L’ibadisme berbère : la légitimation d’une doctrine venue d’orient
p. 55-71
Texte intégral
1Les premiers siècles de l’ibadisme maghrébin demeurent obscurs à de nombreux points de vue. Ainsi, la façon dont les Berbères se sont approprié cette doctrine extrêmement rigoureuse, élaborée en Orient, a été peu étudiée. Une période d’adaptation est en effet nécessaire pour que les Berbères, attachés à leur société tribale, adoptent pleinement les dispositions relatives à l’exercice du pouvoir précisément fixées dans la doctrine ibadite, et qu’ils légitiment cette doctrine en conciliant leur culture avec la nouvelle foi qu’ils ont adoptée. Les sources ibadites écrites, mais également le vaste patrimoine architectural qui a subsisté jusqu’à nos jours dans le Mzab, à Djerba et dans le Djebel Nafūsa, permettent de mieux comprendre cette genèse de l’ibadisme maghrébin.
2Quatre textes ibadites importants sont utilisés dans les pages qui suivent. Le plus ancien est le Kitāb fīhi bad’ al-islām wa-šarā’i‘ al-dīn d’Ibn Sallām, datant du dernier quart du IXe siècle. Il s’agit du plus ancien ouvrage historique écrit par un ibadite que nous ayons conservé. On y trouve entre autres une introduction portant sur la foi musulmane, une évocation des compagnons du Prophète et des premiers imām-s ibadites orientaux, ainsi que des considérations sur les États éphémères fondés au Maghreb par Abū l-Haṭṭāb al-Ma‘āfirī et par Abū Ḥātim al-Malzūzī. Le Kitāb al-Sīra wa-ahbār al-a’imma d’Abū Zakariyyā’ Yaḥyā b. Abī Bakr al-Wārğalānī, rédigé vers la fin du XIe ou le début du XIIe siècle, est un ouvrage capital pour l’étude de l’ibadisme maghrébin. Une première partie retrace l’histoire des ibadites du Maghreb depuis la diffusion de la doctrine jusqu’en 474/1081-1082, la dernière date mentionnée par l’auteur ; elle est suivie d’une seconde partie composée de notes biographiques. Si de nombreux passages de la chronique paraissent tout à fait fiables et permettent d’enrichir notre connaissance de cette époque, il faut admettre que d’autres passages, empreints d’hagiographie, sont à considérer avec prudence et sont, dans certains cas, tout bonnement inutilisables. Une autre source importante est le Kitāb Ṭabaqāt al-mašāyiẖ d’Abū l-‘Abbās Aḥmad b. Sa‘àd al-Darğīnī, rédigé après 1253. La première partie de cet ouvrage reprend, sans beaucoup la modifier, la partie historique de la chronique d’Abū Zakariyyā’, tandis que la seconde partie innove en présentant un ensemble de biographies dans lequel les personnages sont classés en douze ṭabaqāt ou générations de savants. Bien qu’al-Darğīnī reprenne certains passages peu crédibles de l’œuvre de son prédécesseur, il fait manifestement preuve, dans la seconde partie qu’il a composée seul, d’un sens critique plus aigu. Enfin, l’ouvrage ibadite sans conteste le plus fiable est le Kitāb al-Siyar d’Abū l-‘Abbās Aḥmad al-Šammāẖī (m. 1522). Cet historien appartient à une vieille famille berbère du Djebel Nafūsa, qui compte de nombreux savants. Personnage très instruit, auteur de plusieurs livres, il voyage beaucoup dans les communautés ibadites d’Afrique du Nord. Al-Šammāẖī a vraisemblablement consulté tous les documents qu’il avait à sa disposition, certains d’entre eux n’étant pas parvenus jusqu’à nous, et les a triés de sorte à restituer le plus précisément possible l’histoire des ibadites maghrébins. Il a toujours à cœur de citer ses sources, il confronte les faits historiques avancés par ses prédécesseurs s’ils se contredisent et recourt, si nécessaire, à des précisions puisées dans des sources non ibadites.
3Enfin, il faut évoquer les Aẖbār al-a’imma l-rustumiyyīn d’Ibn al-Ṣaġīr. Cette chronique a été rédigée au tout début du Xe siècle par un commerçant arabe de tendance chiite vivant à Tahert sous les derniers imām-s rustumides. Il précise bien au début de sa chronique que sa tâche est celle d’un historien et qu’en aucun cas il n’approuve les actes et la doctrine de ces ibadites qui considèrent le quatrième calife ‘Alī comme un excommunié1. Il dresse un tableau très vivant de la vie à Tahert et décrit, sans éprouver les scrupules des auteurs ibadites, les nombreuses scissions et guerres de succession qui ont marqué l’histoire rustumide2.
I. — LA CONVERSION AUX DOCTRINES KHARIJITES
4Si l’engouement des Berbères pour les doctrines kharijites est bien connu, les renseignements sur les circonstances dans lesquelles s’est déroulée leur conversion sont rares. Deux exemples sont toutefois assez bien documentés, la conversion de la tribu des Nafūsa à laquelle les sources ibadites font exceptionnellement allusion, et celle des populations berbères du Djérid, évoquée par les sources sunnites. Les Nafūsa, vivant dans les montagnes qui portent leur nom au nord-ouest de l’actuelle Libye, étaient chrétiens : leur christianisation s’était intensifiée au VIe siècle et, lors de la première attaque arabe en Tripolitaine en 643, ils avaient été appelés à la rescousse par les Byzantins et avaient dû se soumettre3. Suivant la tradition ibadite, ‘Umar b. Yamkatan fut le premier qui enseigna le Coran dans le Djebel Nafūsa. Il l’étudia au contact de voyageurs arabes venus d’Orient sur la route de Maġmadās, la grande voie qui longe la côte libyenne, empruntée par une foule de pèlerins et de commerçants. Il recopia les versets sur des tablettes, prit le temps de les mémoriser puis retourna sur la route du pèlerinage et s’instruisit encore au contact de ceux qu’il rencontrait, de sorte qu’il apprit le Coran tout entier par cœur ainsi que la science religieuse, qui lui fut enseignée par les voyageurs ibadites4. Il n’eut manifestement aucune difficulté à convaincre les Nafūsa d’adopter cette foi nouvelle. Ensuite, il fut nommé gouverneur de Surt par l’imām ibadite Abū l-Haṭṭāb et mourut en martyr à ses côtés, en 144/761-7625. Si l’on en croit les sources ibadites, les Nafūsa, isolés dans leurs montagnes, n’ont donc pas été confrontés à d’autres enseignements que celui des ibadites6.
