Faire corps face à la règle
Les novices au carmel
p. 49-68
Texte intégral
1Cette étude s’intéresse aux logiques qui président à l’incorporation des novices dans l’univers a priori réglé et fermé du carmel déchaussé. L’ordre réformé par Thérèse d’Ávila accepte des novices pour une période probatoire d’un an qui s’inaugure par une cérémonie de prise d’habit et se conclut par le vote de la communauté, qui doit accepter la novice à la majorité. Si celui-ci est favorable, les novices sont autorisées à prononcer solennellement leurs vœux et à prendre le voile. Pendant le noviciat, les futures religieuses vivent ensemble, le plus souvent à part, sous l’autorité d’une maîtresse des novices dont l’office est de leur apprendre les règles de la vie communautaire, de tester leur aptitude à supporter les rigueurs de l’ordre et de s’assurer qu’elles disposent des compétences minimales requises, notamment pour ce qui est du chant, de la lecture et de la doctrine, pour les religieuses de chœur. Les novices vivent entre deux mondes : immergées dans la société du couvent pour en apprendre les règles, elles n’y ont aucun pouvoir et gardent non seulement la possibilité de quitter les lieux, mais encore, malgré la clôture, l’autorisation de recevoir plus facilement des visites.
2Ce schéma général, en rien propre au carmel, ne connaît pas de changement notable entre le début de la réforme en 1562 et son institutionnalisation définitive avec le bref Pastoralis officii (20 décembre 1593). Dans cet intervalle, trois évolutions méritent pourtant d’être mentionnées et témoignent de l’adaptation à la réalité économique et sociale d’une logique initiale de refondation radicale très ascétique. Dès que l’ordre est constitué de manière autonome, tous les votes sont soumis à l’approbation des supérieurs masculins et ce définitivement à partir de 1593. Dès 1569, le carmel accepte des converses, destinées aux services des religieuses de cœur, non seulement parce que le temps consacré aux travaux domestiques empiète trop sur la prière, mais également parce que le développement des fondations et la faveur grandissante de l’ordre suppose un recrutement de plus en plus aristocratique. Dès 1568, Thérèse d’Ávila accepte le principe des fondations avec rente, lors de la fondation de Malagón, pour satisfaire aux exigences tridentines et parce que vivre de l’aumône est impossible dans certaines villes, trop petites. Le nombre maximal de religieuses est ajusté en fonction des besoins des nouvelles fondations, sans excéder les vingt, en théorie. Pour les novices, ces évolutions ont un triple impact. En premier lieu, elles doivent convaincre une communauté plus nombreuse. Ensuite, elles doivent apprendre à vivre dans une communauté qui rejette le monde mais en reproduit à certains égards la hiérarchie. Enfin, et bien que les constitutions répètent les unes après les autres que l’acceptation des novices « no vaya por interés1 », l’apport financier est pris en compte.
3Assez rapidement, les enjeux de l’intégration d’une novice semblent donc pouvoir être ramenés sinon réduits à des facteurs économiques et sociaux bien identifiés et assez convenus. Les vies des religieuses et les livres de professions mentionnent d’ailleurs systématiquement la noblesse et l’aumône de chaque nouvelle religieuse. José Antonio Álvarez Vázquez a bien montré qu’avec le retournement de la conjoncture économique en 1575, les carmélites étaient conduites à ne pas négliger le montant de la dot2. Bref, il semble sans surprise que les religieuses issues de l’aristocratie ou de l’oligarchie urbaine sont clairement avantagées, et de plus en plus, d’autant que la relative faiblesse du montant de la dot incite fortement l’aristocratie à envoyer ses filles au couvent. Pour Enrique Soria Mesa, l’épargne est la principale explication qu’on peut donner à la prolifération de religieuses à l’époque moderne3. Outre leur dot, certaines postulantes disposent de leviers susceptibles de faciliter leur incorporation. Avant d’être admises, celles-ci sont introduites auprès de la communauté qui décide de les admettre ou non au noviciat. Catalina María de Jesús qui dans le siècle a déjà une réputation de piété, et dont le fils est carme, est introduite auprès de la communauté d’Úbeda par le provincial Gabriel de Cristo, en traitant directement avec les supérieurs, sans prévenir les religieuses, ce qui est une garantie d’être accepté4. En cas de conflit, la branche supérieure de l’ordre, qui a la main mise sur la réforme à partir des années 1590, semble pouvoir forcer la profession d’une religieuse5, quand le couvent est réticent. La proximité avec le fondateur, les relations dans la branche masculine de l’ordre garantissent que la communauté recevra la postulante avec un œil favorable. Les relations familiales pénètrent le couvent par ce biais : la fondatrice rentre avec sa fille ou fait rentrer sa nièce, les sœurs profitent du pouvoir de leur frère… Les trois filles de don Francisco Palomino de Ulloa qui, dès 1603, projette de fonder le carmel de Jaén rentrent au carmel de Baeza. Toutes trois se déplacent à Jaén en 1615 en tant que filles du fondateur quand le projet aboutit. Pour ce qui concerne les religieuses de cœur auxquelles nous nous intéresserons, tout semble inviter à ramener l’incorporation de la nouvelle venue au couvent à un mécanisme de « production et de reproduction du pouvoir », fidèle à ce que sont les fondations conventuelles à l’époque6, qui joue sur le capital économique et social des postulantes, notamment sur leur proximité avec les fondateurs et sur la réputation de piété de leur famille.
4Cette étude voudrait reprendre ces logiques d’incorporation à la communauté religieuse d’un autre point de vue, pour donner un peu plus d’épaisseur à l’arrivée dans une communauté d’une nouvelle venue. En soulignant avant tout les logiques économiques et sociales de l’intégration au couvent, on laisse dans l’ombre la période probatoire elle-même, les épreuves auxquelles sont soumises les postulantes et le discours presque exclusivement religieux qui anime les sources. Les novices, disent toutes les rédactions des constitutions doivent être avant tout des « personas de oración, y que pretenden toda perfección y menosprecio del mundo7 ». Même si les sources hagiographiques gardent naturellement peu de traces des abandons, tout indique cependant que le noviciat est une période difficile, notamment pour le corps. Les constitutions rappellent explicitement que la santé de la novice doit faire l’objet de toutes les attentions8 et doit être la première cause de renvoi. Si les novices sont appelées à rendre compte de leurs états d’âme à la maîtresse des novices, si on recommande aux maîtresses des novices « que miren más al interior que al exterior9 », la communauté forme également son jugement à partir de l’état du corps de la novice, non seulement parce qu’il permet de garantir qu’elle pourra supporter les austérités de l’ordre, mais encore parce que son travail sur son corps est l’indice de la disposition de son âme. Nous aurons recours au concept d’incorporation pour décrire l’arrivée de la novice dans sa nouvelle communauté, non pas pour montrer que le couvent se pense lui-même comme un corps, mais parce que la nouvelle appartenance de la novice se construit notamment à partir de son corps. L’incorporation comme embodiement de la règle est le cœur de l’incorporation à la communauté. Par incorporation de la règle, nous entendons moins la soumission du corps de la religieuse à sa nouvelle vie, que sa capacité à se servir de son corps pour maîtriser la norme et gagner ainsi sa place dans la communauté religieuse. Le corps n’est pas qu’une matière passive sur laquelle une nouvelle appartenance vient se marquer mais un instrument et une contrainte à partir de laquelle elle se construit et à partir de laquelle la communauté se redéfinit, de sorte que l’arrivée d’une novice peut être une manière de réaffirmer les fondements de toute la vie communautaire.
