de ce dernier. L’analyse linguistique est précise, mais elle considère uniquement le fonctionnement du texte, indépendamment de l’effet produit sur le lecteur.
54 Outre les nombreuses célébrations du centenaire de la naissance de l’auteur, en 1988, on signalera le numéro de Quimera de 2003 qui dresse un bilan des recherches sur le ramonismo menées jusqu’alors.
55 Voir, en particulier, É. Martin-Hernandez (éd.), Ramón Gómez de la Serna.
56 R. Gómez de la Serna, « Ramón. Mi autobiografía », originellement paru sous la forme d’un tiré-à-part de La Sagrada Cripta de Pombo, pp. 473-555, est réédité sous le patronage de la Fundación Wellington et Ismos (1931), sous celui de la SEACEX.
57 Collection dirigée par I. Zlotescu, pour les éditions Galaxia Gutenberg.
58 En 1972, tout juste cinquante ans après la première édition de l’ouvrage, J.-C. Mainer avait également réédité El incongruente. D’autres monographies ramoniennes des années 1910-1920, dont la consultation devenait de plus en plus délicate en bibliothèque, ont également fait l’objet de rééditions actuelles. C’est le cas, par exemple, de Pombo et de La Sagrada Cripta de Pombo, présentés par A. Trapiello, en 1999 ou, en 2007, du roman La Nardo, dans l’édition d’A. Neuman. Andrés Trapiello fut également chargé, en 2002, de rééditer en fac-similé la monographie El Rastro.
59 Signe de ces temps, un colloque fut organisé, en 2004, à l’université de Huelva pour faire un bilan de cette nouvelle orientation des recherches ramoniennes et continuer à ouvrir d’autres voies : E. Navarro Domínguez (éd.), Ramón Gómez de la Serna y la novela : nuevas perspectivas.
60 Il faut ici renvoyer également à l’édition de la Prosa del 27, par D. Ródenas, qui consacre de nombreuses pages de son introduction au cas de la prose ramonienne.
61 F. Valls (coord.), « El microrrelato en España : tradición y presente ».
62 Éditeur de R. Gómez de la Serna, Disparates y otros caprichos, Palencia, Menoscuarto, 2005.
63 Auteur, à ma connaissance, de l’une des thèses les plus récentes sur Ramón Gómez de la Serna, soutenue en décembre 2008, sur la pratique du micro-récit chez l’auteur.
64 J.-C. Mainer, La Edad de Plata (1975), p. 314.
65 L’ouvrage d’E. Navarro Domínguez, El intelectual adolescente, qui offre une synthèse sur le processus de formation intellectuelle de Ramón, me servira de guide dans la première partie de ce travail.
66 Voir la monographie d’A. Muñoz-Alonso López, Ramón y el Teatro et la préface critique de G. Sobejano, « El primer teatro ». À ma connaissance, le professeur Jesús Rubio Jiménez dirige actuellement une thèse sur ce sujet.
67 Ce dernier n’ayant pas été accompli jusqu’ici, puisque la thèse de B. Barrère, Jeunesses de Ramón Gómez de la Serna, quoiqu’extrêmement documentée, ne propose pas d’inventaire systématique des articles consultés dans la presse des années 1910-1930. La version originale de ce travail comprend un inventaire des collaborations ramoniennes dans la presse espagnole de 1904 à 1923. Voir L.-A. Laget, Les premières Greguerías dans le creuset esthétique des années dix, thèse de doctorat soutenue en 2009 à l’université Paris III, pp. 581-660.
68 Je dois à mon séjour de deux ans à la Casa de Velázquez la possibilité d’avoir consulté systématiquement la presse espagnole des années 1905-1925, source indispensable à l’étude des premières greguerías et de la façon dont ces dernières s’inscrivent dans les conditions matérielles de production inhérentes à ce support.
69 Les premiers ont déjà évoqués précédemment. L’article de J. M. Barrera López, « Afinidades y diferencias : Ramón y el “ultra” », établit une bibliographie des collaborations ramoniennes dans les revues Grecia, Vltra, Horizonte, Tableros, Alfar et Ronsel, au cours des années 1920-1925.
70 Tels que les définit P. Ory, en référence à G. Genette, c’est-à-dire comme les « paliers successifs » par lesquels a dû passer le texte avant de devenir livre, L’histoire culturelle, p. 14. Avant de voir comment le texte a été « reçu et classé », il faut s’interroger sur la façon dont il a été « annoncé » et procéder à une étude génétique des différentes étapes de son élaboration, comme le rappelle P. Ory, dans le même ouvrage, ibid., p. 55.
71 R. Gómez de la Serna, Greguerías (1917), p. xiv.
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