5La situation est différente chez les habitants du Djérid tunisien, nomades ou sédentaires, qui ont été confrontés, en plus de la propagande kharijite, à une active propagande sunnite sur leurs terres. Sous le règne du pieux calife ‘Umar II (717-720), le gouverneur de l’Ifrīqiya Ismā‘īl b. ‘Ubayd Allāh b. Abī l-Muhāğir est accompagné par une mission de dix tābi‘ūn. Ces Orientaux, célèbres savants qui descendent des compagnons du Prophète, enseignent la langue du Coran dans les grandes villes et multiplient la création d’écoles coraniques. Leur action encourage l’ensemble des Berbères à adopter l’islam, vers 101/719-7207. D’autres tābi‘ūn viennent ensuite en renfort et l’un d’eux au moins s’installe à Qasṭīliya (Tozeur) : al-Mālikī donne en effet la biographie du Baġrien Abū Mu‘ammar ‘Abād b. ‘Abd al-Ṣamad, qui séjourne d’abord à Kairouan puis se fixe à Qasṭīliya où il finit sa vie8. Cette propagande sunnite coïncide avec une active propagande kharijite : dès le début du VIIIe siècle en effet, un grand nombre d’Arabes kharijites hostiles aux Umayyades quittent l’Irak pour diffuser leur doctrine et s’allier aux populations conquises9. Ils s’établissent pour la plupart dans les métropoles et surtout à Kairouan, où l’enseignement des doctrines kharijites sera permis jusqu’à l’interdiction promulguée au milieu du IXe siècle par le savant malikite Saḥnūn10. Kairouan accueille ainsi deux missionnaires orientaux, un cheikh ibadite de Baṣra, Salāma b. Sa‘àd, et un missionnaire sufrite, ‘Ikrima11. Sachant que ‘Ikrima serait mort en 105/723-72412, on peut situer les premières conversions ifràqiyennes à la fin du premier quart du VIIIe siècle. Les populations se convertissent soit à l’ibadisme, soit au sufrisme, auquel les Berbères du Djérid choisissent d’adhérer dans un premier temps13. Il est d’ailleurs probable qu’un partage du Maghreb avait dû avoir lieu en vertu d’un accord explicite qui réservait l’ouest de Kairouan aux sufrites et l’est aux ibadites, afin d’éviter la concurrence, les heurts et les échecs qui pourraient en résulter14. On peut supposer que les prédicateurs kharijites ne se sont pas installés dans le Sud tunisien mais qu’ils y ont envoyé périodiquement des missionnaires ou que les oasiens ont été gagnés à leur cause lors de leurs voyages commerciaux dans les villes où les kharijites exerçaient leur propagande.
6Dans ce pays où la conquête a été tellement pénible, il ne leur est pas difficile de dresser les Berbères contre leurs gouverneurs en insistant dans leur enseignement religieux sur les exactions commises par le pouvoir umayyade, sur les injustices dont sont victimes les Berbères et sur les moyens d’y remédier par la révolution qui portera au pouvoir le meilleur d’entre eux. Tout un programme d’action politique, qui avait été rodé en Orient, est enseigné aux Berbères pour sacraliser leur lutte. La doctrine ibadite établit que la révolte contre l’injustice est non seulement un droit mais un devoir sacré et contraignant ; elle assure l’égalité de tous les croyants en détruisant le mythe qui assurait aux Qurayš le monopole du pouvoir suprême, ce dernier pouvant être assumé par n’importe quel membre de la communauté ibadite, quelle que soit son origine ethnique, pour autant qu’il soit désigné par la communauté et qu’il soit moralement et religieusement irréprochable. Toute une série de Ḥabīb -s destinés à débarrasser les Berbères de leurs complexes vis-à-vis des Arabes voient le jour. Fabriqués localement mais selon un moule oriental, ils désignent les Berbères comme le peuple élu par Dieu pour prendre la relève des Arabes qui ont failli à leur devoir15. L’historien ibadite Abū Zakariyyā’, en un chapitre intitulé « Mérites des Berbères parmi les non Arabes », mentionne plusieurs de ces ḥadīṯ-s16. Ainsi, ‘Alī b. Abī Ṭālib aurait dit aux gens de La Mecque et de Médine : « je vous commande de bien agir envers Dieu et envers les Berbères, car ils vous amèneront depuis le Maghreb la religion de Dieu après que vous l’aurez gâchée »17. Dans le même esprit, Gabriel aurait dit au Prophète Muḥammad à propos des Berbères : « ce peuple ressuscitera la religion de Dieu quand elle sera morte et la régénérera quand elle sera usée »18.
II. — LES PREMIÈRES EXPÉRIENCES DE DOMINATION POLITIQUE
7En Tripolitaine, les ibadites sont d’abord brièvement dirigés par le chef arabe ‘Abd Allāh b. Mas‘ūd al-Tūğībī, qui est décapité sur l’ordre du gouverneur de l’Ifrīqiya, ‘Abd al-Raḥmān b. Ḥabīb. En 131/748-749, deux chefs arabes ibadites, ‘Abd al-Ǧabbār b. Qays al-Murādī et al-Ḥāriṯ b. Talīd al-Ḥaḍramī, s’emparent de la province de Tripoli, soutenus par les Berbères. Ils affrontent à plusieurs reprises les assauts du gouverneur ‘Abd al-Raḥmān b. Ḥabīb et gagnent encore du terrain, mais finissent par perdre la vie19. Il apparaît dans les sources ibadites que les deux chefs ont fini par se donner mutuellement la mort : chacun avait l’arme de son adversaire plantée dans le corps. Cet épisode provoque de nombreuses querelles chez les ibadites maghrébins. Ils ne savent comment justifier ce double pouvoir, alors que la doctrine ibadite n’autorise qu’un seul imām si le territoire est unifié, et ils peinent à expliquer ce double meurtre contraire aux prescriptions divines20. Démunis, ils prennent conseil auprès des savants orientaux, mais ces derniers ne peuvent davantage se mettre d’accord. Abū ‘Ubayda Muslim al-Tamīmī, le chef des ibadites à Baṣra, écrit alors aux savants maghrébins et leur demande de cesser d’évoquer les deux chefs. Plus tard, en 140/757-758, Abū l-Haṭṭāb al-Ma‘āfirī n’acceptera d’ailleurs de devenir imām des ibadites qu’à la condition qu’on n’évoquerait jamais la question d’al-Ḥāriṯ et de ‘Abd al-Ǧabbār, afin de ne pas provoquer de discorde21. Cette première expérience de domination de grande envergure, qui provoque une « forte crise politico-théologique »22, montre bien la fragilité de la jeune communauté, en proie aux luttes intestines, et souligne combien les deux chefs ont fait peu de cas de la conception du pouvoir imposée par la doctrine ibadite.
8C’est également dans le chaos que se déroule, en Ifrīqiya cette fois, la prise de pouvoir des Warfağğūma, une tribu berbère issue des Nafzāwa et associée à l’Aurès et au Sud tunisien. En 137/754, le gouverneur ‘Abd al-Raḥmān b. Ḥabīb est assassiné par ses deux frères, Ilyās et ‘Abd al-Wāriṯ, pour avoir rompu les liens de soumission de l’Ifrīqiya envers les ‘Abbāsides23. Son fils et successeur Ḥabīb fait assassiner Ilyās tandis que ‘Abd al-Wāriṯ et ses hommes trouvent refuge dans la tribu des Warfağğūma sufrites, où ils sont chaleureusement accueillis. Après une victoire contre les troupes de Ḥabīb, les Warfağğūma se décident à prendre Kairouan et promettent par écrit aux habitants, qui tentent de négocier avec eux, de se soumettre au calife ‘ abbāside. Avec le soutien d’une partie des Kairouanais, en 139/757, les Berbères prennent Kairouan, massacrent ceux qui résistent et mettent la ville à sac. Ils commettent de nombreuses exactions, font pénétrer leurs chevaux dans la Grande Mosquée et violentent la population24. Il est communément admis que les Warfağğūma sont des sufrites ; toutefois, il faut souligner que les auteurs ibadites ne le disent pas expressément et que les sources sunnites elles-mêmes sont silencieuses ou peu claires sur ce point25. Cette révolte contre le pouvoir kairouanais est très certainement, dans le contexte politique de cette époque, à imputer à un mouvement lié au kharijisme, mais est-ce bien le sufrisme ? En l’absence de documents permettant de démontrer le contraire, nous admettons ici que cette tribu s’inscrivait bien dans la mouvance sufrite26.