5Le carmel déchaussé a produit dans ses premières générations des sources essentielles pour répondre à ce type de questionnement. L’ordre se lance dès 1597, sous le généralat d’Elías de San Martín, dans une grande entreprise de récollection d’informations sur ses défuntes10. Des interrogatoires systématiques des vivantes, des chroniques de la vie conventuelle, des vies, des récits de fondations sont produits à grande échelle, avec le double objectif de produire une histoire officielle de la réforme et de préparer les éventuelles procédures de béatification et de canonisation des réformatrices. Ces textes hagiographiques sont écrits par les religieuses, parfois en commun, et permettent de croiser les regards sur la trajectoire de l’une ou l’autre.
L’INCORPORATION DE LA RÈGLE PAR L’ÉCHEC
6En premier lieu il s’agit de déchiffrer ce que le noviciat exige du corps, en se penchant sur les constitutions et le cérémonial, à partir de la cérémonie de la prise d’habit. La Manera de tomar el habito, placée en annexe des constitutions11 décrit la future novice, présentée à la porte du couvent, où la communauté l’attend en chantant un hymne à la vierge, anonyme et uniforme, chacune étant revêtue de son voile noir. Elle est menée au chapitre, où, agenouillée sur un tissu de serge, elle est interrogée sur sa vocation. Elle se dépouille ensuite, debout, de son habit séculier, alors que l’officiant prononce les paroles suivantes : « Exuat te domino veterem hominem cum actibus suis ». On lui remet alors la tunique, la toque, les sandales et un cierge (« Induat te dominus novum hominem, qui secundum deum creatus est in iustitia et sanctitate veritatis »), puis la ceinture et le scapulaire, toujours avec des formules tirées des écritures, puis la cape. La religieuse, tête baissée, est aspergée d’eau bénite. Enfin, elle se lève, se dirige vers l’autel avec un cierge, s’agenouille et l’embrasse, embrasse les mains de la prieure, et chacune de ses consœurs.
7Ce cérémonial extrêmement codifié et banal n’est pas important en lui-même, mais pour ce qu’il annonce. Tout indique qu’à l’intérieur du couvent, on n’accorde pas trop d’intérêt à la cérémonie. Autant celle-ci signifie au monde extérieur la volonté que la postulante a de rompre avec lui, autant elle n’a pas d’influence sur l’intégration à la communauté. Les constitutions demandant que la profession se déroule à l’intérieur de la clôture, c’est la prise d’habit qui manifeste le plus pour le monde extérieur l’entrée au couvent, d’autant qu’après 1592, en théorie, la profession ne se fait plus à la grille du couvent ou au parloir mais au chapitre. En revanche, les vies de religieuses y accordent une place très marginale et ne mentionnent en général la prise d’habit que dans deux cas. Quand la cérémonie est exceptionnellement fastueuse et l’assistance nombreuse, cela permet de souligner la publicité de son engagement et sa radicalité. Pour la même raison, on la mentionne lorsque la prise d’habit se fait contre la volonté de la famille, selon un vieux topos hagiographique, et qu’il a donc fallu procéder rapidement, voire secrètement. Si, hormis ces deux cas, la cérémonie ne fait l’objet d’aucune attention, ces habits remis si solennellement ont néanmoins une valeur programmatique. Le rituel donne à voir ce qui attend la novice : le renouvellement radical de sa vie spirituelle passe par le contrôle de son corps, le respect de la règle et la soumission à la communauté tout entière. Les gestes de la religieuse en sont le signe le plus évident : agenouillée, embrassant les mains de la prieure puis de chacune de ses coreligionnaires, la postulante manifeste son humilité et remet sa volonté dans les mains de la communauté. La complexité du cérémonial, que toutes les postulantes ne sont pas susceptibles de maîtriser dans le détail, est en elle-même l’annonce d’un apprentissage. Il est d’ailleurs prévu que la postulante soit accompagnée tout au long de la cérémonie par une religieuse qui lui donne des indications. Dès son entrée au couvent, la religieuse remet sa conduite dans les mains des autres, ce que confirme la symbolique associée à la remise du scapulaire et de la ceinture. Le scapulaire est le Iugum Christi et la ceinture, comme le rappelle le passage des évangiles cité à ce moment de la cérémonie12, devient l’entrave par laquelle la religieuse doit se laisser guider. L’uniformité de l’habit enfin rappelle que le corps de la religieuse doit se fondre dans le corps collectif. Les constitutions du carmel, pourtant assez succinctes dans leurs premières formulations, le décrivent précisément dans leurs éditions successives. La mondaine, dans l’hagiographie des religieuses, est celle qui porte des galas, soit des habits de plusieurs couleurs, riches, dans un monde où, on le sait, l’expression de la différence sociale passe largement par le vêtement. De son côté, les constitutions précisent « en vestido y en cama jamás haya cosa de color, aunque sea cosa tan poca como un faja13 ». L’habit religieux, superposition de couches monochromes, de tissus non-teints, destiné à cacher le corps, est supposé garantir l’absolue conformité de chacune à la norme commune, en rupture avec les désordres du monde, en incarnant le retour à l’unité divine face à la multiplicité mondaine et démoniaque.
8La production de ce corps soumis et uniforme que la prise d’habit appelle de ses vœux semble a priori l’enjeu de l’apprentissage de la règle. Pour manifester sa nouvelle appartenance à la communauté, la novice devrait donc incorporer un certain nombre de gestes et de postures propres à la bonne religieuse. Le manuel et le cérémonial décrivent toutes ces attitudes supposées traduire les bonnes dispositions de son âme et sa parfaite incorporation de la règle. La différence entre une inclination profonde et une demi-inclination est un bon exemple de la précision et de la densité des postures qu’il s’agit d’assimiler. Il faut user d’une demi-inclination,
que es inclinado la cabeça ordenadamente, y el cuerpo un poco […], después de auer dicho, o començado alguna cosa en el coro, y siempre q en el, o en otra parte se pronuncia el nombre de Iesus, o de Maria, o se haze comemoracion de nuestro padre san Elias, o del Sumo Pontifice, y quando en la oracion se nombra el santo de quien aquel dia se reza (advirtiendo, que al nombre de Iesus y Maria, se ha de hazer mayor inclinación que a los demas)14.
9L’inclination profonde, quand on entre ou sort du chœur ou quand on passe devant le Saint-Sacrement, se fait en abaissant la tête et le corps vers la terre « en tal disposición, que cruzadas las manos pueda llegar con ellas a las rodillas15 ». Quand une religieuse se trompe, elle s’agenouille, baise le sol et, après s’être relevée, s’incline devant l’autel. Au-delà de gestes qu’il s’agit de reproduire et de connaître, c’est une attitude et des postures continues que la novice doit apprendre à adopter. Chaque religieuse est en effet supposée garder à tout moment un visage composé, d’où rien ne transparaît, sinon la quiétude, la rigueur, la joie, une attitude que le cérémoniel désigne significativement par des oxymores comme la modestie allègre ou la sévérité bénigne16. Cette composition dite extérieure est conçue comme une image de soi renvoyée aux autres à des fins d’édification. L’idée est que la bonne religieuse corresponde intérieurement à cette composition, alors que celle-ci n’est pas directement le reflet de l’état de l’âme, mais bien une technique du corps qui consiste à soigner son apparence extérieure et dont le spectacle amène un changement intérieur. La maîtresse des novices doit précisément travailler avec les novices pour leur montrer la « compostura exterior en el hablar, andar y mirar17 ». La bonne religieuse ne doit pas bouger la tête, ni trop bouger les mains. Quand elle regarde quelque chose, elle ne doit pas fixer des yeux avec une trop grande intensité, ou affection, mais ne doit pas non plus les lever ou faire vagabonder son regard. Quand elle rit, c’est sans ouvrir la bouche de manière désordonnée, quand elle parle sans tordre ses lèvres. Elle marche d’un pas grave et modéré, très lent, en gardant le corps et le cou très droits. Quand elle parle, d’une voix basse et douce, elle ne doit pas prendre le scapulaire de sa voisine, et ne pas trop s’en approcher, notamment la prieure, pour ne pas l’indisposer avec son haleine.
