Préface
p. XI-XII
Texte intégral
1L’histoire pêche souvent par timidité, par crainte de s’abandonner à une trop forte présomption. De là vient sans doute la propension dominante chez nombre d’historiens pour la micro-spécialisation, l’émiettement des recherches donnant parfois l’impression d’un fonctionnement en circuit fermé. En déconnection herméneutique. À l’opposé, il n’est pas difficile de rencontrer, sur les rayons des bibliothèques universitaires des synthèses globalisantes en arrière des avancées historiographiques récentes et proposant une manière de magma des questionnements historiques. Deux tentations épistémologiques donc : le repli et l’ubris. Et ce ne sont pas les avatars incarnés par la mode de la connected History, même si celle-ci conduit à relativiser une dimension d’histoire totale au profit d’une autre, qui vont changer beaucoup les données du problème.
2C’est pour cette raison que l’initiative de trois jeunes et remarquables historiens modernistes, Nathalie Szczech, Olivier Spina et Antoine Roullet, dont les spécialités sont très différentes, d’organiser une rencontre autour d’un projet d’histoire socio-culturelle comparée peut apparaître comme extrêmement stimulante et positive. Trois royaumes à la modernité, Angleterre, Espagne, France, et une interrogation, courageuse parce qu’un peu provocatrice, touchant à la perméabilité ou l’imperméabilité de la « communauté ». Et une volonté d’inventer ou de réinventer un objet possédant sa singularité. En réalité en effet, il s’est moins agi de s’engager dans une expérience d’histoire comparée, qui finit toujours par évaluer des points de similitude et de dissimilitude et donc est en fin de compte plutôt stérile, que de développer un dialogue entre historiens, une histoire dialogique mettant en valeur ce qui serait une anthropologie du rapport du collectif à lui-même. Ne nous trompons pas, il faut le redire, les auteurs n’ont pas voulu comparer, ils ont voulu jouer la carte difficile d’une histoire assumant catégoriquement les différences pour en faire ressortir des dynamiques problématiques nouvelles. Il faut les remercier d’avoir fait ce pari, car le résultat est plus que positif. Leur histoire ne se réduit pas à une anthropologie « molle » comme aimait à dire Pierre Chaunu, mais elle se veut une histoire procédant, à partir d’une série de « carottages » comme ils aiment à le souligner, à une sémiologie des convergences.
3 Et donc la rencontre entre historiens espagnols, anglo-saxons, français s’est centrée sur la question de la communauté, perçue non comme un espace social aux frontières stables et bien marquées et aux configurations plurielles, mais comme un champ d’interactions, d’hommes, d’objets et de discours, une idéalité sans cesse confrontée à l’interrogation sur sa perpétuation et son risque de déshérence. La communauté plus mobile et mouvante que repliée sur elle-même, la communauté disponible à des incorporations dont il faut chercher les modalités, les acteurs, les événements, les rites, les blocages, les impasses, mais surtout les nécessités d’ouverture et de réceptivité à l’extériorité, sans pour autant perdre de vue qu’elle implique, de la part de ses membres, des pratiques communes et l’adhésion à une axiologie partagée.
4À la limite, en lisant l’ensemble des communications, le lecteur en viendra à douter des concepts utilisés dans la contemporanéité, parce qu’il appréhendera que, dans le passé de la modernité, la société était traversée par des failles rendant sans cesse opératrices des accommodations, des modulations et que, de la sorte, elle portait en elle-même les fondements d’un jeu dialectique allant d’un pôle social ou de pôles sociaux à l’individu et de l’individu au pôle social ou aux pôles sociaux. Un jeu savant, ayant sa grammaire, ses règles, ses temporalités, et ses espaces et qui, comme le démontrent les contributeurs de cet ouvrage, procède de la « fabrique du lien social » dans l’interactivité d’une axiologie sémiologique et d’une plasticité structurelle de l’appartenance. Et alors, c’est là où le projet est plus que fécond, dans la mesure où les études de cas en Angleterre, en Espagne ou en France, loin de décrire des univers particularisés, portent à une vision relativement décloisonnée et déspécifiée du social à l’époque moderne, un social qui est un socio-culturel parce qu’il est construit sur une complexité fonctionnelle lui assurant une régulation elle aussi fonctionnelle. Ainsi, autant par ses apports que par les connections qu’elle permet d’établir, cette histoire dialogique ainsi imaginée exige désormais d’autres développements à venir.
Auteur
Centre Roland Mousnier – Université Paris-Sorbonne
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