Chapitre VI. Stratégies de mobilisation
p. 231-255
Texte intégral
1Comme nous l’avons vu dans les deux chapitres précédents, appréhender le phénomène de mobilisation dans sa complexité suppose qu’on tienne compte de la totalité des moyens actionnés et de leur interaction à travers une dynamique produisant synergies et surprenant les acteurs par ses effets imprévisibles en entraînant des configurations inédites. Nous avons ainsi évalué le possible impact de ces moyens en restituant leur circulation matérielle ainsi que leurs conditions de réception. Cette démarche nous a donné les instruments pour scruter les glissements des groupes visés et atteints de destinataires de même que les brouillages des clivages initiaux qui en découlent.
2Pour compléter cette analyse de la composante sociopolitique des publics des guerres de plumes, nous proposons maintenant de voir comment on constitue un public. Il s’agit de démonter les stratégies élaborées pour intéresser le lecteur ou l’auditeur et éventuellement provoquer un sentiment d’adhésion à un parti. La mise en perspective des stratégies propres à chaque texte permet d’apprécier leur convergence sans qu’elles fassent pour autant l’objet d’un mot d’ordre issu d’un orchestrateur tout puissant. Ni don Juan ni ses adversaires ne maîtrisent totalement la masse des papeles. Deux lignes de forces structurent notre présentation de ces stratégies discursives : la transformation de l’adversaire en ennemi public ou en objet de dérision et l’utilisation de mécontentements préexistants que les publicistes greffent sur la querelle.
3La première catégorie de stratégie renvoie à l’exploitation de grands thèmes au service d’un travail de sape de l’adversaire et relève plus largement de pratiques diffamatoires. Le maniement de stéréotypes tératologiques et de raisonnements essentialistes apparaît comme le ressort privilégié d’une « fabrique de l’ennemi ». Ce type de pratique rencontre l’unanimité au sein des deux camps et actionne les rouages secrets de la peur du « crypto » (marranes, morisques) que tente de conjurer une pratique de délation en traquant la noirceur des âmes porteuse de la destruction de l’Espagne.
4Plusieurs thèmes s’imposent : celui du traître à la patrie, celui de l’étranger et ceux de l’hérésie et de la pureté de sang. Ces thèmes ont marqué l’histoire espagnole et ont prouvé leur efficacité dans les déferlantes pamphlétaires contre certains validos. Ainsi, Olivares avait cristallisé toutes ces accusations notamment en raison de sa politique de tolérance à l’égard des conversos visant à lui concilier l’appui financier des marranes. On se trouve au croisement d’une temporalité courte et d’une temporalité longue, quand les attaques ponctuelles et conjoncturelles se nourrissent d’obsessions et de rancœurs constitutives des invariants d’une identité espagnole conçue comme une « communauté imaginée1 ». La diffamation dans son versant ludique remplit une fonction complémentaire. Provoquant l’engouement de lecteurs qui se délectent de médisances, elle « tue » les validos par le ridicule.
5La récupération des mécontentements dessine la deuxième stratégie. Le monopole juaniste de cette pratique a une explication structurelle : seuls les opposants peuvent dénoncer les autorités en place et la politique qu’elles mettent en œuvre, sans craindre d’entrer en contradiction avec eux-mêmes. Cette ligne stratégique impose à l’historien de sortir des écrits polémiques pour les confronter avec d’autres matériaux exprimant les remontrances sur un mode impartial.
6L’étude minutieuse de ces stratégies suggère de repenser les rapports entre mobilisation politique et adhésion à un discours. On pense spontanément que l’adhésion naît de la force d’un argumentaire qui convainc ou persuade, grâce à des logiques qui touchent à la raison ou à l’émotion et qui regardent en majorité vers un au-delà des textes. Or, le milieu courtisan au sein duquel les libelles diffamatoires circulent exclusivement dans les premiers temps de la querelle ne saurait se laisser piéger par ces discours infondés et dont la mauvaise foi est criante. Faut-il en déduire que ces textes visaient davantage la « plèbe » que l’on estimait pouvoir berner et « émouvoir » facilement ? Rien n’est moins sûr car les clichés tératologiques ont peuplé les libelles dès le début des campagnes d’opinion, lorsque don Juan s’adressait d’abord aux élites et aux membres des Conseils, seuls légitimants. Certes, le prince s’est ingénié très tôt à destabiliser les autorités par tous les moyens et il s’est probablement réjoui de la bonne fortune de ces arguments dans les conversations et au mentidero. Mais cet aspect n’a rien d’une priorité dans les premiers mois des campagnes.
7Quel est donc le rôle de ces écrits ? Quelle est leur fonction dans une entreprise de mobilisation de partisans ? Dans quelle mesure la « fabrique » d’un ennemi public, le recours au comique pour tourner un adversaire en ridicule et la récupération de mécontentements ont des effets complémentaires dans la constitution d’un groupe politique ? En d’autres termes, nous proposons de réfléchir ici à un type de mobilisation qui ne passerait pas par l’adhésion ou la croyance en un discours mais pour laquelle le truchement des textes reste indispensable.
I. — DÉNONCER, STIGMATISER, DIFFAMER : LA « FABRIQUE DE L’ENNEMI »
Exploitation de préjugés ayant fait leurs preuves
a) Le traître
8Le premier thème exploité par les publicistes est celui du traître. Les nithardistes reprochent à don Juan une alliance supposée avec la France, censée l’aider à s’emparer du pouvoir. Qualifié d’afrancesado, on le considère comme un traître à l’Espagne pour s’être tourné vers l’ennemi héréditaire. L’accusation rencontre un écho certain en raison des aléas marquant les relations de ces deux puissances aux destins entremêlés. La France et l’Espagne luttaient de longue date pour la suprématie européenne, la première glorifiant sa puissance et la seconde forte de son orthodoxie religieuse. Elles s’étaient donc opposées à de nombreuses reprises, parfois frontalement, dans la guerre de Dévolution de 1667-1668 par exemple, parfois indirectement, comme du temps des guerres de religion. Or en 1659, la paix des Pyrénées avait signé un renversement des rapports de forces jusque-là en faveur de la monarchie Habsbourg. Certes, on ne succombera pas à la facilité d’une lecture simplificatrice des relations entre ces puissances. Néanmoins, au sortir de la guerre de Dévolution qui porte l’estocade finale, après la « honte » de la paix avec le Portugal, l’Espagne vit une phase de durcissement à l’égard de sa voisine sur laquelle se greffe la polémique entre don Juan et Nithard. Un schématisme manichéen et mobilisateur triomphe, qui occulte la grande complexité des apports réciproques des deux puissances ; la perception de la France et les discours dont elle fait l’objet s’appauvrissent.
9Dans la querelle qui oppose don Juan à Nithard, c’est l’épisode des Flandres qui lance les rumeurs de collusion avec la France. Le Texte où l’on raconte et où l’on évalue les préjudiciables effets et les dommages engendrés par la désobéissance de monseigneur don Juan qui s’est dispensé d’aller en Flandres apparaît exemplaire. Selon l’auteur, don Juan discrédite le roi lui-même par son refus, en témoignant d’une scandaleuse mollesse pour aller défendre la république. Sa désobéissance seule aurait empêché que les événements guerriers ne prennent un tour heureux et ses tergiversations ont endetté la monarchie. L’interprétation proposée — « comme si la perte de l’Espagne était de son intérêt » — laisse sceptique2. Mais la convergence entre cette grille de lecture de l’épisode et l’accusation d’hybris portée à don Juan transforme l’hypothèse en certitude. Le bâtard royal, parce qu’il aspire au trône, est un rebelle dans l’âme. On invente alors une connivence avec les Français qui auraient été prévenus à l’avance par le prince qu’il n’irait pas en Flandres.
10Le thème du traître se déploie après la fuite de don Juan en Catalogne pour devenir récurrent dans la querelle. Profitant de la distance qui sépare le Principat de la capitale de la monarchie, les alliés de Nithard jouent de la proximité avec la France pour lancer des rumeurs à propos d’un appui du Roi-Soleil au rebelle, depuis le Roussillon. Dans des avisos envoyés depuis Paris, le 25 novembre 1668, un informateur apprend que la lettre de Consuegra a circulé à la cour et laisse entendre qu’une alliance se prépare entre don Juan et une France soucieuse de se venger de son ancienne ennemie :
Tous pensent qu’ici on appuiera Son Altesse et qu’on l’aidera en sous-main pour tenter d’allumer un feu pour se venger, dit-on, de ce que l’Espagne a alimenté les guerres civiles en France3.
11C’est parce que la France n’attend qu’une occasion pour nuire à la monarchie Habsbourg, qu’elle semble susceptible de prêter son assistance au bâtard rebelle. À la croisée d’une temporalité longue et d’une temporalité courte, l’attitude française se déchiffre à la lumière de la haine héritée du passé. Vecteur de désinformation, la dénonciation est un facteur puissant de mobilisation, en particulier dans un contexte où une guerre, intérieure et extérieure (contre la France), semble se profiler.
12Pour assurer sa défense, outre sa propre justification, son démenti des faits et ses déclarations courroucées de loyauté, don Juan trouve peut-être la parade la plus ingénieuse en répondant au mal par le mal : il reproche à Nithard d’être un étranger fourbe au sang impur, ne pouvant vouloir le bien de l’Espagne4.
b) L’étranger
13Ceci nous renvoie à notre second grand thème, celui de l’étranger indissociable de celui de la xénophobie. C’est Nithard qui en fait les frais. Décontextualisé, parce que renvoyant à une essence, le stéréotype de l’étranger surgit dès les prémisses et demeure un argument fort de l’arsenal juaniste de stigmatisation de l’adversaire jusqu’à l’expulsion du jésuite. Parce qu’il vient d’Allemagne, le jésuite ne peut reconnaître l’Espagne comme sa patrie et ses intérêts personnels seront toujours plus forts que l’amour d’un bien commun dont ses origines l’excluent. Soucieux de son seul avantage, Nithard dissimulerait des informations pour empêcher Mariana d’ouvrir les yeux et de changer un ordre des choses qui lui convient, à lui, parfaitement. En somme, peu lui importe qu’on viole les lois et qu’on outrage la mémoire de Philippe IV5.
