Catégories socioprofessionnelles et métiers urbains dans l’Espagne musulmane
p. 95-128
Texte intégral
1Il y aurait plusieurs façons de classer la population urbaine andalouse en âge de travailler. La première serait de choisir des critères conjuguant le type d’activité d’un point de vue socio-économique et le statut de celui qui l’exerce, notamment par rapport à son mode de rémunération. Cette façon de procéder soulève des critiques, la plus pertinente étant que l’observateur risque de fausser sa vision en plaquant des concepts et des catégorisations qui sont celles de son temps sur une réalité pour laquelle elles ne sont pas adaptées. En d’autres termes, l’anachronisme guette. Disons tout de suite que c’est pourtant cette démarche que j’ai choisie pour établir la classification que je proposerai dans la seconde partie du présent travail. La raison ? L’outil, quoique imparfait, présente l’avantage d’être simple, relativement souple, et surtout de permettre un recensement aussi large que possible des multiples métiers urbains pratiqués dans l’Espagne musulmane du XIe au XVe siècle, période sur laquelle nous sommes le mieux renseignés grâce, en particulier, aux ouvrages de ḥisba1.
2Une autre approche consisterait à utiliser les grilles de classification socioprofessionnelle actuelles, du type InSee, et à les remplir… Malheureusement, le danger signalé précédemment deviendrait, cette fois-ci, extrême, tandis que le gain se révélerait mince, de nombreuses activités ne trouvant leur place nulle part (la frontière, par exemple, entre activité salariée et activité libérale est loin d’être étanche ou discriminante en pays d’Islam à l’époque qui nous intéresse).
3La troisième méthode serait de partir des catégories de métiers auxquelles les auteurs andalous se réfèrent. À première vue, c’est la plus séduisante. Force est de constater, cependant, qu’on trouve vite les limites de cet outil, schématique (il n’existe qu’un nombre très restreint de catégories) et qui laisse de côté la plupart des activités professionnelles. Quant à se hasarder à inscrire de son propre chef tel ou tel métier dans l’une ou l’autre de ces catégories, il faut y renoncer, car nous ne disposons pas des critères de détermination contemporains, même si nous comprenons, dans ses grandes lignes, la philosophie qui présidait à la classification.
4Ceci n’interdit pas, en revanche, de l’évoquer pour commencer, afin de corriger par avance ce que la proposition de classification de ma deuxième partie aurait de trop artificiel.
LES CATÉGORIES DE MÉTIERS DANS LES SOURCES ARABES
5Une première classification, très générale et en même temps partielle, distingue « ceux des marchés », ahl al-aswāq, c’est-à-dire les commerçants, et « ceux des métiers », ahl al-ṣanā’iʿ (variantes : ahl al-ṣināʿ a, « ceux du métier », ou tout simplement al-ṣunnāʿ, « les artisans »). À l’intérieur de la seconde catégorie, Ibn ʿAbdūn parle de ceux « qui fabriquent » (ṣunnāʿ) et de ceux « qui font » (ʿummāl), termes qu’É. Lévi-Provençal interprète en « artisans » et en « ouvriers, tâcherons, manœuvres2 ». Cette division au sein du monde artisanal correspond aux grades du métier, lesquels obéissent à la hiérarchie bien connue : maître (muʿallim), ouvrier (ʿāmil, ẖādim), apprenti (mutaʿ allim). Rappelons à ce propos que les artisans comme les commerçants sont organisés en métiers (ṣanā’iʿ, sing. ṣināʿ a) représentés par un chef de métier ou syndic (ʿarīf), arbitrés par un prud’homme (amīn) et surveillés par un préposé (muqaddam). Le ʿarīf et l’amīn sont tous deux choisis au sein de la corporation, le premier étant élu par ses pairs, le second désigné par le cadi. Quant au muqaddam, il dépend du contrôleur des marchés, dont il est l’agent. Les rares corporations féminines obéissent au même modèle, puisqu’on signale une « prude femme » (amīna) des marchandes de femmes esclaves.
6On pourrait ajouter une troisième catégorie, qui ressort indirectement des sources médiévales, celle des personnes dont l’activité est qualifiée de waẓīfa, autrement dit de fonction ou de charge. Expliquant le terme waẓīf (doublet du précédent), Pedro de Alcalá écrit dans son Vocabulista aravigo en letra castellana publié à Grenade en 1505 : « condicion por estado, exercicio, negocio, oficio no de manos », définition qui souligne le caractère non manuel des activités en question3.
7Il existe un autre schéma, encore plus général, selon lequel la communauté (ǧamāʿ a) se répartit en deux classes : l’élite (ẖāṣṣa) et le peuple (ʿāmma). Cette discrimination est tellement intégrée dans la représentation que les musulmans du Moyen-Âge se font de la société qu’elle est devenue un lieu commun dont il serait vain de vouloir contester la validité, comme certains le tentent, sous le seul prétexte qu’il s’agit d’un poncif4.
8Tous les travailleurs manuels, artisans, ouvriers, manœuvres, domestiques, hommes de peine, etc., ainsi que la plupart des commerçants, font partie de la ʿāmma, à l’exception des grands négociants (tuǧǧār, sing. tāǧir), qui appartiennent à la ẖāṣṣa. Mais comment ventiler ceux qui exercent une waẓīfa ? La position sociale est ici déterminante, plus que la fortune d’ailleurs, le critère principal restant, comme on s’en doute, l’origine familiale. Il est possible, au demeurant, de déchoir, l’exemple le plus probant étant celui d’une partie de la famille omeyyade après la chute du califat, tout comme il est possible d’accéder à la ẖāṣṣa par la fonction qu’on occupe. L’exercice des responsabilités gouvernementales, la judicature supérieure et, d’une façon assez systématique, le fait d’être coopté par le milieu des hommes de religion et de savoir (ʿulamā’) constituent quelques-uns des moyens les plus efficaces d’intégrer la haute classe de la société andalouse.
a) Métiers honorables, métiers discrédités et métiers vils
9Le dernier modèle de catégorisation, s’il ne nous aide guère du point de vue socio-économique, présente un intérêt anthropologique évident. Il s’agit de la distinction, classique dans l’Islam médiéval, entre métiers honorables, métiers discrédités, et métiers vils5.
10Dans une courte épître intitulée Muṯlā l-ṭarīqa fī ḏamm al-waṯīqa (qu’on pourrait rendre par « La façon la plus exemplaire de flétrir les notaires »), Ibn al-õaṭīb (1313-1374) fait appel à cette hiérarchie des métiers afin de donner une assise juridique à ce qui est avant tout une charge contre une profession qu’il a prise en grippe pour une raison personnelle. L’écrivain grenadin se réfère pour cela à un ḥadīṯ célèbre : « L’islam se répartit en trois zones : celle où le licite est net, l’autre où l’illicite est net et entre les deux, la troisième où les choses sont équivoques ». C’est dans la troisième catégorie qu’il range le notariat en boutique. Il distingue d’ailleurs, dans cet entre-deux interlope où les choses, sans être franchement interdites, n’en sont pas moins suspectes, les professions discréditées et les professions viles.
11Au nombre des premières, figurent celles de notaire, bien évidemment, de savetier, de fabricant de soie écrue (ẖazzāz), de tisserand, et de marchand d’aliments, comme boulanger ou vendeur de beignets. La présence sur cette liste du savetier et du fabricant de soie, sans parler du notaire, surprend, car elle n’est pas habituelle. En revanche, qu’on y trouve le tisserand n’a rien pour étonner. Ibn al-õaṭīb reproche à tous l’absence de pudeur, l’hypocrisie, le vol, la fraude.
12Faisant allusion aux professions viles, il nomme les ventouseurs (ḥaǧǧāmūn), les égoutiers, les bouchers, les marchands de baume et les marchands de linceuls. Pour lui, ce sont « des gens abjects et sots, des pratiquants de métiers bas » qu’il range dans la même catégorie que les « réalisateurs de bénéfices malhonnêtes » et les « porteurs de maladies incurables, chroniques et contagieuses dont le šarʿ [la loi] a interdit le contact et auxquels il a ordonné la remise de l’aumône au bout d’une lance ». Des intouchables, en quelque sorte. Citant à l’appui de ses dires un dicton : « N’amène ton fils ni chez un boucher, ni un marchand de baume, ni un vendeur de linceul », il explique que le boucher est à éviter « à cause de la cruauté nécessaire » à son métier, et les deux autres « pour le désir [qu’ils ont] de voir les prix augmenter, graduellement, ou le souhait d’assister à une recrudescence des morts parmi les gens ».
13Quant au notaire, le discrédit qui le frappe provient du fait que son métier l’amène à fréquenter de tels individus, de près ou de loin. Car, quand bien même il s’abstiendrait de tout contact avec eux, il ne pourrait s’empêcher de voir leur spectacle répréhensible, ni d’entendre leurs paroles grossières, lui dont l’étude est sise en plein milieu du souk. « Il s’est dégradé, ainsi, au niveau le plus vil », conclut notre respectable censeur6.
14Les listes de métiers méritoires qu’établissent les juristes musulmans du Moyen Âge comprennent, on le sait, ceux de négociant, de parfumeur, de libraire, de papetier, mais aussi de commerçant en soieries et de savetier. Notaires, boulangers et marchands de beignets n’attirent pas de remarque spéciale. On peut se demander, par conséquent, quel rapport entretient avec la réalité la façon dont Ibn al-õaṭīb voit les choses et, en particulier, si les parias dont il parle forment véritablement une classe sociale – à tout le moins, une catégorie clairement identifiable. Des indications concordantes permettent de l’affirmer.
15Ainsi, la foule des émeutiers qui aidèrent Muḥammad b. Hiš ām b. ʿAbd al-Ǧabbār (le futur Muḥammad II al-Mahdī) à renverser son grand-oncle Hišām II al-Mu’ayyad et les chefs du clan ʿāmiride en février 1009 – début d’un cycle de violences qui allaient entraîner, en deux décennies, la disparition du califat omeyyade d’Espagne – est décrite par les chroniqueurs comme composée d’un nombre incalculable « de bouchers (ǧazzārūn), de bouchers caprins (ʿannāzūn), d’hommes de basse condition (sifla) et de la populace des souks (ġawġā’alaswāq) ». Les charpentiers sont également de la partie, tandis que les meneurs, assure un témoin oculaire, appartiennent « aux couches viles du peuple (arāḏil al-ʿāmma), ventouseurs, savetiers, vidangeurs et éboueurs ». Nous retrouvons ici, dans ses grandes lignes, la liste des métiers tenus en suspicion par les juristes7.
16La catégorie des parias n’existe donc pas seulement dans le regard de ceux qui n’en sont pas, c’est-à-dire ces hommes de haut rang (ḏawū l-hay’āt), d’honneur (ḥamalat al-muruwwa), de bonne race (aḥrār), de qualité (fuḍalā’), ces grands personnages (aʿlām), ces notables (wuǧūh), bref ces représentants des « maisons » (ūlū l-buyūtāt) qui forment l’aristocratie8. Les événements de 1009, au cours desquels on voit les métiers qualifiés de vils agir de façon collective, prouvent qu’ils forment une entité sociale et même politique tout à fait réelle.