10À lire les sources normatives, tout concourt à l’idée que la bonne religieuse est celle dont le corps est parfaitement réglé, et dans l’idéal, parfaitement uniforme, puisque toutes suivent le même modèle. Il serait doublement naïf de supposer que cet objectif puisse être atteint rapidement et complètement et d’exagérer la coupure entre novices et religieuses de ce point de vue. Autant leur statut est différent, autant le modèle que chacune est supposée incorporer est le même, et la seule chose qui peut distinguer une professe d’une novice est que la première est plus avancée dans ce travail. La cérémonie de la profession, en reprenant exactement celle de la prise d’habit, mais en y rajoutant le voile, confirme d’ailleurs que les mêmes contraintes pèsent sur toutes les religieuses. Ana de San Bartolomé rappelle que, dans certains couvents, les novices ne vivent pas à part mais avec les professes, et elle ne cache pas que cette solution a sa préférence18, car elles sont à la fois plus faciles à reprendre et plus faciles à juger. La singularité de la novice n’est pas dans ce qu’on lui demande, mais dans son échec constant à satisfaire ses supérieures. La profusion de règles et de recommandations a pour principale conséquence de les mettre en situation de faute et d’infériorité. S’il s’agit bien d’apprendre par corps, l’incorporation de la norme ne relève pas uniquement d’un sens pratique incorporé lentement et inconsciemment par une imitation spontanée et immédiate, par une mimésis douce et aveugle à elle-même19. Elle se présente plutôt comme une confrontation répétée avec des exigences explicites que le corps ne parvient pas à assumer. Celles-ci constituent une forme radicale et explicitement réglée de gestes incorporés parfois depuis l’enfance20 — la discipline notamment — qu’il s’agit de réapprendre en faisant l’expérience de son échec à les reproduire correctement. L’essentiel n’est peut-être pas tant d’incorporer des valeurs que les futures religieuses ont le plus souvent parfaitement assimilées avant leur entrée au couvent, que d’éprouver ses limites dans ses échecs répétés.
LA CHAIR IMPOSSIBLE DE LA RELIGIEUSE
11Si cet échec à incorporer la règle paraît aussi constant, c’est parce que les difficultés pour la novice ne relèvent pas tant de l’apprentissage lui-même, mais du fait que les exigences auxquelles il s’agit de se conformer sont plus contradictoires que la lecture des seuls textes normatifs ne le suppose, de sorte que la novice, maintenue dans un état de « double contrainte21 », n’est jamais certaine d’être conforme à ce qu’on lui demande et de produire le geste juste. Ces contraintes sont palpables dans l’hagiographie des religieuses, et l’incorporation de la religieuse dépend de sa capacité à s’y adapter. Toutes ces tensions se ramènent aux contradictions d’une institution qui veut uniformiser ses membres tout en formant des saintes et leur réclame à la fois de suivre scrupuleusement une règle uniforme et de se distinguer par leurs vertus. Sur le plan des valeurs, cette contradiction ne se pose pas : toute peuvent devenir des saintes en se conformant à un corps modèle, et c’est la proximité à ce modèle qui mesure la sainteté. Mais dans le registre de la pratique, les choses sont singulièrement plus compliquées. Les pratiques de mortifications sont un bon observatoire de ces tensions, que les novices portent dans leur corps plus violemment que les autres.
12Le modèle corporel des religieuses se distingue par un zèle qui peut les mener bien au-delà de l’application stricte de la règle. Les premiers temps de la réforme font du corps extrême des pères du désert une référence à laquelle la carmélite doit se conformer22. Tout en insistant sur la vie communautaire et tout en appelant à la modération, Thérèse d’Ávila ne cache pas son admiration pour les mortifications de Pierre d’Alcántara ou de Catalina Cardona23, recluse dans une grotte de La Mancha pour accabler son corps d’austérités. Le sanglant Flos sanctorum fait partie des lectures recommandées dès la première version des constitutions, et la recherche d’un martyr sublimé dans la mortification est indéniablement valorisée. Toutes les vies soulignent sans réserve mais a posteriori la mortification exemplaire dont ont fait preuve les bonnes religieuses, et particulièrement pendant le noviciat. Dans la logique rétrospective du texte hagiographique, cette insistance unanime est moins le signe que tout le monde parvient malgré tout à supporter la rigueur de l’ordre que la démonstration qu’il s’agit bien de l’épreuve la plus difficile imposée aux novices. Appelées à une vie de macérations et de pénitences, à suivre les disciplines communautaires, les novices sont en premier lieu testées sur leurs capacités de résistance, et on perçoit vite à quel point la mortification ouvre un espace dans lequel la religieuse particulièrement pénitente peut se distinguer de ses consœurs. Cette capacité à endurer une mortification fervente et zélée se manifeste en augmentant le rythme et la cadence des séances de mortification d’une part, et en jouant sur les instruments : à la discipline d’osier recommandée par les premières constitutions se substituent des pointes d’argent attachées à des lanières de chanvre24, des chaînes25, des orties26 et autres « ynvenciones27 ». À cela s’ajoute les cilices en crin ou en métal28, au risque d’être en contradiction avec la règle. Mais ces « améliorations » qu’on trouve très couramment dans l’hagiographie sont étroitement contrôlées pour les novices, de sorte qu’elles sont encore confrontées à un modèle dont l’incorporation est continuellement frustrée.
13Avec l’institutionnalisation de la réforme et la diffusion de la réputation de sainteté des fondatrices, ce modèle s’étoffe, se complexifie et devient de plus en plus contradictoire. Au modèle des pères du désert se superpose dès la fin du xvie siècle, à la faveur de la diffusion d’une hagiographie interne de l’ordre, le modèle des fondatrices, extrêmement pénitent mais présenté comme extrêmement observant et respectueux de la lettre de la règle. Au moment où les vies sont rédigées, les possibilités offertes pour se mortifier se sont par ailleurs largement réduites. Sous le généralat d’Alonso de Jesús María (1607-1613), les disciplines de sang sont interdites, si l’on en croit Brianda de San José29. Selon cette même religieuse, dès les années 1590, les semelles de mortification en métal, qu’on glissait entre la plante des pieds et les sandales avaient été interdites, probablement à l’initiative du premier général de l’ordre, Nicolas de Jesús María. Il est certain à lire les vies des religieuses que ces recommandations ont été contournées. En revanche, la contradiction entre observance et zèle a dû se renforcer avec ce type d’interdiction, puisque le modèle hagiographique présenté aux novices reste très sanglant, mais les possibilités de se mortifier sans enfreindre la règle se sont réduites. L’équation, pour les novices, est la suivante : trop faible, trop malade, incapable de résister à la mortification, la novice est rejetée comme inapte à la vie religieuse dans un ordre qui se fait une gloire de son austérité. Trop violente, la mortification est considérée comme excessive, ostentatoire et animée par la volonté de se distinguer, signe d’une religieuse incapable de se plier à une règle. D’une part, la ferveur dont les novices doivent faire preuve en matière de mortification les met donc à tout moment en contradiction avec le devoir d’obéissance et avec la vertu de tempérance, et d’autre part, elle risque de rendre visibles des pratiques qui sont d’autant plus louées qu’elles sont dissimulées, pour ne pas courir le risque de l’ostentation.