14Cette argumentation s’inscrit dans une réflexion qui traverse tous les ouvrages politiques du xviie siècle, celle de la nécessité d’un bon conseil pour le souverain. Le conseil (donc le valido) maintient le monarque dans la justice et l’aide à vouloir le bien et à le réaliser. En s’intégrant au pouvoir royal, il prend acte de l’inévitable humaine condition d’un prince qui, même faillible, doit avant tout chercher à se rendre digne d’une mémoire dynastique qu’il incarne. De la sorte, le conseil a pour but impérieux de pallier les aléas de la transmission héréditaire du pouvoir. Un étranger ne saurait exercer cette fonction cruciale car seuls les sujets naturels du souverain se rattachent à leur roi par des liens d’amour et de fidélité dans le cadre d’une communauté politique pensée sur le mode du corps mystique. De fait, l’étranger n’appartient pas à cette communauté naturelle. L’exclusion salutaire de l’étranger des Conseils est donc un topos de la littérature politique. Le texte intitulé Un cœur mis à nu paru le 20 février 1669 résume bien les griefs imputés au confesseur, en vulgarisant des thèmes de la théorie politique savante6. La personnalisation des accusations, la calomnie et l’instrumentalisation démagogique des malaises donnent chair à une pensée jusque-là abstraite. Ainsi, l’auteur affirme que Nithard transporte des sommes mirobolantes en Allemagne, qu’il se dévoue corps et âme à l’Empereur et qu’il a dicté la paix honteuse avec le Portugal. Le plus grave reste à venir : nommer un étranger Inquisiteur Général et valido contrevient aux lois du royaume et au testament de Philippe IV, comme le proclame une satire prenant la régente à partie :
Violant les lois de la Patrie […] et la dernière volonté du roi notre seigneur, que la sainte gloire l’auréole, Votre Majesté nous a imposé un étranger qui nous commande en abusant grandement de la dignité royale7.
15Les libelles entretiennent donc des liens étroits avec des théories politiques dont ils se nourrissent et vulgarisent en retour. Il arrive même que la polémique complète la théorie en approfondissant certains thèmes afin de fortifier un système argumentatif se voulant implacable pour emporter la conviction du lecteur.
c) L’hérétique
16La force de la propagande juaniste réside dans l’emboîtement des thèmes offensifs selon une logique qui développe une argumentation gigogne virulente. Ainsi, de l’accusation d’étranger, on glisse à celle d’hérétique. Nithard vient d’Allemagne, terre de protestantisme, ce qui ouvre la voie à tous les soupçons de duplicité. L’auteur des Vers pour le roi à propos du Gouvernement conseille au souverain d’en finir avec « les avis diaboliques de son confesseur schismatique8 ». Selon l’auteur, le confesseur fragilise la monarchie dans la mesure où c’est l’appartenance religieuse qui nourrit la conscience qu’ont les Espagnols de former une communauté. Seule la catholicité orthodoxe permet de cimenter une monarchie composite où cohabitent des royaumes correspondant à des régimes de lois et de privilèges différents, impliquant, pour un ensemble de naturales, une participation juridique spécifique définissant un lien au roi singulier et qui ne présuppose aucun cadre national renvoyant à un sentiment d’unité ou d’invisibilité. Dans ce montage politique, la figure du roi joue un rôle crucial puisque, celui-ci étant la « tête » de ce corps, il en constitue aussi le principe de cohésion. Il est le lieu de convergence de relations bilatérales qui l’unissent aux royaumes ainsi que le centre directionnel de cet ensemble qui resterait, sans lui, démembré. Cette conception du système monarchique érige en clef de voûte la catholicité du souverain qui assure à ses sujets le salut des âmes en incarnant le parfait lieutenant de Dieu sur terre. L’assimilation bien connue du corps politique au corps mystique en apporte une expression claire. Or, l’hérésie suspectée de Nithard fait voler en éclat la cohérence d’un tel dispositif. Parce qu’il est un intermédiaire privilégié entre le roi et ses sujets, le valido, parfois comparé au cou qui porte la tête, occupe un point névralgique qui peut paralyser l’ensemble. Ordinairement, l’hérésie est l’un des crimes les plus graves en tant qu’atteinte à la foi et traîtrise envers le souverain au point que le droit civil l’assimile à un crime de lèse-majesté. Mais lorsqu’une telle suspicion frappe le valido, c’est la monarchie entière qui risque la désagrégation ! Dans le détail de l’argumentation, les libelles dénonçant en Nithard un hérétique reprennent les thèmes des Doutes théologiques et politiques du père Álvarez paru à la nomination du confesseur comme Inquisiteur Général en 1666 et dont nous avons livré une étude dans notre analyse de la genèse du conflit don Juan / Nithard.
17La figure du mahométan intervient sur un mode mineur, surtout parce que depuis l’expulsion de 1609, les Morisques sont peu nombreux. Mais ce constat n’implique pas que la figure négative du maure ait perdu en acuité. Dès la fin du xvie siècle, les morisques sont catalogués comme des juifs aggravés d’islamisme9. Les accusations qui présentent Valenzuela en sectateur du prophète Mahomet pointent l’efficacité rhétorique d’une supposée menace conversa. Bien que n’offrant guère de prise à ce type de suspicion, certains scripteurs le qualifient de mahométan. Il ne s’agit pas d’argumenter mais de stigmatiser par un terme dont la seule mention suffit à souiller celui qu’on désigne. Ce mouvement de décryptage de l’infamie prétend livrer une clef universelle de compréhension des faits et des comportements : la politique de Valenzuela, qualifiée de machiavélienne dans le Nouveau livre de l’Espagne perdue par Mariana ou encore dans l’Exhortation chrétienne, tirerait son principe de l’hétérodoxie alléguée du valido10. Le machiavélisme se convertit en traduction des déviances religieuses dans le champ politique, d’autant que la hantise du complot juif ou morisque renvoie bien à la pratique du secret que ceux qui érigent le « mécanisme de l’oblation sacrificielle suivi de la récompense divine » en quintessence du gouvernement associent au penseur florentin11.
18L’usage de stéréotypes et de repoussoirs vise à favoriser une identification collective contre une figure fantasmée de l’ennemi, motivant le soutien à une cause. Cette identification collective a peu à voir avec le sentiment d’appartenance à une nation politique en ce xviie siècle espagnol où le régime de pluri-appartenance demeure la règle. On repère ici un type de mobilisation collective qui repose sur la mise en scène du danger de dissolution, depuis l’intérieur, d’une identité espagnole définie en creux par sa catholicité et son opposition à des puissances ennemies supposant un espace politique et culturel commun hispanique qu’il s’agit de préserver. Les pratiques diffamatoires rendent captif le public des guerres de plumes en signifiant que les luttes orchestrées par don Juan sont d’intérêt public car c’est le sort de la monarchie qui s’y joue.
19Face à l’étranger hérétique entraînant l’Espagne à sa perte, don Juan incarne l’authentique fils de l’Espagne, l’homme qui a parcouru sans relâche les royaumes de la monarchie espagnole et qui en connaît les hommes et les coutumes. Tous ces éléments signalent une réactivation discrète parce que diffuse, d’un mythe fondateur de l’identité et de la souveraineté espagnole. Il s’agit de la grande geste de la genèse du royaume structurée par la dialectique destruction/restauration qui renvoie à l’invasion musulmane de la péninsule, en prélude à la Reconquista. Ce mythe, qui construit l’identité par l’exclusion, se révèle assez flexible pour s’appliquer contre tous ceux qu’on percevait comme des destruidores. Ainsi, dans la Régence, la peur exacerbée d’un parti de l’étranger qu’alimentent la chute de l’empire, la montée de la puissance française et un sentiment de décadence emprisonnent les Espagnols dans une atmosphère obsidionale. Les polémistes ont alors beau jeu d’encourager la désignation et la délation de boucs-émissaires, élaborant ainsi des modalités du combat en adéquation avec le marasme ambiant.
L’insulte et la diffamation : flétrir l’honneur
20Sur un registre parallèle, la diffamation et l’insulte constituent des armes assassines car elles s’attaquent directement à une valeur courtisane essentielle, intimement liée à l’honneur, la considération. Dans une certaine mesure, la considération, qui rejoint alors la notion connexe de réputation, est une dimension réflexive de l’honneur qui intègre une « opinion publique » prise dans son ambiguïté. C’est un honneur qui se regarde dans les yeux des autres et qui jouit et grandit de ce regard. D’après Bartolomé Bennassar, « c’est par ce caractère public que l’honneur devient une valeur socialisée fondée sur la réputation et qu’il dépasse l’individu12 ». La théorisation de la réputation qui s’assimile parfois à « l’opinion » est ancienne. Au xviie siècle, le souci croissant de la publicité de l’honneur démontre que la dimension réflexive de la réputation gagne en importance. En effet, parmi les figures de proue de la cour, la considération repose de plus en plus sur l’élaboration consciente d’une image publique mêlant aux mérites personnels et à ceux de la famille signifiés à travers les privilèges d’une position sociale et d’une charge, les marques de privanza et de merced reçues de la part du souverain. Le protocole ainsi que les démonstrations de patronage et de generositas envers une clientèle la plus large possible sanctionnent et nourrissent la considération dont un individu bénéficie ainsi que sa traduction dans une image publique.