17Et le cas n’est pas isolé. Ibn Ḥayyān (XIe siècle), qui qualifie de « profession vile » (mihna marḏūla) le métier qu’avait exercé le vizir Ḥakam b. Saʿīd, surnommé al-Ḥā’ik (le tisserand), ou encore al-Qazzāz (le tisserand en soieries), mentionne qu’il s’entoura de personnes choisies dans son milieu parmi les regrattiers (sūqa) et les malandrins (ʿayyārūn). Cette précision est intéressante, car elle montre que le petit peuple et la marge non seulement se rejoignent dans l’opprobre que jette sur eux l’historien cordouan, mais qu’ils ont partie liée9.
18Même amalgame et même convergence à propos de deux aventuriers ayant accédé au pouvoir à Cordoue dans la seconde moitié du XIe siècle : Ibn al-Saqqā’ et Ibn ʿUkkāša. Le premier, son patronyme l’atteste, était le fils d’un porteur d’eau (saqqā’). Il débuta dans la vie en brocantant, puis devint collecteur des redevances sur la concession des legs pieux, fonction très subalterne. Une fois installé à la direction des affaires, il gouverna contre la ẖāṣṣa, en s’appuyant sur la « lie du peuple » (safilat al-nās) et la « crapule » (awġād). Les miliciens qu’il recruta appartenaient aux « classes viles » (arāḏil al-ṭabaqāt) et au « gratin des mauvais garçons » (muṣaṣ širār al-nās) : vauriens en tout genre (aṣnāf al-daʿara), soldats brigands (dā’ira), courriers (raqqāṣa), petites gens (asāwid)10.
19Ibn ʿUkkāša est issu lui aussi des couches inférieures de la société, de ces « bas-fonds de vilenie » (safilat al-arāḏil) dont il incarna, pour un temps, la revanche : gens de pied devenus voleurs (raǧǧāla mutalaṣṣiṣūn), soldats perdus (dā’ira mutamarridūn), individus qui se livrent à des petits métiers (mutaṣarrifūn fī ṣiġār al-mihan11). En fait, il semble que ce fût la similitude de conditions de vie et de destin qui unit tous ces gens, plus que leurs activités en elles-mêmes. L’appartenance au monde de la rue (les souks ne sont jamais que des rues bordées d’échoppes grandes ouvertes) constitua également un élément majeur d’identification.
20Ceux qui connaissent le mieux cette réalité sont les agents chargés du contrôle des marchés et de la surveillance des lieux publics. Leur témoignage, de première main, vient compléter celui des juristes et des historiens.
21Ibn ʿAbd al-Ra’ūf (XIe-XIIe siècle ?) stipule que la vente de pain est interdite aux poissonniers, aux bouchers et à ceux qui pratiquent un métier sale. De la même façon, il interdit aux laitiers de vendre ce qui est contraire au lait, comme les poissons, et ce qui pourrait le gâter, comme le charbon. Il leur conseille en règle générale d’éviter les gens de profession sale. Sages précautions d’hygiène ? Ces prescriptions cachent cependant l’habituelle méfiance à l’égard de certains métiers : dans un autre passage, Ibn ʿAbd al-Ra’ūf interdit aux boulangers de fréquenter les poissonniers, notamment les vendeurs de sardines, les vétérinaires, les barbiers et toutes personnes ayant un métier analogue, c’est-à-dire une profession vile.
22Ibn ʿAbdūn (début du XIIe siècle) classe également dans les métiers vils (ṣunaʿ al-arḏalīn), outre les éboueurs et les vidangeurs, les strigilaires des bains publics. Interdiction leur est faite de travailler pour un juif ou pour un chrétien.
23Autre exemple tiré du manuel d’al-Garsīfī (XVe siècle ?) : si l’auteur place dans la catégorie supérieure les juristes, les imams, les témoins instrumentaires, les muezzins et les inspecteurs de biens de mainmorte, il ravale au rang des besognes viles et humiliantes, qu’un musulman ne saurait accepter d’un chrétien, le transport des balayures, la manutention des outres à vin et, on ne sera point surpris, la garde des pourceaux12.
24Pour résumer, une liste non exhaustive des professions viles comprendrait les métiers suivants :
porchers ;
éboueurs, égoutiers, vidangeurs ;
barbiers, ventouseurs, strigilaires ;
vétérinaires ;
bouchers, bouchers caprins ;
poissonniers, marchands de sardines ;
marchands de linceuls, marchands de baume ;
tisserands drapiers toiliers, tisserands en soieries ;
savetiers ;
regrattiers.
25À la marge supérieure, on trouverait les fabricants de soie écrue, les vendeurs de beignets et autres aliments tachants, les marchands de charbon, les porteurs d’eau, voire les boulangers et même les notaires. Et à la marge inférieure, tout aussi contiguë, les malandrins et les voleurs.
b) Marchés, boutiques et lieux de travail
26La typologie des lieux d’exercice du métier fournit, de son côté, une grille de lecture intéressante. Je me bornerai, dans ce qui suit, aux activités professionnelles privées, c’est-à-dire à celles qui ne relèvent pas directement de la puissance publique. Sont donc exclus les bureaux de l’administration (dīwān), les ateliers d’État, les arsenaux, etc. De la même façon, je ne prendrai pas en compte les lieux du travail domestique et/ou servile, qui peuvent être situés n’importe où.
27Conformément à la coutume médiévale, les artisans ou les commerçants d’un même corps de métier sont regroupés à quartier fixe en un marché (sūq) qui porte le nom de la corporation ou celui du produit vendu : marché des épiciers, des fabricants d’étoffes, des parcheminiers, marché aux bêtes de somme, aux grains, etc. Ce souk consiste en une rue, ou en un réseau de rues adjacentes, parfois en une cour, une placette ou un dégagement (raḥba). Les grands marchés « de poussière » (al-aswāq li-l-ġubār), c’est-à-dire de plein air, réservés à la distribution des produits de la campagne et au négoce des animaux, sont situés hors les murs. De la même façon, les activités polluantes ou nauséabondes, comme le corroyage, la teinture, la tuilerie ou la briqueterie, sont souvent reléguées à l’extérieur du périmètre urbain.
28La vente à l’étalage a lieu d’ordinaire dans des zones prévues à cet effet, éventuellement sous une halle (muʿtab). Lorsqu’ils travaillent en plein air, ce qui est le cas le plus fréquent, les marchands s’abritent sous un parasol (miẓalla), tandis que les ventouseurs, les diseurs de bonne aventure ou les conteurs publics ont coutume d’officier sous une tente (ẖibā’, ḥānūt). L’autorisation de stationnement échoît en principe au premier occupant. Mais il se crée avec le temps un quasi-droit de propriété sur la place quotidienne, source de disputes et motif d’intervention de la part des autorités.
29Autre infraction plus ou moins tolérée, l’habitude prise par les détaillants de s’installer sur un emplacement interdit, notamment le parvis, les portes et les banquettes longeant le mur extérieur des mosquées. Ils doivent en être chassés, stipule Ibn ʿAbd al-Ra’ūf. A fortiori, il défend strictement qu’on vende et achète quoi que ce soit à l’intérieur du bâtiment, ou qu’on s’y livre à une activité professionnelle : il vise les tailleurs, qu’on imagine tranquillement occupés à leurs travaux d’aiguille dans un coin de la cour13.
30Les débarcadères et les quais des installations portuaires, ainsi que les emplacements affectés à la réparation navale font également l’objet de mesures restrictives. Ils appartiennent à l’État et ne sauraient accueillir d’autres activités que celles auxquelles ils sont destinés. Mais là encore, le rappel à l’ordre des contrôleurs donne à penser que des abus se produisaient.
31La vente ambulante, autorisée pour divers produits (pain, charbon), favorise sans doute ces entorses. Quant à la vente à la sauvette, il est certain qu’elle se pratiquait, mais dans des proportions qu’il est impossible de connaître avec précision.
32Le commerce sédentaire et l’artisanat disposent quant à eux de locaux situés en rez-de-chaussée et donnant largement sur la rue. Une fois leur devanture levée, les boutiques (dakākīn, sing. dukkān ; ḥawānīt, sing. ḥānūt) n’en sont guère séparées que par l’étal, lorsqu’il y en a un. Elles forment des sortes d’alcôves voûtées (ḥānūt signifie aussi « arche ») dont la majeure partie est occupée par l’estrade (dukkān) de pierre ou de maçonnerie sur laquelle se tient le vendeur, cerné par l’amoncellement de sa marchandise. Et même si les ateliers offrent parfois un volume plus important, le client reste d’ordinaire sur le seuil, il ne pénètre pas dans le local qui ressemble lui aussi à une sorte d’appendice de la rue. Sous cet aspect, on peut dire que les lieux de fabrication ou de vente font partie intégrante de l’espace public.
33Du reste, l’activité annexe souvent une partie de la voie de circulation. Les étals débordent sur la chaussée, les paniers encombrent le passage, déplore Ibn ʿAbd al-Ra’ūf, tandis qu’Ibn ʿAbdūn rappelle à l’ordre les contrevenants : vendeurs de bourre et d’autres produits végétaux dont les déchets jonchent le sol, bouchers dont les quartiers de viande sanguinolente accrochés en façade empiètent sur la rue et salissent les passants, marchands des quatre-saisons installés dans les passages étroits, conducteurs parquant leurs bêtes de somme dans le chemin, marchands de bois au volumineux chargement. Il faut imaginer l’encombrement général, le manque de place. Les cavaliers risquent de prendre dans l’œil l’angle d’un parasol, les piétons quelque objet accroché en devanture, ou encore, dans le marché aux vêtements, les robes suspendues jusque dans l’endroit réservé au déshabillage (maẖlaʿ). Sans parler des souillures diverses que le passant récolte s’il n’est pas attentif, sang des carcasses transportées à dos d’homme ou signature répugnante laissée par les seaux à vidange.
34C’est pourquoi des lieux dégagés, situés en dehors des souks, sont assignés à certaines activités encombrantes, comme le commerce du bois à brûler. Quant aux journaliers et aux portefaix en attente d’embauche, ils sont tenus de rester groupés dans la station (mawqif) qui leur est dévolue.
35Ajoutons à ces lieux quelques autres d’usage plus spécialisé. La qayṣāriyya (castillan alcaiceria) est un bazar fermé abritant les commerces de luxe. Chaque commerçant y dispose d’un stand. Le marqaṭān ou marqaṭāl (du roman mercadal) présente une disposition analogue. C’est le marché aux vêtements. Le fundūq (castillan alfondiga puis alhóndiga, portugais alfândega), encore appelé ẖān, est un complexe comprenant au rez-de-chaussée des entrepôts pour les marchandises, et à l’étage des galeries sur lesquelles s’ouvrent les chambres d’une hôtellerie. L’ensemble du bâtiment donne sur une cour centrale accessible de la rue par une porte cochère. Chaque fundūq ou ẖān est réservé d’ordinaire à un seul type de produit. S’il faut en croire Idràsà, on recensait à Almería, vers le début du XIIe siècle, près d’un millier de ces établissements14.