14L’équilibre entre ces exigences contradictoires est d’autant plus difficile à tenir que l’herméneutique des corps à laquelle sont soumises les religieuses est largement ambivalente. Si la novice elle-même est rarement certaine d’être dans le droit chemin, elle n’est jamais sûre non plus d’obtenir l’assentiment de la communauté, car, au-delà du sens qu’elles attribuent à leurs gestes, les signes que le corps renvoie sont trop ambivalents pour qu’on soit certain de ce que les autres vont en penser. C’est dans l’hagiographie des professes qu’on décèle des tensions qui ont tout lieu de peser de manière bien plus violente sur les novices. La pâleur de leur visage peut être le signe de la mortification comme celui de la maladie, et les bonnes couleurs peuvent être le signe d’une vie trop peu exigeante comme d’une mortification bien camouflée, par humilité, de sorte que quand bien même une novice parviendrait à trouver un équilibre satisfaisant à ses yeux entre ferveur et application scrupuleuse de la règle, il n’est pas certain que celles qui vont la juger se feraient la même opinion. Le meilleur exemple de cette tension est Bernardina de Jesús qui prie, dit son autobiographie spirituelle, pour avoir une couleur saine au visage30 parce qu’elle craint qu’on ne lui interdise de se mortifier ou qu’on croit qu’elle est malade si elle est trop pâle. Dans un autre registre, si « gracias a Dios » María de San José était « libre de vanagloria » en matière de mortification, nous assure son autobiographie spirituelle, elle avoue que de nombreuses religieuses pensaient « que lo hacia por me tener por mejor que las demas y para que los frailes lo supiesen y me hiziessen priora31 ». Trop ostentatoire, la mortification devient un de vanité, voire d’une volonté de manipuler les autres. Sommées d’envoyer des signaux contradictoires, les novices présentent donc aux autres un corps dont elles ne maîtrisent pas l’image, ce qui est particulièrement angoissant. Le scrupule et la mélancolie sont des thèmes rebattus de l’hagiographie du noviciat, qui reflètent directement cet état de tension. Ils ne font eux-mêmes qu’accentuer leur désarroi, puisque le scrupule est un péché véniel et la mélancolie est traitée avec sévérité32.
L’APPRENTISSAGE DE LA VIE COMMUNAUTAIRE PAR LA FAUTE
15La bonne novice, à lire les recommandations que l’on fait aux maîtresses des novices est donc moins celle qui réussit à incorporer la règle que celle qui accepte de bonne grâce les humiliations répétées de ses échecs et vient confier ses difficultés à ses supérieurs. C’est l’échec de l’incorporation de la règle qui conduit progressivement à faire corps avec la communauté. La pire des tentations, pour une novice serait de garder ses hésitations pour elle. C’est le signe d’une vocation inquiète et non pas d’une âme pure et simple. Si ces textes insistent tous sur la nécessité pour la maîtresse des novices d’être douce et attentive, car les novices sont fragiles, ils rappellent que tout manquement à la règle, toute erreur dans le cérémonial doit être corrigé « con rigor, por menudas que seán33 ». Le noviciat c’est l‘apprentissage de l’humiliation de ne pouvoir suffisamment régler son corps. C’est une meilleure garantie d’intégration à la communauté, car c’est justement dans le respect de l’obéissance, dans l’acceptation de la soumission aux supérieurs, c’est-à-dire en acceptant de se tourner vers le reste de la communauté, que cette situation trouve sa solution. Le spectacle de l’enseignement de l’obéissance, poussé volontairement jusqu’à l’absurde, en est la meilleure preuve. En invoquant sainte Euphraise, qui selon elle faisait déplacer des pierres à ses novices, ou saint François, « que mando sembrar las lechugas que tuiese las raices arriba y las hojas en la tierra34 », Ana de San Bartolomé rappelle que la première condition de l’incorporation de la novice est une obéissance inconditionnelle, qui décharge la contrainte de la règle dans le jugement des supérieurs. Pour s’incorporer à la communauté, il faut faire l’expérience de sa dépendance à celle-ci. L’incorporation de la règle se mesure plus à la capacité à supporter une punition, c’est-à-dire un châtiment corporel, qu’à celle de reproduire des gestes. Dans les deux cas, c’est sur le corps que la règle se fixe, par imitation ou par la force de la discipline, et c’est paradoxalement le manquement à la règle qui fait la communauté et pousse la novice à se tourner vers la prieure ou la maîtresse des novices pour lui faire part de ses doutes. La relation communautaire se construit comme une compensation aux exigences de la règle, soit parce qu’elle punit soit parce qu’elle console ou conseille. Lors du chapitre hebdomadaire, la prieure administre les punitions et le pardon pour les fautes commises, moment essentiel pour la novice puisqu’elle est face à toute la communauté et parce que la contrainte se relâche. La prieure et la maîtresse de novices ont de plus le pouvoir de donner des licences qui permettent explicitement de se mortifier davantage, tout en restant dans la légalité du couvent. C’est donc en se tournant vers leurs supérieures que les novices ont la possibilité d’alléger les contradictions qui pèsent sur leur situation. La rencontre de la rigueur dans le noviciat, aussi difficile soit-il, conduit à l’apprentissage de l’accommodement, sans lequel les exigences de l’ordre resteraient intenables.
16Si c’est notamment dans l’échec et la punition que les liens communautaires semblent se nouer pour la novice, c’est aussi parce leur apprentissage est l’occasion pour la communauté de redéfinir avec elles une marge acceptable par toutes dans l’interprétation de la règle supposée fonder la vie commune. Le corps de la maîtresse des novices joue ici le rôle d’interface entre la novice et la communauté qui l’accueille. Ce corps auquel les novices sont confrontées en premier lieu, destiné à leur enseigner l’humilité, surenchérit dans la mortification, et accentue la tension entre ferveur, modération et obéissance. Si le cérémonial demande que les maîtresses des novices « no sean inclinadas a caminos extraordinarios35 » en ce qui concerne la prière, il semble pourtant qu’elle se distingue toujours par des pénitences d’autant plus édifiantes qu’elles sont violentes. Brianda de San José présente à ses novices des pénitences « extraordinarias36 » qu’elle leur demande de reproduire. María de Jesús, « so color del ejemplo que auia de dar a las nuevas plantas iso excesos muy notables37 ». Dans l’hagiographie des religieuses, l’office de maîtresse des novices est toujours présenté comme une opportunité d’augmenter ses mortifications, en allégeant la contrainte de la règle. C’est le moment où la marge d’une mortification adéquate se montre et se renégocie pour tout le monde. La maîtresse des novices teste vis-à-vis du reste de la communauté les limites qui peuvent être acceptées et donne donc à voir l’étendue de la marge d’interprétation autorisées par rapport à une lecture littérale de la règle. Pour les novices, elle joue le rôle d’indicateur des pratiques tolérées dans le couvent qu’elle cherche à incorporer. Une interprétation commune de la règle se construit entre ce que la maîtresse des novices montre à celles-ci et ce que la communauté, et notamment la prieure, accepte qu’elle fasse. De ce point de vue, les rappels à l’ordre de la maîtresse des novices sont cruciaux, ils reportent le jeu dangereux autour de la règle à l’intérieur de la communauté des professes. Leonor María del Santísimo Sacramento, qui exhortait toujours ses novices à « todo lo que era mas rigor y mortificación38 », pour faire comprendre à l’une d’entre elles qui venait de prendre l’habit qu’elle ne devait pas l’appeler Madre, titre réservé à la prieure, renverse l’ordre de la punition et force la jeune novice à lui piétiner la bouche chaque fois qu’elle fait l’erreur, jusqu’à ce que la supérieure ne l’interdise. L’incorporation de la novice n’est pas l’apprentissage d’une règle figée qui viendrait se greffer sur la nouvelle venue mais la recomposition des pratiques communautaires autour d’une interprétation commune de la règle. Si ces ajustements sont continus autour de cette question dans la vie communautaire, indépendamment des novices, celles-ci, parce qu’elles sont justement celles qui doivent apprendre et à qui la coutume doit se montrer, en sont le révélateur le plus significatif. Ce qui se négocie spécifiquement pour la novice dans ce jeu autour de la règle, ce sont les critères qui amèneront la communauté ou non à l’accepter : une plus ou moins grande tolérance envers les mortifications, une plus ou moins grande sensibilité à la maladie, à l’obéissance, qu’il s’agit d’anticiper pour s’ajuster aux exigences de la communauté.