21Dans une civilisation où l’être et le paraître ne se distinguent pas catégoriquement, où l’honneur n’est pas une valeur intrinsèque à un individu mais doit être reconnu par les autres, on comprend mieux le rôle de la diffamation et de l’insulte comme armes de guerre : calomnier équivaut à tuer. Sous le pseudonyme d’Amant de la paix, l’auteur de la Résolution de la vérité qui diffuse le message du clairon de la renommée plaide cette thèse dans un traité politique paru en 1669, pour défendre don Juan contre les infamies des nithardistes13. Il emploie ainsi l’analogie de la peinture :
Si un peintre efface un tableau où sont peints les exploits du grand Alexandre, les trophées de César […] et y représente un monstre difforme, ce n’est plus le même tableau même si la matière reste identique, parce qu’avec le changement de la peinture, la forme qui en permet la dénomination s’est altérée et en introduisant une nouvelle forme grossière, le nom éclatant de la première n’est plus. C’est pourquoi, si dans l’affaire qui concerne votre frère, dont les actes ont constitué […] un dessin fameux des exploits, triomphes et trophées d’Alexandre, de César et de Pompée, un médisant impudent efface et ternit ces resplendissantes gloires et par une calomnie exorbitante fait courir d’abominables bruits contre son honneur et lui fait perdre sa réputation, il le tue, le détruit et l’annihile14.
22La forme l’emporte sur la matière, l’essence et le paraître se confondent : le mensonge détruit l’être le plus vertueux s’il parvient à plaquer sur lui le masque repoussant du vice. Implicitement, c’est la noblesse elle-même qui se voit mise en question. Ce raisonnement désigne un point essentiel de compréhension du sentiment d’identité du groupe nobiliaire. Contrairement au cas français, la noblesse espagnole n’a pas fait l’objet d’une définition légale claire, plaçant ainsi au cœur du dispositif la grâce royale15. Le groupe se caractérise par une « excellence » transmise par le sang et exprimant une supériorité sur le reste de la société qui justifie des privilèges légaux et fiscaux. Ainsi, plus que de rendre noble, le souverain reconnaît la noblesse d’un individu comme préalable à l’obtention d’une dispense fiscale (hidalguía)16. En outre, au cours de son existence, le noble met sans cesse sa noblesse à l’épreuve lorsqu’il subit les indispensables examens ouvrant les portes aux différents corps (universités, groupes d’officiers publics) pourvus de statuts. L’analyse des modalités auxquelles obéissent les informations de noblesse dévoile qu’en fait tout est joué d’avance : la garantie de pureté de sang qui fournit la pièce maîtresse du procès repose sur des données suffisamment anciennes pour que le jury comme les témoins ferment les yeux sur d’éventuels incidents de parcours. Une issue heureuse sanctionnera la démarche si tous les hommes du processus décisionnel désirent accueillir dans leurs rangs le prétendant. Dans le cas contraire, le candidat se verra rejeté. On en conclut que, même si les nobles ont tenté d’ériger en critères objectifs des marques de reconnaissance, au premier rang desquels figure la masse hétéroclite des procès de noblesse, la noblesse demeure avant tout la reconnaissance comme telle par les autres. L’identité sociale se forge dans le rapport d’infériorité ou de supériorité à l’autre, en se basant sur toute une gamme de marqueurs visibles. En un mot, la noblesse est une « qualité de relation »17.
23Les passions que la diffamation et l’insulte pouvaient engendrer, expliquent leur rôle moteur de l’engrenage polémique. Tandis que la diffamation sape les fondements de l’honneur sous prétexte de révéler une vérité cachée et stigmatisante, l’insulte le nie tout en le défiant. Dans ce contexte, les raisons qui poussent les alliés de Nithard à tant insister sur la bâtardise de don Juan et à refuser de lui accorder le statut de fils naturel du défunt roi s’éclaircissent. Le texte L’Observateur caché tire les conséquences du procédé de la diffamation18. Le scripteur évoque la machination des jésuites qui consiste à répandre des doutes sur l’ascendance de don Juan. Dénier à ce dernier tout sang royal revient à « effacer des imaginations du vulgaire l’idée nouvelle qu’il devienne protecteur des Royaumes19 ». La légitimité que certains accordent à l’action de don Juan et l’aval qu’ils donnent à le voir à la tête d’un mouvement d’opinion dont il a été le catalyseur, résident essentiellement dans sa filiation aux Habsbourg. L’attaquer sur ce terrain, c’est donc l’atteindre au cœur.
24Le comique présente une variante de la diffamation et de l’insulte car il a pour but premier de ridiculiser et de décrédibiliser l’adversaire. Les textes polémiques qui y recourent adoptent souvent la forme du portrait-charge voire du pastiche. Centrés sur un personnage, concis et incisifs, ils n’offrent guère de place à la réflexion. Faire ainsi rire aux dépens d’autrui instaure une connivence entre l’auteur et les lecteurs et marque les esprits de sorte que le coup porté devient stigmate. Afin d’accroître leur impact, certains scripteurs coulent leur propos dans la structure de divertissements populaires que ne dédaignaient d’ailleurs pas les autres composantes de la société. Les devinettes, souvent chantées, se prêtent bien à cette pratique et rencontrent un succès unanime au sein de tous les groupes sociaux. Sous la forme d’une énigme ludique dont la progression oblique vise à émoustiller l’auditeur ou le lecteur, elles lancent un défi en proposant un portrait en creux d’un personnage dont il s’agit de trouver l’identité. Une satire de 1676 intitulée « ¿Qué es la cosi cosa ? » obéit à un tel procédé20. L’amorce du texte pose les règles du jeu tout en fournissant les premières caractéristiques de l’inconnu à reconnaître21. La suite se compose d’un portrait-charge. Les idées n’avancent rien d’original : Valenzuela exerce un pouvoir démesuré au terme d’une ascension imméritée. L’auteur rend compte de l’arbitraire des décisions du valido en conférant un pouvoir de transformation quasi magique aux nominations des « moins que rien » qu’il adoube :
D’une corne tordue
Il fait de la cire blanche,
Et il forme des vice-rois
Avec un bâton de hêtre ;
[…]
Il fait des présidents
Et il chie sur eux22.
25De la sorte, il rend compte de l’influence occulte qu’on lui attribuait, invisible et partout à la fois, quasi omnipotent, mais sur le mode de la dérision. La procrastination de la réponse, trouvée très tôt par le destinataire vu la clarté des allusions, pimente le tout en établissant une complicité fondée sur le plaisir de narguer l’adversaire et sur les délices de la médisance :
C’est le Malin Génie
Celui qui sous un masque
A présidé avec insolence
[…]
Près de Grenade
Quittant Venise
Et Madrid avec hargne
Même s’il vit loin
Il nous commande de près
Car la matrone
L’aime avec rage
L’enfant-roi joue
[…]
Don Juan se tient tranquille
Et l’Espagne se meurt23.
Faire campagne : le stratège militaire, le clerc et le courtisan
26Les stratégies de mobilisation étudiées s’inscrivent dans le registre de la diffamation et de la médisance — tragique ou ludique. Or, rien n’indique que l’argumentaire déployé puisse réellement convaincre / persuader le monde de la cour. Peut-on réellement faire croire aux ministres que Nithard est luthérien et Valenzuela mahométan ? De même, les textes de dérision ne puisent pas leur efficacité dans l’élaboration d’un discours crédible. La réalité semble plus nuancée pour les thèmes du traître à la patrie et pour les accusations déduites de la nationalité allemande du confesseur.
27Et pourtant les libelles s’insèrent dans une entreprise globale de mobilisation. C’est pourquoi il convient de reformuler notre question initiale : en donnant un public aux guerres de plumes, mobilise-t-on des groupes autour d’une cause et sinon, en quoi importe-t-il de l’emporter sur le terrain de la polémique ? Peut-on penser qu’un sentiment d’adhésion partisane puisse émerger de la lecture des libelles sans que la conviction en la lettre des textes importe au premier chef ? La réponse est-elle identique pour les juanistes et pour leurs adversaires ?
28Les guerres de plumes ont généré un important public partagé entre les deux camps. Lors de ces crises, la régente et le noyau dur de ses partisans ne sont que secondairement visés par les libelles juanistes car on sait ces personnages inflexibles. Les alliés du prince s’adressent d’abord à un public large — ministres et courtisans en priorité — susceptible de faire pression sur les autorités ou capable de moduler l’orientation politique des Conseils depuis l’intérieur. Cependant, parce que l’ampleur des guerres de plumes révèle l’existence d’un large front contre Nithard puis contre Valenzuela, l’arme polémique tend malgré tout à destabiliser directement les partisans de la reine, en les obligeant à tenir compte des mécontents. Les guerres de plumes par leur existence même fragilisent et démobilisent les adversaires du prince ; être lecteur et a fortiori scripteur de libelles fait le jeu de don Juan. C’est pourquoi les nithardistes qui s’adressaient dans un premier temps en priorité à la reine et aux ministres pour les convaincre du bien-fondé de la présence du confesseur au gouvernement et de la nécessité d’éliminer don Juan, se trouvent contraints de s’adapter, c’est-à-dire de modifier leur cible en visant à leur tour un public plus large que celui initialement escompté en tentant de toucher les attentistes et les alliés du prince. Ils entendent s’engager pleinement dans la guerre de plumes pour battre le camp opposé sur son propre terrain et de mettre un terme à une joute verbale qui entrave leur action. Selon ce raisonnement, le tarissement de la production des libelles — ou le désintérêt à leur égard — signerait le triomphe des nithardistes dont l’action ne serait plus parasitée par des textes assassins. Consécutivement, plus le public des polémiques est substantiel, plus don Juan sort renforcé.