36Plus difficiles à décrire, même à grands traits, sont les tavernes et les cabarets (ẖammāra, ḥāna, ẖāna, māẖūr, voire simplement diyār au pluriel), ainsi que les maisons de prostitution (dār al-banāt, dār al-ẖarāǧ). On n’aura pas de mal à se représenter qu’il s’agissait de lieux clos et discrets, en retrait de la rue.
37Signalons enfin des lieux plutôt insolites pour un usage professionnel : les cimetières – du moins à Séville. Ibn ʿAbdūn nous apprend, en effet, qu’on y a édifié à plusieurs reprises des baraques (ẖiyāmāt) occupées par des commerçants, que les vendeurs circulent entre les tombes, que les tanneurs et les parcheminiers étendent leurs peaux dans les allées, sans parler des conteurs et autres diseurs de bonne aventure qui y plantent leurs tentes15.
c) Travail individuel et travail en équipe
38Voici encore une piste qu’on aimerait suivre jusqu’au bout. On la perd vite, hélas, par manque d’informations. Posons néanmoins les quelques jalons disponibles.
39Selon toute apparence, de nombreux commerçants sédentaires et la plupart des marchands de plein air travaillent seuls, ou avec un nombre d’aides très réduit. On en a la confirmation en ce qui concerne les diseurs de bonne aventure et les conteurs à qui Ibn ʿAbdūn reproche, précisément, de s’isoler avec leurs clientes. Barbiers, ventouseurs, phlébotomistes, tout comme changeurs, libraires, tailleurs ne doivent pas avoir besoin, eux non plus, de s’entourer de plus d’un ou de deux assistants.
40En revanche, d’autres métiers, surtout dans l’artisanat, exigent des bras supplémentaires. Le processus de production se segmentant en une suite d’opérations, un groupe d’ouvriers, dont chacun effectue une tâche précise, s’affaire donc autour du patron. Ainsi le forgeron (ḥaddād) est secondé par les marteleurs (ḍarrābūn) qui battent le métal et par le souffleur (kayyār) qui s’occupe de l’entretien du foyer. Avançons qu’il en va de même pour le maréchal-ferrant (sammār), tandis que le fabricant de ciseaux, de couteaux et de haches (ṣāniʿ al-amqāṣ wa-l-masās [= al-amsās] wa-l-qawādim), c’est-à-dire le coutelier, complète nécessairement son équipe avec un certain nombre d’aiguiseurs.
41Le marchand de beignets (saffāǧ) ne travaille pas seul, lui non plus : il confie au pétrisseur (ʿaǧǧān) la préparation de la pâte à frire et au hacheur découpeur (qaṭṭāʿ) le hachement de la farce et la découpe des muǧabbanāt16. On retrouve le pétrisseur chez le boulanger, avec le bluteur de farine (ʿāmil al-daqīq), le peseur (wazzān), le fournier (farrān, waqqāf), l’enfourneur (raffād), les livreurs et les vendeurs ambulants. Ajoutons à ce personnel spécialisé les commis et les apprentis : on le voit, un ensemble de tâcherons concourt à l’élaboration du produit et à sa commercialisation.
42Le fonctionnement de certaines institutions nécessite une main-d’œuvre encore plus abondante. Dans les hammams, par exemple, c’est toute une équipe de garçons de bain (ṭayyābūn), de serviteurs (ẖuddām, sing. ẖādim) et de strigilaires (ḥakkākūn) qui s’active au service des clients. On suppose qu’elle se double de son équivalent féminin pour les jours où l’établissement est réservé aux femmes. Dans la chaufferie, des ouvriers alimentent le foyer, sous la direction du chef de chauffe (waqqād). Porteurs d’eau, vidangeurs et employés divers complètent le personnel. Un hammam d’une certaine importance emploie donc plusieurs dizaines de personnes.
43Autre exemple, celui des lieux de culte. Ibn ʿAbdūn estime que le fonctionnement de la grande mosquée de Séville requiert au minimum :
six imams ;
autant de muezzins qu’il y a de portes, plus deux supplémentaires ;
un maçon salarié (bannā’rātib), chargé de l’entretien du bâtiment ;
deux employés au balayage et à l’allumage des lampes ;
un troisième employé au service de l’eau ;
un porteur d’eau avec sa bête de somme ;
un vidangeur pour nettoyer la salle d’ablutions ;
une personne instruite en science religieuse (raǧul faqīh), pour la catéchèse des fidèles.
44Si l’on ajoute l’inspecteur des biens de mainmorte, ainsi que les deux crieurs engagés sur l’ordre du muḥtasib, l’un par les artisans pour annoncer la prière en commun du vendredi, l’autre par les commerçants pour les prières quotidiennes de la mi-journée et de l’après-midi, cela représente une vingtaine de personnes.
45La grande mosquée de Séville, à l’époque d’Ibn ʿAbdūn, est un bâtiment aux dimensions modestes. Celle de Cordoue, en comparaison, se caractérise par son immensité, si bien que l’effectif des personnes attachées à son service atteint un chiffre sans commune mesure avec le précédent : employés (qawama, ẖuddām) et muezzins confondus, on arrive au total de 300 personnes au Xe siècle, et de 87 encore pendant les troubles du début du XIe siècle. L’éclairage, par exemple, implique l’entretien quotidien de 235petits lustres à 6 coupes et de 89 grands lustres (soit un chiffre total de lampes compris entre 2.500 et 3.000), pour une consommation annuelle de 2.030 arrobes d’huile, dont 500 pendant le mois de ramadan (ce qui équivaut, approximativement, à 19.860 et à 4.900 litres). On imagine les moyens humains nécessaires à cette seule tâche17.
ESQUISSE D’UN CATALOGUE DES MÉTIERS
46D’un point de vue socioéconomique, la population urbaine andalouse en âge de travailler se répartit inégalement entre inactifs et actifs. Dans la première catégorie, la moins importante en nombre, j’inclus tous ceux qui vivent du produit de leur patrimoine sans avoir besoin d’exercer une activité professionnelle, par exemple les grands propriétaires fonciers, ainsi que les personnes que le prince entretient à titre libéral, c’est-à-dire sans exiger de service ou de prestation en contrepartie des pensions accordées.
47La catégorie des actifs, en revanche, regroupe la majeure partie de la population masculine et une fraction mineure de la population féminine – étant admis que je définis par actifs ceux qui exercent un métier ou remplissent une fonction, tirant de cette activité leurs moyens de subsistance. Ce sont ces actifs-là, et eux seuls, que je vais prendre en compte. Je ne parlerai donc pas du travail informel, constitué pour l’essentiel par l’accomplissement des tâches domestiques auxquelles s’emploie, dans le cadre familial, la quasi-totalité des épouses et des filles appartenant aux classes populaires. Je laisserai de côté, également, l’armée, dans la mesure où la présence éventuelle de casernes dans les villes pas plus que la possible origine citadine de certains soldats ne me semblent suffisantes pour considérer le métier des armes comme une activité spécifiquement urbaine. En sens inverse, il me paraît difficile de ne pas classer dans les métiers urbains certaines fonctions publiques qui, certes, s’exercent en milieu rural, mais sous forme de missions temporaires ou de tournées, comme l’estimation des récoltes ou la perception des impôts, et dont les titulaires sont d’ordinaire des citadins. Quant au travail servile, il ne me paraît pas de nature à justifier la création d’une catégorie particulière, puisque la servilité est discriminante juridiquement et socialement, mais non professionnellement : on trouve des esclaves dans un grand nombre de métiers, depuis les grands commis de l’État que sont les Esclavons (Ṣaqāliba) sous Ibn Abī ʿĀmir al-Manṣūr par exemple, jusqu’aux plus humbles ouvriers.
48La catégorie des actifs peut se diviser en trois sous-catégories : ceux qui sont en charge d’une fonction, ceux qui exercent un métier et ceux dont l’activité relève de ce que l’on pourrait appeler l’économie parallèle, ou la marge. Il va de soi que cette classification ne saurait être entendue de façon trop rigide, les frontières entre les sous-catégories, en particulier entre la deuxième et la troisième, étant loin d’être nettes. De la même façon, il est souvent difficile de déterminer ce qui s’apparente au fonctionnariat, le terme étant pris dans son sens le plus large, et ce qui serait plutôt à classer dans ce que nous appelons aujourd’hui les professions libérales, le critère du mode de rémunération (salaire prélevé sur les ressources « publiques » ou honoraires payés par le client) comme celui du champ de compétence (service à vocation collective ou prestation à caractère privé) n’étant pas toujours déterminant.
a) Ceux qui sont en charge d’une fonction
49Il s’agit des personnes nommées et rémunérées par le prince, c’est-à-dire les agents de l’État, ou par la collectivité, par exemple le personnel des mosquées, ou encore celles qui obtiennent leur charge de la puissance publique mais sont rémunérées en tout ou en partie par les particuliers, y compris sous la forme de pots-de-vin.
50Rappelons en préambule que l’administration centrale recrute un personnel nombreux et spécialisé. C’est en tout cas ce que suggère la diversité des services califaux, telle qu’elle apparaît à la lecture d’une liste transcrite par Ibn Bassām, sans doute d’après Ibn Ḥayyān. Cette liste se rapporte au règne éphémère de ʿAbd al-Raḥmān V al-Mustaẓhir (8 décembre 1023 - 23 janvier 1024), à une époque, donc, où l’administration califale, en pleine désagrégation, a certainement perdu l’ampleur qui était la sienne du temps où ʿAbd al-Raḥmān III al-Nāṣir avait décidé de regrouper dans une ville nouvelle, Madīnat al-Zahrā’, les services palatins, la cour, les administrations civiles et militaires de l’État ainsi que tout le personnel nécessaire à leur bon fonctionnement.
51La liste fournie par Ibn Bassām, qui date, répétons-le, d’une époque où l’autorité du calife ne s’étend plus que sur Cordoue et sa région, n’en comporte pas moins un nombre important de services, quatorze en tout, dont plusieurs se subdivisent probablement en différents bureaux. La voici :
service chargé d’administrer les villes palatines d’al-Zahrā’et d’al-Zāhira ;
service du contrôle des finances et de la comptabilité (ẖidmat al-taʿ aqqub wa-l-muḥāsaba) ;
garde califale (ḥašam) ;
service des contributions en espèces et en grains (ẖidmat al-quṭuʿ bi-l-nāḍḍ wa-l-ṭaʿ ām) ;
service des pensions versées aux notables (ẖidmat mawārīṯ [ou marātib] al-ẖāṣṣa) ;
service des tissus (ẖidmat al-ṭirāz) ;
service des bâtiments (ẖidmat al-mabānī) ;
service de l’armement et autres matériels de guerre (ẖidmat al-asliḥa wa-mā yaǧrī maǧrā-hā) ;
service de la caisse des recettes et dépenses (ẖidmat al-ẖizāna li-l-qabḍ wa-l-nafaqa), c’est-à-dire le Trésor ;
service du stockage des grains, de la perception et des paiements (ẖidmat al-hirāya wa-l-qabḍ wa-l-dafʿ), c’est-à-dire le Grenier et la Trésorerie ;
service des archives et de la conservation des registres fiscaux (ẖidmat al-waṯā’iq wa-rafʿ kutub al-maẓālim) ;
service de la pharmacie et de la médecine (ẖidmat ẖizānat al-ṭibb wa-l-ḥikma) ;
service du logement et des approvisionnements (ẖidmat al-inzāl wa-l-nazā’il), c’est-à-dire l’Intendance civile et militaire de campagne ;
service de la réglementation des marchés (ẖikmat aḥkām al-sūq18).