LE SENS DU JEU : LE CORPS ENTRE UNIFORMITÉ ET DISTINCTION
17À la lumière de cette négociation, les contraintes qui pèsent sur la religieuse paraissent plus douces. La capacité de chacune à s’adapter aux exigences propres de la communauté en la matière permet en quelque sorte d’incorporer le jeu sur la contrainte elle-même, non comme une exigence contradictoire qu’il faut tenir mais comme un ensemble de préceptes avec lesquels il faut composer de manière adéquate. Tout autant qu’elle doit connaître les limites qu’impose l’interprétation commune de la règle, la novice doit pouvoir se distinguer par sa capacité à tirer parti de cette contrainte. Elle dispose pour cela de plusieurs ressources.
18En premier lieu, dans la tension entre observance et zèle, les religieuses, à lire les sources hagiographiques qu’elles ont rédigées, privilégient largement le zèle, si bien qu’à moins de se mettre visiblement en marge de la règle, la surenchère dans la mortification semble malgré tout une voie plus sûre que l’observance scrupuleuse. C’est ce que Beatriz de San José trahit dans les souvenirs qu’elle laisse de María de Jesús, certes très observante, se souvient-elle, en rappelant que cela suffit pour être sainte, mais qu’elle
no se contentaua con esto antes bien de mas a mas tomaua regurosissimas desciplinas de sangre y casi toda la vida con rosetas de ierro, traia su cuerpo rodeado de sogas muchas cadenas mangas de rallo39.
19En second lieu, elle doit apprendre à tester elle-même la marge d’interprétation dont elle dispose vis-à-vis de la règle. Les licences que les prieures accordent pour se mortifier davantage, et que les novices ont tout intérêt à demander abondamment, sont assez floues et permettent d’augmenter les mortifications de manière très violente sans croire enfreindre la règle, comme sœur Juliana de la Madre de Dios qui prenait des disciplines avec des pointes d’aiguilles tordues, « no creiendo que faltaba en esto a la obediençia40 ». Ensuite, la religieuse peut également jouer non sur les signes du corps eux-mêmes mais sur sa capacité à les mettre en scène. Les traces de la mortification sur le corps ont ici un rôle essentiel. Elles permettent de signifier la mortification tout en préservant l’humilité puisqu’elles ne sont dévoilées que dans des circonstances particulières. Tout le jeu est donc de montrer qu’on est mortifié en montrant qu’on le cache. Les taches de sang sur les habits ou sur les murs41, le bruit de la discipline prise dans un endroit retiré42, les cicatrices sont régulièrement interprétées comme les indices d’une mortification satisfaisante parce qu’elle est trahie plutôt que montrée. L’incorporation de la novice dépend de son aptitude à jouer sur ces formes de présentation de soi, qu’elle apprend en théorie de l’exemple des religieuses plus confirmées. Enfin, le couvent ménage un espace de mortification publique, le réfectoire, dans lequel les novices peuvent manifester leur mortification aux yeux de toutes sans se mettre en dehors de la règle, sans risquer d’interprétations équivoques, et en allégeant le poids des contraintes. Qu’il s’agisse de rester les bras en croix pendant le repas, de manger les miettes tombées sur le sol43, ou de s’allonger pour se faire piétiner44, ces séances d’humiliation sont explicitement conçues comme un exutoire aux tensions qui pèsent sur elles pendant cette période. Même si elles servent de punition, elles constituent l’un des rares moments où la mortification et le rejet du monde peuvent se montrer sans risque et sans angoisse.
20Mais surtout, les pratiques d’humiliation ouvrent un espace qui permet véritablement de se distinguer par rapport aux autres, dans la compétition dans l’humilité qui règne au couvent, vertueusement et pudiquement baptisée « sainte émulation ». Dans la course à l’humilité, les novices ont a priori moins de marge que leurs supérieures, car celle-ci ne se mesure pas à la position qu’on a dans le couvent — auquel cas elles seraient indéniablement les plus humbles, avec les converses —, mais à la distance qu’on parcourt pour rechercher cet abaissement, de sorte que les plus humbles sont paradoxalement toujours les plus haut placées, celles qui ont le plus de pouvoir ou le plus d’honneur. Si Leonor María del Santísimo Sacramento est tellement humble « que mas parecia novicia45 », c’est d’abord parce qu’elle est sous-prieure. L’apprentissage de l’humilité passe par l’acceptation paradoxale qu’on ne peut être aussi humble que ses maîtres, ce qui, en soi, dans l’échelle des valeurs vertueuses du couvent, est une forme d’humiliation au second degré. Comment, du reste, les novices pourraient-elles suivre les professes dont l’un des actes d’humiliation consiste précisément à porter l’habit des novices, comme Thérèse d’Ávila46, à s’asseoir avec elles au réfectoire47, ce qui est une manière de rappeler à celles-ci qu’elles sont en bas de l’échelle du couvent sans être pour autant les plus humbles ? Penser pouvoir être la plus humble, alors qu’on est une novice, ne serait-ce pas déjà de la vaine gloire ? Cependant, même si elles ne peuvent jamais rivaliser avec leurs aînés, l’humilité ouvre aux novices une possibilité de se distinguer qui n’est précisément offerte qu’à celles qu’on suppose le plus compromises avec le monde, celles qui proviennent des élites et dont l’honneur est le plus grand, les aristocrates en premier lieu. Là encore, cette exigence pèse continûment sur les religieuses, et on la retrouve dans l’hagiographie des professes, mais elle est particulièrement forte pour les novices encore à moitié dans le monde et appelées plus que les autres à faire la preuve de leur volonté de détachement. Les pratiques d’obscurcissement de la peau, d’enlaidissement, en se lavant avec de l’eau sale par exemple, sont là pour reporter sur le corps l’image d’une volonté de déchéance sociale qui n’est soulignée que chez les plus nobles. Ana de Palma, à Tolède, s’enduit les mains d’immondices alors qu’elle les avait « muy blancas y muy lindas48 », un signe indéniable de son origine aristocratique, par opposition aux mains brunies et calleuses de la roturière. Les pratiques de souillures d’une religieuse de Saragosse relèvent de la même analyse :
Pusolas una vez dentro de una vacinila, lavandolas con el vomito de una enfermera. Otras veces se iua a un lodazar, en donde caia las aguas del fregador de la cocina, y hediondo, alli las envolvía poca costa como mayor deleite de su alma que quando en el siglo las conservava en los guantes49.
21Catalina de Cristo se plaît à contrefaire une voix rustique50, ce qui est à la fois une manière de s’abaisser et de signifier l’avancement de son humilité tout en rappelant évidemment qu’elle ne l’est pas. Catalina María de Jesús se fait appeler pastorona pour s’humilier pendant son noviciat51. L’habit vieux, « roto y remendado52 », « pobre53 », est l’enjeu d’une forme de compétition systématiquement soulignée chez celles qui ont connu la tentation des galas. On fait porter à certaines un habit « remendado » de plusieurs couleurs54, pour les mortifier, dans une sorte de parodie des galas qui conduit indéniablement à une forme de distinction, à rebours de l’uniformité de l’habit monastique, et en complète rupture avec l’idée trop simple d’un corps conventuel uniforme. C’est ce qu’affirme Marcela de San José, au procès de Thérèse d’Ávila, rappelant que son habit était « muy vil y despreciado, mas que todas las otras monjas55 ». Indéniablement, le rejet du corps et des vêtements mondains laisse donc aux novices issues des élites une possibilité de se distinguer et de mettre en évidence leur zèle qui n’est pas ouverte aux autres religieuses. Le rejet de la distinction aristocratique manifesté par le corps devient une distinction à rebours. La désincorporation du corps mondain manifeste en creux l’incorporation à la communauté. Ajoutons que le corps lui-même, sa constitution et sa résistance à l’austérité de l’ordre, privilégie l’aristocrate dont le corps supposé plus faible et délicat doit supporter des efforts et des douleurs plus violentes que la religieuse de plus basse extraction.