9La domination des Warfağğūma suscite bien des questionnements, ne seraitce qu’à cause de l’annonce, avant même qu’ils n’aient pris Kairouan, de leur future soumission aux ‘Abbāsides, qui est évidemment contraire à l’idéal kharijite imposant de proclamer publiquement un imām dès que la situation le permet. De même, après avoir pris la ville, ils ne manifestent pas la moindre intention de jeter les bases d’un État kharijite. La personnalité de leur chef ‘Āṣim b. Ǧamīl est particulièrement intéressante, puisqu’il s’attribue des dons divinatoires et prétend être un prophète. Ibn al-Aṯīr précise qu’il a modifié les croyances et augmenté la prière, sans que l’on sache si c’est en fréquence ou en longueur. Il a également fait retirer l’invocation du Prophète de l’appel à la prière27. Le fait qu’il ait supprimé cette invocation à Muḥammad indique peut-être qu’il y avait substitué son nom à lui, ce qui expliquerait le peu de considération porté à la Grande Mosquée, symbole du sunnisme triomphant. On ignore tout des antécédents de ‘Āṣim, mais il a sans doute, s’il n’était pas trop jeune à cette époque, participé aux premières révoltes kharijites de la région. Ce chef charismatique a certainement fondé sa propagande sur les idéaux révolutionnaires du kharijisme, auxquels il a ajouté quelques innovations religieuses. Ses qualités de « prophète » et de chef tribal berbère lui ont permis de légitimer définitivement son pouvoir. Il est en effet notable que ‘Āṣim est l’un des premiers chefs berbères à s’illustrer à la tête de révoltes kharijites28.
10La prise de Kairouan coïncide quasiment avec l’élection d’un imām par les ibadites de Tripolitaine : Abū l-Haṭṭāb al-Ma‘āfirī, élu en 140/757-758, jure de reprendre Kairouan aux Warfağğūma après avoir entendu un ibadite lui relater qu’il avait vu l’un d’entre eux s’attaquer publiquement à une femme29. Il les fait massacrer en 141/758-759 et reprend la ville, nommant ‘Abd al-Raḥmān b. Rustum gouverneur de l’Ifrīqiya30. La première grande victoire des ibadites se fait ainsi aux dépens des sufrites et non des sunnites. Ce massacre d’une communauté kharijite par une autre paraît, par sa violence, unique dans l’histoire du Maghreb. Les sources nous donnent en effet plusieurs exemples d’alliance entre les sufrites et les ibadites et l’on peut imaginer que si la domination des Warfağğūma avait été jugée légitime par Abū l-Haṭṭāb al-Ma‘āfirī, les différentes communautés kharijites de la région se seraient placées, provisoirement au moins, sous leur égide31. On pourrait en déduire que les sources ibadites ont volontairement exagéré les actions des Warfağğūma, de manière à légitimer le massacre d’une autre communauté kharijite par Abū l-Haṭṭāb. Mais les sources non ibadites témoignent d’une virulence identique, sinon pire, à leur égard, insistant sur les atrocités commises, alors que tout ceci intervient dans un contexte de révoltes fréquentes où les conquêtes de villes et les massacres sont légion. La prise de Kairouan par les Warfağğūma constitue l’un des rares exemples où l’on voit les sources sunnites et ibadites s’indigner d’une même voix des outrages commis dans la capitale et il semble bien que cet épisode ait réellement marqué son époque. L’utilisation de la Grande Mosquée en guise d’écurie est soulignée comme l’événement le plus frappant et al-Šammāẖī, qui présente les Warfağğūma comme une horde blasphématoire et violente, insiste également sur cet acte particulièrement scandaleux32.
11La défaite des Warfağğūma marque la fin du sufrisme dans le Maghreb oriental, les derniers Berbères sufrites devenant ibadites33. C’est certainement le rapport de force défavorable qui les a poussés à adopter la religion du vainqueur : il semble que leur combat était essentiellement politique et qu’ils n’ont fait aucun cas des éventuelles divergences dogmatiques. Toutes les alliances semblent bonnes pour contrer les conquérants arabo-musulmans et leur révolte semble surtout motivée, à cette époque, par leur envie d’acquérir pouvoir, indépendance et richesses34.
12Il est intéressant, au vu des éléments étudiés ci-dessus, de reposer à présent la question de l’éventuelle appartenance des Warfağğūma au sufrisme. Leur révolte s’inscrit évidemment dans le grand mouvement des révoltes kharijites contre l’occupant, mais il faut avouer qu’en dehors de la révolte elle-même, rien ne les rattache à une quelconque doctrine kharijite : l’alliance avec ‘Abd al-Wāriṯ, frère du gouverneur de l’Ifrīqiya, l’annonce de la soumission aux ‘Abbāsides, les innovations religieuses introduites par ‘Āṣim b. Ǧamīl, un chef tribal se prétendant prophète, les outrages vis-à-vis des symboles musulmans sont peu compatibles avec le message kharijite. Il est probable, comme il a été dit plus haut, que ‘Āṣim b. Ǧamīl s’est servi de l’engouement que suscitait alors le kharijisme pour légitimer sa prise de la capitale et attirer sous cette bannière révolutionnaire de nombreux partisans ; il ne devait que peu se soucier des sufrites. C’est sans doute principalement parce que les Warfağğūma ont dû affronter les ibadites qu’on les a considérés comme tels : des kharijites vaincus par les ibadites devaient automatiquement être sufrites. Il semble en tout cas, en l’absence de sources plus précises, qu’il faille employer avec prudence le terme « sufrite ».
III. — LES ÉTRANGERS, REMPARTS CONTRE LES CONFLITS TRIBAUX
13Pour Mohamed Talbi, le kharijisme « servait de support au nationalisme berbère »35. De la même façon, pour de nombreux orientalistes, cette doctrine apparaît comme le refus de la domination arabe et sa principale aspiration politique est le rétablissement d’un pouvoir berbère ; elle serait donc l’expression d’un sentiment indépendantiste chez les Berbères, dirigé contre les musulmans arabes orthodoxes36. Pourtant, les tribus berbères se placent la plupart du temps sous la bannière de chefs étrangers et la propagande kharijite parvient à unir dans le même combat les Berbères et une partie des Arabes. On explique souvent le succès du kharijisme au Maghreb par l’arabophobie des Berbères, qui n’auraient adopté cette doctrine que pour lutter contre l’envahisseur, mais il s’agit plutôt d’une guerre civile ; le kharijisme a davantage favorisé que freiné la symbiose arabo-berbère37. Cette alliance des autochtones et des étrangers se manifeste dès les premiers temps du kharijisme maghrébin, comme en témoigne l’origine ethnique des cinq Ḥamalat al-‘ilm ou porteurs de science, qui ont été envoyés à Baṣra pour y compléter leurs connaissances religieuses auprès d’Abū ‘Ubayda Muslim al-Tamīmī. Abū Zakariyyā’ présente ainsi les cinq Ḥamalat al-‘ilm :
Abū l-Haṭṭāb ‘Abd al-‘lā b. al-Samḥ al-Ma‘āfirī — les Ma‘āfir sont une tribu arabe — et ‘Abd al-Raḥmān b. Rustum al-Fārisī — que Dieu soit satisfait d’eux —, ‘Āṣim al-Sadrātī, Ismā‘īl b. Darrār al-Ġadāmisī et Abū Dāwud al-Qibillī38.
14Il évoque ensuite très brièvement les quelques années qu’ils passent à Baṣra auprès d’Abū ‘Ubayda Muslim al-Tamīmī39.
