La convention royale
p. 9-49
Texte intégral
Le roi, garant de la société
Le mérite et la grâce
1Du fin fond de l’Empire ils écrivent au roi. C’est par milliers que l’on conserve leurs lettres. Ils demandent des places, des pensions, des titres de noblesse, des décorations, le règlement d’affaires de justice, des grades, des déclarations de majorité, l’autorisation d’aliéner partie de leurs majorats, ils demandent sans cesse. Pour justifier leurs requêtes, ils exposent et font exposer par d’autres leurs mérites. En 1774 le secrétaire d’État aux Indes mande au confesseur du roi :
L’auditeur doyen de l’audience de Santiago du Chili, don Martín de Recabarren, expose qu’il a 53 ans de service à ce poste et à l’audience de Panama ; qu’il est âgé de 82 ans et chargé d’une nombreuse famille. Il demande pour prix de ses services, pour sa consolation et la sûreté de ses vieux jours, que l’on place dans notre cathédrale son fils don Estanislao, prêtre. Celui-ci s’est présenté au concours de la prébende magistrale en 65 et a été classé deuxième dans le rapport final. À cette occasion, le président de l’Audience avait exposé sa bonne conduite et son excellente formation. L’évêque de Santiago le confirme dans son rapport du 17 octobre 1767. Il rappelle les mérites du père et certifie qu’en tant que curé recteur de la cathédrale et collecteur de l’évêché, le fils a fait montre de bonne conduite et d’un caractère égal… Suite au décès du chantre don Valentín de Albornoz… une prébende pourrait se dégager où le placer1.
2Accéder au roi leur est vital. Qui ne dispose pas du capital social suffisant pour mobiliser, comme le fait Recabarren, une chaîne de relations efficace vient à Madrid faire le siège des bureaux et des hommes qui ont directement accès au souverain. Même depuis le Chili, en dépit des risques, du temps et du coût. La monarchie, malgré des mesures d’expulsion répétées, ne parviendra jamais à débarrasser la capitale des centaines de « prétendants » qui la peuplent. Qui ne peut se déplacer donne pouvoir à un « agent d’affaire » pour négocier à sa place. Il choisit un parent, un ami, un compatriote de passage à la cour ; de plus en plus un professionnel. De nombreux commis des bureaux de la monarchie arrondissent ainsi leurs revenus. L’agent se tient au courant des postes vacants, présente candidature au nom de son client, paye les droits, graisse les pattes, « sollicite » en toute manière, pousse ses pions, combat les arguments des autres candidats, non sans problèmes déontologiques, car ils sont aussi parfois ses clients2. C’est un marché juteux.
3Contacter le roi est une activité tellement importante qu’elle mobilise, dans l’appareil de gouvernement, des bureaux spécialisés, à commencer par les deux « Chambres » de Castille et des Indes, placées au sommet de la hiérarchie gouvernementale, et qu’elle fait l’objet d’une réglementation de plus en plus détaillée qui fixe la forme des documents, les modes de vérification des « mérites » allégués. Le prétendant doit fournir des certificats authentifiés de ses études, des postes et grades occupés. Il doit présenter l’aval des autorités de sa résidence. Lorsqu’il vient d’Amérique, l’administration madrilène, peu au courant des réalités locales et incapable de repérer elle-même la fraude, redouble de méfiance. Le dossier doit être visé par l’Audience locale, qui informe en outre de son opinion sur le candidat. Les évêques et les gouverneurs royaux sont également sollicités.
4La voie officielle est doublée, on l’a deviné, par des conduits parallèles, fondés sur les liens personnels. La parenté joue ici un rôle capital, la parenté étendue ; de même la commune origine géographique. Ces deux facteurs contribuent, par exemple, largement à expliquer l’extraordinaire présence des basques et des navarrais aux postes de responsabilité de l’administration royale, en Europe comme en Amérique3. Les amitiés de collège et d’université sont tout aussi décisives. Compte enfin l’allégeance à des réseaux constitués et bien en cour. C’est le cas des jésuites. De 1700 à 1755, la compagnie occupe continûment le poste de confesseur du roi. Le confesseur est la personne qui, après son épouse, a la relation la plus intime avec le souverain. Il est obligatoirement consulté sur les nominations aux postes ecclésiastiques. Son choix est décisif. La compagnie, tenant le confessionnal, est donc courtisée. C’est l’une des bases de son pouvoir, l’autre découlant de son rôle éducatif. Elle fit les nominations ecclésiastiques au Chili jusqu’en 1766, date de son expulsion. Lisons l’évêque de Santiago. La missive qu’il adresse au confesseur royal, en 1748, pour flagorneuse qu’elle soit, reste dans l’honnête moyenne de ce que reçoit habituellement son correspondant :
Révérend Père confesseur. Par l’intermédiaire du Père José de Alzugaray, j’ai écrit à Votre Seigneurie Illustrissime pour lui manifester mon inclinaison innée pour la Sacrée Compagnie de Jésus, ma mère vénérée [il avait été élève des jésuites] et le souci que j’ai de dire sur ce point à Votre Seigneurie Illustrissime le fond de ma pensée. Le courrier dont m’honore Votre Seigneurie Illustrissime me donne l’occasion de lui confirmer que je suis en train d’exécuter ce qu’elle m’ordonne quant au rapport que je dois remettre sur les prélatures et prébendes vacantes ; dans l’intérêt de Dieu Notre Seigneur, de son service saint et du bien des âmes. J’assure Votre Seigneurie Illustrissime que c’est après bien des jours passés à recommander cette affaire à Dieu que je me résous à formuler la demande suivante [suit une demande d’intervention en sa faveur]…4.
5L’archevêque de México, Manuel Rubio Salinas, à sa prise de fonction, s’adresse à un Père jésuite anonyme, du Collège impérial de Madrid, peut-être le confesseur du roi. La première partie de la missive est de la main d’un secrétaire :
Monsieur,
Mon heureuse arrivée en ce royaume [la Nouvelle-Espagne] me donne l’occasion de renouveler à Votre Révérence l’assurance de ma respectueuse attention et ma disposition à me tenir à ses ordres. Qu’elle en use me serait de la plus grande satisfaction. Ce sur quoi je prie la Divine Volonté de nous conserver Votre Révérence de nombreuses années. México, 3 décembre 1749.
6Rien que de protocolaire. Suit un post-scriptum de la main même de l’archevêque :
Très révérend Père,
J’ai trouvé le curé Leonardo José Torralla tel que me l’avait fait connaître Votre Révérendissime. Votre Révérendissime peut être sûre que je concourrai à le satisfaire de toutes mes forces et en tout ce qui pourrait convenir à la satisfaction de Votre Révérendissime.
Très Révérend Père, baise les mains de Votre Révérendissime son plus attentionné serviteur et fidèle chapelain, Manuel, archevêque de México5.
7L’auteur de ces lignes avait reçu son archevêché, l’un des plus hauts postes de la Monarchie, à moins de quarante ans, à l’issue d’une carrière fulgurante, et il avait été nommé sur ordre direct du roi, entendons du confesseur, contre l’avis de la Chambre de Castille. La compagnie monnayait ainsi sans vergogne son influence pour tenir en main, par ses clientèles, des secteurs entiers de l’appareil de gouvernement. Son poids politique jugé excessif par le roi fut l’une des raisons de sa perte.
8Les Jésuites ne sont pas seuls à pratiquer l’entrisme. Basques et Navarrais se sont aussi organisés. La confrérie de San Fermín de los Navarros, sise à Madrid, compte en permanence en son sein, tout au long du XVIIIe siècle, au moins un premier chef de bureau de l’un des secrétariats d’État, quand ce n’est pas un secrétaire d’État lui-même. S’y rencontrent hommes d’État, marchands, traitants, intellectuels, qui tous ont en commun d’être originaires, eux ou leurs parents, du royaume de Navarre. Elle est capable de lever des fonds jusqu’au Pérou sur les Navarrais qui y résident. Ses membres se soutiennent. La rumeur publique les en accusait de leur temps. L’historiographie, même dépouillée de certains excès, l’a confirmé. La confrérie, elle aussi, forme un réseau à l’échelle de l’Empire6. La nécessité de se soutenir mutuellement pour accéder au roi contribue fortement à structurer socialement et territorialement l’Empire.
9Car il est possible de dresser une géographie de la sollicitation. Un premier cercle est formé par l’Espagne continentale. De tout point de la Péninsule, il est relativement facile de se rendre à Madrid, plus encore d’y écrire et il n’est pas impossible d’y trouver des correspondants que des liens d’amitié ou de parenté rendent fiables. Les administrations madrilènes disposent dans toute la contrée d’un dense réseau d’informateurs qui leur permet de vérifier sans autre intermédiaire les dires des prétendants. Il en va autrement de l’Amérique, qui constitue le second cercle. La distance modifie la nature des stratégies. La mise en contact est, à tous points de vue, plus difficile. Administrativement, nous avons vu comment l’on a établi une étape supplémentaire dans la procédure ; financièrement, le coût est plus élevé, d’autant que les Créoles ayant une réputation non usurpée de richesse au moins relative, une série de taxes spéciales grève le traitement de leurs dossiers ; politiquement, l’éloignement du roi a un effet cumulatif : les Créoles sont peu nombreux dans l’administration centrale, parce qu’il leur est difficile de se faire connaître, et parce que l’administration se méfie d’eux7. En conséquence, leurs prétentions sont moins défendues. Ce qui aggrave leur déficit de représentation et rend plus ardue encore la prise en compte de leurs demandes. À la fin du XVIIIe siècle, l’égalité de traitement dans l’accès à la personne du souverain est leur revendication essentielle.
10Cette opposition Espagne / Amérique est si vivement ressentie par les cercles gouvernementaux qu’elle conduit en 1787 à une réorganisation des secrétariats d’État. Les affaires d’Amérique étaient jusque-là traitées par un seul d’entre eux, quelles qu’elles fussent, celles d’Espagne réparties entre plusieurs thématiquement spécialisés. On instaura alors une double série parallèle et thématique pour l’Espagne et pour l’outre-mer. La réforme fut annulée trois ans plus tard. Hésitations révélatrices d’un malaise.
11La nécessité d’accéder au roi organise politiquement l’espace américain lui-même. La pénurie d’informateurs donne un poids considérable aux appréciations de l’Audience et à celles que portent les autres relais sur place de la Monarchie, l’évêque et le gouverneur, dont les rapports permettent de recouper les informations livrées par les magistrats. Or l’Audience autant que l’évêque et le gouverneur sont impliqués dans le jeu complexe des relations interpersonnelles locales. Ils doivent par ailleurs hiérarchiser les demandes, faire un tri. L’enjeu pour les prétendants est donc de conquérir leur bienveillance dans un contexte hautement concurrentiel. C’est donc en fonction d’eux que s’organisent les jeux relationnels dans la société locale, que se créent des systèmes d’acteurs habitués à concourir ensemble pour l’obtention du même objectif. Ces systèmes, par définition stables car assis sur des structures démographiques et une géographie administrative qui n’évoluent que lentement, ont une forte dimension territoriale. Là où ils sont le plus anciennement implantés, en Nouvelle-Espagne, au Pérou, au Chili, ils renforcent dans les élites locales le sentiment d’un destin commun, la sensation de former une unité sociopolitique propre. Nous en verrons les conséquences lors des indépendances8.