52On imagine la foule d’emoployés (muštaġalūn) que cette administration fait vivre, responsables de services et de sections, contrôleurs, comptables, conservateurs, fourriers, rédacteurs, commis aux écritures et gratte-papier de toutes sortes, mais aussi artisans, ouvriers, hommes de peine, gens d’armes, plantons, etc. sur lesquels nous aimerions en savoir davantage.
b) Les responsabilités administratives
53Les fonctions publiques de rang supérieur portent le nom générique de ẖuṭaṭ (sing. ẖuṭṭa). On parle ainsi de ẖuṭṭat al-wizāra, vizirat, de ẖuṭṭat al-qaḍā’, judicature, de ẖuṭṭat wilāyat al-madīna, gouvernorat, de ẖuṭṭat al-sūq, inspection des marchés, mais aussi de ẖuṭṭat al-ṭawāf bi-l-layl, ronde de nuit. L’ensemble des responsables en charge de ces fonctions est désigné sous l’expression de aṣḥāb al-ẖuṭaṭ. Parmi les titulaires de charges gouvernementales, qui ne sont pas des métiers à proprement parler, même si la plupart d’entre elles exigent des savoir-faire précis, je citerai pour mémoire :
le ministre d’État (ḥāǧib) ;
le juge suprême (qāḍī l-ǧamā’a, qāḍī l-quḍāt) ;
le vizir (wazīr) ; sa charge se transforme, avec le temps, en fonction honorifique sans compétence particulière ;
le « double vizir » (ḏū l-wizāratayn) ; même remarque que pour le simple vizir ;
le secrétaire d’État (kātib, ṣāḥib al-rasā’il) ;
le secrétaire des registres fiscaux (kātib al-zimām), encore appelé responsable des affaires fiscales (ṣāḥib al-ašġāl al-ẖarāǧiyya) ;
le notaire d’État (ṣāḥib al-waṯā’iq al-sulṭāniyya) ;
le chef de la poste (ṣāḥib al-burud) ; il dirige un réseau de courriers (raqqāṣa, sing. raqqāṣ) et d’agents de renseignement (ǧawāsīs, sing. ǧāsūs) ;
le trésorier (ẖāzin al-māl ou ṣāḥib al-maẖzūn) ;
le responsable de la monnaie (ṣāḥib al-sikka) ;
le responsable du domaine royal (ṣāḥib al-mustaẖlaṣ) ;
le responsable des fermes royales (ṣāḥib al-ḍiyāʿ) ;
le gouverneur de province (wālī) ;
le responsable financier provincial (ʿāmil).
54Ces charges et leur dénomination ont d’ailleurs varié selon les époques19. À nouveau, il convient d’imaginer tous les auxiliaires (aʿ wān, sing. ʿawn) et le personnel d’exécution dont les titulaires sont entourés.
55Les employés subalternes de l’État portent le nom générique de serviteurs (ẖadama, sing. ẖādim) ou d’agents (ʿummāl, sing. ʿāmil), ce dernier terme étant fréquemment utilisé pour désigner, de façon restrictive, les agents du fisc. Parmi ceux-ci, on retiendra :
l’estimateur des récoltes (ẖāriṣ), dont le travail consiste à évaluer l’assiette de la dîme ;
le décimateur (ʿaššār), chargé de sa collecte ;
le percepteur (qābiḍ), préposé au recouvrement des impôts ;
l’exempt du percepteur (ʿawn) ;
le gabeleur (mutaqabbil), qui prélève les droits liés à l’activité commerciale, lesquels lui sont d’ordinaire affermés par adjudication (ce qui ne va pas sans entraîner de nombreux abus) ; il y a le gabeleur des bains publics (mutaqabbil al-ḥammām), le gabeleur des fondouks (mutaqabbil al-funduq) et, bien évidemment, le gabeleur des marchés (mutaqabbil al-riḥāb) ;
le ṭarqūn, ou receveur de la taxe de noces (qui frappe la musique accompagnant les réjouissances) ;
l’inspecteur (mušrif), qui contrôle les agents du fisc et veille au respect par le gabeleur du barème des taxes à percevoir ;
le caissier payeur (amīn, pl. umanā’) ;
l’employé aux registres (kātib li-l-ʿamal).
c) Les fonctions judiciaires et de police
56Le fonctionnement de la justice est assuré par le juge principal et par les différentes catégories de magistrats et d’agents placés sous son autorité. Leurs modes de rémunération varient : bien que la judicature soit une charge non lucrative, ses titulaires perçoivent souvent une indemnité de fonction, tandis que le personnel auxiliaire est rétribué sous la forme d’un salaire financé sur les fonds « publics », ou même payé à l’acte directement par le justiciable (ce qui ne les distingue guère, sous ce rapport, des membres des professions juridiques « libérales » que j’énumérerai plus loin).
57Appartiennent au système judiciaire :
le juge principal ou cadi (qāḍī), dont le vaste champ de compétence comporte non seulement l’administration de la justice, mais également le contrôle des agents de l’état, gabeleurs et autres ; il y a un cadi dans chaque chef-lieu de circonscription administrative ;
le juge du renvoi (ṣāḥib al-radd), aux attributions difficiles à cerner ; cette charge se confond rapidement avec la suivante ;
le juge des violations (ṣāḥib al-maẓālim), qui a compétence pour connaître des abus de droit ;
le juge des mariages (ṣāḥib al-manākiḥ) ;
le substitut (nā’ib, mustaẖlaf), qui assure la suppléance du cadi en cas d’indisponibilité de celui-ci ;
le juge secondaire (ḥākim ou ṣāḥib al-aḥkām), auquel le cadi délègue l’examen des affaires de moindre importance ; dans les grandes villes, il y en a environ un par quartier ;
le juge local (musaddid), qui a compétence pour régler les litiges mineurs dans les petites villes ;
le curateur aux successions (ṣāḥib al-mawārīt), qui administre les biens en déshérence, sous l’autorité du cadi ;
le juriste conseil (faqīh mušāwar), qui assiste le cadi ; il est habilité à délivrer des consultations juridiques, peut dresser des actes notariaux et remplace, à l’occasion, le greffier ;
l’exempt (ʿawn) du cadi ou du juge secondaire, qui assure la police des audiences, délivre les citations à comparaître et assure l’application des peines mineures ; chaque magistrat en nomme une dizaine, voire davantage ;
le commissionnaire de justice (ġulām), qui va quérir le justiciable et l’accompagne à l’audience ; il perçoit une indemnité de déplacement versée par le plaignant ;
le greffier (kātib) ;
l’huissier (ḥāǧib).
58Ajoutons à ces personnages les juristes (fuqahā’, sing. faqīh), et, parmi eux, les jurisconsultes (muftūn, sing. muftī), auxquels les particuliers, voire les magistrats secondaires et même le souverain, s’adressent pour obtenir un avis juridique autorisé (fatwā). Il s’agit donc moins de professionnels, au sens strict, que de spécialistes de la jurisprudence, dont la carrière combine habituellement l’exercice de la judicature, l’imamat d’une mosquée, la recherche (ṭalab al-ʿilm) et l’enseignement. En d’autres termes, les qualificatifs de faqīh et de muftī correspondent à des grades ou à des spécialisations dans la formation juridique plutôt qu’ils ne sont des noms de métier. Signalons également le prud’homme (amīn), « artisan honnête et instruit des règles du droit » (raǧul faqīh ʿālim ẖayyir), que le cadi désigne dans chaque corps de métier afin d’arbitrer les litiges internes à la profession sans que les parties aient besoin de saisir le juge secondaire.
59La justice répressive et les missions de police sont assurées par un personnel qui détient son autorité, par délégation hiérarchique successive, à la fois du prince et du juge. Ses membres les mieux documentés sont :
le préfet de police (ṣāḥib al-šurṭa), sorte de lieutenant criminel nommé par le souverain et placé sous la tutelle du cadi ; à l’époque des émirs omeyyades, la police se divisait en une « haute police » (šurṭa kubrā) et une « basse police » (šurṭa ṣuġrā), qui nous demeurent énigmatiques ; ʿAbd al-Raḥmān III institua en 929 une « moyenne police » (šurṭa wusṭā), qui vint s’ajouter aux deux précédentes ; il y avait donc, du moins dans la capitale, trois responsables de la police : le préfet de haute police (ṣāḥib al-šurṭa al-kubrā), le préfet de moyenne police (ṣāḥib al- šurṭā al-wusṭā), et le préfet de basse police (ṣāḥib al- šurṭā ṣuġrā) ;
le préfet de ville (ṣāḥib al-madīna), dont les attributions judiciaires et administratives ne sont pas claires ; à Cordoue, il se confond parfois avec le préfet de police et, dans les villes de province, c’est probablement le même que le gouverneur ;
le responsable de la police de nuit (ṣāḥib al-layl), peut-être confondu avec le précédent ; comme son nom l’indique, il dirige le corps des vigiles ;
l’exempt du préfet de police (ʿawn) ; il est armé d’un fouet ;
le policier (šurṭī, raǧul al-šurṭa) ;
le chef de patrouille du guet (ʿarīf al-ḥaras) ;
l’agent du guet (ḥarasī) ;
le vigile de nuit (sāmir) ;
le portier de ville (bawwāb) ;
le gardien de prison (amīr)20 ;
le geôlier (saǧǧān) ;
la matrone (qābila) chez laquelle sont placées certaines prisonnières en fin de détention ; elle reçoit une indemnité prélevée sur le Trésor ;
le bourreau ou flagellateur (sayyāṭ, ǧallād), chargé d’appliquer les peines corporelles ;
le tortionnaire (ḍāġiṭ)21.