15Ce groupe comporte donc trois Berbères, le Persan ‘Abd al-Raḥmān b. Rustum et l’Arabe Abū l-Ḫaṭṭāb ‘Abd al-A‘lā aṭṭāb al-Ma‘āfirī, élu imām des ibadites en 140/757-758, peu après son retour d’Orient40. Ces cinq personnages illustrent bien l’union des Arabes yéménites, des Persans et des Berbères contre les Umayyades41. Il faut noter le rapport particulièrement bien équilibré entre les origines de ces cinq savants, où les Berbères conservent la première place. Selon les Mozabites d’ailleurs, l’ibadisme d’Abū ‘Ubayda, bien qu’importé d’Orient, incarne les aspirations berbères car parmi ses élèves, trois étaient d’origine africaine42. Mieux encore, les missionnaires berbères choisis comme ḥamalat al-‘ilm proviennent de différentes tribus et régions de sorte à pouvoir se faire parfaitement comprendre en rentrant chez eux43. C’est donc dans les conditions les plus favorables qu’ils vont transmettre la doctrine acquise en Orient auprès des leurs : l’un est natif de Ghadamès, le deuxième de Qibillà — l’actuelle Kébili dans le Nafzāwa — et le troisième est sans doute originaire de Sadrāta près de Ouargla, à moins qu’il ne soit issu de la tribu des Sadrāta.
16Vers 161/777-778, l’un de ces porteurs de science, ‘Abd al-Raḥmān b. Rustum, est nommé imām des ibadites à Tahert, inaugurant ainsi la dynastie des imām-s rustumides. Tout comme il l’avait fait pour les Berbères, Abū Zakariyyā’ consacre aux Persans un chapitre intitulé « Mention des mérites des Persans parmi les non Arabes »44, qui contribue à légitimer tardivement la prise de pouvoir de cet étranger. L’investiture de ‘Abd al-Raḥmān est facilitée par son origine persane : il n’a pas, en cas de déviation, de clan qui le soutienne ou de tribu qui se batte pour le maintenir au pouvoir45. Sa neutralité par rapport aux conflits intertribaux est le principal facteur pour son élection, la fondation de l’État rustumide résultant donc d’un compromis entre les différentes tribus berbères. L’ibadisme qui prône l’égalité absolue entre tous les musulmans est un facteur d’unité entre les différentes tribus, mais la sourde rivalité qui les oppose traditionnellement réapparaît rapidement46. Dès la nomination du second imām ‘Abd al-Wahhāb, en effet, les intérêts tribaux reprennent le dessus : Yazīd b. Fandàn, qui sera à l’origine du schisme nukkārite, soutient d’abord ‘Abd al-Wahhāb qui appartient par sa mère, tout comme lui, aux Banū Īfran, en espérant que cette parenté le favoriserait47. Ces luttes tribales seront l’une des causes de la ruine de la dynastie rustumide. Il faut noter que dès la nomination du second imām, l’État de Tahert renie l’imamat électif, principe même du kharijisme, en introduisant un principe dynastique.
IV. — UNE FORTE ARABISATION COUPLÉE À LA PRÉSERVATION DES LANGUES BERBÈRES
17C’est après la fondation de Tahert que commence réellement l’islamisation profonde des Berbères convertis à l’ibadisme, tout comme Kairouan avait été entre autres créée pour être un centre d’islamisation destiné à stabiliser la foi des Berbères nouvellement convertis48. L’adoption de l’ibadisme suscite une importante arabisation des Berbères. En effet, selon cette discipline religieuse puritaine qui invalide les prières dont le sens n’a pas été bien compris par ceux qui les récitent, les vrais croyants doivent posséder une certaine science, lire et écrire la langue du Coran. L’instruction publique est donc considérée comme le premier devoir par les religieux49. Les cheikhs ou religieux, quant à eux, se doivent de connaître la grammaire, le Coran, la Tradition du Prophète, l’histoire des premiers califes et des imām-s ibadites, pour que leur autorité soit pleinement reconnue ; il leur faut maîtriser parfaitement la langue de la révélation pour pénétrer la pensée de Dieu et faire l’exégèse du Livre sacré50. L’attention portée à la pureté de la langue arabe est d’ailleurs à l’origine de la création du Kitāb Ṭabaqāt al-mašā’iẖ d’al-Darğīnī : au XIIIe siècle, le mouvement intellectuel djerbien connaît un nouvel essor grâce aux contacts avec les savants d’Oman. De nombreux livres de ce pays arrivent sur l’île et les Omanais prient les savants djerbiens de rédiger pour eux une histoire de leurs ancêtres et des cheikhs qui les ont précédés. Les ‘azzāba (clercs) djerbiens cherchent quel est le savant le plus éminent et se mettent d’accord pour confier cette tâche à al-Darğīnī qui conçoit le plan du Kitāb Ṭabaqāt51. Selon l’historien ibadite al-Barrādī, on songea d’abord au livre d’Abū Zakariyyā’,
mais on reconnut qu’il n’était pas assez complet et que le style de l’auteur se ressentait forcément tant de son habitude de la langue berbère, que de son ignorance des règles de l’arabe et de la propriété des termes52.
18Il paraît qu’une des langues berbères, tout au moins, était utilisée à Tahert53. Toutefois, le fait que les imām-s rustumides Aflaḥ et Abū Ḥātim Yūsuf avaient un interprète pour cette langue en la personne du célèbre poète Abū Sahl al-Fārisī54 laisse penser que les souverains de Tahert ne la parlaient pas. L’adoption de l’ibadisme par les Berbères donna naissance à une importante littérature en langue berbère, transcrite en caractères arabes. Tous les ouvrages en prose avaient un sujet religieux ou didactique, le plus ancien étant la réfutation des doctrines de Nafāṯ b. Naṣr par Mahdī al-Nafūsī, très probablement écrit sous le règne d’Aflaḥ (823-871)55. Al-Darğīnī affirme qu’il a rédigé le livre dans une langue berbère de sorte que les Berbères se le fassent passer56. À la fin sans doute de l’époque rustumide, Abū Sahl al-Fārisī composa, dans une langue berbère, douze livres narrant l’évolution de la communauté. Une partie de cet ouvrage sera dérobée par les nukkārites ; le reste brûlera lors de la prise de Qal ‘ at Banī Darğīn en 440/1048-1049. Les ibadites ne parviendront à conserver que vingt-quatre chapitres de cette œuvre magistrale, que leurs fidèles ont heureusement pu mémoriser57. Il est possible que la ‘aqīda suivie aujourd’hui au Mzab et à Djerba, qui était à l’origine rédigée dans une langue berbère, remonte également à l’époque rustumide, car de nombreuses notations semblent se référer à l’époque florissante de Tahert58.
19Les ouvrages religieux rédigés dans une langue berbère ont pour but de propager plus facilement la connaissance du dogme parmi une population que sa cohésion avait toujours tenue à l’écart de l’infiltration linguistique arabe59. Outre la ‘aqīda, somme toute assez savante, on a retrouvé à Djerba et dans le Djebel Nafūsa plusieurs poèmes anciens en langue berbère qui expliquent de façon simple les grands principes de la doctrine ibadite. Ils appartenaient sans doute à un vaste corpus poétique, une sorte de « catéchisme oral » peut-être destiné à une population en grande partie analphabète. Ces poèmes qui devaient être compris dans toutes les régions peuplées d’ibadites étaient manifestement rédigés dans une « koinè ibadite » utilisée pour l’enseignement religieux60. Le dialecte du Djebel Nafūsa, tel qu’il a été étudié par Motylinski en 1886, semble être très proche de la langue que les ibadites médiévaux utilisaient dans leurs chroniques et leurs traités religieux61.