La dépendance de la société à l’égard du roi
12La dépendance à l’égard du roi repose au premier chef sur le fait que le souverain est un formidable allocateur de ressources. Nous connaissons mal le volume des moyens dont dispose la monarchie. La fiscalité n’en représente qu’une fraction : environ 400 millions de réaux — une centaine de millions de livres tournois — en Espagne même, vers 1790, autant sans doute aux Indes9. Une grande part en est redistribuée sous forme de salaires et de pensions. Pour avoir une juste idée de ce que ces flux représentent, il convient d’y ajouter les bénéfices secondaires que la détention d’un poste de puissance publique procure aux allocataires. Les usagers payent en effet directement les agents de l’administration pour les services qu’ils leur rendent. Il s’agit de droits officiellement reconnus et tarifés, qui font l’objet d’une facturation officielle : pour l’expédition d’une pièce, pour une recherche documentaire, pour des frais de route et de mission, pour la rétribution de la gestion d’un organisme semi-public. Un juge d’Audience peut ainsi doubler, ou tripler, son salaire de base ; un employé de ministère tirer de ce casuel l’essentiel — dans certains cas la totalité — de ses revenus10. Rien de tout cela ne figure au budget. Il s’agit aussi de cadeaux et gratifications volontaires que nous ne connaissons que par des témoignages indirects, mais bien assurés. Après que la chancellerie de Grenade eut prononcé une sentence en sa faveur, en 1789, le duc d’Osuna, nous le savons par sa correspondance, fit verser 34 000 réaux de gratification aux intervenants — à titre de comparaison, un juge de ce tribunal touchait alors du roi 20 000 réaux par an. Un peu plus de la moitié de cette somme récompensa les avocats de la maison ducale. Le reste fut distribué aux pages du président et des juges, à leurs laquais, à leurs cochers, aux huissiers, aux greffiers, au rapporteur qui avait rendu compte du dossier. Les magistrats, trop hauts personnages pour qu’on les gratifie en liquide, reçurent, comme chaque année d’ailleurs, maints jambons, maints tonneaux de saucisses et maintes barriques des meilleurs crus11. N’y voyons pas malice. C’était la pratique, parfaitement admise. Le service du roi procure enfin un pouvoir social qui se traduit non seulement en prestige, mais encore en puissance de patronage. Le procureur du roi près la chancellerie obtint sans mal du duc la nomination de l’un de ses parents à un poste élevé de l’administration ducale. Le président de la chancellerie recevait quotidiennement des lettres d’aristocrates qui, tout en prenant de grands airs, n’en sollicitaient pas moins de sa bienveillance des services divers, de la libération d’un laquais accusé de violences à l’activation d’une procédure12.
13Aux postes rétribués sur le budget de l’État, il convient d’ajouter ceux dont le roi dispose et qui sont financés par d’autres, au premier chef l’Église. Le tiers des revenus des évêques espagnols est saisi par la monarchie et redistribué par elle sous forme de pensions. L’acceptation écrite de cette charge par le prélat est une condition préalable et nécessaire à sa nomination. Le roi, depuis la fin du Moyen Âge, choisit les évêques dans toute l’Espagne ; depuis la fin du XVe siècle, les chanoines et les curés du royaume de Grenade et des Indes. Depuis le concordat de 1753, il nomme à deux vacances sur trois de toutes les autres cures et de tous les chapitres du Royaume, faculté qui, jusque-là, appartenait au pape qui l’a rétrocédée bien malgré lui. Sans parler des fondations royales, qui sont nombreuses. Il distribue ainsi à la fin du XVIIIe siècle d’une grosse cinquantaine de milliers de « places ecclésiastiques ».
14Plus importantes encore, les ressources immatérielles à disposition de la monarchie. Elle seule peut concéder un titre de comte, de marquis ou de duc ; elle seule reconnaît la hidalguía d’une famille qui prétend à la noblesse puisque seuls ses tribunaux sont compétents en la matière ; presque seule elle distribue les habits des ordres militaires, marqueurs nobiliaires par excellence ; elle seule crée les échevinages héréditaires qui, dans les grandes villes, sont devenus depuis le XVIe siècle l’une des voies principales de l’anoblissement, elle seule en nomme les titulaires, et son aval est nécessaire à chaque mutation. Elle seule choisit les officiers de l’armée, dont les grades valent noblesse. Faire fortune implique sa complicité : l’État est le premier agent économique et l’obtention d’un privilège ou d’une tolérance dans l’application des règlements, fiscaux et douaniers, spécialement en Amérique, une condition presque indispensable aux affaires.
15La dépendance à l’égard du monarque repose sur le fait que le roi est indispensable à la perpétuation de l’élite qui encadre le Royaume. Nous nous représentons mal la rigidité des règles qui corsetaient la vie en ce temps-là. Tenir son rang exige un train de vie dispendieux et souvent une existence de rentier. Comme la hiérarchie repose en grande partie sur l’hérédité, il faut aussi assurer sur la durée la continuité d’un tronc familial. La famille permet de combiner ces deux exigences, car si à la simple reproduction biologique elle est inutile, à la transmission d’un patrimoine matériel et immatériel suffisant pour assurer à la nouvelle génération une position sociale équivalente à la précédente, elle est indispensable. Pour ce faire, elle concentre sur une seule tête, à chaque succession, l’ensemble des biens disponibles, et prive les autres enfants de leur jouissance.
16Le droit catalan, celui des terres basques, ne se perdaient pas en considérations oiseuses : ils exigeaient l’héritier unique. En Castille, les règles successorales tendaient, en principe, à l’égalité entre les enfants et imposaient l’égalité entre garçons et filles. Dans les faits on s’arrangeait pour reconstituer à chaque fois l’unité patrimoniale, par des techniques multiples mais toujours étrangères à l’esprit de la loi du Royaume, ce qui les fragilisait. Pour les classes supérieures, le majorat permettait d’exclure du partage un ensemble de biens inaliénables qui passaient automatiquement à l’héritier principal. On pouvait aussi, stratégie très fréquente, favoriser des cadets qui restaient célibataires pour qu’à leur décès, dépourvus de succession légitime, ils rétrocèdent leurs biens au tronc principal. On pouvait, une fois le partage effectué, procéder à des échanges biaisés, des ventes simulées. On pouvait constituer des exploitations agricoles à base de terres en location, qui n’étant pas propriété n’étaient pas soumises au partage : il suffisait de transférer les baux au nom de l’héritier pour que l’exploitation tout entière lui revienne.
17Le fait est que ces manœuvres aboutissaient systématiquement à deux résultats : le sacrifice des cadets ; des complications juridiques infinies et une rigidité de gestion des patrimoines qui les rendaient extrêmement sensibles à la fois aux fluctuations à long terme de l’économie, au risque juridique et au risque biologique. On calculait en effet sur trois ou quatre générations dans un contexte où l’énormité de la mortalité infantile interdisait de prévoir sa descendance. L’historiographie est pleine de récits de catastrophes familiales où les tactiques les plus subtiles sont déjouées par un décès imprévu qui provoque le pire : la sortie du patrimoine de la famille13. Pour réduire le risque, il fallait avant tout disposer d’un groupe familial large, jusqu’au quatrième degré ecclésiastique (les descendants des parents des mêmes grands-parents). L’ampleur de l’équipe permettait alors d’improviser des solutions de repli. Il fallait que ce groupe soit régi par une discipline féroce. Il ne pouvait être question pour un enfant de refuser le destin que ses parents lui fixaient sans mettre en péril la famille entière. Personne ne choisissait entre mariage et célibat, ni son conjoint et encore moins son métier. En dernier recours, il fallait tricher. C’est Pedro Rol de la Cerda qui, pour restaurer le palais familial, vida le majorat que son fils cadet avait hérité de sa mère ; c’est Diego Antonio Ovando hypothéquant trois fois les mêmes biens qui, de surcroît, ne pouvait l’être même une fois car il appartenait à son majorat14. Les archives judiciaires regorgent de tels cas.
18Le sacrifice des cadets, l’ampleur de la famille, l’absence de choix personnel, les arrangements avec la loi, cela était commun à toutes les classes de la société15. Pour les plus pauvres, la solution passait par le reversement des surnuméraires dans une masse de population flottante de mendiants, de journaliers et domestiques semi-nomades, où l’on recrutait la main-d’œuvre non qualifiée des chantiers, les petits métiers urbains, les valets de ferme et les soldats de l’armée16. Quant aux arrangements extralégaux, la pression sociale et la relative faiblesse des enjeux, l’absence de formation juridique des intéressés garantissaient globalement l’absence de protestations trop virulentes. Il en allait autrement dans l’élite sociale. On ne pouvait réduire à la misère et au déracinement des fils de bonne famille qui avaient été éduqués comme des leaders sans risquer une explosion sociale. On ne pouvait non plus compter sur leur résignation lorsqu’on les avait dépouillés de façon trop ouvertement illégale : ils avaient les moyens intellectuels d’accéder aux tribunaux et l’ampleur des intérêts en jeu constituait une incitation suffisante à agir.
19La solution alors passe par l’Église et par le roi. L’Église, c’est la voie la plus ancienne. Toute famille qui se respecte possède l’usage d’un volant de biens ecclésiastiques dont elle a fait don à Dieu moyennant faculté de nommer ses propres membres par droit de patronage aux bénéfices qu’ils financent. S’ils viennent à manquer, il est toujours loisible de caser les enfants, garçons et filles, dans des couvents, moyennant versement d’une dot. D’où le poids des « prêtres habitués », ordonnés mais non rattachés au service d’une paroisse, qui constituent en Espagne une grosse moitié du clergé séculier. D’où le poids des religieux. Sachant qu’il y a 120 000 postes ecclésiastiques disponibles pour des mâles en Espagne à la fin de l’Ancien Régime, on voit l’importance du débouché ; et l’intérêt d’avoir barre sur le choix des bénéficiaires. Après 1753, le roi a prise sur à peu près 60 000 places. Monastères et couvents forment le gros de ce qui lui échappe. Ce qui leur donne à ses yeux mauvaise presse.
20L’Église est la solution traditionnelle, le roi, la solution nouvelle, non seulement parce qu’il filtre de plus en plus l’entrée dans le clergé, mais encore parce qu’il propose lui-même de plus en plus de postes pour caser les exclus. Le développement des administrations royales, de l’armée, de la marine — l’Espagne se dote de la troisième marine de guerre du monde au milieu du XVIIIe siècle —, l’Amérique terre d’immigration, dont le souverain a les clefs, car n’y entrent en principe que ceux à qui il délivre passeport, tout cela fait de lui un point de passage de plus en plus incontournable. Il devient maître en dernier ressort de la litigiosité, en imposant de plus en plus strictement le traitement des affaires patrimoniales de l’élite devant ses propres tribunaux. Il est impossible de dire si le nombre de tels procès s’accroît au XVIIIe siècle : la dispersion des archives, l’absence de statistiques officielles, la difficulté même à définir l’unité statistique que constitue l’affaire, rendent très fragiles tous les chiffres que l’on peut avancer. Il ne semble en tout cas pas diminuer. Or les juges, tout en respectant la lettre du droit, peuvent selon la manière dont ils envisagent l’affaire rendre des sentences qui auront dans la pratique des effets extrêmement différents. Pedro Rol de la Cerda, que nous avons vu vider le majorat qui revenait en ligne maternelle à son fils, fut condamné, suite à la plainte de ce dernier, à lui céder la propriété… de la façade du palais restauré avec l’argent qui lui revenait. La veuve de Diego Antonio Ovando, pour rembourser les hypothèques indûment placées par ses soins sur ses biens non hypothécables, fut condamnée à céder à ses créanciers le montant des revenus qu’elle en tirait… après prélèvement d’une pension alimentaire qui en représentait l’essentiel. La bienveillance des magistrats n’a pas de limites. Ne sont-ils pas eux aussi des chefs de famille confrontés aux mêmes problèmes ? Encore faut-il que le roi, régulateur suprême de l’appareil judiciaire, approuve, voire demande de tels arrangements.
21La nécessité de l’intervention du souverain découle enfin, en dernière instance, d’une caractéristique propre au système de règlement des conflits. Les sociétés d’Ancien Régime avaient instauré des mécanismes extrêmement puissants pour les résoudre. Il suffit de lire sans prévention les archives judiciaires pour se rendre compte de l’existence de médiateurs sociaux qui assuraient des arbitrages que nous considérons aujourd’hui comme « informels », mais qui en leur temps étaient tout aussi reconnus, efficaces et légitimes, voire plus, que la justice réglée des tribunaux. Il s’agit au premier chef des notables locaux et, parmi eux, tout spécialement des membres du clergé. Le phénomène a été décrit pour la France du XVIIIe siècle17. Il est vrai de l’Espagne aussi. Toute enquête révèle une multitude de conflits réglés sans intervention de tribunaux, que l’on tient à distance. Même dans les affaires les plus graves.