60Quant à la ḥisba, c’est-à-dire l’inspection des marchés, le contrôle des poids et mesures, la répression des fraudes et la censure des mœurs, elle incombe à un corps d’agents spécialisés comprenant :
le responsable du marché (ṣāḥib al-sūq) ;
le muḥtasib, qui est sans doute le même que le précédent22 ; il est choisi par le cadi et nommé par le prince ;
l’inspecteur des poids et mesures (musaʿʿir) ;
l’exempt du muḥtasib (ʿawn, raǧul al-muḥtasib), chargé de signaler à ce dernier les infractions qui sont de sa compétence ; chaque muḥtasib en recrute plusieurs ;
le préposé (muqaddam), affecté par le muḥtasib à la surveillance d’une corporation23.
d) Les fonctions cultuelles
61Terminons ce tour d’horizon des fonctions publiques en rappelant le personnel des mosquées, qu’il soit préposé au service du culte ou à la gestion du patrimoine constitué au profit du lieu de prière :
le recteur de la prière en commun (ṣāḥib al-ṣalāt) ; cette charge, qui n’existe que dans la capitale, est souvent confiée au juge suprême ;
l’imam (imām) ;
le prédicateur (ẖaṭīb) ; il ne fait souvent qu’un avec le précédent ;
le muezzin (mu’aḏḏin) ;
le crieur (munḏir) ;
le récitateur du Coran (ḥazzāb) ;
le répétiteur (musammiʿ) ; il relaie l’imam pour la reprise en commun des diverses formules rituelles ;
le catéchiste (raǧul faqīh) ;
le secrétaire (kātib) ;
l’adjudicateur des biens de mainmorte (mutaqabbil al-aḥbās) ;
le contrôleur des biens de mainmorte (nāẓir al-awqāf, nāẓir al-aḥbās) ;
le responsable de la gestion des donations et des biens de mainmorte (muqaddam) ;
l’inspecteur (mušrif) ;
le trésorier (qābiḍ).
62On arrive ainsi à plus d’une soixantaine de fonctions différentes dans ce qui constitue l’appareil d’État au sens large. Il en existe sans doute quelques autres, qui m’ont échappé. Or ce chiffre, déjà remarquable, suffit à indiquer le niveau de développement atteint par les institutions civiles et religieuses de l’Espagne musulmane, et l’importance, certes mineure, mais réelle, des agents de la chose publique – ne parlons pas de fonctionnaires – dans sa population active urbaine.
e) Ceux qui exercent un métier : les professions d’écriture
63Dans la catégorie des gens de métier figurent les actifs rémunérés par leur clientèle ou par un employeur, c’est-à-dire la très grande majorité des personnes ayant un travail. Je les ai regroupés par secteur d’activité.
64Les professions dont l’outil de travail principal est la chose écrite forment comme une sorte d’appendice à l’ensemble précédent. En effet, la maîtrise de la lecture et de l’écriture constitue le dénominateur commun de tous, à l’exception, peut-être, des agents subalternes de la justice répressive. Non que les Andalous soient analphabètes – leur niveau d’éducation élémentaire semble même convenable, y compris pour une partie de la population féminine – mais parce que beaucoup de gens, hormis ponctuellement, ne devaient pas faire grand usage des compétences acquises à l’école.
65Les professions juridiques figurent en bonne place au milieu de ces métiers. On complétera la liste des magistrats et des auxiliaires de justice mentionnés tout à l’heure avec les spécialistes suivants :
le procureur (wakīl), ou avocat (ẖaṣm, ẖaṣim, muẖāṣim), qui représente le plaideur à l’audience ;
le témoin instrumentaire (ʿadl), qui établit au nom du justiciable les preuves testimoniales requises par la procédure ; avec le temps, sa fonction se confond avec celle du notaire ;
le notaire (waṯṯāq), qui rédige et authentifie par sa signature toutes sortes de documents ayant valeur juridique (actes de mariage, de répudiation, de donation, contrats de vente, de location, de prestation de service, certificats d’indigence, de bonnes mœurs, constats, etc.), délivre les copies conformes, reçoit les témoignages et, le cas échéant, émet des consultations juridiques.
66Les uns et les autres perçoivent des honoraires fixés à volonté. Ibn al-õaṭīb insiste sur l’âpreté au gain de la plupart des notaires, et sur leur ignorance24.
67Autre domaine où l’écrit occupe une place centrale : l’enseignement. Au niveau le plus bas, qui n’exige pas de vastes connaissances, la profession de maître d’école (muʿallim al-ṣibyān, mu’addib) est sans doute celle qui présente le plus clairement les caractéristiques d’un véritable métier. C’est en effet aux termes d’une convention qui stipule ses obligations, et en échange d’un salaire mensuel, que le maître d’école prend en charge l’instruction élémentaire des enfants. Il leur fait réciter le Coran, verset après verset, jusqu’à mémorisation intégrale, leur enseigne le catéchisme et tente de leur inculquer les règles de base de la grammaire. Rabâchage et férule tiennent lieu de pédagogie.
68Par crainte de la mixité sociale, et sans doute pour offrir à leur progéniture une instruction meilleure, voire une meilleure pédagogie, ceux qui en ont les moyens préfèrent engager des précepteurs et des préceptrices. Car la conscience professionnelle des maîtres d’école est souvent déplorable. Il leur est reproché d’abandonner trop fréquemment leurs élèves pour aller gagner quelque argent en servant de récitateurs du Coran dans les convois funèbres ou de témoins devant les tribunaux.
69Le cas des professeurs de l’enseignement supérieur est très différent. Ces maîtres (šuyūẖ, sing. šayẖ) d’un autre type enseignent dans les mosquées, plus rarement à leur domicile, les différentes disciplines des sciences religieuses et profanes. Leur niveau de compétences ne fait aucun doute. Mais si leur rôle dans la transmission des savoirs peut facilement être appréhendé, leur statut demeure flou. En effet, l’activité d’enseignement qu’ils pratiquent est souvent accessoire à leur fonction principale (imamat, magistrature, jurisprudence, etc.) et ne saurait par conséquent être tenue pour un métier à part entière. Ou, plus précisément, l’enseignement ne constitue pas leur métier principal. D’ailleurs, on connaît mal les modalités selon lesquelles ils sont rémunérés pour cela – s’ils le sont.
70Mais il est vrai aussi que certains de ces maîtres se consacrent quasi exclusivement à la formation de leurs élèves. Nous nous heurtons de nouveau à la difficulté de délimiter des profils qui combinent plusieurs éléments dont aucun n’est réductible à un seul métier ou à une seule fonction. Cela concerne, au premier chef, les représentants des élites intellectuelles, qu’ils soient homme de savoir théojuridique (ʿulamā’) ou hommes de lettres (udabā’). Parler de métier à leur égard, en se fondant sur telle ou telle activité qu’ils affectionnent, est probablement une erreur. Je m’en tiendrai donc là sur ce point.
71Il ne faudrait pas oublier, enfin, les professions qui rendent techniquement possible l’écriture elle-même, c’est-à-dire ce qu’on appellerait de nos jours les métiers du livre :
parcheminier (raqqāq) ;
papetier (kaġġād) ;
copiste libraire (warrāq) ;
copiste (nassāẖ).
72Ce dernier ne dispose pas toujours de compétences à la hauteur des textes qu’il a à reproduire. Néanmoins, il joue un rôle capital dans la diffusion des œuvres de la production intellectuelle – et constitue, malgré son étourderie, ses faiblesses grammaticales et son désintérêt pour l’onomastique, l’interlocuteur privilégié du lettré d’hier comme du chercheur d’aujourd’hui.
73L’écrivain public, quant à lui, mot à mot « l’écrivain des rues » (kātib al-šawāriʿ), n’appartient pas au même monde : il se rapproche davantage du maître d’école. Monnayant en boutique ses maigres aptitudes, il prête son calame aux analphabètes et rédige en leur nom leur correspondance privée. Le muÜtasib le surveille et lui interdit de transcrire injures et propos séditieux.
f) La santé et l’hygiène
74Les professions de santé et d’hygiène offrent un terrain plus nettement circonscrit. Elles sont variées, présentes aux différents échelons de la hiérarchie sociale, et concernent aussi bien les soins du corps que la salubrité publique :
médecin (ḥakīm, ṭabīb) ;
sage-femme (qābila) ;
apothicaire (ṣaydalī) ;
préparateur vendeur de sirops (šarā’ibī) ;
préparateur vendeur d’onguents, pommades, collyres, thériaques (dahhān) ;
herboriste (ḥaššāš, ʿaššāb) ;
droguiste parfumeur (ʿaṭṭār) ;
fumigateur parfumeur de rue (baẖẖār) ;
fabricant de savon (ṣabbān) ;
barbier raseur (ḥallāq) ;
ventouseur (ḥaǧǧām) ;
phlébotomiste (faṣṣād) ; ces trois dernières professions sont d’ordinaire confondues, le barbier-ventouseur-saigneur étant, en outre, arracheur de dents ;
vétérinaire (bayṭar) ;
garçon de bain (ṭayyāb) ;
strigilaire (ḥakkāk) ;
serviteur de hammam (ẖādim al-ḥammām) ;
chef de chauffe de hammam (waqqād) ;
égoutier (ḥaššāš) ; il se charge également d’évacuer le sang des boucheries ;
cureur (qulayqīru, du roman cloaquero ?) ;
vidangeur (kannāf) ;
éboueur (zabbāl) ;
balayeur, balayeuse (kannās, kannāsa).
75Le muḥtasib est particulièrement attentif à l’hygiène publique. Il garde à l’œil les praticiens de la santé, et n’a de cesse de mettre en garde contre les charlatans qui abuseraient de la crédulité du public ou contre les hommes de l’art incompétents car, dit Ibn ʿAbdūn, « l’erreur qu’a pu commettre le médecin, c’est la terre recouvrant la tombe du défunt qui la cache25 ».
g) Le commerce
76C’est un secteur lui aussi riche en métiers divers qui vont du commerce au long cours au tout petit négoce d’objets de seconde main. Les disparités sociales y sont extrêmes, comme on le constatera en parcourant la liste qui suit :
fournisseur » (ǧallāb), plus particulièrement maquignon et/ou marchand d’esclaves ;
courtier en esclaves et/ou en bêtes de somme (naẖẖās) ;
négociant en gros (tāgir) ;
négociant (ḥarā’ikī) ;
commissionnaire (ǧallās) ; c’est souvent le tenancier d’une hôtellerie (manzil) ou d’un entrepôt (ẖān), chez qui les gros négociants descendent ; il se charge d’écouler leurs produits ;
courtier (simsār) ; sa profession se confond en grande partie avec la suivante ;
encanteur (dallāl) ; il vend aux enchères pour le compte du commissionnaire ; il lui arrive de faire office de courtier en blé (dallāl al-ḥinṭa), en biens immobiliers (dallāl al-dūr), etc. ;
vendeur (bā’iʿ) ; c’est le terme générique pour la grande majorité des commerçants au détail ;
revendeur, petit détaillant (baqqāl) ;
regrattier (sūqī) ;
marchand de bric-à-brac (saqqāṭ) ;
fripier (qaššāš) ; ces trois dernières professions ne sont pas toujours bien séparables.
77L’activité économique serait handicapée sans l’expertise de ceux dont le métier consiste à faciliter les transactions financières, ou à vérifier la conformité des biens proposés à la vente au regard des exigences métrologiques :
prêteur (sālif) ;
changeur (ṣayrafī) ;
essayeur (muqallib) ; il vérifie le titre de l’or et de l’argent ;
peseur public (wazzān) ;
mesureur public (kayyāl).
78Il s’agit de métiers indispensables dans une société où la valeur des espèces monétaires dépend fondamentalement de leur poids et de l’aloi du métal avec lequel elles sont fabriquées, et où il n’existe pas de système unifié des poids et mesures.