29Dans les guerres de plumes, la mobilisation passe donc par la constitution d’un public et il importe aux rivaux de l’emporter dans l’arène polémique. Les luttes de pouvoir se projettent sur une scène pamphlétaire où tous les coups sont permis, sans risque pour la vie des protagonistes, mais pas sans conséquences sur leur destin politique. Comment passe-t-on d’un public à des groupes partisans, d’un lecteur à un spectateur éventuellement invité à devenir acteur ? Il nous semble que la réponse diverge pour les juanistes et les nithardistes. Ces derniers espèrent convaincre ou persuader les lecteurs par la force de leurs arguments. Ils veulent démontrer que don Juan est un danger et qu’il faut l’éliminer de l’échiquier politique en glosant ses lettres ouvertes ou en rédigeant des textes juridiques, comme nous l’avons vu. Pour les juanistes, la mobilisation ne repose pas principalement sur l’adhésion en la lettre des textes émis. Les libelles ont plutôt pour effet d’entretenir et d’exacerber les rancoeurs et la haine qu’une partie des élites nourrit à l’encontre des validos, tout en faisant déferler sur eux une cascade de mépris. En même temps, la figure de l’ennemi public ainsi brandie désinhibe les prises de parti des juanistes qui bénéficient de la couverture de la défense du bien commun. Enfin, les guerres de plumes mettent en scène des validos conspués, ridicules et en position d’extrême faiblesse, sans que la reine et ses acolytes ne réussissent à renverser la tendance, ce qui conforte encore le sentiment d’impunité des juanistes et, surtout, amorce une « course à l’outil ludique » au sein d’un jeu diffamatoire où la prise de plume est délectable24. Sous les auspices de la défense du bien commun, cette dynamique jubilatoire, tantôt purement ludique, tantôt grinçante, apparaît essentielle dans la mobilisation des alliés du prince sans qu’il soit nécessaire de recourir au postulat d’une croyance dans le discours pamphlétaire mais sans que l’on puisse faire l’économie du truchement des textes. Les graves letrados qui soutiennent Nithard sont traînés dans la boue, leur argumentation ignorée, sous le sourire narquois de leurs rivaux. Les textes polémiques permettent de s’approprier des paroles de légitimation tout en donnant la possibilité de les créditer ou de les discréditer. Les juanistes s’acharnent ainsi à déshabiliter chacune des tentatives de légitimation des nithardistes grâce à l’arme pamphlétaire. Au royaume de l’anonymat et des masques, les justifications autoproclamées — que cautionne la revendication invérifiable d’une posture d’expert — visant à secréter de l’autorité sont balayées par le rire, les arguments de mauvaise foi et tous les procédés qui ridiculisent les nithardistes en les faisant choir du prétoire. Il semblerait donc que la guerre de plumes et son extension en guerre de paroles implique un glissement d’un jeu rhétorique vers des techniques et des usages mimant la guerre, d’un jeu dialogique à un jeu polémique. Or, jamais les toges n’ont fléchi Bellone : les nithardistes apparaissent condamnés dès le début à perdre la partie. La guerre de plumes est un champ de bataille au sens littéral, qui ne fait transposer fictivement le modèle de la dispute. Il n’est pas anodin que ce soit une fois la guerre de plumes remportée — victoire qui entraîne le blocage des institutions — que don Juan entreprend la marche militaire sur Madrid. L’épée et la plume fonctionnent alors de concert — chaque parti rassemble ses troupes —, dans une course à la légitimation qui aboutit à la semi-victoire du prince éloigné de la cour pour Saragosse.
30La situation est semblable lors de la campagne contre Valenzuela. Néanmoins, alors que le jésuite avait choisi les armes du discours d’autorité, (pseudo) dialogique, le Duende courtisan laisse l’arène vide et persiste dans la voie occulte de l’intrigue et des jeux d’influence ainsi que dans celle du divertissement curial par l’orchestration de fêtes et de jeux. Lorsque l’on part en campagne, le stratège militaire a le plus de chance de triompher sur le clerc et le courtisan.
II. — L’UTILISATION DES MÉCONTENTEMENTS COMME STRATÉGIE D’ENSEMBLE DES JUANISTES : L’EXEMPLE DE LA CAMPAGNE D’OPINION CONTRE NITHARD
31Si la lettre du texte n’est pas toujours essentielle pour mobiliser des partisans, les discours des libelles peuvent parfois y contribuer directement. Un grand nombre d’écrits juanistes reprennent à leur compte des mécontentements formulés par d’autres canaux, afin de signifier qu’en cas d’alliance, une victoire du prince servira les intérêts de ceux qui s’estiment lésés et opprimés, ou pour confirmer du bien fondé d’une alliance. L’instrumentalisation des revendications de divers groupes travaille donc sans ambiguité à leur mobilisation.
32Les pièges tendus par les textes polémiques sont nombreux car ils tendent à grossir la critique ou à modifier le contenu jusqu’à le dénaturer dans le but de tout ramener à l’« incurie » de Nithard par les procédés de l’amalgame et de l’ellipse. La prudence s’impose donc à l’heure de reconstituer le cheminement de la pratique juaniste de récupération des multiples revendications.
33La méthode permettant de se prémunir de ces risques est simple. Il suffit de confronter la masse des écrits polémiques à d’autres textes qui se font aussi l’écho des mécontentements ambiants, mais sans intention partisane. Il s’agit des consultes émises durant les mois qui précèdent le coup d’envoi de la campagne d’opinion de don Juan ou encore de certains écrits nithardistes qui exposent des critiques adressées au jésuite parce qu’elles ne peuvent être niées. Quant aux consultes, ces avis donnés au roi par l’un de ses Conseils sous la forme d’une synthèse écrite afin que celui-ci prenne une décision, elles expriment les revendications espagnoles dans une logique de négociation avec le pouvoir central. Enfin, la teneur des mécontentements apparaît plus nettement encore lorsqu’on retrace la continuité de certains thèmes dans les écrits arbitristes qui fleurissent à l’occasion de la création de la Junta de Alivios en mars 1669, hors de toute lutte partisane. Une fois les motifs de mécontentement individualisés, on peut analyser comment la propagande juaniste se les approprie.
Instrumentalisation de l’échec de la politique du gouvernement de Nithard : démagogie, stratégie du bouc-émissaire et « personnalisation » de la satire
34La consulte de Nithard du 25 octobre 1668 énumère l’ensemble des griefs portés contre la politique de la Régence et donne une idée fiable de l’ensemble des mécontentements que suscite la politique du jésuite25. Les critiques renvoient tantôt à des façons de gouverner, tantôt à des problèmes de compétence. Plusieurs revendications se détachent, l’éradication du clientélisme ainsi que le désir d’une meilleure distribution et d’un allègement des charges fiscales en Castille. Enfin, le règlement de la paix avec le Portugal, qui sanctionne l’amputation territoriale de la monarchie Habsbourg, a heurté les Espagnols car cette perte manifestait leur déchéance. Après la paix des Pyrénées de 1659 et la guerre de Dévolution, c’est un coup fatal porté à la gloire espagnole.
35Face à une telle conjoncture, don Juan et ses alliés élaborent une stratégie d’amalgame qui transforme le confesseur en bouc-émissaire. Dans toutes ses lettres ouvertes, le prince instrumentalise le mécontentement et conjure de renvoyer Nithard, présenté comme la cause de tous les maux. Ses partisans reprennent l’argument qui devient le véritable leitmotiv de la campagne d’opinion de 1668-1669. Les satires jouant avec les comédies martèlent à leur façon cette idée en proposant le raccourci le plus saisissant par une assimilation éclair entre les protagonistes et les titres des pièces. Elles posent ainsi l’alternative « Confesseur = perte de l’Espagne, don Juan José = restauration de l’Espagne26 ». Un double mouvement opère. D’une part, les juanistes s’abîment dans la déploration emphatique et dénoncent les malheurs du temps et de l’autre, ils appellent à l’élimination du jésuite qui annoncera, selon eux, un renouveau de la monarchie sous la houlette de don Juan. Après avoir discrédité son adversaire, l’habileté du prince consiste à se poser comme l’unique à pouvoir résoudre les difficultés.
36Les nithardistes, conscients du procédé, dénoncent en vain cette stratégie de récupération des mécontentements. Ils dévoilent le scandale de cette pratique en affirmant que don Juan se sert de Nithard comme d’un « bouc-émissaire de la nation […] contre lequel le peuple se tournera facilement27 ». La simplicité de l’argumentation décuple sa force de persuasion et se prête bien à un matraquage qui assaille l’adversaire. La mobilisation des publics repose sur le crédit et sur l’autorité accordée aux principaux acteurs-auteurs qui nourrissent en retour une croyance dans les arguments développés dans les textes polémiques. La stratégie du bouc-émissaire qui complète ici la pratique de l’injure et de la calomnie mine la crédibilité de Nithard en le délégitimant. Enfin, cette personnalisation des débats offre un moyen de concilier des partisans hétérogènes car les chefs d’inculpation pouvaient rester flous et imposer le consensus autour de grand thèmes comme la demande que le roi gouverne lui-même.
37Il faut réserver une place particulière au mécontentement soulevé par les impôts. D’abord par son ampleur, mais aussi parce que les moyens de récupération utilisés par le discours juaniste complexifient la tactique du bouc-émissaire. L’Espagne vit une situation économique difficile. Le poids des impôts est écrasant et les nécessités de la guerre condamnent toute perspective d’allègement des contributions. Les consultes de 1667, émises par le président de ce Conseil Lope de los Ríos, témoignent d’une course perpétuelle aux rentrées financières par la création de nouvelles charges ou par la fermeté de l’application des prélèvements rendue vaine par la pauvreté généralisée28. Les autorités ne pouvaient rester insensibles au désarroi général. Cependant, les tentatives pour éradiquer le marasme ont échoué. Nithard avait en vain essayé de ne pas imposer de nouvelles contributions29. Des résolutions sont adoptées pour réduire les dépenses des maisons royales et des Conseils30. Sous la houlette de Nithard, un projet de capitation par famille est soumis à l’étude de la Junta General de Medios, du Conseil de Castille et du Conseil des Finances. Cependant, il essuie un refus sévère. Il ne faudrait pas incriminer les seules pesanteurs administratives. Les égoïsmes individuels constituaient un réel frein. Quant à la conjoncture, elle apparaissait défavorable à toute embellie en raison de la guerre, mais aussi à cause d’une crise sévère du textile en Castille. Enfin, il semblait difficile d’augmenter les revenus sans recourir à d’autres tributs ni dépendre des hommes d’affaires qui, par leurs anticipations, percevaient de substantiels bénéfices.