22Soit, au milieu du XVIIe siècle, une bagarre, de nuit, entre bandes de jeunes originaires de deux villages des environs de Madrid. Un mauvais coup d’épée est porté. Un mort en résulte. La loi est claire : meurtre de nuit, usage d’armes interdites, peine de mort ; dans le meilleur des cas, galères. Lorsque les sbires des juges royaux se présentent, les intéressés se sont envolés. Une dizaine d’années plus tard, l’auteur du coup d’épée se présente spontanément à ses juges, à Madrid, muni d’un certificat notarié qui porte pardon des parents de la victime. Les négociations ont été pénibles, mais l’on a fini par s’entendre. Nous apprenons incidemment que la famille a pardonné depuis longtemps les autres impliqués. Les juges s’inclinent. Ils archivent la sentence de mort qu’ils avaient portée par contumace et prononcent une peine de principe : deux ans de service à l’armée. L’accusé trouve cela trop cher payé. Il demande le pardon du roi. Celui-ci passe l’éponge moyennant le défraiement d’un soldat pendant un an. Les autorités interrogent bien sûr le coupable sur les raisons d’une si longue absence. Non, il n’a pas fui la justice. Il a simplement effectué un déplacement prévu de longue date pour se marier à quelque distance de là. Oui, il est souvent venu à Madrid depuis. Non, il ne savait pas qu’on le recherchait. Et tous de se contenter d’une explication cousue de fil blanc. Les parties se sont mises d’accord. La justice royale n’a plus rien à faire18.
23Le juge en effet n’est qu’un facilitateur. La menace de la potence fut à l’évidence dans le cas présent un argument de poids pour forcer un accord difficile. Dans le règlement des conflits, la justice réglée n’a longtemps qu’un rôle subsidiaire. La pacification résulte d’un compromis entre les parties sous l’égide de la communauté. Les juges nommés par le roi ou le seigneur, jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, ne sont d’ailleurs légalement que les supplétifs de juges municipaux choisis par la communauté. Certes, dans la pratique, ils font le gros du travail, mais l’image reste. Le roi n’intervient que pour faciliter et en fin de compte ratifier l’accord trouvé sous l’égide de la communauté. Il n’est dans la plupart des affaires qu’une garantie de bonne fin pour l’accord des parties ; mais une garantie essentielle.
24Car il est l’instance qui règle les situations sans issues, évitant ainsi des blocages que toute l’organisation interne du système judiciaire tend à provoquer. Passons au Chili. En 1715 arrive d’Espagne à Santiago un nouveau gouverneur, Gabriel Cano Aponte. Il est chargé entre autres de la répression de la contrebande. En 1725, il se heurte au vicaire général, José Toro Zambrano, issu lui de la société locale. Celui-ci s’oppose à ce qu’un conflit portant sur l’exécution d’un contrat de mariage passe du tribunal épiscopal aux tribunaux civils, comme le souhaite Aponte. L’évêque appuie son vicaire, le gouverneur s’incline, de mauvais gré. Peu après, le vicaire général s’oppose à ce que les représentants du gouverneur prennent part à l’élection de l’abbesse du monastère des Augustines de Santiago, pourtant de patronage royal. L’évêque cette fois arbitre en faveur du gouverneur, qui exige la destitution et l’éloignement du vicaire. Entre eux, c’est désormais la guerre ouverte. Chacune des parties tente ainsi d’utiliser à son profit les tribunaux locaux. En 1727, Cano découvre un gros réseau de contrebande de tissus. L’un des témoins met en cause Toro Zambrano. Une sentence de l’Audience royale, que préside le gouverneur, demande la mise en accusation de l’ancien vicaire général. Celui-ci appartient au clergé. Il ne relève donc pas de la justice séculière, mais des tribunaux ecclésiastiques sur lesquels le gouverneur n’a aucune prise et que l’accusé a lui-même longtemps présidés. Non seulement les juges ecclésiastiques le blanchissent, mais encore ils envoient au Conseil des Indes un rapport accusant le gouverneur de truquer les preuves pour servir une vengeance personnelle. Le conflit est ainsi passé par trois niveaux : personnel, judiciaire, royal enfin. L’incapacité des adversaires à prendre l’ascendant l’un sur l’autre, puis l’incapacité du système judiciaire à déclarer l’un des deux vainqueurs, est responsable de l’escalade. Le roi calme le jeu19.
25Le schéma se répète dans des milliers d’affaires. Il montre bien ce qu’est la justice réglée. Indispensable instrument de régulation, elle est utilisée et manipulée par les puissants qui ont barre sur elle. Elle est surtout incapable de contribuer à la résolution des litiges lorsque la puissance sociale des parties s’équilibre, car le système judiciaire ne forme pas un tout hiérarchisé. Il est fractionné en de multiples juridictions indépendantes. Les tribunaux ecclésiastiques, qui jugent tout ce qui a trait au clergé — nous savons son poids démographique et social — et aux biens ecclésiastiques — 22 % du produit agricole en Espagne à la fin du XVIIIe siècle —, ainsi que les affaires matrimoniales, sont totalement indépendants des tribunaux civils, en première instance comme en appel. Ils ne jugent même pas selon le même droit. Ils ne relèvent que du pape. À l’intérieur de la juridiction civile, les tribunaux seigneuriaux sont, en première instance, des juridictions indépendantes de celles du souverain. À l’intérieur même de la juridiction royale, le corps des finances, l’armée, la cour, les communautés de marchands, l’Inquisition et ses agents, et tous les corps munis d’un « juge protecteur » (chacun des fournisseurs aux armées pour l’exécution de ses contrats, par exemple) constituent autant d’espaces juridictionnels autonomes. Ce fractionnement est en adéquation avec les bases intellectuelles du système de gestion de la société, comme nous le verrons sous peu. Il a aussi une fonction immédiate de sûreté. Il rend difficile la prise de contrôle de toute l’institution judiciaire par un seul acteur, aussi puissant soit-il, en offrant à ses adversaires des refuges inviolables qui leur évitent l’anéantissement en cas de défaite. Il conduit en revanche à de multiples « concurrences » entre juridictions qui luttent pour se saisir d’une affaire, affrontements qui mènent tout droit à la paralysie de l’ensemble. Seul le roi, qui est à la tête de tout l’édifice judiciaire séculier, qui a droit de regard sur l’ecclésiastique par la procédure d’appel comme d’abus et par une multitude de moyens indirects, peut écarter le risque de paralysie. Vers 1800, il est devenu, à ces titres multiples, la clef de voûte du système de règlement des conflits.
26La monarchie, par ces mécanismes, détient un rôle central dans l’acquisition d’un rang, dans la conservation de celui-ci, dans l’atténuation des contraintes qu’un monde de pénurie impose à la gestion des patrimoines. Or, le roi est libre de faire bénéficier de ses services qui il veut. Les élites y sont intéressées au premier chef. Il est donc logique qu’elles se livrent à une compétition effrénée pour conquérir la bonne volonté du souverain, clef de l’ascension sociale et de la stabilisation des positions acquises. Là réside la force de la monarchie. Elle règne en jouant sur cette demande, et en exigeant en retour la mobilisation en sa faveur des leaders sociaux qui tiennent en main le Royaume.
27Or la position du roi ne découle pas d’un ordre naturel des choses. Le choix d’en faire la référence suprême est une convention, qui ne vaut que parce que ses sujets la considèrent comme telle. Elle aurait pu être autre. Pour une large part, les souverains l’ont construite. À la fin du Moyen Âge, les conflits se réglaient au niveau local, les positions sociales s’acquéraient avant tout dans le cadre de la ville et étaient confirmées par la conquête de charges municipales. Les droits de patronage ecclésiastiques étaient gérés au même niveau, tout au plus à celui du diocèse. Les recours nécessaires se faisaient au moins autant au seigneur, le potentat local, qu’au roi, trop lointain. Certes la faveur royale n’était pas négligeable, mais le souverain, s’il était en droit l’instance suprême de mise en équilibre du système, n’était actionné que rarement. Tout au long des XVIe et XVIIe siècles, la monarchie a patiemment créé des liens directs avec les membres des classes dirigeantes locales, en court-circuitant les instances intermédiaires, les Royaumes, l’aristocratie et plus encore les municipalités. Ce n’est pas ici le lieu de décrire les mécanismes ni les étapes de cette conquête, dont la découverte est sans doute le principal acquis de l’historiographie moderniste espagnole des trente dernières années20. La mise au pas de l’aristocratie par les Rois Catholiques et Charles Quint21, la dissolution des Cortès en tant que corps politique capable de tenir tête au roi, sur laquelle nous reviendrons, l’établissement de liens privilégiés et directs entre le souverain et les familles qui composent les oligarchies locales22 en sont les moments essentiels. Ces acquis sont tels qu’ils ne sont même pas remis en cause par la faiblesse personnelle de Charles II : les aristocrates qui prennent alors en main l’État ne cherchent nullement à rétablir le régime ancien ; tout au contraire, ils renforcent l’État royal, qu’ils exploitent à leur profit. Vers 1700, pour l’essentiel, la cause est entendue. Les Bourbons se contenteront, dans ce domaine, de parachever le travail en liquidant des héritages vermoulus — les fueros politiques de la Couronne d’Aragon — et en mettant au pas les survivants les plus encombrants de l’ancienne aristocratie. En s’en prenant aussi au dernier concurrent sérieux qui leur restait pour devenir le centre unique du monde social et, tout également du politique : l’Église.
Le roi, le Royaume, l’Église
Le roi
28Le roi ne doit rien à personne. Ce qu’il donne, il le donne librement, volontairement, arbitrairement. Il n’est tenu par aucune règle humaine. Lorsqu’il en édicte, il garde toujours la possibilité d’en dispenser dans des cas particuliers — particuliers ne veut pas dire rares — dont il est le seul juge. La clause est tellement évidente qu’elle n’est jamais formulée, trait, soit dit au passage, typique d’une convention. Donnant par acte de pure volonté, le roi n’a de compte à rendre à personne quant aux motifs de son choix. Rien ne l’oblige à les formuler. Rien dans la documentation ne permet de les reconstituer autrement que par présomption ou inférence : la décision enregistre simplement la solution retenue et les documents préparatoires sont généralement plus explicites sur les motifs de refus que sur les causes positives du choix. Le roi seul enfin choisit. Il est entouré de bureaux auxquels il délègue l’information des dossiers. La Chambre de Castille en archive ainsi des milliers. Elle-même demande périodiquement des rapports aux autorités locales, aux évêques, aux recteurs des universités, aux présidents des tribunaux royaux, aux gouverneurs militaires et capitaines généraux. Pour la nomination aux places les plus importantes, elle propose au roi des listes de candidats classés. Au XVIIIe siècle, dans un tiers des cas au moins, celui-ci soit bouleverse ce classement, soit nomme un candidat que la Chambre n’avait même pas mentionné, qu’il s’agisse des plus hauts postes de l’administration civile ou de bénéfices ecclésiastiques sans importance aucune.
29Le roi cependant, s’il est libre juridiquement, ne l’est pas moralement. Il est tenu par un devoir de reconnaissance face aux « mérites » que les prétendants ont acquis à son égard, qu’ils font valoir savamment dans leurs demandes. Ces mérites, ce sont les leurs, au premier chef : les études qu’ils ont faites pour se préparer, au service de l’État bien sûr, et les dépenses qu’ils ont engagées pour cela ; les postes de gestion des affaires publiques qu’ils ont occupés, concourant ainsi à la tâche du souverain ; les prêts, les dons, les contributions qu’ils ont consentis à l’État, soit de leurs biens, soit en mettant à son service leur influence sociale pour mobiliser les ressources des autres. À ce titre, le versement d’une soulte pour obtenir un poste, ce que nous appelons la vénalité, est un mérite comme un autre, encore que de nature spéciale23 ; tout autant que la compétence avérée, au sens que nous donnons aujourd’hui à ce terme ; ou que l’appartenance à une élite sociale qui implique habitude du commandement des hommes.