79Je reviendrai sur le secteur commercial dans le cours des rubriques suivantes, qui sont classées par types de productions ou de produits.
h) L’alimentation et les métiers de bouche
80L’énumération des métiers de l’alimentation englobe un grand nombre de commerçants et d’artisans :
détaillant en fruits et légumes (muʿāliǧ) ; il vend sa marchandise à la quantité ou au poids ;
marchand de figues, de raisins, d’olives, etc. ;
boucher (ḏābiḥ al-ǧazūr, ǧazzār) ;
boucher caprin (ʿannāz) ;
marchand de viande (bā’iʿ al-laḥm) ;
marchand de lapins, de volaille ;
marchand d’œufs ;
poissonnier (bā’iʿ al-ḥūt) ; le produit est commercialisé frais, salé, séché ou frit ;
vendeur de sardines (bā’iʿ al-sardīn) ;
laitier (bā’iʿ al-ḥalīb) ; il vend du lait frais, du lait caillé, du fromage frais, du beurre frais et du beurre fondu ; le beurre peut être de vache ou de brebis ;
fromager (bā’iʿ al-ǧubn) ; il vend des fromages de vache, de brebis, de chèvre ou de bufflesse et les propose frais ou secs ;
marchand d’huile, de beurre et de miel ;
vinaigrier (ẖallāl) ;
saunier (bā’iʿ al-milḥ) ;
épicier (ʿaṭṭār, baqqāl) ;
marchand de vin (ẖammār).
81Parmi ces métiers de bouche, on distinguera ceux qui concernent plus directement la restauration :
restaurateur (ṭabbāẖ) ;
cuisinier à gages (ṭabbāẖ), cuisinière (ṭabbāẖa) ;
rôtisseur (šawwā’) ;
friturier (qallā’) ; il prépare des poissons roulés dans la farine et cuits à grande friture ;
fabricant de beignets (saffāǧ) ; il confectionne les beignets ordinaires (isfanǧ) et les beignets au fromage (muǧabbanāt) ;
ouvrier hacheur découpeur (qaṭṭāʿ) ;
ouvrier pétrisseur (ʿaǧǧān) ;
préparateur de harīsa (harrās, ʿāmil al-harā’is), sorte de bouillie de blé enrichie ou non de viande ou de graisse ; elle se vend assaisonnée de miel et d’une matière grasse (beurre ou huile) ;
fabricant de pâtés et de plats cuisinés à base de gibier (ʿāmil al-balāǧa wa-l-ṣayd al-maṭbūẖ) ;
fabricant de merguez (ʿāmil al-mirqās), de saucisses (aḥruš), de boulettes de viande hachée en brochettes (asfida) ;
pâtissier, fabricant de rousquilles et de gâteaux au beurre (ʿāmil al-kaʿk wa-l-musammanāt) ;
confiseur (ḥalawī) ;
tavernier (ẖammār), tavernière (ẖammāra, rābbat ḥāna).
82Quant à la filière frumentaire, essentielle pour l’alimentation de la population, elle comprend les métiers suivants :
approvisionneur grossiste en blés et farines (mayyār) ; il se charge de l’achat, du transport et de la mouture du froment ;
cribleur de blé (ġarbāl al-ḥinṭa) ;
meunier à eau (raḥawī, riḥāwī, maqqāṣ), meunier à manège (ṭaḥḥān)26 ;
farinier (daqqāq) ;
ouvrier cribleur bluteur (ġarbāl) ;
ouvrier peseur (wazzān) ;
préparateur de semoule (sammād) ;
patron boulanger (ẖabbāz, ʿāmil al-ẖubz) ;
mitron (ʿāmil al-ẖabbāz) ;
ouvrier bluteur (ʿāmil al-daqīq) ;
ouvrier pétrisseur (ʿaǧǧān) ;
ouvrier peseur (wazzān) ;
ouvrier enfourneur (raffād) ;
ouvrier fournier de boulangerie (farrān) ; c’est peut-être le même que le suivant ;
commis de four (waqqāf) ; il s’occupe de la chauffe et surveille la fournée ;
commissionnaire du boulanger (ǧallās) ;
vendeur de pain (bā’iʿ al-ẖubz) ;
fournier public (farrān) ; les clients lui apportent leur pain à cuire, ainsi que certains plats ; il perçoit le fournage en nature, sous forme de pâtons appelés buyya (castillan poya, catalan et valencien puja, portugais poia), qu’il revend en petits pains.
i) Textile, habillement et travail du cuir
83Si nous passons à présent au secteur du textile et de l’habillement, nous constatons la même variété :
cardeur de coton (qaṭṭān) ;
cardeur de laine (naffāš) ;
fileur (ġazzāl), fileuse (ġazzāla) ;
blanchisseur dégraisseur (qaṣṣār) ;
teinturier (ṣabbāġ) ;
tisserand (ḥā’ik, nassāǧ) ; il travaille le coton, le lin, la laine ou le métis ;
tisserand de soie grège (qazzāz) ;
tisserand de soie fine (ḥarrār, ẖazzāz, ġazzāz) ; j’ignore si ces dénominations multiples correspondent à des spécialités différentes ;
fabricant de brocart (dabbāǧ) ;
marchand de soieries (bazzāz, bā’iʿ al-ḥarīr) ;
marchand de cotonnades (qaṭṭān) ;
marchand de tissus (bā’iʿ al-matāʿ) ;
linger, toilier (šaqqāq) ;
fabricant d’étoupe de lin (saḥḥāǧ).
84Les tisserands, quelle que soit la matière qu’ils travaillent, portent la dénomination collective de ṭarrāzūn, qui donna son nom à un ancien quartier de Cordoue (al-Ṭarrāzīn)27. On sait que la production d’étoffes est florissante en Espagne, notamment à Almería, réputée au début du XIIe siècle pour le nombre de ses ateliers de tissage, ainsi que pour la qualité et la diversité de sa production. Cet artisanat alimente en aval les métiers de la confection :
tailleur, couturier (ẖayyāṭ) ;
brodeur (ṭarrāz), brodeuse (ṭarrāza) ;
fabricant de jupes et de marlottes (ʿāmil al-mirṭ wa-l-balāṭī) ;
ouvrier ourleur (ṭawwāq) ;
chaussetier (qalsatīr, du roman calcetero) ;
fabricant de voiles en soie et de turbans (ʿāmil al-qunūʿ [sic] al-ḥarīriyya wa-l-ʿamā’im).
85Les vêtements usagés sont remis en état par le ravaudeur (raffā’) et revendus par le fripier (qaššāš, ǧabbāb).
86Le travail du cuir et des peaux est lui aussi particulièrement développé en Espagne :
tanneur (dabbāġ) ;
corroyeur (ẖallāṣ) ;
peaussier (ǧallād) ;
pelletier (farrā’) ;
fourreur, pelissier (ḥaššā’) ;
feutrier (labbād, ʿāmil al-lubūd) ;
cordonnier (ẖarrāz) ;
savetier (sabbāṭayr, du roman çapatero) ;
sandalier (qarrāq, ṣāniʿ al-aqrāq), vendeur de sandales (bā’iʿ al-qurq) ; ces chaussures ont la semelle en liège et l’empeigne en cuir ;
raccommodeur de chaussures (muẖtariz) ;
bourrelier (laǧǧām).
87Il manque à l’appel, dans toutes ces professions, les selliers, les fabricants de sacoches (šakā’ir, sing. šakāra), de calottes (šāšiya), etc., pour lesquels je n’ai pas trouvé de référence précise dans le corpus étudié. L’arabe hispanique ayant souvent sa terminologie propre, surtout dans le domaine qui nous intéresse, je n’ai pas voulu attribuer arbitrairement les termes attestés dans les autres parties de l’aire arabophone, y compris au Maroc.
j) Sparterie et industries voisines, arts du feu
88Regrouper ces activités sous la même rubrique n’est pas illogique, puisqu’elles concourent à la production d’ustensiles ménagers ou d’usage commun à partir de matières de faible valeur : plantes herbacées, argile, sable.
89Le commerce et le travail des fibres végétales font vivre plusieurs métiers typiques des régions chaudes du Bassin méditerranéen :
marchand de bourre, de doum, de foin, de paille (bā’iʿ al-ḥašw wa-l-dawm wa-l-rabīʿ wa-l-ḥuṭām) ; il fournit notamment les matelassiers ;
marchand de roseaux (bā’iʿ al-qaṣab) ;
fabricant de cribles (ṣāniʿ ġarābīl) ; les cribles à blé sont en alfa sur une armature de roseau ; d’autres modèles ont un tamis en crin ;
fabricant de cages (qaffāṣ), notamment celles qui sont utilisées pour le transport de la volaille ;
tresseur de doum (dawmī), pour la fabrication des paniers, des chapeaux, des nattes, etc. ;
fabricant de balais en doum (ʿāmil makānis al-dawn) ;
fabricant de paniers doubles (ṣāniʿ al-šawārī) ; il s’agit des grands paniers de bât pour les bêtes de somme ; ils sont en cordelettes d’alfa ;
nattier (ḥaṣṣār) ;
fabricant d’espadrilles (ʿāmil al-barġāt) ;
fabricant de filets (nassāǧ, qazzāz).
90D’autres métiers qui auraient leur place sur la liste, comme fabricants de cordes à puits (aṭwila), de couffins (qufaf), d’entraves pour les bêtes de somme (šukūl al-dawābb), sont présumés, sans que je sois parvenu à les identifier nommément.
91Les arts du feu, relégués à la périphérie des villes, produisent la vaisselle ainsi que la plupart des récipients de stockage. C’est l’œuvre du céramiste (faẖẖār), du potier (qallāl) et du verrier (zaǧǧāǧ). Le marchand de céramique (bā’iʿ al-faẖẖār) commercialise la production des artisans et raccommode, à l’occasion, plats et écuelles ébréchés.
k) Le travail du bois
92Il s’agit, là encore, d’un secteur primordial dont les métiers sont classiques :
charpentier (ḥaššāb), y compris charpentier de marine dans les villes portuaires ;
menuisier (naǧǧār) ;
fabricant d’armoires (ṣāniʿ al-ẖazā’in), de coffres (ṣanādīq), de serrures en bois (ablāǧ), d’échelles (salālim) ;
fabricant de métiers à tisser (nayyār) ;
charron (ʿawwād) ;
scieur de long (naššār) ; c’est, en fait, un homme de peine, embauché à la journée.