22L’enjeu du noviciat est donc de compenser en quelques sortes les aléas du corps et du jugement des autres en manifestant dans son corps une capacité à incorporer la règle jusqu’à trouver moyen de s’y distinguer. Mais il va de soi que toutes les religieuses n’ont pas la même marge de manœuvre non seulement vis-à-vis de la règle elle-même, mais encore, au degré suivant, pour ce qui est de leur capacité d’adaptation face à celle-ci. Isabelle Poutrin a déjà montré à quel point l’incorporation d’un modèle de sainteté, au-delà du cliché hagiographique, se fait dès l’enfance56, notamment pour ce qui est de la confrontation entre le zèle et la modération observante, de sorte que certaines religieuses ont déjà depuis longtemps « le sens du jeu57 » lorsqu’elles intègrent le couvent. Si le noviciat les force à réapprendre leurs gestes, à régler leurs pratiques différemment, elles disposent déjà de ressources qui leur permettent de faire face de manière plus satisfaisante aux contraintes auxquelles elles sont confrontées. Certaines arrivent déjà au couvent avec une réputation de piété établie à l’extérieur, qui leur assure par avance un œil plus bienveillant, qui peut suffire, tant les exigences du couvent peuvent se renverser, comme on le verra. L’arrivée d’une novice au couvent n’est donc que rarement l’occasion de découvrir et d’incorporer des normes nouvelles et inconnues, mais bien d’adapter des pratiques déjà anciennes à un nouveau régime de jeux autour de la règle. Si indéniablement, certaines ont un avantage sur les autres en la matière — María de Jesús, dont la réputation de mortification était déjà faite et qui connaît l’hagiographie par cœur58 — cette adaptation n’a rien d’automatique. Le jeu autour du corps pendant le noviciat reste donc largement dépendant de l’origine sociale et de la réputation antérieure de la novice, mais donne à chacune une marge de manœuvre et une capacité de négociation. Si la société du couvent est aussi hiérarchisée que le monde, cette hiérarchie est mouvante, parce qu’elle est supposée refléter une hiérarchie de la grâce.
LES FONDEMENTS RELIGIEUX DE L’INCORPORATION : TENTATION DÉMONIAQUE ET ÉLECTION DIVINE
23Arrivé à ce point on pourrait donner l’impression que, puisque les ajustements de l’incorporation laissent une marge aux religieuses, au-delà des contraintes et des différentiels de ressources dont elles disposent, celles-ci sont susceptibles de maîtriser leur parcours. L’image d’une religieuse forgeant son destin dans la communauté à la faveur se sa connaissance des enjeux sociologiques de son incorporation reste néanmoins trompeuse.
24Il semble que pour certaines la profession ne soit pas aisée alors qu’elles disposent a priori de tous les signes extérieurs qu’on attendrait de la candidate idéale. María de Cristo a bénéficié d’une licence pour rentrer jeune au couvent, malgré les recommandations du concile, et elle a appris à vivre avec ses contraintes non seulement beaucoup plus tôt, mais également plus progressivement, car les rigueurs de la règle ont été pour elle adoucies. Elle prit l’habit à l’âge de dix ans, en 1602, avec une licence du général et grâce à l’appui du provincial. Les cinq premières années du noviciat, elle fut autorisée à se nourrir avec de la viande malgré sa volonté de se conformer aux mêmes règles que les autres religieuses. À cette époque, son père est décédé et sa mère est rentrée dans un autre couvent de l’ordre, tout comme ses frères, l’un au carmel et l’autre chez les jésuites. Malgré tous ces avantages, la vocation précoce de María met du temps à convaincre les supérieures. Poursuivie par le démon depuis ses douze ans, elle est convaincue de ses grands péchés59. Après une confession générale, son confesseur lui exprime ses doutes quant à sa profession. Celle-ci a finalement lieu le 13 mai 1609, après avoir été repoussée de plusieurs mois. La difficulté à assumer la règle dans toutes ses contradictions engendre des doutes. La répétition des épreuves vexatoires et des pénitences alimente la haine de soi. L’épreuve du corps devient donc le plus souvent une épreuve de l’âme et de la vocation. Chez toutes les novices, ces difficultés sont systématiquement présentées comme des tentations démoniaques. C’est ce que répètent à l’envi les supérieures à celles qui viennent leur confier leur désarroi60, de sorte que l’enjeu des ajustements corporels du noviciat est ramené aux résistances à la tentation démoniaque et au discernement de la vocation. Ce qui justifie accommodements et négociations autour de la règle, et qui amène à composer avec elle, c’est la crainte du péché et de la tentation qui compromettrait inévitablement la vocation. L’étude des mécanismes d’incorporation, quand bien même elle met en évidence les enjeux de pouvoir et le poids de l’origine sociale, elle ne s’affranchit pas d’une démarche religieuse. C’est au contraire la recherche de la perfection de l’âme qui est supposée pousser la religieuse à jouer le jeu de la vie conventuelle. Présenter les modalités sociologiques de l’incorporation au couvent n’implique donc pas de postuler que les novices assument ce jeu comme tel.
25Sur ce principe, le fondement religieux de l’herméneutique du corps à laquelle chaque novice est soumise est susceptible de renverser d’un coup tous les signes auxquels elle se raccroche, en fonction de ce qu’on juge de la fermeté de la vocation de la novice, ce qui donne une fois de plus une importance cruciale aux discussions avec les supérieurs. Le cas de la tolédane María de Jesús († 1640) fournit un très bon exemple de cette flexibilité. Tous les signes qui pourraient justifier un renvoi s’inversent dans ses vies : sa délicatesse et sa santé fragile deviennent des indices de sainteté, puisqu’elles lui permettent de souffrir plus que les autres, à l’image du Christ. Plutôt que de mettre l’accent sur ses excès, on souligne sa ferveur et on présente sa maladie non comme un empêchement, mais comme une épreuve. Ce renversement de la valeur du corps n’allait pas de soi, si l’on suit d’autres sources, non seulement María de Jesús a été tenté de quitter le couvent61, mais encore une partie de la communauté s’opposait à ses vœux62. Certains passages que son hagiographie décrit comme des épreuves semblent montrer que sa vocation était loin d’être affirmée. Au moment de lui couper les cheveux, le jour de la prise d’habit, elle se trouble, et sa gorge se serre à l’idée de ne plus voir ses parents et de renoncer à tant de choses63. S’il est impossible de discerner à partir du texte hagiographique sa place véritable dans la communauté au moment de son noviciat, son cas permet d’éclairer paradoxalement la souplesse de la règle. La raison de ce renversement est peut-être une vision de Thérèse d’Ávila de ce qu’une très bonne novice64 se présenterait à Tolède pousse la fondatrice à écrire une lettre pour insister pour qu’elle professe « aunque ubiese destar todos los dias de su uida en una cama porque esto era uoluntad de dios65 », alors que la communauté lui avait manifesté ses réticences. Dans l’hagiographie de María de Jesús66, ces signes sont présentés comme des épreuves divines des tentations qu’elle a pu surmonter, et les réticences de la communauté sont gommées. Les signes extérieurs de la faiblesse de sa vocation sont devenus des épreuves sanctifiantes. Tous les empêchements à la profession, tous les échecs de la religieuse à rentrer dans le jeu sont susceptibles d’être réinterprétés à la lumière de la lutte entre la préférence divine et les manœuvres du démon. Une hagiographie tardive d’Ana de San Agustín n’hésite pas à raconter comment le démon s’est déguisé pour se faire passer pour Ana pendant son noviciat, et s’est rendu dans la cellule de la prieure, Ana de la Madre de Dios, pour exposer des doutes imaginaires. Plus que cela, il aurait composé une lettre à envoyer au père de la jeune novice pour qu’il vienne la chercher67. La lecture que l’on fait du corps religieux est donc éminemment réversible. En un sens, cette réversibilité est une forme d’affranchissement des contraintes du corps, dans la mesure où l’image qu’il renvoie dépend plus de la réputation de l’âme que de l’état du corps. Il n’en reste pas moins que les deux aspects sont liés dans le regard de la communauté, et que le corps garde une importance capitale.