30Les mérites du prétendant ce sont aussi les services de ses parents et ascendants : les frères et les enfants morts à la guerre, les charges remplies par les pères, grands-pères. On hérite du mérite comme on hérite d’un bien, y compris par testament en dehors de la famille, il y a des cas bien attestés. De même que les mérites de la famille bénéficient au candidat, de même les services rendus à la famille royale et à ses proches engagent le souverain.
31Le mérite crée donc chez le roi une obligation morale. Par cette constatation, nous avons quitté le champ juridico-politique pour un autre, proche du religieux. Le mot que l’on utilise pour désigner les bienfaits du roi relève d’ailleurs du vocabulaire théologique : la grâce ; comme en relève aussi le mot « mérite » qui définit l’apport du prétendant24.
32Le roi, donc, est libre, mais cette liberté est guidée par l’obligation de reconnaître les mérites. C’est à ceux qui l’ont le mieux servi que doit aller sa grâce. La logique du système est éminemment personnelle, car l’évaluation du mérite est éminemment subjective, et le souverain garde la faculté d’apprécier celui de chacun, donc le degré de reconnaissance qu’il doit lui manifester. C’est dans cette appréciation que réside en dernière instance sa véritable liberté. Le mérite peut être secret, connu du seul souverain, et les bienfaits dont un individu est comblé apparaître aux yeux du monde comme injustifiés. L’évaluation du mérite réduite à sa dimension humaine n’exclut pas en soi le cynisme le plus absolu. Il n’en reste pas moins qu’elle constitue l’étalon à l’aune duquel est évaluée l’action du roi.
33En fin de compte, nous sommes en présence d’un mode de gestion du politique à la fois individualisé, arbitraire et compétitif, fondé sur une relation personnelle entre un souverain distributeur de bienfaits et des prétendants qui luttent pour obtenir le bénéfice d’une parcelle de cette toute puissance de préférence à d’autres. Le tout encadré par un système de références qui ne relève pas du politique, mais de la morale ; dont la sanction n’est pas explicitement politique, mais de l’ordre du jugement de Dieu. Les prétendants dans leur quête sont organisés en groupes, en équipes. Celles-ci se créent d’abord sur la base de la collectivité naturelle, au premier chef la famille, dont les membres tirent collectivement bénéfice des mérites de tous25, mais aussi la communauté d’origine territoriale ou l’appartenance à une même institution. Une analyse plus fine montre qu’il existe un deuxième mode d’organisation, moins légitime car moins fondé sur des relations « naturelles », moins affiché dans les « relations de mérites », mais tout aussi efficace : le parti, l’alliance entre personnes étrangères sur le plan familial, pour conquérir la faveur royale26. Ceci posé, qui est le roi, au sens où le définit la convention royale ?
34Tout d’abord une personne. La galerie de portraits des souverains espagnols entre 1665 et 1868 n’a rien d’enthousiasmant. Charles II (1665-1700), produit de « la dernière copule réussie » — l’expression est de la plume de l’intéressé — de Philippe IV avec sa nièce Mariana de Austria, ne brillait guère par l’intelligence et physiquement frisait l’invalidité. L’Europe entière pendant tout son règne prépara le partage de sa succession, car on douta toujours qu’il eut des enfants. Philippe V (1700-1724 ; 1724-1746) était atteint de trouble bipolaire. L’alternance des phases d’exaltation qui lui valurent au début de son règne d’être admirativement surnommé « Philippe le Battant » par ses sujets, et de dépression, s’accentua à la fin de sa vie. Il traversa alors des épisodes délirants. Ne raconte-t-on pas qu’il tenta un jour de monter les chevaux représentés sur une tapisserie ? Élisabeth Farnèse, sa seconde épouse, l’aida largement à maintenir les apparences, en sélectionnant les personnes autorisées à l’approcher en fonction de l’équilibre psychique des intéressés, en éloignant les personnalités conflictuelles et en filtrant les nouvelles qu’on lui apportait pour lui garantir un environnement émotionnel stable27. Humainement elle ne pouvait mieux faire. Il est néanmoins permis de douter que le rôle d’un souverain soit de fuir les mauvaises nouvelles. Cette stratégie contribua de toute façon beaucoup à une personnalisation de la monarchie dont nous reparlerons. Louis I (1724) ne fit que passer : il mourut presque immédiatement de la variole. Ferdinand VI (1746-1759) était neurasthénique. La présence à ses côtés de la reine Barbara de Bragance, remarquable de laideur, d’intelligence et de culture, le stabilisa dans une apparente normalité. La reine morte, il sombra dans une dépression si profonde qu’il fallut l’enfermer dans un château isolé des environs de Madrid où il se laissa mourir en quelques mois, refusant toute nourriture et les soins corporels les plus élémentaires. Charles III, celui qui dans la dynastie a laissé l’image la plus brillante, fut toute sa vie obsédé par l’idée de la folie qui rôdait dans sa famille. Il la combattait par l’exercice physique — la chasse chez lui était plus qu’une passion, une manie —, par une hygiène et une régularité de vie absolues. Sa personnalité attachante suscita chez ses collaborateurs un dévouement sincère. S’il n’était pas dénué d’intelligence, il faut reconnaître qu’il était totalement dépourvu de largeur de vues. Son fils Charles IV (1788-1808) ne mérite pas l’image de mari berné que les polémistes lui ont fait endosser de son vivant même. Il n’en reste pas moins que les juges les plus bienveillants ne peuvent que constater qu’il n’a pas été à la hauteur des circonstances difficiles que traversa alors le Royaume. Intelligent et cultivé, bon mécanicien et grand chasseur comme son père, il n’était nullement passioné par le détail des affaires d’État, auxquelles il ne consacrait pas plus d’une demi-heure par jour28. Ferdinand VII (1808-1833) réussit le tour de force de détrôner son père par un coup d’État qui ouvre l’histoire contemporaine de l’Espagne, d’abdiquer entre les mains d’un souverain étranger, de reconquérir deux fois son trône et de mourir de mort naturelle dans son lit. Il ne mérite pas lui non plus l’image détestable que lui a taillée l’historiographie. Intelligent et fin, il ne comprit cependant pas que la conception de la monarchie à laquelle il était attaché était définitivement dépassée. Sa fille Isabelle, alternant coucheries et bondieuseries, ne réussit même pas à donner un contenu crédible à l’image de la reine constitutionnelle que ses ministres tentaient vainement de lui faire endosser. Si elle joue un rôle considérable dans les modalités d’exercice du pouvoir, la personnalité du monarque, n’est pas l’essentiel de la monarchie.
35Le roi est avant tout l’élu de Dieu. La convention la plus visible de l’Ancien Régime politique réside dans le fait que le porteur de la souveraineté, le responsable suprême de la communauté politique, celui qui va exercer le pouvoir, n’est pas choisi par les hommes, mais par la divinité. Soyons précis. Il est proposé par Dieu, mais le Royaume — les hommes — garde à la fois la maîtrise des règles de lecture de la volonté divine et un droit de veto. La monarchie espagnole est héréditaire, par ordre de primogéniture, avec préférence aux mâles. Dans un monde où la mortalité infantile est effarante, le fait de survivre à ses parents et d’assurer sur plus de trois générations une succession mâle peut être assimilé à la volonté divine. Héréditaire, la monarchie l’est au sens le plus général au sein du groupe formé par la douzaine de familles royales que l’Europe quasi unanime a constituées en caste sacrée à la fin du XVe siècle. Elles se sont vues doter d’une dignité qui transcende les frontières des royaumes et les rend aptes à régner partout. D’abord détenu par les Trastamare (des Castillans) jusqu’au milieu du XVIe siècle, le trône de Castille est ensuite passé aux Habsbourg (des Austro-flamands) avant d’être transféré en 1700 aux Bourbons (des Français). Peu importe d’ailleurs. Au bout de deux siècles d’endogamie tous sont cousins : la seconde épouse (une Parme) de Philippe V (un Bourbon) était la nièce de la seconde épouse (une Habsbourg d’Autriche) de Charles II (un Habsbourg d’Espagne), son prédécesseur. L’Espagne ne leur demande pas d’être Espagnols. Elle leur demande d’être catholiques. Car la Réforme a cassé en deux le groupe des familles sacrées, ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes dans le choix des conjoints, l’éventail des possibles, déjà réduit, se restreignant encore. Les arbres généalogiques en deviennent si intriqués que l’expression de la volonté divine en est quelque peu perturbée. C’est à l’homme de lire, et de faire un choix entre les différentes lectures possibles.
36Dans cette opération, il est d’abord guidé par un souci d’équilibre. Pour être liés par des liens de sang les souverains n’en sont pas moins rivaux pour la prééminence au sein du continent. Lorsque Dieu semble offrir à l’une des familles les moyens d’imposer sa domination aux autres, il est bon d’écarter cette proposition au profit d’un arrangement plus raisonnable. Pour qu’elle ne tombe ni dans l’escarcelle des Habsbourg, ni dans celle des Bourbons, ses héritiers les plus directs, on envisagea d’abord de donner la monarchie de Charles II à un prince Bavarois dont la parenté avec le de cujus était presque équivalente à celle des susnommés qui, au passage, recevaient des compensations. Le décès malencontreux de l’héritier présomptif réduisit le champ des possibles consanguins aux Bourbons et aux Habsbourg. Dans ces familles, l’on choisit pour candidats des cadets, ce qui constituait une rupture de l’ordre de succession. Au bout de dix ans de guerre, l’on finit par s’entendre sur un partage, et l’on défendit en outre au Bourbon, qui remportait le premier lot, de succéder le cas échéant à la couronne de France.
37Nouvelle correction apportée par Philippe V en 1713, l’encre du compromis de succession à peine sèche. Il introduit la loi salique en Espagne, interdisant aux femmes de succéder et de transmettre les droits héréditaires, sauf extinction totale des branches masculines. Il prévoit aussi que l’héritier du trône devra être élevé dans le Royaume. Mesures de prudence pour rendre impossible une succession autrichienne, mais grosses d’une guerre civile, un siècle plus tard. En attendant, Philippe V lui-même abdique en 1724, laissant le pouvoir à son fils aîné, Louis. À la mort imprévue de celui-ci, il le reprend, alors qu’en droit strict c’est Ferdinand, son deuxième fils, qui aurait dû succéder à son frère. Charles III élimine de la succession son fils aîné, Philippe, qu’il reconnaît incapable, et laisse le trône à son cadet. Lequel est proclamé héritier alors qu’il a été élevé pour l’essentiel à Naples, ce qui rend ses droits discutables au vu du règlement de 1713. Il demande d’ailleurs aux Cortès de 1789 son abolition, mais exige que la délibération reste secrète, ne tenant sans doute pas à attirer l’attention sur ce texte. C’est Ferdinand VII qui publiera la mesure en 1833, après maintes hésitations, à la veille de sa mort, pour assurer le trône à sa fille Isabelle au détriment de son frère Charles. Ce même Ferdinand abdiqua en 1808 entre les mains de Napoléon un trône que celui-ci d’ailleurs ne lui reconnaissait pas.
38La volonté de Dieu s’exprime donc par des truchements très humains, mais toujours par la voix du Royaume. Le roi n’est pas maître de l’ordre de succession. Face à Dieu, mais surtout face aux hommes. Ses sujets conservent dans les faits le droit à la décision. Tout d’abord parce qu’en cas de crise ouverte, c’est leur ralliement qui décide : les armées de Louis XIV n’auraient pas sauvé Philippe V si la Castille ne s’était massivement mobilisée en sa faveur. Parce que toute modification de l’ordre successoral ensuite doit leur être soumise. C’est des Cortès, et des Cortès seules, que Philippe V et Charles IV obtiennent la ratification puis l’abolition de la loi salique. Le Conseil Suprême d’Espagne et des Indes, successeur du Conseil de Castille, ira jusqu’à soutenir, en 1810, après la chute de la monarchie absolue, que Philippe V, dans l’instauration de la loi salique « usa d’une faculté qu’il n’avait pas29 ». Cette ratification par les sujets se marque, même aux époques les plus triomphales de la monarchie, par la présentation obligatoire de l’héritier au Royaume représenté par les Cortès, préalablement à sa reconnaissance comme tel. C’est une nécessité impérieuse, que les théoriciens décrivent comme une évidence30, tellement impérieuse que l’on prit pour la satisfaire le risque de convoquer une Assemblée en 1789, malgré le danger de contagion des événements qui secouaient alors la France.