93La boissellerie est également active avec les cuveliers (kawwābūn) et les fabricants de seaux (ṣunnāʿ al-akwāb). Signalons aussi les fabricants de flèches (naššābūn).
l) La métallurgie
94Le travail du fer, du métal brut à l’objet fini, comporte plusieurs opérations effectuées par différents artisans et leurs aides :
le batteur lamineur de métal (kammād) ;
le forgeron (nāšī, ḥaddād) ; à partir des barres de métal (qiḍbān, sing. qaḍīb), il fabrique notamment des clous (masāmīr), des ferrures (ṣafā’iḥ), des anses (āḏān), des poignées (maqābiḍ) pour les ustensiles, etc. ;
le maréchal-ferrant (sammār) ;
l’ouvrier marteleur (ḍarrāb) ; il assiste le forgeron, ébauchant la forme à venir et, sans doute, « frappant devant » ;
l’ouvrier souffleur (kayyār) ;
le serrurier (ʿāmil al-mafātīḥ) ;
le coutelier, qui forge les ciseaux, les couteaux et les haches (ṣāniʿ al-amqāṣ wa-l-masās [= al-amsās] wa-l-qawādim) ;
le fourbisseur (ṣayqālī).
95Les métaux non ferreux sont ouvragés par les spécialistes habituels :
dinandier (ṣaffār) ;
chaudronnier (nuḥāsī) ;
étameur (mubayyiḍ al-nuḥās).
96Quant aux métaux précieux, ils sont réservés à l’orfèvre (ṣā’iġ), au joaillier (naẓẓām) et au bijoutier (ḥallā’). L’existence d’objets en bronze ou en plomb, qui nécessitent des procédés de fabrication spécifiques, implique l’existence des métiers correspondants. Il en va de même pour tout ce qui a trait à la décoration : ciselure, damasquinage, niellure, etc.
m) Bâtiment et décoration
97Les fabricants et les fournisseurs de matériaux de construction sont installés hors les murs. Parmi eux, on notera :
le chaufournier (ǧayyār) ;
le marchand de chaux (bā’iʿ al-ǧīr) ;
le plâtrier (ǧabbāṣ) ;
le briquetier tuilier (ṣāniʿ al-āǧurr wa-l-qarāmīd) ; il fabrique aussi des briques crues (ṭūb) ;
le tailleur de pierres (qaṭṭāʿ).
98En ce qui concerne la construction elle-même, gros œuvre et finitions associent plusieurs exécutants :
le maître d’œuvre (ṣāniʿ) ;
le maçon (bannā’) ;
le terrassier (ḥaffār) ;
le sculpteur (naqqāš) ;
le carreleur (farrāš) ;
le piseur (ṭawwāb) ; c’est le spécialiste de la technique du maçonnage en terre, ou pisé (ṭābiya), qui se répand en Espagne à partir du début du XIIe siècle.
99Le traitement des surfaces, celles des murs, mais aussi du mobilier ou de tout objet qui s’y prête, est en dernière instance confié au peintre vernisseur (dahhān) et au peintre à l’encaustique (sarrāǧ).
n) Logistique, main-d’œuvre, transports
100La cuisine, le chauffage, les fours et les forges, tout comme l’éclairage, consomment de grandes quantités de combustibles. Trois métiers d’approvisionnement sont donc indispensables :
marchand de bois à brûler (ḥaṭṭāb) ;
marchand de charbon de bois (bā’iʿ al-fahm), charbonnier (faḥḥām) ;
marchand d’huile (bā’iʿ al-zayt), huilier (zayyāt).
101On n’oubliera pas, à ce propos, que l’oléiculture andalouse, particulièrement florissante, fournit non seulement le pays en huile alimentaire et en olives de table, à partir de ses variétés les plus fines, mais aussi, et peut-être surtout, en huile d’éclairage et en corps gras pour la savonnerie.
102Tout comme elle a besoin de matières premières et d’énergie, la société ne pourrait fonctionner sans l’apport, en termes de force de travail, d’une importante masse d’hommes à tout faire dont la qualification importe moins que la disponibilité. C’est pourquoi il est vain, me semble-t-il, de chercher ce qui singularise chacun des « métiers » suivants, si ce n’est la durée de l’embauche :
ouvrier (aǧīr, ẖādim, ẖadūm) ;
manœuvre (muštaġal) ;
journalier (aǧīr, musta’ǧir bi-l-nahār).
103Le transport des marchandises exige des bras nombreux, sans parler de reins solides et de jarrets infatigables. Les bêtes de somme sont utilisées chaque fois que la chose est possible. Mais l’exiguïté des ruelles, alliée à la recherche du moindre coût, explique que la manutention soit prédominante. Je distinguerai :
le muletier transporteur (mayyār) ; il approvisionne les citadins en blé, en farine, en vin, etc. ; il se double, d’ordinaire, d’un négociant en gros ;
le charretier (ṣāḥib al-ʿaǧala) ;
le livreur (ḥammāl), qui dispose d’un âne ou d’une mule ; il effectue notamment le transport des pondéreux, comme les pierres et les poutres ;
le portefaix, ou homme de charge (ḥammāl al-ẓahr) ; pour le transport de certains fardeaux difficilement manipulables en grande quantité (briques, tuiles), il s’associe à un collègue et utilise un brancard ;
le « couffier » (qaffāf), journalier qui transporte au moyen de couffins le blé, les fruits, l’argile, qui évacue la terre, les vidanges, etc. ;
le fort de ville (ḥammāl al-laḥm), qui livre les carcasses ;
le porteur d’eau (saqqā’).
104Ajoutons à ceux-là une foule d’apprentis, de jeunes coursiers et d’enfants auxquels les adultes confient de menues tâches qui nécessitent peu de savoir-faire et encore moins de capacités physiques (porter un message, par exemple).
105Mention doit être faite, aussi, de la batellerie. On sait qu’elle est active dans certaines villes, comme à Séville, où elle assure le transbordement des personnes et des marchandises d’une rive à l’autre du fleuve qui scinde l’agglomération en deux. Elle participe donc, localement, aux activités urbaines, à travers ses métiers habituels :
patron de barque (ra’īs) ;
marinier (nūtī) ;
passeur (muʿaddī) ;
calfat (qalfāṭ).
106Une remarque analogue se justifierait dans le cas des ports, en particulier ceux qui sont situés sur l’estuaire d’un fleuve (Lisbonne, par exemple, ou Tortose).
o) Employés de maison, personnel de sécurité
107En ce qui concerne le personnel domestique, la brièveté de la liste qui va suivre est trompeuse. On ne trouvera qu’une poignée de fonctions, et encore peut-on s’interroger sur la pertinence de maintenir une séparation entre plusieurs d’entre elles :
dépensier (naffāq) ;
serviteur (ẖādim) ;
domestique (ẖaddām) ;
factotum (ġulām) ; c’est souvent un esclave ;
servante (ẖaddāma) ;
bonne à tout faire (ẖādima) ;
bonne d’enfants, gouvernante (rabbāya).
108Mais les termes de ẖādim et de ẖādima cachent une plus grande variété de fonctions qu’il n’apparaît et une multitude d’employés. Ce sont des qualificatifs génériques, qui conviennent aussi bien, dans les grandes maisons, aux domestiques chargés de l’intendance et de la cuisine qu’aux personnels d’entretien, de nettoyage, d’écurie, de réception, d’accompagnement, etc. Certes, les familles plus modestes ne disposent que d’un petit nombre de domestiques, polyvalents. Il n’empêche que le serviteur dont parlent les textes dissimule, sans conteste, un être protéiforme.
109Un second point, à souligner, est la grande hétérogénéité des statuts. D’abord, les esclaves représentent une part importante des domestiques. Ensuite, certains employés sont des salariés (uǧarā’, sing. aǧīr), ils reçoivent des gages corrects, tandis que d’autres doivent se contenter d’à peine plus que du gîte et du couvert. C’est le cas probable des fillettes servantes.
110Une catégorie que j’isole afin de demeurer fidèle à mon projet typologique, bien que je ne sois pas entièrement convaincu de sa légitimité, est celle des personnels de sécurité (à l’exclusion des agents de la force publique) :
portier (bawwāb) ;
gardien (ḥāris, ḥāriz) ;
garde du corps (ḥašamī).
111Enfin, je classerai dans la domesticité, sans grande conviction non plus, le personnel de divertissement employé par les grandes maisons : je veux parler des esclaves chanteuses ou musiciennes. Leur statut juridique et social les rapproche des servantes. Mais leurs aptitudes artistiques et leur culture les rapprochent davantage des maîtres, dont il n’est pas rare qu’elles partagent la couche. Ce sont, en tout cas, des professionnelles de haut vol, qui ont suivi une formation poussée dans les différentes disciplines nécessaires à l’accomplissement de leur talent (chant, musique, poésie, belles-lettres).
p) Au service des morts
112Je citerai pour mémoire un petit groupe d’activités qui sont liées au commerce de la mort et aux rituels funéraires :
marchand de linceuls (bā’iʿ al-akfān) ;
marchand de baume (bā’iʿ al-ḥanūṭ) ;
toiletteur funéraire (kaffān) ; comme son nom l’indique, il enveloppe le mort dans son linceul ;
fossoyeur (daffān, ḥāfir al-qubūr) ;
pleureuse funèbre (nā’iḥa) ;
récitateur du Coran à l’intention des morts (qāri’ ʿalā l-mawtā).
113Je ne sais pas s’il y avait en Espagne « cette méchante lignée d’hommes, qui sont vicieux et efféminés » et chantent des vers en s’accompagnant d’un tambourin, lors des cérémonies funèbres, comme le note Léon l’Africain pour Fès28. Mais la chose est d’autant moins impossible que ces travestis (muẖannaṯūn) existaient à Málaga du temps d’al-Saqaéà (voir infra), et que les cimetières de Séville, je l’ai dit, donnaient refuge à toutes sortes de pratiques bizarres.
q) Ceux qui subsistent à la marge : baladins et bonimenteurs
114La rue est le domaine d’une série d’activités de faible rapport fondées sur la badauderie du public. Elles échappent plus ou moins au contrôle des autorités, qui les tolèrent plus qu’elles ne les acceptent, ce qui justifie l’expression d’économie parallèle que j’ai utilisée à leur propos. On ignore d’ailleurs si ces petits métiers de rue étaient assujettis à une quelconque obligation fiscale.
115Les activités du spectacle sont d’une richesse qui a de quoi surprendre celui qui ne verrait l’Islam qu’à travers l’image austère que les hommes de religion donnent d’eux-mêmes. Qu’on en juge :
musicien (muḥallī) ;
chanteur de rue (ġānī, zaǧǧāl) ;
récitateur de vers pieux ou profanes (qawwāl) ;
musicien comique (mulhī) ; il amuse l’assistance, fait des tours, jongle ; on l’appelle également al-Sindī, le Sindien : on aura reconnu l’ancêtre du personnage que les Castillans appelèrent par la suite el Gitano, le Gitan ;
chanteur travesti (muẖannaṯ) ; il imite les femmes par sa voix et son accoutrement ;
danseuse (rāqiṣa) ;
cabrioleur (qaffāz) ;
saltimbanque, jongleur (qahramān) ;
baladin, bateleur (mubahriǧ) ;
bouffon, pitre (muharriǧ) ;
mime, imitateur (laʿʿ āb), imitatrice (laʿʿāba) ;
montreur d’ombres (laʿʿ āb al-ẖiyāl)29 ;
prestidigitateur (lāʿ ib, muqallib al-aʿ yān) ;
montreur de singe ; il entre dans les maisons, effraie les femmes enceintes et les enfants, regrette óarsàfà ;
conteur de rue (qāṣṣ, qaṣṣāṣ) ; Ibn ʿAbd al-Ra’ūf lui conteste la liberté de parler du Prophète, mais il ne voit pas d’objection à ce qu’il puise dans le fonds profane (récits des anciens rois et légendes d’Israël).