38Comment les textes polémiques parviennent-ils à exploiter cette conjoncture pour le bénéfice de don Juan ? Le plus simple consiste à dénoncer le poids des impôts et la misère des sujets. Dans l’Armoire de don Babil, le scripteur dénonce l’intérêt des seigneurs et des autorités en place à la surimposition. L’auteur, on peut le certifier, adopte le point de vue d’un paysan venu à Madrid qui a pour rôle d’exprimer l’absurdité du système en vigueur ainsi que la dureté des conditions de vie des humbles. La dénonciation des impôts frappe par sa précision et dresse une véritable charge contre les pratiques du gouvernement de la Régence, à travers une longue tirade31. D’autres textes choisissent de proposer des mesures concrètes pour remédier à la situation. Le Vote de la vérité qui participe de la renommée insiste sur la nécessité d’une modération des charges et d’une meilleure répartition de l’impôt32. L’auteur s’attarde sur la souffrance des sujets en soulignant leur loyauté pour le roi. Dans le chapitre intitulé De la modération que doit observer le prince pour l’imposition des impôts, des calamités que cause leur excès à la république et de l’obligation qu’a Sa Majesté de les soulager, l’accent porte sur le devoir du roi de maintenir ses sujets : « De même qu’un prince sans impôts ne peut rester roi […], de même, en multipliant les charges arbitraires, de roi, il devient tyran33. » Le risque de tyrannie érige la baisse des impôts en clef de voûte de la stabilité de la monarchie, d’autant que chacune des parties, le roi et ses sujets, trouve son compte dans un système d’imposition tempéré. Trop d’impôts entraînent la désobéissance. L’auteur va jusqu’à soutenir qu’il vaut mieux soulager le peuple que payer les asentistas car le mal sera moindre34. De tels propos résonnent en écho au manifeste de Torrejón de Ardoz du 1er mars 1669.
Le mécontentement face aux pratiques institutionnelles du gouvernement : diabolisation du valido, promesse de réformes et occultation des enjeux de pouvoir
39La politique du gouvernement n’est pas la seule à soulever les mécontentements. Les pratiques institutionnelles de la Régence essuient également des critiques. Sous Nithard, c’est autour du problème de la pratique judiciaire que les tensions se cristallisent, en marge de l’affaire Patiño. La consulte du Conseil de Castille du 29 octobre 1668 demande le respect des procédures et rappelle les règles élémentaires d’une juridiction digne de ce nom. Il faut d’abord :
Écouter les prisonniers et leur donner le temps de préparer leur défense ; et ce même s’ils sont absents, car la coutume est de les appeler par voie d’édits ; et enfin, poser des degrés dans le crime, déclarer sa peine et l’exécuter35.
40Dans la monarchie espagnole, le souverain est avant tout un roi-juge : la fonction principale de celui qu’on présente souvent comme le premier magistrat consiste à faire appliquer la loi et triompher la justice dans son royaume en résolvant les conflits d’intérêts entre les différents corps qui composent la communauté. Certes, la figure d’un souverain rendant justice aux yeux de tous n’est plus qu’un mythe dans l’Espagne de Charles II, passée au règne de l’écrit dans le mode de gouvernement. Néanmoins, cette figure, qui perdure dans les imaginaires, nous signale le partage du pouvoir entre les deux composantes de la communauté politique, le souverain et les ordres, corps ou états, définis par un pouvoir de juridiction propre et un ensemble de droits et de privilèges constitutifs de leurs statuts. Malgré l’importance accrue du droit émanant de la seule volonté du souverain qu’expriment les pragmatiques royales, Cortes et Conseils illustrent un mode de gouvernement judiciaire et non pas administratif ou exécutif, en se montrant toujours soucieux de défendre les intérêts des royaumes, ceux des individus et des corporations qu’ils représentent36. Cortes et procédures d’appel du système judiciaire, centralisées en grande majorité par les Conseils de Castille et d’Aragon, placent au cœur du système les doléances et requêtes des sujets, indexant au judiciaire le lien politique unissant le roi et ses sujets ainsi que les sujets entre eux. Dans cette perspective, les lois apparaissent comme la pérennisation d’une décision du roi ayant fait triompher le juste. Cet arrière-plan idéologique explique les enjeux qui planent autour de la dénonciation d’une justice d’exception dévoyée. La propagande juaniste ne se lasse pas de recourir à cet argument car c’est la plus grave accusation qu’on puisse porter :
Tout le monde sait, Madame, que Mallada a péri non par les lois du droit mais par les doctrines d’Éverhard ; non par les votes des ministres mais par sa fureur. […] Les rois d’Espagne décident de leur propre chef des grâces […] mais certainement pas des peines, des condamnations et des supplices, cela ne s’est jamais vu37.
41Selon le scripteur, cette sombre affaire entache l’Église et rend la reine digne de Néron pour avoir bafoué le jurisconsulte érigé en pilier de la monarchie. Il est aisé d’y déchiffrer les prémisses d’un régime tyrannique : « la justice est discréditée parce que méprisée ; le triomphe des vices, voici ce qui entraîne la monarchie expirante à son point fatal38 ».
42En réalité, la levée de boucliers ne résulte pas tant du scandale provoqué par le manquement à une procédure judiciaire que d’un déséquilibre de la répartition des pouvoirs qui lèse une fraction du personnel politique. Le système bancal de la Régence, doté d’attributions floues, se trouve dénaturé par la nomination de Nithard en tant qu’Inquisiteur Général, ce qui l’introduit de fait dans la Junte de gouvernement et rétablit sans l’avouer le valimiento que visait précisément à éradiquer le testament. Avoir exécuté Mallada sans avertir les Conseils pouvait constituer un préalable pour se passer de leur contribution. Dans cette configuration, le manque d’autorité de la reine sous l’emprise de son confesseur soulève la question du bien-fondé de la Junte de gouvernement qui accroît la pesanteur du système décisionnel et accentue le déséquilibre des pouvoirs dont Nithard tire tous les bénéfices. Ce dernier est présenté comme le maître de cette monarchie, profitant de la bigoterie de Mariana.
43Il convient donc d’interpréter les prises de parti des Conseils de Castille et d’État en faveur de don Juan, au début de la querelle, comme une tentative de rééquilibrer les pouvoirs au détriment du jésuite et de la Junte. Après avoir critiqué Nithard, le Texte donné à la reine règle ses comptes avec les sept membres de la Junte39. Le comte de Castrillo est un ambitieux, Aytona brille par sa stupidité et Peñaranda tombe dans le grotesque à force de vanité. Le cumul de charges de Nithard démontrerait son insatiable ambition. Par la suite, les Conseils se clivent entre juanistes, nithardistes et partisans de la régente ne voyant pas d’un mauvais œil un renvoi du valido. En fait, tous ceux qui se sont heurtés à Nithard, notamment à l’occasion de conflits juridictionnels, veulent en découdre. Les mécontents, écartés des fonctions qu’ils s’estimaient dignes de recevoir, saisissent l’opportunité et visent, plus qu’un rééquilibrage des pouvoirs qui ne constitue qu’un préalable, un renouvellement du personnel politique. En effet, la présence d’un Nithard isolé grippe le système traditionnel de fontaine d’honneurs qui voulait que le valido se constitue et entretienne une clientèle. Dans ce cas, c’est l’ensemble des institutions que les auteurs condamnent, sans que la Junte n’occupe de place particulière.
44Ne pouvant pas expliciter ces enjeux, les textes juanistes se déploient selon trois axes : la dénonciation de la tyrannie du valido, la déploration de la décadence qui frappe la monarchie et les propositions de réformes pour y remédier. Il s’agit, tout en visant l’élaboration d’un nouvel équilibre des pouvoirs, de présenter l’apparence du désintéressement. Ces trois thèmes abondamment développés apparaissent fréquemment, déroulant une litanie tantôt amère, tantôt agressive, au raisonnement simpliste.
L’agression des fueros et la question des villes comme acteurs politiques
45Dans cette analyse des mécontentements provoqués par la politique de la Régence, il faut réserver une place particulière à la question des fueros qui renvoie à celle des villes comme acteurs politiques. Avec l’arrivée de Nithard aux affaires, les agressions contre les fueros se multiplient. Des frictions se produisent dès la procédure de naturalisation du jésuite. L’obtention de la naturalisation, condition pour que Nithard puisse devenir Inquisiteur Général et appartenir à la Junte, résultait d’un long cheminement. Une lettre émanant du secrétariat de la Chambre du Conseil de Castille requérait l’avis des villes ayant vote aux Cortes, seules à même de conférer la nationalité espagnole. Or, le 9 août 1666, la décision avait été prise d’octroyer la naturalisation avec le seul accord de Mariana, de Castrillo et du Conseil d’État sans l’aval des villes40. Celles-ci ont donc rechigné. Si Burgos, Cuenca, Séville, Tolède, Jaén, Valladolid votent pour, le 18 septembre, Grenade, Cordoue et Ávila affichent leur refus. Le décret de naturalisation est cependant promulgué le 22 septembre 1666. En réalité, ceci montrait combien les intérêts de la Couronne étaient mal défendus au sein des municipalités et combien il fallait gagner in situ l’approbation des élites locales, dont la collaboration était indispensable à la stabilité de la monarchie. La régente réagit en mettant en place une politique contradictoire de concessions et d’intimidation. Le raidissement de la Couronne se traduit notamment par l’irrespect des lois constitutionnelles au regard des nominations au sein des instances représentatives des villes et des royaumes. Dans le cadre de la campagne épistolaire de 1668, la séquence qu’ouvre la publication des lettres de Torre de Lledó en fournit une illustration.