39Le roi est aussi un corps symbolique, unique en essence mais comprenant plusieurs personnes, à l’image de la Trinité. La reine en fait partie au premier chef. L’Espagne, de 1666 à 1758, puis de 1788 à 1808, a été gouvernée ou co-gouvernée par des femmes, épouses ou mères, qui suppléaient les insuffisances du souverain en titre. Les lettres de Carvajal, le ministre d’État de Ferdinand VI, disent la manière dont il traite avec le roi. Il se présente à la porte de la chambre au réveil de Leurs Majestés, qui partagent le même lit. Il attend que sorte l’ambassadeur du Portugal qui, la reine étant portugaise, vient la saluer en premier. Il s’enquiert auprès de lui de l’humeur du souverain. Si elle est bonne, il traitera de problèmes sérieux. Sinon, il traitera des affaires ordinaires et gardera les plus importantes pour une autre fois. Il entre. Le roi et la reine sont assis dans leur lit, en train de déjeuner. Carvajal lit ses papiers. La plupart du temps, c’est la reine qui répond, après consultation du roi, qui presque toujours approuve. Touchante scène de famille. Elle marque à quel point les problèmes de santé des souverains, mais aussi une tendance lourde politique, ont conduit à une privatisation du pouvoir royal. Les affaires restent des affaires d’État. La manière de les traiter est celle d’un particulier31.
40Outre la reine, le corps du roi ce sont aussi les lettrés. Les membres des Conseils, les membres des Audiences, sont parties prenantes au pouvoir souverain et habilités à formuler sa volonté. Le roi, certes, garde la possibilité d’annuler à tout instant leur jugement ; ou de décider sans eux. Mais il est bien entendu qu’ils sont revêtus d’une puissance de discernement du même ordre que la sienne, quoique d’une force inférieure. Ils déchargent dans les faits le roi d’une masse de microdécisions qui se prennent à leur niveau, sans que le « maître » en entende jamais parler. S’il devait examiner personnellement tous les notaires du Royaume, choisir personnellement tous les membres des administrations royales, correspondre personnellement avec toute la noblesse du Royaume, trancher personnellement toutes les affaires qui montent en appel, mille vies ne pourraient suffire à la tâche. Les Conseils s’en occupent. Formellement cependant, leurs décisions sont décisions du roi et publiées comme telles. À l’inverse, même lorsque le roi décide personnellement, les Conseils sont partie prenante de la décision. Le « devoir de conseil » qui est le leur implique d’abord qu’ils transmettent au roi les informations nécessaires sous forme de dossiers instruits et synthétiques, accompagnés généralement de suggestions. Ce sont les fameuses « consultations » (consultas) en marge desquelles le roi n’a plus qu’à inscrire sa volonté. Il implique également qu’ils freinent, le cas échéant. Ce sont eux qui doivent porter les décisions à la connaissance du public. Ils peuvent refuser de transmettre s’ils estiment qu’il y a erreur. Ils peuvent même refuser de délibérer et de faire remonter leur « consultation », paralysant ainsi le souverain. En cas de refus, celui-ci peut céder, comme il peut insister. Dans ce cas, le Conseil s’effacera, car il n’est que le bras, et le roi la tête ; mais la décision finale aura perdu de sa légitimité et les sujets ne se considéreront pas nécessairement liés par elle.
41Une lutte sourde court tout au long du XVIIIe siècle entre les Conseils et le roi. En 1708, le Conseil de Castille expulse de Grenade un groupe de religieux. Philippe V demande des explications. Le Conseil répond qu’il a agi de son propre chef, sans en référer,
car la juridiction de Votre Majesté est ordinaire, et ne pouvant l’exécuter en personne, elle la communique au Conseil ; c’est pourquoi ce que décide le Conseil est décidé par Votre Majesté ; et la juridiction du Conseil est également ordinaire, car elle n’est que mise en œuvre de la juridiction suprême de Votre Majesté qui, ne pouvant faire face à la masse infinie des affaires, résout par le moyen du Conseil ce qui relève des ses [sic] droits régaliens souverains.
42Le roi fit répondre :
La souveraineté ne se partage pas. Elle s’exerce seule. Elle s’affaiblit, voire s’anéantit lorsqu’elle se divise. Le roi ne peut la séparer de soi, en tout ni en partie, car c’est lui seul que Dieu a fait souverain. [Si le Conseil avait part à cette souveraineté] Sa Majesté ne serait plus la tête, ou pour mieux dire l’âme, du corps mystique de la Monarchie. Celle-ci aurait alors deux têtes, ce qui est une horrible difformité. Il se pourrait que le roi ordonne une chose, et le Conseil une autre. Les yeux, les oreilles, les bras, les jambes, toutes images par lesquelles les anciens expliquaient la fonction des Conseils, n’exécuteraient plus alors les ordres de la tête…32.
43En 1721, sur proposition du capitaine général de Valence, Philippe V consulta le Conseil de Castille sur la possibilité d’étendre à ce dernier Royaume le système de nomination des corrégidors royaux par la voie militaire alors en vigueur dans l’ancienne Couronne d’Aragon. L’affaire importe peu. Son intérêt réside dans la réponse, respectueuse dans la forme, sans ambiguïté quant au fond : l’introduction des corrégidors militaires avait donné d’excellents résultats dans la Couronne d’Aragon ; la réforme était légitime, la révolte de ces territoires pendant la Guerre de Succession y donnait au roi droit de conquête ; pour l’imposer à la Castille, il faudrait également droit de conquête. Bref, on agitait benoîtement la menace d’une révolte33. Le XVIIIe siècle est ainsi ponctué, jusqu’au bout, d’épisodes où le souverain se fait littéralement taper sur les doigts. Le corps du roi est divisé contre lui-même.
44Le roi, c’est enfin les personnes auxquelles il a donné commission. La commission est une figure juridique très codifiée. C’est délégation donnée à une tierce personne par le détenteur d’une charge publique pour le remplacer dans l’exercice de celle-ci. La délégation peut couvrir tout ou partie des fonctions de la charge. Elle ne peut en aucun cas excéder les attributions de celle-ci. Elle peut être limitée dans le temps ou à une zone géographique précise. Il peut y être mis fin à tout instant. Elle laisse au mandant la possibilité d’annuler ou de renverser toute décision du commissaire. Elle lui laisse le droit d’évoquer à lui toute affaire dont il s’est saisi pour la traiter en personne. Elle peut comporter le droit de subdéléguer. Le roi, comme tout détenteur d’un fragment de la puissance publique délivre des commissions. Il les délivre librement, à qui il l’entend, sans conditions d’âge, de titre, de qualification ou même de nationalité. Les pouvoirs du commissaire sont en effet pris sur la juridiction du mandant. Il ne lèse donc personne en les attribuant. Il en délivre de plus en plus. Les Conseils, les seigneurs, l’Église, les municipalités en donnent également, mais à ce jeu le souverain les bat à plate couture. Il se dote par ce biais d’une masse d’agents qui ne dépendent que de lui, qui parlent et agissent en son nom. En démultipliant son action, ils la portent aux quatre coins du Royaume. Ils lui donnent en un mot les moyens de l’exercer effectivement. Ils constituent une administration qui lui procure une efficacité supérieure à tous ses concurrents. Ils acquièrent même collectivement une entité propre et une relative autonomie par rapport à la personne de leur maître et forment, à la fin du XVIIIe siècle, un collectif capable d’imposer, le cas échéant, sa volonté au roi, capable aussi de le remplacer dans la plupart de ses tâches.
45Sauf dans une, la plus fondamentale de toutes : l’exercice absolu de son pouvoir absolu. Le commissaire en effet, même lorsqu’il a les pouvoirs les plus étendus, reste vis-à-vis du roi un agent d’exécution. L’essence du pouvoir monarchique ne peut être déléguée. Le Royaume s’est systématiquement opposé à toute tentative dans ce sens, réelle ou supposée. Les rois ont été flanqués presque tout au long du XVIIe siècle de validos, à qui ils déléguaient massivement. Le duc de Lerme sous Philippe III, Olivares, puis Haro sous Philippe IV, Nithard auprès de la régente sous Charles II, le prince Jean Joseph d’Autriche, Valenzuela ensuite auprès de ce même Charles. En dehors de Haro, qui sut rester discret, et de Jean Joseph à qui son ascendance donnait de la légitimité, ils tombèrent tous devant l’opposition du Royaume. Leur dernier avatar, Godoy, qui pourtant appartenait à une autre espèce mais qui partage avec eux le soupçon d’empiéter sur l’exercice de la puissance absolue du roi, tomba de la même façon en entraînant cette fois la monarchie dans sa chute.
46Lorsque Philippe V revendiquait l’unicité et l’unité de la souveraineté, il formulait donc une position de principe plus qu’il ne décrivait une situation réelle. La multiplicité des représentations de la personne conventionnelle du roi que nous venons de décrire est l’indice que la notion de souveraineté royale, et partant d’absolutisme, ne peut se comprendre que replacée dans le contexte d’un système éminemment dialectique qui la relativise. Le roi n’existe qu’en référence au Royaume et à Dieu.
Le Royaume
47La notion de Royaume est fondamentale pour comprendre l’Ancien Régime. Les monarques ont tout tenté pour le faire oublier, mais le Royaume préexiste en droit au souverain.
48Le Royaume est un organisme politique doté d’une dimension territoriale, conscient de son existence, de son unité et d’une communauté de destin, de taille supérieure à la communauté d’habitants, situé à une échelle à laquelle il est impossible de rassembler tous ses membres en une Assemblée générale unique pour se livrer à un exercice de démocratie directe. Le Royaume est obligé de se doter d’un niveau institutionnel supérieur aux Assemblées locales, autrement dit d’un système représentatif. C’est ce qui le différencie de la municipalité, communauté des habitants d’une ville, susceptibles de se réunir tous pour gérer directement les affaires de la collectivité. Le Royaume est soudé par une l’intense communauté affective qui lie ses membres. Elle crée entre eux une solidarité qu’exprime, par exemple, la mobilisation de la Castille pour la défense de Fontarabie en 1638, pour Philippe V en 1710, ou de la Catalogne contre les Français en 179334.
49Le Royaume se caractérise par le fait qu’il constitue une unité de souveraineté : il obéit au même souverain et il est politiquement régi par les mêmes lois fondamentales. Le lien le plus visible de son unité est un lien politique centré sur le roi. C’est dans le dialogue avec le souverain qu’il se définit. Il ne se réduit pas cependant au politique. L’appartenance au Royaume implique une unité de culture, au sens le plus profond du terme, et d’abord le partage d’une même religion. À l’époque où les royaumes d’Espagne étaient multireligieux, le roi était roi de trois royaumes, des chrétiens, des juifs et des musulmans. C’était une originalité en Europe. Le regard du reste de l’Occident, la recomposition des relations entre le souverain et le Royaume qui se produisit entre 1480 et 1530, marquée par la guerre de Grenade, la mise au pas de l’aristocratie, les Germanías de Valence et les Comunidades de Castille, firent disparaître deux de ces trois royaumes. Le rejet de la Réforme protestante qui suivit renforça dans la péninsule Ibérique l’identification entre Royaume et religion, à l’inverse de la France et de l’Angleterre où la coexistence forcée de confessions différentes compliquait la définition en forçant la présence au sein du Royaume de différentes confessions chrétiennes.