20Parmi les phrases berbères issues d’ouvrages ibadites médiévaux analysées par Tadeusz Lewicki, le plus grand nombre paraît appartenir au dialecte des Nafūsa de Tripolitaine, qui constitue déjà au XIIIe siècle pour al-Darğīnī un idiome à part, al-luġa l-nafūsiyya62. Les historiens ibadites évoquent aussi la langue des Ṣanhāğa63.
21L’attachement à l’usage des langues berbères exprime également l’opposition au monde arabophone et à l’orthodoxie musulmane. Selon Francesco Beguinot, lorsqu’au tournant des XIXe et XXe siècles, des groupements berbères de la région de Yefren en Tripolitaine ont abandonné l’ibadisme pour le sunnisme, l’usage de leur langue maternelle a diminué ; à la même époque, des poèmes religieux la mettent en valeur, dans lesquels l’auteur affirme s’exprimer dans cette langue parce qu’elle favorise et fortifie la foi ibadite64. Henri Basset estime que le Berbère bilingue a deux âmes, une âme superficielle, islamisée et arabisée, une autre âme toute intérieure, restée fidèle aux anciennes coutumes et superstitions, à l’antique manière de voir, qui est la plus profonde65.
V. — L’INTÉGRATION À L’ISLAM D’ANCIENS CULTES BERBÈRES
22Si l’ibadisme se définit par une observance rigoureuse de l’islam, il se caractérise également par la conservation d’anciens cultes païens, notamment le culte des grottes qui est l’un des plus anciens cultes berbères, tout comme celui des rochers ou des pierres. Les grottes sont considérées comme la demeure des divinités et, dans l’Antiquité, le Dieu des grottes le plus réputé en Numidie était Bacax66. Les grottes apparaissent comme des voies de pénétration vers le monde souterrain des génies, elles introduisent à la vie infraterrestre, en relation notamment avec les morts67. Ce culte perdure malgré la christianisation : saint Augustin était contraint d’invectiver des chrétiens africains qui croyaient devoir descendre dans des souterrains pour mieux se faire entendre de Dieu68. Après être devenus ibadites, les Berbères demeurent fidèles au culte de grottes et se bornent, le plus souvent mais pas toujours, à l’intégrer dans celui de différents personnages réputés pour leur piété69.
23Ce culte avait déjà sa place à Tahert et il est étonnant de constater qu’il était pratiqué par le dernier imām d’origine persane : en effet, dans les années 1940, la colonie mozabite de Tahert se rendait toujours en pèlerinage à la grotte où venait prier cet imām70. Après la chute des Rustumides, les sources ibadites fournissent de très nombreux exemples de l’importance accordée aux grottes. Ainsi, lorsque le rebelle nukkārite Abū Yazīd revient d’Orient, il creuse une grotte à Qal‘at Šaddād — l’actuelle Saddāda dans le Djérid — dans laquelle il se réunit avec ses compagnons pour mettre au point sa révolte contre les Fāṭimides71. Vers l’an 1000, sept savants, les cheikhs de la grotte, se rassemblent à Djerba dans la caverne de Mağmāğ, à öawmat Mağmāğ près de la mosquée masğid al-ġār, pour rédiger le dīwān al-’azzāba, une encyclopédie de fiqh ibadite en 12 tomes, aujourd’hui perdue72.
24Vers 1018, lorsqu’Abū ‘Abd Allāh Muḥammad b. Bakr est prêt à fonder la ḥalqa ou organisation des ‘azzāba, il envoie un émissaire dans le wādī Rīġ pour demander qu’on creuse à son intention une grotte où il pourrait se rassembler avec ses disciples73. Plusieurs anecdotes se rapportent à cette grotte, située à Tīn Islī : il apparaît notamment que les disciples du savant y dormaient serrés les uns contre les autres, que la grotte était étayée par des piliers et qu’un miḥrāb était aménagé dans une des parois74. On lit dans le Siyar al-mašāyiẖ qu’Abū ‘Abd Allāh Muḥammad b. Bakr est mort dans sa grotte à Tīn Islī et que son tombeau se trouve face à elle75. Lorsqu’Abū l-Rabī‘ Sulaymān b. Yaẖlaf al-Mazātī, son élève, gagne Tamūlast dans les montagnes du Sud-Est tunisien avec les membres de sa ḥalqa, c’est à nouveau dans une caverne qu’il s’établit76. Plus tard, il s’installe avec ses étudiants dans une grotte à Qal’at Banī ‘Alī dans les montagnes de Zanzafa, puis en aménage une seconde car la première est devenue trop petite à cause du trop grand nombre d’étudiants77.
25Si l’importance des grottes dans leurs écrits est remarquable, il faut noter que les ibadites ne sont pas les seuls musulmans à avoir conservé ce culte. De nombreuses populations sunnites l’ont maintenu dans tout le Maghreb ; toutefois, dans la plupart des cas, le culte se célèbre à date fixe lors de pèlerinages et se déroule à l’entrée de la grotte, non pas à l’intérieur78. Chez les ibadites, c’est bien l’intérieur de la grotte qui importe puisqu’on y prie, on y étudie et on y vit. Ils sont en outre manifestement les seuls à creuser des grottes artificielles ; actuellement, plusieurs mosquées djerbiennes comptent encore des grottes creusées par les ibadites, où se déroulent éventuellement des cérémonies79. Certaines de ces grottes sont dotées d’un miḥrāb, la célèbre mosquée Walḥī par exemple ; d’autres, comme la grotte de Mağmāğ, n’en ont pas. Celles qui en sont pourvues témoignent évidemment encore davantage d’une association directe entre le culte ancien et l’islam, puisqu’elles s’assimilent à de véritables mosquées souterraines.
26Alors que la décoration des lieux de culte est en principe rejetée par les ibadites, les deux communautés de Djerba et du Djebel Nafūsa ont fait fi de cette règle en dotant certaines de leurs mosquées d’un décor traditionnel géométrique, souvent appelé « art berbère »80, que l’on retrouve dans les broderies, les tapis, les tatouages, les bijoux ou encore les poteries. Ces motifs, utilisés depuis l’époque néolithique, sont des lignes entourées de rangées de pointillés, des triangles, des chevrons, des losanges, des animaux ou des végétaux extrêmement stylisés, dont la signification s’est perdue au fil des siècles. Ils avoisinent des mains de fatma, présentes en grand nombre, et des cercles qui pourraient évoquer un ancien culte solaire81. La plupart de ces signes ont indéniablement une vocation magique ou prophylactique et il est bien étonnant de les voir figurer dans des lieux de culte musulmans, comme c’est le cas sur les voûtes de plusieurs anciennes mosquées ibadites djerbiennes82. On les trouve aussi dans de nombreuses mosquées souterraines du Djebel Nafūsa ; l’intérieur de la mosquée Ḥawarīyīn proche de Tmezda, entre autres, est recouvert de plâtre et par endroits décoré de mains, d’inscriptions fortement détériorées, de lignes, de croix et de motifs en points83. À Djerba, sur les voûtes du plafond de la mosquée Walḥī, les versets sont séparés par des alignements de petits cercles irréguliers qui s’apparentent non pas à l’art calligraphique musulman, mais à la décoration traditionnelle. L’artiste a exceptionnellement eu recours à un décor musulman classique, mais combiné aux motifs berbères84. Tout comme dans le cas des grottes pourvues d’un miḥrāb, il existe donc ici un lien fort entre l’islam et l’utilisation de ces décors prophylactiques.
27Bien d’autres exemples peuvent être apportés de la façon dont les Berbères ont légitimé la doctrine ibadite en mêlant des habitudes locales aux nouvelles pratiques religieuses. Ainsi, à Djerba, la visite à l’olivier — un ancien rituel destiné à assurer la prospérité — a été intégrée aux cérémonies religieuses célébrant le mariage et la circoncision et est toujours respectée par les habitants de l’île. Les ibadites ont également préservé le rôle prédominant des femmes dans la société traditionnelle berbère, ce dont témoignent les nombreux textes consacrés à des femmes réputées pour leur piété et leur instruction.