26Plus encore, la résistance au démon et l’élection divine se marquent sur les corps, selon des critères que les religieuses sont difficilement à même de contrôler. Les luttes avec le démon laissent des cicatrices, mais surtout l’élection divine se manifeste dans la résistance à la douleur et dans certains signes plus spécifiques. Dieu agit directement sur les corps pour signifier sa décision, et l’assurance que le plan divin se manifeste chez l’une ou l’autre suspend tout autre jugement. Aux débuts de la réforme, les religieuses ont demandé à Thérèse d’Ávila de troquer leurs tuniques d’étamines pour de la serge, plus grossière et plus propre à la mortification. Or, si le tissu est grossier, il risque de faire naître68 de la vermine qui pourrait perturber la prière. Prises entre la volonté de se mortifier et l’exigence de la contemplation, les religieuses décident d’organiser une procession pour demander conseil au Seigneur, en chantant un hymne composé pour l’occasion :
Pues nos days vestido nuevo, rey celestial
Librad de la mala gente, este sayal69.
27Ce refrain est repris entre chaque couplet composé pour l’occasion. Leur prière est écoutée et, dit Francisco de Santa María, « desde entonces començaron a sentir todas gran limpieça en el vestido ; i nunca jamas criaron ; ni vieron sobre si, ni en ropa algunas que usauan semejantes sabandixas70 ». À partir de cet événement, toute vermine révèle une faute. Née spontanément sur un corps corrompu, la vermine n’est pas l’indice de l’hygiène précaire qui règne au couvent, mais celui d’une âme rejetée par Dieu. Les signes de cette intervention divine sont anticipés par la communauté. Isabel Bautista explique qu’elle a entendu dire aux religieuses que si une novice prenait l’habit chez elles et ne devait pas y rester, elle générait d’elle-même de telles bestioles71. Une chroniqueuse du couvent de Madrid écrit, quant à elle, que « es señal que sucede en las novicias quando no han de quedar72 ». On garde des traces de carrières menacées et d’erreur réparées après que la présence de la vermine a été mal interprétée. Le récit manuscrit de la fondation du couvent de Mataró rapporte que la couturière du couvent fit une fois un habit trop grand et le donna, sans la prévenir, à une religieuse un peu rondelette alors qu’il ne lui était pas destiné. Couverte de vermine sans le comprendre, angoissée, la pauvre religieuse se tourne vers la prieure. Persuadée d’avoir fauté mais incapable de connaître son erreur elle demande « que le diessen penitencias porque debia tener unas faltas que ella no conocia73 ». La vermine est autant une punition qu’un aiguillon qui pousse la novice à rejeter ses doutes et faire son choix, ce qui complexifie beaucoup la situation. Mariana de los Ángeles, novice à Madrid, en est réduite à changer de chemise tous les jours74, sans pouvoir s’en libérer, jusqu’à ce qu’elle fasse son choix et prenne l’habit. Le travail d’herméneutique des corps est conçu comme une interprétation de signes surnaturels. Il est exercé à la fois par la communauté des professes et par la religieuse elle-même, si elle est soucieuse d’éprouver sa vocation.
28Le corps sert de médiateur entre la règle, la novice et la communauté. Il se trouve au cœur de l’incorporation de la nouvelle venue. L’incorporation de la norme qu’implique l’incorporation à la communauté ne relève ni d’une logique d’imposition ou de marquage d’une nouvelle identité purement contraignante, ni d’une manipulation de la norme à partir d’un corps réduit à l’état d’instrument. Le corps oblige la religieuse à composer avec la norme autant qu’il lui donne la possibilité de la dominer sans s’affranchir des contraintes physiologiques qu’il lui impose. C’est autour de ce jeu que se cristallise la réputation de la novice. Non seulement c’est, largement, à partir du corps que se forme le jugement de la communauté qui conduit à l’accepter, mais encore ce processus est l’occasion d’éprouver et de refonder les liens communautaires. C’est la résistance que le corps offre à la règle qui fournit l’occasion de construire des liens avec la nouvelle venue. Non seulement la communauté se mobilise dans le jeu d’apprentissage et de punition qui se met en place autour du corps de la novice, mais encore dans l’apprentissage de la novice se négocie une interprétation commune de la règle et s’opère des arbitrages entre des contraintes potentiellement contradictoires, qui sont perpétuellement renégociés dans la communauté à la faveur des pratiques de chacune. À bien des égards, la vie communautaire se construit contre les constitutions et leurs contraintes. L’incorporation de la novice dépend de sa capacité à tirer parti de ces contraintes en restant dans les limites admises de l’interprétation du texte. Il s’agit donc moins de se soumettre à une norme rigide, comme le veut l’analyse traditionnelle, que d’ajuster sur le comportement d’autrui son jeu avec la norme. Dans cette opération, le rejet du monde extérieur doit être manifesté mais les hiérarchies qui y régnaient sont transposées sous la forme d’une hiérarchie de la grâce et de la préférence divine. Le corps permet de transmuter un capital social en capital de sainteté, sans que l’opération ne soit jamais nécessaire, linéaire ou mécanique. Si, dans ce jeu, certaines religieuses ont plus de ressources que d’autres, les gestes de chacune sont dictés pour l’essentiel par une démarche de discernement. Le jugement auquel leur corps est soumis cherche avant tout le signe d’une âme élue par Dieu. Pour analyser l’incorporation d’une novice au couvent à partir de leur accommodation à la norme et aux autres, il n’est pas nécessaire de prêter à celles-ci des visées stratégiques. Le seul respect de leur engagement religieux implique, au nom de leur discernement, d’enclencher ces processus. À cet égard, la simulatrice dont l’historiographie a beaucoup étudié la figure depuis les travaux pionniers de Gabriella Zarri75 semble considérablement proche de la religieuse en quête de sainteté et essayant sincèrement de jouer le jeu de la vie conventuelle.
Notes de bas de page
1 Regla primitiva y constituciones, p. 76.
2 J. A. Álvarez Vázquez, « Trabajos, dineros y negocios ».
3 E. Soria Mesa, La nobleza en la España moderna, pp. 162-163.
4 Vida de Catalina María de Jesús, fo 11ro (Archivo Histórico Nacional [AHN], Clero Regular, leg. 3850).
5 Relaciones sobre el conuento de Malagón, fo 418vo (Biblioteca Nacional de España [BNE], ms. 7018, fos 409-421).
6 Á. Atienza López, Tiempos de conventos, p. 17 ; E. A. Lehefeldt, Religious Women, pp. 15-46.
7 Regla primitiva y constituciones, p. 75.
8 Ibid., p. 78.
9 Ana de San Bartolomé, Obras completas, p. 696.
10 I. Poutrin, Le voile et la plume, pp. 227-228.
11 Manera de dar el habito, fos 184-207 (Biblioteca Universitaria de Barcelona, ms. 1123).
12 « Cum esses junior, cingebas te, et ambulabas ubi volebas : cum autem senueris, extendes manus tuas, et alius te cinget, et ducet quo tu non vis » (Jn. XXI, 18).
13 Teresa de Jesús, Obras completas, p. 825.
14 Ordinario y Ceremonial, fo 9vo.
15 Ibid., fo 10vo.
16 Ibid., fos 70-77.
17 Ibid., fo 78vo.
18 Ana de San Bartolomé, Obras completas, p. 709.
19 P. Bourdieu, Le sens pratique, p. 123.
20 I. Poutrin, « Souvenirs d’enfance ».
21 Pour une approche de cette notion, voir C. E. Sluzki et E. Verón, « La double contrainte ». Le concept a déjà été appliqué au carmel dans A. Weber, « The Paradoxes of Humility ».