50Le Royaume exige une communauté de civilisation, interprétée en termes ethniques. Les Indiens d’Amérique furent reconnus comme formant des unités politiques légitimes, la République des Indiens, dont le roi de Castille était souverain, mais des unités distinctes du royaume de Castille auquel seuls appartenaient les Créoles et dont les Indiens, même convertis, étaient exclus. Il est remarquable cependant que cette communauté de civilisation n’implique pas, à la fin du XVIIIe siècle encore, la communauté de langue, qui acquerra par la suite, mais par la suite seulement, l’importance que nous savons. Le royaume de Castille intègre sans mal les Galiciens et les Basques qui ne parlent pas castillan. La situation sur ce point, cependant, est sans doute en train de changer au cours du XVIIIe siècle.
51Du point de vue du Royaume et sur le plan des principes, le souverain peut être unipersonnel et héréditaire, c’est le cas général des monarchies et celui que préfèrent les théoriciens nés sous un roi ; unipersonnel, à vie et électif, comme en la Pologne ; collectif, héréditaire ou soumis à des élections périodiques, ce qui définit les Républiques. Pour les théoriciens, cela ne change rien au fond. Dans tous les cas, le Royaume est régi par un souverain distinct de lui-même, qui exerce sur lui la souveraineté.
52Cette souveraineté est double. C’est d’abord une souveraineté vis-à-vis des autres royaumes. Le cas est fréquent où plusieurs royaumes coexistent sous la souveraineté du même souverain. La couronne d’Espagne, à la fin du XVIIe siècle, était souveraine du royaume de Castille, des quatre royaumes ibériques de la Couronne d’Aragon, de Naples, de Sicile, de Sardaigne, des Pays-Bas et de Milan, tout comme la couronne de Grande-Bretagne exerçait la souveraineté des royaumes d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande35. Chacun de ces royaumes reste indépendant et reconnaît le souverain indépendamment des autres. Chacun possède ses lois, son droit, ses tribunaux. Le prince au mieux coordonne. Philippe IV échoua lorsqu’il tenta de créer une armée commune à ses royaumes, bien que son projet fixât un maximum strict à la contribution de chacun et des règles d’emploi qui préservaient son indépendance. Il est extrêmement difficile de fusionner un Royaume avec un autre. Au bout de deux siècles de soumission aux mêmes rois, l’Aragon et la Castille continuent vers 1700 à se considérer comme étrangers et la Navarre, pourtant conquise par la couronne d’Espagne en 1512 et rattachée à la Castille, se considère encore comme un Royaume indépendant. Le démembrement d’une province est un traumatisme dont le Royaume met des décennies à se relever. Le souverain assume la représentation de cette souveraineté. Il est donc logiquement chargé des relations avec les autres États, autrement dit de la politique étrangère. Il dispose pour cela d’une armée, qui est sa chose. Il est bien entendu que tous les souverains sont égaux en droits et en honneur : le plus petit d’entre eux, du moment qu’il exerce la souveraineté, est l’égal du plus grand ; qu’ils ne se volent pas leurs États : la conquête, l’héritage même, nous l’avons vu, lorsqu’ils impliquent l’élévation d’un souverain au-dessus des autres, exigent l’assentiment de tous.
53Souveraineté signifie aussi souveraineté sur soi-même. Le souverain est le régulateur suprême de tous les aspects concernant la vie collective du Royaume qui se soumet à sa loi. Il a droit d’intervention dans absolument tous les domaines, du moment que le point sur lequel il intervient a des incidences sur la vie collective, autrement dit publique, pour prendre les décisions qu’il estime justes et nécessaires au bien de la communauté. Les membres du Royaume doivent obéissance à ses commandements.
54La juste compréhension de cette description exige quelques commentaires. Le premier porte sur la définition de l’espace public. Est public tout acte dont les conséquences dépassent le cadre strict de la personne et de l’entourage immédiatement soumis à l’autorité du chef de famille. C’est l’extension de la répercussion sociale qui détermine de caractère public d’un événement, non sa nature. Le mariage d’un duc est affaire publique, car il modifie potentiellement l’équilibre des pouvoirs dans le Royaume. La croyance en une religion autre que la dominante est affaire publique, car la présence de l’hérétique met en cause le salut du Royaume tout entier.
55Le deuxième porte sur la nature de la décision souveraine. Elle est par définition absolue. Autrement dit, le souverain, dans la résolution des problèmes, n’est pas lié par les règles que le Royaume et lui-même ont antérieurement posées, que l’on appelle les lois humaines. Ce n’est pas parce que la loi dit qu’un meurtrier doit être exécuté que le souverain ne peut le gracier. Ce n’est pas parce que la loi dit que seul le mâle peut hériter un majorat de stricte agnation qu’il ne peut décider son passage à une fille. Ce n’est pas parce que le droit fixe la majorité à 25 ans qu’il ne peut déclarer majeur un individu plus jeune. La décision souveraine est par définition juste. La mise en cause de la capacité du souverain à trancher adéquatement, même sur des points mineurs, est un crime grave ; pire encore émettre des soupçons sur son honnêteté ou son impartialité : même lorsqu’il favorise outrageusement une partie, ce ne peut être que pour le bien du Royaume. Sa volonté peut cependant, le plus légitimement du monde, ne pas être mise à exécution.
56Le roi n’est pas propriétaire de la souveraineté. C’est le Royaume. La théorie presque unanime considère qu’à l’origine elle résidait en lui. Pour des raisons pratiques, il l’a déléguée. Tout le débat porte sur la question de savoir si cette délégation est absolue et définitive, ou si elle est conditionnelle. Les souverains encouragent les théoriciens favorables à la première option et une étude quantitative des publications imprimées pourrait donner à croire qu’elle est majoritaire. La pratique du pouvoir montre que c’est la seconde qui constitue en fait la base du système politique. Aussi le souverain est-il entouré d’un ensemble de dispositifs institutionnels qui permettent au Royaume de le tenir en bride.
57Tout d’abord les Cortès. Ce sont des Assemblées représentatives du Royaume. Chaque Royaume a les siennes : Castille, Aragon, Catalogne, Valence. À Majorque, la fonction est assurée de fait par la municipalité de la capitale, Palma. La Navarre a conservé des Cortès autonomes après sa conquête par la Castille. Ces Assemblées sont toutes organisées sur les mêmes bases. Elles sont composées de représentants de la noblesse, du clergé et des villes, quoiqu’en Castille noblesse et clergé ne participent plus en fait depuis 1539. Elles ont toutes les mêmes fonctions : établir les lois et fixer la contribution du Royaume aux ressources du souverain ; vérifier les actes de ce dernier pour s’assurer qu’il n’a pas outrepassé la sphère qui lui est concédée ; renouveler à chaque succession le pacte entre le Royaume et son roi. Elles sont jusqu’au milieu du XVIIe siècle, l’organe principal du dialogue entre le Royaume et le roi. Elles ne peuvent se réunir que sur la convocation et en la présence de ce dernier, ou du vice-roi qui le représente localement. Des Cortès sans le roi seraient une absurdité. La fonction des Cortès réunies en présence du roi consiste en effet à reconstituer la souveraineté dans sa perfection, propriété et exercice joints en un même corps. Elles seules sont donc habilitées à modifier les lois fondamentales, notamment celles relatives à la succession et au choix du souverain, de même que les lois qui régissent les aspects principaux de la vie sociale, le droit successoral, entre autres. L’historiographie a longtemps cru que seules les Cortès de la Couronne d’Aragon avaient conservé à l’époque moderne leur capacité à faire pièce véritablement au roi. Nous savons aujourd’hui que les Cortès de Castille aussi ont fait preuve jusqu’au milieu du XVIIe siècle d’un beau dynamisme. Les réunions, en Aragon pas plus qu’en Castille, n’ont de périodicité fixe, mais elles sont fréquentes jusqu’en 1665. À cette date, à la mort de Philippe IV qui ne laisse après lui qu’un enfant souffreteux, les réunions s’espacent, sauf en Navarre, et l’ordre du jour se réduit presque entièrement à la reconnaissance du nouveau souverain, ou de son héritier. Les Bourbons, contrairement à la réputation qu’on leur a faite, n’ont pas assassiné les Cortès. Ils les ont trouvées moribondes. Ils n’ont en rien réduit leurs fonctions. Ils ont en revanche remodelé les formes de l’institution. Nous reviendrons sur ce point. Retenons pour l’instant ces vérités trop souvent oubliées, mais qui auront une importance capitale pour la suite :
— le roi, quoi qu’il en ait, n’a que l’exercice d’une souveraineté dont le véritable propriétaire est le Royaume ;
— l’acte de délégation de la souveraineté est conçu comme l’acte fondateur du Royaume.
58Il nous reste à voir que le Royaume lui-même n’est pas le maître absolu de sa souveraineté. Il n’est propriétaire que de ce que Dieu lui abandonne et ne peut exercer les droits afférents à cette propriété qu’à la lumière des règles que Dieu lui a fixées. Dieu est un acteur politique de premier plan ; ou plutôt ses représentants sur terre, les clercs. La proclamation de la souveraineté nationale absolue qui marque la fin de l’Ancien Régime est encore plus destructrice du pouvoir politique reconnu à Dieu, que de celui des souverains. Elle implique, d’un même mouvement, la sécularisation de la vie publique et un régime politique représentatif.
Dieu et l’Église
59Une convention repose sur un mythe. Celui qui fonde le système politique de l’Ancien Régime n’est autre que le mythe chrétien des origines. Dieu créa l’homme dans un monde parfait. Il ne le fit pas un, mais multiple : c’est dans la relation aux autres qu’il s’accomplit en tant qu’homme, à l’image de Dieu qui ne peut être Dieu que dans la multiplicité des personnes de la Trinité. Au paradis terrestre régnait l’amour. Son omniprésence rendait inutiles lois et règles sociales. Dieu créa l’homme libre. Il lui imposa un seul précepte, qui ne régissait pas ses rapports avec ses semblables mais ses rapports avec Dieu : ne pas fixer lui-même les frontières du bien et du mal. On sait que l’homme l’enfreignit. Désormais la création n’était plus naturellement guidée par le précepte d’amour. Par le péché, l’homme devenait un loup pour l’homme. Laissé à son propre mouvement, il tendait à s’autodétruire.
60Pour assurer la survie de sa créature, Dieu dota la collectivité humaine d’un jeu de règles qui ne réglaient plus ses rapports à Dieu mais les rapports des hommes entre eux : respecter la vie et la propriété de chacun, ne pas convoiter l’épouse du prochain, s’entraider, vivre en société, respecter ses parents, respecter l’autorité publique, se soumettre à la collectivité, et quelques autres principes de base. Tous les hommes y sont astreints, en tout temps et en tout lieu, indépendamment de la religion qu’ils professent. L’ensemble de ces règles constitue le droit naturel. Ces principes de base engendrèrent naturellement d’autres règles nécessaires à leur mise en pratique, en tout premier lieu une hiérarchie entre les individus, une hiérarchie entre les groupes, des structures de commandement. À cause du péché, le respect des règles en effet n’était plus spontané. Pour l’assurer, la contrainte devenait nécessaire. Pour donner forme à celle-ci, il fallait structurer les collectivités humaines, les transformer en sociétés.
61Les penseurs européens développèrent leur réflexion sur ce point à la lumière d’Aristote. Ils distinguèrent trois niveaux principaux d’organisation. À la base, la famille, revêtue d’une dignité éminente car elle était la seule institution sociale dont on pouvait faire remonter l’origine antérieurement au péché, puisque « homme et femme Il les créa ». Elle était placée sous l’autorité de son chef, ce que l’on interprétait comme l’autorité du mâle le plus ancien. Celui-ci était chargé de l’allocation des ressources en son sein. Les membres de la famille devaient obéissance à ses commandements. Abandonnée à elle-même l’autorité du chef de famille se dégradait fatalement en tyrannie domestique. Il fallait l’encadrer. En outre, la famille n’était pas autosuffisante, ni biologiquement, ni économiquement, ni quant à sa sécurité. Elle s’insérait donc dans des ensembles plus vastes, les communautés d’habitants, qui lui fournissaient les ressources qui lui manquaient et qui s’assuraient par des dispositions institutionnelles adéquates qu’elle respectait les règles que Dieu avait fixées à son fonctionnement. Pour faire simple, ce deuxième niveau est celui de la cité. Avec elle apparaît la politique, qui est l’art de gérer les affaires publiques. L’Espagne interprétait la cité comme la municipalité. Elle était gouvernée par la collectivité des chefs de famille. Elle-même risquait de sombrer dans l’anarchie. Elle fixait librement les règles qui régissaient la prise de décision en son sein. Mises en œuvre par des pécheurs, il était fatal qu’elles soient dénaturées par l’intérêt personnel et l’égoïsme des chefs de famille qui, chacun, désirait monopoliser l’autorité. On risquait des affrontements autodestructeurs. Les différentes cités étaient en outre en concurrence pour l’obtention de ressources rares. La guerre entre elles était inévitable. Il fallait donc les encadrer en les insérant dans des organismes plus vastes encore, chargés à la fois de gérer leurs rapports réciproques et de sauvegarder leur ordre intérieur. Le Royaume constituait ce troisième niveau. Le pouvoir y revenait aux représentants délégués par les communautés d’habitants.