VI. — CONCLUSION
28Les débuts du kharijisme au Maghreb ont été difficiles et les premières expériences de domination politique se sont soldées par des échecs. Avant le retour des porteurs de science formés à Baṣra et la conquête de Kairouan par l’imām ibadite Abū l-Haṭṭāb, il semble que le kharijisme, ibadite ou sufrite, a le plus souvent servi à justifier la révolte contre l’occupant injuste et l’établissement d’un pouvoir personnel, les prescriptions morales demeurant au second plan. Les deux exemples étudiés plus haut l’ont bien montré : ‘Abd al-Ǧabbār b. Qays al-Murādī et al-Ḥāriṯ b. Talīd al-Ḥaḍramī, négligeant les règles que la doctrine ibadite impose pour l’imamat, ont été incapables de se départager, les Warfağğūma ont tout simplement ignoré les bases du kharijisme. Le retour des cinq Ḥamalat al-‘ilm, riches de l’instruction qu’ils ont acquise à Baṣra auprès d’Abū ‘Ubayda Muslim al-Tamīmī, marque un tournant dans l’histoire de l’ibadisme maghrébin. Les trois missionnaires berbères permettent de légitimer localement cette doctrine étrangère, tandis que les deux autres porteurs de science, Abū l-Haṭṭāb al-Ma‘āfirī et ‘Abd al-Raḥmān b. Rustum, un Arabe et un Persan, deviennent des imām-s légitimes, appliquant la doctrine de l’imamat telle qu’elle leur a été enseignée à Baṣra. La fondation de l’imamat rustumide de Tahert et la période de paix relative qu’il inaugure permettent aux Berbères d’adopter pleinement la foi ibadite. Ils intègrent alors à la pratique de l’islam de nombreux aspects de la culture locale et développent une littérature qui n’aurait sans doute pas vu le jour s’ils n’avaient pas eu l’obligation religieuse d’instruire leurs coreligionnaires berbérophones. L’ancienne culture berbère n’est pas juxtaposée à la foi ibadite, elle y est vraiment mêlée de sorte que les deux se confondent. Cette adaptation de la doctrine ibadite aux habitudes des Berbères est peut-être l’une des causes de son succès et de son maintien jusqu’à nos jours.
Notes de bas de page
1 Ibn al-Ṣaġīr, Aẖbār al-a’imma l-rustumiyyīn, p. 31.
2 Sur ces ouvrages, voir T. Lewicki, « Les sources ibāḍites de l’histoire médiévale », pp. 32-41.
3 Y. Modéran, Les Maures et l’Afrique romaine, pp. 654 et 783.
4 Ibn Sallām, Kitāb fīhi bad’al-islām, pp. 149-150 ; al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, p. 48.
5 Id., Kitāb al-Siyar, pp. 48-49.
6 Pour T. Lewicki, Études ibāḍites nord-africaines, pp. 54-55, après la conquête, les Nafūsa restent chrétiens pour s’opposer aux Arabes. Vers 740, au contact des premiers dissidents kharijites dont la révolte contre l’occupant est beaucoup plus active que l’opposition pacifique des chrétiens, ils abandonnent le christianisme pour le kharijisme, sans passer par l’étape sunnite, dans le but d’affirmer leur particularisme berbère vis-à-vis des Arabes. À l’inverse, Y. Modéran, Les Maures et l’Afrique romaine, pp. 783-784, notant que jusqu’aux premiers troubles kharijites, aucune source ne mentionne de révolte des Nafūsa, en déduit que le phénomène de conversion à l’islam a dû commencer, même s’il a été lent, dès 643 et qu’il « serait très abusif de considérer globalement, comme on semble parfois le faire, les Nafūsa entre 643 et 741-742 comme un bloc de Berbères à la fois chrétiens et hostiles aux Arabes ».
7 Voir notamment Ibn ‘Abd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, p. 213 ; al-Raqīq, Ta’rīẖ Ifrīqiya wa-l-Maġrib, p. 61 ; Ibn ‘Iḏārī, Kitāb al-Bayān, éd. G.-S. Colin et É. Lévi-Provençal, t. I, p. 48 ; Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-‘Ibar, t. VI, p. 129.
8 al-Mālikī, Riyāḍ al-Nufūs, éd. al-Bakkūš, t. I, p. 138. Le Kitāb al-Istibṣār (1958), pp. 155 et 156, laisse croire à une islamisation massive du Djérid en affirmant qu’à l’arrivée des musulmans, la plupart des habitants se sont convertis pour conserver leurs biens, mais la remarquable longévité de la communauté chrétienne dans les oasis permet de supposer qu’une grande majorité des sédentaires romanisés ont préféré conserver leur foi. Sur la situation des habitants du Djérid et les liens entre le christianisme et le kharijisme, voir V. Prevost, « Les dernières communautés chrétiennes », pp. 462-468.
9 Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-‘Ibar, t. VI, p. 129 et t. VII, p. 14.
10 Abū l-‘Arab, Ṭabaqātt ‘ulamā’ Ifrīqiya, p. 102.
11 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 42-43, et al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqāt, pp. 11-12, indiquent, selon une tradition rapportée par l’imām rustumide Aflaḥ, que la présence de Salāma b. Sa‘īd à Kairouan a poussé ‘Abd al-Raḥmān b. Rustum à étudier la doctrine ibadite et à gagner Baṣra pour poursuivre une formation plus poussée auprès d’Abū ‘Ubayda Muslim al-Tamīmī. E. Savage, A Gateway to Hell, pp. 43-44, estime pourtant que ces deux personnages sont semi-légendaires.
12 al-Mālikī, Riyāḍ al-Nufūs, éd. al-Bakkūš, t. I, p. 146.
13 La première révolte qui éclate en Ifrīqiya est déclenchée par un chef sufrite, l’Arabe ‘Ukkāša b. Ayyūb al-Fazārī, qui s’empare de Gabès vers 741. Cette révolte est maîtrisée dès l’année suivante.
14 M. Talbi, « La conversion des Berbères au khāriǧisme ibāḍito-ṣufrite », p. 32.
15 Ibid., pp. 40-44. Mohamed Talbi évoque, p. 46, une « idéologie politiquement libératrice et socialement prometteuse ».
16 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 52-56. Voir aussi al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, pp. 15-19.
17 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, p. 55. Voir aussi al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, p. 18.
18 al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, p. 16. Voir aussi Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, p. 53.
19 Voir notamment Ibn ‘Abd al-Ḥakam, Futūḥ Miṣr, p. 225 ; al-Raqīq, Ta’rīẖ Ifrīqiya wal-Maġrib, p. 92 ; Ibn al-Aṯīr, Al-Kāmil fī l-Ta’rīẖ, t. V, p. 313 ; Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-‘Ibar, t. VI, p. 131. Pour ces historiens, les deux chefs se sont fait tuer par l’armée du gouverneur de l’Ifrīqiya.
20 Sur la question d’al-Ḥāriṯ et de ‘Abd al-Ǧabbār, voir M. Gouja, Aux origines de la pensée arabe, pp. 28-30 ; C. Bekri, Le royaume rostémide, pp. 47-50. Les ibadites adoptent trois attitudes à leur égard. Les plus nombreux sans doute, dans l’incertitude de ce qui s’est réellement passé et pour éviter la discorde, réservent leur jugement et évitent de condamner les deux chefs ou de les classer parmi les martyrs de la foi. D’autres pensent qu’ils se sont bien entretués et que puisqu’ils ont enfreint les prescriptions divines, il faut les condamner sans restriction. Enfin, un troisième groupe croit qu’ils ont été victimes d’une mise en scène macabre et qu’il faut les considérer comme des martyrs.