116Tandis que les uns gagnent leur vie en divertissant le public, d’autres exploitent sa crédulité ou comblent son attente face aux aléas de la vie et aux incertitudes du sort. Ce sont :
le devin (kāhin) ;
le magicien (muhaḏḏir) ;
le diseur de bonne aventure (ḥāsib, ḥassāb) ;
le préparateur d’amulettes (ḥarrāz).
117Mais peut-être aurait-il été préférable de ranger ces métiers dans les professions de santé, avec les médecins et les apothicaires ? Ils remplissent en tout cas auprès des gens du peuple une fonction voisine de celle que le ṭabīb et le munaǧǧim (astrologue) tiennent auprès des membres de l’élite sociale.
r) Prostitution, mendicité et délinquance
118L’amour vénal, sans être institutionnalisé, n’en demeure pas moins assujetti au fisc, comme l’indique le nom même qu’on donne aux prostituées dans l’Espagne musulmane : ẖarāǧiyyāt, ẖarāǧayrāt, qui signifie, littéralement, « kharagées », soumises à l’impôt du ẖaraǧ.
119Il existe également une prostitution masculine, incarnée par le giton (ḥāwī). Mais il n’y a guère de doute qu’elle demeure, à la différence de la précédente, tout à fait informelle (ce qui ne veut pas dire qu’elle n’a pas été répandue : les allusions aux charmes des jeunes garçons sont en effet monnaie courante dans la littérature).
120La mendicité pourrait faire l’objet d’un vaste panorama qui dépasserait le cadre de cette étude. Qu’il suffise d’esquisser la silhouette familière du mendiant (sāʿ ī), omniprésent dans les souks, cognant à la porte des notables ou se faufilant entre les lignes des orants à la mosquée. Il en est de toute catégorie, de tout âge et de tout sexe. Il y a ceux qui se roulent par terre et font croire qu’ils sont atteints d’épilepsie, ceux qui entretiennent à dessein leurs abcès, leurs pustules, leur gravelle ou simulent ces affections. Il y a les faux culs-de-jatte, les faux lépreux, etc. Le pittoresque du tableau ne saurait cacher, cependant, l’extrême dénuement, bien réel, lui, de ces misérables tricheurs.
121Tricheur, assurément, le joueur de dés (qammār), lorsqu’il fait profession de son art.
122Et nous voici, avec la délinquance, parvenus au terme du catalogue. Le voleur (ẖallāṣ, mutalaṣṣiṣ) tout comme le malandrin (ʿayyār) sont des figures classiques des villes de l’Espagne musulmane. Il n’est pas établi que la truanderie andalouse se soit structurée en une sorte de confraternité comme l’a fait son homologue proche-orientale, bien que des indices montrent qu’elle a pu en prendre le chemin dans certaines villes et à certaines périodes (Cordoue au XIe siècle, par exemple). Il n’en demeure pas moins qu’il lui arrive, de temps à autre, d’agir collectivement et, je l’ai signalé, en liaison avec les couches les plus méprisées de la population.
123En conclusion, je souhaiterais attirer l’attention sur le nombre très restreint des professions féminines ou mixtes. À part dans la domesticité, les femmes sont rares. On ne s’en étonnera pas en gardant à l’esprit que la société andalouse est fortement marquée par son arabité (ou son arabo-berbérité, ce qui ne change pas grand-chose à l’affaire) et par son islamité. Or la civilisation arabo-musulmane insère fortement le genre dans son organisation de l’espace. L’espace public, celui de la rue – donc celui des métiers – étant, comme on le sait, réservé à l’homme, il est logique que les femmes en soient habituellement absentes.
124Mon dernier mot sera pour reconnaître que les trois centaines et quelques de fonctions et de métiers que j’ai pu relever, à partir d’un corpus limité, ne donnent qu’un aperçu des activités professionnelles exercées dans les villes de l’Espagne musulmane. Un dépouillement systématique de la documentation disponible permettrait de compléter le catalogue dressé ci-dessus avec un nombre sans doute important de professions que les sources que j’ai utilisées ne mentionnent pas. Cependant, je crois que ce récapitulatif suffit déjà pour tracer un croquis correct de la société urbaine andalouse dans sa dimension socioprofessionnelle, et qu’il permet plus particulièrement de prendre la mesure de sa diversité et de son extrême spécialisation, bref d’une forme de sophistication qui explique à la fois sa vitalité et l’aura de paradis dont la cité d’al-Andalus a fini par être nimbée dans l’imaginaire arabo-musulman – surtout à partir du moment où elle a disparu.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 En l’absence de référence particulière, voir Ibn ‘Abdūn, al-Saqaṭī, Ibn ‘Abd al-Ra’ūf et al-Garsīfī, passim. Le plus pratique est de consulter les glossaires et les indices publiés en même temps que les textes et les traductions. Ils sont généralement complets. Pour des compléments d’information de type lexical, les arabisants pourront se reporter à R. Dozy, Supplément aux dictionaires arabes.
2 Voir Ibn ºAbdūn, texte (1934), glossaire, s. v.
3 P. de Alcalá, cité dans R. Dozy, Supplément aux dictionnaires arabes, s. v.
4 L’erreur de ceux qui nient la pertinence des concepts de ºāmma et de ẖāṣṣa tient au fait qu’ils confondent l’image de la réalité avec la réalité elle-même. Parallèlement, ils sous-estiment la force structurante des représentations (leur effet de rétroaction sur la réalité). Ils ont tendance, en outre, à attribuer à cette catégorisation une sorte de rigidité conceptuelle qu’elle est loin d’avoir. ºĀmma et ẖāṣṣa sont des notions souples dans leur définition et dans leur contenu (voir, par exemple, le paragraphe intitulé « Un problème de vocabulaire » dans F. Clément, Pouvoir et légitimité en Espagne musulmane à l’époque des Taifas, pp. 158-160).
5 Voir R. Brunschvig, « Métiers vils en Islam ».
6 Ibn al-õāṭīb, §§ 6-8, 13 ; traduction des citations pp. 43, 44 et 46 (A. M. Turki, Théologiens et juristes de l’Espagne musulmane, pp. 317, 318 et 320).
7 Ibn ‘Iḏārī, al-Bayān al-muġrib, pp. 56, 57 et 74.
8 Expressions relevées dans Ibn Bassām, al-Ḏaẖīra fī maḥāsin ahl al-Ǧazīra et Ibn ºIḏārī, al-Bayān al-muġrib, passim.
9 Ibn Ḥayyān, dans Ibn Bassām, Al-Ḏaẖīra fī maḥāsin ahl al-Gazīra, III, p. 523.
10 Ibid., IV, pp. 238-245.
11 Ibn Bassām, ibid., II, pp. 266-273 (en partie d’après Ibn al-Qaṣīra).
12 En partant du principe qu’il n’y a pas lieu d’interdire ce qui n’est pas, on notera avec intérêt qu’un musulman pouvait, à l’occasion, travailler comme porcher pour le compte d’un patron chrétien. Le transport du vin, en revanche, ne surprend pas outre mesure, tant l’œnophilie fait partie de la culture arabo-andalouse (voir mon chapitre « Vignes et vins dans l’Espagne musulmane », dans F. Clément et E. Weber, Villes d’Orient).
13 La salle de prière d’une mosquée est strictement réservée à la dévotion. Toutefois, la cour et les galeries abritent éventuellement des activités profanes : le cadi a le droit d’y siéger, on tolère que le maître d’école y enseigne, et il est admis que les étrangers de passage peuvent y dormir et y manger. La mendicité est également interdite, avec une dérogation à l’égard des mendiants âgés qu’on n’empêche pas de quêter jusque entre les rangs des fidèles (voir Ibn ºAbd al-Ra’ūf, pp. 73-74 ; trad. R. Arié, « Traduction annotée et commentée des traités de ḥisba d’Ibn ºAbd al-Ra’ūf et de ºUmar al-Garsīfī », pp. 19-21).
14 « Mille moins trente » (970) : al-Idrīsī, Kitāb nuzhat al-muštāk, p. 198, trad. p. 241 ; passage repris en résumé dans al-Ḥimyarī, Kitāb al-rawḍ al miº ṭārfī áabar al-aqṭār, p. 184, trad. p. 223
15 Ibn ºAbdūn, texte (1934), pp. 216-217 ; texte (1955), pp. 26-28 ; trad. pp. 59-61, §§ 53-55.
16 Sorte de beignets au fromage.
17 Anonyme de Tamagrūt, pp. 176-177.
18 Ibn Bassām, al-Ḏaẖīra fī maḥāsin ahl al-Ǧazīra, I, p. 51.
19 Pour un tableau d’ensemble de l’administration de l’État à l’époque califale, voir É. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, t. III, pp. 18-53.
20 Il semble que cette fonction soit différente de la suivante. Ibn ºAbdūn prescrivant qu’il n’y ait qu’un seul amīr par prison, il pourrait s’agir du gardien en chef, comme le mot, qui désigne d’ordinaire une personne investie d’une autorité de commandement, le laisserait entendre.
21 Sur l’organisation judiciaire au Xe siècle, voir É. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, t. III, pp. 113-162.
22 Nous maintenons la distinction entre ṣāḥib al-sūq (ou ṣāḥib ḥisbat al-sūq ) et muḥtasib, bien que les arguments fournis par Chalmeta pour la justifier ne nous paraissent guère concluants (voir P. Chalmeta Gendrón, El « señor del zoco » en España, pp. 481-494).
23 Sur la police du marché voir ibid., pp. 409-494.
24 Ibn al-õaṭīb, §§ 7, 9, 12, 20-22, 26, 29-30 ; résumé pp. 56-50 (A. M. Turki, Théologiens et juristes de l’Espagne musulmane, pp. 320-324).
25 Ibn ºAbdūn, texte (1934), p. 237 ; texte (1955), p. 46 ; trad., p. 104, § 139.
26 Des moulins à vent sont signalés à Tarragone, mais comme une particularité locale remontant « aux Anciens » (al-Ḥimyarī, Kitāb al-rawḍ al miº ṭār fī ẖabar al-aqṭār, p. 126 ; trad. p. 153).
27 R. Dozy (éd.), Le Calendrier de Cordoue, texte arabe, p. 163 ; texte latin, avec les formes vicus Atirez, Tiraciorum, Tiraceorum, pp. 73, 83, 163.
28 Cité par Lévi-Provençal dans Al-Saqaṭī, Un manuel hispanique de ḥisba, p. 26.
29 P. de Alcalá, cité par R. Dozy, Supplément aux dictionnaires arabes, s. v., donne ce terme comme synonyme du précédent (momo contrahezedor). Le mot ẖiyāl, qui désigne les ombres chinoises, me paraît pourtant explicite.
Auteur
Université de Nantes - Framespa, Toulouse
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