46Craignant un ralliement massif derrière le « fugitif » des entités politiques sollicitées par les lettres que rédige don Juan du 13 au et 17 novembre 1668, Mariana et son valido destituent de façon arbitraire nombre de notables pour installer des hommes sûrs. Ainsi, à la nouvelle de la fuite de Consuegra, Nithard renvoie sans préavis le vice-roi d’Aragon, don Hector Pignatelli y Pignatelli, duc de Terranova, parce qu’il était très lié à don Juan. Pour le remplacer, il nomme le comte d’Aranda par une mesure antiforale41. Ces entorses ne garantissent pas l’autorité des alliés du confesseur puisque seules des manœuvres d’intimidation viennent finalement à bout de certaines réticences. Le cas de Burgos donne une bonne idée des manœuvres de chantage et d’inféodation de Mariana à l’encontre des villes.
47N’ayant reçu aucune réponse de Burgos en réaction à la lettre de Torre de Lledó et certainement désappointée que la ville ne lui ait pas manifesté sa loyauté en désapprouvant publiquement la campagne épistolaire du prince, la régente prend la plume le 15 décembre 166842. Sous prétexte de s’enquérir de l’éventuelle perte de la lettre de Torre de Lledó, qui ne serait pas parvenue à la « fidèle » Burgos à cause des aléas du courrier, elle exerce une pression pour faire rentrer la ville dans le rang. Le président de Castille, sommé par la reine de rédiger cette lettre, rappelle à la municipalité de Burgos la réaction exemplaire des autres villes de Castille qui auraient toutes renvoyé à la cour les lettres de Torre de Lledó sans les avoir décachetées, ayant reconnu en don Juan leur expéditeur. Mêlant flatterie et menace, l’épistolier ajoute que la fidélité de Burgos ne manquera pas de se manifester à cette occasion pour honorer la régente et Charles II43.
48La manœuvre persuade Burgos de s’aligner, au grand contentement de la reine qui exploite alors la situation pour affermir son avantage. La célérité avec laquelle Burgos répond à Mariana témoignant de l’efficacité de son chantage, elle hausse d’un degré ses exigences44. Après avoir félicité la ville, elle lui ordonne, comme gage de loyauté, d’écrire à don Juan pour lui signifier qu’à peine sa signature reconnue, Burgos se serait empressée de renvoyer à Mariana la missive sans l’ouvrir. Si Burgos, piégée, finit par céder pour ne pas entrer en contradiction avec elle-même, la longueur du délai avec laquelle elle prend la plume pour s’adresser à don Juan suggère combien les débats ont été ardus au sein du Conseil municipal. Ce n’est que le 15 janvier — un mois plus tard — que la ville rédige sa réponse au prince45. Les représentants de Burgos s’expriment en termes ambigus pour ne pas manifester un soutien trop franc à la reine. Après avoir déclaré qu’à peine avoir reconnu sa signature au bas des lettres de Torre de Lledó, ils avaient décidé d’envoyer ces missives à la reine (mensonge patenté), les représentants poursuivent avec une formule ambivalente. Ils se contentent d’affirmer qu’« [ils] croient en la miséricorde de Notre Seigneur et en la catholicité de Sa Majesté pour que s’accomplisse ce qui convient le mieux à son service46 ». Le texte se conclut sur un salut cordial à don Juan « Dieu garde Votre Altesse dans la joie, comme nous le désirons47 ».
49À rebours, don Juan valorise le statut d’interlocuteur politique des villes pourvues de lois à respecter et érigées en piliers du système monarchique. Dans les lettres de Torre de Lledó, le prince leur écrit dans une démarche plébiscitaire en les interpellant individuellement comme « membre si noble et principal de cette monarchie et comme tel, à qui il incombe de considérer avec une grande douleur son état lamentable et les risques qu’elle court48 ». Ces lettres reprennent mot pour mot sur ce point celles de Pondonzón datées du 26 octobre et celles de Flix datées du 3 novembre, où don Juan s’adressait aux villes et aux royaumes d’Aragon49. Un tel souci de prendre en considération les villes, de valoriser leurs particularismes constitue donc une donnée récurrente de l’action du prince. La marche sur Madrid corrobore l’hypothèse. Chacune des étapes de l’itinéraire du prince pouvait être envisagée comme une « entrée royale » où tant la ville que le souverain (don Juan) étaient célébrés. Don Juan s’ingénie à manifester son intime connaissance et son respect des particularismes locaux, notamment aragonais. Par ailleurs, certains libelles dépeignent les villes une comme entité incontournable des échanges politiques, avec lequel la reine doit dialoguer sous peine de sombrer dans la tyrannie. Dans le Mémoire de l’Andalousie, les villes prennent tour à tour la parole pour adresser leurs griefs à Mariana et finalement lui demander d’appeler don Juan à la cour50.
50La revendication des villes comme acteurs politiques à part entière renvoie à la question des Cortes puisque, dans ce cadre, les villes pouvaient défendre, devant le souverain, leurs propres intérêts, ceux des royaumes et ceux de toutes les corporations qu’elles représentaient, en échange du versement de sommes conséquentes allouées au nom d’impératifs de bien commun : la conduite de la guerre notamment. Or, Philippe IV les avait de moins en moins convoquées non seulement en raison du coût élevé de leur réunion, mais aussi parce que les villes ne courbaient pas l’échine aisément et imposaient de rudes contreparties à leur aide pour renflouer les caisses du royaume. La procédure n’avait rien d’illégal. La prorogation d’impôts déjà en vigueur ne nécessitait pas de recueillir l’aval des villes réunies en Cortes, comme c’était le cas pour la demande de nouveaux impôts. Pour la reconduction des contributions financières, la négociation directe entre les villes et le souverain instituant un système de discussions bilatérales suffisait. Mais en 1665, alors que l’avènement d’un nouveau roi imposait leur réunion, Mariana gagne du temps et laisse l’affaire en suspens. À l’argument du coût et à la peur de l’indocilité des villes, s’ajoutait la conscience des dangers que leur réunion faisait planer sur le système de régence encore affaibli par la présence encombrante de don Juan. En effet, ce dernier avait tout intérêt à ce que les Cortes soient réunies. En cas de minorité, elles pouvaient revendiquer une participation active au gouvernement, comme du temps du roi Enrique en 139151. Dans ces conditions, la valorisation des particularismes et la mise en avant des villes comme interlocuteurs de premier plan, auxquelles le prince procède à travers sa campagne épistolaire, pouvaient faire office de « cheval de Troie » pour le gouvernement.
51Pourtant, les libelles de cette période évoquent rarement le thème des Cortes. Un regard attentif apprend même que les quelques écrits insistant sur les bienfaits de leur réunion sont en réalité antijuanistes ou neutres. Les études historiographiques qui ont trop fermement arrimé la question des villes à celle des Cortes et qui ont conféré trop d’ampleur à l’éventuelle instrumentalisation par don Juan de la question des Cortes en 1668-1669 dans leur explication de la campagne d’opinion contre Nithard parviennent mal à expliquer ce paradoxe52. Les erreurs d’interprétation viennent, d’une part, de ce qu’on a amalgamé les Cortes de Castille et celles d’Aragon, en dépit de profils différents et, de l’autre, de ce qu’on a mêlé des textes de 1669 à des textes de 1676, télescopant ainsi des configurations textuelles et politiques hétérogènes.
52Le premier volet de notre critique consiste à interroger la représentativité des Cortes et leur capacité à défendre les intérêts des villes, c’est-à-dire à constituer le support adéquat à l’exercice d’un rôle politique réel. Si dans la Régence les Cortes d’Aragon forment toujours un cadre où les municipalités peuvent négocier certains privilèges auprès du souverain, les Cortes de Castille ont de moins en moins clairement défendu les intérêts des villes en raison des modalités de recrutement des procuradores — les représentants des municipalités. La généralisation de pratiques comme la renonciation et la vente des procuraciones, la possibilité d’être exempté de la condition de résidence et les diverses manœuvres du monarque en témoignent. En 1632, les procuradores jouissent non plus de pouvoirs consultatifs mais de pleins pouvoirs au grand dam des villes qui perdaient tout contrôle sur des représentants sélectionnés de plus en plus souvent hors de la municipalité. La prétention des villes castillanes à détenir un rôle politique de premier plan dans la monarchie se dissocie donc de la réunion des Cortes. D’autant que les villes tiraient de nombreux avantages du processus de déconcentration décisionnelle. Ainsi, le système de prorogation des contributions mis en place évacuait les procuradores au profit des comisarios, choisis, eux, au sein des regidores, les échevins. Selon Irving A.A. Thompson, la fin des Cortes de Castille signe ainsi la victoire des villes sur les Cortes et des comisarios sur les procuradores qui accompagne une décentralisation des fonctions de la monarchie53. Ces données expliquent l’absence d’un mouvement d’opinion proprement castillan en faveur des Cortes.