62Trois niveaux donc, dotés chacun d’une structure de commandement qui participait à la structure de commandement du niveau immédiatement supérieur. Trois niveaux hiérarchisés, dotés eux-mêmes d’une hiérarchie interne et habilités à intervenir au niveau inférieur pour corriger les dysfonctionnements qui fatalement devaient s’y produire, et pour cela seulement. Car l’existence de chacun de ces trois niveaux se déduit directement de la volonté divine, ce qui les place sur un même pied de légitimité et de dignité. Ils sont donc autonomes, libres de choisir leur organisation interne dans le respect des règles imposées par Dieu.
63Celles-ci, Dieu les a explicitées au cours de l’histoire, en révélant par l’intermédiaire de son fils le principe fondamental qui les régit, le commandement d’amour. Seules les sociétés chrétiennes ont accepté ce message, ce qui leur donne sur les autres une supériorité que les théoriciens chrétiens jugent incontestable. Le commandement d’amour et les règles qui en découlent directement sont rangés sous le nom de loi divine. Ils sont source de droit, au même titre que le droit naturel. L’Évangile est une autorité pour les juristes comme pour les théologiens. Ils le citent du même pas que la Genèse et l’Ancien testament pour en tirer des arguments contondants.
64Restait à déterminer l’organisation des pouvoirs à l’intérieur de chacun des niveaux. Sur ce point, les sociétés humaines jouissent d’une grande liberté et instaurent à leur gré des règles qui constituent la « loi humaine ». Tout est affaire de convenances et de contexte. Prenons le Royaume. Du point de vue de la loi divine, non plus que de la loi humaine, aucun mode de gouvernement n’est exclu. On peut concevoir un régime démocratique, où le pouvoir est confié pour une période donnée à des délégués du Royaume qui doivent lui rendre des comptes ; mais tout aussi bien un régime oligarchique, aristocratique ou une royauté unipersonnelle héréditaire. La théorie, en Espagne, penche en faveur de cette dernière : il est bon, dit-on, que l’exercice de la souveraineté soit aux mains d’une seule personne pour assurer l’unité d’action dans un ensemble politique trop vaste pour résister aux débats que ne manquerait pas de produire une direction collégiale ; et que cette personne ne soit pas choisie par une libre élection humaine, pour éviter les dissensions. L’ampleur de ses pouvoirs rend difficile de confier la tâche à quelqu’un qui appartienne au Royaume : on ne peut être à la fois juge et partie. Aussi est-il bon que le détenteur de l’exercice de la souveraineté lui soit étranger, sinon par ses origines géographiques, du moins par le caractère sacré de sa famille. Mais encore une fois, il ne s’agit dans tout cela que de questions d’opportunité. La forme du gouvernement ne met pas en jeu les bases du système36.
65Fondatrice de celui-ci, en revanche, est l’idée que, quel que soit le détenteur de la souveraineté, celle-ci est nécessairement limitée. La loi naturelle et tout ce qui en découle n’est pas de son ressort. La loi divine non plus. Mieux, c’est à la lumière des préceptes du droit naturel et de la loi divine que doit s’interpréter la loi humaine et que doivent s’apprécier les décisions du souverain. Son raisonnement est toujours bon et juste ; mais un roi n’est pas omniscient : certains aspects du problème peuvent lui échapper, voire lui être dissimulés par des conseillers malveillants (« Vive le roi, à bas les mauvais ministres ! »). Le souverain est un homme, et comme tel un pécheur soumis à des passions. Certes il est guidé par une grâce spéciale, en termes profanes porté par sa fonction. Il n’en reste pas moins un chef de famille qui comme d’autres a des enfants à placer, une position de prestige à défendre. Il peut se laisser aveugler, imposer au Royaume des décisions injustes, employer les ressources qu’il lui concède pour des fin personnelles contraires à l’intérêt de ses sujets. La défense à outrance des possessions espagnoles aux Pays-Bas a fait l’objet de critiques en ce sens sous Philippe IV, à qui le Royaume finit d’ailleurs par imposer la paix en lui refusant les moyens financiers de continuer les hostilités. Les guerres menées en Italie pendant près de trente ans par Philippe V constituent un autre exemple de conflit dynastique où le bien du Royaume n’est pas la préoccupation dominante. Il s’agit certes de rétablir la Monarchie dans son statut antérieur de grande puissance, mais aussi de permettre à la reine de transmettre à l’un de ses fils la principauté de Parme, un bien de famille, et d’en caser un autre sur le trône de Naples. Il convient donc de brider le roi. C’est le rôle des institutions du Royaume. C’est aussi et surtout le rôle de l’Église, qui est par essence l’un des acteurs principaux de la vie politique et qui, le cas échéant, s’oppose au Royaume lui-même.
66Au XVIIIe siècle cas le plus spectaculaire d’intervention ecclésiastique fut certainement l’affaire Macanaz, exemplaire à bien des égards. Ferme partisan de l’extension du pouvoir royal, Macanaz contribua énergiquement en tant que commissaire du roi à la mise au pas des royaumes de la Couronne d’Aragon pendant la guerre de Succession. Il affronta directement à cette occasion l’archevêque de Valence, Folch de Cardona, qui s’opposait au nom de la défense des immunités ecclésiastiques, à la confiscation des biens des clercs qui avaient soutenu le prétendant autrichien. Son efficacité en fit l’un des conseillers les plus écoutés de Philippe V. Il dirigea en 1712 une tentative de réforme du Conseil de Castille qui consistait à doubler le nombre de ses membres et à modifier son ordonnancement interne d’une manière qui aurait anéanti sa capacité d’opposition à la volonté royale. Ce fut une levée de boucliers. L’évêque de Murcie prit la tête de l’opposition. Macanaz, alors procureur du roi près le Conseil de Castille, dénia à l’Église, dans un rapport au roi, le droit d’évaluer les actions du souverain en matière civile. L’Inquisition lui intenta un procès pour hérésie. Philippe V préféra l’exiler en France pour lui éviter l’humiliation d’une comparution qui aurait de fait signifié une mise en accusation du roi, et remit le Conseil de Castille dans l’état d’avant la réforme37.
67En cette matière comme pour le choix du souverain, les intentions de Dieu ont besoin d’interprètes et d’agents d’exécution. Tel est le rôle de l’Église. Dieu a flanqué la société civile, dont nous avons examiné ci-dessus les bases, d’une société religieuse qui est comme son double. Tous les membres de la société civile sont en Espagne membres également d’une même société religieuse, l’Église catholique romaine. Celle-ci a une finalité différente de la société civile : elle n’est pas, comme elle, une prothèse qui permette une convivialité acceptable entre des pécheurs contraints de vivre ensemble, mais un instrument pour reconstruire le lien d’amour qui unissait à l’origine les hommes à Dieu. Elle n’est pas fondée sur l’empilement de groupes, mais sur une relation personnelle, individuelle de la personne à la divinité, au point de renier au sein de son clergé la famille et l’héritage. Elle n’a pas pour principe l’inégalité, mais prêche l’égalité, l’amour et non la force. Elle n’a pas pour ordre de grandeur le pouvoir et la richesse, mais l’humilité et la sainteté. Elle est dotée d’une chaîne d’institutions parallèles aux institutions civiles : curés, évêques, papauté, avec ses propres tribunaux, sa propre juridiction, indépendante de la juridiction civile et régie par un droit propre, le droit canon. Elle n’est pas inscrite dans un territoire, mais se veut universelle et prétend ignorer les frontières politiques.
68Tous les catholiques, donc tous les sujets du roi d’Espagne, relèvent d’elle, et d’elle seule, pour un ensemble de relations humaines fondamentales, dont le mariage, et pour la gestion, essentielle à l’équilibre de la société, des propriétés ecclésiastiques. Mieux, ils se pensent en tant qu’hommes à travers elle, ses mythes et son enseignement. Relèvent d’elle plus directement encore tous les membres du clergé. Car l’Église catholique confie sa gestion à un groupe de spécialistes qu’elle sépare de la société civile, les clercs. De par les pouvoirs sacramentaires que beaucoup ont reçus, de par leur éducation, ils revendiquent et se voient reconnaître une capacité spéciale à interpréter les Écritures qui expriment la volonté de Dieu, tant pour le salut des hommes que pour les règles qu’il a imposées aux sociétés humaines. Ce sont eux qui élaborent la théorie politique, ce sont eux qui enseignent, ce sont eux qui publient. La vie intellectuelle, la vie culturelle sont leurs sous tous les aspects. Dans tous les aspects de leur vie, ils ne relèvent que du droit canon et jouissent d’une immunité presque totale face au droit royal. Ce clergé, rappelons-le, se divise en deux branches : les séculiers et les réguliers. Les séculiers, pour faire bref, gèrent les paroisses, sous l’autorité des évêques ; les réguliers sont groupés au sein d’une centaine d’ordres, chacun muni de sa règle particulière, chacun pratiquant un mode de vie propre, de façon autonome, sous la seule autorité de ses propres supérieurs. Les ordres apportent une contribution importante à la stabilité sociale en absorbant et en encadrant les fortes personnalités marginalisées par le système d’héritage. Ils sont aussi, du fait de leur indépendance, de la disponibilité et du haut niveau intellectuel moyen de leurs membres, la force de frappe de l’Église dans la gestion du politique.
69D’Église est l’Université. Elle éduque une part importante des cadres de l’État, les membres des Conseils qui participent le plus directement à l’exercice de la fonction royale notamment. Elle forme l’ensemble des juristes, qu’elle élève dans le culte des grands principes du droit naturel et de la loi divine, dans la conviction que les lois humaines ne sont qu’un ensemble de recettes commodes d’une valeur toute relative ; que la pratique juridique repose sur le « droit commun », un ensemble de principes et de techniques qu’ont élaborés conjointement les universitaires de l’Europe entière, et non sur les lois royales. Ces universitaires, quand prédicateurs ils ne sont pas eux-mêmes, forment à leur tour les prédicateurs, qui, s’ils prônent habituellement la soumission aux décisions du pouvoir souverain, n’hésitent pas à les critiquer lorsqu’elles s’éloignent de ces principes38. Les clercs en ce sens sont comme une opinion publique à laquelle le souverain doit des comptes. Charles III, dont on peut supposer qu’il connaissait son affaire, attribua à l’Église, plus précisément à la Compagnie de Jésus, la montée en puissance des troubles de 176639 qui imposèrent un brutal coup de frein à l’ardeur réformatrice qu’il avait manifestée au début de son règne.