21 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 63-64 ; al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, pp. 23-25 ; al-Šammāhī, Kitāb al-Siyar, pp. 25-26. Selon al-Šammāẖī, ces deux personnages étaient frères ou leurs mères étaient sœurs ; l’un d’eux était l’imām, l’autre était son vizir ou son qāḍī.
22 M. Talbi, « La conversion des Berbères au khāriǧisme ibāḍito-ṣufrite », p. 60.
23 Sur ces événements, voir V. Prevost, L’aventure ibāḍite dans le Sud tunisien, pp. 59-67.
24 Sur la révolte des Warfağğūma, al-Raqīq, Ta’rīẖ Ifrīqiya wa-l-Maġrib, pp. 101-104 ; Ibn al-Aṯīr, Al-Kāmil fī l-Ta’rīẖ, t. V, pp. 315-317 ; Ibn ‘Iḏārī, Kitāb al-Bayān, éd. G. -S. Colin et É. Lévi-Provençal, t. I, pp. 70-71 ; Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-‘Ibar, t. VI, pp. 131 et 135-136 ; Id., Histoire de l’Afrique, pp. 18-20 (éd.) et pp. 52-55 (trad.) ; al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, pp. 27-28. Abū Zakariyyā’ et al-Darğīnī ne rapportent pas dans quelles circonstances les Warfağğūma s’emparent de Kairouan.
25 Ibn al-Aṯīr, Al-Kāmil fī l-Ta’rīẖ, t. V, p. 315, évoque les kharijites qui rejoignent les Warfağğūma. Ibn ‘Iḏārī, Kitāb al-Bayān, éd. G. -S. Colin et É. Lévi-Provençal, t. I, p. 70, parle de tribus sufrites mais seulement après la prise de Kairouan (voir infra, p. 62). Quant à Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-‘Ibar, t. VI, p. 135, il dit en relatant la prise de pouvoir des Warfağğūma que les Nafzāwa, auxquels ils appartenaient, étaient ibadites.
26 Ibn ‘Iḏārī, Kitāb al-Bayān, éd. G.-S. Colin et É. Lévi-Provençal, t. I, p. 70, signale qu’après la prise de Kairouan et les décès successifs de ‘Āṣim et de Ḥabīb, qui interviennent très rapidement, des tribus sufrites gagnent la capitale et participent aux meurtres et aux destructions.
27 Ibn al-Aṯīr, Al-Kāmil fī l-Ta’rīẖ, t. V, p. 315 ; Ibn Ḫaldūn, Histoire de l’Afrique, p. 18 (éd.) et p. 52 (trad.).
28 Le premier est le chef sufrite Maysara. Plus tard, après la mort d’al-Ḥāriṯ et de ‘Abd al-Ǧabbār, la Tripolitaine est dirigée par le Berbère ibadite Ismā‘īl b. Ziyād al-Nafūsī, qui est rapidement vaincu par ‘Abd al-Raḥmān b. Ḥabīb.
29 al-Raqīq, Ta’rīẖ Ifrīqiya wa-l-Maġrib, p. 104 ; Ibn al-Aṯīr, Al-Kāmil fī l-Ta’rīẖ, t. V, p. 316. Dans les sources ibadites, à trois reprises, l’imām Abū l-Haṭṭāb est informé de la détresse de femmes kairouanaises qui subissent la tyrannie des Warfağğūma, ce qui le décide à aller reprendre la ville. Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 65-66 ; al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, pp. 26-27 ; al-Šammāhī, Kitāb al-Siyar, p. 28.
30 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 68-69 ; al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, pp. 28-29 ; al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, pp. 30-31.
31 Ainsi, pendant la révolte ibadite d’Abū Ḥātim en 151/768, sufrites et ibadites combattent côte à côte. De même, à la fondation de Tahert, toutes les tribus se soumettent spontanément à l’imām et les sufrites de Siğilmāsa paient l’impôt à Tahert. Ce n’est qu’à l’époque où des contestations naissent du caractère héréditaire qu’adopte l’imamat que les tribus mécontentes se dissocient des Rustumides.
32 al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, p. 28.
33 Les Warfağğūma sufrites vaincus rallient, pour la plupart sans doute, le camp ibadite. Toutefois, des membres de cette tribu se battent aux côtés du gouverneur ‘abbāside pendant la révolte ibadite d’Abū Ḥātim. En 151/768, en effet, une douzaine d’armées ibadites et sufrites encerclent Ṭubna où se tient le gouverneur de l’Ifrīqiya ‘Umar b. Ḥafṣ, soutenu par une fraction des Warfağğūma qui a rejoint le parti des ‘Abbāsides. Ibn Ḫaldūn, Kitāb al-‘Ibar, t. VI, p. 136, explique en effet que lorsque ‘Umar b. Ḥafṣ a fondé la nouvelle ville de Ṭubna, il y a établi les Warfağğūma qui étaient ses partisans ; ceux-ci lui ont été très utiles pendant tout le siège.
34 Nous avons choisi l’exemple des deux chefs et des Warfağğūma car ils étaient tous deux évoqués à la fois par les sources sunnites et ibadites, mais il existe d’autres exemples de domination avortée, celle du sufrite Maysara par exemple.
35 M. Talbi, « La conversion des Berbères au khāriǧisme ibāḍito-ṣufrite », p. 52.
36 M. Gouja, Aux origines de la pensée arabe, pp. 31-32, qui rappelle que le désir d’indépendance des Berbères existait bel et bien, ce dont témoignent les ḥādīè-s évoqués plus haut qui soulignent leur supériorité par rapport aux Arabes.
37 H. R. Idris, « Des prémices de la symbiose arabo-berbère », p. 388. Au IXe siècle, on trouve encore des Arabes parmi les principaux savants ibadites de l’Ifrīqiya. Ibn Sallām, Kitāb fīhi bad’al-islām, pp. 157-158.
38 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 57-58. Nous adoptons ici la lecture habituelle de ces noms sans tenir compte de la vocalisation proposée par l’éditeur. Ce passage est repris chez al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, p. 19. Il est à noter qu’Ibn Sallām n’évoque pas les cinq Ḥamalat al-‘ilm. Seuls trois d’entre eux figurent dans son ouvrage, Abū l-Haṭṭāb qui y tient une large place, ‘Āṣim al-Sadrātī dans le cadre de la révolte d’Abū Ḥātim al-Malzūzī et ‘Abd al-Raḥmān b. Rustum al-Fārisī auquel il fait juste allusion. Ibn Sallām, Kitāb fīhi bad’al-islām, pp. 139-143, 150 et 152-153.
39 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 58-59 ; al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, p. 20. Al-Šammāẖī accorde une notice biographique à chacun des cinq Ḥamalat al-‘ilm. Il précise qu’ils demeurent cinq années à Baṣra et confirme qu’Abū Dāwud est natif du Nafzāwa. al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, pp. 23-24, 42-47 et 50-51.
40 M. Gouja, Aux origines de la pensée arabe, p. 29, remarque que le fait que l’imām Abū l-Haṭṭāb était arabe devait également être le fruit d’un compromis entre les différentes tribus.
41 Les Arabes kharijites révoltés au Maghreb sont surtout des Yéménites, opposés aux Umayyades (Qurayš) qui les ont écartés des rouages du pouvoir. A. El-Ghali, « Le rôle des Arabes », pp. 70-72 et 76.