53Comment donc appréhender ces quelques textes polémiques de 1669 rédigés par des auteurs castillans qui concernent d’abord la Castille même si les autres royaumes ne sont pas exclus de la réflexion et qui demandent la réunion de Cortes ou qui mettent en scène les villes comme acteurs politiques ? Le contexte que nous avons restitué rend au moins compte de la rareté de ces textes. Pourquoi des ennemis du prince s’en sont faits les chantres ? En réalité, ces textes ne sont pas le fait d’acteurs impliqués dans le fonctionnement interne des Cortes et privilégiant les enjeux locaux, mais des auteurs qui, forts de leur position de surplomb, se veulent les médecins de la monarchie. Alors que don Juan a bien entamé sa marche sur la capitale, un nithardiste affirme que le rétablissement des Cortes permettra le retour à la paix54. La nécessité des Cortes se résume donc en deux points. D’abord, la question financière. Dans le système de prorogation des contributions, la Couronne doit négocier un accord séparément avec chaque municipalité. La lourdeur de la démarche et la prédominance d’enjeux locaux interdisent d’orchestrer une politique fiscale active. Or, non seulement les besoins d’argent criants nécessitent de nouveaux impôts, mais une réorganisation du système financier s’impose. Deuxièmement, en ces temps de crise, la décision concertée avec les Cortes de certaines mesures, indispensables mais impopulaires, pour sortir la monarchie du marasme présente l’avantage d’impliquer les sujets dans les délibérations. Selon notre auteur, la participation active d’une instance représentative à la résolution de la crise fera prendre conscience aux sujets des difficultés auxquelles se heurte la Junte de gouvernement et empêchera l’instrumentalisation démagogique des mécontentements. En filigrane, se dessine la nostalgie d’une monarchie fondée sur un souverain-juge qui tranche en dernier ressort après avoir pris conseil. Certains auteurs vont jusqu’à réclamer une modification institutionnelle afin d’introduire de façon permanente un organe semblable à un parlement avec lequel le souverain serait en dialogue. Début 1669, le père Clément propose à la régente de constituer une assemblée de trois cent vingt hommes de tous les états afin d’y trouver une aide55.
54Nous avons souligné la spécificité des Cortes d’Aragon. Il n’est pas étonnant que des ressortissants aragonais aient fait des démarches en 1666-1667 pour qu’elles se tiennent56. Or, lors de la campagne contre Nithard, les libelles n’exploitent pas cette question. En revanche, la politique épistolaire de don Juan lance en ce sens un appel aux villes aragonaises. La lettre qu’il envoie à la Députation d’Aragon joue un rôle essentiel dans la mesure où cet organe incarne la défense des lois constitutionnelles. À l’origine commission permanente des Cortes pendant l’intervalle de leurs réunions successives, elle est devenue la seule institution permanente à s’occuper du royaume, en raison de la tombée en désuétude des Cortes. Chargée de l’administration des revenus de l’Aragon, elle contrôlait aussi les finances publiques du royaume, ce qui constituait un moyen de pression dans l’éventualité d’un bras de fer foral. Par ailleurs, don Juan pouvait arguer de la politique d’apaisement qu’il avait menée en tant que vice-roi de Catalogne. Il avait réussi à réintégrer le Principat au sein de la monarchie, tout en se montrant soucieux du respect des lois constitutionnelles du royaume, mettant un terme en 1652 à la période de sécession ouverte en 1640. On comprend mieux l’accueil favorable que la Catalogne lui réserve en novembre 1668 et les mouvements de foule qu’il déchaîne à Saragosse lors de sa marche sur Madrid.
55Comment expliquer mode mineur sur lequel la question des Cortes d’Aragon apparaît lors de la campagne contre Nithard ? L’argument de l’obligation du roi à prêter serment fournit une réponse à ce second volet de notre critique. Irving A. A. Thompson a montré qu’en 1665 la question n’était guère pertinente pour la Castille57. La pratique médiévale qui voulait que les Cortes jurent obéissance au nouveau roi n’était plus de mise depuis Philippe II. Relevant davantage de la coutume, elle avait perdu son caractère d’obligation. De surcroît, le serment du roi promettant de respecter les constitutions des royaumes n’était pas adressé aux Cortes mais aux villes réunies en Cortes. En revanche, en Aragon, l’obligation pour le roi de venir jurer le respect des fueros était intacte. Cependant, la procédure ne recouvrait de sens que pour un souverain ayant atteint sa majorité. C’est ce qu’avance Mariana afin de désamorcer les revendications aragonaises justifiant la tenue de Cortes, jusqu’à la fin de l’année 167558. On voit mal quel intérêt les libelles auraient eu à agiter une requête contre laquelle la parade juridique était toute trouvée. Mais la majorité de Charles, en novembre 1675, soulève avec une nouvelle acuité le problème, en fournissant un point d’ancrage pour exiger leur convocation. Si les villes de Castille, pour les raisons structurelles évoquées, n’ont pas recours à cette thématique, celles d’Aragon en font un point central de leurs négociations. Mais encore une fois, le thème n’apparaît qu’en pointillé dans nos campagnes d’opinion. La raison tient à ce que les Aragonais ne misent pas sur les pouvoirs de la publicité pour se faire entendre. Ces derniers préfèrent les tractations secrètes et les délégations officielles à la cour à l’arme polémique. Par ailleurs, l’imbrication de ce mouvement avec la cause juaniste ne saurait être pensée sur le mode de la simple instrumentalisation de la part du prince et n’a donc pas sa place dans notre présent développement.
56Ainsi, en 1669, si la question des Cortes demeure un enjeu primordial du conflit, il est géographiquement limité et virtuel, le vrai enjeu étant l’action politique individuelle des villes et leur autonomie et la répartition institutionnelle des pouvoirs au sein de la Régence. Cette prétention des villes à détenir un rôle politique, dont le bâtard a joué à travers sa campagne épistolaire, s’est déclinée différemment selon les royaumes de sorte que la réunion des Cortes ne recouvre de signification que pour la Couronne d’Aragon.
57À l’échelle des textes polémiques, les stratégies de mobilisation ont été nombreuses et complémentaires. Les figures du traître, de l’étranger et de l’hérétique ont transformé l’adversaire en ennemi public à abattre. Les rivalités politiques ne pouvant s’exprimer telles quelles, les acteurs devaient assimiler leur cause à la défense du bien commun pour contraindre le roi, mué en arbitre suprême et en défenseur de la quiétude publique, à se prononcer pour l’un des partis. Les pratiques de diffamation ont également servi à décrédibiliser un adversaire devenu objet de sarcasme ou de répulsion. Pour renforcer les invectives diffamatoires, les publicistes ont enrichi leur propos de preuves visant à démontrer l’infaillibilité de leurs accusations. L’administration de la preuve se traduit alors par l’élaboration d’un discours ne révélant pas tant des faits que le sens réel d’épisodes connus, mais dont on aurait livré jusque-là une interprétation erronée. L’autre voie consiste à mettre en scène le désintéressement des scripteurs qui affirment n’être animés que par la quête du vrai. Enfin, l’instrumentalisation des mécontentements a été décisive pour les juanistes qui, seuls, pouvaient tirer avantage de la crise.
58On comprend dès lors que la notion de bien commun, sans cesse maniée, demeure floue et ductile. L’argumentaire des guerres de plumes de don Juan ne se démarque par aucune originalité, les acteurs puisant pragmatiquement dans un vivier discursif déjà bien défini par de nombreux précédents. En effet, presque chaque crise politique s’est accompagnée de textes polémiques ou séditieux, de manifestes et de revendications en tout genre, des comunidades de Castille, à l’affaire Pérez, en passant par les révoltes portugaise et catalane de 1640. C’est dans l’agencement des paramètres qui se trouvent associés à ce concept cardinal de bien commun que l’on peut déterminer la spécificité du contenu que les juanistes lui octroient. Ainsi, on retrouve tous les griefs possibles, sans qu’aucun ne tienne le premier rang car leur invocation est d’abord pragmatique. On a vu par exemple le rôle en demi-teinte joué par la question de l’agression des fueros dans les guerres de plumes. On s’écarte beaucoup du cas de figure de l’affaire Antonio Pérez où elle est centrale ou encore de celui de la sécession de la Catalogne en 1640. Cette dernière révolte a nourri une floraison de libelles tantôt défendant la loyauté des insurgés et leur juste colère, tantôt justifiant l’autoritarisme royal et la nécessité d’imposer à l’ensemble de la monarchie une répartition homogène des contributions en armes, en hommes et en argent. En arrière-plan, la plupart des écrits renvoient au problème des fueros. Même dans la guerre de plumes contre Valenzuela où la solidité de la clientèle aragonaise de don Juan tient à ce qu’il est pensé comme le défenseur des lois consitutionnelles et des intérêts de l’Aragon, cette question n’est pas le catalyseur de la lutte et elle n’occupe que peu de place dans les libelles, les élites de ce royaume préférant la négociation directe avec le pouvoir central, avec ou sans don Juan pour intermédiaire. De même, la question religieuse — ici sous la forme du valido hérétique — est de moindre intensité comparativement à la place qu’elle occupe dans les textes de la révolte des Pays-Bas. On pourrait décliner le procédé à l’infini.