22 A. Saint-Saëns, « Thérèse d’Ávila ».
23 Teresa de Jesús, Obras completas, p. 783.
24 Vida de la Madre Catalina de Jesús, fo 381ro (BNE, ms. 5807, fos 343-438).
25 María de San José, Relación de la vida de algunas religiosas, fo 11vo (BNE, ms. 7018, fos 2-26).
26 Relaciones sobre el conuento de Malagón, fo 412vo (BNE, ms. 7018, fos 409-421).
27 María de San José (Sousa), Mercedes y favores que Dios hizo a la Madre María de San José, fo 24vo (BNE, ms. 2711, fos 23-36).
28 Silverio de Santa Teresa, Processos de beaficación, t. I, p. 548.
29 Relaciones sobre el conuento de Malagón, fo 412ro (BNE, ms. 7018, fos 409-421).
30 Isabel de la Encarnación, Cuadernos de Bernardina de Jesús, fo 271 (BNE, ms. 5807, fos 262-329).
31 María de San José (Sousa), Mercedes y favores que Dios hizo a la Madre María de San José, fo 24ro (BNE, ms. 2711, fos 23-36).
32 Teresa de Jesús, Obras completas, pp. 699-703.
33 Ana de San Bartolomé, Obras completas, p. 630.
34 Ibid., pp. 625-626.
35 Ordinario y Ceremonial, fo 78ro.
36 Informaciones sobre los religiosos y las religiosas carmelitas descalzos del Reyno de Portugal, fo 43vo (BNE, ms. 2711, fos 42-51).
37 Beatriz de San José, Lo que Beatriz de San José dejó escrito sobre la Madre María de Jesús, fo 166ro (BNE, ms. 8693, fos 156-179).
38 Manuela de la Madre de Dios, Vida de la Madre Leonor María del Sacramento, fo 63ro (BNE, ms. 7018, fos 53-73ro).
39 Beatriz de San José, Lo que Beatriz de San José dejó escrito sobre la Madre María de Jesús, fo 165ro (BNE, ms. 8693, fos 156-179).
40 Vida de la Madre Juliana de la Madre de Dios, fo 57ro (BNE, ms. 5807, fos 57-74).
41 Ibid., fo 59ro.
42 Plusieurs exemples dans Información sobre la Madre María de San José, fos 6-21 (BNE, ms. 2711).
43 Vida de Catalina María de Jesús, fo 23ro (AHN, Clero Regular, leg. 3850).
44 Ces mortifications sont notamment décrites dans le cérémonial, cap. XI, § 2.
45 Manuela de la Madre de Dios, Vida de la Madre Leonor María del Sacramento, fo 63ro (BNE, ms. 7018, fos 53-73ro).
46 Silverio de Santa Teresa, Processos de beatificación, t. I, p. 251.
47 Ibid., t. II, p. 129.
48 De la fundación del monasterio de la Encarnación de las monjas carmelitas descalças de la Villa de Cuerba, fo 91ro (BNE, ms. 7018, fos 74-99).
49 Bautista de Lanuza, Miguel, Fundación y excelencias del Conuento.
50 Leonor de la Misericordia, Vida de la venerable Madre Catalina de Cristo (BNE, ms. 6621).
51 Vida de Catalina María de Jesús, fo 17ro (AHN, Clero Regular, leg. 3850).
52 Silverio de Santa Teresa, Processos de beatificación, t. I, p. 21.
53 Ibid., t. II, p. 53.
54 Isabel de San José, Fundación deste conuento de San Josef de carmelitas descalças desta ciudad de Cuenca, fo 139vo (BNE, ms. 7018, fos 137-148ro).
55 Silverio de Santa Teresa, Processos de beatificación, t. I, p. 562.
56 I. Poutrin, « Souvenirs d’enfance ».
57 P. Bourdieu, Le sens pratique, p. 113.
58 Vida de la Madre María de Jesús, fo 141vo (BNE, ms. 8693, fos 139-144vo).
59 Nous suivons le Tratado de una brebe relación de su uida que quenta una monja descalça (BNE, ms. 8482).
60 C’est un lieu commun de l’hagiographie. Voir, par exemple, Eufrasía de San José, Fundación del conbento de Arenas y traslación del a la ciudad de Guadalajara, fo 312vo (BNE, ms. 7018, fos 308-322).
61 Beatriz de San José, Lo que Beatriz de San José dejó escrito sobre la Madre de Jesús, fo 161ro (BNE, ms. 8693, fos 156-179).
62 Informaciones sobre María de Jesús, fo 151ro (BNE, ms. 8693, fos 147-232).
63 Vida de la Madre María de Jesús, fo 141ro (BNE, ms. 8693, fos 139-144).
64 Beatriz de San José, Lo que Beatriz de San José dejó escrito sobre la Madre María de Jesús, fo 160ro (BNE, ms. 8693, fos 156-179).
65 Informaciones sobre María de Jesús, fo 151ro (BNE, ms. 8693, fos 147-232).
66 Vida de la Madre María de Jesús, fo 141ro (BNE, ms. 8693, fos 139-144).
67 Alonso de San Jerónimo, Vida, virtudes y milagros, fo 18ro.
68 Rappelons qu’à l’époque la vermine relève de la génération spontanée.
69 Francisco de Santa María, Reforma de los Descalzos, p. 72.
70 Ibid., p. 73.
71 Silverio de Santa Teresa, Processos de beatificación, t. I, p. 53.
72 María de San José, Relación de la vida de algunas religiosas, fo 6vo (BNE, ms. 7018, fos 2-26).
73 Fundación del conbento de Matarón, fo 395vo (BNE, ms. 8693, fos 389-407).
74 Francisco de Santa María, Reforma de los Descalzos, p. 74.
75 G. Zarri (éd.), Finzione e santità.
Auteur
Centre Roland Mousnier – Université Paris-Sorbonne
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La gobernanza de los puertos atlánticos, siglos xiv-xx
Políticas y estructuras portuarias
Amélia Polónia et Ana María Rivera Medina (dir.)
2016
Orígenes y desarrollo de la guerra santa en la Península Ibérica
Palabras e imágenes para una legitimación (siglos x-xiv)
Carlos de Ayala Martínez, Patrick Henriet et J. Santiago Palacios Ontalva (dir.)
2016
Violencia y transiciones políticas a finales del siglo XX
Europa del Sur - América Latina
Sophie Baby, Olivier Compagnon et Eduardo González Calleja (dir.)
2009
Las monarquías española y francesa (siglos xvi-xviii)
¿Dos modelos políticos?
Anne Dubet et José Javier Ruiz Ibáñez (dir.)
2010
Les sociétés de frontière
De la Méditerranée à l'Atlantique (xvie-xviiie siècle)
Michel Bertrand et Natividad Planas (dir.)
2011
Guerras civiles
Una clave para entender la Europa de los siglos xix y xx
Jordi Canal et Eduardo González Calleja (dir.)
2012
Les esclavages en Méditerranée
Espaces et dynamiques économiques
Fabienne P. Guillén et Salah Trabelsi (dir.)
2012
Imaginarios y representaciones de España durante el franquismo
Stéphane Michonneau et Xosé M. Núñez-Seixas (dir.)
2014
L'État dans ses colonies
Les administrateurs de l'Empire espagnol au xixe siècle
Jean-Philippe Luis (dir.)
2015
À la place du roi
Vice-rois, gouverneurs et ambassadeurs dans les monarchies française et espagnole (xvie-xviiie siècles)
Daniel Aznar, Guillaume Hanotin et Niels F. May (dir.)
2015
Élites et ordres militaires au Moyen Âge
Rencontre autour d'Alain Demurger
Philippe Josserand, Luís Filipe Oliveira et Damien Carraz (dir.)
2015