42 É. Masqueray, « Les kānoūn des Beni-Mzab », p. 212.
43 A. M. Khleifat, « Ibāḍī political and administrative organisations », p. 81.
44 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 44-51. Voir aussi al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, pp. 12-15.
45 Ibn al-Ṣaġīr, Aẖbār al-a’imma l-rustumiyyīn, pp. 29-30 ; Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, p. 87 ; al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, p. 42 ; al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, p. 44.
46 M. Gouja, Aux origines de la pensée arabe, pp. 29-30, 32-33 et 39.
47 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 89-90 ; al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, pp. 46-47 ; al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, pp. 51-52. Sur cet épisode, C. Bekri, Le royaume rostémide, pp. 87-90.
48 P.-L. Cambuzat, L’évolution des cités du Tell, t. I, pp. 44-45.
49 É. Masqueray, Formation des cités, p. 57.
50 B. Merghoub, Le développement politique en Algérie, p. 21.
51 F. al-Ǧa‘bīrī, « Malāmiḥ ‘an al-ḥaraka l-‘ilmiyya ‘inda l-ibāḍiyya bi-Ǧarba », p. 28.
52 A. de Calassanti Motylinski, « Bibliographie du Mzab », p. 39.
53 Pour T. Lewicki, « Mélanges berbères-ibāḍites », p. 268, les actes de chancellerie de Tahert étaient rédigés en berbère et l’imām ‘Abd al-Wahhāb correspondait en berbère, en arabe et en persan avec les ibadites du Djebel Nafūsa.
54 al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, p. 352 ; al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, p. 234.
55 T. Lewicki, « Mélanges berbères-ibāḍites », pp. 269-271. Mahdī al-Nafūsī fut l’un de ceux qui mit en échec les manigances de Nafāṯ et qui empêcha la diffusion de son hérésie. al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, p. 314 ; al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, pp. 79-80.
56 al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, p. 314.
57 Ibid., pp. 351-352 ; al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, pp. 234-235.
58 P. Cuperly, Introduction à l’étude de l’ibāḍisme, p. 49. La ‘aqīda constitue une sorte de catéchisme ibadite, synthèse de la foi et base de l’enseignement. Elle est apprise par cœur à l’école, puis commentée par les érudits suivant le degré d’instruction de leur assistance. La ‘aqīda suivie au Mzab et à Djerba a été traduite en arabe par Abū Ḥafṣ ‘Umar b. òamà ‘ vers la fin du XIVe siècle ou le début du XVe siècle. Elle a été éditée par A. de Calassanti Motylinski, « L’Aquida des Abadhites », pp. 508-516.
59 H. Basset, Essai sur la littérature des Berbères, p. 48.
60 V. Brugnatelli, « Un nuovo poemetto berbero ibadita », pp. 139-141.
61 R. Basset, Étude sur la Zenatia du Mzab, p. IX.
62 T. Lewicki, « De quelques textes inédits en vieux berbère », p. 279.
63 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, p. 306 ; al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, p. 408 ; al-Šammāhī, Kitāb al-Siyar, p. 379.
64 F. Beguinot, « Al-Nafūsī Abū Sahl al-Fārisī », p. 896.
65 H. Basset, Essai sur la littérature des Berbères, p. 27.
66 T. Lewicki, « Survivances », pp. 15-16.
67 M. Bénabou, La résistance africaine à la romanisation, p. 270.
68 Ibid., p. 269.
69 T. Lewicki, « Survivances », p. 16.
70 R. Capot-Rey, « La migration des Saïd Atba », p. 180.
71 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, p. 169.
72 Ibid., p. 284 ; al-Šammāẖī, Kitāb al-Siyar, p. 380. Selon H. Basset, Essai sur la littérature des Berbères, pp. 194-195, il y a au Maroc plusieurs grottes où l’on va chercher l’inspiration, car ce sont les génies qui donnent l’inspiration poétique et s’expriment par la bouche des poètes.
73 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, pp. 254-255.
74 Ibid., p. 322.
75 T. Lewicki, « Mélanges berbères-ibāḍites », p. 277.
76 Abū Zakariyyā’ al-Warǧalānī, Kitāb al-Sīra, p. 276.
77 Ibid., pp. 271-272 ; al-Darğīnī, Kitāb Ṭabaqātt, pp. 193-194, qui dit Qal‘at Abī‘Alī.
78 H. Basset, Le culte des grottes au Maroc, pp. 7-8.
79 Ainsi, à Ḥawmat Mağğayan, la zāwiya de Sīdī Bū Sa‘īd se compose d’une ancienne grotte artificielle qui, par la présence d’un miḥrāb, est assimilée à une mosquée souterraine, grotte surmontée par une mosquée récente. Les jeunes filles viennent prier dans la grotte le jour de leur mariage pour se purifier et y jouent de la derbouka. C’est aussi le lieu de rites pour obtenir la pluie : selon la tradition que nous avons recueillie sur place, en temps de sécheresse, tous les habitants des hameaux environnants amènent un taureau noir et tournent sept fois autour de la mosquée. Lorsque l’animal est égorgé, la pluie est censée tomber tout de suite, même s’il fait plein soleil. Chacun se lave alors les mains sous la pluie et la viande est partagée en cinq ou six cents parts, selon le nombre de fidèles.
80 G. Camps, « Avertissement », p. 12, s’est élevé contre cette appellation : « Dans les formes artistiques, des règles communes, à vrai dire très simples, qui ont fait parler à tort d’un art berbère, se retrouvent aussi bien chez les arabophones : il s’agit d’un art rural maghrébin et saharien, très fortement géométrique, préférant les motifs rectilinéaires à la courbe et au volume. […] Or cet art très ancien présente, chez les sédentaires, une remarquable permanence, il est lié à ces populations au mépris des siècles, des conversions religieuses, des assimilations culturelles. Comme un fleuve tantôt puissant, tantôt souterrain, il est toujours présent dans l’inconscient du Maghrébin. Souvent étouffé par le triomphe citadin des cultures étrangères, il est capable d’étonnantes résurgences, apparemment anachroniques, dès que faiblit l’apport extérieur des formes artistiques plus savantes. C’est un art anhistorique. »
81 M. Mercier, La civilisation urbaine au Mzab, pp. 246-247 ; M. Bénabou, La résistance africaine à la romanisation, pp. 278-280. Selon H. Basset, Le culte des grottes au Maroc, p. 42, certaines grottes semblent avoir été autrefois consacrées au culte d’une divinité solaire.
82 R. al-Murābié, Mudawwana, pp. 198, 258-259 et 333-334 notamment.
83 J. W. Allan, « Some Mosques of the Jebel Nafusa », pp. 157 et 166-167. Dans la mosquée d’al-Kherba, une inscription indique que le décor a été réalisé en 1330/1912. Ibid., pp. 155-156. Il est probable qu’il a été exécuté pour remplacer une décoration plus ancienne et sans doute abîmée. Ces décors sont pour la plupart très anciens, remontant à la construction des mosquées.
84 Sur la mosquée Walḥī, voir R. al-Murābié, Mudawwana, pp. 312-319. Dans une mosquée ibadite souterraine du Djebel Demmer, Marino Alberto Zecchini a retrouvé ce type de décor, couplé à des inscriptions arabes écrites à l’envers et uniquement lisibles dans un miroir. Pour lui, cette écriture ésotérique doit être mise en rapport avec le fait que l’écriture arabe symbolisant la nouvelle foi n’était pas encore connue des Berbères peuplant ces régions reculées. M. A. Zecchini, Le moschee sotterranee Ibadite.
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Université libre de Bruxelles
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