59Ce dernier constat nous invite à conclure à l’impossibilité de percevoir ce que serait une « opinion publique » à travers la masse des libelles. Les mécanismes de la « fabrique de l’ennemi » que nous avons tentés de révéler et notre analyse de l’instrumentalisation des mécontentements par les partisans du prince ont souligné l’opacité des libelles. Toutes les revendications ne délivrent qu’un sens apparent qui occulte d’autres enjeux. Les libelles n’expriment que rarement « l’opinion » de leur auteur et ne cherchent pas nécessairement à convaincre ou persuader leurs lecteurs/auditeurs. La mobilisation ne passe pas toujours par l’adhésion en un discours et les guerres de plumes ne diffusent pas des textes d’opinion. Les hommes de plumes ne croient pas un instant que Nithard est un hérétique ou don Juan un ambitieux qui ne serait pas le fils de Philippe IV. Les demandes de réformes et la dénonciation des travers du système judiciaire ne visent qu’à une nouvelle répartition des pouvoirs. La publicité devient un moyen de dissimulation pour défendre des intérêts qui ne se formulent pas ouvertement, en ouvrant simultanément un espace de mobilisation et un espace de négociation. Un régime de la persuasion émerge au sein d’un espace de publicité jusque-là dévolu à la prescription. Nous avons opposé les nithardistes, partisans d’un régime d’autorité de la vérité aux juanistes, jouant avec les apparences pour convaincre. Or, tout en maintenant fermement leurs principes, les alliés du jésuite succombent parfois à cet attrait de l’arme de la persuasion. La fabrication de l’ennemi telle qu’ils la mettent en œuvre en offre un exemple. Bien que les textes polémiques exposent des données qui jusque-là restaient cachées hors de la sphère de publicité, la nature même de ces textes altère leur signification. « L’opinion publique » ne trouve aucun vecteur où s’exprimer dans l’Espagne d’Ancien Régime et ce n’est pas du côté des satires que l’on en trouvera la trace.
Notes de bas de page
1 L’expression est de Jean-François Dubost (J.-F. Dubost, « Enjeux identitaires et politiques », p. 91).
2 « Como si el perder España fuera su ganancia » (Papel en que se refieren […] los perjudiciales efectos y daños que resultaron de la desobediencia del Señor don Juan excusandose del viaje de Flandes, BNE, ms. 8345, fo 181ro).
3 « Todos creen que aqui apoyaran a Su Alteza, y le ayudaran debajo de mano procuraran fomentar ese fuego en retorne (dicen) de lo que España fomento las guerras civiles de Francia » (BNE, ms. 8349, fo 9ro).
4 Copia de papel de cierta persona religiosa que se precia mucho de político y estadista, indiferente y desapasionado : en que se trata de los yerros politicos de Don Juan de Austria ; y de los del Confesor de la Reyna Nuestra Señora (BNE, ms. 8347, fos 134vo-145ro).
5 Representacion a la reyna madre de Carlos II regenta y gobernadora del reyno en su menor edad (BNE, ms. 18.208, fos 26ro-31vo).
6 El Desembozado (BL, Eg. 327, fos 122ro-143vo).
7 « Violadas las leyes Patrias […] y la ultima voluntad del rey nuestro señor, que santa gloria haya, nos ha puesto Vuestra Magestad un estrangero que nos mande con sumo abuso de la Regia Dignidad » (BNE, ms. 18.208, fo 26ro).
8 « El dictamen diabolico de su Confesor Zismatico » (Esdrujulos al rey sobre el Gobierno, BNE, ms. 2582, fo 146ro).
9 H. Méchoulan, Le sang de l’autre, p. 207.
10 BNE, ms. 8180, fos 185ro-230vo.
11 H. Méchoulan, « Rivadaneira et Mariana, deux jésuites espagnols », p. 10.
12 B. Bennassar, L’homme espagnol, p. 168.
13 Voto de la verdad que participe al orbe el clarin de la fama (RAH, 9/643, fos 217ro-274ro).
14 « Si algun pintor borra una tabla en que estavan pintadas las hazañas del gran Alexandro, los trofeos de Cessar […] y pinta en ella lo diforme de un monstruo, no es ya la misma aquella tabla aunque sea una la materia porque con la mudanza de las pinturas, se alteró la forma que la denominava y con introduccion grosera de la segunda, murió el lustroso nombre de la primera. Assi pues, si en el proceder de vuestro Hermano, cuyos hechos han sido […] dibuxo famoso de las hazañas, triunfos y trofeos de Alejandro, Cesar y Pompeo, borra y desluze un maldiciente atrevido, estos gloriosos resplendores, y con lo exorbitante de la calumnia, introduce abominables vozes en su pundonor, quitandole la reputación le mata, destruye y aniquila » (ibid., fos 221vo-222ro).
15 J.-P. Dedieu, « L’apparition du concept de noblesse », pp. 11-12.
16 Ibid., p. 25.
17 Ibid., p. 26.
18 El Retraído (BNE, ms. 2034, fos 290vo-311ro).
19 « Borrar de las imaginaziones del comun, el nuevo concepto de que hara protector de los Reynos » (ibid., fo 291vo).
20 Sátira del año 1676, cité dans G. Maura y Gamazo, Carlos II y su Corte, t. II, p. 512.
21 « Discurrado atenta/La atención curiosa, /Y luego descifre/Qué es la cosicosa » (ibid.).
22 « De un cuerno torcido/Hace cera blanda, /Y forma virreyes/del palo del haya ; […]. Hace presidentes /Y en ellos se caga » (ibid.).
23 « Este es aquel Duende/Aquel que en la mascara/Presidio insolente/[…]/Cerca de Granada, / Dejando a Venecia/Y a Madrid con saña, /Que aunque lejos vive/Muy cerca nos manda/Porque la matrona/Le quiere con rabia/El rey niño juega, /[…]/Don Juan se esta quieto Y España se acaba » (ibid.).
24 L’expression revient à Denis Crouzet que je remercie pour m’avoir soufflé l’idée.
25 A. Valladares de Sotomayor, Semanario erudito, p. 71.
26 « Confesor = perdicion de España, don Juan José = restauracion de España », Desbelo de Juan Rana en acomodar en titulos de comedias a los sujetos que representan oy en España, BL, Eg 567, fo 105ro.
27 « Cascabel de nacion […] a quien saltará facilmente el Pueblo », Papel en que un cortesano afea lo arrojado, y temerario de la carta del Señor Don juan y descubre sus ocultos designios (BNE, ms. 8346, fo 69ro).
28 La consulte du 30 septembre 1667 propose un nouvel impôt frappant les marchandises étrangères qui entrent à la cour (BNE, ms. 1322, fo 16vo).
29 Mémoire du 25 octobre 1668 (BNE, ms. 8346, fos 52vo-53ro).
30 Ibid., fo 54ro.
31 Carlos II. Menor edad (BNE, ms. 18.201, fo 19vo).
32 Amador de la Paz, Voto de la verdad que participe al orbe el clarin de la fama (RAH, 9/643, fos 217ro-274ro).
33 « De la propia suerte que el príncipe sin tributos no puede conservarse rey, […], assi mismo multiplicando cargas sin causa, de rey se hace tirano » (La templanza que debe observar el príncipe en la imposición de los tributos, calamidades que se siguen a la República de su excesso y obligación que tiene la Magestad de aliviarlo, ibid., fo 266vo).
34 Ibid., fo 267vo.
35 « Oir al reo y darle tiempo para sus defensas ; y esto aunque este ausente, pues suele llamarle por edictos ; y ultimadamente graduar el crimen, declarar su pena y executarla » (A. Valladares de Sotomayor, Semanario erudito, p. 35).
36 On trouve trois types de droit en Espagne, le droit royal, le droit coutumier regroupant les coutumes et les fors locaux, et le droit commun ou droit romano-canonique.
37 « Todos, señora, que perecio Mallada, no por las leyes del Derecho sino por las doctrinas de Eberardo ; no por votos de mynistros sino por furores, por adulacion, y por recatos suyos […] Los reyes de España no decretan por su pluma sino mercedes […] pero rigores, condenaciones, suplicios, jamas se han visto » (BL, Eg. 327, fo 184ro).
38 « La justicia desacreditada por despreciada ; los vicios dominantes, esto es lo que tiene a punto fatal de espirar esta Monarchia » (Copia del papel de cierta persona religiosa que se precia mucho de politico y estadista, indiferente y desapasionado : en que se trata de los yerros politicos del Señor don Juan de Austria y de los del Padre Confesor de la Reyna Nuestra Señora, BNE, ms. 8347, fo 142ro).
39 Papel que se dio a la reina, cité dans G. Maura y Gamazo, Carlos II y su Corte, t. I, p. 593.
40 BNE, ms. 8344, fos 159ro-159vo.
41 G. Maura y Gamazo, Carlos II y su Corte, t. I, pp. 377-378.
42 Copia de la carta que de orden de la Reyna Nuestra Señora, escribio el presidente de Castilla a la ciudad de Burgos en 15 de deciembre de 1668 (BNE, ms. 8348, fos 78ro-78vo).
43 Ibid.
44 Burgos avait reçu la lettre de don Juan le 15 décembre et celle de Mariana le 20 décembre.
45 Copia de la carta que la inclita Ciudad de Burgos dio a la carta circular del Señor don Juan. A 15 de enero de 1669 (BNE, ms. 8348, fo 80ro).
46 « Esperamos en la misericordia de Nuestro Señor, y en la christianidad de Su Magestad, ha de disponer lo que sea mas de su servicio » (ibid.).
47 « Dios guarde a V.A. en toda felicidad, como deseamos » (ibid.).
48 « Miembro tan noble, y principal de esta Monarquía, y como quien, es preciso mire con gran dolor el lamentable estado, y riesgo en que se halla » (A. Valladares de Sotomayor, Semanario erudito, p. 103).
49 Respectivement, BNE, ms. 8348, fos 2vo et 6ro-6vo.
50 Memorial de Andalucia (BNE, VE, 126-19).
51 I. A. A. Thompson, « The End of the Cortes of Castile », p. 127.
52 J. Sánchez Belén, « La política interior del reinado de Carlos II ».
53 I. A. A. Thompson, « The end of the Cortes of Castile », p. 132.
54 BNE, ms. 8349, fo 250ro.
55 Avisos verdaderos en orden al bien comun (BNE, ms. 8353, fo 196ro).
56 A. G. von Kalnein, Juan José de Austria, p. 55 ; AHN, Consejos, leg. 4440, no 10 (1667).
57 I. A. A. Thompson, « The End of the Cortes of Castile », pp. 125-126.
58 AHN, Consejos, leg. 1440, no 10 (1667).
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