70Si l’Église est clairement séparée de la société civile, elle lui est aussi étroitement liée, ne serait-ce que parce que tous les membres de l’une sont aussi membres de l’autre. Coexistence signifie compromis. La pureté des principes sur lesquels est fondée l’institution ecclésiastique en a souffert. En dépit du refus de l’hérédité, la pression sociale a imposé la succession de fait aux charges ecclésiastiques sur une base largement familiale. En dépit de l’appel à la pauvreté, il a bien fallu trouver moyen de faire vivre les membres du clergé : nous avons vu qu’ils gèrent une part importante des ressources économiques. Au milieu du XVIIIe siècle, par exemple, la Compagnie de Jésus est vraisemblablement le premier organisme de crédit de la Nouvelle-Espagne. Nous savons comment l’Église a accepté de mettre à la disposition de la société civile ses instruments juridiques pour tourner les lois humaines sur les successions, comment elle a accepté d’assurer au service des familles le rôle de structure d’accueil pour les exclus des processus successoraux. Cela ne s’est pas fait sans susciter, en son sein, des protestations. Les appels à la pureté, au retour aux origines mythiques de l’institution ecclésiale, à l’époque rêvée où elle ne s’était pas compromise, sont une constante de son histoire. Les plus grands saints ont posé à ce propos des gestes prophétiques. En Espagne, un Jean d’Avila, un Jean de la Croix, pour ne citer que des exemples encore récents à l’époque, ont lancé des appels pressants en ce sens. Au XVIIIe siècle ces réformateurs sont plus discrets. Ils n’en existent pas moins. Nombreux sont les évêques et les prêtres qui répugnent au faste et qui situent leur mission non pas dans la surveillance du monde terrestre et de la vie politique, mais dans l’élévation morale de leurs ouailles et l’amélioration de leur condition matérielle, en collaboration avec les autorités civiles, loin des querelles de ce monde40.
71Ces tensions sont gérées par le roi et le pape. Le roi choisit les évêques que nomme le pape, il joue un rôle important dans l’élection de leurs dirigeants par les ordres religieux ; il impose aux clercs la comparution devant ses propres tribunaux, et non devant ceux de l’Église, dans les affaires les plus graves ; il préserve, par la procédure d’appel comme d’abus, les laïcs des interventions intempestives de la juridiction ecclésiastique. Il exerce sur le pape les pressions nécessaires pour régler les conflits au cas par cas et procéder aux ajustements nécessaires. Une bonne part du rôle que joue le pape dans la vie de l’Église d’Espagne tient justement à son rôle d’interlocuteur du roi41.
72Tels sont les personnages du drame qui va se jouer.
Notes de bas de page
1 Lucrecia Raquel Enríquez agrazar, De colonial a nacional : la carrera eclesiástica del clero secular chileno entre 1650 y 1810, México, Instituto Panamericano de Geografía e Historia, 2006, p. 58.
2 Ibid., pp. 84-88 ; Rodolfo Aguirre, « El conflicto del alto clero de México con el colegio de Santos y la corona española, 1700-1736 », dans Rodolfo Aguirre et Lucrecia Raquel Enríquez agrazar (coord.), La Iglesia hispanoamericana, de la colonia a la república, México, IINSUE - Pontificia Universidad Católica de Chile, 2008, pp. 231-258.
3 José María Imízcoz Beunza et María Victoria García del Ser, « El alto clero vasco y navarro en la Monarquía hispánica del siglo xviii : bases familiares, economía del parentesco y patronazgo », dans R. aguirre et L. R. Enríquez agrazar (coord.), La Iglesia hispanoamericana, pp. 125-187 ; María Cristina Torales Pacheco, « ¿ Gobernar a través de las élites o con las élites ? Los vascongados y la formación del clero secular en Nueva España », dans ibid., pp. 189-202.
4 L. R. Enríquez Agrazar, De colonial a nacional, p. 64.
5 Archivo General de Indias, Indiferente, leg. 247/n° 40.
6 Tamar Herzog, « Private Organizations as Global Networks in Early Modern Spain and Latin America : the Real Congregación of San Fermín de los Navarros (17th and 18th centuries) », dans Luis Roniger et Tamar Herzog (éd.), The Collective and the Public in Latin America. Cultural Identities and Political Order, Brighton, 2000, pp. 117-133.
7 Mark A. Burkholder et Dewitt S. Chandler, From Impotence to Authority. The Spanish Crown and the American Audiencias, 1687-1808, Columbia-Londres, University of Missouri Press, 1984 ; Michel Bertrand, Grandeur et misère de l’office : les officiers de finances de Nouvelle-Espagne, xvie-xviiie siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999.
8 L. R. Enríquez Agrazar, De colonial a nacional, pp. 297-325.
9 Renate Pieper, La Real Hacienda bajo Fernando VI y Carlos III (1753-1782), Madrid, Instituto de Estudios Fiscales, 1992 ; Leslie Bethell (éd.), The Cambridge History of Latin America (13 vol.), Cambridge, Cambridge UP, 1984-2009, t. I : Colonial Latin America, pp. 408-409.
10 Pere Molas Ribalta, La audiencia borbónica del Reino de Valencia (1706- 1834), Alicante, Universidad de Alicante, 1999, pp. 88-91.
11 Christian Windler, Elites locales, señores, reformistas : redes clientelares y monarquía hacia finales del Antiguo Régimen, Séville, Universidad de Sevilla - Universidad de Córdoba, 1997, p. 406.
12 Archivo de la Real Chancillería de Granada, Sección 322, leg. 04338, exp. 117.
13 Mauro Hernández, A la sombra de la Corona. Poder local y oligarquía urbana (Madrid, 1606-1808), Madrid, Siglo XXI, 1995, pp. 150-198.
14 Jean-Pierre Dedieu, « Familles, majorats, réseaux de pouvoir. Estrémadure, xve-xviiie siècle », dans Juan Luis Castellano et Jean-Pierre Dedieu (dir.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, CNRS Éditions, 1998, pp. 111-146 ; id., « El pleito civil como fuente para la historia social », Bulletin hispanique, 1 (juin), numéro monographique « Hommage à François Lopez », 2002, pp. 141-160.
15 Isidro Dubert, Historia de la familia en Galicia durante la época moderna, 1550-1830 (Estructura, modelos hereditarios y conflictividad), La Coruña, Ediciós do Castro, 1992, pp. 177-245 ; Marie-Catherine Barbazza, « Propiedad campesina y transmisión en Castilla en los siglos xvi y xvii », dans Francisco García González (éd.), Tierra y familia en la España meridional, siglos xiii-xix. Formas de organización doméstica y reproducción social, Murcie, Universidad de Murcia, 1999, pp. 87-102.
16 David Sven Reher, Town and Country in Preindustrial Spain. Cuenca, 1550- 1870, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.
17 Nicole Castan, Justice et répression en Languedoc à l’époque des Lumières, Paris, Flammarion, 1980.
18 Jean-Pierre Dedieu, L’administration de la foi. L’inquisition de Tolède (xvie-xviiie siècles), Madrid, Casa de Velázquez, 1989, pp. 96-97.
19 L. R. Enríquez Agrazar, De colonial a nacional, pp. 245-247.
20 Ian A. A. thompson, « Patronato real e integración política en las ciudades castellanas bajo los Austrias », dans José Ignacio Fortea Pérez (éd.), Imágenes de la diversidad. El mundo urbano en la Corona de Castilla (ss. xvi-xviii), Santander, Universidad de Cantabria, 1997, pp. 475-513.
21 Bartolomé Yun Casalilla, La gestión del poder. Corona y economías aristocráticas en Castilla (siglos xvi-xviii), Madrid, Akal, 2002.
22 J.-P. Dedieu, « Familles, majorats, réseaux de pouvoir » ; B. Yun Casalilla, La gestión del poder.
23 Francisco Andújar Castillo, El sonido del dinero. Monarquía, ejército y venalidad en la España del siglo xviii, Madrid, Marcial Pons, 2004.
24 Manuel Hespanha, « Las categorías del político y del jurídico en la época moderna », Jus Fugit, 3-4, 1994, pp. 63-100.
25 Jean-Pierre Dedieu, « El aparato de gobierno de la monarquía española en el siglo xviii, elemento constitutivo de un territorio y de una sociedad », dans Rosa Isabel Fernández (éd.), Actas de las VI Jornadas de Historia Moderna y Contemporánea (Luján, 17-18 de septiembre de 2009), Buenos Aires, sous presse.
26 Jean-Pierre Dedieu, « Mayans, Borrull and Co. Solidarios en la acción », dans José María Imízcoz Beunza (éd.), Economía doméstica y redes sociales, Madrid, Silex, sous presse.
27 Pablo Vázquez Gestal, Corte, poder y cultura política en el reino de las Dos Sicilias de Carlos de Borbón (1734-1759), thèse de doctorat soutenue à la Universidad Complutense de Madrid en 2008, inédite.
28 Teófanes Egido, Carlos IV, Madrid, Alianza, 2001.
29 Edward Kirkpatrick de Closeburn, Les renonciations des Bourbons et la succession d’Espagne, Paris, Librairie Alphonse Picard, 1907, pp. 195-203.
30 Juan RoaDávila, De regnorum justitia o el control democrático [1591], Luciano Pereña (éd.), Madrid, CSIC, Serie Corpus Hispanorum de Pace, 1970, pp. 3-10.
31 José de Carvajal y Lancaster, La diplomacia de Fernando VI : correspondencia entre D. José de Carvajal y el duque de Huéscar, 1746-1749, Didier Ozanam (éd.), Madrid, CSIC, 1975.
32 Cité par Juan Luis Castellano, Gobierno y poder en la España del siglo xviii, Grenade, Editorial Universidad de Granada, 2006.
33 Enrique Giménez López, « El debate civilismo-militarismo y el régimen de Nueva Planta en la España del siglo xviii », Cuadernos de Historia Moderna, 15, 1994, pp. 41-75.
34 John H. Elliott, The Count-Duke of Olivares. The Statesman in an Age of Decline, Yale, Yale UP, 1986, pp. 537-541 ; Lluís Roura i Aulinas, Guerra gran a la rattla de França. Catalunya dins la guerra contra la Revolució Francesa, 1793- 1795, Barcelone, Curial, 1993.
35 John H. Elliott, « A Europe of Composite Monarchies », Past and Present, 137, 1992, pp. 48-71.
36 Juan de Mariana, Del rey y de la institución real, t. II de las Obras del padre Juan de Mariana (2 vol.), Francisco Pi y Margall (éd.). Madrid, Real Academia Española, Biblioteca de Autores Españoles (30-31), 1950, vol. 2, pp. 463-576 ; Jerónimo Castillo de Bobadilla, Política para corregidores y señores de vasallos en tiempo de paz y de guerra, y para jueces eclesiásticos y seglares y de sacas, aduanas, y abogados, y del valor de los Corregimientos, y Goviernos Realengos, y de las Ordenes y para jueces eclesiásticos y perlados en lo espiritual y temporal entre legos, jueces de comisión, regidores, abogados y otros oficiales públicos (2 vol.), Anvers, 1704, livre I, chap. i [éd. en fac-similé par Benjamín González Alonso, Madrid, Instituto de Estudios de Administración Local, 1978 (2e éd.)].
37 José María Vallejo García Hevía, « Macanaz y su propuesta de reforma del Santo Oficio de 1714 », Revista de la Inquisición, 5, 1996, pp. 187-291 ; Janine Fayard, « La tentative de réforme du Conseil de Castille sous le règne de Philippe V (1713-1715) », Mélanges de la Casa de Velázquez, 2, 1966, pp. 259-282.
38 Fernando Negredo del Cerro, Los predicadores de Felipe IV. Corte, intrigas y religión en la España del Siglo de Oro, Madrid, Actas, 2006, pp. 399-400.
39 Teófanes Egido et Isidoro Pinedo, Las causas « gravísimas » y secretas de la expulsión de los jesuitas por Carlos III, Madrid, Fundación Universitaria Española, 1994.
40 Joël Saugnieux, Les jansénistes et le renouveau de la prédication dans l’Espagne de la seconde moitié du xviiie siècle, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1976.
41 Ignasi Fernández Terricabras, Felipe II y el clero secular. La aplicación del Concilio de Trento, Madrid, Sociedad Estatal para la Conmemoración de los Centenarios de Felipe II y Carlos V, 2000.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les galaxies de la rhétorique
Les puissants satellites du littéraire
Darío Villanueva Thierry Nallet (trad.)
2018
Hétérographies
Formes de l’écrit au Siècle d’or espagnol
Fernando Bouza Álvarez Jean-Marie Saint-Lu (trad.)
2010
La Dame d’Elche, un destin singulier
Essai sur les réceptions d'une statue ibérique
Marlène Albert Llorca et Pierre Rouillard
2020